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A-352-90
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Patrick LeBlanc (intimé)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) C. LEBLANC (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Desjardins, J.C.A.—Toronto, 14 décembre 1990; Ottawa, 7 janvier 1991.
Assurance-chômage Recours en contrôle judiciaire contre la décision du juge-arbitre selon laquelle la paye de vacances accumulée pendant la période d'emploi et versée lors de la mise à pied était détenue en fiducie et ne valait pas «rémunération» au sens de l'art. 57(2)a) du Règlement sur l'assurance-chômage Selon la loi dite Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse, l'employeur est réputé détenir la paye de vacances en fiducie La paye de vacances était gardée dans le compte bancaire général de l'employeur L'employé n'y avait pas droit à titre de propriétaire véritable pendant que l'argent était détenu par l'employeur Demande accueillie.
Fiducie La paye de vacances accumulée pendant la période d'emploi et versée lors de la mise à pied constitue la «rémunération» au sens de l'art. 57(2)a) du Règlement sur l'assurance-chômage La paye de vacances était confondue avec les fonds propres de l'employeur dans son compte ban- caire général Le juge-arbitre a commis une erreur en concluant que la paye de vacances était détenue en fiducie par l'employeur La loi dite Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse, selon laquelle l'employeur est réputé détenir l'argent en fiducie, ne permet pas de voir dans la paye de vacances une épargne puisqu'elle n'était pas détenue dans un compte distinct Ni la doctrine de la fiducie par interpréta- tion ni celle de la fiducie par déduction ne s'applique en l'espèce puisque l'argent n'était plus sous la garde de l'employeur.
Recours en contrôle judiciaire contre la décision du juge- arbitre selon laquelle la paye de vacances, accumulée au cours d'une période d'emploi et versée lors de la mise à pied, avait été détenue en fiducie pour le compte de LeBlanc et ne valait pas «rémunération» au sens de l'alinéa 57(2)a) du Règlement sur l'assurance-chômage. La convention collective prévoyait que la paye de vacances accumulée durant chaque période de paye serait retenue par l'employeur et ne serait versée à l'employé qu'en cas de congé ou de mise à pied. Selon la loi dite Labour Standards Code de la Nouvelle-Ecosse, l'employeur est réputé détenir en fiducie la paye de vacances. Cette paye de vacances n'était cependant pas gardée dans une fiducie à part, mais était confondue avec les fonds propres de l'employeur dans son compte bancaire général. Le juge-arbitre a conclu que l'affaire en instance était soumise à l'application de la décision Canada (Procureur général) c. Whelan, il a été jugé que la paye de vacances avait été déposée dans un compte au profit de l'em- ployé et qu'elle était assujettie aux dispositions portant pré- somption de fiducie de la loi ontarienne applicable. Il échet
d'examiner si le juge-arbitre a commis une erreur en concluant que la paye de vacances avait été détenue en fiducie. Le requérant soutient que, pour que la paye de vacances puisse être assimilée à une épargne, elle devait être sous la garde d'un fiduciaire en exécution d'une fiducie expresse au bénéfice de l'employé, ou à tout le moins qu'elle devait être mise de côté par l'employeur dans un compte séparé et assujettie à la loi provinciale portant présomption de fiducie. LeBlanc soutient que la paye de vacances constituait une épargne parce qu'il y avait droit à titre de propriétaire véritable au moment elle fut gagnée, ou qu'elle était détenue en fiducie conformément à la loi provinciale, ou encore qu'il y avait fiducie par interpréta- tion ou par déduction.
Arrêt: la demande doit être accueillie.
La paye de vacances valait «rémunération» au sens de l'alinéa 57(2)a) du Règlement sur l'assurance-chômage.
La jurisprudence Whelan ne s'étend pas aux cas où, comme en l'espèce, la paye de vacances est détenue par l'employeur dans son propre compte. Dans deux décisions récentes, la Cour d'appel fédérale a jugé que les fonds devaient être gardés séparément et conservés hors du contrôle de l'employeur.
LeBlanc n'y avait pas droit à titre de propriétaire véritable pendant que l'argent était détenu par l'employeur. En common law, une personne a droit à titre de propriétaire véritable à un bien si elle peut agir en justice pour le recouvrer. Pendant tout le temps elle était détenue par l'employeur, la paye de vacances échappait à la volonté de LeBlanc; il n'y avait droit que conformément à la convention collective. Il n'avait pas le droit d'agir en justice pour la recouvrer.
Les dispositions portant présomption de fiducie de la loi de la Nouvelle-Ecosse ne permettent pas de voir dans cette paye de vacances une épargne puisqu'elle avait été confondue avec les fonds propres de l'employeur. L'identifiabilité pose un problème difficile en matière de fiducie en raison de l'impératif de certitude de l'objet. S'il s'était produit un solde débiteur dans le compte bancaire durant cette période, la paye de vacances elle-même aurait tout bonnement disparu. L'argent versé comme paye de vacances n'était pas détenu à ce titre dans le compte bancaire de l'employeur pendant la période en cause.
Il n'y avait pas non plus fiducie par interprétation. Au coeur de la doctrine de la fiducie par interprétation est la prévention de l'enrichissement sans cause. L'employeur n'a pas tiré profit d'un manquement à ses obligations relatives à la paye de vacances. Il n'a pas gardé par-devers lui l'argent qu'il était tenu de verser.
La doctrine de la fiducie par déduction veut que le bien revienne au constituant. Elle ne s'applique pas en l'espèce puisque l'argent n'était plus sous la garde de l'employeur.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur les normes d'emploi, L.R.O., 1980, chap. 137, art. 15.
Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10, art.
34(1) (mod. par S.N.S. 1975, chap. 50, art. 2). Règlement sur l'assurance-chômage, C.R.C., chap. 1576,
art. 57(2)a) (mod. par DORS/88-277, art. 7).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
MacKeen Estate v. Nova Scotia (1978), 28 N.S.R. (2d) 3; 89 D.L.R. (3d) 426; 43 A.P.R. 3; [1978] CTC 557; 2 E.T.R. 264 (C.A.); In re Miller's Agreement, [1947] Ch. 615; Montreal Trust Company et al. v. The Minister of National Revenue, [1958] R.C.S 146; (1958), 12 D.L.R. (2d) 226; [1958] C.T.C. 60; 58 DTC 1051; Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834; Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436; (1978), 83 D.L.R. (3d) 289; [1978] 2 W.W.R. 101; 1 E.T.R. 307; 1 R.F.L. (2d) 1; Canada (Procureur général) c. Nield, A-46-90, C.A.F., juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 21-9-90, encore inédit; Canada (Procureur général) c. Haycock, A-47-90, C.A.F., juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 21-9-90, encore inédit.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Canada (Procureur général) c. Whelan, A-756-88, C.A.F., juge Marceau, J.C.A., jugement en date du 9-6-89, non publié; Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24; (1989), 59 D.L.R. (4th) 726; [1989] 5 W.W.R. 577; 38 B.C.L.R. (2d) 145; 75 C.B.R. (N.S.) 1; 97 N.R. 61; 2 T.C.T. 4263; [1989] 1 T.S.T. 2164.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Bryden c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [1982] 1 R.C.S. 443; (1982), 133 D.L.R. (3d) 1; 82 CLLC 14,175; 41 N.R. 180; Vennari c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1987] 3 C.F. 129; (1987), 76 N.S.R. (2d) 147; 36 D.L.R. (4th) 614; 87 CLLC 14,018 (C.A.); Giroux c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 1 C.F. 279; (1988), 88 CLLC 14,032; 86 N.R. 147 (C.A.); Ryder c. Commission, CUB 15322, en date du 16-5-88, juge Strayer.
DOCTRINE
Underhill, Arthur Law Relating to Trusts and Trustees, 4th ed. by David J. Hayton, London; Butterworths & Co. (Publishers) Ltd. 1987.
Waters, D. W. M. Law of Trusts in Canada, 2nd ed., Toronto: Carswell Co. Ltd., 1984.
AVOCATS:
Neelam Jolly pour le requérant. Paula Turtle pour l'intimé.
PROCUREURS
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Métallurgistes Unis d'Amérique, Toronto, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Cette cause s'inscrit dans la suite d'affaires les juges-arbitres ont été saisis de la question de savoir si la paye de vacan- ces, accumulée au crédit de l'employé au cours d'une période d'emploi et à lui versée à la cessation d'emploi ou lors d'une mise à pied, vaut «rémuné- ration» au sens de l'alinéa 57(2)a) du Règlement sur l'assurance-chômage [C.R.C., chap. 1576 (mod. par DORS/88-277, art. 7)], que voici:
57....
(2) Sous réserve du présent article, la rémunération dont il faut tenir compte pour déterminer s'il y a eu un arrêt de rémunération, pour déterminer le montant à déduire des presta- tions payables en vertu des paragraphes 26(1) ou (2), 29(4), 30(5), 32(3), 32.1(4) ou 32.2(4) de la Loi, et pour l'application des articles 51 et 52 de la Loi comprend:
a) le revenu intégral du prestataire provenant de tout emploi;
LES FAITS DE LA CAUSE
M. LeBlanc était employé chez Pictou Indus tries Limited à Pictou (Nouvelle-Écosse) jusqu'au 4 décembre 1987, date à laquelle il fut mis à pied. Après avoir demandé et reçu des prestations d'as- surance-chômage, il a reçu sa paye de vacances, considérée par la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada comme «rémunération» pour les semaines du 24 janvier (530 $), du 31 janvier (530 $) et du 7 février 1988 (343 $), ce qui se traduit par un versement excédentaire de pres- tations de 626 $'. Un conseil arbitral conclut que la paye de vacances représentait la «rémunération», mais sa décision fut infirmée le 11 avril 1990 en appel devant un juge-arbitre. C'est cette dernière décision qui fait l'objet de ce recours en contrôle judiciaire.
La cause en instance a été choisie à titre de jurisprudence décisoire. De nombreux collègues de M. LeBlanc, mis à pied en même temps que ce dernier, ont demandé et reçu des prestations d'as- surance-chômage, puis ont reçu une paye de vacances que la Commission assimilait à la «rémunération».
' Dossier, vol. 1, p. 13. Les semaines visées ont été changées par la suite pour commencer respectivement les 17, 24 et 31 janvier 1988.
La convention collective conclue entre le syndi- cat de M. LeBlanc et son employeur, tout comme les lois de la Nouvelle-Écosse, contient des disposi tions qui éclairent la cause en instance. L'article 21 de cette convention collective prévoit ce qui suit en matière de «congé payé»:
[TRADUCTION] 21.01 Tous les employés recevront quatre (4) pour cent de leur rémunération totale de l'année civile précé- dente, telle qu'elle apparaît dans les livres de la compagnie et sur l'état T4.
21.14 Si l'employé choisit de prendre son congé en janvier à cause de sa mise à pied durant ce mois, la compagnie fera les efforts raisonnables pour lui verser la paye de vacances au commencement du congé, à condition que l'employé le lui notifie au moins dix (10) jours à l'avance.
21.18 À la, fin de chaque période de paye, la paye de vacances accumulée durant cette période sera affectée à la paye de chaque employé et indiquée sur sa feuille de paye. Cependant, cette paye de vacances (en sus des retenues obligatoires) sera retenue par la compagnie qui ne la versera à l'employé qu'au moment celui-ci prendra effectivement son congé au cours de l'année civile suivante 2 .
Les lois de la Nouvelle-Écosse en vigueur au moment des faits prévoyaient que l'employeur était réputé détenir en fiducie la paye de vacances. Cette disposition figurait au paragraphe 34(1) de la loi dite Labour Standards Code, S.N.S. 1972, chap. 10, modifiée par S.N.S. 1975, chap. 50, article 2 3 , comme suit:
[TRADUCTION] 34. (1) Tout employeur est réputé détenir en fiducie la paye de vacances accumulée au crédit de chaque employé, pour la verser selon les modalités et au moment prévus par la présente Loi et les règlements pris pour son application, laquelle indemnité est une obligation grevant les biens ou le patrimoine de l'employeur sous sa garde ou sous celle d'un fiduciaire et a préséance sur toutes autres créances.
Le Conseil arbitral a constaté que la paye de vacances n'était pas gardée dans une fiducie à part, ni même gardée séparément des fonds pro- pres de l'employeur. Voici ce qu'on peut lire dans sa décision à ce sujet:
[TRADUCTION] La convention collective conclue entre Pictou Industries et la section locale 4702, Métallurgistes Unis d'Amérique, ne fait nulle mention d'une fiducie. En fait, selon
2 Convention collective entre Pictou Industries Limited et le syndicat des Métallurgistes Unis d'Amérique, section locale 4702, en vigueur du 7 juillet 1986 au 31 mars 1988 (Dossier, vol. 1, p. 15 et suiv.).
3 Devenu depuis lors le paragraphe 36(1) de R.S.N.S. 1989, chap. 246.
la pièce 6-17, elle stipule notamment ce qui suit (art. 21.18): «Cependant, cette paye de vacances (en sus des retenues obliga- toires) sera retenue par la compagnie qui ne la versera à l'employé qu'au moment celui-ci prendra effectivement son congé au cours de l'année civile suivante». Par la pièce 10, l'agent de l'assurance-chômage a rapporté les propos suivants de M. Smith, représentant de la compagnie: «L'argent est versé chaque semaine et les retenues faites chaque semaine. L'argent est déposé dans le compte général de la compagnie et est administré par elle».... La sympathie du conseil arbitral va à Patrick LeBlanc, mais la compagnie retenait la paye de vacan- ces et la déposait dans son compte général, non pas dans une fiducie'.
Il appert que les «retenues obligatoires» étaient faites au titre de l'impôt sur le revenu et des primes d'assurance-chômage.
LA DÉCISION DU JUGE-ARBITTRE
Le juge-arbitre a conclu que l'affaire en instance était soumise à l'application de la décision de cette Cour dans Canada (Procureur général) c. Whelan (numéro du greffe: A-756-88, arrêt rendu le 9 juin 1989, non publié). Dans l'affaire citée, la paye de vacances n'était pas entre les mains d'un fiduciaire par suite d'une fiducie expresse, mais avait été «déposée dans un compte» 5 . Elle était assujettie aux dispositions portant présomption de fiducie de l'article 15 de la Loi sur les normes d'emploi, L.R.O. 1980, chap. 137 6 , lesquelles sont sembla- bles à certains égards à celles de la loi dite Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse, citées plus haut. Dans la décision attaquée, le juge-arbitre a tiré cette conclusion (aux pages 8 et 9):
[TRADUCTION] Outre cette disposition déterminative, il se trouve qu'en l'espèce, l'employeur a affecté à chaque employé, à la fin de chaque période de paye et défalcation faite de l'impôt sur le revenu et des primes d'assurance-chômage, l'ar- gent qui revenait à cet employé à titre de paye de vacances pour cette période et que l'employeur gardait ensuite (Tel n'était pas le cas de l'affaire CUB 15322, citée par l'avocat et notée par la Cour d'appel fédérale dans Whelan.). À mon avis, les condi tions essentielles définies par l'arrêt Whelan sont réunies en
° Dossier, vol. 2, aux p. 129 et 130.
Le témoignage en ce sens d'un représentant de l'employeur était cité en p. 2 de la décision du juge-arbitre dans cette affaire (CUB 15360).
6 L'art. 15 porte:
15. L'Employeur est réputé détenir en fiducie à l'égard d'un employé l'indemnité de vacances accumulée qui lui est due, que cette somme ait été ou non effectivement gardée séparée et distincte par l'employeur. L'indemnité de vacances constitue un privilège sur les biens de l'employeur qui, dans le cours normal des affaires, figurerait dans les livres de comptes, qu'elle y figure ou non.
l'espèce. Bien que selon la convention collective, cet argent ne fût versé qu'au moment l'employé prenait son congé, ce fait ne signifie pas en soi que l'argent était détenu ou non pour le compte de l'employé. ( Giroux, précité, à la page 292.).
Une autre question mérite notre attention. L'avocat de la Commission rappelle que la nature du compte dans lequel l'employeur déposait la paye de vacances n'était pas spécifiée. Il entendait par que cet argent n'était pas détenu séparément dans un compte ouvert à cet effet et, partant, ne pouvait pas être considéré comme étant détenu en fiducie puisqu'il était confondu dans le compte général de l'employeur. L'avocate du prestataire fait valoir qu'en l'espèce, la nature du compte n'a aucun rapport avec la question de savoir s'il y a fiducie. J'en conviens.
À mon avis, que cet argent fût détenu ou non dans un compte séparé, expressément ouvert à cet effet, ne détermine pas nécessairement la question de savoir si la fiducie existe. Bien qu'un compte séparé soit préférable et permette de prouver l'existence d'une fiducie, il me semble que ce qui est important, c'est que la qualité de propriétaire véritable de l'employé soit identifiable et distincte. Cette condition se réalise peut-être le mieux au moyen d'un compte séparé. Cependant, la qualité de propriétaire véritable du prestataire est établie par la fiducie légale, dont le quantum est identifié par les talons de ses chèques de paye ou par les feuilles de paye de l'employeur.
LE POINT LITIGIEUX
Il échet d'examiner si le juge-arbitre a commis une erreur en décidant que la paye de vacances était détenue en fiducie pour le compte de M. LeBlanc, depuis le moment elle était mise de côté jusqu'au moment il la reçut, le 5 janvier 1988.
LA THÈSE DU REQUÉRANT
Le requérant soutient que le juge-arbitre a commis une erreur en concluant que la paye de vacances de M. LeBlanc ne faisait pas partie de sa «rémunération», et que, pour qu'il en fût ainsi, cette indemnité devait être sous la garde d'un fiduciaire en exécution d'une fiducie expresse au bénéfice de l'employé: voir Bryden c. Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada, [ 1982] 1 R.C.S. 443; Vennari c. Canada (Com- mission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1987] 3 C.F. 129 (C.A.); Giroux c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigra- tion du Canada), [1989] 1 C.F. 279 (C.A.) 7 ; ou, à
' Le fait que l'intérêt couru de la paye de vacances, pendant la période elle est détenue, doit être, à terme, versé à l'employé signifie que le principal est détenu au bénéfice de cet employé, voir Giroux, motifs du juge Pratte, à la p. 292. En l'espèce, le dossier ne fait état d'aucune accumulation d'intérêt ni n'indique s'il y a intérêt couru.
tout le moins, qu'elle devait être mise de côté par l'employeur dans un compte séparé, défalcation faite de l'impôt sur le revenu et des primes d'assu- rance-chômage, et être assujettie aux dispositions de la loi provinciale portant présomption de fidu- cie: voir Whelan, précité s.
On a essayé en vain d'étendre la jurisprudence Whelan aux cas la paye de vacances était détenue par l'employeur dans son propre compte. Les causes Canada (Procureur général) c. Nield (numéro du greffe: A-46-90) et Canada (Procu- reur général) c. Haycock (numéro du greffe: A-47-90) ont été entendues le même jour et déci- dées à l'audience même, le 21 septembre 1990. Les points de fait et de droit étaient les mêmes dans les deux causes. L'employeur avait continué à retenir la paye de vacances, bien que ce ne fût pas dans un compte distinct, et l'article 15 de la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario était invoqué. La Cour était saisie dans l'une et l'autre affaires de la question de savoir si le juge-arbitre avait raison de voir dans la paye de vacances une épargne et non la «rémunération». En concluant que le juge-arbi- tre avait commis une erreur, le juge Marceau, rendant le jugement de la Cour, s'est prononcé en ces termes, aux pages 2 et 3 de l'arrêt Nield (et aussi de l'arrêt Haycock):
Nous sommes tous d'avis que le juge-arbitre a eu tort. L'arrêt Whelan n'appuyait pas la conclusion que la simple existence de la Loi de l'Ontario était suffisante, comme l'indi- que clairement la lecture attentive du passage le plus important de ce jugement qu'il a lui-même cité:
Il nous semble que cette conclusion s'explique clairement par la disposition déterminative de l'article 15 de la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario, L..R.O. 1980, chap. 137, outre le fait que l'employeur a effectivement mis l'argent de côté à chaque période de paye, après avoir déduit l'impôt sur le revenu et les primes d'assurance-chômage. À notre avis, cette combi- naison de facteurs était suffisante pour répondre aux exigences voulues telles qu'elles ont été établies par la Cour suprême dans l'important arrêt Bryden et réitérées devant cette Cour dans les décisions bien connues Vennari et Giroux pour que l'on considère qu'une indemnité de vacances perd, au moment d'être remise à l'employé, son caractère de rémunération pour acquérir celui d'épargne qui n'est pas visée par l'alinéa 57(2)a) du Règlement de l'assurance-chômage. [C'est moi qui souligne.]
Les dispositions déterminatives de la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario ne suffisent pas en elles-mêmes pour satisfaire aux exigences établies par la jurisprudence découlant de l'arrêt Bryden. Pour que la paye de vacances perde son
8 Cette approche a été adoptée par le juge Rouleau siégeant à titre du juge-arbitre dans Precepa, décision rendue le 22 juin 1990.
caractère normal de rémunération afin d'acquérir celui d'épar- gne, les sommes en question doivent effectivement être mises de côté à chaque période de paye après déduction de l'impôt sur le revenu ainsi que des primes d'assurance-chômage, puisque les sommes en question font partie de la rémunération de l'em- ployé; et par la suite elles doivent être gardées séparément et conservées hors du contrôle et des besoins de l'entreprise de l'employeur. Sans ces mesures, il serait impossible de prétendre qu'au moment lesdites sommes sont remises à l'employé, elles avaient déjà été payées et étaient tout simplement gardées et [TRADUCTION] «mises de côté» pour le compte de l'employé.
À mon avis, la décision de cette Cour dans Whelan ne s'applique pas en l'espèce. Il était constant dans l'affaire citée que l'employeur avait déposé la paye de vacances dans un compte au bénéfice de l'employé et que cette paye était régie par les dispositions portant présomption de fiducie de la loi ontarienne applicable. En l'espèce, la paye de vacances était confondue avec les fonds propres de l'employeur dans un compte bancaire général. À cet égard, les faits de la cause s'apparentent à ceux des causes Nield et Haycock, décidées après la date de la décision attaquée. Je conclus de ces deux causes que, tout comme en l'espèce, la paye de vacances n'était pas gardée séparément des fonds propres de l'employeur.
LA THÈSE DE L'INTIMÉ
M. LeBlanc demande à la Cour d'examiner la question d'un oeil nouveau, à la lumière de la jurisprudence récente et, en tout cas, d'instruire l'affaire sur une base juridique différente. Son avocate avance quatre arguments pour soutenir qu'il faut voir dans la paye de vacances dont s'agit une épargne et non pas la «rémunération». Les voici:
1. Il n'est pas nécessaire qu'une fiducie soit formel- lement instituée à cet effet pour que la paye de vacances soit considérée comme une épargne et non une «rémunération». Il suffit de démontrer que le prestataire avait droit à titre de propriétaire véritable à cette indemnité pendant tout le temps elle était détenue par l'employeur.
2. Subsidiairement, la paye de vacances constituait une épargne et non pas la «rémunération» parce que:
a) en droit et en fait, elle était détenue par l'employeur en fiducie;
b) elle était détenue par l'employeur dans une fiducie par interprétation; ou
c) elle était détenue par l'employeur dans une fiducie par déduction.
Droit de propriété véritable
Le premier argument avancé est que la paye de vacances ne doit pas être assimilée à la rémunéra- tion parce que, comme le fait valoir son avocate, M. LeBlanc avait «droit à titre de propriétaire véritable» à cet argent dès le moment il fut gagné et que, en conséquence, cette paye représen- tait une épargne. L'existence d'une fiducie, quelle qu'elle soit, n'est pas nécessaire. L'avocate de l'in- timé a cité à l'appui la décision Giroux susmen- tionnée, mais ce n'est pas dans ce sens que j'inter- prète cet arrêt. Dans celui-ci, la Cour concluait que la paye de vacances en cause était assujettie au principe établi par l'arrêt Bryden. Sous le régime du Décret de la construction [R.R.Q. 1981, chap. R-20] du Québec, les employeurs d'un secteur d'activité donné sont tenus de remettre la paye de vacances à l'Office de la construction du Québec, lequel est tenu à son tour de la verser aux employés concernés chaque année aux dates déter- minées. L'Office garde la paye de vacances exclu- sivement à cette fin. Je partage la conclusion tirée par le juge Strayer dans Ryder (CUB 15322), à la page 3, savoir que l'arrêt Giroux «a jugé qu'un décret peut créer un arrangement fiduciaire qui soit comparable à celui dont it s'agissait dans les affaires Bryden et Vennari et fasse de la paye de vacances des épargnes».
Je ne vois aucun magistère qui vienne confirmer l'assertion générale que M. LeBlanc avait droit à titre de propriétaire véritable à ces fonds pendant qu'ils étaient détenus par Pictou Industries Limi ted. C'est plutôt l'inverse qui est vrai. En common law, la notion de droit de propriété véritable semble avoir acquis un sens fort bien compris. Dans MacKeen Estate v. Nova Scotia (1978), 28 N.S.R. (2d) 3 (C.A.), à la page 11, le juge en chef MacKeigan de la Nouvelle-Ecosse a fait l'observa- tion suivante au sujet de l'acception moderne du «droit à titre de propriétaire véritable»:
[TRADUCTION] Dans l'acception moderne de cette notion, une personne «a droit à titre de propriétaire véritable» à un bien s'il en est le propriétaire réel ou bénéficiaire, lors même que ce bien est sous le nom de quelqu'un d'autre qui en est le propriétaire nominal. Le propriétaire nominal du bien, qu'il s'agisse d'un bien immeuble, d'un titre de créance ou d'un bien meuble, en est le propriétaire en common law. Le propriétaire véritable, c'est-à-dire la personne qui y a «droit à titre de propriétaire
véritable», peut exiger que le propriétaire nominal le laisse en avoir la jouissance, notamment en le laissant utiliser le bien ou en prendre possession, ou en lui versant le revenu qui en provient. Il peut normalement exiger que le propriétaire nomi nal convertisse le bien en une autre forme ou en transfère le titre à un autre propriétaire nominal. Surtout, il peut, sauf stipulations contraires d'une fiducie expresse, obliger le proprié- taire nominal à lui transférer le bien, ainsi que le titre y relatif, à lui, le propriétaire réel. Dans ce cas, il acquerra pleinement le bien en assumant la propriété à part entière et cessera d'y avoir simplement droit à titre de propriétaire véritable.
Dans In re Miller's Agreement, [1947] Ch. 615, le juge Wynn-Parry faisait observer, en page 625, qu'une personne pouvait être considérée comme ayant droit à titre de propriétaire véritable à un bien si elle [TRADUCTION] «a le droit d'agir en justice pour recouvrer ce bien». Cette vue a été adoptée avec une petite modification par le juge Rand dans Montreal Trust Company et al. v. The Minister of National Revenue, [1958] R.C.S 146, il a tiré cette conclusion, à la page 149:
[TRADUCTION] L'avocat des appelants, M. Marier, fait valoir que le critère formulé par le juge Wynn-Parry dans In Re Miller's Agreement; Uniacke v. Attorney General ([1947] 1 Ch. 615, [1947] 2 All E.R. 78) doit s'appliquer pour détermi- ner si un successeur en est venu à «avoir droit à titre de propriétaire véritable à un bien donné». Selon ce critère, il faut qu'il soit «constant qu'il (le successeur) a le droit d'agir en justice pour recouvrer ce bien». Si le terme «recouvrer» s'étend à l'affectation des deniers à votre propre bénéfice, et «agir en justice» au recours ultime en paiement, j'incline à l'accepter.
Il est manifeste, à mes yeux, que, pendant tout le temps elle était détenue par l'employeur, la paye de vacances échappait complètement à la volonté de M. LeBlanc; il n'avait droit au paie- ment que conformément aux dispositions de la convention collective. L'argent devait être gardé par l'employeur et versé à titre de paye de vacan- ces au moment prévu par la convention collective, non pas avant. En bref, M. LeBlanc n'avait pas le droit d'agir en justice pour recouvrer cet argent. Il s'ensuit qu'on ne saurait dire qu'il «avait droit à titre de propriétaire véritable» à l'argent de la paye de vacances au sens strict, bien que son droit y afférent ait évolué vers la propriété à part entière quand il le reçut. Examinons maintenant si l'ar- gent était détenu dans une fiducie telle qu'il a été transformé en épargne.
Fiducie par l'effet de la loi
Le deuxième argument est que la paye de vacan- ces en cause était, en fait et en droit, détenue en fiducie. Bien que je n'aie pas trouvé cet argument
concluant, je dois développer mes motifs de rejet. Comme je l'ai fait remarquer, les décisions Nield et Haycock de cette Cour ont tiré à ce sujet une conclusion à l'encontre de cet argument. Dans ces deux affaires comme en l'espèce, la convention collective prévoyait que la paye de vacances, déte- nue par l'employeur jusqu'au moment elle devait être versée à l'employé, était soumise à l'application des dispositions portant présomption de fiducie de l'article 15 de la Loi sur les normes d'emploi de l'Ontario. Ces dispositions étaient dif- férentes de celles de la loi dite Labour Standards Code de la Nouvelle-Écosse en ce que l'existence de la fiducie est présumée, que la somme «ait été ou non effectivement gardée séparée et distincte par l'employeur». Malgré ce libellé, la Cour a conclu que la paye de vacances gardait son carac- tère de «rémunération» au sens de l'alinéa 57(2)a) du Règlement sur l'assurance-chômage.
L'avocate représentant M. LeBlanc fait valoir que la question de l'identifiabilité des fonds de fiducie confus avec d'autres fonds ne se posait pas dans ces deux causes et que, en l'espèce, la paye de vacances pouvait être identifiée à tout moment malgré sa confusion avec les fonds propres de l'employeur dans le compte général.
De son côté, l'avocate représentant le requérant soutient que les décisions Nield et Haycock sont dans le droit fil de la décision de la Cour suprême Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24. Dans cette affaire, il s'agissait, entre autres, d'examiner si une taxe imposée en application de la loi dite Social Service Tax Act [R.S.B.C. 1979, chap. 388] de la Colom- bie-Britannique et perçue par un marchand qui a fait faillite par la suite constituait des «biens déte- nus par le failli en fiducie pour toute autre per- sonne» au sens de l'alinéa 47a) de la Loi sur la faillite [S.R.C. 1970, chap. B-3]. La loi fiscale de la province prévoyait un ensemble complet de dis positions visant la perception, la comptabilité et la remise de la taxe à la Couronne provinciale, notamment l'alinéa 18(1)a) qui prévoit que le percepteur est réputé [TRADUCTION] «détenir la taxe en fiducie pour le compte de Sa Majesté du chef de la province» et l'alinéa 18(1)b) qui prévoit que [TRADUCTION] «l'argent de la taxe perçue est réputé détenu séparément des deniers, biens et patrimoine du percepteur, que cet argent ait été ou
non gardé séparément». L'argent de la taxe perçue en application de ces dispositions était confondu avec les fonds propres du failli. Le séquestre nommé par la banque a vendu l'actif dont il a affecté intégralement le produit à la réduction de la dette du failli envers la banque, après quoi la Couronne provinciale a essayé de démontrer que cet argent était détenu au titre d'une fiducie légale et, de ce fait, protégé à titre de bien en «fiducie» au sens de l'alinéa 47a) de la Loi sur la faillite.
La Cour était divisée sur ce point. Par motifs dissidents, le juge Cory a tiré cette conclusion, à la page 46:
Rien n'interdit qu'une fiducie établie par la loi offre un avan- tage sur une fiducie établie par un particulier en reconnaissant l'existence d'une fiducie à l'égard des biens détenus par le fiduciaire sans que le bénéficiaire ait à engager l'action excessi- vement coûteuse en droit de suite sur les sommes confondues.
La Cour a cependant conclu que l'argent de la taxe n'était pas détenu en fiducie malgré le libellé des alinéas 18(1)a) et b). Rendant le jugement de la majorité, le juge McLachlin s'est prononcée en ces termes, aux pages 34 et 35:
J'examinerai maintenant l'art. 18 de la Social Service Tax Act et la nature des droits qu'il crée. Au moment de la perception de la taxe, il y a fiducie légale réputée. À ce moment-là, le bien en fiducie est identifiable et la fiducie répond aux exigences d'une fiducie établie en vertu des princi- pes généraux du droit. La difficulté que présente l'espèce, qui est la même que dans la plupart des autres cas, vient de ce que le bien en fiducie cesse bientôt d'être identifiable. Le montant de la taxe est confondu avec d'autres sommes que détient le marchand et immédiatement affecté à l'acquisition d'autres biens de sorte qu'il est impossible de le retracer. Dès lors, il n'existe plus de fiducie de common law. Pour obvier à ce problème, l'al. 18(1)b) prévoit que la taxe perçue sera réputée être détenue de manière séparée et distincte des deniers, de l'actif ou du patrimoine de celui qui l'a perçue. Mais, comme l'existence de la disposition déterminative le reconnaît tacite- ment, en réalité, après l'affectation de la somme, la fiducie légale ressemble peu à une fiducie véritable. Il n'y a pas de bien qu'on puisse considérer comme sujet à la fiducie. Aussi, pour cette raison, le par. 18(2) ajoute que la taxe impayée emporte un privilège sur la totalité des biens de celui qui l'a perçue, c'est-à-dire un droit tenant d'une créance garantie.
Si j'applique ces observations relatives à l'art. 18 de la Social Service Tax Act à l'interprétation des al. 47a) et 107(1)j) de la Loi sur la faillite que j'ai précédemment retenue, la réponse à la question de savoir si le droit que l'art. 18 confère à la province est une «fiducie» au sens de l'al. 47a) ou une «réclama- tion de la Couronne» au sens de l'al. 107(1)j) dépend des faits de l'espèce. Si la somme perçue pour fins de taxe peut être identifiée ou retracée, la situation correspond au sens ordinaire du mot «fiducie» et la somme est exclue, en raison de l'al. 47a), de la répartition des biens entre les créanciers. Par contre, si la somme a servi à acquérir d'autres biens et ne peut être retracée,
il n'y a pas de «biens détenus [ ... ] en fiducie» au sens de l'al. 47a). La province a une créance garantie seulement par un privilège et l'al. 107(1)j) s'applique.
En l'espèce, il n'est possible d'identifier aucun bien précis sujet à une fiducie. Il s'ensuit qu'on ne saurait considérer que l'al. 47a) de la Loi sur la faillite s'applique à la créance de la province en l'espèce.
L'avocate représentant M. LeBlanc soutient que l'affaire en instance est différente en ce qu'il n'y a aucune preuve établissant que la paye de vacances a été transformée en un autre bien, et aussi en ce que l'article 21 de la convention collective pré- voyait une formule pour identifier l'objet de la fiducie avec suffisamment d'exactitude.
Nous ne sommes pas en présence d'une situation comparable aux faits de la cause Henfrey Samson Belair. En fin de compte, Pictou Industries Limi ted a versé l'intégralité de la paye de vacances à M. LeBlanc conformément à la convention collec tive, et la question ne se pose nullement de savoir si la compagnie détenait l'argent en «fiducie» au sens de la loi fédérale. Il échet seulement d'examiner si les dispositions portant présomption de fiducie de la loi de la Nouvelle-Ecosse permettent de voir dans cette paye de vacances une épargne et non la «rémunération» à la lumière des faits de la cause. La complication n'est pas insignifiante, car au lieu d'être déposée dans un compte distinct comme dans l'affaire Whelan, elle a été confondue avec les fonds propres de l'employeur dans un compte ban- caire général. Le difficile problème de l'identifiabi- lité qui permet de répondre à l'impératif de certi tude de l'objet en matière de fiducie a été relevé par D. W. M. Waters dans Law of Trusts in Canada, 2e éd., aux pages 1040 et 1041. Voir aussi Underhill and Hayton Law Relating to Trusts and Trustees, 4th ed. 1987, à la page 756. A supposer que le compte bancaire en vînt à produire un solde débiteur durant la période en question, la paye de vacances elle-même aurait tout bonnement dis- paru. Le dossier de la cause n'est d'aucun secours à ce sujet. Il m'est donc impossible de conclure que l'argent payé le 5 janvier 1988 sur le compte bancaire général de l'employeur représentait la paye de vacances détenue pendant toute cette période. A la lumière du dossier tel qu'il se pré- sente en cet état de la cause, je conclus que M. LeBlanc recevait la «rémunération» au sens de l'alinéa 57(2)a) du Règlement sur l'assurance- chômage.
Fiducie par interprétation
Le troisième argument avancé par l'avocate représentant l'intimé est que l'employeur était un fiduciaire par interprétation de la paye de vacan- ces. Je ne vois pas comment cet argument pourrait s'imposer. Nous ne sommes pas en présence d'un employeur en défaut qui s'est arrangé pour tirer profit de sa faute dans le traitement de la paye de vacances. Pictou Industries Limited a rempli fidè- lement son obligation en versant l'argent à M. LeBlanc au moment elle y était tenue par la convention collective.
Au coeur de la doctrine de la fiducie par inter- prétation au Canada est la prévention de l'enri- chissement sans cause. Ce problème a été abordé par la Cour suprême du Canada dans Pettkus c. Becker, [1980] 2 R.C.S. 834, le juge Dickson (tel était son titre à l'époque), rendant le jugement de la majorité, s'est prononcé en ces termes, à la page 847:
Le principe de l'enrichissement sans cause est au coeur de la fiducie par interprétation. «L'enrichissement sans cause» a joué un rôle dans la doctrine juridique anglo-américaine pendant des siècles. Dans l'arrêt Moses v. Macferlan ((1760) 2 Burr. 1005) lord Mansfield s'est exprimé comme suit: [TRADUCTION] «.. le motif principal de cette action est que le défendeur est obligé en vertu des règles de justice naturelle et d'equity de rembour- ser l'argent».
En l'espèce, il n'est pas reproché à l'employeur d'avoir gardé par-devers lui l'argent qu'il est obligé de rembourser. Je dois donc rejeter cet argument.
Fiducie par déduction
J'en viens maintenant au dernier argument. L'intimé soutient, assez faiblement d'ailleurs, que l'employeur détenait la paye de vacances par fidu- cie par déduction. Tout comme le troisième argu ment, celui-ci ne vient renforcer en rien les préten- tions de M. LeBlanc. On peut citer l'analyse de la doctrine de la fiducie par déduction dans cette constatation du juge Dickson (tel était son titre à l'époque) dans Rathwell c. Rathwell, [1978] 2 R.C.S. 436, à la page 451:
Les fiducies par déduction sont aussi fermement ancrées dans l'intention du constituant que le sont les fiducies expresses, mais avec cette différence que l'intention est légalement déduite ou présumée dans des circonstances données. Ce vieux principe fut exposé par lord Hardwicke dans l'arrêt Hill v. Bishop of London ((1738), 1 Atk. 618). Il est présumé en droit que le détenteur du titre n'était pas censé avoir la propriété véritable.
Ainsi, la fiducie par déduction signifie dans cette doctrine que le bien doit revenir au constituant 9 .
En l'espèce, l'employeur perdit la garde de l'ar- gent avec le versement du 5 janvier 1988. Il n'a pas pris possession de l'argent à titre de paye de vacances destinée à l'employé pour y prétendre ensuite lui-même à titre de propriétaire véritable. La doctrine de la fiducie par déduction est inappli cable en l'espèce pour la même raison que celle pour laquelle la doctrine de la fiducie par interpré- tation est inapplicable. Le bien en question n'est plus entre les mains de l'employeur. Il a été versé à l'employé qui l'a reçu conformément aux stipula tions de la convention collective.
DÉCISION
Par ces motifs, je me prononce pour l'accueil de la demande, l'annulation de la décision du juge- arbitre en date du 11 avril 1990, et le renvoi de l'affaire à un juge-arbitre pour nouvelle instruction conforme à la conclusion que la paye de vacances versée par l'employeur à l'intimé par chèque d'un montant de 1 403 $ et daté du 5 janvier 1988 était la «rémunération» au sens de l'alinéa 57(2)a) du Règlement de l'assurance-chômage.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
9 Voir l'analyse du professeur Waters dans Law of Trusts in Canada, op cit., aux p. 374 et 375.
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