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A-407-86
Syntex Pharmaceuticals International Limited (appelante)
c.
Medichem Inc. (intimée)
RÉPERTORIÉ: SYNTEX PHARMACEUTICALS INTERNATIONAL LTD. C. MEDICHEM INC. (CA.)
Cour d'appel, juges Urie, Marceau et MacGuigan, J.C.A.—Toronto, 1, 2 et 3 novembre 1989; Ottawa, 15 janvier 1990.
Brevets Octroi d'une licence obligatoire relativement à des médicaments La compétence du commissaire des bre- vets pour entendre la demande ne peut être contestée au motif que l'art. 39(4) et (5) de la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets privent le breveté d'une audition impartiale Le défaut de signification au breveté des contre-mémoires déposés dans les demandes simultanées constitue un déni de justice naturelle L'étroitesse des liens entre les sociétés et l'omis- sion de remplir les obligations de la licence constituent de «bonnes raisons» au sens de l'art. 39(4) de rejeter la licence La preuve est insuffisante pour justifier l'octroi de la redevance.
H s'agit d'un appel interjeté contre la décision par laquelle un agent de projet accordait une licence obligatoire à l'intimée Medichem à l'égard des médicaments «naproxen» et «naproxen sodique» en vertu de brevets appartenant à l'appelante, Syntex. L'intimée a aussi déposé simultanément des demandes de licence à l'égard de médicaments fabriqués par six autres brevetés. Conformément -aux directives du commissaire des brevets données en application des Règles sur les brevets la demande de licence obligatoire de l'intimée a été signifiée à l'appelante. Toutefois, l'intimée n'a signifié aucune des deman- des simultanées ni les contre-mémoires des brevetés qui les appuyaient.
L'appel soulève les questions suivantes: (1) l'agent de projet avait-il compétence pour agir et les procédures se sont-elles déroulées contrairement aux règles de justice naturelle; (2) existait-il de «bonnes raisons» au sens du paragraphe 39(4) de la Loi pour refuser la licence; (3) existait-il des éléments de preuve suffisants pour justifier une redevance au taux de 4/7 de 1 % du prix de vente net du médicament.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli, la licence annulée et l'affaire renvoyée au commissaire des brevets.
(1) L'argument selon lequel le commissaire des brevets ou la personne qu'il désigne est sans compétence pour entendre les demandes de licence obligatoire au motif que, rédigés comme ils le sont, les paragraphes 39(4) et (5) de la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets priveraient l'appelante de son droit à une audition impartiale, est sans fondement. Les distinctions factuelles ne soustraient en rien cette Cour à l'autorité de l'arrêt American Home Products Corporation c. Commissaire des brevets et autre dans lequel on a statué que ni le paragra- phe 41(4) (maintenant le paragraphe 39(4)) ni les règles d'application du paragraphe 41(14) (maintenant le paragraphe 39(15)) ne violent l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits (droit à une audition impartiale).
Il reste cependant la question de savoir s'il y a eu déni de justice naturelle étant donné que les Règles, prises littérale- ment, ne prévoient pas la signification des demandes simulta- nées ni des contre-mémoires qui les appuient. Le défaut de signification à l'appelante des contre-mémoires des autres bre- vetés équivalait à un déni de justice naturelle. Une audition impartiale exigeait que l'appelante soit mise au courant des prétentions avancées dans les contre-mémoires des brevetés et qu'elle ait la possibilité d'y répondre puisque ces prétentions pouvaient avoir eu une incidence sur la redevance accordée. En outre, le défaut de fournir à l'appelante les contre-mémoires l'a privée des connaissances qui lui auraient permis de répondre à la question de savoir s'il y avait lieu d'accorder une licence.
(2) L'appelante a soutenu que l'intimée était l'alter ego d'Apotex Inc., la vraie demanderesse de licence, que l'intention véritable sous-tendant la demande de licence était de protéger son alter ego et de réduire ses paiements de redevance à des montants ridiculement bas, et que ces faits constituaient «de bonnes raisons» de refuser la licence.
En déterminant si les faits fournissent «de bonnes raisons» d'accorder ou de refuser une licence, l'agent de projet doit appliquer les principes appropriés. Sa conclusion que les argu ments fondés sur la conduite d'Apotex n'étaient pas pertinents parce que celle-ci constituait «une société séparée, juridique- ment distincte» de l'intimée, était entachée d'une erreur de droit étant donné les circonstances alléguées par l'appelante comme démontrant le but véritable de la constitution en société et de la demande de licence de l'intimée. Les liens étroits entre deux personnes morales concernent l'intérêt public voulant que l'on encourage la concurrence pour que les médicaments soient accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste rémunération pour les recherches qui ont conduit à l'invention. L'agent de projet a commis une erreur en ne faisant pas de cas de ces liens et du défaut apparemment non contesté d'Apotex de remplir les obligations que lui imposait sa licence envers l'appelante et les autre brevetés. De plus, l'exis- tence de personnes morales distinctes ne suffit pas, par elle- même, à empêcher un tribunal de soulever le «voile corporatif» lorsqu'il est allégué qu'une société a été constituée dans le but de cacher des faits pertinents à la décision qui doit être prise au sujet de l'opportunité d'accorder une licence.
(3) Les principes suivants sont applicables à la fixation du montant d'une redevance: le commissaire des brevets doit déte- nir des éléments de preuve lui permettant de fixer le taux de la redevance compte tenu des exigences du paragraphe 39(5) de la Loi; il incombe au breveté et au demandeur de brevet de fournir au commissaire les éléments de preuve nécessaires à l'exécution de son mandat; le demandeur doit convaincre le commissaire qu'il est raisonnablement possible que la ou les licences additionnelles sollicitées soient nécessaires et soient utilisées; et, finalement, lorsque les éléments de preuve sur le procédé qui sera véritablement utilisé sont insuffisants ou inexistants, il est douteux que la simple division en portions égales d'une redevance globale constitue invariablement la bonne façon pour le commissaire d'exercer l'obligation que lui impose la Loi.
Ces principes n'ont pas été respectés en l'espèce. L'intimée n'a pas fourni des éléments de preuve suffisants et elle n'a pas indiqué pourquoi elle avait besoin des six autres licences. En
outre, l'appelante ne s'est pas acquittée de l'obligation de produire la preuve requise.
Le fait que la redevance puisse être incompatible avec les motifs de l'agent de projet ne saurait justifier l'annulation de la licence. La prépondérance doit être accordée aux conditions de la licence et non aux motifs à l'appui de l'octroi de la licence et de l'adjudication de la redevance. L'agent de projet n'a pas commis d'erreur en rejetant le témoignage d'expert voulant que les deux substances en cause soient différentes. Il n'a pas non plus commis d'erreur dans l'utilisation qu'il a faite de l'ouvrage The Merck Index ou du Compendium des produits et spéciali- tés pharmaceutiques 1985 pour en arriver à la conclusion que les substances étaient les mêmes ou sensiblement les mêmes.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), Appendice III, art. 2e).
Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), chap. P-4, art. 39(4),(5),(15).
Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4, art. 41(4),(5),(14).
Règles sur les brevets, C.R.C., chap. 1250, art. 118, 119, 120, 121, 122.
JURISPRUDENCE
DÉCISION SUIVIE:
American Home Products Corporation c. Commissaire des brevets et autre (1983), 71 C.P.R. (2d) 9 (C.A.F.).
DÉCISION APPLIQUÉE:
Nedco Ltd. v. Clark et al. (1973), 43 D.L.R. (3d) 714; [1973] 6 W.W.R. 425 (C.A. Sask.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Magnasonic Canada Ltd. c. Le Tribunal antidumping, [1972] C.F. 1239; (1972), 30 D.L.R. (3d) 118 (C.A.); Re Smith, Kline & French Laboratories Ltd. et Frank W. Horner Ltd. (1983), 6 D.L.R. (4th) 229; 1 C.I.P.R. 183; 52 N.R. 294 (C.A.F.); Rainham Chemical Works v. Belvedere Fish Guano Co., [1921] 2 A.C. 465 (H.L.).
DÉCISIONS CITÉES:
American Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd. (n° 1) (1985), 7 C.I.P.R. 174; 5 C.P.R. (3d) 1; 61 N.R. 141 (C.A.F.); Syntex Pharmaceuticals Int. Ltd. c. Comm. des brevets (1986), 8 C.I.P.R. 18; 9 C.P.R. (3d) 249; 3 F.T.R. 60 (C.F. Ire inst.); conf. par A-245-86, juges Urie, Marceau et MacGuigan, J.C.A., 15-1-90, encore inédite; Tunstall c. Steigmann, [1962] 2 Q.B. 593 (C.A.); Sche- rico Ltd. c. P.V.U. Inc. (1989), 24 C.I.P.R. 161 (C.A.F.); American Home Products Corp. c. I.C.N. Canada Ltd. (no 2) (1988), 18 C.I.P.R. 104; 19 C.P.R. (3d) 257 (C.A.F.); American Home Products Corp. c. Novopharm Ltd. (1988), 18 C.I.P.R. 128; 19 C.P.R. (3d) 279 (C.A.F.); Takeda Chemical Industries Ltd. c. Novo- pharm Ltd. (1988), 19 C.P.R. (3d) 278 (C.A.F.); Affaire
intéressant une demande de licence obligatoire déposée par Novopharm Ltd. (1988), 18 C.1.P.R. 121; 19 C.P.R. (3d) 274 (C.A.F.); Otsuka Pharmaceutical Co. c. Torcan Chemical Ltd. (1988), 20 C.1.P.R. 138; 20 C.P.R. (3d) 35 (C.A.F.); Affaire intéressant une demande de licence obligatoire déposée par Apotex Inc. (1987), 17 C.I.P.R. 51; 17 C.P.R. (3d) 449 (C.A.F.).
AVOCATS:
Conor McCourt pour l'appelante.
Malcolm S. Johnston, c.r., pour l'intimée. Michael F. Ciavaglia pour le procureur géné- ral du Canada.
PROCUREURS:
McCarthy & McCarthy, Toronto, pour l'appelante.
Malcolm Johnston & Associates, Toronto, pour l'intimée.
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE URIE, J.C.A.: Le présent appel, le premier de deux appels plaidés consécutivement devant notre Cour, conteste une décision rendue le 6 juin 1986 par P. J. Davies—décrit comme un agent de projet—qui a accordé une licence obliga- toire à l'intimée relativement aux médicaments connus sous les noms de «naproxen» et de «naproxen sodique» en vertu de dix-neuf brevets canadiens appartenant à l'appelante. Le pouvoir de l'agent de projet de rendre la décision portée en appel n'a été contesté par ni l'une ni l'autre des parties. Le procureur général du Canada a com- paru par l'intermédiaire de son avocat et a été entendu à titre d'intervenant dans le cadre du présent appel.
Dans sa demande de licence, datée du 15 octo- bre 1984, l'intimée a notamment déclaré':
[TRADUCTION] Simultanément, la demanderesse a déposé une demande de licence à l'égard de brevets appartenant à The Boots Company, P.L.C., Montedison S.p.A., Prodotti Chimici Sabbatini S.R.L., Alfa Farmaceutici, The Upjohn Company et Blaschim S.p.A.
Deux des brevetés ainsi nommés—Alfa Farma- ceutici et Blaschim S.p.A.—ont également été
' Dossier d'appel, vol. 4, à la p. 608.
mentionnés par l'intimée comme des fabricants et des fournisseurs de naproxen et de naproxen sodi- que dont la demanderesse entendait obtenir son naproxen et son naproxen sodique.
Conformément aux directives en date du 3 décembre 1984 que le commissaire des brevets a prononcées conformément à l'alinéa 120(1)b) des Règles sur les brevets [C.R.C., chap. 1250], la licence obligatoire de l'intimée a été signifiée le 12 décembre 1984 au représentant pour fins de signi fication de l'appelante. Aucune des six autres demandes simultanées n'a été ainsi signifiée.
Ayant obtenu une prorogation de trois mois du délai fixé à la Règle 121 pour la signification d'un contre-mémoire (les deux mois qui suivent la signi fication de la demande), l'appelante a signifié, le 10 mai 1985, son contre-mémoire, qu'appuyaient quatre affidavits, au représentant pour fins de signification de l'intimée. Ce contre-mémoire, ces quatre affidavits et la preuve de leur signification ont été dûment déposés par l'appelante le 13 mai 1985.
Même si les Règles sur les brevets lui permet- taient de le faire, l'intimée n'a ni signifié, ni déposé de réponse concernant le contre-mémoire ou l'un des affidavits qui l'appuyaient.
Le 10 mars 1986, le commissaire a avisé l'appe- lante que l'intimée avait demandé une licence pro- visoire et que l'appelante avait vingt et un jours pour faire valoir les prétentions qu'elle pourrait entretenir à cet égard. Se prévalant de cette oppor- tunité, l'appelante a présenté des observations écri- tes le 3 avril 1986. Elle y réitérait les objections qu'elle avait soulevées dans son contre-mémoire. Elle présentait également au commissaire une copie de la déclaration qu'elle avait déposée dans une action en recouvrement de redevances intentée contre Apotex Inc. relativement à la licence obli- gatoire numéro 558, de même qu'une copie de la décision prononcée par cette Cour dans l'affaire American Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd. [no 1] 2 .
Le 24 mars 1986, l'appelante a sollicité un bref de prohibition auprès de la Section de première instance conformément à l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2 e Supp.), chap.
2 (1985), 7 C.I.P.R. 174 (C.A.F.).
10]. Ce bref aurait interdit au commissaire d'exa- miner plus avant ou de juger tout aspect de la demande de licence de l'intimée au motif que le commissaire ne possédait pas la compétence voulue pour poser de tels actes. Le 8 avril 1986, dans une décision motivée [Syntex Pharmaceuticals Int. Ltd. c. Comm. des brevets (1986), 8 C.I.P.R. 18 (C.F. ire inst.)], le juge Teitelbaum a rejeté cette demande. Cette ordonnance fait l'objet du second appel que nous avons mentionné [appel rejeté, A-245-86, juges Urie, Marceau et MacGuigan, J.C.A., 15-1-90, encore inédit].
Le 6 juin 1986, un agent de projet à qui le commissaire avait apparemment délégué son pou- voir de statuer sur la demande de l'intimée, M. Davies, a accordé à l'intimée la licence numéro 754, qui accueillait sa demande et fixait la rede- vance au taux de 4/7 de 1 % qu'elle avait proposé. C'est à l'encontre de cette dernière décision qu'a été formé l'appel en l'espèce.
Dans l'argumentation qui accompagne son appel, l'avocat de l'appelante a fait valoir cinq motifs, dont je traiterai de façon consécutive.
I LES PROCÉDURES SE SONT DÉROULÉES CON- TRAIREMENT AUX RÈGLES DE LA JUSTICE NATURELLE ET SONT NULLES EN RAISON D'UNE ABSENCE DE COMPÉTENCE
Les arguments formulés à ce chapitre à l'encon- tre de la décision attaquée étaient fondés sur trois prétentions qui sont assez reliées entre elles:
(a) les six demandes simultanées de licences visant des médicaments produits par six autres brevetés n'ont pas été signifiées à l'appelante, présumément parce que les Règles sur les bre- vets n'exigent pas expressément leur significa tion;
(b) en conséquence, l'appelante n'a pas eu la possibilité d'intervenir et de présenter ses obser vations dans les instances relatives aux six autres demandes, même si de telles observations pour- raient être très pertinentes aux décisions à rendre dans chacune des sept demandes en ques tion, présumément, encore une fois, parce que les Règles n'exigent pas ou ne permettent pas expressément une telle intervention;
(c) le défaut d'exiger la signification de tout contre-mémoire dans les demandes associées l'a privée de la possibilité de présenter une réponse
ou des observations concernant des allégations des contre-mémoires associés qui auraient pu être opposées aux intérêts ou aux droits de l'appelante.
Au paragraphe 44 de son exposé des points d'argument, l'appelante formule la prétention suivante:
[TRADUCTION] ... il est évident que le paragraphe 41(4) de la Loi sur les brevets et les dispositions qui lui sont accessoires ont été interprétés ou appliqués de façon à priver l'appelante du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de la justice fondamentale, pour la définition de ses droits, contrairement à l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits; en conséquence, l'agent de projet a commis une erreur en n'annulant pas les procédures.
Au lieu d'annuler les procédures, l'agent se serait en fait appuyé sur des prétentions présentées dans des contre-mémoires de tierces parties aux- quels l'appelante n'avait pas le droit de répondre, soit en ce qui concerne l'octroi de la licence, soit dans la fixation des dispositions et des conditions régissant la licence.
À mon sens, l'argument selon lequel les paragra- phes 41(4) et (5) [Loi sur les brevets, S.R.C. 1970, chap. P-4] présent les paragraphes 39(4) et (5) 3 ) et les Règles sur les brevets enfreignent
3 L.R.C. (1985), chap. P-4. 39... .
(4) Si, dans le cas d'un brevet portant sur une invention destinée à des médicaments ou à la préparation ou à la produc tion de médicaments, ou susceptible d'être utilisée à de telles fins, une personne présente une demande pour obtenir une licence en vue de faire l'une ou plusieurs des choses suivantes comme le spécifie la demande:
a) lorsque l'invention consiste en un procédé, utiliser l'inven- tion pour la préparation ou la production de médicaments, importer tout médicament dans la préparation ou la produc tion duquel l'invention a été utilisée ou vendre tout médica- ment dans la préparation ou la production duquel l'invention a été utilisée;
b) lorsque l'invention consiste en autre chose qu'un procédé, importer, fabriquer, utiliser ou vendre l'invention pour des médicaments ou pour la préparation ou la production de médicaments,
le commissaire accorde au demandeur une licence pour faire les choses spécifiées dans la demande à l'exception de celles pour lesquelles il a, le cas échéant, de bonnes raisons de ne pas accorder une telle licence.
(5) En arrêtant les conditions de la licence et en fixant le montant de la redevance ou autre considération à payer, le commissaire tient compte de l'opportunité de rendre les médi- caments accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste rémunération pour les recher- ches qui ont conduit à l'invention et pour les autres facteurs qui peuvent être prescrits.
l'alinéa 2e) 4 de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), Appendice III] et devraient être déclarés inopérants a été tranché par cette Cour en 1983 dans l'arrêt American Home Pro ducts Corporation c. Commissaire des brevets et autres. Il est vrai que, dans cette affaire, l'argu- ment suivant lequel le breveté avait été privé d'une audition impartiale de sa cause selon les principes de la justice fondamentale était soulevé face à la prétention que les règles de procédure édictées en vertu du paragraphe 41(14) présent le paragra- phe 39(15) 6 ) n'assurent au breveté ni une audition orale, ni la possibilité de contre-interroger le dépo- sant dont l'affidavit justifie la demande, ni le droit de parler le dernier pour s'opposer à la réponse que les Règles accordent au demandeur. En l'espèce, d'autre part, l'argumentation présentée, nous le répétons, veut essentiellement que le commissaire soit sans compétence en vertu de l'alinéa 2e) parce, que dans les instances associées ayant trait à une demande de licence, les Règles ne permettent ou n'exigent ni la signification de la demande, ni celle du contre-mémoire au breveté, ce qui prive celui-ci du droit de répondre à toute allégation défavorable ou de présenter des observations concernant les questions touchant ses droits. Je suis d'avis que de telles distinctions factuelles ne soustraient en rien cette Cour à l'arrêt American Home Products en ce qui concerne la question de l'alinéa 2e).
4 2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
5 (1983), 71 C.P.R. (2d) 9 (C.A.F.).
6 L.R.C. (1985), chap. P-4.
39... .
(15) Le gouverneur en conseil peut établir des règles ou
prendre des règlements:
a) en vue de toute mesure d'ordre réglementaire prévue par le présent article;
b) concernant la procédure à suivre pour toute demande présentée en conformité avec le paragraphe (3) - ou (4), et, notamment, sur les renseignements que doit contenir une telle demande, ainsi que la présentation des observations et la
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Aux pages 10 et 11 du recueil, le juge en chef Thurlow a dit au nom de la Cour:
Il convient de souligner qu'une demande fondée sur le par. 41(4) constitue une procédure administrative, qui confère au commissaire le pouvoir de rendre une décision d'une manière quasi judiciaire. Dans cette procédure, le breveté a droit à une audition impartiale, mais il ne dispose pas, du point de vue de la procédure, de la kyrielle de droits dont peut se prévaloir une partie à une action civile intentée devant une cour de justice. En vertu des règles, le breveté a la possibilité de soulever dans un contre-mémoire tout ce qu'il peut souhaiter porter à la connaissance du commissaire, comme par exemple les raisons pour lesquelles on ne devrait pas accorder une licence. À mon avis, cette mesure équivaut à une audition impartiale. Dans une procédure de ce genre, l'équité n'exige pas nécessairement qu'il y ait une audition orale une fois que les points litigieux ont été exposés par écrit. Elle n'oblige pas qu'on accorde le droit de contre-interroger les déposants sur leurs affidavits ou qu'on donne au breveté la possibilité de répondre le dernier. À notre avis, ni le par. 41(4) ni les règles d'application du par. 41(14) ne violent l'al. 2e) de la Déclaration canadienne des droits; ils ne privent pas non plus l'appelante d'une audition impartiale au sens de cette loi. [C'est moi qui souligne.]
La dernière phrase de l'extrait qui précède est claire, non ambiguë et non équivoque. A mon.sens, elle voue à l'échec toute affirmation devant cette Cour que le commissaire des brevets ou la per- sonne qu'il désigne est sans compétence pour entendre les demandes de licence obligatoire parce que, rédigés comme ils le sont, les paragraphes 39(4) et (5) de la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets violeraient l'alinéa 2e) de la Décla- ration canadienne des droits.
Cela étant dit, la question suivante reste à tran- cher: dans l'hypothèse où, appliquées littéralement, les Règles valides pertinentes privent le breveté de la protection accordée par les règles de la common law sur la justice naturelle, en rendant le breveté
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production de la preuve devant le commissaire au sujet d'une telle demande;
c) concernant la forme et la manière selon lesquelles un demandeur ou un breveté peut présenter des observations et, produire la preuve devant le commissaire au sujet d'une demande ou requête mentionnée au présent article;
d) concernant la manière dont une demande, une requête, un avis ou autre document mentionnés au présent article ou dans tout règlement pris en vertu du présent paragraphe peuvent ou doivent être faits ou rédigés, signifiés, expédiés ou donnés;
e) prévoyant la présentation au commissaire, pour le compte du gouvernement du Canada, d'observations relatives à toute demande ou requête mentionnée au paragraphe (14);
f) visant, d'une façon générale, l'application du présent article.
incapable de répondre aux prétentions de parties dont l'intérêt risque d'être opposé au sien, par le fait que, textuellement, les Règles n'exigent pas la signification des demandes simultanées de licences qui ont été présentées à l'égard des six autres brevets et n'exigent pas la signification des contre- mémoires déposés dans ces demandes, une répara- tion est-elle accessible au breveté, et, si oui, quelle en est la nature?
Les parties pertinentes des Règles sur les bre- vets sont les suivantes:
118. (1) Une demande doit être rédigée en double exem- plaire selon la formule 21 de l'annexe I et elle doit
a) n'être présentée qu'à l'égard d'un brevet ou de plusieurs brevets
(i) qui, d'après les dossiers du Bureau, sont au nom du même breveté, et
(ii) qui concernent des inventions ayant trait ou pouvant servir à la préparation ou à la production de la même substance ou chose ou sensiblement la même; et
b) spécifier, à l'égard de chaque brevet faisant l'objet de la demande,
(i) la chose ou les choses, dont il est fait mention au paragraphe 41(4) (L.R.C. (1985), par. 39(4)] de la Loi, pour l'accomplissement desquelles le deman- deur désire une licence, et
(ii) laquelle de ces choses, s'il y a lieu, spécifiées confor- mément au sous-alinéa (i) à l'égard du brevet, sera accomplie, en totalité ou en partie, pour le compte du demandeur par une autre personne;
119. La demande doit être souscrite par le demandeur et être appuyée d'une preuve sous forme d'affidavit quant aux faits pertinents allégués dans la demande.
120. (1) Lorsqu'il reçoit une demande qui, à son avis, est conforme de façon satisfaisante à l'article 118 et 119; le commissaire doit étudier la demande aussitôt que possible et,
a) s'il a de bonnes raisons de n'accorder aucune licence au demandeur, rejeter la demande et faire part de sa décision et des raisons qui la motivent au demandeur, au breveté et au ministère de la Santé nationale et du Bien-être social; ou
b) dans tout autre cas, charger le demandeur de signifier une copie de la demande au breveté de la façon prescrite au paragraphe (2) et de déposer chez le commissaire une preuve d'une telle signification que celui-ci juge satisfaisante.
121. Le breveté peut, dans les deux mois qui suivent le jour signification de la demande lui a été faite ou au cours de toute période supplémentaire n'excédant pas trois mois que peut permettre le commissaire, lorsque demande lui en est faite par le breveté dans ces deux mois, déposer chez le commissaire en double exemplaire
a) un contre-mémoire selon la formule 23 de l'annexe 1 souscrit par le breveté et appuyé par une preuve sous forme d'affidavit quant aux faits pertinents allégués dans le contre- mémoire, ou
b) une déclaration, souscrite par le breveté, stipulant qu'il n'a pas l'intention de présenter un contre-mémoire,
et, lorsqu'un contre-mémoire est déposé chez le commissaire conformément à l'alinéa a), le breveté doit
c) signifier au demandeur, au cours de ces deux mois ou de ladite période supplémentaire, une copie du contre-mémoire et de tout affidavit déposés chez le commissaire conformé- ment audit alinéa; et
d) déposer chez le commissaire une preuve d'une telle signi fication que celui-ci juge satisfaisante.
122. Au cours du mois qui suit la significaton d'un contre- mémoire au demandeur ou de toute période supplémentaire n'excédant pas deux mois que peut permettre le commissaire, lorsque demande lui en est faite par le demandeur au cours dudit mois, le demandeur peut déposer chez le commissaire en double exemplaire une déclaration souscrite par le demandeur,
a) à titre de réponse à toute question soulevée dans le contre-mémoire et appuyée par une preuve sous forme d'affi- davit quant aux faits pertinents allégués dans une telle déclaration, ou
b) stipulant qu'il n'a pas l'intention de présenter de réponse au contre-mémoire,
et le demandeur doit
c) signifier au breveté, au cours dudit mois ou de ladite période supplémentaire, une copie d'une telle déclaration et de tout affidavit déposés chez le commissaire conformément à l'alinéa a); et
d) déposer chez le commissaire une preuve d'une telle signi fication que celui-ci juge satisfaisante.
L'avocat de l'appelante a soumis son argument sur la justice naturelle dans le contre-mémoire de son client. L'agent de projet s'est prononcé de la manière suivante à son sujet:
[TRADUCTION] Le breveté a soutenu que, le commissaire des brevets n'ayant pas ordonné que les six demandes associées susmentionnées lui soient signifiées, les procédures entamées devant le commissaire enfreignent la Charte canadienne des droits et des libertés [sic] ainsi que les règles de la justice naturelle, et la demande est nulle. Ces arguments ont été rejetés par le juge Teitelbaum dans la décision Syntex Pharmaceuti cals International Limited c. Commissaire des brevets et Medichem Inc. (le 8 avril 1986, de greffe T-618-86, encore inédite), et je suis lié par cette décision. Un autre argument avancé à cet égard voulait que le breveté n'ait aucun droit d'être entendu relativement à ces demandes associées. Je ne suis pas d'accord, puisque toutes les demandes de licence obligatoire présentées en vertu du paragraphe 41(4) de la Loi peuvent être examinées au Bureau des brevets et que toute prétention mise de l'avant dans un contre-mémoire concernant les demandes associées est considérée au moment de la décision d'accorder ou non la licence et au moment sont fixées les conditions qui régiront une telle licence. [C'est moi qui souligne.]
L'appelante s'oppose particulièrement à la partie soulignée de la dernière phrase citée. Son avocat est d'accord pour dire que les autres demandes pouvaient être examinées à la fois par le public et par lui-même, et il reconnaît qu'il les a effectivement lues avant de déposer son contre- mémoire. Toutefois, les contre-mémoires des autres brevetés n'étaient accessibles ni à cet avocat ni au public en général. De plus, d'un point de vue pratique, ils ne pouvaient avoir été accessibles si chacun des brevetés attendait jusqu'à l'expiration soit du délai de prescription de deux mois, soit du délai supplémentaire accordé par le commissaire, pour déposer son contre-mémoire. Chacun de ces documents était susceptible de renfermer des observations, des prétentions ou des déclarations pouvant influencer le jugement du commissaire dans la présente demande, soit en ce qui concerne l'octroi ou le refus d'accorder la licence, soit en ce qui a trait à l'appréciation du taux de la redevance accordée. Selon cet avocat, c'est en cela que l'ap- pelante s'est vu refuser l'audition impartiale que les règles de la justice naturelle imposent aux tribunaux qui, comme le commissaire lorsqu'il statue sur des licences demandées à l'égard de brevets, ont l'obligation d'agir de façon quasi judi- ciaire'. À son avis, les cinq dernières lignes de la citation qui précède établissaient que l'agent de projet avait utilisé les demandes et les contre- mémoires de chacune des sept demandes associées pour parvenir à sa décision, sans accorder à sa cliente la possibilité de présenter une réponse. Ce faisant, l'agent de projet aurait enfreint les règles de la justice naturelle de façon flagrante.
L'avocat du procureur général du Canada, l'in- tervenant, a soutenu avec force que l'avocat de l'appelante avait mal interprété le passage en ques tion. Selon lui, lorsque l'agent de projet a déclaré que
... toute prétention ... dans un contre-mémoire concernant les demandes associées est considérée au moment de la décision ... [C'est moi qui souligne.]
il visait seulement le contre-mémoire de l'appe- lante et les prétentions qui s'y trouvaient expri- mées relativement aux demandes associées. Je ne suis pas d'accord avec cette assertion. Les mots «un contre-mémoire» peuvent désigner et, à mon avis,
7 Arrêt American Home Products Corporation c. Commis- saire des brevets et autre, susmentionné.
désignent fort probablement, les contre-mémoires présentés dans chacune des sept demandes. D'au- tres passages de la décision en cause appuient cette façon de voir. À la page 5 de la décision 8 , par exemple, dans un contexte factuel différent, il est vrai, l'agent de projet a déclaré:
[TRADUCTION] ... J'ai examiné les sept demandes associées ensemble, en considérant notamment chacune des prétentions de chacune des parties, et je suis convaincu ... [C'est moi qui souligne.]
Mon point de vue est également étayé par le fait suivant, dont je traiterai plus loin de façon plus complète: en établissant la redevance payable à l'appelante, l'agent de projet a accordé une rede- vance totale de 4 %, dont il a précisé qu'elle avait été proposée par le demandeur de licence, pour la diviser par le nombre total des demandes, c'est-à- dire par sept, et ainsi laisser à chacun des brevetés une redevance de quatre septièmes de 1 %. À la lecture de cette décision, il est évident que l'agent de projet n'a pu statuer comme il l'a fait qu'en examinant l'ensemble des sept demandes présen- tées, puisque chacune de celles-ci proposait une redevance de quatre septièmes de 1 %, sans qu'au- cune ne mentionne un total de 4 %.
Il ne fait aucun doute que l'appelante en l'espèce a, dans son contre-mémoire, contesté le taux de la redevance proposée. Il est vraisemblable que les autres brevetés l'aient également fait, mais les motifs pour lesquels ils contestaient ou appuyaient la proposition—à supposer que de tels motifs aient existé—n'étaient connus que de l'agent de projet. À mon sens, la justice naturelle et une audition impartiale voulaient que, avant la décision, les exigences suivantes soient remplies: l'appelante devait, au moins, avoir été mise au courant des prétentions avancées dans les contre-mémoires des brevetés déposés dans les six demandes associées, puisqu'il semble raisonnable d'inférer que ces pré- tentions auraient pu revêtir une certaine impor tance pour la redevance accordée à l'appelante, qui, avait-elle soutenu, était très nettement insuffi- sante; l'appelante aurait également avoir la possibilité de présenter une réponse à leur égard. Je me limite à ce point-ci à cette observation puisque, comme il est dit plus tôt, je traiterai de façon plus complète du taux adjugé lorsque j'ana-
6 Dossier d'appel, vol 5, i! la p. 642.
lyserai la question de la redevance, qui fait partie des points soulevés par l'appelante dans son appel. Ce défaut suffit à lui seul à donner gain de cause à l'appelante, mais il importe que nous analysions et que nous tranchions certaines autres questions sou- levées dans le cadre du présent appel, ce que nous ferons sous peu.
Je devrais également dire que, bien que la plus flagrante des violations de la justice naturelle allé- guées soit celle ayant trait à la question de la redevance, je suis d'avis que le défaut de fournir à l'appelante les contre-mémoires déposés dans les six autres demandes a très bien pu la priver des connaissances qui lui auraient permis de répondre à leurs allégations dans son propre contre- mémoire; de tels renseignements auraient même pu être utiles à l'appelante en ce qui concerne la question de savoir si une licence devait être accor- dée ou non dans les circonstances, et en ce qui a trait aux conditions et aux dispositions dont elle aurait pu, devant le commissaire, plaider la perti nence pour la licence en cause.
En parvenant à ces conclusions, je n'omets pas de tenir compte des difficultés que les contraintes de temps découlant des règles applicables au dépôt et à la signification des contre-mémoires imposent au commissaire ou à la personne désignée par celui-ci lorsqu'ils s'assurent que les parties bénéfi- cient d'une audition impartiale selon les règles de la justice naturelle. Toutefois, je considère que le commissaire, qui est maître de la procédure dans les affaires dont il est saisi, possède toute l'inventi- vité nécessaire pour élaborer les moyens de procé- dure permettant que justice soit faite. Une des méthodes les plus évidentes consisterait naturelle- ment à exiger de façon plus fréquente ou, peut- être, de façon constante, des auditions orales lors- que plusieurs demandes de licences associées sont présentées. Il est fort possible que l'impartialité des procédures commande l'adoption d'autres pra- tiques. Comme l'a dit cette Cour dans un autre contexte dans l'arrêt Magnasonic Canada Ltd. c. Le Tribunal antidumping 9 :
Le Parlement a imposé une limite de temps au Tribunal ce qui implique une limite au temps qu'il peut accorder à chaque partie pour présenter son cas. Cela n'annule toutefois pas l'exigence selon laquelle elles doivent avoir la possibilité d'être
9 [1972] C.F. 1239 (C.A.), à la p. 1249.
entendues, exigence qui découle nécessairement des autres dis positions de la loi. [C'est moi qui souligne.]
À la phrase qui précède devraient être ajoutés les mots [TRADUCTION] «ou des exigences de la jus tice naturelle».
Je suis donc d'avis que l'appel interjeté par l'appelante devrait être accueilli sous cet aspect.
II LA PRÉTENTION QUE L'INTIMÉE EST L'ALTER EGO D'APOTEX INC.
Dans son contre-mémoire, l'appelante, s'ap- puyant sur certains éléments de preuve, a affirmé que l'intimée était l'alter ego d'Apotex Inc. («Apotex»). Ainsi alléguait-elle notamment que deux des intimés étaient des administrateurs et des cadres d'Apotex, que ces deux entités ont le même siège social, que l'intimée avait l'intention d'utili- ser les installations d'entreposage et de contrôle de qualité d'Apotex, que les médicaments en vrac que l'intimée importerait en vertu de sa licence seraient mis sous forme de comprimés par Apotex, que les prix projetés de ces médicaments sous forme posologique devaient être les mêmes que ceux d'Apotex, et que la redevance proposée trai- tait les ventes d'Apotex comme ses propres ventes.
Dans son exposé des points d'argument, l'inti- mée a nié la pertinence de cette preuve, sans toutefois déposer de réponse au contre-mémoire de l'appelante auprès de l'agent de projet.
En juin 1982, Apotex avait obtenu une licence obligatoire, portant le numéro 558, l'égard des brevets naproxen de l'appelante, notamment le, numéro 960,668. L'appelante a présenté des élé- ments de preuve selon lesquels Apotex avait con- trevenu aux conditions de sa licence en manquant de présenter des rapports sur ses ventes et de payer des redevances conformément à la licence, et selon lesquels elle avait instituer une action devant la Haute Cour de l'Ontario pour tenter de recouvrer les redevances impayées. Dans son exposé, l'inti- mée a nié les allégations telles qu'elles avaient été formulées, tout en reconnaissant l'existence d'un litige sur la question de savoir s'il y avait eu violation de la licence. Elle n'a pas répondu aux allégations du contre-mémoire.
À la page 6 de ses motifs 10 , l'agent de projet a statué sur ces différentes prétentions de la manière suivante:
[TRADUCTION] La titulaire des brevets a soutenu que la demanderesse n'avait pas la qualité voulue pour obtenir une licence ou avait perdu un tel droit en raison de la conduite de— pour employer l'expression de la titulaire des brevets—son alter ego, Apotex Inc. Il ressort clairement de la demande que la demanderesse est étroitement liée à la société Apotex Inc., mais la preuve présentée par la titulaire des brevets établit de façon nette que la demanderesse est une société séparée, juridique- ment distincte, qui a été constituée en Ontario le 30 mars 1981. En conséquence, je considère que tout argument fondé sur la conduite d'Apotex Inc. est sans pertinence en ce qui concerne ma décision d'accorder ou non une licence à la demanderesse ou en ce qui a trait à la détermination des conditions et des dispositions sur les redevances. [C'est moi qui souligne.]
Devant cette Cour, l'avocat de l'appelante a fait valoir les arguments suivants :
a) l'intimée est l'alter ego d'Apotex qui, en conséquence, est la vraie demanderesse de licence;
b) par le passé, Apotex a contrevenu non seule- ment à ses obligations envers la brevetée appe- lante, mais encore aux engagements qu'elle avait pris envers les autres brevetés de qui elle avait obtenu une licence;
c) l'intention et le but véritables sous-tendant la demande de licence de l'intimée était de sous- traire son alter ego aux conséquences de ses manquements à la licence numéro 558 et de réduire ses paiements de redevances à des mon- tants ridiculement bas; et
d) le fait que de telles pratiques ont eu lieu de façon régulière constitue «de bonnes raisons», au sens donné à cette expression au paragraphe 39(4) de la Loi, de refuser la licence sollicitée en l'espèce.
Dans l'arrêt Re Smith, Kline & French Labora tories Ltd. et Frank W. Horner Ltd. ", le juge Mahoney, J.C.A., prononçant les motifs de cette Cour, a dit ce qui suit au sujet du paragraphe 41(4) présent le paragraphe 39(4)):
En ce qui concerne le fond, le par. 41(4) a fait l'objet de nombreux examens par les tribunaux. Dans Parke. Davis & Co. v. Fine Chemicals of Canada Ltd. ((1959), 17 D.L.R. (2d) 153, à la p. 160; 30 C.P.R. 59, à la p. 67; [1959] R.C.S. 219, à la p. 228) le juge Martland a déclaré au nom de la Cour suprême du Canada:
10 Dossier d'appel, vol. 5, à la p. 643.
11 (1983), 6 D.L.R. (4th) 229 (C.A.F.), aux p. 231 à 233.
[TRADUCTION] Quant à savoir s'il aurait trouver «de bonnes raisons justifiant le contraire» au sujet de la demande de licence, il semble qu'il s'agit d'une question qui est laissée à l'appréciation du commissaire des brevets. Le libellé en question est «le commissaire, à moins qu'il ne trouve de bonnes raisons justifiant le contraire, doit accorder à quicon- que en fait la demande ...» En l'espèce, le commissaire n'a pas trouvé de bonnes raisons de ce genre. C'est à lui qu'il appartient de prendre la décision, et on ne peut affirmer, eu égard à la preuve, que sa décision était manifestement erro- née, compte tenu du fait que l'une des principales considéra- tions dont il avait été saisi était l'intérêt public.
Après avoir cité ce passage, le juge Thurlow (tel était alors son titre) a fait observer dans Hoffman-LaRoche Ltd. v. Delmar Chemicals Ltd. ((1964), 46 D.L.R. (2d) 140, la p. 144; 43 C.P.R. 93, aux p. 98 et 99; [1965] 1 R.C.E. 611, la p. 616):
[TRADUCTION] À mon avis, le pouvoir de la Cour de déter- miner si le jugement du commissaire était «manifestement erroné» requiert celui de déterminer, lorsque nécessaire, quelle sorte de raison peut être considérée ou non comme une bonne raison au sens de la loi; toutefois, comme le législateur fédéral a cru bon de ne pas limiter le pouvoir discrétionnaire du commissaire, il ne serait pas souhaitable, selon moi, que la Cour, dans le cadre d'un appel, établisse pour l'exercice de ce pourvoi des principes allant au-delà de ce qui est nécessaire pour ce cas précis.
La Cour suprême du Canada a rejeté l'appel de la décision du juge Thurlow (50 D.L.R. (2d) 607; 45 C.P.R. 235; [1965] R.C.S. 575) et n'a pas jugé nécessaire de commenter cette observation. Elle a jugé que le but du par. 41(4) est clair. Dans Hoffman-LaRoche Ltd. v. Bell- Craig Pharmaceuticals Divi sion of L.D. Craig Ltd. ((1966), 56 D.L.R. (2d) 97, la p. 102; 48 C.P.R. 137, à la p. 144; [1966] R.C.S. 313, la p. 319), le
juge Abbott a déclaré: -
[TRADUCTION] À mon avis, le but du par. 41(3) est clair. Il se résume à ceci: on ne peut obtenir le monopole absolu d'un procédé de fabrication d'un produit alimentaire ou médicinal. Au contraire, l'intention du Parlement est de maintenir, dans l'intérêt du public, la concurrence dans la production et le commerce de ces produits préparés selon un procédé breveté, de sorte qu'ils puissent, ainsi que la disposi tion l'indique, être «accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant à l'inventeur une juste rémunéra- tion pour les recherches qui ont conduit à l'invention».
Le par. 41(3) d'alors est maintenant le par. 41(4). Il a été modifié (S.C. 1968-69, chap. 49, art. I) afin de prévoir l'octroi de licences en vue de l'importation comme de la préparation ou production de médicaments. Il est évident que cette modifica tion n'a aucune incidence réelle sur les décisions antérieures (Eli Lilly & Co. c. S & U Chemicals Ltd. (1976), 67 D.L.R. (3d) 342; 26 C.P.R. (2d) 141; [1977] 1 R.C.S. 536). En résumé, comme l'a déclaré le juge Abbott dans Hoffman- LaRoche Ltd. v. L.D. Craig Ltd., précité:
[TRADUCTION] ... il est bien établi que l'appel ne pouvait être accueilli que si l'appelante pouvait démontrer que le commissaire s'était fondé sur un mauvais principe ou, qu'eu égard à la preuve, sa décision était manifestement erronée. Bien que la Cour soit habilitée à déterminer le genre de
raisons que le commissaire peut considérer comme de bonnes
raisons de refuser une licence, il semble évident que ces bonnes raisons, qu'elles soient fondées sur l'intérêt public ou non, doivent avoir trait au but manifeste du par. 41(4). On ne peut affirmer que le commissaire s'est appuyé sur un mauvais prin- cipe s'il rejette une considération d'intérêt public qui n'a aucun rapport avec l'introduction de la concurrence pour rendre le médicament accessible au public canadien au plus bas prix possible, tout en accordant au breveté une juste rémunération pour les recherches qui ont conduit à l'invention.
L'agent de projet qui a rendu la décision en l'espèce a rejeté comme étant sans pertinence «tout argument fondé sur la conduite d'Apotex Inc.» au seul motif que «la preuve présentée par la titulaire des brevets établit de façon nette que la demande- resse est une société séparée, juridiquement dis- tincte». En• prenant cette conclusion, il a, à mon sens, commis deux erreurs. Premièrement, une telle conclusion infère que les liens étroits entre deux personnes morales ne concernent pas l'intérêt public voulant que l'on encourage la concurrence pour que les médicaments soient accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste rémunération pour les recher- ches qui ont conduit à l'invention. Cette idée est clairement erronée, compte tenu des liens étroits et avoués existant entre la demanderesse et Apotex, et compte tenu du fait, apparemment non contesté, que cette dernière société a, par le passé, agi de façon déplorable lorsqu'il s'est agi d'exécuter les obligations imposées par des licences en faveur de différents titulaires de brevets, dont fait partie l'appelante en l'espèce. Ces faits risquent d'in- fluencer de façon réelle non seulement la décision d'accorder ou non une licence, mais encore les conditions imposées à un preneur de licence en ce qui concerne les paiements de redevances.
Ces facteurs pouvant constituer «de bonnes rai- sons» de rejeter la demande de licence, je considère que l'omission complète d'en tenir compte consti- tue une erreur sur une question de principe.
Deuxièmement, l'existence de personnes morales distinctes ne suffit pas, par elle-même, à empêcher un tribunal de soulever le [TRADUCTION] «voile corporatif» lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, il est allégué qu'une société a été constituée dans le but de cacher des faits pertinents à la décision qui doit être prise en vertu des dispositions du paragra- phe 39(4) de la Loi sur les brevets. Dans l'arrêt Nedco Ltd. v. Clark et al. 12 , de la Cour d'appel de
12 (1973), 43 D.L.R. (3d) 714 (C.A. Sask.).
la Saskatchewan, le juge en chef de cette Cour, le juge Culliton, a exprimé cette conception des prin- cipes juridiques en cause de la manière suivante [aux pages 719 et 720]:
[TRADUCTION] Même si, depuis le jugement prononcé par la Chambre des lords dans l'affaire Salomon v. A. Salomon & Co., Ltd., [1897] A.C. 22, l'existence autonome et indépen- dante de la personne morale a généralement été considérée comme un principe fondamental du droit anglais aussi bien que du droit canadien, des circonstances se sont présentées dans lesquelles les tribunaux ont conclu qu'il leur était à la fois possible et nécessaire de soulever le voile corporatif. La Cour l'a fait lorsqu'une société était en fait la mandataire d'une autre, ou lorsqu'une société était utilisée pour masquer les actions d'une autre; elle l'a fait pour appliquer une loi fiscale de façon juste et équitable. La Cour a également agi de cette manière après avoir conclu que, bien que des sociétés fussent juridique- ment distinctes, une de celles-ci pouvait être contrôlée par l'autre dans une mesure telle que, ensemble, elles formaient une seule unité. [C'est moi qui souligne.]
Citant l'arrêt Tunstall v. Steigmann, [ 1962] 2 Q.B. 593 (C.A.), le juge en chef Culliton a dit la page 721]:
[TRADUCTION] Si l'observation stricte du principe énoncé dans l'arrêt Salomon v. Salomon & Co. Ltd. [ 1897] A.C. 22 a été écartée, c'est uniquement pour faire face à des circonstances particulières une société à responsabilité limitée pourrait très bien être une façade masquant la réalité des faits.
Il a poursuivi en concluant, aux pages 721 et 722 du recueil:
[TRADUCTION] Dans nombre de décisions canadiennes por- tant sur des conflits de travail, les tribunaux ont soulevé le voile corporatif: voir Lescar Construction Co. Ltd. v. Wigman (1969), 7 D.L.R. (3d) 210, [1969] 2 O.R. 846, et Refrigeration Supplies Co. Ltd. v. Ellis et al. (1970), 14 D.L.R. (3d) 682, [1971] 1 O.R. 190. Si ces décisions reconnaissent le droit de soulever le voile corporatif, elles n'établissent toutefois pas de grand principe sur lequel ce droit serait fondé. Elles disent clairement, cependant, que chaque espèce doit être jugée à la lumière des faits qui lui sont propres.
Dans la présente affaire, la société Nedco Ltd. est une filiale à part entière de Northern Electric Company Limited. Elle a été organisée et constituée en société pour reprendre ce qui était antérieurement une division de Northern Electric Company Limited. Constituant une telle filiale à part entière, elle est contrôlée, gérée et dominée par Northern Electric Company Limited. Ainsi, en examinant la réalité de cette société plutôt que sa seule qualité juridique, je conclus qu'elle constitue une partie intégrante de Northern Electric Company Limited dans l'exercice de ses activités. [C'est moi qui souligne.]
Lord Buckmaster, de la Chambre des lords, a énoncé ce principe de la manière suivante dans
l'arrêt Rainham Chemical Works v. Belvedere Fish Guano Co.", une décision souvent citée:
[TRADUCTION] Par conséquent, il n'est pas possible d'ignorer une compagnie dûment incorporée au motif qu'elle n'est qu'une compagnie fictive, bien que l'on puisse faire la preuve qu'elle n'agit pas dans ses opérations en son propre nom, comme une entité commerciale indépendante, mais simplement pour le compte de ceux qui l'ont créée.
Comme on le verra, lord Buckmaster n'adopte pas le concept du soulèvement du voile corporatif mais considère que l'on doit conclure à l'existence d'une relation apparentée à celle du mandant et du mandataire.
Comme de nombreux autres, les précédents sus- mentionnés établissent que, dans les circonstances alléguées par l'appelante comme démontrant le but véritable de la constitution en société et de la demande de licence de l'intimée, une erreur de droit entachait la conclusion de l'agent de projet selon laquelle les arguments fondés sur la conduite d'Apotex n'étaient pas pertinents parce que celle-ci constituait «une société séparée, juridiquement dis- tincte» de l'intimée. S'il appartenait exclusivement à l'agent de projet de décider si les faits révélés lui fournissaient «de bonnes raisons» de ne pas accor- der la licence demandée, il était tenu de fonder une telle appréciation sur des principes appropriés, ce que, pour les deux motifs énoncés, il a omis de faire.
En conséquence, l'appelante devrait également avoir gain de cause en ce qui concerne le présent volet de son appel.
III LA PRÉTENTION SUR LES REDEVANCES RELA TIVES AU PROCÉDÉ
Comme je le conçois, l'argument soumis à ce chapitre veut que, en vertu des clauses 1 a),b),c) et d) de la licence, une redevance de 4/7 de 1 % soit payable sur les ventes de médicaments. Le mot [TRADUCTION] «médicament» est défini de la façon suivante au paragraphe 14 de la licence:
[TRADUCTION] NAPROXEN/NAPROXEN SODIQUE, lorsque pro- duits par quelque procédé ou à partir de quelque intermédiaire visé par le brevet mentionné aux présentes.
Selon l'avocat de l'appelante, les motifs de l'agent de projet établissent très clairement qu'il a tenu pour acquis que la redevance serait payée avec ou sans utilisation d'un procédé breveté de l'appelante par l'intimée. Cependant, à la lumière
13 [1921] 2 A.C. 465 (H.L.), à la p. 475.
de la définition du terme «médicament», l'emploi de l'expression «ventes de médicaments» démontre que la présomption de l'agent de projet était erron- née. En conséquence, l'agent de projet aurait commis une erreur en accordant une redevance qui était incompatible avec ses motifs.
À cette prétention, nous pouvons répondre briè- vement que la prépondérance doit être accordée aux conditions énoncées dans la licence et non aux motifs donnés à l'appui de l'octroi de la licence et de l'adjudication des redevances. En présumant, pour les fins du présent volet de l'argumentation présentée, que l'agent de projet a été juridique- ment habilité à accorder la redevance adjugée, le fait que cette redevance puisse être incompatible avec les propos tenus par l'agent dans ses motifs ne saurait, à tout le moins dans les circonstances alléguées par l'appelante en l'espèce, justifier l'an- nulation de la licence. Dans l'hypothèse où, d'autre part, l'appelante aurait en fait allégué que l'agent de projet avait mal saisi l'objet de la décision qu'il devait rendre, nous ne pouvons accepter sa prétention.
Ce volet de l'appel doit donc échouer.
IV LA PRÉTENTION QUE PLUSIEURS MÉDICA- MENTS SONT VISÉS
L'avocat de l'appelante a soutenu que la licence accordée contrevient au sous-alinéa 118(1)a)(ii) des Règles sur les brevets en ce qu'elle vise deux substances différentes, le NAPROXEN et le NAPROXEN SODIQUE.
Le sous-alinéa 118(1)a)(ii) est ainsi libellé:
118. (1) Une demande doit être rédigée en double exem- plaire selon la formule 21 de l'annexe I et elle doit a) n'être présentée qu'à l'égard d'un brevet ou de plusieurs brevets
(ii) qui concernent des inventions ayant trait ou pouvant servir à la préparation ou à la production de la même substance ou chose ou sensiblement la même; et
Il a fondé cette prétention sur le témoignage de Andrew G. Korey, le directeur adjoint de la divi sion «Scientific Affairs» de la société Syntex Inc., qui dit essentiellement que, la Direction générale de la protection de la santé du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social ayant conclu que les deux médicaments en cause sont entière-
ment différents, en délivrant pour chacun de ceux-ci des avis de conformité distincts et en attri- buant à ces médicaments deux numéros d'identifi- cation différents, l'agent de projet a commis une erreur en prenant la conclusion suivante:
[TRADUCTION] ... je n'accepte pas la proposition selon laquelle le NAPROXEN et le NAPROXEN SODIQUE sont différen- tes substances, pour les raisons que voici. Premièrement, le NAPROXEN est l'isomère d de l'acide 2-(6-méthoxy-2-naphtyl) propionique, tandis que le NAPROXEN SODIQUE est simplement le sel sodique de cet acide, l'équivalence chimique de ces deux substances étant clairement illustrée dans la 10° édition de l'ouvrage intitulé «The Merck Index», publié par la Merck and Co., Inc. (1983), dans lequel, à l'entrée «Naproxen» (entrée 6269), on décrit le sel sodique comme le dérivé du Naproxen qui est également visé par le brevet 960,668 du titulaire; par exemple, l'acide et le sel sont considérés comme le même composé, le dernier étant, du point de vue pharmaceutique, un sel acceptable du premier. Deuxièmement, j'ai comparé les entrées ANAPRON (marque de commerce employée par le titu- laire pour le NAPROXEN SODIQUE) et NAPROSYN (marque de commerce employée par le titulaire pour le NAPROXEN) dans le «Compendium des produits et spécialités pharmaceutiques 1985», 20e édition, publié par l'Association pharmaceutique canadienne (1985), qui renferme des monographies basées sur des renseignements fournis par la Direction générale de la protection de la santé et par les fabricants. Bien que les indications soient identiques à celles avancées par le D' Korey, je constate que les renseignements donnés à la rubrique Phar- macologie sont essentiellement les mêmes, comme l'indiquent les titres adoptés, c: à-d. «Analgésique-Anti-inflammatoire» et «Anti -inflammatoire-Analgésique», respectivement. Troisième- ment, la Règle 118(1)a)(ii) des Règles sur les brevets prévoit qu'une demande doit être rédigée et doit n'être présentée qu'à l'égard d'un brevet ou de plusieurs brevets qui concernent des inventions ayant trait ou pouvant servir à la préparation ou à la production de la même substance ou chose ou sensiblement la même. Je n'éprouve aucune difficulté à conclure que le NAPROXEN et le NAPROXEN SODIQUE sont la même substance ou sensiblement la même.
L'avocat de l'appelante a soutenu que l'agent de projet n'aurait pas rejeter le témoignage d'ex- pert du Dr Korey. À cette prétention, il peut être répondu simplement que l'agent de projet n'était pas obligé d'accepter la preuve sous forme d'opi- nion donnée par le témoin de l'appelante 14 . Il a choisi de ne pas le faire, et il n'a commis aucune erreur de principe en effectuant ce choix.
Je suis également d'avis que, contrairement à la prétention de l'avocat de l'appelante, l'agent de projet n'a pas commis d'erreur dans l'utilisation qu'il a faite de l'ouvrage The Merck Index ou du Compendium des produits et spécialités pharma- ceutiques 1985 pour parvenir à sa conclusion.
14 Voir l'arrêt Scherico Ltd. c. P.V.U. Inc. (1989), 24 C.I.P.R. 161 (C.A.F.).
Pour ces motifs, l'appelante ne devrait pas avoir gain de cause en ce qui concerne cet aspect de son appel.
V LA PRÉTENTION RELATIVE À LA REDEVANCE
L'appelante a contesté la redevance de 4/7 de 1 % du prix de vente net du médicament sous sa forme posologique finale qui a été accordée dans la licence obligatoire. Cette contestation était fondée sur trois motifs:
(1) l'agent de projet n'était pas saisi d'éléments de preuve lui permettant de fixer la redevance à quelque niveau que ce soit;
(2) même si des éléments de preuve avaient été portés devant lui, le taux adjugé était ridicule- ment bas, de sorte qu'il ne remplissait pas le mandat prévu par la loi d'accorder au breveté une juste rémunération pour ses recherches;
(3) les directives données par cette Cour dans le récent arrêt American Home Products Corp. c. I.C.N. Canada Ltd. (no 2) 15 interdisent le simple exercice mathématique consistant à divi- ser une redevance globale fixée par procédé mécanique au taux de 4 % de façon égale entre les différents titulaires des brevets à l'égard desquels la demanderesse a demandé une licence.
Au cours des années récentes, plusieurs juge- ments ont été prononcés en la matière par cette Cour; outre l'arrêt American Home Products sus- mentionné, ils comprennent, entre autres: Ameri- can Home Products Corp. c. ICN Can. Ltd. (no 1) 16 ; American Home Products Corp. c. Novo- pharm Ltd. 17 ; Takeda Chemical Industries Ltd. c. Novopharm Ltd. 18 ; Affaire intéressant une demande de licence obligatoire déposée par Novo- pharm Ltd. 19 ; Otsuka Pharmaceutical Co. c. Torcan Chemical Ltd. 20 ; Affaire intéressant une demande de licence obligatoire déposée par Apotex Inc. 21
15 (1988), 18 C.I.P.R. 104 (C.A.F.).
16 (1985), 7 C.I.P.R. 174 (C.A.F.). " (1988), 18 C.I.P.R. 128 (C.A.F.).
18 (1988), 19 C.P.R. (3d) 278 (C.A.F.).
19 (1988), 18 C.I.P.R. 121 (C.A.F.).
20 (1988), 20 C.I.P.R. 138 (C.A.F.).
21 (1987), 17 C.I.P.R. 51 (C.A.F.).
Il ne servirait à rien d'examiner ces arrêts ou la jurisprudence qui s'y trouve citée. Ils parlent par eux-mêmes. Qu'il nous suffise de dire que, en substance, ils énoncent les propositions suivantes:
a) lorsqu'il détermine la redevance payable par un preneur de licence à un titulaire de brevet, le commissaire doit détenir des éléments de preuve lui permettant de fixer le taux de la redevance en tenant compte de l'opportunité de rendre les médi- caments accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste rémunération pour les recherches qui ont conduit à l'invention, ainsi que l'exige le paragraphe 41(5) présent le paragraphe 39(5)) de la Loi;
b) il incombe aux deux parties—et donc au bre- veté, qui détient le plus de renseignements sur le temps de recherche et les coûts associés à une invention, ainsi qu'au demandeur de licence—de fournir au commissaire les éléments de preuve nécessaires à l'exécution de son mandat;
c) il ne suffit pas simplement au demandeur de licence de déclarer qu'il a besoin d'autres licences; comme la pratique d'accorder des licences à l'égard de plus d'un brevet a entraîné, au fur et à mesure de son développement, la réduction de la redevance qui aurait par ailleurs été payable à un breveté unique, le demandeur devrait convaincre le commissaire qu'il est raisonnablement possible que la ou les licences additionnelles sollicitées soient nécessaires et soient utilisées; si le commissaire est ainsi convaincu, la fixation de la redevance de chaque breveté relève de lui seul;
d) lorsque les éléments de preuve sur le procédé qui sera véritablement utilisé sont insuffisants et inexistants—renseignements que le preneur de licence est seul à détenir—il est à tout le moins douteux que la simple division en portions égales d'une redevance globale constitue invariablement la bonne façon pour le commissaire d'exercer l'obligation que lui impose la loi.
La différence m'apparaît minime entre les élé- ments de preuve présentés par le demandeur de licence relativement à la redevance en l'espèce (l'intimée) et ceux qui ont été soumis à l'appui de la demande de licence dans l'affaire American Home Products Corp. (no 2) ainsi que dans d'au- tres affaires susmentionnées. Dans ces instances, la preuve a été jugée insuffisante, et la fixation de la
redevance a été renvoyée devant le commissaire pour qu'il en décide sur le fondement prévu au paragraphe 41(5) de la Loi présent le paragra- phe 39(5)). De plus, comme il a été indiqué dans le second arrêt American Home Products, l'appe- lante ne s'est pas acquittée du fardeau de présenter les éléments de preuve fondant sa prétention que la redevance suggérée par la demanderesse de licence était insuffisante parce qu'elle ne lui accordait pas une juste rémunération pour les recherches ayant conduit à l'invention dans la mesure elle s'appli- quait au Canada. La preuve soumise en l'espèce présente la même faiblesse que celle soumise par le breveté dans les affaires American Home Products et dans certaines autres affaires susmentionnées.
L'intimée en l'espèce, tout comme la demande- resse de licence dans l'affaire American Home Products, a complètement manqué d'indiquer en quoi elle avait besoin des six autres licences; cette constatation ressort d'autant plus que l'intimée a déclaré qu'elle effectuerait ses achats en vrac des deux produits auprès de deux fournisseurs seule- ment. Je doute sérieusement que des licences seraient exigées de ces deux fournisseurs. Comme l'ont déclaré des décisions antérieures, il va de soi que le preneur de licence prudent cherchera à se préserver des actions en contrefaçon de brevets lorsqu'il ne peut acquérir la certitude que son fournisseur ne contrevient pas lui-même à' d'autres brevets. Cependant, comme le dit l'arrêt American Home Products (no 2) [(1988), 18 C.I.P.R. 104, à la page 120], «le commissaire devrait ... être convaincu qu'il existe une possibilité raisonnable que ces licences supplémentaires soient nécessai- res» (c'est moi qui souligne), puisque, en l'absence d'une telle possibilité raisonnable, un des brevetés, ou plusieurs d'entre eux, risquent d'être affectés de façon vitale par une réduction de, la redevance à laquelle ils auraient autrement pu avoir droit pour leurs licences obligatoires. De la même façon, évi- demment, le preneur de licence ne devrait pas être obligé de payer des redevances conjuguées à des donneurs de licences dont les brevets pourraient raisonnablement sembler lui être nécessaires, puis- qu'une telle pratique risquerait de ne pas rendre le médicament accessible au public au plus bas prix possible. Bref, lorsqu'il est saisi de demandes mul tiples de licences, le commissaire doit recevoir tous les éléments de preuve pertinents lui permettant de prendre une décision éclairée et équilibrée sur la
question de savoir s'il existe une possibilité raison- nable que plusieurs licences soient nécessaires à un preneur de licence, lesquels des brevets sont ainsi concernés et de quelle manière la redevance glo- bale doit être divisée entre les titulaires de ces brevets. Il est possible qu'une telle décision ne puisse être régulièrement prise qu'au terme d'au- diences orales—étant bien entendu, évidemment, que la décision d'accorder ou non ces audiences relève de la compétence exclusive du commissaire.
En conséquence, l'appelante doit avoir gain de cause en ce qui a trait à ce volet de son appel.
VI LE SORT DE L'APPEL
Pour les motifs qui précèdent, l'appel devrait être accueilli. La licence accordée par l'agent de brevet le 6 juin 1986 devrait être annulée, et la question devrait être renvoyée devant le commis- saire aux brevets afin que la demande soit réenten- due par celui-ci ou par une personne qu'il aura régulièrement désignée, autre que l'agent de projet qui a accordé la licence initiale, pour être instruite et jugée d'une manière non incompatible avec les présents motifs de jugement, et que soit fixée la redevance appropriée compte tenu de l'opportunité de rendre les médicaments accessibles au public au plus bas prix possible tout en accordant au breveté une juste rémunération pour les recherches qui ont conduit à l'invention et pour les autres facteurs qui peuvent être prescrits. Comme aucun motif parti- culier d'accorder des dépens n'a été établi, la règle habituelle devrait s'appliquer et aucuns des dépens de l'appel ne devraient être adjugés.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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