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A-226-89
Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (intimée) (demanderesse)
c.
Norsk Pacific Steamship Company Limited, Norsk Pacific Marine Services Ltd., Fletcher Challenge Ltd., le remorqueur Jervis Crown, Fran- cis MacDonnell (appelants) (défendeurs)
et
Crown Forest Industries Ltd., le chaland Crown Forest No. 4, Rivtow Straits Ltd. et R.V.C. Hol dings Ltd. faisant affaires sous la raison sociale de Westminster Tug Boats et ladite Westminster Tug Boats, le remorqueur Westminster Chinook et Barry Smith (défendeurs)
et
Sa Majesté la Reine (intimée) (tierce partie)
RÉPERTORIÉ: CIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA C. NORSK PACIFIC STEAMSHIP CO. (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Stone et MacGuigan, J.C.A.—Ottawa, 7, 8 et 9 novembre 1989; 5 jan- vier 1990.
Responsabilité délictuelle Négligence Préjudice pure- ment financier Une collision entre un chaland de billes, qui était tiré par un remorqueur, et un pont de chemin de fer appartenant à la Couronne fédérale a entraîné la fermeture du pont et le déroutement du trafic ferroviaire Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant que les propriétaires et gestionnaires du remorqueur étaient responsa- bles, par négligence, du préjudice purement financier en l'ab- sence de tout dommage occasionné aux biens du CN Il a été satisfait aux exigences en ce qui concerne la prévisibilité raisonnable et l'existence d'un lien suffisamment étroit entre l'auteur du délit civil et le réclamant.
Droit maritime Responsabilité délictuelle Collision entre un chaland de billes tiré par un remorqueur et un pont de chemin de fer Le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en tenant les propriétaires et gestionnaires du remor- queur responsables, par négligence, du préjudice purement financier subi par la compagnie ferroviaire en raison de la fermeture du pont Il a été satisfait aux critères de la prévisibilité raisonnable et du lien suffisamment étroit.
Chemins de fer Un chaland de billes tiré par un remor- queur est entré en collision avec un pont ferroviaire apparte- nant à la Couronne fédérale La fermeture temporaire du pont a obligé le CN à dérouter ses trains Le CN a obtenu des dommages-intérêts pour préjudice purement financier Le juge de première instance était justifié de tenir les proprié- taires et gestionnaires du remorqueur responsables, par négli-
gence, du préjudice purement financier en l'absence de tout dommage matériel occasionné aux biens du CN.
Il s'agit d'un appel formé par le propriétaire et capitaine du remorqueur Jervis Crown contre un jugement accordant à la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le «CN») des dommages-intérêts délictuels pour le préjudice purement financier résultant d'une collision entre un chaland de billes, qui était tiré par un remorqueur, et un pont appartenant à Travaux publics Canada («TPC») et utilisé par le CN pour traverser le fleuve Fraser à New Westminster (Colombie-Bri- tannique).
Il a été admis qu'il y avait eu négligence en ce qui concerne la collision. Comme aucune réclamation n'a été présentée pour perte de revenus de fret mais seulement pour les frais supplé- mentaires d'exploitation, le CN et deux autres compagnies ferroviaires se sont vu indemniser des frais engagés pour dérou- ter leurs trains et leur faire emprunter un autre pont. Il a été convenu avant le procès que les demandes d'indemnisation des deux autres compagnies ferroviaires dépendraient de la décision rendue relativement à la demande d'indemnisation du CN. C'est donc seulement la réclamation de ce dernier qui est directement en cause dans le présent appel.
La question qui se pose est de savoir si le juge de première instance a eu raison de statuer que les appelants pouvaient être tenus responsables, par négligence, d'un préjudice purement financier en l'absence de tout dommage matériel occasionné aux biens du CN.
Arrêt: l'appel devrait être rejeté.
Le juge Stone, J.C.A.: Pour être indemnisable, le préjudice ne doit pas seulement être prévisible; il doit également y avoir un lien suffisamment étroit entre l'auteur de la faute et le demandeur pour donner naissance à un devoir de prudence qui incombe à celui-là envers celui-ci.
Le juge de première instance a considéré comme importants les éléments suivants pour conclure à la responsabilité pour préjudice purement financier: la connaissance de l'auteur de la réclamation comme personne ou entité déterminée susceptible de subir les dommages par opposition à la connaissance d'une catégorie de personnes générale; la prévisibilité de la nature précise de la perte; et l'existence d'un lien suffisamment étroit entre l'acte commis par l'auteur du délit et les dommages reprochés «de sorte que l'homme de la rue sensé estimerait que le coupable est moralement tenu de dédommager la victime». Pris collectivement, sinon, peut-être, individuellement, ces élé- ments montrent qu'il existait un lien suffisamment étroit qui donnait lieu à un devoir de prudence incombant aux appelants envers le CN. Dans les circonstances exceptionnelles de l'es- pèce, il n'y avait aucune raison de principe pour réfuter ce devoir ou pour refuser l'indemnisation du préjudice.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (avec l'appui du juge Heald, J.C.A.): Il est possible de conclure, à partir des décisions rendues par la Cour suprême du Canada dans les affaires Rivtow Marine, Agnew-Surpass, Haig et Baird, qu'il n'existe pas au Canada de règle absolue qui empêche l'indemnisation du préjudice purement financier même lorsqu'il n'y a pas de dommages matériels causés aux biens du demandeur.
La jurisprudence indique que, pour qu'il y ait responsabilité en cas de préjudice purement financier, les tribunaux exigent, en plus du principe général de prévisibilité raisonnable, qu'il
existe un lien suffisamment étroit entre le demandeur et le défendeur. La solution concernant la responsabilité à l'égard du préjudice financier ne prend pas la forme d'une décision fondée sur une ligne de conduite. On devrait plutôt tenir compte du principe et considérer le jugement requis en matière de respon- sabilité comme la perception d'un lien suffisamment étroit.
Le meilleur exposé du principe du lien étroit est celui que le juge Deane de la Haute Cour de l'Australie a fait dans l'arrêt Sutherland Shire Council v. Heyman. Sa Seigneurie a déclaré que ce lien étroit embrassait diverses formes: «la proximité physique (dans l'espace et dans le temps) entre la personne ou les biens du demandeur et la personne ou les biens du défen- deur; un lien étroit circonstanciel comme dans des rapports prépondérants entre employeur et employé ou entre un profes- sionnel et son client; un lien étroit de causalité au sens d'étroi- tesse de la relation de cause à effet entre l'acte particulier et le dommage subi; un lien étroit assumé qui reflète une assumation par l'une des parties de la responsabilité de prendre soin d'éviter le dommage, ou la croyance de l'une des parties qu'une telle prudence sera montrée par l'autre dans des cas l'autre partie était ou aurait être au courant de cette croyance». Il y est également dit que «l'existence nécessaire d'un lien étroit sert de pierre de touche pour reconnaître les catégories d'affaires dans lesquelles la common law statuera qu'une partie bénéfi- ciera d'une obligation de prudence».
Il n'était pas nécessaire que les appelants soient vraiment au courant du préjudice (au courant du fait que le CN était susceptible de subir des dommages et au courant de la nature précise du préjudice), comme l'a conclu le juge de première instance, pour qu'il y ait responsabilité; tout ce qui était requis à cet égard, c'était la prévisibilité raisonnable. Quant au prin- cipe de l'existence d'un lien suffisamment étroit, il est atteint grâce notamment au troisième motif avancé par le juge de première instance et selon lequel les biens du CN (les rails situés des deux côtés du fleuve) n'étaient pas seulement en rapport étroit avec le pont mais ne pouvaient être utilisés adéquatement sans le lien essentiel que constituait le pont. De fait, le juge de première instance a conclu que le CN était assimilé de si près à TPC qu'il était vraiment dans le champ raisonnable de risque des appelants au moment de l'accident. Cela constituait «un lien à la fois physique et circonstanciel».
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Attorney -General for Ontario v. Fatehi et al. (1981), 34 O.R. (2d) 129; 127 D.L.R. (3d) 603; 18 C.C.L.T. 97; 13 M.V.R. 180 (C.A.); inf. pour d'autres motifs [1984] 2 R.C.S. 536; (1984), 15 D.L.R. (4th) 132; 31 C.C.L.T. 1; 31 M.V.R. 301; 56 N.R. 62; 60 A.C. 270; D. & F. Estates Ltd. v. Church Comrs. for England, [1989] 1 A.C. 177 (H.L.); Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.); Donoghue v. Steven- son, [1932] A.C. 562 (H.L.); Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office, [1970] A.C. 1004 (H.L.); Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.); Caltex Oil (Australia) Pty. Ltd. v. The Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529; 11 A.L.R. 227 (H.C.); Junior Books Ltd. v. Veitchi Co. Ltd., [1983] A.C. 520; [1982] 3 All ER 201 (H.L.); Candlewood Navigation Corpn. Ltd. v. Mitsui O.S.K. Lines Ltd.
(«The Mineral Transporter,], [1986] A.C. 1; [1985] 2 All ER 935 (P.C.); Leigh and Sillavan Ltd. v. Aliakmon Shipping Co. Ltd., [1986] A.C. 785; [1986] 2 All ER 145 (H.L.); Rivtow Marine Ltd. c. Washington Iron Works et autre, [1974] R.C.S. 1189; (1973), 40 D.L.R. (3d) 530; [1973] 6 W.W.R. 692; Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2; (1984), 10 D.L.R. (4th) 641; [1984] 5 W.W.R. 1; 29 C.C.L.T. 97; Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd. c. Cummer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221; (1975), 55 D.L.R. (3d) 676; [1975] I.L.R. 1-675; 4 N.R. 547; Haig c. Bamford et autres, [1977] 1 R.C.S. 466; (1976), 72 D.L.R. (3d) 68; [1976] 3 W.W.R. 331; 27 C.P.R. (2d) 149; 9 N.R. 43; B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., [1986] 1 R.C.S. 228; (1986), 26 D.L.R. (4th) 1; [1986] 3 W.W.R. 216; 1 B.C.L.R. (2d) 324; 36 C.C.L.T. 87; 65 N.R. 261; Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147; (1986), 75 N.S.R. (2d) 109; 31 D.L.R. (4th) 481; 186 A.P.R. 109; 34 B.L.R. 187; 37 C.C.L.T. 117; 42 R.P.C. 161; Baird c. La Reine du chef du Canada, [1984] 2 C.F. 160; (1983), 148 D.L.R. (3d) 1; 48 N.R. 276 (C.A.); Gypsum Carrier Inc. c. La Reine, [1978] 1 C.F. 147; (1977), 78 D.L.R. (3d) 175 (1re inst.); Bethlehem Steel Corporation c. Administration de la voie maritime du Saint-Laurent, [1978] 1 C.F. 464; (1977), 79 D.L.R. (3d) 522 (1" inst.); Interocean Shipping Company c. Le navire Atlantic Splendour, [1984] 1 C.F. 931; (1983), 26 C.C.L.T. 189 (1" inst.); Nicholls v. Township of Richmond et al. (1983), 145 D.L.R. (3d) 362; [1983] 4 W.W.R. 169; 43 B.C.L.R. 162; 1 C.C.E.L. 188; 24 C.C.L.T. 253; 33 C.P.C. 310 (C.A.); Maughan and Maughan v. Interna tional Harvester Company of Canada Limited (1980), 38 N.S.R. (2d) 101; 112 D.L.R. (3d) 243 (C.A.); Yume- rovski et al. v. Dani (1977), 18 O.R. (2d) 704; 83 D.L.R. (3d) 558; 4 C.C.L.T. 233 (C. cté); conf. par (1979), 120 D.L.R. (3d) 768 (C.A. Ont.); Sutherland Shire Council v. Heyman (1985), 60 ALR 1 (H.C.); Simpson v. Thom- son (1877), 3 App. Cas. 279 (H.L.); Hill v. Chief Cons table of West Yorkshire, [1989] A.C. 53 (H.L.); Yeun Kun Yeu v. Attorney-General of Hong Kong, [1988] A.C. 175 (P.C.).
DÉCISIONS CITÉES:
Cattle v. Stockton Waterworks Company (1875), L.R. 10 Q.B. 453; Ultramares Corporation v. Touche, 255 N.Y. 170; 174 N.E. 441 (Ct. App. 1931); Morrison Steamship Co., Ld. v. Greystoke Castle (Cargo Owners), [1947] A.C. 265 (H.L.); East River S.S. Corp. v. Transamerica Delaval, Inc., 106 S. Ct. 2295 (1986); Reid v. Rush & Tomkins Group plc, [1989] 3 All ER 228 (C.A.); Nunes Diamonds (J.) Ltd. c. Dominion Electric Protection Co., [1972] R.C.S. 769; (1972), 26 D.L.R. (3d) 699; Univer sity of Regina v. Pettick et al. (1986), 51 Sask. R. 270; 38 C.C.L.T. 230; 23 C.L.R. 204 (B.R.); Dominion Tape of Canada Ltd. v. L. R. McDonald & Sons Ltd. et al., [1971] 3 O.R. 627; (1971), 21 D.L.R. (3d) 299 (C. cté); Smith et al. v. Melancon, [1976] 4 W.W.R. 9 (C.S.C.-B.); MacMillan Bloedel Ltd. v. Foundation Company of Canada Ltd. (1977), 75 D.L.R. (3d) 294; [1977] 2 W.W.R. 717; 1 C.C.L.T. 358 (C.S.C.-B.); Trappa Holdings Ltd. v. District of Surrey et al. (1978),
95 D.L.R. (3d) 107; [1978] 6 W.W.R. 545 (C.S.C.-B.); Gold v. The DeHavilland Aircraft of Can. Ltd., [1983] 6 W.W.R. 229; (1983), 25 C.C.L.T. 180 (C.S.C.-B.); Spartan Steel & Alloys Ltd. v. Martin & Co. (Contrac- tors) Ltd., [1973] Q.B. 27 (C.A.); S.C.M. (United King dom) Ltd. v. W. J. Whittall and Son Ltd., [1971] 1 Q.B. 337 (C.A.); Ross v. Counters, [1980] Ch. 297; Lumley v. Gye (1853), 2 El. & Bl. 216 (Q.B.).
DOCTRINE
Atiyah, P. S. «Negligence and Economic Loss» (1967), 83 L.Q. Rev. 248.
Blom, Joost. «Economic Loss: Curbs on the Way Ahead?» (1987), 12 Can. Bus. L.J. 275.
Burns, Peter J. «Recent Developments in Negligence Law» in Negligence Law in the 1990's. Vancouver: Continuing Legal Education Society of British Colum- bia, 1985.
Cane, Peter. «Economic Loss in Tort: Is the Pendulum Out of Control?» (1989), 52 Mod. L. Rev. 200.
Feldthusen, Bruce. Economic Negligence, éd. Toronto: Carswell, 1989.
Feldthusen, Bruce. «Economic Loss: Where Are We Going After Junior Books?» (1987), 12 Can. Bus. L.J. 241.
Feldthusen, Bruce. «Pure Economic Loss Consequent Upon Physical Damage to a Third Party» (1977), 16 U.W.O.L. Rev. 1.
Fleming, John G. The Law of Torts, éd. Sydney: Law Book Co. Ltd., 1987.
Jones, Michael A. «Economic Loss—A Return to Prag matism» (1986), 102 L.Q. Rev. 13.
Jutras, Daniel. «Civil Law and Pure Economic Loss: What Are We Missing?» (1987), 12 Can. Bus. L.J. 295.
Linden, Allen M. La responsabilité civile délictuelle,
éd. Cowansville: Éditions Yvon Blais Inc., 1988. Markesinis, B. S. «An Expanding Tort Law—The Price
of a Rigid Contract Law» (1987), 103 L.Q. Rev. 354. Smilie, J. A. «Negligence and Economic Loss» (1982), 32
U. T. L.J. 231.
AVOCATS:
P. D. Lowry et J. W. Perrett pour les appe- lants (défendeurs).
David F. McEwen pour l'intimée (demande- resse) la Compagnie des chemins de fer natio- naux du Canada.
PROCUREURS:
Campney & Murphy, Vancouver, pour les appelants (défendeurs).
McEwen, Schmitt & Co., Vancouver, pour l'intimée (demanderesse) la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je suis respectueuse- ment d'accord avec le juge MacGuigan pour dire que, dans les circonstances de la présente affaire, les appelants (défendeurs) avaient un devoir de prudence envers l'intimée (demanderesse) et, par conséquent, que ceux-là étaient tenus de réparer le préjudice purement financier subi par celle-ci. Je suis également d'accord en général avec les motifs qu'il a exprimés, mais je désire toutefois ajouter les présents motifs.
Je conviens dès le début que la question de savoir si et dans quelles circonstances la loi devrait permettre l'indemnisation du préjudice purement financier est une question «controversée»'. Les tri- bunaux d'instance supérieure se sont montrés peu disposés, à des degrés différents, à permettre des empiétements sur la règle d'exclusion établie dans l'arrêt Cattle v. Stockton Waterworks Company (1875), L.R. 10 Q.B. 453, et confirmée par la Chambre des lords dans l'arrêt Simpson v. Thom- son (1877), 3 App. Cas. 279. En effet, Me Lowry soutient que la règle existe maintenant depuis plus d'un siècle et reste valable sur le plan juridique tant au Royaume-Uni qu'au Canada et également que les empiétements judiciaires qui ont pu se produire ont été circonscrits avec soin.
Je vais commencer par une brève revue des arrêts de base. Le demandeur dans l'arrêt Cattle a passé un contrat avec Knight, le propriétaire de terrains contigus aux deux côtés d'un chemin, afin de percer un tunnel sous le chemin de façon à relier les terrains se trouvant des deux côtés, le sol du chemin lui-même étant considéré par la loi comme appartenant aux propriétaires du terrain contigu. Les travaux ont été retardés, et le deman- deur a été exposé à des dépenses lorsqu'un écoule- ment d'eau provenant de la conduite principale du défendeur située à un niveau plus élevé que le chemin est venu entraver l'exécution des travaux. La demande d'indemnisation portait sur le préju- dice purement financier découlant de cette entrave au droit du demandeur de retirer du contrat des profits plus élevés. En rejetant la demande d'in- demnisation, le juge Blackburn s'est demandé la page 457) si le demandeur Cattle pouvait [TRA -
Le juge Wilson, dans l'arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2, à la p. 25.
DUCTION] «intenter une action en son propre nom pour le préjudice qu'il a de fait subi à la suite des dommages que les défendeurs ont causés aux biens de Knight, lui faisant perdre à lui, Cattle, de l'argent dans le cadre du contrat?», et il a répondu à la question par la négative. Voici les motifs qu'il a formulés succinctement à cet égard, aux pages 457 et 458:
[TRADUCTION] En l'espèce, il s'agit d'une objection mineure et non justifiée, et nous devrions être contents d'éviter de lui donner effet. Mais si nous le faisions, nous établirions un précédent pour dire que, dans une affaire comme Fletcher v. Rylands (Law Rep. 1 Ex. 265; Law Rep. 3 H.L. 330) le défendeur serait exposé à des poursuites, non seulement de la part du propriétaire de la mine inondée et de ceux de ses ouvriers dont les outils ou les vêtements ont été endommagés, mais également de la part de tout ouvrier et de tout employé de la mine, qui à la suite de l'arrêt des opérations ont touché des salaires inférieurs à ceux qu'ils auraient retirés sans cela. Et on pourrait suggérer beaucoup d'autres cas similaires auxquels cela pourrait s'appliquer. On peut avancer qu'il est juste que toutes ces personnes devraient être indemnisées pour pareilles pertes et que si la loi ne leur accorde aucun recours elle est imparfaite. C'est peut-être vrai. Mais, comme l'a souligné le juge Coleridge dans l'arrêt Lumley v. Gye (2 E. & B. à la p. 252; 22 L. J. (Q.B.) à la p. 479), les cours de justice ne devraient pas «prendre la liberté dans la recherche de recours parfaitement complets pour tous les actes préjudiciables, d'ou- trepasser les limites que notre droit, selon une sage perception, à mon avis, de ses pouvoirs limités, s'est imposées, de réparer seulement les conséquences immédiates et directes d'actes pré- judiciables». Sur ce point, nous sommes tout à fait d'accord. Aucune décision judiciaire n'a été citée en faveur du droit du demandeur d'intenter une poursuite, et, à notre connaissance, il n'y en avait aucune qui aurait pu l'être.
En l'espèce, il s'agit ... tout au plus ... d'une omission de remplir un devoir, qui a occasionné un préjudice aux biens de Knight, mais qui n'a endommagé aucun bien du demandeur. La réclamation du demandeur vise l'indemnisation des domma- ges qu'il a subis du fait que son contrat avec Knight est devenu moins avantageux ou, peut-être, pas du tout rentable à la suite de ces dommages aux biens de Knight. Nous pensons que cela ne lui confère aucun droit d'action.
Deux ans plus tard, les motifs sous-tendant la règle ont été exprimés plus clairement par lord Penzance dans l'arrêt Simpson, précité, à la page 289:
[TRADUCTION] Mais, dans leur plaidoirie devant vos Sei- gneuries, les avocats des intimés ont fondé leur attitude sur un terrain beaucoup plus vaste. Ils ont prétendu que les assureurs, en vertu de la police qu'ils ont conclue relativement au navire, avaient un intérêt dans la protection de celui-ci, en ce sens que tout dommage ou préjudice subi par lui les concernerait indi- rectement en raison du contrat; et que cet intérêt était tel qu'il leur permettrait d'intenter une action en leur nom contre l'auteur du délit. Cette proposition confirme virtuellement un
principe que, à mon avis, vos Seigneuries feront bien de prendre en considération avec quelque soin, car il se trouvera à avoir une application et une signification beaucoup plus larges que n'importe quel de ceux qui peuvent être concernés dans les événements d'un contrat d'assurance. Le principe en cause me semble être le suivant: lorsque l'auteur d'un délit cause des dommages à un bien meuble, non seulement le propriétaire de ce bien meuble mais également tous ceux qui par contrat avec le propriétaire sont liés aux obligations dont l'exécution est devenue plus onéreuse ou qui ont obtenu pour eux-mêmes des avantages qui sont rendus moins intéressants en raison des dommages occasionnés au bien meuble, ont un droit d'action contre l'auteur du délit bien qu'ils n'aient pas de droit de propriété immédiat ou réversif sur le meuble, ni aucun droit de possession en raison d'un contrat se rapportant au bien meuble lui-même, comme au moyen d'un privilège ou d'une hypothèque.
Les appelants (défendeurs) allèguent que la règle d'exclusion a été reconnue au Canada par les plus hauts tribunaux et citent à titre d'exemples des renvois à l'arrêt Cattle dans Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works et autre, [1974] R.C.S. 1189; et Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2. En outre, dans l'arrêt Attorney -General for Ontario v. Fatehi et al. (1981), 34 O.R. (2d) 129 (C.A.), (infirmé pour d'autres motifs par [1984] 2 R.C.S. 536), le juge d'appel Wilson (tel était alors son titre), après avoir examiné à fond les décisions judiciaires et notamment l'opinion exprimée par le juge Pigeon dans l'arrêt Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd. c. Cummer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221, à la page 252, selon lequel il avait été établi dans l'arrêt Rivtow «que le recouvrement de la perte économique causée par la négligence est admis même sans recouvrement pour dommages matériels», a fait remarquer à la page 139:
[TRADUCTION] Malgré cela, la règle d'exclusion a la vie dure. Dans deux décisions récentes, Bethlehem Steel Corp. c. L'Ad- ministration de la voie maritime du Saint-Laurent et autres, [1978] I C.F. 464, 79 D.L.R. (3d) 522, et Ital-Canadian Investments Ltd. v. North Shore Plumbing & Heating Co. Ltd. et al., [1978] W.W.R. 289 (C.S.C.-B.), le droit à une indemni- sation pour préjudice purement financier a été limité à des cas il y avait eu également un préjudice physique à la personne ou aux biens ou menace de préjudice.
Et elle ajoutait, à la page 140:
[TRADUCTION] J'ai conclu, à partir d'une revue des principa- les décisions anglaises et canadiennes, que, bien que les tribu- naux canadiens aient empiété sur la règle d'exclusion davantage que les tribunaux anglais, on ne s'en est pas écarté de façon spectaculaire malgré les remarques faites par le juge Pigeon dans l'arrêt Agnew-Surpass, précité. Je dis cela parce que les juges formant la majorité dans l'arrêt Rivtow, précité, ont conclu qu'il fallait fonder l'indemnisation sur l'existence d'un
préjudice distinct, le manquement au devoir d'avertir découlant du lien spécial existant entre les parties, et le juge Laskin a exigé l'existence d'une menace de préjudice physique à la personne ou aux biens. Aucun des juges de la Cour ne semble avoir été disposé à aller aussi loin que le lord juge Edmund Davies dans son jugement dissident dans l'arrêt Spartan Steel, précité, et à permettre l'indemnisation du préjudice financier comme conséquence directe et raisonnablement prévisible du vice de conception ou de fabrication de la grue. Dans des cas il n'y a ni délit distinct ni menace de préjudice physique, la clause d'exclusion semble être encore bien en vigueur au Canada.
Les appelants (défendeurs) insistent beaucoup sur trois décisions récentes de la Chambre des lords et du Conseil privé qui confirment de nou- veau la règle d'exclusion en common law anglaise, mais dont aucune n'a fait droit à une demande d'indemnisation de préjudice purement financier. La première, Candlewood Navigation Corpn. Ltd. v. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. [(The Mineral Trans porter»], [1986] A.C. 1 (P.C.), concernait une demande d'indemnisation présentée par un affré- teur coque nue pour les frais de réparation d'un navire endommagé dans une collision avec un autre navire, ainsi qu'une demande d'indemnisa- tion présentée par un armateur-affréteur (égale- ment propriétaire du navire) pour la perte du loyer d'affrètement et la perte de profits durant le temps le navire a été désarmé. Dans l'arrêt Leigh and Sillavan Ltd. v. Aliakmon Shipping Co. Ltd., [1986] A.C. 785 (H.L.), la demanderesse, un acheteur coût-fret de marchandises transportées à bord d'un navire, a réclamé contre le transporteur l'indemnisation des dommages causés aux mar- chandises durant le transit, au cours duquel le risque de perte mais non la propriété des marchan- dises avait été transmis à la demanderesse qui n'était pas partie au contrat de transport. Enfin, l'arrêt D. & F. Estates Ltd. v. Church Comrs. for England, [1989] 1 A.C. 177 (H.L.) concernait une demande d'indemnisation présentée par des loca- taires contre un entrepreneur général pour les frais de réparation de travaux de plâtrage défectueux effectués dans des locaux par un sous-traitant, et une demande distincte d'indemnisation présentée par les occupants des locaux pour la perte de jouissance de leur utilisation et de leur occupation durant les travaux de restauration.
Ainsi qu'il appert de l'arrêt Candlewood lui- même (aux pages 24 et 25) a été refusée l'indemnisation de préjudices purement financiers,
la décision rendue précédemment par la Chambre des lords dans l'affaire Junior Books Ltd. v. Veit - chi Co. Ltd., [1983] A.C. 520, a été circonscrite avec soin, et le raisonnement suivi par les diffé- rents juges de la Haute Cour de l'Australie dans l'arrêt Caltex Oil (Australia) Pty. Ltd. v. The Dredge «Willemstad» (1976), 136 C.L.R. 529, n'a pas été considéré comme étant utile. Il en résulte, selon les appelants (défendeurs), que la règle d'ex- clusion existe encore au Royaume-Uni. En effet, cela semble bien ressortir de l'opinion de lord Fraser of Tullybelton la page 17):
[TRADUCTION] Les deux arrêts Cattle, L.R. 10 Q.B. 453, et Simpson, 3 App. Cas. 279, tiennent depuis plus de cent ans et ont été souvent cités favorablement dans des arrêts subséquents, tant au Royaume-Uni qu'ailleurs. Ils indiquent, de l'avis de leurs Seigneuries, que la raison valable pour refuser un droit d'action à une personne qui a subi un préjudice financier à la suite d'un dommage occasionné aux biens d'une autre personne est que, pour des raisons pratiques, il est considéré inopportun de faire droit à sa demande d'indemnisation.
Et, comme sa Seigneurie l'a fait remarquer au sujet de l'arrêt Junior Books aux pages 24 et 25 [TRADUCTION] «Cette affaire peut être considérée comme ayant étendu quelque peu la portée de l'obligation, mais cette extension n'allait pas dans le sens de la reconnaissance du droit de poursuivre pour une personne qui a subi un préjudice finan cier parce que son contrat avec la victime de la faute était devenu moins avantageux ou plus avan- tageux du tout.»
Fondamentalement, la préoccupation exprimée dans ces arrêts est purement pratique et concerne le développement d'une responsabilité indétermi- née ainsi que la nécessité en droit d'un degré raisonnable de certitude. En même temps, on exprime de façon différente une préoccupation marquée en faveur d'une décision juste et équita- ble dans les cas particuliers, préoccupation qui se reflète peut-être dans la sévie de questions pour la forme (énumérées par mon collègue) posées par le juge Wilson dans l'arrêt Kamloops, précité, aux pages 28 et 29. Quant à la préoccupation précé- dente, il semble y avoir, au fond de celle-ci, la reconnaissance du fait que, dans notre société, à tout moment donné, il est possible de se trouver en présence de liens contractuels nombreux et même complexes et envahissants relativement à différen- tes sortes d'activités économiques qui entraînent la création d'avantages sociaux s'appliquant à de larges segments de la population en général. En
droit, faire supporter à l'auteur négligent d'une faute une responsabilité qui va au-delà de celle engendrée par la propriété ou la possession d'un bien qui subit par négligence un préjudice physi que, y compris un préjudice purement financier consécutif à celui-ci, consisterait à étendre le champ d'application de la responsabilité d'une manière qui pourrait gravement surcharger les générateurs de ces activités et amoindrir par con- séquent la gamme de ces avantages qui existent pour la société dans son ensemble. Il est préférable que ce genre de préjudice puisse faire l'objet d'une assurance ou d'une indemnisation d'une autre façon aux termes des engagements contractuels, plutôt que de reposer exclusivement sur les épaules du simple auteur de la faute. C'est peut-être bien la préoccupation qu'a voulu exprimer le juge Estey dans l'arrêt B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., [1986] 1 R.C.S. 228, à la page 243, il a déclaré:
Les tribunaux de notre pays continueront indubitablement de chercher des limites raisonnables et pratiques à la responsabi- lité d'un fournisseur négligent de produits manufacturés ou de services, à la responsabilité d'un entrepreneur négligent à l'égard d'engagements contractuels envers d'autres personnes, et à la responsabilité de personnes qui font de fausses déclara- tions par négligence. Dans cette recherche, les tribunaux veille- ront à protéger la collectivité contre les dommages subis par suite d'une violation de l'obligation de «lien étroit». Mais en même temps, l'énoncé d'une limite précise de responsabilité, qui soit susceptible d'application pratique, doit refléter les réalités de la vie moderne, de sorte que les activités sociales et commer- ciales puissent se poursuivre sans être gênées par un fardeau qui importe plus que l'avantage que représente pour la collectivité le principe historique du lien étroit.
Il est bien établi, je crois, que, pour être indem- nisable, le préjudice doit de toute façon être prévi- sible, mais l'existence d'un devoir de prudence et, par conséquent, d'une responsabilité prima fade à l'égard d'un préjudice dépend maintenant beau- coup plus que de la simple prévisibilité 2 . Je suis convaincu que le préjudice était prévisible. Il doit également y avoir un lien suffisamment étroit entre l'auteur de la faute et le demandeur pour donner naissance à un devoir de prudence qui incombe à celui-là envers celui-ci. Je n'ai pas l'intention de passer en revue les origines et l'appli- cation du principe du «lien étroit>, car ce serait parcourir encore une fois un terrain déjà arpenté par mon collègue, et je me contenterai de quelques
2 Ainsi, dans l'arrêt Hill v. Chief Constable of West York- shire, 11989] A.C. 53 (H.L.), lord Keith of Kinkel a dit, à la p. 60:
(Suite à la page suivante)
remarques au sujet des deux propositions énoncées par lord Wilberforce dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.) pour déterminer la responsabilité en cas de négli- gence à la lumière des récents développements. Sa première proposition exige que, pour établir l'exis- tence d'un devoir prima facie de prudence, le tribunal se demande [TRADUCTION] la page 751] «s'il existe entre l'auteur présumé de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffisamment étroit pour que l'imprudence de la part de l'auteur de la faute puisse raisonnablement être perçue par celui-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à l'autre personne». Si la réponse à cette question est «oui», le tribunal doit alors se demander [TRADUCTION] la page 752] «s'il existe des considérations qui pourraient res- treindre ou limiter la portée de cette obligation, la catégorie de personnes à qui cette obligation béné- ficie ou les dommages qui peuvent être causés par l'inexécution de cette obligation, ou faire conclure à l'inexistence de l'obligation, de la catégorie de personnes ou de l'obligation de dédommager». Cette formulation a en effet été appliquée par la Cour suprême dans les arrêts B.D.C. Ltd., précité, et Kamloops, précité.
Actuellement, au Royaume-Uni, il semble y avoir une tendance grandissante de considérer la formulation figurant dans l'arrêt Anns comme étant quelque peu plus stricte que cela peut avoir été le cas jusqu'ici. Dans l'arrêt Candlewood, par exemple, lord Fraser of Tullybelton a, à la page 21, attiré l'attention sur [TRADUCTION] «l'avertis- sement donné par lord Keith of Kinkle dans l'arrêt
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[TRADUCTION] On a dit trop souvent pour qu'il soit nécessaire de le répéter que la prévisibilité d'un préjudice probable n'est pas en soi un critère suffisant de responsabilité en cas de négligence. Il faut invariablement un autre élément pour établir le degré d'étroitesse du lien entre le demandeur et le défendeur, mais toutes les circonstances de l'affaire doivent être examinées et analysées soigneusement afin de s'assurer de la présence d'un tel élément. On constatera que la nature de cet élément varie dans un certain nombre de catégories différentes d'affaires tranchées.
Et dans l'arrêt Yeun Kun Yeu v. Attorney -General of Hong Kong, [1988] A.C. 175 (P.C.), lord Keith of Kindel a déclaré, à la p. 192:
[TRADUCTION] La prévisibilité du préjudice est un élément nécessaire d'un tel lien, mais ce n'est pas le seul. Autrement, il y aurait responsabilité par négligence de la part de la personne qui en voit une autre sur le point de franchir un escarpement sans s'en rendre compte et qui ne lui crie pas de faire attention.
Governors of the Peabody Donation Fund v. Sir Lindsay Parkinson & Co. Ltd., [1985] A.C. 210, à la page 240, au sujet de la nécessité de résister à la tentation de traiter ces passages tirés de l'opinion de lord Wilberforce comme ayant un caractère définitif», et il a ajouté que, [TRADUCTION] «de toute façon, ils ne s'appliquent pas directement aux faits du présent appel, parce qu'aucun des trois arrêts mentionnés par lord Wilberforce ne concernait des demandes d'indemnisation présen- tées contre l'auteur de la faute par une personne qui n'était pas la victime de sa négligence mais par un tiers dont le seul lien qu'il entretenait avec la victime était contractuel». Ce que je puis discerner de ces arrêts et d'autres arrêts anglais 3 , c'est que, fondamentalement, l'existence d'un devoir de pru dence doit être déterminée en fonction de l'appli- cation exlusive de la première de ces deux proposi tions, la seconde étant confinée à toute question de principe pour refuser l'indemnisation malgré qu'on ait conclu à l'existence d'un devoir de prudence.
Bien que les tribunaux aient été saisis de nom- breuses affaires dans lesquelles des demandes d'in- demnisation pour préjudice purement financier ont été acceuillies ou rejetées, il semblerait que, pour bien comprendre le problème auquel nous faisons face, il faille peut-être évaluer ce que les affaires tranchées signifient vraiment, tout particulière- ment celles dans lesquelles l'indemnisation a été accordée. J'ai déjà mentionné les deux décisions anglaises sur lesquelles est fondée la règle d'exclu- sion, et également les deux premiers des trois arrêts les plus récents de la Chambre des lords et du Conseil privé confirmant la règle. Tous les quatre tombent dans la même catégorie générale, c'est-à-dire le préjudice purement financier décou- lant d'un empiétement sur des liens contractuels subsistant entre un demandeur et le propriétaire ou le possesseur de biens endommagés par un défendeur qui était l'auteur de la faute. Il en est ainsi de l'arrêt australien Caltex, précité, qui per- mettait l'indemnisation d'un tel préjudice. Dans d'autres arrêts, qui tombent dans des catégories tout à fait différentes, la demande d'indemnisation pour préjudice purement financier a été accueillie: par ex. Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller &
3 Voir par ex. Yeun Kun Yeu v. Attorney -General of Hong Kong, précité, note 2, motifs de lord Keith of Kinkel, aux p. 190à 192.
Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.); et Haig c. Bamford et autres, [1977] 1 R.C.S. 466 (con- fiance en des renseignements inexacts fournis par négligence); Rivtow, précité (omission d'avertir par le manufacturier); Kamloops, précité (négli- gence par des autorités municipales relativement à une obligation prévue par la loi); et Ross v. Caun- ters, [1980] Ch. 297 (responsabilité de l'avocat).
Cela dit, ainsi qu'il semble particulièrement res- sortir du premier des trois arrêts anglais récents (Candlewood, précité) et être déclaré de nouveau dans le deuxième (Aliakmon, précité), au Royaume-Uni du moins, il ne peut y avoir indem- nisation d'un préjudice purement financier décou- lant d'une entrave à des droits contractuels. Bien que, comme je l'ai signalé, dans la jurisprudence de notre pays on ait exprimé des préoccupations en ce qui concerne le problème de la responsabilité indéterminée dans les cas de préjudice purement financier, aucune décision exécutoire ne s'est encore rendue aussi loin que la Chambre des lords. Plus exactement, d'après les affaires jugées ici, il semblerait que la question importante est celle de savoir s'il existait un lien étroit entre les appelants (défendeurs) et l'intimée (demanderesse) qui don- nait lieu à un devoir de prudence qui incombait à ceux-là envers celle-ci. Le juge Blackburn a accepté cette conception dans l'arrêt Cattle même dans lequel, en citant les mots du juge Coleridge dans l'arrêt Lumley v. Gye (1853), 2 El. & Bl. 216 (Q.B.), il a fait remarquer que les tribunaux s'étaient imposé [TRADUCTION] «de réparer seule- ment les conséquences directes et immédiates des actes délictueux». Le juge Ritchie a limité sa criti que de ce critère dans l'arrêt Rivtow, précité, quand il a déclaré, aux pages 1211 et 1212:
Le raisonnement de M. le Juge Blackburn dans cette dernière affaire me semble dicté par les conceptions de l'époque sur le caractère prochain ou éloigné du dommage et je crois que sa façon d'aborder requiert une nouvelle appréciation à la lumière du jugement rendu dans l'affaire M'Alister (Donoghue) v. Stevenson ..
C'est l'approche adoptée par le juge Estey dans l'arrêt Hofstrand, précité, pour rejeter une demande d'indemnisation pour préjudice purement financier.
Nous ne nous intéressons pas ici à la responsabi- lité de tous les utilisateurs du pont de chemin de fer comme c'était le cas dans l'arrêt Gypsum Carrier Inc. c. La Reine, [1978] 1 C.F. 147 (ire
inst.), mais seulement à l'utilisation qui en était faite par l'intimée (demanderesse) à l'époque de la collision. En tout cas, la preuve présentée devant nous laisse entendre que les contrats conclus avec les compagnies ferroviaires pour l'utilisation du pont n'avaient pas, comme on l'a jugé dans cette affaire-là la page 152) «sensiblement les mêmes signification et effet» car, comme le souligne mon collègue le juge MacGuigan, le contrat auquel l'intimée (demanderesse) était partie contenait une clause qui ne figurait pas dans les autres contrats. De plus, et non sans quelque importance, on a constaté au procès que l'intimée (demanderesse) avait fourni sans frais au propriétaire du pont les services consultatifs d'un ingénieur à plein temps.
Dans ses observations, Me Lowry a contesté à la fois le bien-fondé des conclusions du juge de pre- mière instance [(1989), 49 C.C.L.T. 1; 26 F.T.R. 81, quant aux faits à la page 28 C.C.L.T.]:
1. Non seulement les défendeurs pouvaient-ils prévoir que le CN, comme entité juridique distincte plutôt que comme membre d'une catégorie, ait vraisemblablement subi la perte à l'égard de laquelle il veut être indemnisé, mais ils le savaient effectivement.
2. La nature précise de la perte financière était non seule- ment prévisible, elle était effectivement connue.
3. Les dommages ont été causés et ni le montant ni le moment ne sont indéterminés.
4. Il existe un lien suffisamment étroit entre la perte alléguée et le délit.
5. Non seulement la propriété du CN est-elle située à proxi- mité du pont, mais celui-ci constitue un lien essentiel entre les voies de la société ferroviaire situées de chaque côté du fleuve, lien sans lequel ce dernier ne peut vraiment jouir de sa propriété.
et la validité des éléments qu'il considérait impor- tants pour conclure à la responsabilité pour préju- dice purement financier (aux pages 28 et 29 C.C.L.T.):
1. La connaissance de l'auteur de la réclamation comme personne ou entité déterminée qui est susceptible de subir les dommages par opposition à la connaissance d'une catégorie de personnes générale ou indéterminée.
2. La preuve non seulement du fait que la perte était proba- blement prévisible, mais du fait que la nature précise de cette perte aurait l'être.
3. L'existence d'un lien suffisamment étroit entre l'acte commis par l'auteur du délit et les dommages reprochés, de sorte que l'homme de la rue sensé estimerait que le coupable est moralement tenu de dédommager la victime (Caltex Oil Aus- tralian Property Ltd. v. the Dredge Willemstad) ou, en d'autres mots, la preuve d'un lien suffisamment étroit avec le bien concerné pour donner lieu à un devoir de prudence envers l'auteur de la réclamation.
À mon avis, pris collectivement, sinon, peut-être, individuellement 4 , ces éléments montrent qu'il existait un lien suffisamment étroit qui donnait lieu à un devoir de prudence incombant aux appe- lants (défendeurs) envers l'intimée (demande- resse); il s'agit d'une affaire concluante pour l'in- demnisation du préjudice réclamé. Dans les circonstances exceptionnelles de l'espèce, je ne puis trouver aucune raison de principe pour réfuter ce devoir ou pour refuser l'indemnisation du préju- dice. Sur ces mots, je voudrais encore une fois souligner que la question dont nous sommes saisis concerne seulement la responsabilité quant au pré- judice purement financier subi par l'intimée (demanderesse) et pas du tout les demandes d'in- demnisation de la même nature présentées par les autres utilisateurs du pont.
Enfin, comme les affaires jugées le montrent également, le défi de formuler un principe d'appli- cation générale pour les cas de ce genre qui ont «une limite précise de responsabilité, qui soit sus ceptible d'application pratique» 5 , s'est avéré à la, fois ambigu et décourageant, et il n'est pas du tout facile de concevoir la forme éventuelle qu'une telle formulation pourrait prendre ou même, en effet, qu'il en émergera une bientôt. Néanmoins, je par- tage l'optimisme exprimé par sir Robert Megarry dans l'arrêt Ross v. Caunters, précité, à la page 321:
[TRADUCTION] Je suis content—et même heureux—de laisser à d'autres tribunaux dans d'autres affaires portant sur d'autres faits le soin d'élaborer le ou les critères qui doivent être appliqués. Dans certaines affaires, il peut bien ne pas y avoir beaucoup plus que ]'«impression générale» de l'affaire pour
4 Dans l'arrêt Caltez, précité, on trouve un certain support pour la notion de la connaissance par l'auteur du délit de l'auteur de la réclamation comme personne comme un critère valable de proximité et donc de devoir (voir les jugements du juge Gibbs, à la p. 555, et du juge Mason, à la p. 593), mais cela a été rejeté dans l'arrêt Candlewood, précité, à la p. 24, comme manquant de logique. Ici au Canada, le juge Dickson (tel était alors son titre) à la p. 476 de l'arrêt Haig c. Bamford, précité, a considéré un tel critère comme «trop strict», tandis que le juge Wilson, à la p. 31 de l'arrêt Ville de Kamloops, précité, a exprimé un certain scepticisme quant à son bien- fondé, en disant que, bien qu'un tel critère «[puisse] rendre déterminée la catégorie de personnes ... [il] ne garantit pas qu'elle sera limitée». Selon ma perception des choses, le problè- me qui se pose avec ce critère, pris individuellement, est qu'il pourrait limiter indûment la responsabilité lorsqu'il n'y a pas de motifs raisonnables de le faire, ou l'étendre considérablement pour des défendeurs bien informés mais pas autrement.
5 B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., précité, le juge Estey, à la p. 243.
indiquer la réponse. Mais suffisamment de décisions dans suffi- samment d'affaires vont tôt ou tard rendre possible le processus inductif d'énonciation d'un ou de critères qui pourront servir de guides dans tous les cas.
Je rejetterais le présent appel avec dépens.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Il s'agit d'un appel formé par le propriétaire et capitaine du remorqueur Jervis Crown contre un jugement dans lequel le juge Addy [(1989), 49 C.C.L.T. 1; 26 F.T.R. 81] a accordé à la demanderesse/intimée, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le «CN»), des dommages-intérêts délic- tuels pour le préjudice financier résultant d'une collision entre un chaland de billes, qui était tiré par le remorqueur, et un pont appartenant à Tra- vaux publics Canada («TPC») et utilisé par le CN pour traverser le fleuve Fraser à New Westminster (Colombie-Britannique).
TPC ne possédait aucune assurance pour le pont, et il n'y a eu aucune allocation en remplace- ment des droits payés sur celui-ci.
Il a été admis qu'il y avait eu négligence en ce qui concerne la collision avec le pont et, comme aucune réclamation n'a été présentée pour perte de revenus de fret mais seulement pour des frais supplémentaires d'exploitation, le CN et deux autres compagnies ferroviaires se sont vu indemni- ser des frais engagés pour dérouter leurs trains et leur faire emprunter en amont un pont et des rails de la société Canadien Pacifique Limitée en direc tion et en provenance de Vancouver.
Les tribunaux ont souvent mis les dommages matériels directs en contraste avec ce qu'on appelle fréquemment le préjudice purement financier, que le juge Estey a défini ainsi dans l'arrêt Procureur général de l'Ontario c. Fatehi, [ 1984] 2 R.C.S. 536, à la page 542:
Par «préjudice purement financier», les tribunaux entendent habituellement une diminution de la valeur de tout bien du demandeur sans qu'il ait subi de dommages matériels.
Dans un article intitulé «Pure Economic Loss Con sequent Upon Physical Damage to a Third Party» (1977), 16 U.W.O.L. Rev. 1, à la page 4, le professeur Bruce Feldthusen établit la distinction suivante entre le préjudice purement financier et le préjudice financier indirect:
[TRADUCTION] Le préjudice financier indirect est un préjudice financier qui, par définition, est toujours réclamé par la partie même qui a subi des dommages matériels. C'est un préjudice qu'on subit parce qu'on a subi des dommages matériels ... Le préjudice purement financier est un préjudice financier qui ne résulte pas d'un préjudice causé à la personne même du deman- deur ou à ses propres biens.
Dans «Negligence and Economic Loss» (1967), 83 L.Q. Rev. 248, à la page 265, le professeur P. S. Atiyah a parlé des dommages-intérêts recouvrables en raison d'un préjudice financier comme étant [TRADUCTION] «parasitaires d'un préjudice physi que infligé au demandeur lui-même».
Il y a eu ce que le professeur John G. Fleming a appelé, dans son ouvrage The Law of Torts, 7e éd., à la page 162, [TRADUCTION] «l'opposition tenace» à l'indemnisation du préjudice purement financier pour le motif que la page 163) [TRADUCTION] «l'on craint que l'obligation d'indemniser toute autre personne que la victime principale soit indû- ment accablante parce que la plupart des accidents vont sûrement entraîner des répercussions, plus ou moins importantes, pour tous ceux avec qui elle avait des liens de parenté, des relations d'affaires ou d'autres rapports importants». Selon les mots mêmes du professeur Feldthusen la page 26):
[TRADUCTION] Le principal problème avec le préjudice pure- ment financier ... c'est que, chaque fois que survient un dommage matériel, celui-ci peut causer un préjudice financier à un nombre indéterminé ou virtuellement élevé de personnes. Dans ces cas-là, le demandeur est peut-être celui qui se sous- trait aux frais les moins élevés, et les frais occasionnés par le rejet de la responsabilité quant au préjudice sur l'auteur de l'acte délictueux augmenteront en fonction de l'accroissement du groupe de demandeurs possibles.
La seule question qui se pose dans le présent appel est de savoir si le juge de première instance a eu raison de statuer que les appelants pouvaient être tenus responsables, par négligence, d'un tel préjudice purement financier en l'absence de tout dommage matériel occasionné aux biens du CN.
I
Le pont de chemin de fer de New Westminster, qui enjambe le fleuve Fraser entre Surrey et New Westminster, a été construit en 1904 et est pos- sédé, exploité et entretenu par Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le ministre des Travaux publics. Il a une voie ferrée simple. Il sert uniquement au trafic ferroviaire, c.-à-d. au trans port tant des passagers que du fret, mais il com-
prend une travée tournante pour permettre au trafic maritime d'utiliser la voie navigable.
Le trafic maritime commercial qui se fait sur le fleuve Fraser par la travée tournante est impor tant. Le 28 novembre 1987, tandis qu'il était remorqué en descendant le courant par gros brouillard, le chaland est entré en collision avec le pont et lui a causé de graves dommages qui ont nécessité sa fermeture pendant plusieurs semaines, le temps d'effectuer les réparations. Les appelants ont admis leur négligence en ce qui concerne la collision elle-même.
Pendant que le pont était inutilisable, les compa- gnies ferroviaires devaient dérouter le trafic en le faisant passer par un autre pont situé plus en amont. Le transport des marchandises a été reporté ou ne s'est pas fait du tout par ce moyen. Cette situation entravait également l'utilisation de la voie navigable, et le transport des marchandises a été reporté ou s'est fait par terre.
Quatre compagnies ferroviaires étaient autori- sées à utiliser le pont aux termes d'un contrat conclu avec TPC. Tous les frais d'exploitation du pont étaient recouvrés auprès des quatre compa- gnies ferroviaires, et TPC ne réalisant pas de profits ni ne subissait de pertes par suite de son exploitation du pont.
De ces quatre compagnies ferroviaires, c'était le CN qui était le principal utilisateur du pont, car ses wagons de chemin de fer comptaient pour 85 à 86 % de ceux qui ont emprunté le pont en 1988. Il faisait traverser en moyenne par jour 32 convois totalisant 1 530 wagons. Le CN subissait donc en grande partie les préjudices indirects résultant de l'accident.
Le plus petit utilisateur de la voie ferrée, la société Canadien Pacifique Limitée, ne s'est pas porté partie au litige. Avant le procès est interve- nue une entente selon laquelle le droit des deux autres compagnies ferroviaires, la Burlington Nor thern Railway et la B.C. Power and Hydro Autho rity Railway, d'obtenir des dommages-intérêts pour le préjudice purement financier dépendrait de la décision rendue relativement à la demande d'in- demnisation du CN. C'est donc seulement la récla- mation du CN qui est directement en cause dans le présent appel. Il existe néanmoins dans le contrat de licence intervenu entre le CN et TPC une
clause supplémentaire qui ne figure pas dans les autres contrats. Cette disposition, à savoir la clause 10, est libellée ainsi (Dossier d'appel, aux pages 158 et 159):
[TRADUCTION] La compagnie ferroviaire convient:
a) que, dans les cas d'urgence (qui seront déterminés par le Canada), et à la demande du Canada, elle effectuera ces réparations, ces modifications ou ces transformations au pont, ou en fera l'entretien, y compris notamment les appro- ches, les chevalets de bois, les superstructures d'acier (y compris la travée tournante) et le système de signalisation (y compris le chantier d'interconnexion), qui sont absolument nécessaires, de l'avis du Canada, pour l'exploitation sécuri- taire et appropriée du pont (y compris toutes ses approches), et que le Canada remboursera à la compagnie ferroviaire les frais raisonnables de réparation, de modification, de transfor mation ou d'entretien en conformité avec les comptes présen- tés à l'occasion au Canada par la compagnie ferroviaire; À CONDITION TOUTEFOIS que ces réparations, modifications, transformations ou services d'entretien ne soient pas effec- tués avant que le Canada n'approuve un protocole d'entente exposant la nature des réparations, des modifications, des transformations ou des services d'entretien à effectuer, le détail des travaux à exécuter à cet égard et la base de calcul du paiement; et
b) qu'à la demande écrite du Canada, elle fournira à celui-ci des services de consultation ou d'inspection relativement à la planification, à la conception et à la construction du pont; À CONDITION TOUTEFOIS que ces services de consultation ou d'inspection ne soient pas fournis avant que le Canada n'ap- prouve un protocole d'entente exposant la nature des services ou des inspections à fournir, le détail de ceux-ci et la base de calcul du paiement; et
c) qu'à la demande écrite du Canada, elle effectuera les réparations requises au système de signalisation et au chan- tier d'interconnexion du pont et en fera l'entretien requis; À CONDITION TOUTEFOIS que ces réparations ou ces services d'entretien ne soient pas effectués avant que le Canada n'approuve un protocole d'entente exposant la nature des réparations et de l'entretien requis, le détail des travaux à exécuter et la base de calcul du paiement.
Les conclusions du juge de première instance en ce qui concerne les faits, et qui ne sont pas contes- tées devant nous, étaient formulées ainsi (aux pages 26-28 C.C.L.T.):
1. Le pont de New Westminster était conçu et utilisé exclu- sivement aux fins du trafic ferroviaire.
2. CN l'a utilisé constamment depuis 1915 et il forme une partie intégrante de sa ligne principale, constituant effective- ment le lien entre le terminal de Vancouver et cette ligne. Il est aussi le seul lien direct entre les voies du CN situées sur les rives nord et sud du bras principal du Fraser.
3. Le pont appartient entièrement à TPC, mais il est utilisé par quatre sociétés ferroviaires conformément à des contrats de licence en vertu desquels lesdites sociétés paient un péage pour
chaque wagon qui traverse le pont. Le montant du péage est établi de façon à couvrir la totalité des frais d'exploitation du pont.
4. Les contrats de licence sont identiques, mais celui du CN renferme une clause supplémentaire en vertu de laquelle ce dernier doit fournir à TPC des services de réparation, de modification et d'entretien d'urgence, des services d'inspection et de planification par voie de consultation et des travaux d'entretien et de réparation (autres que les travaux habituels) relatifs au système de signalisation, aux croisements et au chantier d'interconnexion.
5. Des services de consultation sont fournis sans frais à TPC par un ingénieur à temps plein qui travaille pour le CN et dont les tâches se rapportent uniquement au Westminster Railway Bridge et à deux autres ponts de chemin de fer avoisinants qui appartiennent à cette société ferroviaire.
6. CN assure périodiquement sans frais un examen complet des poutres maîtresses, longrines et autres parties métalliques du pont et utilise également son wagon « sperry» pour examiner les rails.
7. CN fournit parfois des matériaux pour le pont. Après la collision, il a fourni sans frais à TPC une grosse poutre pour remonter la travée tournante, ce qui a permis d'éviter la fermeture du pont pendant plusieurs jours.
8. Lorsque le pont est fermé pour l'entretien habituel, l'heure et la durée de cette fermeture sont négociées et convenues entre le CN et TPC.
9. Plus de quatre-vingt-six pour cent des wagons qui traver- sent le pont appartiennent au CN et tous les défendeurs étaient bien au courant du fait que le CN était le principal utilisateur.
10. Le capitaine MacDonnel, soit le capitaine du JERVIS CROWN, et d'autres capitaines et navigateurs qui poursuivent des activités sur le fleuve parlent habituellement du pont du CN lorsqu'ils font allusion à ce pont. Le capitaine MacDonnel lui-même connaissait le pont depuis plus de quarante ans et, même un peu après la collision, il croyait effectivement que le pont appartenait au CN.
11. Tous les défendeurs savaient que la cour de triage du CN située au port Mann -Thornton, qui est la principale cour de triage de la grande région de Vancouver, se trouve à environ un mille et demi en amont du pont sur la rive sud du fleuve Fraser.
12. Les défendeurs savaient qu'il n'y avait pas d'autre pont de chemin de fer sur le bras principal du fleuve, en aval du pont Westminster; en outre, comme le pont avait déjà été endom- magé, ils savaient aussi qu'en cas de fermeture du pont à la suite de dommages, le CN serait tenu de faire un détour par le pont du CP qui se trouve en amont du fleuve, entre Mission et Matsqui, et d'utiliser les voies du CP sur la rive nord du fleuve Fraser.
13. CN ne réclame aucun montant au titre de pertes de revenus de fret, demandant uniquement les frais effectivement engagés à la suite de la fermeture du pont.
Immédiatement à la suite de ses constatations au sujet des faits, le juge de première instance a tiré ses conclusions (aux pages 28 et 29 C.C.L.T.):
1. Non seulement les défendeurs pouvaient-ils prévoir que le CN, comme entité juridique distincte plutôt que comme membre d'une catégorie, ait vraisemblablement subi la perte à l'égard de laquelle il veut être indemnisé, mais ils le savaient effectivement.
2. La nature précise de la perte financière était non seule- ment prévisible, elle était effectivement connue.
3. Les dommages ont été causés et ni le montant ni le moment ne sont indéterminés.
4. Il existe un lien suffisamment étroit entre la perte alléguée et le délit.
5. Non seulement la propriété du CN est-elle située à proxi- mité du pont, mais celui-ci constitue un lien essentiel entre les voies de la société ferroviaire situées de chaque côté du fleuve, lien sans lequel ce dernier ne peut vraiment jouir de sa propriété.
Il n'est ni nécessaire ni souhaitable de tenter de formuler un ensemble de règles qui s'appliqueraient à toutes les causes des dommages-intérêts découlant d'une perte purement finan- cière pourraient être obtenus. Toutefois, les conditions suivan- tes m'apparaissent importantes, si l'on veut éviter de se retrou- ver devant une avalanche de procédures:
1. La connaissance de l'auteur de la réclamation comme personne ou entité déterminée qui est susceptible de subir les dommages par opposition à la connaissance d'une catégorie de personnes générale ou indéterminée.
2. La preuve non seulement du fait que la perte était proba- blement prévisible, mais du fait que la nature précise de cette perte aurait l'être.
3. L'existence d'un lien suffisamment étroit entre l'acte commis par l'auteur du délit et les dommages reprochés, de sorte que l'homme de la rue sensé estimerait que le coupable est moralement tenu de dédommager la victime (Caltez Oil Aus- tralian Property Ltd. v. the Dredge Willemstad), ou, en d'au- tres mots, la preuve d'un lien suffisamment étroit avec le bien concerné pour donner lieu à un devoir de prudence envers l'auteur de la réclamation.
Il a également été proposé dans certaines causes que l'auteur du délit ne devrait pas être exposé à une responsabilité qui est tout à fait démesurée par rapport à sa faute ou à son obligation morale et que le degré de négligence, d'insouciance ou d'ab- sence de prudence devrait être considéré comme un facteur. Dans d'autres causes, il a été dit que la perte financière ne doit pas éclipser celle qui est causée par les dommages matériels ou corporels.
S'il était permis au CN de recouvrer une somme d'argent en raison de la perte financière qu'il a subie en l'espèce, ce recouvrement ne donnerait pas lieu à une indemnisation selon un montant indéterminé, pour une période indéterminée ou pour une catégorie indéterminée. Dans les circonstances, je n'ai aucune hésitation à conclure que les défendeurs avaient envers le CN l'obligation d'éviter d'endommager le pont alors qu'il savaient très bien que celui-ci formait une partie intégrante du réseau de chemin de fer de la société et que cette dernière s'en servait constamment; de plus, le fait que le délit comportait le risque déraisonnablement élevé de causer un préjudice à l'au- teur de la réclamation était nettement prévisible.
Le CN aura donc le droit d'être dédommagé à l'égard de la perte financière qu'il soutient avoir subie.
II
L'état de la doctrine et de la jurisprudence anglaises sur la question de la responsabilité en cas de préjudice financier est tel que, dans la plus récente décision rendue sur le sujet par la Cham- bre des lords dans l'affaire D. & F. Estates Ltd. v. Church Comrs. for England, [1989] 1 A.C. 177, à la page 201, lord Bridge of Harwich a déploré le fait que [TRADUCTION] «la doctrine et la jurispru dence sont, à mon avis, si peu certaines que, peu importe l'analyse à laquelle elles sont soumises, elles ne donnent pas de réponse claire et con- cluante». Un autre observateur décrit le droit comme un [TRADUCTION] «fatras de notions» dans lequel «Le pendule oscille au hasard et est encore à la recherche d'un rythme régulier»: Peter Cane, «Economic Loss in Tort: Is the Pendulum Out of Control?» (1989), 52 Mod. L. Rev. 200, à la page 214.
Néanmoins, un point de départ fréquemment admis pour analyser le préjudice financier est la remarque que lord Wilberforce a formulée en deux points au nom de la majorité des juges de la Cour, dans l'affaire Anns v. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 (H.L.), aux pages 751 et 752:
[TRADUCTION] Les trois arrêts suivants de la présente Cour —Donoghue v. Stevenson [1932] A.C. 562, Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd. [1964] A.C. 465, et Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office [1970] A.C. 1004, ont établi le principe selon lequel lorsqu'il s'agit de prouver qu'il existe une obligation de prudence dans une situation donnée, il n'est pas nécessaire de démontrer que les faits de cette situation sont semblables aux faits de situations antérieures il a été jugé qu'une telle obligation existait. Il faut plutôt aborder cette question en deux étapes. Tout d'abord, il faut se demander s'il existe entre l'auteur présumé de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffisamment étroit pour que l'impru- dence de la part de l'auteur de la faute puisse raisonnablement être perçue par celui-ci comme étant susceptible de causer un préjudice à l'autre personne—auquel cas il y a une présomption d'obligation de prudence. Si on répond par l'affirmative à la première question, il faut se demander en second lieu s'il existe des considérations qui pourraient restreindre ou limiter la portée de cette obligation, la catégorie de personnes à qui cette obligation bénéficie ou les dommages qui peuvent être causés par l'inexécution de cette obligation, ou faire conclure à l'inexistence de l'obligation, de la catégorie de personnes ou de l'obligation de dédommager: voir l'affaire Dorset Yacht [1970] A.C. 1004, lord Reid à la p. 1027. On en trouve des exemples dans l'arrêt Hedley Byrne [1964] A.C. 465, la catégorie de
demandeurs possibles se limitait aux personnes qui ont montré qu'elles s'étaient fondées sur l'exactitude des déclarations faites, ainsi que dans l'affaire Weller & Co. v. Foot and Mouth Disease Research Institute [1966] 1 Q.B. 569; il y a également les causes (que je cite simplement à titre d'illustrations, sans en faire l'examen) qui concernent la «perte financière» on a limité la nature des dommages-intérêts recouvrables lorsqu'on a jugé qu'une telle obligation existait: voir S.C.M. (United King dom) Ltd. v. W. J. Whittall & Son Ltd. [1971] 1 Q.B. 337 et Spartan Steel & Alloys Ltd. v. Martin & Co. (Contractors) Ltd. [1973] Q.B. 27. [Non souligné dans le texte original.]
Dans l'affaire Donoghue v. Stevenson, [1932] A.C. 562 (H.L.), à la page 580, lord Atkin avait établi les principes fondamentaux du droit moderne en matière de négligence:
[TRADUCTION] Il faut apporter un soin raisonnable pour éviter des actes ou omissions lorsqu'on peut raisonnablement prévoir qu'ils sont susceptibles de léser son prochain. Qui alors est mon prochain en droit? La réponse semble être: les personnes qui sont de si près et si directement touchées par mon acte que je devrais raisonnablement les avoir à l'esprit comme ainsi tou chées lorsque je songe aux actes ou omissions qui sont mis en question.
Dans l'affaire Dorset Yacht Co. Ltd. v. Home Office, [1970] A.C. 1004 (H.L.), sept jeunes délinquants avaient endommagé un yacht au cours d'une tentative d'évasion à bord d'un autre yacht, la Chambre des lords a considéré qu'il s'agissait d'une application directe de la décision Donoghue v. Stevenson. C'est le troisième arrêt de la trilogie, Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.), qui, en matière de préjudice purement financier, doit être examiné de plus près.
Depuis l'arrêt Cattle v. Stockton Waterworks Company (1875), L.R. 10 Q.B. 453, on estimait en général que le préjudice pécuniaire ne peut pas donner lieu à indemnisation selon le droit relatif à la négligence en l'absence de préjudice matériel ou corporel. Cette règle d'exclusion, comme on l'a souvent appelée, fut considérée comme ayant sur- vécu à l'extension du champ de la négligence par le principe du bon prochain formulé dans l'arrêt Donoghue v. Stevenson. Dans son ouvrage intitulé Economic Negligence, éd. (Toronto: Carswell, 1989), à la page 200, le professeur Bruce Feldthu- sen croit que la jurisprudence étaie une règle d'ex- clusion ferme qu'il énonce ainsi:
[TRADUCTION] L'indemnisation du préjudice purement finan cier ne sera pas permise en cas de négligence lorsqu'il découle d'un préjudice causé à la personne ou aux biens d'un tiers'.
Dans «Negligence and economic loss» (1982), 32 U.T.L.J. 231, le professeur J. A. Smillie déclare la page 231] que [TRADUCTION] «avant 1963 [c.-à-d. l'arrêt Hedley Byrne], une règle rejetant la responsabilité pour négligence en cas de préjudice financier ... s'était appliquée de façon constante pendant environ quatre-vingt-dix ans». Le principe de la règle d'exclusion a été formulé de façon très concise dans une déclaration fréquemment citée du juge en chef Cardozo dans l'arrêt Ultramares Cor poration v. Touche, 255 N.Y. 170, à la page 179, 174 N.E. 441 (Ct. App. 1931), à la page 444, il décrivait l'indemnisation du préjudice purement financier comme [TRADUCTION] «une responsabi- lité pour un montant indéterminé pour un temps indéterminé à l'égard d'une catégorie indétermi- née».
Dans l'affaire Hedley Byrne, cependant, la Chambre des lords a jugé qu'une déclaration inexacte faite avec négligence peut donner lieu à une action en dommages-intérêts pour préjudice financier (bien que la défenderesse n'ait pas été tenue responsable des faits en raison d'une stipula tion d'exonération de responsabilité). Lord Devlin notamment a porté un très grand coup à la règle d'exclusion la page 517):
[TRADUCTION] . la distinction dépendrait maintenant de la
question de savoir si le préjudice financier résulte d'un préju- dice corporel ou s'il a été causé directement. L'interposition du préjudice corporel créerait une différence de principe. Je ne peux rien y trouver de logique ou de sensé. Si, indépendamment d'un contrat, un médecin dit par négligence à un patient qu'il peut sans danger poursuivre son travail mais que celui-ci ne le peut pas et que sa santé en souffre et qu'il perd son gagne-pain, le patient a un recours. Mais si le médecin lui dit par négligence qu'il ne peut pas sans danger poursuivre son travail tandis que de fait il le peut et qu'il perd son gagne-pain, il n'y aurait pas de recours. A moins, naturellement, qu'il s'agisse d'un patient de clientèle privée et que le médecin ait accepté une demi-gui- née pour le dérangement: le patient peut alors tout recouvrer. Je dois dire, chers collègues, que je crois que cela n'a pas de sens.
Lord Devlin et lord Hodson se sont appuyés tous deux sur l'arrêt Morrison Steamship Co., Ld. v. Greystoke Castle (Cargo Owners), [1947] A.C. 265 (H.L.), et lord Hodson a posé la question en ces termes la page 509):
6 Bien que le professeur Feldthusen estime que la règle d'exclusion soit «ferme», il reconnaît qu'elle est «assujettie à un certain nombre d'exceptions particulières».
[TRADUCTION] Il est difficile de concevoir pourquoi la res- ponsabilité comme telle devrait dépendre de la nature des dommages. Dans l'arrêt Morrison Steamship Co. Ltd. v. Greystoke Castle (Cargo Owners), lord Roche a fait état de dommages causés à un camion par suite de la négligence du conducteur d'un autre camion qui, sans avoir causé de domma- ges aux marchandises se trouvant dans le second camion, a fait faire au propriétaire des marchandises des dépenses qui peuvent être recouvrées au moyen d'une action intentée directement contre le conducteur négligent.
Lord Pearce la page 536) a cité l'arrêt Greys- toke Castle pour étayer la proposition selon laquelle [TRADUCTION] «le préjudice financier seul, sans aucun dommage matériel à son appui, peut fournir une cause d'action».
La Haute Cour de l'Australie s'est grandement appuyée sur l'arrêt Hedley Byrne pour rendre son jugement dans l'affaire Caltex Oil (Australia) Pty. Ltd. v. The Dredge «Willemstad» (1976), 11 A.L.R. 227, et permettre l'indemnisation du préju- dice financier. Dans cette affaire, pendant l'appro- fondissement d'un chenal de navigation dans la baie de Botany, une drague a brisé un pipeline sous-marin qui transportait des produits pétroliers depuis une raffinerie (dont les propriétaires possé- daient également le pipeline) sur la rive sud jus- qu'à un terminal de conduites pétrolières de la demanderesse situé sur la rive nord. La demande- resse approvisionnait la raffinerie en pétrole brut pour le traitement de celui-ci et conservait en théorie la propriété du pétrole qui était raffiné, et était propriétaire des produits qui traversaient effectivement le pipeline. Tous les juges de la Cour (bien que chacun d'eux ait fourni des motifs diffé- rents) ont permis l'indemnisation des frais occa- sionnés par le recours à d'autres moyens pour transporter les produits pétroliers jusqu'à ce que le pipeline fût réparé.
Tout en reconnaissant que les décisions subsé- quentes ne considéraient pas que l'arrêt Hedley Byrne abolissait la distinction entre les dommages- intérêts pour préjudice financier et les dommages- intérêts pour préjudice matériel ou physique, le juge Gibbs a écrit la page 245):
[TRADUCTION] À mon sens, il reste juste d'affirmer que, en règle générale, il n'y a pas lieu à réparation du préjudice financier qui ne découle pas d'un préjudice à la personne ou aux biens du demandeur. Le fait que la perte fut prévisible ne suffit pas à ouvrir droit à réparation. Toutefois, il existe des cas exceptionnels dans lesquels le défendeur savait, ou avait le moyen de savoir, que sa négligence risquait d'entraîner un préjudice financier pour le demandeur pris individuellement, et
non seulement comme un membre d'une catégorie générale, et avait envers le demandeur l'obligation de faire preuve de la prudence requise pour ne pas lui causer de dommage par sa négligence. Il n'est ni nécessaire ni opportun de tenter de définir un principe qui s'appliquerait à tous les cas dans les- quels une telle obligation existe; pour reprendre les mots de lord Diplock dans l'arrêt Mutual Life & Citizen' Assurance Co Ltd v Evatt [1971] 1 All ER 150; [1971] A.C. 793, à la page 809: «Ceux-ci devront être vérifiés étape par étape car les faits des affaires dont sont saisis les tribunaux obligeront à les détermi- ner. Tous les faits de l'espèce devront être examinés. Présente- ront une importance, bien qu'ils ne puissent, selon moi, être à eux seuls déterminants, le fait que certains des biens du deman- deur étaient situés à proximité du bien endommagé, ou le fait encore que le demandeur et la personne au bien de laquelle le dommage a été causé participaient à une entreprise commune.
Le juge Stephen a parlé la page 259) de [TRA- DUCTION] «La nécessité, dans les cas de préjudice purement financier, de procéder à une vérification plus poussée que celle qui est envisagée avec la notion de prévisibilité raisonnable» et il a émis l'avis la page 260) que [TRADUCTION] «dans le
domaine général de la conduite négligente, il se pouvait qu'on ne puisse formuler une proposition plus précise que cette nécessité d'insister sur l'exis- tence d'un lien suffisamment étroit entre l'acte délictueux et le préjudice indemnisable». Il ajouté la page 261):
[TRADUCTION] Le principe général qui sous-tend la respon- sabilité en cas de négligence fournira certaines balises pour déterminer le lien requis. Comme le dit lord Atkin dans un extrait souvent cité de l'arrêt Donoghue v Stevenson ([1932] AC à la page 580; [1932] All ER Rep. à la page 11), la responsabilité pour négligence «repose sans doute sur le senti ment général d'une faute morale pour laquelle le contrevenant doit payer». Un tel sentiment n'existera que lorsqu'il y a entre l'acte délictueux et les dommages un lien tel que la société considérera que l'auteur de l'acte délictueux est obligé en toute justice de racheter sa faute morale en indemnisant les victimes de sa négligence. Encore une fois, comme le dit lord Morris dans l'arrêt Dorset Yacht ([1970] AC à la page 1039), les tribunaux peuvent recourir à un examen de ce qui est «juste et raisonnable» pour déterminer si, dans des circonstances particu- lières, il existe une obligation de prudence; et ainsi, selon moi, pour déterminer le lien requis avant qu'il puisse y avoir indem- nisation du préjudice purement financier.
À mesure que les précédents s'accumuleront, il émergera sans doute une certaine zone générale de démarcation entre ce qui est et ce qui n'est pas un lien suffisamment étroit dans toute catégorie particulière de cas de préjudice financier; mais son émergence ne peut pas ni ne devrait être autre chose qu'un reflet des conclusions peu systématiques auxquelles on a abouti dans les affaires constituant des précédents.
Les traits saillants pour établir l'existence d'un lien suffisamment étroit étaient au nombre de cinq: (1) la connaissance par les défendeurs du fait
que les dommages étaient en soi susceptibles de produire le genre de préjudice financier indirect qui est survenu; (2) leur connaissance, grâce aux cartes marines, de l'existence du pipeline et de son utilisation par la demanderesse; (3) le fait que des dommages ont, par négligence, été causés aux biens du propriétaire du pipeline; (4) la nature du préjudice subi, c.-à-d. la perte de l'usage du pipe line; et (5) le fait que la demande d'indemnisation ne portait pas sur la perte de profits mais sur les conséquences directes des dépenses engagées pour l'utilisation d'autres moyens de transport.
Le juge Mason a conclu à la responsabilité du fait que les défendeurs pouvaient raisonnablement prévoir [TRADUCTION] «qu'un particulier précis, par opposition à une catégorie générale de person- nes» la page 274), subirait un préjudice finan cier à la suite de son comportement.
Le juge Jacobs a opté pour un critère fondé sur la «proximité de lieu», à condition seulement qu'il y ait des effets physiques (qu'il distingue du préju- dice physique) sur les biens de la demanderesse. Toutefois, bien qu'il ait lié cette proximité des biens de la demanderesse à l'endroit le geste ou l'omission du défendeur avait eu ses effets physi ques, il semble qu'il aurait limité l'indemnisation au pétrole brut et aux produits de la demanderesse qui se trouvaient à la raffinerie au moment de l'accident, en l'absence d'entente entre les parties quant au montant des dommages-intérêts.
Le juge Murphy semble avoir rejeté complète- ment la règle d'exclusion.
En revenant aux décisions rendues par la Cham- bre des lords, on trouve le point culminant de ce que je pourrais appeler le point de vue de lord Devlin dans Junior Books Ltd. v. Veitchi Co. Ltd., [1983] A.C. 520, un appel d'une décision écossaise où, après qu'un plancher posé par les défendeurs se fut crevassé, les acheteurs avaient intenté une poursuite en dommages-intérêts, y compris les frais engagés pour reposer le plancher et divers postes de préjudice financier consécutifs au rem- placement du plancher, tels que les frais de dépla- cement du matériel et la perte de profits durant la pose du plancher. Il n'avait pas été allégué que l'état du plancher présentait quelque danger d'ac- cident pour les gens ou des risques pour les biens de la manufacture. II ressort de l'opinion de lord
Roskill que la majorité des juges de la Cour a appuyé l'indemnisation accordée sur des motifs larges la page 539):
[TRADUCTION] Chers collègues, je pense qu'il n'y a pas de doute que l'arrêt Donoghue v. Stevenson ... en raison de son insistance sur le lien étroit, dans le sens lord Atkin employait cette expression, en tant que fondement de l'obligation de prudence qui y était énoncé, marquait une grande évolution du droit en matière de délit comme en matière de négligence ... Mais comme ce pas a été fait en 1932, la doctrine alors formulée se confinait d'abord par décision judiciaire à des limites assez étroites ... Bien qu'au début il n'y ait pas eu de doute que, à cause du libellé utilisé par lord Atkin dans l'arrêt Donoghue v. Stevenson ... «préjudice à la vie ou aux biens du consommateur», on a cru que l'obligation de prudence se limi- tait à éviter des préjudices corporels ou des préjudices matériels à la personne ou aux biens de la personne à qui cette obligation de prudence bénéficiait; cette restriction n'existe plus depuis longtemps ...
Et de nouveau, dans le contexte de la seconde proposition énoncée par lord Wilberforce dans l'ar- rêt Anns la page 546):
[TRADUCTION] ... la seule raison avancée pour limiter le dommage (par hypothèse de nature financière seulement) don- nant ouverture à un recours à cause du manquement à l'obliga- tion de prudence qui vient d'être décrit est que, jusqu'à mainte- nant, la loi n'a pas permis cette réparation et par conséquent ne devrait pas le faire à l'avenir. Vos Seigneuries, avec égards pour ceux qui sont d'avis qu'il s'agit d'une réponse suffisante, je ne partage pas leur opinion. Je crois que c'est la prochaine étape logique dans l'évolution de ce domaine du droit. Je ne vois pas pourquoi ce qui a été appelé dans l'argumentation «préjudice financier» pur et simple devrait être rejeté lorsque l'indemnisa- tion du «préjudice financier» accompagné d'un dommage maté riel a toujours jusqu'à présent été autorisée. Je ne crois pas que cette évolution, si évolution il y a, entraînera des conséquences fâcheuses. La notion de lien étroit [utilisée pour établir l'obliga- tion de prudence en vertu de la première proposition de lord Wilberforce] doit toujours impliquer, au moins dans la plupart des cas, un certain degré de pertinence—j'ai déjà mentionné les mots «aptitude» et «jugement»...
Lord Brandon of Oakbrook a déclaré dans ses motifs dissidents la page 551):
[TRADUCTION] L'acceptation de la prétention des intimées relativement à la portée de l'obligation de prudence en question aurait pour effet, en substance, de créer, entre deux personnes qui ne sont unies l'une envers l'autre par aucun lien contractuel, les obligations de l'une de ces deux personnes envers l'autre qui ne sont vraiment appropriées qu'entre deux personnes qui sont effectivement unies par un tel lien.
Il a poursuivi la page 552) en faisant une mise en garde contre [TRADUCTION] < span> difficulté inhé- rente de chercher à imposer ce que sont des obliga tions vraiment contractuelles en étendant de façon sans précédent et, ainsi que je le pense, tout à fait non souhaitable, le droit actuel en matière de délit».
À la lumière des trois décisions récentes de la Chambre des lords et du Conseil privé, l'affaire Junior Books semble moins une [TRADUCTION] «décision marquante» qu'«une anomalie, avec laquelle il faudrait faire une distinction, qu'il fau- drait restreindre et éventuellement oublier»'. Dans la première de ces décisions récentes, Candlewood Navigation Corpn. Ltd. v. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. J«The Mineral Transporter»J, [1986] A.C. 1 (P.C.), dans laquelle il a été jugé qu'un armateur- affréteur ne pouvait pas obtenir de dommages- intérêts pour un préjudice pécuniaire causé par des dommages occasionnés par un tiers au navire affrété, lord Fraser of Tullybelton, qui avait sous- crit à l'opinion majoritaire dans l'affaire Junior Books, s'est contenté de faire une distinction avec cette affaire pour le motif que son extension de la portée de l'obligation [TRADUCTION] «n'allait pas dans le sens de la reconnaissance du droit de poursuivre pour une personne qui a subi un préju- dice financier parce que son contrat avec la vic- time de la faute était devenu moins avantageux ou plus avantageux du tout» [aux pages 24-25]. Il a gardé ses véritables munitions pour l'affaire Caltex la page 24):
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries ont examiné soigneuse- ment les motifs du jugement dans l'affaire Caltez, 136 C.L.R. .. 529. En ce qui concerne les motifs exprimés par les juges Gibbs et Mason, leurs Seigneuries ont de la difficulté à concevoir comment faire la distinction entre un demandeur pris indivi- duellement et un demandeur en tant que membre d'une catégo- rie indéterminée. Le critère peut difficilement être celui de savoir si le nom du demandeur était connu de l'auteur de la faute. Il ne semble pas logique non plus que le critère dépende du fait que le demandeur soit un simple particulier. En outre, pourquoi faudrait-il faire une distinction à cette fin entre une affaire l'auteur de la faute sait (ou a le moyen de savoir) que les personnes susceptibles d'être touchées par sa négligence consistent en une catégorie déterminée de personnes qu'il peut identifier soit par leur nom soit d'une autre façon (par exemple comme étant les propriétaires d'usines ou d'hôtels déterminés) et qui peuvent donc être considérées comme une catégorie établie, et une affaire l'auteur de la faute sait seulement qu'il y a plusieurs personnes, dont le nombre exact ne lui est pas connu, qu'il ne pouvait pas identifier en tout ou en partie par leur nom ou autrement, et qui peuvent donc être considérées comme une catégorie non établie? De plus, l'argument en faveur d'une catégorie établie semble dépendre en grande partie
Ces expressions sont tirées de l'article de Feldthusen insti- tulé «Economic Loss: Where Are We Going After Junior Books?» (1987), 12 Can. Bus. L.J. 241, à la p. 273. Le professeur Joost Blom a exprimé un point de vue généralement similaire au cours du même colloque dans un article intitulé «Economic Loss: Curbs on the Way Ahead?» (1987), 12 Can. Bus. L.J. 275.
de l'opinion selon laquelle la catégorie ne consisterait normale- ment qu'en quelques individus. Mais cela serait-il différent si la catégorie, bien qu'établie, était vaste? Supposons par exemple que la catégorie comprenait tous les élèves d'une école donnée. Si c'était une maternelle de seulement six élèves, ils pourraient être considérés comme constituant une catégorie établie, même si leurs noms n'étaient pas connus de l'auteur de la faute. S'il s'agissait d'une grande école d'environ mille élèves, on pourrait laisser entendre qu'ils ne constituaient pas une catégorie déter- minée. Mais il n'est pas facile de voir une distinction dans un principe simplement parce que le nombre de réclamants possi bles est plus élevé dans un cas que dans l'autre. Sauf les cas de renseignements inexacts fournis par négligence, par lesquels leurs Seigneuries ne sont pas concernées ici, celles-ci ne consi- dèrent pas qu'il est pratique, par référence à une catégorie déterminée, de trouver un mécanisme de contrôle satisfaisant qui pourrait s'appliquer de façon à donner des résultats d'une certitude raisonnable.
De la même façon, elles ne peuvent, avec le plus grand respect envers le juge Stephen, trouver dans son opinion un énoncé de principe qui leur semble offrir une indication satisfai- sante et raisonnablement certaine. L'opinion du juge Jacobs ne semble pas à leurs Seigneuries fournir un critère raisonnable- ment certain, à savoir le critère traditionnel de la proximité physique. Mais cela n'étaie pas l'allégation présentée par M' Gleeson.
Dans les présentes circonstances, leurs Seigneuries ont conclu qu'elles avaient le droit, et en effet l'obligation, d'en venir à leur propre décision sans l'aide d'aucun des motifs figurant dans l'affaire Caltez.
Néanmoins, en réaffirmant la règle de l'exclu- sion, il a trouvé une voie étroite pour l'affaire Caltex la page 25):
[TRADUCTION] Leurs Seigneuries considèrent qu'il faut imposer une certaine limite ou un certain mécanisme de con- trôle en ce qui concerne la responsabilité de l'auteur d'une faute envers ceux qui ont subi un préjudice financier à la suite de sa négligence. La nécessité d'une telle limite a été affirmée de façon répétée dans les arrêts des tribunaux, de l'affaire Cattle ... à l'affaire Caltez, ... et leurs Seigneuries ignorent si les tribunaux ont jamais exprimé une opinion contraire. Le prin- cipe consistant à imposer une telle limite est compatible avec celui qui consiste à limiter la responsabilité des navires et des aéronefs en droit maritime et en droit aérien au moyen de mesures législatives et d'accords internationaux ... Non seule- ment cette règle a-t-elle été généralement acceptée dans beau- coup de pays, dont le Royaume-Uni, le Canada, les États-Unis d'Amérique et jusqu'à maintenant l'Australie, mais elle a le mérite de définir une frontière précise et facilement vérifiable. Elle devrait permettre aux praticiens du droit d'informer leurs clients sur leurs droits avec une certitude raisonnable, et leurs Seigneuries ne sont au courant d'aucun mécontentement géné- ral provoqué par cette règle. Ces considérations contribuent à limiter la portée de l'obligation qui incombe à l'auteur d'une faute, et elles le font au deuxième stade mentionné par lord Wilberforce dans la déclaration citée ci-dessus et tirée de son opinion dans l'arrêt Anns v. Merton London Borough Council
Presque chaque règle souffre certaines exceptions, et la déci- sion rendue dans l'affaire Caltex peut peut-être être considérée comme l'un des «cas exceptionnels» mentionnés par le juge Gibbs dans la déclaration déjà citée et tirée de ses motifs de jugement. Les circonstances exceptionnelles peuvent être celles dont parle le juge Stephen, ... et qui ont déjà été mentionnées. Certes, la décision rendue dans l'affaire Caltex ne semble pas se fonder sur le rejet du principe général formulé dans l'arrêt Cattle.
À mon avis, l'essentiel est que le Conseil privé a souligné qu'il était nécessaire qu'il y ait «une cer- taine limite ou un certain mécanisme de contrôle», mais n'a pas adopté de règle absolue excluant la responsabilité en cas de préjudice purement financier.
Dans la deuxième décision, Leigh and Sillavan Ltd. v. Aliakmon Shipping Co. Ltd., [1986] A.C. 785 (H.L.), dans laquelle un mauvais arrimage avait causé des dommages à des marchandises à bord d'un navire, il a été jugé que, dans le cas d'une demande d'indemnisation pour négligence, les acheteurs demandeurs devaient avoir un droit de propriété reconnu en common law des marchan- dises endommagées ou un droit de propriété acquis par possession sur celles-ci et non pas simplement des droits contractuels à leur égard. Les motifs du rejet de la demande ont été exposés au nom de la Chambre par lord Brandon of Oakbrook, le juge dissident dans l'arrêt Junior Books, qui a dit (aux pages 816 et 817 A.C.):
[TRADUCTION] De toute façon, lorsqu'une règle générale, qui est simple à comprendre et facile à appliquer, a été établie par une jurisprudence longue et constante au cours de nombreuses années, je ne crois pas que la loi devrait permettre une plaidoi- rie spéciale dans un cas particulier dans le cadre de la règle générale pour diminuer son application. Si une telle détraction devait être permise dans un cas particulier, cela laisserait place à des tentatives pour que ce soit permis dans un certain nombre d'autres cas particuliers, et il en résulterait que la certitude, qu'offre présentement l'application de la règle générale, serait gravement minée. Certes, la certitude du droit est de la plus haute importance, tout spécialement, mais pas uniquement, en matière commerciale. Je crois donc que la règle générale, affirmée de nouveau comme elle l'a été récemment par le Conseil privé dans l'arrêt The Minera! Transporter [1986] A.C. 1, devait s'appliquer dans une affaire comme en l'espèce, et que rien de ce que lord Wilberforce a dit dans l'arrêt Anns, [ 1978] A.C. 728, n'imposerait une conclusion différente.
Enfin, dans l'affaire D. & F. Estates, précitée, dans laquelle il y avait eu négligence dans le plâtrage effectué par des sous-traitants, une action contenant une première réclamation contre les entrepreneurs généraux pour les frais de replâtage, de nettoyage des tapis et des autres biens salis par la chute du plâtre et une deuxième réclamation en dommages-intérêts par d'autres parties pour trou ble de jouissance a été rejetée pour le motif que les préjudices réclamés ont été considérés comme un préjudice purement financier. Lord Bridge of Har- wick a dit (l'opinion de lord Oliver of Aylmerton allant dans le même sens) au sujet de la décision rendue par la majorité dans l'affaire Junior Books la page 202):
[TRADUCTION] L'opinion générale des juges, à laquelle je souscris, semble être que la décision de la majorité est tellement tributaire du lien, bien que non contractuel, qui existe entre la poursuivante et la défenderesse dans cette affaire et de la portée de l'obligation de prudence qui incombe à la défende- resse à l'égard de la poursuivante et qui résulte de ce lien que la décision ne peut pas être considérée comme établissant un principe d'application générale en matière d'acte délictueux ou de délit. Dans une opinion dissidente, lord Brandon of Oak- brook énonce par ailleurs avec force et clarté des principes d'une importance fondamentale qui sont clairement applicables pour déterminer la portée de l'obligation de prudence incom- bant à une partie à l'égard d'une autre en l'absence, comme dans la présente affaire, de tout lien contractuel ou de tout lien étroit comme celui sur lequel était fondée la décision des juges formant la majorité dans l'affaire Junior Books.
Lord Bridge a conclu la page 206) que, si jamais on découvre un vice caché dans un bien meuble tel qu'il devient hors d'état de nuire, qu'il soit alors sans valeur ou susceptible de réparation, [TRADUCTION] «le préjudice financier peut donner droit à dédommagement dans le cadre d'un contrat pour l'acheteur ou le locataire du bien meuble ayant droit à l'avantage d'une garantie pertinente quant à la qualité, mais il ne le peut pas dans le cas d'un acte délictueux pour l'acheteur ou le locataire éloigné du bien meuble». Lord Bridge a pris également du réconfort dans la décision rendue récemment par la Cour suprême des Ftnt, Unis dans l'affaire East River .S'..S'. Corpu Transamerica Delaval, Inc., 106 S. C't. 2.1'i (1986), dans laquelle il a été statué yu;aurlln réclamation fondée sur la responsa bi té et u l n
produits n'est recevable en ma Lié! r ri .; quand un commerçant allègue avoir tiui� cln
dice seulement quant au produit lui-même et se soldant par un préjudice purement financiers.
L'«incertitude» de la doctrine et de la jurispru dence anglaises dont parle lord Bridge dans l'arrêt D. & F. Estates est, à mon avis, maintenant grandement manifeste, mais je crois qu'il est néan- moins possible de risquer certaines conclusions générales. Premièrement, il y a en Angleterre une préférence marquée pour le maintien de la règle d'exclusion, tout particulièrement dans les causes, comme celles qui concernent la responsabilité quant aux produits, dans lesquelles une demande d'indemnisation en matière délictuelle peut être considérée comme un moyen de contourner les limites de la responsabilité contractuelle (lord Brandon dans les arrêts Junior Books et Leigh and Sillavan, lord Bridge dans l'arrêt D. & F. Estates). Deuxièmement, on reconnaît néanmoins qu'il y a, tout au moins, des cas exceptionnels la règle ne s'applique pas. L'arrêt Junior Books n'a pas été écarté, et on n'a pas trouvé à redire au sujet de la décision rendue dans l'arrêt Caltex. La règle ne peut donc pas être considérée comme absolue. Troisièmement, dans ces cas exceptionnels la responsabilité est permise, on trouvera des facteurs de proximité inhabituelle quelque peu analogues à ceux qui, en vertu de la première des propositions de lord Wilberforce, établissent le critère fonda- mental de l'obligation elle-même (Hedley Byrne, Caltex, Junior Books).
III
Le droit relatif au préjudice purement financier est moins figé au Canada qu'en Angleterre, ne serait-ce que parce que beaucoup moins de déci- sions ont été rendues à cet égard, notamment par la Cour suprême du Canada. Il serait à peine
8 Dans l'arrêt Reid y Rush & Tompkins Group plc, [1989] 3
All ER 228 (C.A.), à la p. 238, le lord juge Ralph Gibson a, en
son nom personnel seulement, dit de l'arrêt D. & F. Estates: [TRADUCTION] Je crois qu'il est évident que leurs Seigneu- ries ne traitaient pas, si je comprends bien leurs opinions, du délit de négligence sous toutes ses formes et il ne me semble pas qu'elles voulaient formuler une règle selon laquelle on ne peut en aucun cas obtenir de dommages-intérêts pour préju- dice financier sauf en vertu des principes établis par l'affaire Hedley Byrne. J'ai considéré que la déclaration de lord Oliver, à savoir qu'on ne peut pas obtenir de dommages-inté- rêts pour préjudice purement financier à moins qu'on puisse amener l'affaire dans le cadre du principe de dépendance établie par l'affaire Hedley Byrne, s'applique seulement dans l'affaire étudiée dans D & F Estates y Church Cmrs for England.
exagéré de dire qu'il y a seulement une véritable décision, à savoir Rivtow Marine Ltd. c. Washing- ton Iron Works et autre, [1974] R.C.S. 1189; un arrêt qui a été fréquemment cité à la Chambre des lords.
La demanderesse/appelante avait intenté une poursuite pour le recouvrement des frais de répara- tion de deux grues à pivot installées à bord d'un chaland de billes qu'elle avait loué et pour la perte d'utilisation du chaland durant les réparations. Les vices de structure des grues ont été découverts seulement après qu'une grue similaire se fut effon- drée et eut tué son opérateur. Les intimées savaient que des grues de ce genre étaient suscepti- bles de se fissurer en raison d'une négligence de conception, mais elles n'avaient pas averti l'appe- lante du danger possible.
Le juge Ritchie, au nom des sept juges formant la majorité, a statué que les tribunaux inférieurs avaient eu raison de ne pas accueillir la demande d'indemnisation des frais de réparation et d'un préjudice financier que, de toute façon, elle aurait subi même si l'avertissement approprié avait été donné. Il a écrit la page 1207):
La conclusion de M. le juge Tysoe [en Cour d'appel de la C.-B. dans la même affaire] était fondée en grande partie sur une série de précédents américains, l'arrêt Trans World Airli nes Inc. v. Curtis -Wright Corp. ((1955), 148 N.Y.S. 2d 284), en particulier, dans lequel on a indiqué que la responsabilité du coût de réparation du dommage subi par l'objet défectueux lui-même, et de la perte économique découlant directement de la négligence, ressemble à la responsabilité en vertu d'une garantie explicite ou implicite de bon état, et que puisque son origine est contractuelle, un tiers au contrat ne peut la faire valoir contre le fabricant. C'était, je crois, pour ce motif que le savant juge de première instance a rejeté la réclamation de l'appelante pour réparations et pour la perte économique qu'elle aurait de toute manière subie même si l'avertissement appro- prié avait été donné. Je souscris à cette conclusion pour les mêmes motifs; mais, bien que cette conclusion exclue le recou- vrement pour les dommages causés à l'objet et pour la perte économique découlant directement de la négligence et de la mauvaise conception imputables à Washington, elle n'exclut pas les dommages supplémentaires occasionnés par le manque- ment à l'obligation d'avertir contre le danger.
Toutefois, comme, à son avis, l'omission d'avertir constituait un délit civil indépendant, le juge Rit- chie a cru que le juge de première instance avait eu raison d'accorder, et la Cour d'appel avait eu tort de ne pas accorder, une indemnité pour le préju- dice financier résultant de l'inactivité du chaland après que les intimées eurent été avisées des défec- tuosités en question.
Pour étayer cette conclusion, le juge Ritchie a interprété l'arrêt Cattle à la lumière de l'arrêt Donoghue v. Stevenson et s'est fondé grandement sur l'arrêt Hedley Byrne (aux pages 1213 à 1215):
En l'espèce présente, on n'a pas avancé que la responsabilité devrait être basée sur une déclaration inexacte faite par négli- gence et, dans cette mesure, l'arrêt Hedley Byrne ne s'applique aucunement. Je m'y reporte uniquement pour indiquer l'avis de la Chambre des Lords selon lequel quand la responsabilité est basée sur la négligence, le recouvrement ne se limite pas aux dommages physiques mais s'étend aussi aux pertes économi- ques. L'affaire Hedley Byrne a récemment été jugée espèce différente par cette Cour dans l'arrêt J. Nunes Diamonds Ltd. c. Dominion Electric Protection Co. ([1972] R.C.S. 769), dans lequel le juge Pigeon, parlant au nom de la majorité de la cour, a dit à la p. 777:
Le critère de responsabilité délictuelle étudié dans l'affaire Hedley Byrne ne peut pas s'appliquer lorsque les relations entre les parties sont régies par un contrat, à moins qu'il soit possible de considérer que la négligence imputée constitue un délit civil indépendant n'ayant aucun rapport avec l'exécu- tion du contrat ... En l'espèce, c'est un point particulière- ment important, à cause des dispositions contractuelles rela tives à la nature des obligations assumées et l'exclusion virtuelle de toute responsabilité en cas de défaut de les remplir.
En l'espèce présente, toutefois, je suis d'avis que l'omission d'avertir a été «un délit civil indépendant» n'ayant aucun rap port avec l'exécution d'un contrat exprès ou implicite.
Dans la plaidoirie complète qu'il a présentée au nom de l'appelante, Me Locke s'est reporté à de nombreuses décisions récentes de la Cour d'appel d'Angleterre pour illustrer l'évolu- tion des idées dans cette cour-là sur la question du recouvre- ment de la pure perte économique dans une action pour négli- gence lorsque le demandeur n'a subi aucun dommage physique.
Dans une de ces affaires, SCM (United Kingdom) Ltd. v. W. J. Whittal & Son Ltd. ([1970] 3 All E.R. 245), la cour a statué que la perte économique découlant directement d'un dommage physique était recouvrable mais Lord Denning a indiqué qu'il refuserait le recouvrement d'autres pertes économiques sauf dans des circonstances exceptionnelles. Son raisonnement semble fondé sur le fait que le dommage était trop éloigné bien qu'il ait fait remarquer, dans ses motifs de jugement:
[TRADUCTION] Cependant, ne croyez pas que je suis d'avis que la perte économique est toujours trop éloignée.
Une autre étude assez longue sur le même sujet est contenue dans les motifs de jugement du même savant juge dans l'arrêt Spartan Steel and Alloys Limited v. Martin & Co. (Contrac- tors) Ltd. ([1972] 3 W.L.R. 502) il semble avoir considéré que la question du caractère éloigné du dommage devait être décidée [TRADUCTION] «comme une question de ligne de con- duite»; après s'être référé aux arrêts Cattle v. Stockton Water works Co. et Société Anonyme de Remorquage à Hélice v. Bennetts, il a dit:
[TRADUCTION] D'autre part, dans les affaires on a statué que la perte économique était recouvrable en elle- même, il est clair qu'il y avait une obligation envers les demandeurs et que la perte n'était pas trop éloignée.
Dans l'arrêt Ministry of Housing and Local Government v. Sharp, ([1970] 2 Q.B. 223) p. 278, le juge Salmon me semble avoir traité la question de façon exacte et succincte quant il a dit:
[TRADUCTION] Cependant, dans la mesure le droit relatif
à la négligence en matière civile est concerné, l'existence de l'obligation de diligence raisonnable ne dépend plus de la question de savoir si ce qui peut être raisonnablement prévu comme résultat de l'omission de faire preuve de pareille diligence est dommage physique ou une perte financière.
Je me rends bien compte que je n'ai pas fait état de tous les précédents pertinents ayant trait au recouvrement pour perte économique dans pareilles circonstances, mais je suis convaincu qu'en l'espèce présente il y avait une proximité de rapport donnant naissance à une obligation d'avertir et que les domma- ges-intérêts adjugés par le savant juge de première instance étaient recouvrables à titre d'indemnité pour le résultat direct et démontrablement prévisible de la violation ...
Les deux juges dissidents en partie auraient inclus dans le préjudice admissible les frais de réparation des grues pour le motif que la menace de dommage physique aurait être traitée de la même façon que le dommage physique véritable. Le juge Laskin (tel était alors son titre) a écrit (aux pages 1218 et 1219 R.C.S.):
... la doctrine énoncée dans l'arrêt Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., lequel a été considéré par cette Cour et appliqué dans d'autres Cours au Canada, montre que la perte économique ou pécuniaire n'est pas à l'extérieur du champ de la responsabilité pour négligence.
La présente affaire n'est pas du type Hedley Byrne, comme l'indiquent les motifs de mon collègue le juge Ritchie, mais le recouvrement pour la perte économique seulement trouve néan- moins un appui dans la doctrine de la négligence. Il me semble que le principe de la responsabilité du fabricant pour négligence devrait également permettre ce recouvrement dans le cas où, comme en l'espèce, il y a menace de dommages physiques et le demandeur est dans la catégorie des personnes qui, peut-on prévoir, sont ainsi menacées ...
Appliquer pareil recouvrement dans la présente affaire ne conduira pas (Traduction) «à une responsabilité pour un mon- tant indéterminé pour un temps indéterminé à l'égard d'une catégorie indéterminée», pour emprunter une déclaration fré- quemment citée du défunt juge Cardozo dans l'arrêt Ultrama- res Corp. v. Touche, p. 179. Les considérations pragmatiques qui sont à la base de l'arrêt Cattle v. Stockton Waterworks Co. ne seront pas dévalorisées par l'imposition d'une responsabilité à Washington comme fabricant et concepteur négligent ... La responsabilité ne signifiera pas ici qu'elle doit aussi être impo sée dans tous les cas de conduite négligente il y a perte économique prévisible; un cas typique serait les réclamations faites par les employés pour perte de salaire lorsque l'usine de leur employeur a été endommagée et est fermée par suite de la négligence d'une autre personne. Dans la présente affaire, il s'agit d'une perte économique directe subie par une personne dont l'usage du produit de la défenderesse Washington était prévu, et non d'une perte économique indirecte- subie par un tiers, par exemple, des personnes dont les billes ne pouvaient
pas être chargées sur le chaland de l'appelante à cause du retrait du service de la grue défectueuse pour y effectuer des réparations. Il s'agit (je me répète) d'une perte économique résultant directement de l'évitement de dommages physiques menaçant la propriété de l'appelante sinon aussi de l'évitement de blessures aux personnes à son service.
Malgré l'indemnité plus élevée qu'il aurait accordée, le juge Laskin se situe plus près de la règle d'exclusion que les juges formant la majorité parce qu'il retient la notion de dommage physique. Pour les juges formant la majorité, il semble que tout préjudice financier qui survient indépendam- ment d'un lien entre le demandeur et l'auteur de l'acte délictueux peut donner lieu à indemnisation s'il y a un «lien suffisamment étroit» entre les deux parties. De fait, le principe adopté par les juges formant la majorité est le corollaire de celui qui a été adopté par les juges formant la majorité dans l'arrêt Nunes Diamonds (J.) Ltd. c. Dominion Electric Protection Co., [1972] R.C.S. 769. Le juge Ritchie cite le juge Pigeon, qui déclare dans cette affaire-là la page 777) que «Le critère de responsabilité délictuelle étudié dans l'affaire Hedley Byrne ne peut pas s'appliquer lorsque les relations entre les parties sont régies par un con- trat». C'est peut-être bien un pur hasard que l'arrêt Rivtow Marine ait été rendu peu après l'arrêt Hedley Byrne et avant la réponse négative de la Chambre des lords dans les années 1980, mais il demeure la principale décision canadienne, bien qu'à plusieurs reprises, la Cour suprême ait fait en passant des remarques sur la jurisprudence anglaise subséquente, tout particulièrement dans l'arrêt Kamloops (Ville de) c. Nielsen et autres, [1984] 2 R.C.S. 2.
Dans l'affaire Kamloops, la question était de savoir si une personne acquiert une maison sans être informée de l'état défectueux des fondations ou de l'insuffisance des inspections municipales peut tenir une municipalité responsable, par négli- gence, de ne pas en avoir interdit la construction.
Le juge Wilson, au nom des juges formant la majorité, a examiné abondamment les affaires por- tant sur l'indemnisation du préjudice purement financier, étant donné que la municipalité alléguait que, dans l'affaire, le préjudice financier était analogue aux frais de réparation de la grue qui avaient été rejetés expressément par les juges for- mant la majorité dans l'arrêt Rivtow Marine. Le
juge Wilson a reconnu la page 33) que «cette Cour est liée par le jugement de la majorité dans l'arrêt Rivtow jusqu'à ce que la Cour siégeant au complet ait l'occasion de réétudier la question», mais elle a ajouté que la page 34):
... je suis portée à croire que la responsabilité simultanée en matière contractuelle et délictuelle a joué un rôle important dans l'attitude restrictive adoptée par la majorité dans l'arrêt Rivtow et que, comme dans l'arrêt Hedley Byrne, il nous faudra attendre de voir dans quel sens ira l'évolution de la jurispru dence qui se développe autour de cette décision ...
Toutefois, elle a fait une distinction avec l'arrêt Rivtow Marine pour au moins deux raisons: (1) l'affaire Rivtow était une poursuite judiciaire entre des parties privées par comparaison avec une demande d'indemnisation contre une administra tion publique pour inexécution d'une obligation de prudence de droit privé découlant d'une loi; (2) «il n'y a pas d'apparence de contrat en l'espèce comme il y en avait dans l'affaire Rivtow» la page 34), dans laquelle «on ne voulait pas élargir le recours délictuel au point de permettre un recou- vrement en matière délictuelle qui n'aurait pas été possible en matière contractuelle» la page 34). Ni la décision ni les motifs ne se rapportent donc directement à l'affaire en cause, étant donné que l'indemnisation a finalement été permise sur le fondement d'une loi. Néanmoins, il me semble que l'effet et le ton de ce que la Cour a fait militent contre une règle absolue d'exclusion. Le juge Wilson a résumé la question de la façon suivante la page 35):
Je ne crois pas qu'en permettant l'indemnisation en l'espèce on expose les autorités publiques à la responsabilité indétermi- née mentionnée dans l'arrêt Ultramares. Pour obtenir l'indem- nisation d'une perte financière, il faut que la loi crée une obligation de droit privé envers le demandeur en plus de l'obligation de droit public. Le demandeur doit appartenir à la catégorie limitée des propriétaires ou occupants de la propriété au moment le dommage se manifeste. La perte qui résulte de décisions de politique prises par les autorités publiques dans l'exercice de bonne foi de leur pouvoir discrétionnaire ne donne pas lieu à indemnisation. La perte qui résulte de la mise à exécution de décisions de politique ne donne pas lieu à indemni- sation si la décision d'exécution comporte un élément de politi- que. La perte qui résulte lors de la mise à exécution de décisions de politique, c.-à-d. de l'exécution fautive, donne lieu à indemnisation. La perte donne lieu également à indemnisa- tion si la mise à exécution fait appel à des considérations de politique et que le pouvoir discrétionnaire des autorités publi- ques n'est pas exercé de bonne foi. Enfin, et ce point mérite peut-être d'être souligné, la perte financière ne donne lieu à indemnisation que si, selon l'interprétation de la loi, il s'agit d'un type de perte que la loi vise à prévenir.
Il me semble que l'indemnisation de la perte financière aux conditions qui précèdent répond à un certain nombre d'objectifs valables. Elle permet d'éviter l'intervention indue des cours dans les affaires des autorités publiques. Elle fournit un redres- sement lorsque le législateur l'a implicitement sanctionné et que la justice l'exige clairement. Elle impose aux autorités publi- ques une obligation suffisamment astreignante de réprimer l'exercice fautif et arbitraire des fonctions prévues par la loi. Pour ces motifs, je suis d'avis d'autoriser l'indemnisation de la perte financière en l'espèce.
Ce qui est peut-être le plus frappant, c'est le refus des juges formant la majorité de se laisser persua- der par l'argument de l'avalanche de poursuites fondé sur la déclaration du juge en chef Cardozo dans l'arrêt Ultramares.
Les appelants dans l'affaire en cause ont pré- tendu que la décision du juge Wilson dans l'arrêt Kamloops devrait s'interpréter à la lumière de sa présumée confirmation de la règle d'exclusion au moment elle siégeait à la Cour d'appel de l'Ontario dans l'affaire Attorney -General for Ontario v. Fatehi et al. (1981), 34 O.R. (2d) 129 (C.A.), mais, à mon avis, cette prétention s'effon- dre à l'analyse de la décision Fatehi rendue par la Cour d'appel de l'Ontario. Dans cette affaire-là, le défendeur avait admis avoir fait preuve de négli- gence dans la conduite d'un véhicule moteur, mais il avait nié sa responsabilité à l'égard des frais engagés par le gouvernement de l'Ontario pour débarrasser l'autoroute des véhicules accidentés, de l'essence renversée, des vitres brisées et des débris généraux. Le juge d'appel Brooke (dissi- dent) aurait confirmé la décision du juge de pre- mière instance selon laquelle le gouvernement était le propriétaire de biens dont certains avaient subi des dommages.
Il est peut-être juste de dire que les deux juges d'appel Wilson et Thorson, qui faisaient partie de la majorité, penchaient pour la règle d'exclusion dans leurs remarques incidentes. En effet, le juge d'appel Thorson a admis la page 146):
[TRADUCTION] S'il avait été nécessaire de le faire en l'espèce en supposant théoriquement que le seul motif d'appel avancé par l'avocat de l'appelant était que le préjudice du gouverne- ment était purement financier, j'aurais été prêt à accueillir l'appel pour ce motif.
Le juge d'appel Wilson (tel était alors son titre) ne voulait toutefois pas finalement faire reposer son jugement sur la règle d'exclusion la page 142):
[TRADUCTION] Toutefois, même si j'ai raison de soutenir qu'il s'agit d'une action en indemnisation d'un préjudice pure- ment financier, je ne peux pas dire en l'état actuel du droit que le juge de première instance avait manifestement tort de per- mettre l'indemnisation. Je préfère donc fonder mon jugement sur le deuxième motif d'appel de l'appelant.
En appel, la Cour suprême du Canada a statué à l'unanimité qu'il ne s'agissait pas du tout d'un cas de préjudice financier mais d'un cas de dommages directs aux biens du demandeur occasionnés par la négligence du défendeur. La Cour suprême a con- sidéré que les juges formant la majorité en Cour d'appel avaient sursis au jugement en ce qui con- cerne le préjudice purement financier (précité, à la page 544):
Le droit canadien demeure, comme l'ont dit les juges de la majorité en Cour d'appel, quelque peu incertain à cause de l'arrêt de cette Cour dans l'affaire Rivtow Marine, précitée.
La Cour suprême était d'avis que le droit n'était pas figé et qu'il devait le rester pour l'instant la page 545):
Néanmoins, il faut reconnaître que l'arrêt Rivtow a été appli- qué ou rejeté de diverses manières par les tribunaux canadiens dont certains concluent que le jugement de la majorité recon- naît le préjudice financier et certains concluent le contraire. Il n'est pas possible de dire si le droit du Canada qui se dégage des précédents jusqu'à ce jour, envisage la réparation d'un préjudice purement financier au sens de l'arrêt Junior Books, précité, de la Chambre des lords.
À mon avis, il n'est pas nécessaire en l'espèce de trancher cette question parce que . .. il ne s'agit pas d'un cas de préjudice financier mais de dommages directs à la propriété du demandeur occasionnés par la négligence de l'intimé.
Bien que la question n'ait pas été tranchée de façon précise par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Fatehi tout comme dans l'arrêt Kamloops, les indications des choses à venir, si je peux parler ainsi, semblent aller à l'encontre de la règle de l'exclusion. Ainsi dans l'arrêt Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd. c. Cummer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221, le juge Pigeon, au nom de quatre juges, a dit au sujet de la décision Rivtow, dans laquelle il s'était rallié à la majorité la page 252):
Il est maintenant établi, par l'arrêt de cette Cour Rivtow Marine Ltd. c. Washington Iron Works, que le recouvrement de la perte économique causée par la négligence est admis même sans recouvrement pour dommages matériels.
Il a donc jugé dans l'arrêt Agnew-Surpass qu'une clause disculpatoire en faveur d'un locataire devrait être interprétée strictement de façon à laisser le locataire responsable de la perte d'un
revenu de location pour le propriétaire-locateur d'un centre commercial l'incendie était à sa négligence.
De même, dans l'arrêt Haig c. Bamford et autres, [1977] 1 R.C.S. 466, la Cour suprême a permis l'indemnisation à l'encontre de comptables qui n'avaient pas apporté l'application normale à la préparation des comptes, le juge Dickson (tel était alors son titre) a dit sans réserve, au nom de six des neuf juges de la Cour la page 483): «Dans l'affaire Rivtow Marine Ltd. c. Washington Iron Works, l'indemnisation de pertes économi- ques causées par la négligence a été accordée».
En outre, l'intimée dans le présent appel a allé- gué non sans raison que l'accent mis par madame le juge Wilson dans l'arrêt Kamloops dans une série de questions pour la forme résumant la rééva- luation de la règle d'exclusion laissait supposer qu'elle répondrait aux questions de façon favorable (aux pages 28 et 29):
Il a fallu l'arrêt de la Chambre des lords Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., précité, pour amorcer une révision et une réévaluation de la règle relative à la perte financière par les auteurs juridiques et les juges; cette révision se poursuit maintenant depuis presque vingt ans. Comment, se demande-t-on, expliquer aux demandeurs lésés le traitement différent que réserve le droit aux pertes matérielles et aux pertes financières dues aux actes fautifs d'un défendeur? Dans un cas, on est indemnisé par l'auteur du dommage alors que, dans l'autre, il faut assumer la perte soi-même. Est-il logique d'autoriser l'indemnisation d'une perte financière pour des paroles fautives et non pour des actes fautifs? En quoi diffè- rent-ils sensiblement? Si la perte financière est raisonnable- ment prévisible comme conséquence d'actes fautifs, ne devrait- elle pas donner lieu à indemnisation tout comme les blessures ou les dommages matériels raisonnablement prévisibles? La crainte exprimée par le juge en chef Cardozo d'une responsabi- lité indéterminée envers une catégorie indéterminée devrait-elle empêcher l'indemnisation d'un demandeur bien déterminé pour un montant très précis? Une considération de politique qui entraîne une injustice évidente dans certains genres de causes peut-elle être valable? Y a-t-il un raisonnement quelconque qui permettre d'éviter l'injustice dans des cas précis et, en même temps, de parer à la crainte exprimée par le juge en chef Cardozo?
Il y a deux autres décisions récentes de la Cour suprême du Canada qui sont pertinentes. Dans l'affaire B.D.C. Ltd. c. Hofstrand Farms Ltd., [1986] 1 R.C.S. 228, dans laquelle un messager ignorait qu'une enveloppe contenait une concession de Sa Majesté qui devait être enregistrée dans un délai prescrit, la Cour a jugé qu'il n'y avait pas d'obligation de prudence comme l'exigeait la pre-
mière proposition énoncée dans l'arrêt Anns. Néanmoins, le juge Estey a passé en revue le droit relatif à la négligence et au préjudice purement financier et a adopté à l'égard de l'arrêt Rivtow Marine la même opinion que le juge Pigeon dans l'arrêt Agnew-Surpass (aux pages 239-240):
Dans l'arrêt Rivtow Marine Ltd. c. Washington Iron Works, [1974] R.C.S. 1189, cette Cour n'a pas été unanime sur certains aspects de la question du préjudice financier causé par négligence, mais les juges formant la majorité et les juges dissidents ont reconnu que, en principe, un défendeur pouvait encourir une responsabilité délictuelle pour des préjudices financiers qui ne résultent aucunement de dommages ou de préjudices matériels connexes. L'arrêt Rivtow portait sur la responsabilité du fabricant d'une grue défectueuse envers l'usa- ger ultime de la grue, pour ce qui est du coût des réparations et des bénéfices perdus alors que la grue était hors d'usage. Par conséquent, l'affaire a soulevé des questions de responsabilité à l'égard de produits et ressemble peu à l'arrêt Hedley Byrne, précité, et aux affaires qui l'ont suivi. Toutefois, conformément à la jurisprudence précitée, le juge Ritchie au nom de la majorité et le juge Laskin (alors juge puîné), dissident, ont mentionné qu'il était nécessaire d'établir l'existence d'un lien suffisamment étroit entre les parties à l'action.
Le juge Estey a souligné qu'il faut toujours recou- rir au critère fondé sur le «lien étroit», en se reportant manifestement au premier principe for- mulé dans l'arrêt Anns, mais souvent dans des contextes (par ex. l'arrêt Junior Books) il pourrait raisonnablement s'appliquer à la deuxième proposition énoncée dans l'arrêt Anns.
L'autre décision de la Cour suprême est Central Trust Co. c. Rafuse, [1986] 2 R.C.S. 147, dans laquelle la question principale était de savoir si un avocat pouvait encourir envers un client une res- ponsabilité délictuelle tout autant qu'une responsa- bilité contractuelle. Le juge Le Dain a rédigé les motifs du jugement de la Cour et a dit sur le point en question la page 206):
3. Une responsabilité délictuelle concurrente ou alternative ne sera pas admise si elle a pour effet de permettre au deman- deur de contourner ou d'éluder une clause contractuelle d'exo- nération ou de limitation de responsabilité pour l'acte ou l'omis- sion qui constitue le délit civil. Sous réserve de cette restriction, chaque fois qu'il existe simultanément une responsabilité délic- tuelle et une responsabilité résultant d'un contrat, il est loisible au demandeur de se prévaloir de la cause d'action qui lui paraît la plus avantageuse à l'égard d'une conséquence juridique donnée.
Il a donc été statué que, lorsqu'il n'est pas question de clause contractuelle d'exclusion, le principe de l'arrêt Hedley Byrne devrait s'appliquer.
Ces deux affaires n'ajoutent rien directement en ce qui concerne la règle d'exclusion, mais il me semble que toutes deux tendent à la limiter. L'ar- rêt B.D.C. la page 239] confirme une déclara- tion générale selon laquelle, sur le fondement de l'arrêt Rivtow Marine, «un défendeur pouvait encourir une responsabilité délictuelle pour des préjudices financiers qui ne résultent aucunement de dommages ou de préjudices matériels con- nexes». L'arrêt Central Trust la page 206] supporterait la règle d'exclusion seulement lorsque, sans cela, le demandeur pourrait «contourner ou ... éluder une clause contractuelle d'exonération ou de limitation de responsabilité».
Il y a eu une affaire dans laquelle notre Cour a examiné la question de l'indemnisation du préju- dice purement financier: Baird c. La Reine du chef du Canada, [1984] 2 C.F. 160 (C.A.). Dans cette affaire-là, le juge de première instance [(1982), 135 D.L.R. (3d) 371] avait radié la déclaration en concluant qu'elle ne révélait aucune cause d'action pour le motif qu'une demande d'indemnisation d'un préjudice financier n'entrait pas dans le champ de la responsabilité de la Couronne lorsque les obligations légales en question incombaient au ministre des Finances et au surintendant des assu rances. En infirmant la décision en appel, le juge Le Dain a déclaré au nom des juges formant la majorité la page 183):
La question suivante est de savoir si, en principe, une perte purement économique pourrait donner ouverture à une action en recouvrement, si on suppose que le ministre des Finances ou le surintendant des assurances avait une obligation de prudence envers les appelants et qu'il ne s'est pas acquitté de cette obligation. L'avocat de la Couronne a soutenu que les cas une perte économique qui ne découle pas d'une blessure ou d'un dommage matériel pourrait donner ouverture à une action en recouvrement se limitaient à ceux qui ont été décrits dans les affaires Hedley Byrne & Co. Ltd. v. Heller & Partners Ltd., [1964] A.C. 465 (H.L.) et Rivtow Marine, précitée: fausse représentation délictuelle et omission délictuelle de signaler une défectuosité dangereuse d'un produit. À mon avis, aucune décision judiciaire subséquente portant sur cette question ne laisse entendre qu'en principe, il ne pourrait y avoir recouvre- ment à la suite d'une perte purement économique que dans ces cas. Dans l'affaire Agnew-Surpass Shoe Stores Ltd. c. Cum- mer-Yonge Investments Ltd., [1976] 2 R.C.S. 221, à la page 252, voici l'observation générale qui a été faite au sujet de la portée de l'affaire Rivtow Marine: «Il est maintenant établi, par l'arrêt de cette Cour Rivtow Marine Ltd. v. Washington Iron Works et al. ([1974] R.C.S. 1189) que le recouvrement de la perte économique causée par la négligence est admis même sans recouvrement pour dommages matériels.» Il semble que la question de savoir si un tel recouvrement sera autorisé dans un
cas particulier de négligence dépend de l'application de princi- pes ou de considérations d'ordre général, sans qu'il faille se limiter à certaines catégories ou à certains types de cas. Ces principes et ces considérations sont très bien expliqués dans l'affaire Caltex Oil, précitée, qui elle-même constituait un exemple de recouvrement résultant d'une perte purement éco- nomique dans un cas qui ne faisait pas partie des catégories mentionnées dans les causes Hedley Byrne et Rivtow Marine. Que la question soit abordée du point de vue de l'obligation de prudence ou du degré d'éloignement du dommage ou, en géné- ral, comme une question de principe, il ne me paraît pas évident à ce stade-ci qu'on doive, en principe, exclure la possibilité d'un tel recouvrement dans le présent cas.
Encore une fois, on ne peut pas dire que ce soit une décision concluante, mais il est significatif que la Cour ait considéré la règle comme étant plus large que celle qui s'appliquerait aux catégories de cas représentées par Hedley Byrne et Rivtow Marine et ait cru que «la question de savoir si un tel recouvrement sera autorisé dans un cas particulier de négligence dépend de l'application de principes ou de considérations d'ordre général, sans qu'il faille se limiter à certaines catégories ou à certains types de cas», comme ceux qui ont été exposés dans l'arrêt Caltex.
Il y a également trois jugements rendus par la Section de première instance, Gypsum Carrier Inc. c. La Reine, [1978] 1 C.F. 147; Bethlehem Steel Corporation c. L'Administration de la voie mari time du St-Laurent, [1978] 1 C.F. 464; et Intero- cean Shipping Company c. Navire Atlantic Splen dour, [1984] 1 C.F. 931. L'affaire Gypsum Carrier concernait non seulement une collision entre un navire et le même pont qu'en l'espèce mais va de pair avec celle-ci, sauf qu'il semble y avoir eu insuffisance de preuve quant à la prévisi- bilité et qu'aucune allégation ne semble avoir été présentée quant à l'existence d'un lien étroit avec les biens de la compagnie ferroviaire. Ayant conclu que la compagnie ferroviaire n'avait ni droit de passage ni droit de propriété moindre sur le pont, le juge Collier a déclaré la page 158):
En l'espèce, je crois que l'absence de dommages matériels aux biens des compagnies de chemin de fer n'empêche pas en elle-même le recouvrement des dépenses additionnelles encou- rues par lesdites compagnies (la perte économique).
Néanmoins, il a conclu que l'action n'était pas fondée en ce qui concerne le premier principe énoncé dans l'arrêt Anns, c'est-à-dire qu'aucune obligation de prudence raisonnable n'a été établie en preuve.
Dans l'affaire Bethlehem Steel, un navire avait frappé et détruit un pont enjambant le canal Wel- land. Une première demande d'indemnisation con- cernait la perte de profits des navires immobilisés par l'obstruction du canal, une seconde portait sur les frais supplémentaires engagés pour l'expédition des marchandises depuis Toronto plutôt que par la voie du canal. Le juge Addy n'a pas permis l'in- demnisation, en statuant que le lien entre les récla- mants et l'objet endommagé avait été beaucoup plus étroit dans l'affaire Gypsum Carrier, dans laquelle la page 470) «les réclamants faisaient usage de l'objet endommagé et ils avaient au moins certains droits contractuels le couvrant». En l'es- pèce, il a fait la distinction suivante avec la déci- sion qu'il avait rendue antérieurement dans l'af- faire Bethlehem Steel la page 26 C.C.L.T.):
Dans cette cause-là, j'ai effectivement approuvé et appliqué la règle de l'avalanche des procédures et je n'ai pas fait mention de solutions de rechange. Toutefois, un examen des faits dans cette affaire-là indique bien clairement l'absence de toutes circonstances pouvant l'emporter sur les objections très prati- ques qui constituent la raison d'être de cette règle d'exclusion.
Dans l'affaire Interocean Shipping, dans laquelle le navire Atlantic Splendour avait excédé la durée fixée pour rester à quai en raison de problèmes mécaniques et avait ainsi retardé quatre autres navires qui devaient prendre à leur bord du minerai de fer au même quai, le juge Dubé a énoncé le droit de la façon suivante dans un exposé de la cause (aux pages 936-937):
Selon mon appréciation de l'état actuel de l'évolution de la jurisprudence sur cette question controversée de la perte pure- ment économique, il n'est pas nécessaire que le demandeur subisse un préjudice matériel pour recouvrer des dommages. Il suffit, premièrement, que le défendeur ait une obligation envers le demandeur; deuxièmement, qu'il y ait eu manquement à cette obligation; troisièmement, que les pertes économiques découlent directement de la négligence du défendeur; et qua- trièmement, que les conséquences aient été raisonnablement prévisibles.
Puis il a fait une distinction avec l'affaire Gypsum Carrier en ce qui concerne les faits la page 938):
Les responsables du navire dans l'affaire Gypsum ne pou- vaient naturellement pas prévoir la modification du parcours des trains à l'approche du pont de chemins de fer. De même les marins, dans l'affaire Bethlehem Steel ne pouvaient savoir qu'ils étaient sur le point de chambarder l'horaire de la naviga tion sur le canal. Mais les responsables du MIV Atlantic Splendour ont intentionnellement maintenu le navire accosté alors qu'ils auraient le faire remorquer immédiatement. Ils auraient pu éviter la perte économique qu'ont subie les autres
navires, mais pour des raisons qui leur sont propres ils ont choisi de ne pas le faire. Ils savaient ou auraient savoir qu'ils monopolisaient le seul quai disponible. Ils ont vu ou auraient voir les autres navires qui mouillaient au large. Il n'est pas hors de la portée de marins raisonnables de prévoir que des navires à l'arrêt subissent des pertes économiques. La lenteur du défen- deur, qu'elle soit admise ou prouvée au procès, a été la cause directe et prévisible des pertes économiques subies par les demanderesses.
Les cours d'appel de trois provinces ont rejeté la règle d'exclusion. La déclaration la plus directe émane du juge Lambert de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'affaire Nicholls v. Township of Richmond et al. (1983), 145 D.L.R. (3d) 362, à la page 367 9 , à l'occasion d'une requête en radiation d'une plaidoirie dans une affaire de renvoi injustifié fondé sur le fait qu'on avait causé par négligence l'inexécution d'un contrat:
[TRADUCTION] Dans la présente affaire, la question devient donc la suivante: Y a-t-il une règle juridique qui interdit l'indemnisation, en principe, lorsque, en présence d'un lien étroit qui peut exister entre les dirigeants et les employés d'une compagnie, un acte, une omission ou une déclaration inexacte survient et que son auteur aurait raisonnablement prévoir qu'il entraînerait directement un préjudice financier pour un camarade de travail, comme, par exemple, son congédiement? Je ne suis pas persuadé qu'il existe ou devrait exister une telle règle juridique générale. Dans des cas particuliers, l'indemnisa- tion peut être refusée comme question de principe, mais il s'agirait d'une règle plus stricte, applicable sur la base de faits qui ne sont pas encore divulgués dans la présente affaire. Je ne tire aucune conclusion maintenant en ce qui concerne l'exis- tence ou la portée d'une telle règle plus stricte.
À mon avis, des décisions telles que Cattle v. Stockton Waterworks Co. (1875), L.R. 10 Q.B. 453, et Weller & Co. v. Foot & Mouth Disease Research Institute, [1965] 3 All E.R. 560, devraient être considérées comme des exemples précis de refus d'indemnisation en raison de l'absence d'un lien étroit, ou de l'éloignement des dommages, ou des deux à la fois, et non comme établissant un principe selon lequel des dommages-inté- rêts ne peuvent jamais être obtenus pour préjudice financier si le préjudice résulte de la rupture d'un lien contractuel entre une victime qui subit un préjudice financier et une autre fin subit des dommages matériels. La réponse à de tels problèmes réside non pas dans un refus constant de l'indemnisation mais dans l'application des questions ordinaires et parfois difficiles qui se
9 Dans l'avis défavorable du doyen Peter J. Burns formulé dans «Recent Developments in Negligence Law», Negligence Law in the 1990's, (Vancouver, The Continuing Legal Éduca- tion Society of British Columbia, (1985), à la p. 1.1.10, [TRA- DUCTION] «les arrêts Nielson et Nicholls ont pour effet com- biné ... de créer un champ très étendu de responsabilité civile potentiel qui doit à la fin accroître les coûts d'activités publi- ques et privée et, dans de nombreux cas, décourager des engagements souhaitables dans les secteurs commercial et public».
rapportent au lien étroit, à la prévisibilité, à la relation de cause à effet et à l'éloignement.
Supposons qu'une compagnie aérienne a comme règle de renvoyer les pilotes qui souffrent d'une incapacité sur le plan de la santé et exige que ses pilotes se soumettent chaque année à un examen médical effectué par un médecin, choisi par elle, qui connaît le but visé par l'examen. Supposons que le médecin, sans faire attention et à tort, diagnostique une incapacité et que le pilote est congédié. Celui-ci se verrait-il privé d'une cause d'action contre le médecin à cause d'une règle juridique? Je ne le crois pas. Cependant le préjudice subi par le pilote serait un préjudice financier résultant de l'intervention négligente du médecin dans les rapports contractuels existant entre le pilote et la compagnie aérienne. Je m'abstiens de répondre à la question de savoir quelle différence cela ferait, selon le cas, si le médecin était un employé salarié de la compagnie aérienne.
Dans l'arrêt Maughan and Maughan v. Interna tional Harvester Company of Canada Limited (1980), 38 N.S.R. (2d) 101 (C.A.), malgré le rejet d'une action intentée contre un fabricant pour non-respect de la garantie sur des marchandises défectueuses à l'égard d'un usager qui les avait achetées d'un vendeur sans garantie expresse, la Cour d'appel de la Nouvelle-Ecosse était disposée à tenir le fabricant responsable envers l'usager du préjudice financier causé par sa négligence. Le juge en chef MacKeigan a, au nom de la Cour, interprété l'arrêt Rivtow Marine à la lumière des remarques faites par le juge Pigeon dans l'arrêt Agnew-Surpass et par le juge Dickson [tel était alors son titre] dans l'arrêt Haig et a dit la page 109):
[TRADUCTION] Je n'ai pas à faire un gros effort ... pour trouver des faits similaires à ceux de l'affaire Rivtow. Le juge Ritchie a rejeté l'idée d'une règle spéciale restreignant l'indem- nisation du préjudice financier dans les cas de négligence.
Dans l'affaire Yumerovski et al. v. Dani (1977), 18 O.R. (2d) 704 (C. Cté), conf. par (1979), 120 D.L.R. (3d) 768 (C.A. Ont.), dans laquelle un agent de voyages qui conduisait des membres d'une même famille à leur avion nolisé avait, par sa conduite négligente, causé la mort de l'un des passagers, accident ayant amené les autres mem- bres de la famille du défunt à renoncer au voyage, ceux-ci avaient poursuivi afin de recouvrer le prix des billets, et le juge de première instance avait autorisé l'indemnisation en appliquant l'arrêt Caltex. En appel, le juge en chef adjoint MacKin- non a déclaré brièvement au nom de la Cour d'appel de l'Ontario la page 768):
[TRADUCTION] En raison du lien spécial établi entre les parties par l'engagement du défendeur, dans le cadre des mesures visant à inciter les demandeurs à acheter les billets de
lui, de conduire à l'aéroport un ou plusieurs des membres de ce groupe familial limité et étroitement lié, et pour les motifs donnés par le juge de première instance, l'appel est rejeté avec dépens.
Il y a un certain nombre d'autres affaires dans lesquelles des tribunaux inférieurs ont accordé une indemnisation pour préjudice financier en l'ab- sence de dommages matériels: University of Regina v. Pettick et al. (1986), 51 Sask. R. 270 (B.R.); Dominion Tape of Canada Ltd. v. L. R. McDonald & Sons Ltd. et al., [1971] 3 O.R. 627 (C. cté); Smith et al. v. Melancon, [1976] 4 W.W.R. 9 (C.S.C.-B.); MacMillan Bloedel Ltd. v. Foundation Company of Canada Ltd. (1977), 75 D.L.R. (3d) 294 (C.S.C.-B.); Trappa Holdings Ltd. v. District of Surrey et al. (1978), 95 D.L.R. (3d) 107 (C.S.C.-B.); Gold v. The DeHavilland Aircraft of Can. Ltd., [1983] 6 W.W.R. 229 (C.S.C.-B.).
IV
À mon avis, cette revue du droit mène à la conclusion qu'au Canada il n'existe apparemment pas de règle absolue qui empêche l'indemnisation du préjudice purement financier même lorsqu'il n'y a pas de dommages matériels causés aux biens du demandeur. C'est, me semble-t-il, la seule con clusion possible à tirer des arrêts Rivtow Marine, Agnew-Surpass, Haig et Baird 10 .
Ce sur quoi les tribunaux ont insisté à plusieurs reprises depuis Hedley Byrne pour ce qui concerne la responsabilité, c'est qu'il doit y avoir un lien spécial ou suffisamment étroit entre le demandeur et le défendeur: [TRADUCTION] un «lien suffisam- ment étroit» (le juge Stephen dans l'arrêt Caltex et le juge Estey dans l'arrêt B.D.C.); «lien étroit» (lord Roskill dans l'arrêt Junior Books); un «préju- dice ... pas trop éloigné» (lord Denning, maître des rôles, dans l'arrêt Spartan Steel & Alloys Ltd.
10 Ce semblerait être également le cas sous l'empire du Code civil du Québec. Dans «Civil Law and Pure Economic Loss: What Are We Missing?» (1987), 12 Can. Bus. L.J. 295, à la p. 309, Daniel Jutras écrit que [TRADUCTION] «il existe certains éléments de preuve selon lesquels ni le Québec ni la France n'ont de règle qui interdise de facto l'indemnisation du préju- dice purement financier». Voir également la critique du rapport contractuel, du point de vue du droit comparé, dans B. S. Markesinis, «An Expanding Tort Law—The Price of a Rigid Contract Law» (19871. 103 7..2 Rvv_ 354_
v. Martin & Co. (Contractors) Ltd., [1973] Q.B. 27 (C.A.), à la page 37, que cite le juge Ritchie dans l'arrêt Rivtow Marine". Je crois que les arrêts indiquent donc, sans que ce soit de façon patente, qu'il doit exister un lien suffisamment étroit, en plus du principe général de prévisibilité raisonnable, pour qu'il y ait responsabilité en cas de préjudice purement financier.
La difficulté qui peut se poser sur le plan con- ceptuel avec le principe du lien suffisamment étroit est qu'il peut engendrer de la confusion entre les deux propositions présentées par lord Wilberforce dans l'arrêt Anns, comme ce serait le cas dans l'arrêt B.D.C. La première proposition de l'arrêt Anns la page 751] provient directement de l'arrêt Donoghue v. Stevenson: «il faut se deman- der s'il existe entre l'auteur présumé de la faute et la personne qui a subi le préjudice, un lien suffi- samment étroit».
Toutefois, il n'est pas nécessaire, comme je le perçois, que la deuxième proposition de lord Wil- berforce soit tout à fait distincte de sa première proposition. La question de savoir «s'il existe des considérations qui pourraient restreindre ou limiter la portée de cette obligation, la catégorie de per- sonnes à qui cette obligation bénéficie ou les dom- mages qui peuvent être causés par l'inexécution de cette obligation, ou faire conclure à l'inexistence
" Lord Denning utilise une expression similaire [TRADUC- TION] «trop éloigné pour être recouvré à titre de dommages- intérêts» dans l'arrêt S.C.M. (United Kingdom) Ltd. v. W. J. Whittall and Son Ltd., [1971] 1 Q.B. 337 (C.A.), aux p. 344 et 345. Il présente alors ce résumé la p. 346):
[TRADUCTION] En voyant ces cas exceptionnels, vous pouvez bien vous demander: Comment pouvons-nous dire quand le préjudice financier est trop éloigné ou non? est la ligne de démarcation? Les avocats posent continuellement cette question. Mais les juges ne sont jamais mis en déroute par elle. Peut-être ne pouvons-nous pas tracer cette frontière avec précision, mais nous pouvons toujours dire de quel côté tombe un cas particulier. La même question pourrait se poser dans le cas des délinquants qui s'évadent. Si leurs surveillants sont négligents et qu'ils s'évadent et causent des dommages, le ministère de l'Intérieur est responsable envers les person- nes des environs, mais pas envers celles qui demeurent au loin. Où, encore une fois, doit-on tracer la ligne de démarca- tion? Seulement où, «dans le cas particulier, le bon sens du juge le décide». C'est ce que dit lord Wright dans le cas d'un choc nerveux dans l'arrêt Bourhill v. Young [1943] A.C. 93, à la p. 110; et je ne crois pas que nous puissions aller plus près que cela. Mais, en constituant une jurisprudence, nous donnerons aux praticiens des règles de conduite suffisantes pour tous les cas ordinaires qui se présentent.
de l'obligation, de la catégorie de personnes ou de l'obligation de dédommager» la page 752] n'est peut-être pas tant une question distincte qu'une réflexion ou un approfondissement de la réponse à la première question. Elle peut mener à une néga- tion de la première, mais pour des raisons qui peuvent être inhérentes et déjà contenues dans la réponse à la première question, même si elle est affirmative—parce qu'elle n'est pas assez affirma tive, pour ainsi dire.
Même lorsque la deuxième question semble être tout à fait distincte, les considérations négatives qu'elle soulève se ramènent réellement toutes au soin d'éviter une responsabilité «indéterminée», c'est-à-dire à la nécessité d'astreindre toute res- ponsabilité à quelque chose de déterminé. On peut, me semble-t-il, penser que cette deuxième question se mesure au degré d'étroitesse du lien dont il est question dans la première réponse. En d'autres mots, bien que la première question envisage le fait que les parties soient des proches, la deuxième impose qu'elles soient des proches immédiats. Dans un sens, on pourrait dire que la première réponse répond aux deux questions, même si, à mon avis, il est préférable que celles-ci soient posées séparément.
Dans l'arrêt Spartan Steel, précité, à la page 36, lord Denning préfère énoncer la solution concer- nant la responsabilité à l'égard du préjudice finan cier sous la forme d'une décision fondée sur une simple ligne de conduite:
[TRADUCTION] Au fond, je crois que la question du recou- vrement de la perte économique oblige à définir une ligne de conduite. Lorsque les tribunaux délimitent les bornes du devoir, ils établissent un principe visant à cerner la responsabilité de la défenderesse. Lorsqu'ils délimitent le montant des dommages recouvrables—les classant comme directs ou indirects—ils don- nent une ligne de conduite permettant de déterminer la respon- sabilité de la défenderesse.
Ma propre démarche consiste à tenir compte du principe plutôt que de la ligne de conduite, et ainsi à considérer le jugement requis en matière de responsabilité quant au préjudice purement finan cier non pas comme une décision fondée sur une simple ligne de conduite mais comme la perception d'un lien suffisamment étroit, c'est-à-dire en fonc- tion du degré de détermination mesurable. Dans La responsabilité civile délictuelle, 4e éd., à la page 476, le juge Linden laisse entendre qu'on peut résoudre la question en identifiant les catégo- ries de préjudice:
... il faudra classer par catégories les affaires de préjudice financier, tout comme dans le domaine plus général de l'éloi- gnement on a groupé les situations les plus fréquentes. Des formules de limitation précises pourront être adoptées pour régler, au sein de chaque catégorie, les problèmes particuliers de l'étalement de la perte ou des cas inclassables. La nécessité d'assurer la réparation, la dissuasion, l'éducation et l'effet dissuasif des forces du marché, devra être analysée dans chaque contexte, que ce soit la responsabilité du fabricant, les déclara- tions inexactes faites avec négligence, les services publics, l'Ad- ministration et ainsi de suite.
Sans aucun doute, le contexte est très important pour l'analyse de la responsabilité éventuelle.
La meilleure déclaration que j'ai trouvée sur ce que je crois être le principe applicable, c'est-à-dire le principe du lien étroit, émane du juge Deane de la Haute Cour de l'Australie dans l'arrêt Suther- land Shire Council y Heyman (1985), 60 ALR 1, aux pages 55 et 56:
[TRADUCTION] L'existence nécessaire d'un lien étroit con- cerne le rapport entre les parties dans la mesure il a trait à l'acte ou à l'omission prétendument négligente du défendeur et au préjudice ou au dommage subi par le demandeur. Elle implique la notion d'étroitesse du lien et comprend la proximité physique (dans l'espace et le temps) entre la personne ou les biens du demandeur et la personne ou les biens du défendeur, un lien étroit circonstanciel comme des rapports prépondérants entre employeur et employé ou entre un professionnel et son client et ce qui peut (peut-être pas strictement) être mentionné comme un lien étroit de causalité au sens d'étroitesse de la relation de cause à effet entre l'acte ou le comportement particulier et le préjudice ou dommage subi. Cela peut refléter une assumation par l'une des parties de la responsabilité de prendre soin d'éviter ou de prévenir le dommage ou le préjudice à la personne ou aux biens d'une autre ou la croyance de l'une des parties qu'une telle prudence sera montrée par l'autre dans des cas l'autre partie était ou aurait être au courant de cette croyance. La nature et l'importance relative des facteurs qui sont déterminants pour une question de lien étroit sont susceptibles de varier dans les diverses catégories d'affaires. Cela ne veut pas dire qu'on peut trancher la question en se reportant aux notions particulières de justice ou de morale ou que c'est une façon appropriée de traiter la nécessité d'un lien étroit comme une question de fait qui se résoudrait simplement en se reportant au rapport existant entre le demandeur et le défendeur dans les circonstances particulières. L'existence nécessaire d'un lien étroit sert de pierre de touche pour recon- naître les catégories d'affaires dans lesquelles la common law statuera qu'une partie bénéficiera d'une obligation de prudence. Étant donné les circonstances générales d'une affaire dans un domaine nouveau ou en pleine évolution du droit relatif à la négligence, la question de savoir si une ou des combinaisons de facteurs, le cas échéant, satisferont à la nécessité de l'existence d'un lien étroit est une question de droit qui doit être tranchée en recourant aux processus de raisonnement, d'induction et de déduction sur le plan juridique. Par ailleurs, l'identification du contenu de cette nécessité dans un tel domaine ne doit pas être séparée en apparence ou effectivement des notions de ce qui est ajuste et raisonnable»...
Je serais d'accord pour dire que le lien étroit requis peut consister en différentes formes de proximi-
physique, circonstancielle, causale, assumée— et que «l'existence nécessaire d'un lien étroit sert de pierre de touche pour reconnaître les catégories d'affaires dans lesquelles la common law statuera qu'une partie bénéficiera d'une obligation de prudence.»
Selon ce que j'ai pu observer, les tribunaux trouveront toujours un lien suffisamment étroit lorsqu'il y a un danger physique à l'égard des biens du demandeur. De fait, je crois qu'on pourrait dire que cela a le statut d'une présomption. Mais en l'absence de dommages matériels, il n'y a pas de présomption à mon avis mais plutôt neutralité quant aux conclusions possibles. Néanmoins, d'au- tres facteurs peuvent amener à conclure à l'exis- tence d'un lien étroit.
Ce qu'il faut toujours éviter, c'est la responsabi- lité pour un montant indéterminé pour une période indéterminée envers une catégorie indéterminée. Comme le dit Michael A. Jones dans Note [«Eco- nomic Loss —A Return to Pragmatism»] (1986), 102 L.Q. Rev. 13, à la page 15: [TRADUCTION] «Les affaires dans lesquelles les tribunaux ont accordé l'indemnisation du préjudice financier concernaient toutes des situations dans lesquelles on pouvait examiner la responsabilité possible du défendeur.» Autrement, ainsi qu'il a été dit dans la dernière trilogie de la Chambre des lords, il peut en résulter un manque fatal de certitude en droit. Mais la certitude en soi, sans une idée directrice de la justice, mènerait à un cul-de-sac. Le droit exige une certaine perception de la justice pour exister, même lorsqu'il exige une certaine canalisation de la justice pour survivre.
Je pourrais ajouter que les récentes décisions de la Chambre des lords en particulier laisseraient fermement entendre que, lorsque la responsabilité délictuelle semble être une façon de contourner les limites du droit contractuel, on peut dire qu'il y a une présomption contre toute responsabilité délic- tuelle. Cette opinion est, toutefois, exprimée de façon plus modérée par la Cour suprême dans l'arrêt Central Trust, et de toute façon elle ne se rapporte pas à l'affaire en litige.
Après cet exposé de principe, je peux mainte- nant passer à l'affaire en cause.
V
Le juge Addy a fondé sa décision quant à la responsabilité sur trois motifs: (1) le capitaine du remorqueur était précisément au courant que le CN était une partie susceptible de subir des dom- mages à la suite de sa négligence au point qu'il croyait que le pont appartenait au CN; (2) la nature précise du préjudice financier à l'égard du CN était effectivement connue de l'auteur de la faute, étant donné que des accidents survenus au pont antérieurement avaient entraîné précisément les mêmes conséquences; (3) les biens du CN (les rails situés des deux côtés du fleuve Fraser) ne sont pas seulement en rapport étroit avec le pont mais ces biens situés sur les bords du cours d'eau ne peuvent pas être utilisés adéquatement sans le lien essentiel que constitue le pont, qui fait partie intégrante de son système ferroviaire. En liaison avec le troisième motif, il y a le rôle que joue le CN en fournissant des matériaux et des services d'inspection et de consultation pour le pont, ainsi que l'utilisation prépondérante du pont par le CN, fait qui est admis même dans les négociations périodiques en vue de la fermeture pour l'entretien habituel. Le juge de première instance a également conclu que le préjudice financier réclamé n'était pas disproportionné vis-à-vis des dommages maté- riels causés au pont.
Selon moi, il n'était pas nécessaire que les appe- lants soient vraiment au courant du préjudice, comme l'a conclu le juge de première instance, pour qu'il y ait responsabilité; tout ce qui était requis à cet égard, c'était la prévisibilité raisonna- ble. Quant au principe de l'existence d'un lien suffisamment étroit, j'estime qu'il est atteint grâce au troisième motif notamment. De fait, le juge de première instance a conclu que le CN était assi- milé de si près à TPC qu'il était vraiment dans le champ raisonnable de risque des appelants au moment de l'accident. Cela constitue, me semble- t-il, un lien suffisamment étroit: pour utiliser les mots du juge Deane, c'est un lien étroit à la fois matériel et circonstanciel.
À la lumière du droit ainsi que je le comprends, je ne vois aucune erreur dans la conclusion du juge de première instance. Il s'agit d'une situation unique, unique même pour le CN parmi les trois compagnies ferroviaires. Je crois que le juge Addy a interprété et appliqué correctement le droit tel qu'il s'applique au Canada.
Je rejetterais donc l'appel avec dépens.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris aux pré- sents motifs.
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