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T-1934-87
Thomas Jackson (demandeur) c.
Le tribunal disciplinaire, pénitencier de Joyce- ville, savoir Donald Schlichter, président indépen- dant et le procureur général du Canada (défen- deurs)
RÉPERTORIÉ: JACKSON C. PÉNITENCIER DE JOYCEVILLE (1°` INST.)
Section de première instance, juge MacKay — Ottawa, 13, 14, 15, 17 mars 1989 et 16 février 1990.
Pénitenciers Analyse d'urines obligatoire en vue de la détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art. 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers Le but visé est la diminution de la violence dans les prisons L'art. 41.1 viole le droit à la liberté et à la sécurité de la personne prévu par l'art. 7 de la Charte et porte atteinte à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garantie par l'art. 8 de la Charte, parce qu'en l'absence de critères régissant son application, il permet au personnel du pénitencier d'exiger d'un détenu qu'il fournisse un échantillon d'urines s'il est soupçonné d'avoir absorbé une substance hallucinogène.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Pénitenciers Analyse d'urines obligatoire en vue de la détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art. 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers Étant donné la possibilité d'audiences disciplinaires en cas de refus, l'art. 41.1 viole l'art. 7 de la Charte car il restreint le droit du détenu à la liberté et à la sécurité de sa personne d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Fouilles ou saisies Pénitenciers Analyse d'urines obligatoire en vue de la détection de sub stances hallucinogènes en vertu de l'art. 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers Porte atteinte à la protection contre les fouilles et les saisies abusives garantie par l'art. 8 de la Charte, car le règlement ne contient aucun critère régissant son application.
Droit constitutionnel Charte des droits Clause limita- tive Pénitenciers Analyse d'urines obligatoire en vue de la détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art. 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers Le but du programme est la diminution de la violence dans les prisons Les restrictions des droits garantis par les art. 7 et 8 de la Charte, que comporte l'art. 41.1, ne constituent pas, en l'ab- sence de critères régissant son application, une restriction raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l'art. premier de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Pénitenciers Analyse d'urines obligatoire en vue de la détection de substances hallucinogènes en vertu de l'art.
41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers Il ne s'agit pas de discrimination interdite par l'art. 15 de la Charte, puisque le traitement distinct découle de crimes passés et non de caractéristiques personnelles.
Le Règlement sur le service des pénitenciers a été modifié en 1985 afin que soit autorisée l'analyse d'urines obligatoire en vue de détecter la présence de drogues dans les pénitenciers et de dissuader les détenus d'en faire usage (article 41.1) et afin que soient précisées les conséquences d'un résultat positif (alinéa 39i.1)). D'après le programme, dix pour cent de tous les détenus devaient être choisis au hasard tous les deux mois et soumis à une analyse. À l'origine, le programme de surveillance au moyen d'analyses d'urines devait être instauré en vertu d'ordres permanents dans deux établissements: celui de Joyce- ville en Ontario et celui de Cowansville au Québec. Mais en août 1986, la Cour supérieure du Québec a déclaré que le règlement violait l'article 7 de la Charte et ne constituait pas une exception visée par l'article premier. Cette décision a été portée en appel.
En avril 1987, le demandeur, détenu au pénitencier de Joyce- ville, a été soupçonné d'être sous l'empire d'une substance hallucinogène. Il a reçu l'ordre de fournir un échantillon d'uri- ' nes conformément à l'article 41.1 du Règlement. Il a refusé parce qu'à son avis, cet ordre était contraire à ses droits constitutionnels. Il a été inculpé et déclaré coupable de l'infrac- tion prévue à l'alinéa 39a) du Règlement, savoir désobéissance à un ordre légitime.
Cette action visait l'obtention d'une déclaration portant que l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers transgresse les articles 7, 8 et 15 de la Charte.
Jugement: il devrait être fait droit à l'action. L'article 8 de la Charte
L'obligation de fournir un échantillon constituait une fouille au sens de l'article 8 de la Charte. On ne pouvait affirmer que le détenu avait la faculté de refuser puisqu'il encourait la même sanction en cas de refus qu'en cas de consommation de sub stances hallucinogènes. La fouille autorisée en l'espèce était abusive au sens de l'article 8.
Vu les faits allégués et prouvés, la question se ramenait aux circonstances clairement décrites, selon une interprétation stricte de l'article 41.1 du Règlement, savoir le fait qu'un membre du personnel avait cru ou soupçonné que Jackson avait consommé une substance hallucinogène «autre qu'un alcool de fabrication artisanale». Les directives du commissaire n'ont pas ' force de loi et elles ne pouvaient pas assortir le règlement en cause d'une réserve ni prescrire une limite au sens de l'article premier de la Charte. Néanmoins, dans le vaste domaine des activités de l'État aujourd'hui, diverses actions sont accomplies dans l'application de divers actes et instruments censés avoir été pris en conformité avec des lois et des textes réglementaires de portée générale, comme le reconnaît implicitement le Pro gramme de la réforme de la réglementation fédérale. Par conséquent, les tribunaux seraient peut-être bien avisés en adoptant une interprétation large de ce qui constitue une règle de droit ou une action prévue par la loi si la Charte des droits doit s'appliquer intégralement à l'action de l'État. Il fallait toutefois, en l'espèce, interpréter l'article 41.1 du Règlement sans tenir compte des modifications ou des réserves qui décou- laient des directives et des ordres permanents régissant, en
l'occurrence, son application. Et tel quel, sans critères explici- tes, sauf le fait pour un agent de juger la mesure nécessaire, l'article 41.1 du Règlement ne pouvait être considéré comme une loi raisonnable autorisant des fouilles et il ne satisfaisait donc pas aux exigences de l'article 8 de la Charte.
L'article 7 de la Charte
L'article 41.1, dont l'application est combinée à la prise de sanctions disciplinaires conformément aux ordres permanents en cas d'omission de fournir un échantillon en dépit d'un ordre reçu, constituait une atteinte aux droits fondamentaux des détenus à la liberté et à la sécurité de leur personne. Cette atteinte, en l'absence de critères suivant lesquels un échantillon pouvait être exigé, n'était pas conforme aux principes de justice fondamentale.
L'article premier de la Charte
Il est ressorti de toute évidence de la preuve que la présence de substances hallucinogènes dans les établissements péniten- tiaires créait de très graves problèmes, entre autres en augmen- tant le risque et le degré de violence qui menaçaient la sécurité de ces établissements tant pour le personnel que pour les détenus. Certes, l'objectif premier du règlement, savoir la pré- vention de l'usage des drogues en vue de l'amélioration de la sûreté et de la sécurité dans les établissements, donnait lieu à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique, et les mesures qui étaient prévues à titre dissua- sif et afin de déceler la consommation non autorisée de drogues et de substances hallucinogènes n'étaient pas exceptionnelles dans d'autres sociétés libres et démocratiques, mais les moyens choisis, étant donné l'absence de normes ou de critères limitant les pouvoirs attribués en matière de fouille, étaient abusifs. L'article 41.1 n'était donc pas une limite raisonnable au sens de l'article premier de la Charte.
L'article 15 de la Charte
Selon une allégation faite en l'espèce, le demandeur aurait appartenu au seul groupe au Canada, savoir celui des détenus, dont les membres étaient tenus aux termes de la loi de se soumettre à une analyse d'urines sous peine de sanctions péna- les. Même si cette assertion avait été véridique, la différencia- tion n'était pas discriminatoire au sens de l'article 15. Elle ne se rapportait pas à l'un ou l'autre des motifs énumérés et interdits, ou motifs analogues, qui touchent des caractéristiques person- nelles. Le traitement distinct dont faisaient l'objet les détenus, en tant que groupe, ne découlait pas de caractéristiques person- nelles mais bien de leur conduite passée, qui était répréhensible. Ces distinctions-là ne sont pas interdites par la Charte.
Le demandeur avait également droit à une déclaration por- tant que la déclaration de culpabilité prononcée par le tribunal disciplinaire était illégale et inopérante.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44], art. 1, 7, 8, 15, 24(1).
Code de procédure civile, L.R.Q., chap. C-25, art. 497. Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985),
Appendice II, 44], art. 52(1).
Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), chap. P-5, art. 35(4), 37.
Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, art. 2 (mod. par DORS/85-412, art. 1), 39a),i),i.1) (édicté, idem, art. 2), j), 41(2)c) (mod. par DORS/80-462, art. 1), 41.1 (édicté, par DORS/85- 412, art. 3).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 420.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Dion c. Procureur général du Canada, [1986] R.J.Q. 2196; 30 C.C.C. (3d) 108; [1986] D.L.Q. 353 (C.S.); R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265; (1987), 38 D.L.R. (4th) 508; [1987] 3 W.W.R. 699; 13 B.C.L.R. (2d) 1; 33 C.C.C. (3d) 1; 56 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 122; 74 N.R. 276; Weatherall c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 18; (1988), 65 C.R. (3d) 27; 19 F.T.R. 160; 86 N.R. 168 (C.A.); infirmant en partie [1988] 1 C.F. 369; (1987), 59 C.R. (3d) 247; 11 F.T.R. 279 (1"° inst.); Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Institution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118; (1977), 74 D.L.R. (3d) 1; 33 C.C.C. (2d) 366; 14 N.R. 285; Hunter et autres c. Southam Inc., [1984] 2 R.C.S. 145; (1984), 55 A.R. 291; 11 D.L.R. (4th) 641; [1984] 6 W.W.R. 577; 33 Alta. L.R. (2d) 193; 27 B.L.R. 297; 14 C.C.C. (3d) 97; 2 C.P.R. (3d) 1; 41 C.R. (3d) 97; 9 C.R.R. 355; 84 DTC 6467; 55 N.R. 241; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30; (1988), 63 O.R. (2d) 281; 44 D.L.R. (4th) 385; 37 C.C.C. (3d) 449; 62 C.R. (3d) 1; 31 C.R.R. 1; 82 N.R. 1; 26 O.A.C. 1; Re Ontario Film & Video Appreciation Society and Ontario Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80; 5 D.L.R. (4th) 766; 38 C.R. (3d) 271; 2 O.A.C. 388 (C.A.); Luscher c. Sous-ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise, [1985] 1 C.F. 85; (1985), 17 D.L.R. (4th) 503; 9 C.E.R. 229; 45 C.R. (3d) 81; 15 C.R.R. 167; [1985] 1 C.T.C. 246; 57 N.R. 386 (C.A.); Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. v. Katsigiorgis (1987), 62 O.R. (2d) 441; 39 C.C.C. (3d) 256; 4 M.V.R. (2d) 102; 23 O.A.C. 27 (C.A.); R. v. L.A.R. (1985), 17 D.L.R. (4th) 268; [1985] 3 W.W.R. 289; 32 Man. R. (2d) 291; 18 C.C.C. (3d) 104; 45 C.R. (3d) 209; 14 C.R.R. 328; 32 M.V.R. 61 (C.A.); R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th) 481;
[1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C. (3d) 57;
66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Noble (1984), 48 O.R. (2d) 643; 14 D.L.R. (4th) 216; 16 C.C.C. (3d) 146; 42 C.R. (3d) 209; 12 C.R.R. 138; 6 O.A.C. 11 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863; (1986), 29 D.L.R. (4th) 161; 26 C.C.C. (3d) 481; 52 C.R. (3d) 1; 67 N.R. 241; Law c. Solliciteur général du Canada, [1985] 1 C.F. 62; (1984), 11 D.L.R. (4th) 608; 57 N.R. 45 (C.A.); Zwarich c. Canada (Procureur général), [ 1987] 3 C.F. 253; (1987), 26 Admin. L.R. 295; 87 C.L.L.C. 14,053; 31 C.R.R. 244; 82 N.R. 341 (C.A.); Tétreault- Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'im- migration du Canada), [1989] 2 C.F. 245; (1988), 53 D.L.R. (4th) 384; 33 Admin. L.R. 244; 23 C.C.E.L. 103; 88 CLLC 14,050; 88 N.R. 6 (C.A.); autorisation de pourvoi accordée [1989] 2 R.C.S. 1110; Canada (Procu- reur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714; (1987), 46 D.L.R. (4th) 165; 82 N.R. 352 (C.A.); Alli c. Canada (Procureur général) (1988), 88 N.R. 1 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.); R. v. Racette (1988), 48 D.L.R. (4th) 412; [1988] 2 W.W.R. 318; 61 Sask. R. 248; 39 C.C.C. (3d) 289; 6 M.V.R. (2d) 55 (C.A. Sask.); R. v. Dyment (1986), 57 Nfld. & P.E.I.R. 210; 26 D.L.R. (4th) 399; 170 A.P.R. 210; 25 C.C.C. (3d) 120; 49 C.R. (3d) 338; 38 M.V.R. 222; (C.A. Î.-P.-É.); R. v. Enns (1987), 85 A.R. 7; 3 W.C.B. (2d) 186 (C. prov.); R. v. Holman (1982), 28 C.R. (3d) 378; 16 M.V.R. 225 (C. prov. C.-B.); Jensen v. Lick, 589 F. Supp. 35 (Dist. Ct. 1984); Spence v. Farrier, 807 F.2d 753 (8th Cir. 1986); Peranzo v. Coughlin, 675 F. Supp. 102 (S.D.N.Y. 1987); Natio nal Treasury Employees Union v. Von Raab, 816 F.2d 170 (5th Cir. 1987) confirmé en appel par 103 L.Ed. 2d 685 (1989); McDonell v. Hunter, 809 F.2d. 1302 (8th Cir. 1987); R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495; (1988),
67 O.R. (2d) 63; 55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d) 296; 66 C.R. (3d) 297; 89 N.R. 1; 30 O.A.C. 241; Lanza v. New York, 370 U.S. 139 (Ct. App. N.Y. 1962); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (2nd Cir. 1979); Hudson v. Palmer, 468 U.S. 517 (4th Cir. 1984); R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103; (1986), 26 D.L.R. (4th) 200; 24 C.C.C. (3d) 321; 50 C.R. (3d) 1; 19 C.R.R. 308; 65 N.R. 87; 14 O.A.C. 335; Skinner v. Railway Labour Executi ves' Assn., 103 L.Ed. 2d 639 (1989); Mack v. U.S., F.B.I., 653 F.Supp. 70 (S.D.N.Y. 1986); appel rejeté 814 F.2d 120 (2nd Cir. 1987); Shoemaker v. Handel, 795 F.2d 1136 (3rd Cir. 1986).
AVOCATS:
Fergus J. O'Connor et Donald A. Bailey pour le demandeur.
J. Grant Sinclair, c.r. et Brian J. Saunders pour les défendeurs.
PROCUREURS:
O'Connor, Ecclestone and Kaiser, Kingston (Ontario), pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada, pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACKAY:
Introduction.• Les questions en litige
Le demandeur, détenu au pénitencier de Joyce- ville, demande une réparation sous forme de juge- ment déclaratoire qui protégerait son droit, garanti d'après lui par la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi consti- tutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]], de refuser de fournir un échantillon d'urine quand un membre du personnel de l'établissement lui en donne l'ordre. Son refus d'obéir à l'ordre de fournir un échantillon a donné lieu à une audience du tribunal disciplinaire défendeur.
Lorsqu'il a été inculpé d'omission d'obéir à un ordre légitime, soit l'infraction prévue à l'alinéa 39a) du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C., chap. 1251, modifié, le demandeur a présenté une défense par écrit. Il y soutenait que l'ordre en question n'était pas légi- time parce que l'article 41.1 [édicté par DORS/85- 412, art. 3] du Règlement, aux termes duquel l'ordre avait été donné, permettait la prise d'une mesure obligatoire, c'est-à-dire la remise d'un échantillon d'urine, qui était inconstitutionnelle, notamment contraire à la Charte des droits et libertés. Au moment de l'audience du tribunal disciplinaire, la Cour supérieure du Québec avait déjà déclaré que cet article du Règlement contre- venait à l'article 7 de la Charte et ne constituait pas une limite raisonnable et justifiable dans une société libre et démocratique au sens de l'article premier de la Charte: voir Dion c. Procureur géné- ral du Canada, [1986] R.J.Q. 2196 (C.S.), juge Galipeau. Quant à Jackson, le tribunal a dit ne pas être compétent pour connaître de la validité consti- tutionnelle du Règlement sur le service des péni- tenciers et il a conclu que la désobéissance à
l'ordre de fournir un échantillon constituait un refus d'obéir à un ordre légitime. Le tribunal s'est abstenu de prononcer la sentence en attendant que cette Cour statue sur la procédure dont elle avait déjà été saisie.
Devant cette Cour, le demandeur a d'abord demandé que soit rendue une ordonnance interdi- sant au tribunal de conserver la connaissance du litige pour la raison qu'en refusant de statuer sur la légitimité de l'ordre en cause à la lumière de la Charte, le tribunal n'avait pas valablement exercé sa juridiction et pour la raison que l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers, qui permet d'exiger que soient remis des échantillons d'urines, viole l'un ou l'autre des articles 7, 8 et 15 de la Charte.
Sur requête du procureur général du Canada, mon collègue le juge Dubé a ordonné que les questions découlant de la demande du demandeur mettant en jeu la Charte canadienne des droits et libertés soient tranchées dans le cadre d'une action entre les parties. La demande initiale du deman- deur visant la délivrance d'un bref de prohibition a alors été ajournée. La présente instance a été introduite au moyen d'une déclaration qui a par la suite été modifiée afin que le procureur général du Canada soit constitué partie défenderesse.
Les avocats ont entamé les préparatifs de mise en état de l'affaire, notamment en se mettant d'accord pour que le débat soit circonscrit autour des questions touchant la Charte qui sont énoncées dans la déclaration. Les autres réparations deman- dées dans celle-ci à l'égard d'autres aspects de l'audience tenue par le tribunal disciplinaire seraient laissées de côté, sous réserve du droit du demandeur de les faire valoir ultérieurement.
Après le début du procès, l'avocat du deman- deur s'est rendu compte que la déclaration, bien que modifiée et invoquée au cours de l'interroga- toire préalable et des discussions qui ont précédé le procès, ne faisait pas mention de l'incompatibilité entre l'article 15 de la Charte et les dispositions litigieuses du Règlement sur le service des péni- tenciers. Il a donc demandé tardivement l'autorisa- tion de modifier la déclaration. L'avocat des défen- deurs s'est opposé à cette requête, étant donné l'accord antérieur entre les avocats, le retard à présenter la requête—l'autre partie ayant eu suffi-
samment de temps pour demander la modification avant le procès—et le fait que lui-même n'avait pas à ce moment-là préparé son argumentation relativement à l'article 15 de la Charte. Après avoir entendu les avocats, qui m'ont assuré de leur collaboration et qui disposeront du temps néces- saire pour préparer leur argumentation au sujet du motif ajouté, j'ai fait droit à la requête du deman- deur. La déclaration a été modifiée conformément à la Règle 420 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap 663], pour les motifs donnés à cette occasion et versés au dossier de la Cour.
En conséquence, les questions à trancher dans ce procès sont celles qui fondent la demande de répa- ration formulée aux paragraphes 7a) et b) de la déclaration, dans sa dernière version. Cette demande de réparation comprenait
[TRADUCTION] a) Une déclaration portant que les défendeurs (le tribunal) se sont abstenus, sans droit, d'exercer leur juridic- tion en refusant de statuer sur la question de savoir si l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers transgressait la Charte canadienne des droits et libertés;
b) une déclaration portant que l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers transgresse la Charte canadienne des droits et libertés, en particulier les articles 7, 8 et 15 de celle-ci.
Faits de la cause
Les faits sont au fond assez simples. Le deman- deur, Thomas Jackson, était détenu à l'établisse- ment à sécurité moyenne de Joyceville depuis décembre 1986. Il y avait déjà été détenu de 1978 à 1982 et il avait purgé auparavant une peine aux établissements de Collins Bay et de Millhaven. C'était la première fois qu'il avait l'obligation de fournir des échantillons d'urines en vue d'une analyse.
Vers midi le 29 avril 1987, M. Jack Izatt, agent d'unité résidentielle du Service correctionnel du Canada à Joyceville, dont les fonctions concer- naient la rangée de cellules dans laquelle se trou- vait celle de Jackson, a fait comme à l'ordinaire le dénombrement des détenus de cette rangée. Il a remarqué que le demandeur Jackson était dans sa cellule, dormant vraisemblablement dans son lit. Environ dix minutes plus tard, après avoir vérifié le compte, Izatt a parcouru de nouveau la rangée pour demander aux détenus qui étaient s'ils allaient bientôt retourner travailler ou aller ail- leurs, ou s'ils comptaient rester dans leur cellule, auquel cas ils seraient sous sa surveillance géné-
rale. À ce moment-là, il a appelé Jackson, qui semblait dormir et qui n'a répondu qu'après deux ou trois appels pour dire qu'il n'allait pas travailler mais rester il était.
Approximativement une heure plus tard, Izatt et d'autres employés ont reçu l'ordre de M. Alexander Lubimiv, surveillant d'unité résiden- tielle à Joyceville, d'effectuer une fouille de la rangée 1-D, celle se trouvait la cellule de Jackson. Lubimiv et un autre agent se sont placés au début de la rangée pour diriger les détenus vers la salle commune de cette rangée et pour les empêcher de s'approcher de la barrière donnant accès au reste du bloc cellulaire. Izatt s'est rendu à l'extrémité de la rangée pour demander aux déte- nus qui s'y trouvaient de se rendre à la salle commune de la rangée pendant que la fouille des cellules serait effectuée. Une fois de plus, Izatt a appeler Jackson deux ou trois fois pour le réveiller. Sa cellule était à l'extrémité de la rangée. Après l'avoir réveillé, Izatt lui a demandé de se rendre à la salle commune parce que les agents allaient faire une fouille. Jackson s'est levé, a mis son veston, a quitté sa cellule et s'est dirigé vers Lubimiv, au bout de la rangée. Izatt a dit avoir remarqué que Jackson oscillait de gauche à droite, l'avoir vu heurter les poignées en saillie de quel- ques portes, mais avoir constaté ensuite que Jack- son semblait avoir retrouvé son équilibre. Izatt a suivi Jackson, en vérifiant les autres cellules. Il a observé Jackson qui gesticulait et parlait d'une voix forte à Lubimiv, qui semblait lui ordonner d'aller à la salle commune.
Lubimiv, qui était resté au début de la rangée, a témoigné qu'il avait observé Jackson à la sortie de sa cellule. Quant celui-ci est arrivé près du début de la rangée, au lieu d'entrer dans la salle com mune comme prévu, il a continué de franchir la courte distance qui le séparait de Lubimiv comme s'il entendait passer à côté de lui, mais il s'est arrêté juste en avant de Lubimiv. Prié de dire il allait, Jackson a dit qu'il se rendait à la salle du comité, qu'il faisait partie du comité et qu'il devait assister à une réunion dont le début avait été fixé à 12h 30. Lubimiv lui a dit qu'on faisait une fouille, qu'il ne pouvait pas aller tout de suite à la salle du comité, qui se trouvait en dehors de la rangée, et qu'il devait se rendre à la salle commune. Jackson
a obéi, mais seulement après qu'ils eurent discuté brièvement en parlant fort.
Apparemment Izatt et Lubimiv ont discuté de cet incident et Izatt, à ce moment-là ou un peu plus tôt, a mentionné le fait qu'il avait réveiller Jackson environ une heure auparavant. Izatt a alors rempli un rapport au sujet du dernier inci dent, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] Objet: (numéro) Incident Jackson
À 13 h 20 le 29 avril 1987, j'ai réveiller le détenu susmen- tionné dans sa cellule et je lui ai dit de se rendre à la salle commune 1D. Jackson s'est levé et il m'a paru vacillant; j'en ai déduit qu'il était à moitié endormi. Toutefois, à mesure que le temps passait, il est devenu assez belliqueux et indigné, et sa démarche était encore vacillante; ce qui me porte à croire qu'il était sous l'empire d'une substance hallucinogène «autre que de l'alcool de fabrication artisanale».
Ce rapport a été signé par Izatt, son auteur, à 13 h 40 le 29 avril 1987. Une note manuscrite figure vis-à-vis de l'indication suivante, imprimée au bas: «Remarque: faire parvenir au chef des opérations correctionnelles». Dans une copie dacty- lographiée de ce rapport manuscrit, cette note est reproduite comme suit: [TRADUCTION] «Jackson a reçu l'ordre de se soumettre à une analyse». Dans le rapport manuscrit, cette note est peut-être ainsi libellée: [TRADUCTION] «Jackson a refusé de se soumettre à une analyse» et une initiale a été ajoutée, qui semble être un «J».
Au cours de l'interrogatoire principal et du con- tre-interrogatoire, Izatt a témoigné que la démar- che vacillante de Jackson à la sortie de sa cellule, qui constitue un élément de son comportement qui a donné lieu au rapport d'incident du 29 avril, pouvait s'expliquer par le fait qu'il était à moitié endormi ou qu'il venait de se réveiller, et il a témoigné qu'il ignorait que Jackson avait une réu- nion de comité à 12 h 30. Toutefois, Izatt avait rempli un autre rapport d'incident le soir précé- dent, à propos d'un autre détenu qu'il avait cru sous l'effet d'une substance hallucinogène autre qu'un «alcool de fabrication artisanale», et il avait mentionné dans le rapport le nom de quatre autres détenus qui, selon ce que lui avait signalé un autre agent d'unité résidentielle, étaient apparemment dans le même état. Quoique Jackson n'eût pas été parmi ceux dont le cas avait été signalé le soir précédent et qu'il ne soit pas certain que l'un ou l'autre des détenus nommés appartienne à l'unité de Jackson, Izatt soupçonnait que des détenus
consommaient des drogues ou d'autres substances hallucinogènes et il lui semblait que l'humeur bel- liqueuse de Jackson le 29 avril différait de ses manières habituelles, qui étaient brusques mais non répréhensibles.
Une fois que les détenus, dont Jackson, eurent été placés sous bonne garde dans la salle com mune, Lubimiv a téléphoné à J. Finucan, chef des opérations correctionnelles. Lubimiv avait reçu la veille le rapport d'incident d'Izatt au sujet de cinq détenus, autres que Jackson, qui avaient semblé être sous l'effet de substances hallucinogènes. Il avait également reçu le 28 avril un rapport d'inci- dent d'un autre agent qui avait fait les mêmes observations, à 20 h 10 le 25 avril, au sujet des personnes se trouvant dans la salle du comité de la rangée 1—D. L'auteur de ce rapport y donnait le nom des personnes identifiées, dont Jackson, reconnaissait que l'on ignore ce dont elles par- laient, et constatait que [TRADUCTION] «plusieurs sont soupçonnées d'être des passeurs» et que l'on avait remarqué la présence des mêmes détenus dans la salle du comité à différentes reprises.
Lors de sa conversation téléphonique avec Finu- can, Lubimiv a rapporté les deux incidents surve- nus le 29 avril et observés par Izatt, au cours desquels Jackson avait semblé hostile et agressif. Lubimiv croyait que c'était en raison de la fouille que Jackson voulait se rendre à la salle du comité, à laquelle on avait accès de l'extérieur de la rangée de cellules. Il a demandé que la salle du comité soit fouillée et il a informé les intéressés qu'un rapport serait rédigé au sujet des incidents concer- nant Jackson et qu'il recommanderait que celui-ci soit soumis à une analyse d'urines. Lubimiv a témoigné au procès qu'il avait eu l'impression que Jackson avait été «trop agressif» et qu'il parlait fort, qu'il était d'une humeur massacrante, que [TRADUCTION] «ses réactions ont été intempestives ... et que, surtout pour quelqu'un à qui sont familiers les rapports avec le personnel, ce n'est pas la façon convenable de réagir».
On a ensuite fouillé la salle du comité mais on n'y a rien trouvé. Il a également été confirmé que Jackson était de fait en retard à une réunion qui, comme il l'avait affirmé à Lubimiv, devait com- mencer à 12 h 30. On a ensuite remis un laissez- passer à Jackson et on lui a permis d'aller à la salle du comité.
Peu avant 15 h 45 cet après-midi-là, Jackson a reçu l'ordre de se présenter à l'hôpital de l'établis- sement pour une analyse d'urines. A son arrivée, l'agent Campbell lui a donné l'ordre de fournir un échantillon d'urine, ce à quoi il s'est opposé. L'agent lui a ordonné de se présenter à nouveau à 17 h 50 pour fournir un échantillon d'urine. L'agent Campbell l'a apparemment averti que s'il ne se présentait pas, il s'exposerait à des mesures disciplinaires ou administratives. À ce moment-là, on lui a remis un document intitulé «Ordre de fournir un échantillon d'urine et avis des résultats de l'analyse». Selon ce document, l'ordre émanait de J. Finucan (chef des opérations correctionnel- les) et était dirigé contre Jackson, à qui il était ordonné de se présenter à l'hôpital pour fournir un échantillon d'urine en vue d'une analyse, confor- mément à la directive du commissaire. Jackson y était également informé que [TRADUCTION] «s'il n'obéissait pas à cet ordre, des mesures disciplinai- res ou administratives s'ensuivraient». On trouve encore dans cette formule les renseignements sui- vants: elle a été remise à Jackson par l'agent Campbell à 15 h 46, ce dernier lui a accordé un délai jusqu'à 17 h 50 et, une fois ce délai expiré, le détenu n'avait pas fourni d'échantillon d'urine. L'agent Campbell a apposé sa signature à l'égard de chacune des actions auxquelles il avait pris part. En conformité avec les ordres permanents de l'éta- blissement, Campbell a ensuite rempli un Rapport de l'infraction d'un détenu et avis de l'accusation, dans lequel il relève le fait que Jackson n'a pas fourni d'échantillon d'urine, à l'expiration du délai de deux heures. Les personnes auxquelles ce rap port a été soumis ont inculpé Jackson de l'infrac- tion prévue à l'alinéa 39a) du Règlement, savoir «désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un fonctionnaire du pénitencier», d'où l'audience du tribunal disciplinaire et le procès qui nous occupe.
Jackson a refusé de fournir un échantillon quand on le lui a ordonné parce qu'à son avis, cet ordre était contraire à ses droits constitutionnels. C'est la position qu'il a défendue par écrit devant le tribunal disciplinaire et sur laquelle repose son action devant cette Cour.
L'usage des drogues en milieu carcéral: le régime législatif et son application
Le Règlement sur le service des pénitenciers, pris en vertu de la Loi sur les pénitenciers, L.R.C. (1985), chap. P-5, article 37, contient les disposi tions suivantes:
39. Est coupable d'une infraction à la discipline, un détenu qui
a) désobéit ou omet d'obéir à un ordre légitime d'un fonc- tionnaire du pénitencier;
i.1) consomme, absorbe, avale, fume, respire, s'injecte ou utilise de toute autre façon une substance hallucinogène;
41.1 (1) Un membre qui considère une telle mesure néces- saire pour déceler la présence d'une substance hallucinogène dans l'organisme d'un détenu peut exiger de ce dernier qu'il lui fournisse, dès que possible, un échantillon d'urine suffisant pour permettre à un technicien d'en faire l'analyse à l'aide d'un instrument approuvé.
(2) Dans une audition pour une infraction , visée à l'alinéa 39i.1), la preuve qu'un échantillon d'urine obtenu et analysé conformément au paragraphe (1) contient une sub stance hallucinogène établit, en l'absence d'une preuve con- traire ou d'une excuse raisonnable, que le détenu qui a fourni l'échantillon a contrevenu à l'alinéa 39i.1).
(3) Dans le présent article,
a) «instrument approuvé» désigne un instrument qui est des- tiné à servir à l'analyse d'un échantillon d'urine obtenu en application du présent article et qui est approuvé par directive;
b) «technicien» désigne une personne nommée par le Com- missaire pour utiliser un instrument approuvé.
L'alinéa 39i.1) et l'article 41.1 ont été insérés en 1985 en même temps que la définition suivante, à l'article 2 (voir DORS/85-412):
2. ...
«substance hallucinogène» comprend l'alcool, une drogue, un stupéfiant ou toute autre substance qui produit des hallucina tions, à l'exclusion d'un médicament dont l'usage est autorisé
' et qui est utilisé de la façon indiquée par un membre ou un responsable des soins de santé.
Déjà, avant les modifications apportées au Règlement en 1985 et visant expressément les drogues, la Loi sur les pénitenciers et le Règle- ment comportaient des dispositions traitant des «objets détenus illégalement» en milieu carcéral. Il me semble utile de tenir compte de ces disposi tions. Aux termes de la Loi, les objets détenus illégalement sont confisqués et ce sont les «objets qu'un détenu a en sa possession en violation d'une interdiction édictée par une loi, un règlement, une
instruction du commissaire ou une mesure d'appli- cation générale ou particulière au pénitencier il est incarcéré» (L.R.C. (1985), chap. P-5, paragraphe 35(4)). Par ailleurs, d'après la défini- tion du Règlement, c'est toute chose qu'un détenu n'est pas autorisé à avoir en sa possession; en outre, parmi les infractions à la discipline prévues à l'article 39, figurent, à l'alinéa i), le fait d'avoir de tels objets en sa possession, et à l'alinéa j), le fait de se livrer à la contrebande avec toute autre personne. On trouve dans les directives et les ordres permanents des dispositions relatives aux effets que les détenus ont le droit d'avoir en leur possession, y compris les vêtements et les effets personnels. En conséquence, toute chose qu'un détenu n'est pas autorisé expressément à avoir en sa possession est, lorsque la possession est ainsi constatée, considérée comme un objet détenu illé- galement et il peut s'ensuivre une audience disci- plinaire et la confiscation.
C'est en 1985, à la suite d'une étude approfon- die, qu'a été pris le règlement autorisant le person nel à exiger qu'un échantillon d'urine soit fourni en vue d'une analyse, et précisant les conséquences d'un résultat positif. Il est possible de faire l'histo- rique du programme, tel que conçu initialement ainsi que dans ses versions ultérieures, grâce aux directives des commissaires et aux ordres perma nents des établissements. Les objectifs du pro gramme initial' étaient les suivants: détecter la présence de drogues et d'autres substances halluci- nogènes, à l'exclusion des médicaments dont l'usage est autorisé, et dissuader les détenus d'en faire usage; faire en sorte que l'on puisse mieux assurer un environnement sûr et sans risque pour le personnel et les détenus; donner aux détenus la possibilité de s'amender; définir et établir objecti- vement des programmes adéquats axés sur le trai- tement. Le régime prévu devait s'appliquer à trois catégories de détenus: à titre de mesure indispen sable de détection et de dissuasion touchant l'usage de substances hallucinogènes, dix pour cent de tous les détenus devaient être choisis au hasard tous les deux mois et soumis à une analyse; les détenus qui avaient fait un abus de drogues à l'extérieur ou à
Voir lignes directrices administratives pour le programme d'analyse d'urines (Service correctionnel du Canada), Sécurité opérationnelle, juin 1985 et annexe «A», directive du commis- saire 800-.
l'intérieur de l'établissement devaient être soumis aux analyses; les détenus au sujet desquels le per sonnel avait des raisons de croire qu'ils étaient sous l'effet d'une substance hallucinogène devaient être soumis aux analyses. Dès le début, on avait prévu que dans le cas l'analyse révélerait la présence de substances hallucinogènes, les détenus seraient inculpés d'une infraction à la discipline (prévue à l'alinéa 391.1) du Règlement). Quiconque refuse- rait de fournir un échantillon d'urine dans les deux heures suivant la demande à cet effet serait accusé d'avoir désobéi à un ordre direct, en contravention de l'alinéa 39a) du Règlement; de plus, les ordres permanents en vigueur à Joyceville, dont découle le programme d'analyse d'urines en cause, ont prévu cette sanction dès son instauration. En outre, selon le texte de ces ordres, le fait de ne pas fournir d'échantillon d'urine malgré un ordre reçu devait être considéré (pour la détermination de la, peine, je présume) [TRADUCTION] «de la même manière qu'un résultat positif». En plus des sanctions frap- pant les détenus reconnus coupables d'infraction à la discipline, le directeur devait avoir le pouvoir d'imposer des sanctions administratives, y compris la privation ou le report de privilèges individuels ou collectifs touchant l'absence temporaire, ou de la visite d'un membre de la famille ou d'autres personnes, ou encore de la participation à des activités socio-culturelles. Ces dispositions relatives aux sanctions en cas de déclaration de culpabilité sont toujours en vigueur.
On avait prévu à l'origine que le programme de surveillance au moyen d'analyses d'urines serait instauré, à l'automne 1985, en vertu d'ordres per manents dans deux établissements, soit celui de Joyceville en Ontario et celui de Cowansville au Québec; il y aurait donc deux projets pilotes, qui pourraient ensuite être adaptés pour d'autres éta- blissements. Avant que les arrangements aient pu être pris à cette fin à Cowansville, des détenus de cet établissement ont engagé une action devant la Cour supérieure du Québec pour contester la cons- titutionnalité de l'alinéa 39i.1) et de l'article 41.1 du Règlement au regard de la Charte canadienne des droits et libertés. Le Service correctionnel du Canada a apparemment accepté de ne pas mettre le programme en oeuvre dans la région du Québec en attendant l'issue de cette action. Comme nous l'avons déjà vu, le juge Galipeau, dans l'affaire Dion c. Procureur général du Canada, précitée, le
14 août 1986, a accordé la réparation demandée et a déclaré les dispositions réglementaires en ques tion nulles et inopérantes, parce qu'à son avis, elles violaient l'article 7 de la Charte et ne constituaient pas une exception visée par l'article premier.
À ce que je sache, la décision Dion a été portée en appel mais la juridiction d'appel ne l'a pas encore entendue. Dans sa défense, en l'espèce, l'avocat du procureur général du Canada souhaite que toute la preuve soit examinée, y compris la preuve de nature sociologique, qu'il importe de prendre en considération, d'après lui, dans l'appré- ciation des questions constitutionnelles. Selon l'ar- gument de l'avocat, le juge Galipeau dans l'affaire Dion n'a pas eu à étudier cette preuve.
Pourtant, il ressort de la décision du juge Gali- peau qu'il a tenu compte d'éléments de preuve de cet ordre, dont le but était apparemment de mon- trer, comme l'a fait l'avocat en l'espèce, quels objectifs visait le Règlement, bien que dans cette affaire-là, la preuve se rapportait peut-être plus directement à la situation existant à Cowansville. Voici un extrait de cette décision ([1986] R.J.Q. 2196, à la page 2203:
La preuve est à l'effet que, dans la prison de Cowansville, la consommation d'hallucinogènes, plus particulièrement de dro- gues, est très répandue; ses conséquences sont désastreuses: la vie, la sécurité et les biens des utilisateurs sont en danger de même que ceux de leurs codétenus, des gardiens et des autorités de l'institution.
L'expérience a démontré que sont reliés directement ou indirectement à la consommation ou à la surconsommation d'hallucinogènes de graves manquements à la discipline qui se traduisent généralement par des assauts, des rixes, des vols, des refus d'obéir aux ordres, des inconduites, du chantage, des menaces entre codétenus ou entre détenus et parents ou amis de l'extérieur qu'ils forcent à faire le trafic de drogues.
Le défendeur a le droit et le devoir d'intervenir par ses lois et règlements pour que ce fléau soit enrayé; le moyen le plus commode, à l'heure actuelle, pour déceler la présence d'halluci- nogènes chez un consommateur, consiste à faire l'analyse d'un échantillon de son urine. Cette mesure, en plus de remplir sa fonction principale, emporte avec elle un solide effet préventif.
Il n'y a donc aucun doute que la surconsommation de drogues et les conséquences désastreuses qu'elle entraîne consti tuent un problème d'envergure dans notre société.
L'un des articles du Règlement, soit l'article 41.1, a été examiné dans l'affaire Dion. En l'espèce, les questions litigieuses portent sur l'ap- plication de cette disposition et sur l'application des ordres permanents qui touchent un détenu qui a omis d'obéir à un ordre, donné conformément à
l'article 41.1. Dans l'affaire Dion, la décision ne portait pas sur des faits mais le tribunal était appelé à prononcer un jugement déclaratoire avant que le règlement n'ait été appliqué. Dans la pré- sente instance, c'est le moyen de défense invoqué par le demandeur Jackson devant le tribunal disci- plinaire qui met en jeu la question de la constitu- tionnalité de l'article 41.1: c'est-à-dire qu'il a refusé de fournir un échantillon d'urine, en dépit de l'ordre reçu, parce que cet ordre, ainsi que l'article 41.1 du Règlement en vertu duquel il avait été donné, étaient illégaux.
Le témoignage de M. R. P. Harvey, directeur, Garde et contrôle, Service correctionnel du Canada, a apporté d'autres faits qui nous éclairent sur l'application du Règlement. Dans l'exercice de ses importantes fonctions actuelles et passées au sein du Service, il a joué un rôle primordial à l'égard de l'élaboration et de l'instauration du programme d'analyse d'urines. Son témoignage montre que l'on avait décidé, malgré l'action en justice engagée par les détenus de Cowansville, de mettre en oeuvre à Joyceville le programme pilote prévu. Il est entré en vigueur en novembre 1985, avec certaines modifications. Il n'y a pas été ques tion d'échantillonnage au hasard, à intervalles réguliers ou autrement—élément essentiel du projet initial—étant donné les incertitudes décou- lant de l'action intentée devant la Cour supérieure du Québec et, en outre, parce que l'on n'a pas estimé rentable d'appliquer cette partie du pro gramme dans un seul établissement. Le directeur avait notifié d'avance au personnel et aux détenus de Joyceville l'instauration du programme, de même que les modifications d'importance appor- tées à celui-ci par la suite. Par exemple, ils ont été avisés d'avance que seulement deux substances, soit la cocaïne et l'héroïne, feraient d'abord l'objet d'analyses, puis ils ont été informés de la date à laquelle d'autres substances s'ajouteraient à la liste: cannabis, méthaqualone (speed), phencycli- dine (PCP), benzodiazépine (tranquillisants), alcool et méthadone. Quand les analyses ont com- mencé, on les a informés que la preuve de résultats positifs ne serait pas recevable dans le cadre d'au- diences disciplinaires pendant les quatre premiers mois, bien que des sanctions administratives puis- sent être prises, et que, dès le début, le refus de fournir un échantillon dans les deux heures suivant l'ordre reçu à cet effet, pouvait donner lieu à des
audiences disciplinaires en conformité avec l'alinéa 39a), les contrevenants étant passibles des mêmes peines qu'en cas de résultats positifs.
Le mode de sélection des détenus devant être soumis à des analyses a été annoncé au début dans des termes semblables au texte de l'article 41.1, c'est-à-dire
[TRADUCTION] Un membre qui considère une telle mesure nécessaire pour déceler la présence d'une substance hallucino- gène dans l'organisme d'un détenu peut exiger de ce dernier qu'il lui fournisse, dès que possible, un échantillon d'urine suffisant pour permettre à un technicien d'en faire l'analyse'.
Parmi les détenus susceptibles d'être soumis à des analyses, on comptait ceux qui étaient soupçonnés d'avoir consommé de telles substances, ceux qui avaient été déclarés coupables par un tribunal disciplinaire d'infractions consistant dans la pos session, le trafic ou la consommation de substances hallucinogènes, et ceux qui prenaient part à un programme prélibératoire, à un programme de visites ou à un programme de cette nature, peu importe l'étape ils en étaient, si l'infraction criminelle qui leur avait été reprochée concernait de telles substances ou si une partie de la peine qu'ils purgeaient s'y rapportait. Plus tard, le mode de sélection des détenus a été modifié par un nouvel ordre permanent (no 572, 87-08-04), relati- vement aux détenus que l'on croyait être sous l'effet de telles substances, dans les termes qui suivent: un membre du personnel qui estime néces- saire d'exiger d'un détenu qu'il fournisse un échan- tillon d'urine suffisant pour pouvoir déceler la présence d'une substance hallucinogène doit pré- senter un rapport que les surveillants d'unité rési- dentielle et le personnel chargé de la sécurité devront examiner au cours de leur réunion quoti- dienne, avant que le chef, Opérations correction- nelles, ne décide de l'opportunité d'une analyse d'urines. Si la réponse de ce dernier est affirma tive, le technicien chargé de l'analyse d'urines avisera le détenu qu'il a l'obligation de fournir un échantillon suffisant pour permettre qu'une ana lyse en soit faite. Quoiqu'il ne soit pas clair que cette dernière disposition ait été officiellement en vigueur en avril 1987, au moment Jackson a reçu l'ordre de fournir un échantillon d'urine en vue d'une analyse, Harvey a dit que l'on avait procédé de la même manière dans le cas de Jack
2 Note de service, 1985-11-12, du directeur (R. Gobeil) à tout le personnel, aux détenus, p. 1, al. l.b.
son, ou d'une manière analogue. C'est donc l'agent Finucan, chef des opérations correctionnelles de service, qui a pris la décision d'exiger la remise d'un échantillon en vue d'une analyse, après qu'Izatt eut rempli le rapport d'incident et que Lubimiv eut fait rapport de vive voix.
Il convient peut-être de signaler un autre détail, touchant Jackson. Bien qu'aux termes des ordres permanents de Joyceville, l'échantillon eût pu être fourni sous surveillance directe ou indirecte, Harvey a dit que l'hôpital de cet établissement, auquel la plupart des détenus, dont Jackson, avaient l'ordre de se rendre pour fournir un échan- tillon, n'était pas équipé pour qu'on puisse facile- ment fournir autrement que sous surveillance directe l'échantillon d'urine exigé. Vu ces circons- tances, l'ordre permanent portait que seulement les membres du personnel du même sexe que le détenu dont l'échantillon était exigé devaient surveiller le détenu qui le fournissait.
À la date du procès dans l'affaire qui nous occupe, soit en mars 1989, Joyceville était le seul établissement le programme d'analyse d'urines avait été mis sur pied et appliqué de manière régulière et continuelle. Le personnel avait été formé et était qualifié pour utiliser les «instru- ments approuvés» servant à l'analyse, dont l'éta- blissement disposait. Celui-ci faisait également l'analyse d'échantillons de détenus d'autres établis- sements voisins de la région de Kingston, qui en avaient apparemment fait la demande et dans lesquels des programmes d'analyse d'urines aussi complets que celui de Joyceville n'avaient pas été établis.
L'usage des drogues en milieu carcéral: le contexte sociologique
Au cours de l'instruction, les parties ont pré- senté des éléments de preuve portant sur les per ceptions de l'impact de l'analyse obligatoire d'uri- nes, la violence en milieu carcéral, le lien entre la drogue et la violence, les conditions de vie et les modalités de contrôle au sein du système péniten- tiaire, les modalités d'analyse, y compris les aspects techniques du programme d'analyse intro- duit à Joyceville, et les conditions, modalités et expériences comparables dans le système péniten- tiaire fédéral des États-Unis. Ces éléments de preuve visaient à aider la Cour à trancher les
questions constitutionnelles soulevées en l'espèce en situant dans leur contexte global le programme d'analyse adopté, les raisons sous-jacentes et les modalités et expériences comparables dans d'au- tres pays.
Pour Jackson, la perception qu'il a du pro gramme d'analyse et les craintes que celui-ci lui inspire constituent un aspect important du con- texte de la présente affaire. À son avis, le pro gramme d'analyse était injuste puisqu'il obligeait un détenu à donner un échantillon d'urine sur demande, sous peine de sanctions disciplinaires ou administratives. Manifestement, le règlement exposait les détenus aux caprices de tout fonction- naire, peu importe que celui-ci ait reçu une forma tion spéciale et qu'il ait quelque raison de croire que le détenu était sous l'effet d'une substance hallucinogène. Dans son cas, il estimait avoir reçu l'ordre de fournir un échantillon d'urine en vue d'une analyse parce qu'il venait d'être nommé président du comité des détenus et qu'il avait manifesté clairement sa volonté de voir le comité répondre mieux qu'auparavant aux préoccupations des détenus. Il estimait avoir été [TRADUCTION] «désigné», «pour me ralentir, pour ralentir le comité», comme il l'a déclaré au cours du contre- interrogatoire. Le programme était injuste puisque le fonctionnaire qui croyait qu'un détenu était sous l'effet d'une substance hallucinogène ne s'adressait pas au détenu pour procéder à une enquête; il produisait plutôt un rapport et c'est quelqu'un d'autre qui ordonnait au détenu, pour des motifs inconnus de ce dernier, de fournir un échantillon d'urine.
De l'avis de Jackson, le programme appliqué à Joyceville était injuste pour ceux qui refusaient de fournir des échantillons lorsqu'ils en recevaient l'ordre comme condition de participation à des programmes prélibératoires, de visites ou visant d'autres activités sociales. Il a prétendu que l'éta- blissement exigeait la prise d'urines avant et après la participation à de tels programmes, avec menace de perte ou de report de l'occasion de participer en cas de défaut de consentement et de prise d'échantillons à des fins d'analyse. Par consé- quent, un plus grand nombre de détenus demeu- raient plus longtemps dans l'établissement et avaient un accès plus limité aux programmes préli- bératoires et de visites.
Jackson estimait enfin qu'il n'est tout simple- ment pas juste que les détenus soient obligés de fournir un échantillon d'urine sous observation lorsque demande leur en est faite. Il y voyait une activité [TRADUCTION] «dégradante». A son avis, le programme allait à l'encontre de l'objectif de réinsertion visant à permettre aux détenus de s'ajuster aux responsabilités du monde extérieur. Au moins un des témoins des défendeurs, présent durant la brève déposition de Jackson, a manifesté une certaine surprise à l'égard de cette réaction; d'après son expérience, les détenus en milieu carcé- ral portent habituellement peu d'attention aux aspects de la vie privée, et se montrent très souvent dans un état de nudité quelconque lorsqu'ils s'ha- billent, se douchent, se lavent et vont aux toilettes. Je note seulement qu'il peut y avoir une différence importante, sur le plan psychologique, . entre la situation où, par choix ou par négligence, quel- qu'un se préoccupe peu de sa vie privée, et la situation on lui demande de fournir un échantil- lon d'urine, devant une autre personne, sous peine de sanction.
M. James Vantour a déposé comme témoin expert des défendeurs. Sociologue, il détient un doctorat en criminologie et il a une grande expé- rience de l'enseignement et de la recherche. Ses services d'expert-conseil ont été retenus à bon nombre d'occasions par le Service correctionnel du Canada avant sa nomination comme conseiller du commissaire et du sous-commissaire du Service en 1987. En se fondant sur les recherches et les études qu'il a effectuées ou dont il a pris connaissance, il a donné son opinion sur la violence comme facette permanente et importante du milieu carcéral. Même si plusieurs facteurs peuvent en être la cause, il n'en demeure pas moins que la violence est habituellement plus élevée dans les établisse- ments à sécurité maximale que dans les établisse- ments à sécurité moyenne, et plus élevée dans ces derniers établissements que dans les établissements à sécurité minimale, en raison surtout des antécé- dents de la population carcérale propre à chacun de ces niveaux. Au dire de l'expert, en 1988, plus de 75 % des détenus dans les établissements à sécurité maximale, 60 % des détenus dans les éta- blissements à sécurité moyenne et un peu moins de 50 % des détenus dans les établissements à sécurité minimale avaient été incarcérés pour des crimes violents. Ainsi, près de 62 % de tous les détenus
dans des établissements fédéraux ont été incarcé- rés pour des crimes violents. Les niveaux de sécu- rité plus élevés, correspondant aux niveaux de propension générale à la violence des détenus, prévoient plus de surveillance et moins de liberté pour les détenus tant à l'intérieur de l'établisse- ment que dans les contacts avec le monde extérieur.
De l'avis de M. Vantour, le risque de violence s'est accru au cours des dernières années; les inci dents violents en milieu carcéral sont plus fré- quents et plus graves, et les détenus recourent plus souvent à des armes. Le risque de violence semble plus élevé particulièrement parmi les détenus. Même sous surveillance, chaque détenu doit géné- ralement mettre toutes ses ressources personnelles à profit pour assurer sa sécurité en milieu carcéral. Il est souvent difficile pour les membres du person nel ou pour d'autres détenus d'intervenir lorsque surgit un conflit.
La société carcérale offre aujourd'hui aux déte- nus davantage d'occasions d'établir des contacts, entre eux comme avec leur famille ou leurs amis de l'extérieur. Les programmes qui facilitent cette ouverture visent à préparer les détenus à vivre de façon responsable avec une famille et des amis qui pourront les soutenir une fois leur peine purgée. Selon M. Vantour, ces modifications ont notam- ment eu pour effet de créer de nouvelles pressions sur les détenus, en particulier en ce qui a trait au transport, à l'utilisation et à la distribution d'objets interdits, surtout des drogues de toutes sortes, qui ne peuvent être transportés qu'en petites quantités. Il a fait état du «marché» de la drogue en milieu carcéral et des pressions imposées par ce phéno- mène aux détenus qui veulent contrôler le marché ou qui y sont impliqués, de gré ou de force. Une étude récente du Service révèle que de 20 % à 33 % des détenus en isolement protecteur s'y trouvent à leur demande, en raison de problèmes liés à la drogue.
Afin d'illustrer par un autre exemple le lien entre les drogues et la violence, M. Vantour a mentionné un rapport présenté en 1984 par le D r Robert M. MacMillan, coroner régional de Kingston, au coroner en chef de l'Ontario, de même qu'une étude effectuée par M. Vantour lui-même pour le Service correctionnel du Canada. Les deux études portaient sur les circonstances
entourant une douzaine d'homicides dans les éta- blissements de la région de Kingston entre la fin de 1982 et le début de 1984. Selon les conclusions des deux études, les drogues avaient joué un rôle important dans ces cas. Le rapport de MacMillan a souligné la présence évidente de drogues chez les victimes ou l'influence de la drogue dans les homi cides dans la majorité des cas étudiés; l'étude de Vantour portait sur les effets négatifs du marché de la drogue en milieu carcéral. Dans une étude subséquente sur les objets interdits, les fonction- naires du Service ont relevé que des drogues inter- dites avaient manifestement joué un rôle de déclencheur dans 106 des 181 incidents majeurs de violence survenus en 1985 et en 1986, ce qui représente 58 % des incidents rapportés.
M. Vantour estime que le contrôle institutionnel des drogues en milieu carcéral entraînerait une réduction des risques et des niveaux de violence et faciliterait l'application de programmes visant à aider les détenus à renoncer définitivement à l'usage de drogues. Sans prétendre être un expert des questions d'analyse d'urines, il croit toutefois qu'un programme approprié, qui ne se limiterait pas aux seules circonstances des fonctionnaires ont une raison de croire qu'un détenu est sous l'effet d'une substance hallucinogène, mais qui prévoirait probablement des analyses au hasard, améliorerait le contrôle institutionnel des drogues, et entraînerait une diminution de la nature oppres sive des établissements de même qu'une réduction des risques de violence.
Outre sa déposition sur le programme d'analyse mis en ouvre à Joyceville, Harvey a décrit l'évolu- tion des programmes en général de même que les modalités de surveillance et la vie dans les péniten- ciers fédéraux du Canada. Il a décrit de façon générale les différences entre les établissements selon les divers niveaux de sécurité établis. Le niveau de sécurité est directement proportionnel au ratio agents-détenus; plus il y a de surveillance, moins il y a de liberté de mouvement des détenus à l'intérieur de l'établissement, et plus il y a de fouilles régulières des détenus, notamment des fouilles à l'aide de détecteurs à métal et des fouil- les à corps nu. Les établissements ayant une cote de sécurité moins élevée ont habituellement une plus vaste gamme de programmes d'activités inter nes et de contacts avec le monde extérieur. Des
programmes de formation et d'instruction y sont offerts, des activités y sont planifiées, et il existe maintenant une gamme de programmes de visites; dans les établissements à sécurité minimale en particulier, des programmes prélibératoires sont offerts aux détenus jugés aptes à profiter d'absen- ces temporaires avec ou sans escorte ou de libéra- tions conditionnelles de jour.
Avec le développement de programmes visant spécialement l'accroissement en milieu carcéral des contacts des détenus entre eux comme avec le monde extérieur, le Service correctionnel du Canada connaît une augmentation du volume d'objets interdits, en grande partie des drogues, à l'intérieur des établissements. Le risque de violence s'est aussi accru parallèlement à la prolifération des activités liées à la drogue sur le marché carcé- ral et à l'accentuation de l'indifférence, issue de la drogue, à l'égard des normes et des exigences disciplinaires habituelles des prisons. Les rapports cités par Harvey donnent des estimations pécuniai- res anormalement élevées du marché interne de la drogue et des estimations très basses du taux de succès en matière de saisie d'objets interdits. En dépit des renseignements tirés du milieu et des fouilles effectuées à l'aide de détecteurs ou à corps nu visant spécialement les programmes prélibéra- toires et les principales occasions de visite, il semble qu'on ne puisse déceler et confisquer qu'une toute petite quantité d'objets interdits. Harvey a déclaré que, selon les personnes respon- sables de la sécurité dans les établissements, la plupart des drogues seraient transportées par les détenus eux-mêmes et par des membres de leur famille ou par d'autres visiteurs, dans des cavités corporelles, notamment l'anus et le vagin, elles seraient cachées de façon à ne pas être décelées par un examen visuel. Le personnel médical du Service refuserait apparemment de procéder à des fouilles de sécurité visant ces parties.
C'est dans ce contexte, marqué par l'accroisse- ment des occasions d'introduire dans les établisse- ments des objets interdits, en particulier des dro- gues, et par la constatation d'une augmentation des objets interdits et des risques de violence, comme du lien entre les drogues et la violence, que le Service a élaboré le programme d'analyse d'uri- nes. Après l'essai, sous la supervision de Harvey, d'un programme volontaire appliqué à l'établisse-
ment Leclerc au Québec, au début des années 1980, on a procédé à une étude approfondie de programmes semblables aux États-Unis et ailleurs, ce qui a conduit au programme introduit à Joyce- ville et qui devait aussi, à l'origine, s'appliquer à Cowansville. Les principaux objectifs à long terme du programme visaient à appuyer le rôle du Ser vice en matière de sécurité du personnel et des détenus, à déceler et à décourager l'emploi non autorisé de drogues et à élaborer des programmes pour aider les détenus toxicomanes. Compte tenu de ces objectifs, Harvey semblait considérer l'ana- lyse au hasard comme un volet particulièrement important du programme projeté, volet qui n'était pas encore appliqué.
M. R. E. Willette, expert-conseil et président de sa propre entreprise aux Etats-Unis, qui donne des consultations en matière d'analyse de drogues et de questions connexes, a témoigné lors du procès au sujet de la qualité des instruments d'analyse, des méthodes d'analyse et de la facilité relative avec laquelle on peut former du personnel pour l'utilisa- tion de ces instruments et méthodes qui ont été adoptés pour le programme du Service correction- nel introduit à Joyceville. La déposition de ce biochimiste, qui a une grande expérience en matière d'élaboration de méthodes et d'instru- ments d'analyse, n'a pas été contestée sérieuse- ment, et la validité du programme d'analyse d'uri- nes adopté par le Service correctionnel n'a pas été sérieusement remise en question au cours de l'instance.
La déposition de ce témoin a permis de confir- mer la validité des résultats de la technique EMIT -ST (Enzyme Multiple Immunoassay Tech- nique—Single Test), la seule méthode d'analyse utilisée à l'époque Jackson a refusé d'obtempé- rer à l'ordre de fournir un échantillon. L'analyse GC/MS, (chromatographie en phase gazeuse/spec- tromètre de masse), qui confirme les résultats d'une analyse EMIT -ST positive, a été adoptée depuis, à l'instar d'une pratique qui a cours depuis longtemps aux États-Unis. Même si ce détail n'a aucune incidence en l'espèce, Harvey a déclaré qu'à l'époque l'on a ordonné à Jackson de fournir un échantillon en vue d'une analyse uni- quement au moyen du matériel et de la technique EMIT -ST en place, on conservait une partie de tout échantillon d'urine fourni par un détenu au
cas ce dernier demanderait qu'une analyse indé- pendante soit effectuée par des experts de l'exté- rieur. Depuis, l'analyse de confirmation selon la méthode GC/MS est effectuée à Joyceville, par le Service lui-même.
William L. Davis a également déposé comme témoin-expert. Maintenant expert-conseil sur des questions correctionnelles, il quittait récemment, pour prendre sa retraite, le poste d'administrateur des Services correctionnels, à la tête du système pénitentiaire fédéral des États-Unis. Il a travaillé pendant 25 ans au sein du service pénitentiaire des Etats-Unis, assumant des responsabilités de plus en plus grandes à l'échelle locale, régionale et nationale. Il a participé directement à l'application et à la gestion d'un programme d'analyse d'urines dès son introduction, en 1978, dans les prisons fédérales des États-Unis.
Dans sa déposition, M. Davis a abordé la ques tion du lien entre les drogues et la violence; avec l'accroissement de l'usage des drogues dans la société en général, les prisons fédérales américai- nes avaient connu une augmentation de la consom- mation de drogues chez les détenus ce qui, a-t-on constaté, avait un effet direct sur le niveau de violence. Dans les années 1960 et 1970, le nombre d'incidents avec violence engageant les détenus entre eux, de même que des détenus et des mem- bres du personnel, avait augmenté et, après enquête, il semblait manifeste que la consomma- tion et le commerce de la drogue dans les établisse- ments jouaient un rôle important dans les incidents marqués par la violence. Cet état de choses existait même si les vrais toxicomanes ne représentaient qu'une faible proportion des détenus et que la plupart des utilisateurs de drogues dans les établis- sements étaient des consommateurs de drogues douces et non des toxicomanes. Avant la mise en oeuvre du programme aux États-Unis, les détenus et les membres du personnel ont été mis au fait de ce qui était projeté. Des rapports statistiques visant la première année révélèrent un nombre de cas d'analyses positives substantiellement inférieur à ce qui avait été prévu. Selon Davis, ceci indique- rait clairement que la population carcérale savait que le programme serait traité avec sérieux; en effet, au cours de cette première année, le nombre d'incidents violents a baissé de façon significative, à l'instar du nombre d'incidents apparemment liés
à la drogue. Même s'il est difficile d'émettre des commentaires sur le niveau de violence en général, Davis a indiqué que depuis l'introduction du pro gramme en 1978, le nombre d'incidents violents liés à la drogue a diminué et que cette tendance se poursuit.
Dès le départ, le programme introduit dans les prisons fédérales américaines visait trois catégories de détenus. On établissait chaque mois un échan- tillonnage au hasard de 5 % de tous les détenus de chaque établissement, à l'aide de listes informati- ques; selon ce procédé, tout détenu présent dans l'établissement et dont le nom figurait sur la liste devait fournir un échantillon, jusqu'à ce que 5 % des détenus présents aient fait l'objet d'une ana lyse. Les membres du deuxième groupe devaient faire l'objet d'analyses mensuellement; il s'agissait des personnes jugées à risque élevé, notamment celles qui avaient des antécédents de toxicomanie ou qui avaient obtenu des résultats positifs anté- rieurs dans l'établissement, ou encore des person- nes à qui, sur la foi d'un agent estimant qu'elles étaient sous l'effet d'une drogue, un superviseur compétent avait ordonné de fournir un échantillon. Le troisième groupe était composé des détenus participant à des activités collectives, y compris des programmes semblables aux programmes pré- libératoires en vigueur dans les établissements canadiens, c'est-à-dire des détenus qui profitaient d'absences temporaires avec ou sans escorte ou qui participaient à d'autres activités de groupe à l'ex- térieur de l'établissement. Dans ce troisième groupe, au moins 50 % des détenus devaient faire l'objet d'une analyse à leur retour à l'établissement et le directeur de chaque établissement pouvait exiger qu'ils fassent tous l'objet d'une analyse à chaque retour. Il y a lieu de souligner qu'un détenu pouvait faire l'objet d'une analyse d'urines obliga- toire plus d'une fois par mois s'il faisait partie de plus d'un groupe.
Le programme introduit dans les prisons fédéra- les américaines emploie la technique EMIT pour l'analyse et la méthode GC/MS pour la confirma tion des analyses positives. Le service américain ne procède pas lui-même aux analyses, mais les confie à des laboratoires extérieurs. Une analyse positive ou un refus de fournir un échantillon sur demande rend le détenu passible de mesures disciplinaires et
de sanctions liées à l'infraction. Si l'infraction n'est pas liée à un programme de visites, il n'y a pas de sanction à l'égard de ce programme.
M. Davis a exprimé un certain nombre d'opi- nions à la lumière de son expérience. Il ne fait aucun doute pour lui que le nombre d'incidents violents découlant de la consommation ou de la vente de drogues dans les établissements baisse continuellement avec les années, surtout depuis l'incorporation au programme, en 1984, de l'ana- lyse visant la marijuana, la drogue la plus consom- mée dans les établissements. Il croit que les avan- tages reconnus du programme adopté pour les établissements des Etats-Unis dépendent d'une analyse régulière visant les membres des trois groupes identifiés, parce qu'il s'agit d'un pro gramme qui est manifestement pris au sérieux et qui sert ainsi à dissuader les détenus de consom- mer et de vendre des drogues dans les établisse- ments. À son avis, si le programme ne prévoyait l'analyse que lorsqu'un agent a des motifs raison- nables de croire qu'un détenu est sous l'effet de drogues, il serait pratiquement inutile de le main- tenir. Je suppose qu'il veut dire par que le programme ferait très peu pour décourager la consommation et la vente. Enfin, il était d'avis que la plupart des détenus ne partageaient pas l'opi- nion de Jackson qui estimait qu'un ordre de four- nir un échantillon d'urine en vue d'une analyse était dégradant et que, dans l'ensemble, le pro gramme introduit à Joyceville avait un effet néga- tif sur la vie en prison. Fort de son expérience dans les établissements américains, il était d'avis que la majorité des détenus préfèrent un programme qui, au bout du compte, décourage la consommation et la vente de drogues et contribue ainsi à un environ- nement plus sûr.
Décision
J'ai résumé les éléments de preuve importants dans cette action. Je vais maintenant résumer mes conclusions sur les points litigieux, en suivant l'or- dre dans lequel l'avocat du demandeur a discuté ces points. On trouvera ensuite l'exposé des motifs de ma décision par rapport à chacun de ces points litigieux.
1) Je vais faire quelques brèves observations sur la question de la compétence du tribunal disci- plinaire pour connaître des questions concernant
la Charte, mais je m'abstiens de me prononcer là-dessus parce qu'il n'est pas essentiel de tran- cher cette question en l'espèce.
2) Dans la mesure il permet à un membre d'exiger d'un détenu, qui aurait absorbé une substance hallucinogène, qu'il fournisse un échantillon d'urine en vue d'une analyse destinée à déceler la présence de cette substance dans son organisme, l'article 41.1 du Règlement enfreint l'article 8 de la Charte parce qu'il autorise une fouille ou une perquisition abusive.
3) Dans la mesure il permet à un membre d'exiger d'un détenu, qui aurait absorbé une substance hallucinogène, qu'il fournisse un échantillon d'urine en vue d'une analyse destinée à déceler la présence de cette substance dans son organisme, l'article 41.1 du Règlement, étant donné que le refus de fournir l'échantillon donne lieu à des audiences disciplinaires pour désobéis- sance à un ordre légitime, enfreint l'article 7 de la Charte parce qu'il porte atteinte au droit du détenu à la liberté et à la sécurité de sa per- sonne, d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale.
4) L'article 41.1 du Règlement ne constitue pas une restriction raisonnable des droits et, libertés prévus aux articles 7 et 8, dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
5) L'article 41.1 du Règlement n'établit pas de discrimination interdite par l'article 15 de la Charte et il ne porte pas atteinte aux droits à l'égalité garantis par cet article.
Compétence du tribunal disciplinaire indépendant pour connaître de questions constitutionnelles
Le demandeur sollicite un jugement déclaratoire portant que le tribunal disciplinaire s'est abstenu sans droit d'exercer sa compétence dans cette affaire. Dans sa décision rendue en novembre 1987, le président indépendant du tribunal s'est prononcé sur cette question de la façon suivante:
[TRADUCTION] 3. Dans son argumentation écrite, l'avocat du détenu soutient que l'article 41.1 du Règlement est «ultra vires», parce qu'il est incompatible avec la Constitution du Canada, notamment avec les articles 7 et 8 de la Charte. L'avocat affirme en outre que, puisque l'article 41.1 est «ultra vires» et que le pouvoir de donner l'ordre en question ne reposait sur aucune loi ni sur la common law, l'ordre lui-même était illégal et qu'il n'était pas obligatoire d'y obéir.
4. Avant de me pencher sur l'argument de l'avocat, je dois tout d'abord décider si un président indépendant, comme moi- même, est compétent pour statuer sur la validité d'une disposi tion du Règlement sur le service des pénitenciers.
5. Dans la décision Ouimet c. La Reine, [1978] 1 C.F. 627 (sic, 672), rendue en octobre 1977, la Cour a décidé «qu'il appartient aux cours et non à un tribunal administratif de décider du caractère ultra vires d'un règlement».
6. Dans l'arrêt Martineau, la Cour suprême du Canada a elle aussi décidé qu'un comité de discipline dans un pénitencier n'est pas un tribunal judiciaire. Cette décision a été citée et suivie par la Section de première instance de la Cour fédérale, le 5 décembre 1986, dans l'affaire Joyce Bull c. Helen King MaLeod (sic), publiée dans [1986] C.F.
7. Étant donné cette jurisprudence, j'estime que ce tribunal n'est pas une cour et je suis donc incompétent pour connaître de la question de savoir si l'article 41.1 est «ultra vires».
À mon avis, la jurisprudence invoquée par le président n'est pas concluante quant à la question de la compétence du tribunal disciplinaire pour connaître des moyens de défense soulevés en l'es- pèce par Jackson et fondés sur la Charte cana- dienne des droits et libertés. Il est étonnant que l'on n'ait pas fait mention du seul précédent trai- tant explicitement de la question en litige en l'es- pèce, soit la légalité de l'ordre donné conformé- ment à l'article 41.1 du Règlement: la décision Dion. Celle-ci a été rendue par le juge Galipeau en août 1986 et elle a probablement été publiée dans le recueil avant que le tribunal n'ait rendu sa décision en novembre 1987, soit environ quinze mois plus tard. Le commissaire et les autres fonc- tionnaires supérieurs du Service correctionnel devaient être au courant de la décision Dion, puis- que apparemment le témoin Harvey la connaissait, avant que ne soient tenues en mai 1987 des audien ces disciplinaires mettant en cause Jackson.
Certes, l'appel formé contre la décision Dion suspendrait l'exécution de toute ordonnance du juge Galipeau (voir l'article 497 du Code de pro- cédure civile du Québec [L.R.Q., chap. C-25]), mais je m'interroge sur l'équité du processus disci- plinaire auquel Jackson a été soumis si les fonc- tionnaires du Service correctionnel n'ont pas attiré l'attention du président du tribunal disciplinaire sur la décision Dion. La question reste posée mais je ne me propose pas de m'y arrêter parce qu'au- cune preuve n'a été produite à ce sujet et que cette question n'a pas été débattue au procès.
Les débats au procès ont porté sur la compé- tence du tribunal disciplinaire à la lumière de la
jurisprudence concernant la compétence des tribu- naux, autres que des cours supérieures, pour con- naître de questions concernant la Charte dont ils ont été saisis. Cette question, de façon générale, a maintenant été étudiée dans bon nombre de causes devant les tribunaux provinciaux et devant cette Cour, souvent par rapport à l'un ou l'autre des paragraphes 24(1) et 52(1) de la Loi constitution- nelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), Appendice II, 44]], qui comprend la Charte. Voici le texte de ces dispositions:
24. (1) Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s'adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Le paragraphe 24(1) n'attribue pas de compé- tence pour accorder une réparation, du moins en ce qui concerne les tribunaux autres que les cours supérieures: Mills c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 863. La Cour suprême du Canada ne s'est pas encore prononcée sur la question de savoir si le paragraphe 52(1) est, en dernière analyse, la dis position que les nombreux tribunaux, autres que les cours supérieures, ou certains d'entre eux, peu- vent invoquer pour s'abstenir d'appliquer les lois qui seraient contraires à la Charte, selon les justi- ciables en cause. Dans les décisions sur cette ques tion qu'elle a rendues jusqu'à présent, la Cour d'appel fédérale a reconnu le pouvoir de certains organismes de refuser d'appliquer des lois ou des règlements incompatibles avec la Charte. La Com mission d'appel de l'immigration (Law c. Sollici- teur général du Canada, [1985] 1 C.F. 62 (C.A.)) et des conseils arbitraux et des juges-arbitres dési- gnés conformément à la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage [S.C. 1970-71-72, chap. 48] (Zwarich c. Canada (Procureur général), [1987] 3 C.F. 253 (C.A.)) et Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), [1989] 2 C.F. 245 (C.A.) ont été tenus pour compétents pour rendre pareille décision. Dans d'autres affaires, la même Cour a refusé de reconnaître à un comité de révision chargé d'enten- dre les appels formés en vertu de la Loi de 1973
sur les allocations familiales [S.C. 1973-74, chap. 44] l'aptitude à juger la question, du moins dans les cas il entendait accorder une réparation dépassant les attributions dont la loi l'avait investi: Canada (Procureur général) c. Vincer, [1988] 1 C.F. 714 (C.A.); Alli c. Canada (Procureur géné- ral) (1988), 88 N.R. 1 (C.A.F.); Canada (Procu- reur général) c. Sirois (1988), 90 N.R. 39 (C.A.F.). La Cour suprême du Canada apportera peut-être des éclaircissements sur cette question quand elle statuera sur le pourvoi dans Tétreault- Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada), précité, autorisation de pourvoi accordée [[1989] 2 R.C.S. 1110].
S'il était nécessaire en l'espèce de trancher la question de la compétence du tribunal discipli- naire, il faudrait examiner un argument que le demandeur fait valoir. Cet argument veut que, si le tribunal n'est pas compétent pour statuer sur un moyen de défense fondé sur la Charte, de sorte que l'accusé ne peut invoquer ce moyen de défense et avoir gain de cause que devant la cour exerçant le contrôle judiciaire, celui-ci serait privé de droits garantis par l'article 7 de la Charte. Selon cette thèse, si le tribunal disciplinaire chargé d'entendre l'accusation portée contre un détenu ne tenait pas compte des moyens de défense fondés sur la Charte, ce dernier serait privé de son droit à la liberté et à la sécurité de sa personne en contraven tion des principes de justice fondamentale. Dans les circonstances de la présente affaire, on pourrait également affirmer que ce droit a été violé parce que le président indépendant du tribunal n'a pas appliqué la loi telle que définie par la Cour supé- rieure, si la décision de celle-ci avait été connue, comme cela aurait être le cas.
J'aurais tendance à accepter l'argument du demandeur si cela était nécessaire pour trancher le litige, du moins dans une affaire la question soumise au tribunal disciplinaire ne nécessite pas que celui-ci juge selon sa première impression, mais elle a déjà été décidée par une cour supérieure, en l'occurrence la Cour supérieure du Québec dans l'affaire Dion, avant que Jackson n'ait fait l'objet d'audiences disciplinaires. Je remarque qu'au procès, l'argument du demandeur n'a pas été développé ni soutenu à fond. Puisqu'il n'est pas essentiel de trancher cette question en l'espèce, je vais m'abstenir de rendre une décision sur ce point.
L'article 8
L'article 8 de la Charte est ainsi conçu:
8. Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.
Le demandeur soutient que la fouille prévue à l'article 41.1 du Règlement est interdite par l'article 8 parce que l'article 41.1 autorise un membre du personnel à exiger d'un détenu qu'il fournisse un échantillon d'urine, sans faire mention d'aucune norme ou circonstance excepté la néces- sité, qui est laissée à l'appréciation du membre du personnel, et parce que le détenu s'expose à une sanction s'il est déclaré coupable au terme d'au- diences disciplinaires, soit du fait de ses résultats positifs, soit du fait qu'il n'a pas fourni l'échantil- lon exigé. «L'obligation» faite au détenu de se soumettre à une analyse d'urines de cette manière constituerait une fouille au sens de l'article 8 de la Charte. Selon cet argument, faute de consente- ment du détenu, l'obligation de fournir un échan- tillon d'urine constituerait une fouille et une saisie. Le demandeur se fonde par analogie sur la juris prudence concernant le prélèvement d'échantillons de sang sans le consentement de l'intéressé (R. v. Racette (1988), 48 D.L.R. (4th) 412 (C.A. Sask.); R. v. Katsigiorgis (1987), 62 O.R. (2d) 441 (C.A.); R. v. Dyment (1986), 57 Nfld. & P.E.I.R. 210 (C.A.I.-P.-E.)) et le prélèvement d'échantil- lons d'haleine (voir R. v. Enns (1987), 85 A.R. 7 (C. prov.)); il cite en outre contra, R. v. Holman (1982), 28 C.R. (3d) 378 (C. prov. C.-B.).
Dans la défense modifiée produite dans cette action, les défendeurs allèguent que [TRADUC- TION] «l'obligation faite [aux détenus] de fournir un échantillon d'urine ne constitue pas une fouille au sens de l'article 8 de la Charte et que de toute façon il n'est pas abusif de l'exiger». Au procès, on n'a pas tenté sérieusement de démontrer que la disposition réglementaire n'avait pas pour objet une fouille, sauf pour soutenir qu'en vertu du Règlement, un détenu pourrait refuser de fournir un échantillon et ainsi se soustraire à toute fouille ou aux effets d'une fouille. Certes, cette affirma tion est en apparence exacte, mais le détenu est passible de sanctions au terme d'audiences discipli- naires tenues au sujet de son refus de fournir un échantillon en dépit de l'ordre reçu. On peut donc difficilement affirmer que le détenu a la faculté de refuser de fournir un échantillon. En fait, en cas de
refus, il encourt des sanctions semblables à celles qui le frapperaient si les résultats de son analyse étaient positifs, c'est-à-dire s'ils permettaient de déceler la présence dans son organisme de sub stances hallucinogènes interdites. En fin de compte, le refus est assimilé à la consommation desdites substances, du moins en ce qui a trait à la sanction. Vu ces circonstances, il me semble impossible d'affirmer que le Règlement n'a pas une fouille pour objet.
La fouille ainsi autorisée est-elle abusive au sens de l'article 8 de la Charte? Dans l'arrêt R. c. Collins, [1987] 1 R.C.S. 265, à la page 278, le juge Lamer, représentant la majorité, dit ce qui suit au sujet de l'article 8:
Une fouille ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même n'a rien d'abusif et si la fouille n'a pas été effectuée de manière abusive.
Dans la cause de Jackson, l'argumentation porte sur ces trois critères relatifs au caractère abusif de la fouille.
Les défendeurs ont fait valoir deux arguments touchant la manière dont la fouille prévue par le Règlement doit être faite. Ils ont affirmé que l'on n'avait pas sérieusement mis en doute la validité des méthodes d'analyse, soit d'une part, la techni que EMIT -ST et d'autre part, la confirmation des résultats positifs au moyen de la méthode GC/MS (chromatographie en phase gazeuse et spectromè- tre de masse). Les défendeurs ont fondé la validité, du point de vue technique, de ces méthodes d'ana- lyse sur la jurisprudence américaine relative aux programmes d'analyse d'urines des détenus (voir: Jensen v. Lick, 589 F. Supp. 35 (Dist. Ct. 1984); Spence v. Farrier, 807 F.2d 753 (8th Cir. 1986); Peranzo v. Coughlin, 675 F. Supp. 102 (S.D.N.Y. 1987) et des fonctionnaires d'organismes fédéraux (voir: National Treasury Employees Union v. Von Raab, 816 F. 2d 170 (5th Cir 1987) confirmé en appel par 103 L.Ed. 2d 685 (1989)). Je conclus que les techniques d'analyse retenues en l'occur- rence ne constituent pas une manière abusive d'ef- fectuer une fouille, au sens de l'article 8 de la Charte, si le Règlement lui-même n'est pas par ailleurs abusif.
Les défendeurs ont également soutenu qu'il fal- lait donner peu de poids à l'allégation du deman- deur selon laquelle l'analyse d'urines, étant donné
la manière dont on procédait, était dégradante, parce qu'en fait, celui-ci avait refusé de fournir un échantillon et ne pouvait guère se plaindre qu'il se sentait dégradé en en fournissant un. Au surplus, ils ont affirmé que la méthode portait moins atteinte à la vie privée que les fouilles à nu qu'au- torisent implicitement, sauf dans certains cas, les décisions Weatherall, citées ci-dessous. (Voir aussi McDonell v. Hunter, 809 F.2d. 1302 (8th Cir. 1987) confirmant la validité de l'analyse d'urines à laquelle étaient soumis les employés du service correctionnel de l'État dans les prisons relevant de celui-ci.) Les personnes qui avaient fait l'objet d'un examen médical, par exemple, avait l'expé- rience de l'analyse d'urines et ne considéraient généralement pas qu'elle portait atteinte à leur vie privée. Du point de vue de la gravité relative de l'atteinte à la vie privée, la comparaison des fouil- les à nu et des analyses d'urines qui supposent que la personne reçoive l'ordre de fournir un échantil- lon sous surveillance directe n'est pas d'un grand secours, à mon avis.
La manière dont, en l'occurrence, la personne doit fournir l'échantillon requis porte effective- ment atteinte à sa vie privée. Le meilleur moyen d'apprécier la portée de cette atteinte consiste peut-être à examiner le caractère abusif de la loi en question plutôt qu'à s'arrêter à la manière dont la loi est appliquée. D'autant plus qu'en l'espèce, les faits établis ne concernent pas vraiment la manière dont la fouille a été faite en vertu de l'article 41.1 du Règlement, puisque Jackson a refusé de fournir un échantillon et qu'il n'y a pas eu de fouille.
Pour juger du caractère abusif de la loi autori- sant la fouille en l'espèce, il est nécessaire de déterminer d'abord quelle est la loi en litige. Selon l'argument du demandeur, il faut faire la distinc tion entre l'article 41.1 du Règlement et les direc tives du commissaire, les ordres permanents et les autres énoncés de politique ou programmes du Service correctionnel. Seulement la Loi et le Règlement auraient force de loi et ceux-ci ne contiennent aucune norme ou critère à l'intention du personnel ou des détenus concernant l'applica- tion de l'article 41.1. Cet article serait de rédaction trop générale et donnerait prise aux abus du per sonnel, qui pourrait agir par caprice ou sur un simple soupçon sans être fondé à croire qu'un
détenu a consommé des substances hallucinogènes interdites. Par surcroît, quant un membre du per sonnel ordonne à un détenu de fournir un échantil- lon d'urine, il n'a pas à lui donner d'explication et il peut donner cet ordre, comme l'a fait Finucan en l'espèce, même s'il n'est pas récemment entré en contact direct avec le détenu. La thèse que soutien- nent les défendeurs veut que tout le programme d'analyse d'urines, tel que planifié à l'origine et désormais exposé dans les directives et les ordres permanents de l'établissement, soit en litige en l'espèce, nous exhortant implicitement à interpré- ter le texte réglementaire général à la lumière des directives et des ordres postérieurs.
Il semble que chacune des parties envisage des résultats extrêmes, selon que le règlement sera déclaré valide ou invalide. A mon avis, ce n'est pas tout le programme tel que conçu qui est en litige, car les faits allégués et établis par la preuve ne se rapportent qu'à un aspect du programme qui a été mis en vigueur. En l'occurrence, un membre du personnel a exigé de Jackson qu'il fournisse un échantillon d'urine en vue d'une analyse parce qu'il a estimé cette mesure nécessaire pour déceler la présence d'une substance hallucinogène dans l'organisme du détenu, un autre membre du per sonnel croyant qu'une telle substance y était pré- sente. Ce dont nous discutons en l'espèce, ce n'est pas du choix de détenus au hasard, puisque cela n'a jamais été fait, ni du cas d'un détenu qui avait dans le passé eu des démêlés avec la justice à cause des drogues, ni d'un détenu qui participait à l'épo- que en cause à un programme de visites-contact ou à des activités communautaires. En outre, il n'a pas été prouvé non plus que l'échantillon a été exigé par pur caprice ou dans l'intention de brimer Jackson—abstraction faite des soupçons de Jack- son à propos des mobiles des agents en cause. Par conséquent, vu les faits allégués et prouvés en l'espèce, la question se ramène aux circonstances clairement décrites, selon une interprétation stricte de l'article 41.1, savoir le fait qu'un membre du personnel a cru ou a soupçonné que Jackson avait consommé une substance hallucinogène «autre qu'un alcool de fabrication artisanale».
Il résulte, à l'évidence, de la décision du juge Strayer en première instance dans l'affaire Wea- therall c. Canada (Procureur général), [1988] 1 C.F. 369 (ire inst.), aux pages 413 et 414, et de la
décision du juge Stone de la Cour d'appel dans la même affaire (Weatherall c. Canada (Procureur général), [1989] 1 C.F. 18 (C.A.), aux pages 30 à 36), que les directives du commissaire n'ont pas force de loi et qu'elles ne peuvent pas assortir le règlement en cause d'une réserve ni prescrire une limite au sens de l'article premier de la Charte. Le même raisonnement, qui tire son origine de l'arrêt de la Cour suprême du Canada, rendu par le juge Pigeon au nom de la majorité, dans Martineau et autre c. Comité de discipline des détenus de l'Ins- titution de Matsqui, [1978] 1 R.C.S. 118, à la page 129, serait également applicable dans le cas des ordres permanents d'un établissement.
Peut-être la Cour suprême ou la Cour d'appel réexaminera-t-elle la question et limitera-t-elle la portée de l'arrêt Martineau, lequel traitait avant tout du sens qu'il faut donner à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e Supp.), chap. 10] et non pas des questions découlant de la Charte canadienne des droits et libertés. Si je ne m'abuse, on a demandé à la Cour d'appel dans l'affaire Weatherall, précitée, de retenir cette solu tion mais elle s'en est abstenue. Néanmoins, dans le vaste domaine des activités de l'État aujour- d'hui, diverses actions sont accomplies dans l'appli- cation de divers actes et instruments censés avoir été pris en conformité avec des lois et des textes réglementaires de portée générale, comme le reconnaît implicitement le Programme de la réforme de la réglementation fédérale. Les tribu- naux seraient peut-être bien avisés en adoptant une interprétation large de ce qui constitue une règle de droit ou une action prévue par la loi si la Charte des droits doit s'appliquer intégralement à l'action de l'État. En attendant que ce principe soit reconnu, la décision de la Cour d'appel dans l'af- faire Weatherall empêche la Section de première instance de cette Cour d'examiner cette question.
En conséquence, je conclus qu'il faut interpréter l'article 41.1 du Règlement sans tenir compte des modifications ou des réserves qui découlent des directives et des ordres permanents régissant, en l'occurrence, son application.
Voyons le texte de l'article 41.1 du Règlement, dans les deux langues officielles. Ses éléments essentiels sont les suivants:
41.1 (1) Un membre qui considère une telle mesure néces- saire pour déceler la présence d'une substance hallucinogène
dans l'organisme d'un détenu peut exiger de ce dernier qu'il lui fournisse ... un échantillon d'urine ... pour permettre ... d'en faire l'analyse ...
Selon le texte du Règlement, dans les deux langues officielles, une seule norme ou critère ou circonstance régit son application, c'est-à-dire une circonstance un membre du personnel juge la mesure nécessaire: «un membre [le] considère ... nécessaire pour déceler la présence d'une sub stance hallucinogène dans l'organisme d'un détenu», ou «considers the requirement of a urine sample necessary to detect the presence of an intoxicant in the body of an inmate». Quant à l'alinéa 41(2)c), qui a fait l'objet de la décision Weatherall, précitée, la fouille était autorisée dans le cas suivant: (version française) «un membre [le] considère raisonnable et nécessaire», ou (version anglaise) «a member considers fit] reasonable». Les deux versions officielles semblaient différentes dans cette affaire-là, mais toutes deux se rappor- taient au caractère raisonnable et le texte régle- mentaire a été examiné en fonction de ce critère.
Dans le cas qui nous occupe, les défendeurs ont fait valoir que la norme de «la nécessité» était plus élevée que la norme de la mesure «raisonnable». En outre, ils ont soutenu que la question de la néces- sité pouvait de toute façon être soulevée devant un tribunal disciplinaire, à supposer que le détenu ait été soumis à des audiences disciplinaires en raison de ses résultats positifs ou de son refus de fournir un échantillon. On ne m'a pas persuadé du bien- fondé de cet argument. En réalité, le terme «rai- sonnable» suppose une raison liée au but du règle- ment, un lien rationnel entre le but et la mesure prise et, à mon sens, il implique aussi une réserve quant à la nature de la mesure prise, c'est-à-dire que celle-ci doit être raisonnable dans les circons- tances. Étant donné ces réserves, il ne suffit pas de conclure, selon moi, que la fouille a été considérée comme nécessaire. Si la question de la nécessité était un moyen de défense invoqué au cours d'au- diences disciplinaires, la disposition réglementaire ne fournit au tribunal aucun critère d'appréciation, si ce n'est la croyance du membre du personnel.
Je suis disposé à admettre que l'article 41.1 du Règlement comporte une norme ou une réserve implicite régissant son application, c'est-à-dire que celle-ci doit être compatible avec le but ou les buts du Règlement. Les propos du juge Stone de la
Cour d'appel dans l'affaire Weatherall, précitée, [1989] 1 C.F. 18 aux pages 42 et 43, relativement à l'autre disposition susmentionnée du Règlement, sont également applicables à l'article 41.1.
Je n'entends pas ainsi suggérer que les autorités et le personnel devraient être laissés complètement libres en ce qui regarde ces questions et avoir ainsi la possibilité d'abuser de leurs pouvoirs. L'autorité conférée par l'alinéa 41(2)c) est limitée aux situa tions dans lesquelles un membre considère que la mesure visée est «raisonnable» soit pour déceler la présence d'objets détenus illégalement soit pour assurer le bon ordre au sein de l'institu- tion. À mon avis, de telle fouilles doivent toujours être prati- quées de bonne foi. Elles ne peuvent avoir pour but d'intimider, d'humilier ou de harceler les détenus ou de leur infliger une punition.
Mis à part la condition implicite que comporte la disposition réglementaire en l'espèce, selon laquelle celle-ci doit être appliquée en conformité avec ses buts, je ne suis pas prêt à en inférer qu'elle comporte d'autres conditions précises, ni à donner à l'article 41.1 «une interprétation large» ou «une interprétation atténuée» permettant de satisfaire aux exigences constitutionnelles. Une telle solution serait incompatible avec la méthode approuvée par le juge Dickson [tel était alors son titre] dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., [ 1984] 2 R.C.S. 145, aux pages 168 et 169, et suivie par le juge Strayer dans l'affaire Weatherall, précitée, à la page 397, et par d'autres.
Il est vrai que la décision de la Cour d'appel dans Weatherall a restreint la portée du jugement du juge Strayer en première instance, en limitant l'ordonnance et le raisonnement relatif à l'alinéa 41(2)c) aux faits révélés par la preuve et par les plaidoiries des parties. En fait, le Règle- ment a été déclaré invalide seulement dans la mesure il visait la fouille à nu de détenus de sexe masculin en présence d'un gardien de sexe féminin, et non pas la fouille à nu en général. Néanmoins, la décision du juge Strayer relative- ment à l'absence de critères, de normes ou de définition des circonstances régissant l'application de la disposition réglementaire en question dans cette affaire-là, est convaincante si on l'examine dans le contexte de l'application de l'article 41.1 du Règlement en litige. Par analogie, il déduit de manière convaincante du raisonnement du juge Dickson (maintenant juge en chef) dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., précité et du juge Lamer dans l'arrêt R. c. Collins, précité, ainsi que du raisonnement suivi dans des jugements
américains qui font autorité, que parce qu'il ne formulait expressément aucune réserve ou critère, sauf par l'emploi de l'adjectif «reasonable» dans la version anglaise et des qualificatifs «raisonnable et nécessaire» dans la version française, l'alinéa 41(2)c) du Règlement en question dans cette affaire n'établissait pas de norme suffisante pour garantir que les fouilles ne seraient pas abusi- ves au sens de l'article 8 de la Charte. Cette disposition était donc invalide. Son invalidité est manifestement confirmée par la Cour d'appel, bien que la décision de celle-ci soit limitée aux fouilles à nu de détenus de sexe masculin par des gardiennes.
Quel genre de critères auraient pu être inclus dans l'article 41.1? S'agit-il d'une situation dans laquelle l'opportunité d'exiger un échantillon devrait être approuvée au préalable par une auto- rité indépendante? L'autorisation préalable, dans les cas elle peut être obtenue, semble être une condition de la validité d'une fouille ou d'une perquisition (le juge Dickson dans l'arrêt Hunter et autres c. Southam Inc., précité, à la page 161), du moins lorsqu'il s'agit d'une perquisition dans un bureau. Dans l'affaire Weatherall, le juge Strayer n'a pas estimé nécessaire l'autorisation préalable par rapport à des fouilles à nu visant à déceler la présence d'objets interdits, parce qu'il ressortait clairement de la preuve qu'il serait assez facile, dans le contexte carcéral, de se départir d'objets interdits pendant le délai nécessaire pour obtenir l'autorisation préalable. Un mécanisme de révision par des supérieurs, après la fouille, aurait été une solution de rechange propre à réduire au minimum les possibilités d'abus (le juge Stone de la Cour d'appel dans l'arrêt Weatherall, précité [1989] 1 C.F. 18, à la page 43). Dans le cas de Jackson, bien que l'autorisation préalable n'ait pas été prévue dans le Règlement lui-même, il appert des témoignages entendus que l'autorisation préalable d'un supérieur avait été demandée et obtenue avant que soit exigée l'analyse d'urines, une façon de procéder qui visait peut-être à écarter les possi- bilités d'abus. Cette manière de procéder serait également justifiée par le fait, qui a été prouvé, que les éléments traces de drogues que l'analyse a pour but de détecter ne sont éliminés que quelques heures, voire quelques jours, après l'absorption des substances. Donc, lorsqu'il s'agit d'obtenir un échantillon, la situation serait moins pressante que lorsque l'on cherche à déceler la présence d'objets
interdits sur la personne des détenus. En fait, dans le cas d'un détenu comme Jackson, que l'on avait décidé de soumettre à une analyse destinée à déce- ler la présence de drogues à cause de sa conduite, ou à cause de celle d'autres personnes avec lesquel- les on estimait qu'il était en relations, la procédure pourrait bien exiger non seulement qu'on demande une autorisation au préalable mais également qu'on explique pourquoi on envisage d'exiger un échantillon et que l'on donne au détenu la possibi- lité d'être entendu avant que la décision définitive ne soit prise d'exiger une analyse d'urines.
Il appartiendra en dernière analyse au commis- saire et peut-être aux tribunaux de décider, dans le cadre d'un autre litige, s'il serait opportun d'impo- ser ces exigences. Celles-ci ne semblent pas exorbi- tantes dans le cas d'un règlement qui a pour but de déceler la présence de drogues dans un échantillon d'urine lorsqu'on a des raisons de croire que le détenu en cause a absorbé des substances halluci- nogènes, si je saisis bien les aspects techniques de l'analyse d'urines. D'autres critères ou normes ou circonstances définies pourraient être expressé- ment inclus dans les dispositions réglementaires à titre d'information au profit du personnel et des détenus, afin qu'il soit possible de soumettre à une analyse des détenus choisis au hasard ou apparte- nant à un groupe à risque élevé. Peut-être, comme l'a proposé le juge Strayer dans l'affaire Weathe- rall, certaines des réserves dont sont assortis les directives, les ordres permanents ou les énoncés de politique du Service pourraient-elles être incluses dans le Règlement. Tel quel, sans critères explici- tes, sauf le fait pour un agent de juger la mesure nécessaire, l'article 41.1 du Règlement, à mon sens, ne saurait être considéré comme une loi raisonnable autorisant des fouilles et il ne satisfait donc pas aux exigences de l'article 8 de la Charte.
J'insiste sur le fait que cette conclusion vaut à l'égard de l'article 41.1 du Règlement dans la mesure il se rapporte aux faits visés en l'espèce dans les plaidoiries et les témoignages, c'est-à-dire la situation le détenu, dont on exige qu'il four- nisse un échantillon d'urine en vue d'une analyse, est soupçonné d'avoir absorbé une substance hallu- cinogène. Au cours du procès, on a affirmé qu'il s'agissait d'un cas s'appliquerait la notion de motifs raisonnables. Ma conclusion ne concerne pas directement toutes les autres situations qui
auraient été visées par le programme général d'analyse d'urines du Service correctionnel, si ce programme avait été mis en vigueur, c'est-à-dire l'examen des urines de détenus choisis au hasard, des urines de ceux qui ont déjà eu des démêlés avec la justice à cause des drogues et des urines de ceux qui participent à des programmes communautaires qui leur fournissent amplement la possibilité d'avoir des contacts avec des gens de l'extérieur. Aucun de ces aspects du programme prévu n'a été directement soumis à la Cour en l'espèce. Ceux-ci ont été discutés mais seulement de façon implicite à la lumière des programmes généraux du Service et de sa volonté manifeste de ne mettre ces pro grammes en application que sous le régime d'un règlement général, raisonnablement concis, sans normes, critères ou circonstances définis en détail, le Service ayant toute latitude pour modifier ou retirer le programme ou des aspects de celui-ci à volonté. Une décision concernant le règlement qui a été pris, dans la mesure il a pour objet des situations dans lesquelles on est fondé à croire, pour un motif raisonnable, qu'un détenu a absorbé une substance hallucinogène, n'a pas trait à l'apti- tude du Service à atteindre tous les objectifs du programme qu'il a conçu. À vrai dire, elle porte plutôt sur la manière dont ce programme est mis en vigueur conformément à un ou plusieurs textes réglementaires libellés de façon à préciser les cir- constances, critères ou normes applicables à ces objectifs, permettant à tous les intéressés de con- naître objectivement les motifs pour lesquels on pourra exiger que des échantillons d'urine soient fournis en vue d'une analyse.
Pour nous prononcer sur le règlement en litige, ou sur tout autre texte que le Service correctionnel pourrait invoquer pour accomplir les objectifs de son programme d'analyse d'urines, il faut mettre dans la balance le droit d'un particulier de ne pas être importuné, à savoir le droit à la vie privée, et le droit du gouvernement de s'immiscer dans sa vie privée pour réaliser des objectifs légitimes. L'at- tente en matière de vie privée peut varier selon les circonstances. L'attente est moins grande en ce qui concerne les exigences douanières pour entrer dans un pays qu'en ce qui a trait aux conditions pour entrer dans une maison ou dans un bureau (R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495) et elle est encore moins grande en milieu carcéral une surveil lance de tous les instants est exercée (Weatherall,
précitée; voir aussi Lanza v. New York, 370 U.S. 139 (Ct. App. N.Y. 1962); Bell v. Wolfish, 441 U.S. 520 (2nd Cir. 1979); Hudson v. Palmer, 468 U.S. 517 (4th Cir. 1984)). Dans le contexte carcé- ral, l'intérêt public commande que l'État veille à la sécurité dans les établissements pénitentiaires au profit tant du personnel que des détenus.
La jurisprudence américaine citée en l'espèce illustre le point de vue généralement adopté par les tribunaux au sujet des programmes obligatoires d'analyse d'urines dans un autre État. En règle générale, ils ont reconnu la primauté du droit de l'État d'assurer la sécurité dans les prisons sur l'attente limitée en matière de vie privée des per- sonnes incarcérées, même en tenant compte des garanties constitutionnelles contre certains types de fouilles, de perquisitions et de saisies contenues dans le Quatrième Amendement à la Constitution des États-Unis, une disposition comparable dans une certaine mesure à l'article 8 de la Charte canadienne, bien que le contexte historique de son adoption et les buts qu'elle semble viser soient différents.
L'équilibre qu'il convient d'établir entre ces deux aspects de l'intérêt public, savoir, d'une part, le maintien de la sécurité dans les établissements pénitentiaires et, d'autre part, la reconnaissance du fait que les détenus ont des attentes en matière de vie privée, peut différer selon les objectifs que visent à atteindre les programmes d'analyse d'uri- nes. Les normes constitutionnelles peuvent donc différer selon que l'on cherche à obtenir des élé- ments de preuve dans le cas d'un détenu dont on croit qu'il a absorbé des substances hallucinogènes, ou selon que l'on soumet à des analyses des déte- nus choisis au hasard, des détenus appartenant à des groupes à risque élevé ou des détenus qui ont beaucoup de contacts avec la collectivité.
On a fait valoir au nom des défendeurs que dans une affaire donnée, comme en l'espèce, les tribu- naux peuvent laisser une certaine latitude aux administrateurs des prisons dans la recherche de l'équilibre approprié, ce qu'a reconnu le juge Stone de la Cour d'appel dans l'arrêt Weatherall, précité, [1989] 1 C.F. 18, à la page 42. Cette latitude ne peut pourtant pas empêcher les tribunaux de sta- tuer sur la question de savoir, quand ils en ont été saisis, si le règlement qui confère à l'administra- teur ses attributions est compatible avec la Charte canadienne des droits et libertés.
Je le répète, quant aux questions soulevées au sujet de l'article 8 de la Charte, je conclus que l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers, dans la mesure il permet que soit exigé d'un détenu dont on croit qu'il a absorbé une substance hallucinogène, qu'il fournisse un échan- tillon d'urine en vue d'une analyse, autorise une fouille abusive. Il viole donc l'article 8 de la Charte à cet égard. Et cela pour la raison que le règlement lui-même ne contient pas de norme, de critère ni de définition des circonstances régissant son appli cation, propres à guider le personnel ou les déte- nus, qui garantiraient que son application n'est pas abusive au sens de l'article 8.
L'article 7
Le demandeur soutient qu'il est illégal d'exiger qu'un échantillon d'urine soit fourni, parce que l'article 41.1 du Règlement viole l'article 7 de la Charte et n'est pas visé par l'exception prévue à l'article premier. C'est la conclusion à laquelle en est arrivé le juge Galipeau dans l'affaire Dion précitée.
L'article 7 de la Charte est ainsi libellé:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
L'affaire Dion, précitée, nous l'avons vu, porte sur le même article du Règlement qui est contesté en l'espèce. Dans deux autres précédents cana- diens, le litige avait trait à l'utilisation dans des poursuites pénales d'éléments de preuve obtenus par suite d'analyses d'urines et dans ces deux affaires, ces éléments ont été jugés recevables parce que le mode de prélèvement des échantillons n'avait pas été tenu pour abusif. Dans les deux cas, ils avaient été recueillis dans des récipients en usage à l'hôpital après que l'accusé les eut fournis. L'échantillon avait été obtenu avec le consente- ment de l'accusé dans l'affaire R. v. Katsigiorgis (1987), 62 O.R. (2d) 441 (C.A.), et sans son consentement mais après que les urines eurent été évacuées à l'occasion d'une intervention chirurgi- cale, dans R. v. L.A.R. (1985), 17 D.L.R. (4th) 268 (C.A. Man.). Nous ne pouvons nous appuyer sur aucune de ces décisions pour trancher les questions litigieuses en l'espèce.
Dans l'affaire Dion, le juge Galipeau a analysé des arguments relatifs aux articles 7 et 1 de la
Charte. Après avoir lu son jugement ([1986] R.J.Q. 2196), j'ai extrait de ses conclusions les éléments essentiels suivants:
1. Le programme obligatoire d'analyse d'urines prévu à l'article 41.1 du Règlement porte atteinte au droit des détenus à la liberté et à la sécurité de leur personne qui est garanti par la Constitution. (R.J.Q., aux pages 2201 et 2202)
2. Étant donné le but du règlement, il semble que l'intervention du législateur soit conforme aux principes de justice fondamentale (R.J.Q. aux pages 2202 et 2203).
3. Quant à l'article 41.1 du Règlement, les res trictions au droit à la liberté et à la sécurité n'étaient pas conformes aux principes de justice fondamentale parce que le texte réglementaire attribuait aux agents du pénitencier des pouvoirs arbitraires, non assortis de limitations ou de critères appropriés, leur permettant d'exiger que soit fourni un échantillon en vue d'une analyse. Tout détenu, qu'il ait ou non jamais consommé de substances hallucinogènes et qu'il ne présente ou non aucun danger de commettre des actes d'indiscipline ou des actes découlant de l'absorp- tion de substances hallucinogènes, pourrait être obligé à fournir un échantillon en vue d'une analyse sans que soit énoncé aucun critère selon lequel on pourrait décider à quel moment et pour quelle raison pareille mesure serait néces- saire; les détenus ne jouiraient d'aucune protec tion contre les abus pouvant découler de l'exer- cice arbitraire du pouvoir conféré par le règlement (R.J.Q., aux pages 2203 et 2204).
4. L'atteinte autorisée par le règlement ne cons- tituait pas une limite raisonnable qui peut être justifiable dans une société libre et démocrati- que au sens de l'article premier de la Charte. (R.J.Q., à la page 2207)
Je ne saurais souscrire aux prémisses du juge Galipeau (R.J.Q., à la page 2202) selon lesquelles tout citoyen, même le prisonnier, a le droit de s'intoxiquer modérément, et selon lesquelles porter atteinte à ce droit, en l'obligeant à fournir un échantillon d'urine destiné à déceler la présence d'une substance hallucinogène dans son organisme sous peine de sanctions disciplinaires, limite son droit fondamental à la liberté et à la sécurité de sa personne. Cela est peut-être vrai pour le citoyen
libre, mais il en va tout autrement du régime pénitentiaire. À l'intérieur des murs de la prison, la surveillance et la privation des libertés ordinaires sont pratiquées de façon constante, la vie privée est limitée et l'on a peu d'attentes; les détenus ne peuvent avoir en leur possession et consommer que ce qui est autorisé ou fourni et tout autre objet en leur possession est considéré comme interdit et susceptible de confiscation.
Le demandeur fait valoir en l'espèce qu'il y a lieu de suivre la décision Dion et que, cette déci- sion mise à part, l'article 41.1 du Règlement viole l'article 7 de la Charte si on l'apprécie selon les critères maintenant reconnus relativement aux droits garantis par cette disposition.
Les défendeurs font valoir qu'il n'y a pas lieu de suivre la décision du juge Galipeau dans l'affaire Dion et qu'il y a lieu d'interpréter cette décision à la lumière des arrêts de la Cour d'appel dans l'affaire Weatherall, précitée et de la Cour suprême du Canada dans R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387. En outre, ils font valoir que la disposi tion réglementaire en litige ne porte pas atteinte au droit du détenu à la liberté ou à la sécurité de sa personne d'une manière qui transgresse les princi- pes de justice fondamentale, et que même si le tribunal en arrivait à la conclusion contraire, la restriction des droits du détenu est compatible avec l'application de l'article premier de la Charte, parce qu'elle constitue une limite raisonnable «dont la justification [peut] se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
Pour résoudre ce différend, je vais examiner les répercussions de la jurisprudence postérieure sur le jugement Dion et apprécier l'article 41.1 du Règle- ment à la lumière des critères maintenant bien établis par les arrêts de la Cour suprême relative- ment à l'étude des questions touchant l'article 7 de la Charte. Voir, de façon générale, Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387; R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30.
Je vais d'abord étudier l'argument des défen- deurs qui veut que les arrêts Weatherall et Beare précités aient une incidence sur le jugement Dion.
En première instance dans l'affaire Weatherall, le juge Strayer a décidé que l'article 7 de la Charte ne s'appliquait pas aux questions dont il était saisi et au sujet desquelles il a conclu qu'elles mettaient clairement en jeu l'article 8. Les défendeurs sou- tiennent qu'il y a lieu d'établir une distinction semblable en l'espèce. Je n'admets pas cet argu ment parce que les circonstances sont différentes. En l'espèce, Jackson n'a pas été fouillé parce qu'il a refusé de fournir un échantillon d'urine. Il a plutôt fait l'objet d'audiences disciplinaires et il était passible de sanctions sévères, tout comme s'il y avait eu une fouille et si les résultats de l'analyse d'urines avaient révélé la présence d'une substance hallucinogène. Il est vrai que ces audiences por- taient sur l'omission d'obéir à l'ordre reçu de four- nir un échantillon, mais elles découlaient directe- ment de l'obligation de se soumettre à une fouille. Les audiences disciplinaires affectent la liberté du demandeur, droit qui lui est garanti, avec certaines réserves, par l'article 7. Étant donné le lien direct entre les audiences disciplinaires et l'omission d'obéir à l'ordre de fournir un échantillon, c'est-à- dire de permettre qu'une fouille soit effectuée, il me semble à propos dans cette affaire d'examiner l'article 41.1 du Règlement par rapport aux dispo sitions de l'article 7 ainsi que de l'article 8 de la Charte.
L'avocat des défendeurs a également soutenu que la décision de la Cour d'appel dans Weatherall avait d'autres conséquences pour la décision Dion. Selon lui, la Cour d'appel a confirmé la validité de l'alinéa 41(2)c) du Règlement litigieux excepté dans la mesure il permettait la fouille à nu des détenus de sexe masculin par des gardiennes. Il est vrai que la Cour d'appel a limité la portée du jugement déclaratoire du juge Strayer aux faits exposés dans les plaidoiries et prouvés au procès. En première instance dans Weatherall, le juge Strayer est arrivé à sa décision après avoir conclu que le règlement violait l'article 8 de la Charte parce qu'il n'établissait aucune norme ou critère pour son application. Le même raisonnement sert certainement de base à la décision de la Cour d'appel limitant le jugement aux faits et plaidoiries de la cause mais il ne diffère pas pour l'essentiel du raisonnement du juge Strayer. Je n'accepte pas l'argument voulant que l'arrêt de la Cour d'appel dans Weatherall modifie de façon importante l'ef- fet du jugement Dion.
Dans l'arrêt R. c. Beare, précité, la Cour suprême a confirmé à l'unanimité la validité des paragraphes 453.3(3) et 455.5(5) du Code crimi- nel, ainsi que de la Loi sur l'identification des criminels, S.R.C. 1970, chap. I-1, aux termes des- quels pouvait être soumise à la prise d'empreintes digitales une personne qui avait été arrêtée et inculpée de certains actes criminels, mais n'avait pas encore été déclarée coupable. Au nom de la Cour, le juge La Forest a reconnu que les disposi tions ne portaient atteinte que d'une manière rela- tivement négligeable à la sécurité des personnes visées et il a fait remarquer que la législation servait à diverses fins importantes. Il a conclu que l'atteinte au droit à la sécurité de la personne ne violait pas les principes de justice fondamentale ([1988] 2 R.C.S. 387, à la page 413). L'arrêt R. c. Beare traite bien sûr d'une situation différente de celle de Jackson, sous un aspect important. Dans cette affaire-là, non seulement il y avait lieu de croire que les personnes soumises à la prise d'em- preintes digitales avaient commis un crime mais elles avaient été inculpées d'infractions, bien qu'el- les n'eussent pas encore été déclarées coupables, tandis que Jackson en l'occurrence n'était inculpé d'aucune infraction au moment on lui a donné l'ordre de fournir un échantillon d'urine.
J'ai déjà souligné le fait que mon opinion au sujet du contexte carcéral diffère des prémisses de la décision du juge Galipeau. Toutefois, je suis d'avis comme lui, pour des raisons différentes, que le règlement litigieux, dont l'application est combi née à la prise de sanctions disciplinaires conformé- ment aux ordres permanents en cas d'omission de fournir un échantillon en dépit d'un ordre reçu, constitue une atteinte aux droits fondamentaux des détenus à la liberté et à la sécurité de leur per- sonne. En outre, je partage le point de vue du juge Galipeau selon lequel cette atteinte n'est pas con- forme aux principes de justice fondamentale.
Dans l'arrêt R. c. Morgentaler, précité, le juge en chef Dickson, qui analysait des questions relati ves à l'article 7, a dit ce qui suit, à la page 56:
La jurisprudence m'amène à conclure que l'atteinte que l'État porte à l'intégrité corporelle et la tension psychologique grave causée par l'État, du moins dans le contexte du droit criminel, constituent une atteinte à la sécurité de la personne. Il n'est pas nécessaire en l'espèce de se demander si le droit va plus loin et protège les intérêts primordiaux de l'autonomie personnelle, tel le droit à la vie privée ou des intérêts sans lien avec la justice criminelle.
Exiger d'un détenu qu'il fournisse un échantillon d'urine destiné à détecter les éléments traces de substances hallucinogènes, comme le permet l'article 41.1 du Règlement, constitue, à mon sens, une atteinte à l'intégrité corporelle. L'analyse d'urines peut fournir d'autres renseignements, notamment sur l'état de santé, en plus de permet- tre de vérifier la présence d'éléments traces de substances hallucinogènes non autorisées. Dans bien des cas, l'obligation de fournir un échantillon en vue d'une analyse, pour des raisons autres que médicales, pourrait causer dans une certaine mesure une tension psychologique, surtout dans les cas où, comme en l'occurrence, l'échantillon doit être fourni sous surveillance directe. Cette obliga tion faite au détenu porte atteinte à la sécurité de sa personne. Et comme elle est assortie de sanc tions pour omission d'obéir à un ordre, suivant la pratique établie sous le régime des ordres perma nents relatifs aux audiences disciplinaires, elle porte aussi atteinte à sa liberté.
Certes, le droit à la vie privée et à la protection de l'intégrité corporelle est limité en milieu carcé- ral et l'attente à cet égard est elle aussi limitée, mais le peu qui existe, y compris le droit du détenu d'interdire à l'État d'examiner ses excrétions sans son consentement, ne devrait pas être écarté, sauf en conformité avec les principes de justice fonda- mentale. En l'espèce, du fait qu'il n'y a pas de critères suivant lesquels un échantillon peut être exigé, quoique cela n'entraîne peut-être pas d'abus de la part des membres raisonnables du personnel, aucune norme n'est établie qui permette de déter- miner en quoi consisterait un abus; il n'est pas question de motifs raisonnables et probables, même dans le cas l'ordre donné serait fondé sur de tels motifs, ni d'aucune autre norme ou circons- tance qui justifierait raisonnablement l'ordre ainsi donné à la lumière des objectifs poursuivis, tels qu'expliqués. La disposition ne précise pas qu'il faut informer le détenu des raisons pour lesquelles l'échantillon est exigé, et elle ne donne pas la possibilité au détenu, dans des circonstances où, comme en l'occurrence, un membre du personnel croit ou soupçonne que le détenu a consommé une substance hallucinogène, d'expliquer sa conduite ou son action avant que la décision d'exiger l'échantillon ne soit prise définitivement.
Faute d'énoncer des critères objectifs, l'article 41.1 ne permet pas aux agents ni aux détenus de connaître les circonstances dans les- quelles un échantillon d'urines peut être exigé. Je conclus que l'article 41.1 du Règlement, dans la mesure il autorise un agent à exiger d'un détenu qu'il fournisse un échantillon d'urine s'il croit que celui-ci a absorbé une substance hallucinogène, contrevient à l'article 7 de la Charte. Et cela parce que les restrictions du droit à la liberté et à la sécurité, à défaut de normes, de critères ou de définition des circonstances elles sont applica- bles, ne sont pas conformes aux principes de justice fondamentale.
L'article premier
La prochaine question relative à la Charte con- cerne l'application de l'article premier. Au procès, les défendeurs ont soutenu que si la Cour concluait que les droits du demandeur aux termes des articles 8 ou 7 ont été restreints d'une manière non conforme à la Charte, cette restriction était tout de même valide dans les circonstances de cette affaire, parce qu'il s'agissait d'une limite raisonna- ble dont la justification pouvait se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique, au sens de l'article premier. Selon le principe mainte- nant bien établi, il incombe aux défendeurs de faire la preuve à cet égard.
Bien qu'ils concèdent que le rapport entre l'article 8 et l'article premier de la Charte n'a pas encore fait l'objet d'une décision qui fasse autorité, les défendeurs soutiennent que l'article premier peut avoir pour effet, lorsque la chose est oppor tune, de justifier des restrictions des droits prévus aux articles 8 et 7, qui seraient autrement inconsti- tutionnelles. Dans l'arrêt Hunter et autres c. Sou- tham Inc. précité, le juge Dickson, alors juge puîné, qui s'exprimait au nom de la Cour suprême ([1984] 2 R.C.S. 145, à la page 169), s'est abstenu de trancher la question du rapport entre les articles 8 et premier parce que ce rapport n'avait pas fait l'objet des débats. Au nom de la majorité dans l'arrêt R. c. Simmons précité, le juge en chef Dickson a conclu qu'il y avait eu violation de l'article 8, non pas en raison du texte de la loi sur les douanes qui était contesté, mais à cause de la manière dont la fouille avait été effectuée par les agents des douanes. Ce type de transgression de l'article 8 ne pouvait pas être justifié en vertu de
l'article premier parce que celui-ci ne vise que les cas des droits énoncés sont restreints par «une règle de droit».
Dans l'arrêt R. v. Noble (1984), 48 O.R. (2d) 643 (C.A.), le juge Martin, J.C.A., au nom de la Cour, a conclu que les dispositions de la Loi sur les stupéfiants [S.R.C. 1970, chap. N-1] et de la Loi des aliments et drogues [S.R.C. 1970, chap. F-27] autorisant la fouille d'une habitation conformé- ment à un mandat de main-forte violaient l'article 8 de la Charte. Traitant ensuite de la question de l'article premier de la Charte, qui n'avait pas été invoqué pour justifier une fouille dans cette affaire-là, il a émis l'opinion incidente qui suit (aux pages 667 et 668):
[TRADUCTION] ... puisque j'ai déjà décidé que les dispositions de l'al. 10(1)a) de la Loi sur les stupéfiants et de l'al. 37(1)a) de la Loi des aliments et drogues sont abusives et transgressent l'art. 8 dans la mesure elles autorisent la fouille d'une habitation conformément à un mandat de main-forte, j'aurais beaucoup de difficulté à conclure que la législation est justifia ble aux termes de l'article premier parce qu'elle établit une limite raisonnable dont la justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
Dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, à la page 523, le juge Wilson, qui exprimait son point de vue personnel, a fait état de la même difficulté qui se pose en principe lorsqu'on cherche à concilier, d'une part, les textes de loi déclarés inconstitutionnels sous le régime de l'article 7, parce qu'ils violent les princi- pes de justice fondamentale, et d'autre part, une conclusion portant qu'ils pourraient être justifia- bles s'ils étaient tenus pour raisonnables aux termes de l'article premier:
Cependant, l'art. 7 n'énonce pas un droit à la protection accordée par les principes de justice fondamentale comme tels. On doit d'abord conclure qu'il y a eu atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne et ensuite déterminer si cette atteinte est conforme aux principes de justice fondamen- tale. Si elle l'est, elle satisfait alors au critère premier de l'art. 7 lui-même, mais la Cour doit passer à l'examen de la question de savoir si elle peut être maintenue en vertu de l'article premier, comme restreignant par une règle de droit le droit garanti à l'art. 7, dans des limites qui soient à la fois raisonnables et justifiées dans le cadre d'une société libre et démocratique. Toutefois, si la limite au droit garanti par l'art. 7 résulte d'une violation des principes de justice fondamentale, j'estime que l'examen se termine et que la limite ne peut être maintenue en vertu de l'article premier. J'affirme cela parce que je ne crois pas qu'une limite au droit garanti par l'art. 7, qui a été imposée contrairement aux principes de justice fondamentale puisse être «raisonnable» ni que sa «justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique».
Les difficultés de concilier les principes dont font mention le juge Martin de la Cour d'appel dans l'arrêt R. v. Noble précité et le juge Wilson dans le Renvoi: Motor Vehicle Act de la C.-B. précitée doivent être résolues en l'espèce si l'on envisage d'appliquer l'article premier suivant les principes énoncés dans l'arrêt R. c. Oakes, [ 1986] 1 R.C.S. 103, par le juge en chef Dickson, aux pages 138 et 139 et dans d'autres décisions. Pour l'application de l'article premier, il est essentiel de satisfaire à deux critères fondamentaux si l'on veut établir qu'une restriction des droits garantis par la Charte est raisonnable et que sa justification peut se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique. En premier lieu, l'objectif que vise à servir la restriction doit être suffisamment impor tant pour justifier la suppression d'un droit ou d'une liberté garantis par la Constitution, et de fait il doit se rapporter à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique. En deuxième lieu, la partie qui invoque l'article premier doit alors démontrer que les moyens rete- nus sont raisonnables et que leur justification peut se démontrer, et donc satisfaire à un critère de proportionnalité selon lequel il faut soupeser les intérêts de la société et ceux de particuliers et de groupes. Le critère de proportionnalité comporte trois éléments. Les mesures adoptées doivent être soigneusement conçues pour atteindre l'objectif en question et avoir un lien rationnel avec cet objectif. Elles doivent être de nature à porter le moins possible atteinte au droit ou à la liberté en ques tion. Il doit y avoir proportionnalité entre les effets des mesures et l'objectif.
En appréciant l'article 41.1 du Règlement à la lumière de l'article premier de la Charte, il est bon de ne pas oublier que c'est le texte de ce règlement lui-même qui constitue la règle de droit, ainsi que la limite apportée aux droits et libertés garantis par les articles 8 et 7 de la Charte. Nous avons déjà fait mention des buts ou objectifs de ce règlement tels qu'établis par la preuve produite au procès, soit par le témoignage de Harvey et les documents déposés au cours de son interrogatoire.
À mon avis, il ressort de toute évidence de la preuve que les substances hallucinogènes interdites dans les établissements pénitentiaires créent de très graves problèmes, entre autres en augmentant le risque et le degré de violence qui menacent la
sécurité et la sûreté de ces établissements tant pour le personnel que pour les détenus. Je suis disposé à reconnaître, au vu de la preuve produite, que cela donne lieu à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démocratique. Je suis aussi prêt à admettre que, parmi les buts ou les objectifs que vise à servir l'article 41.1 du Règle- ment tel que conçu, figurait l'objectif de limiter et finalement de réduire ces préoccupations et d'amé- liorer la sûreté et la sécurité dans les établisse- ments. Je tiens à souligner le fait que les buts du règlement ' ne sont pas énoncés, et ne sont pas inclus par renvoi, dans le texte du règlement lui-même.
Tout en étant prêt à reconnaître que l'objectif premier du règlement était important, savoir la prévention de l'usage des drogues en vue de l'amé- lioration de la sûreté et de la sécurité dans les établissements, l'avocat du demandeur a égale- ment avancé qu'il n'était peut-être pas plus urgent et réel à l'intérieur des établissements que dans la société en général. S'il était nécessaire d'examiner cette proposition, je serais disposé à admettre, dans le cadre de l'examen de l'applicabilité de l'article premier dans le cas qui nous occupe, que l'objectif est plus urgent dans le contexte carcéral parce que l'univers carcéral est peuplé d'une très forte pro portion de personnes qui ont des tendances avérées à la violence, une circonstance particulière qui peut justifier la prise de mesures différentes, outre la simple incarcération et la surveillance, de celles qui seraient employées à l'égard de la population dans son ensemble.
Je signale également, pour les besoins de la Cour, que la preuve en l'espèce nous autorise à conclure que des mesures semblables à celles qui étaient prévues au sein du Service correctionnel, à titre dissuasif et afin de déceler la consommation non autorisée de drogues et de substances halluci- nogènes, ne sont pas exceptionnelles dans d'autres sociétés libres et démocratiques. Les témoignages de Willette et de Davis nous renseignent sur le contexte général des programmes obligatoires d'analyse d'urines dans les établissements péniten- tiaires américains et nous fournissent des rensei- gnements précis, entre autres sur les résultats satisfaisants obtenus dans le cadre des program mes en vigueur depuis plus de dix ans dans les prisons fédérales américaines. L'avocat des défen-
deurs a également produit des données publiées concernant les programmes obligatoires d'analyse d'urines dans les prisons de divers États améri- cains; j'accepte cette preuve qui atteste, non pas nécessairement les faits circonstanciés dont elle fait état, mais bien la pratique générale suivie dans un certain nombre d'Etats qui, comme la fédéra- tion dont ils sont membres, constituent des sociétés libres et démocratiques.
L'existence de cette pratique générale est égale- ment établie par la jurisprudence qui a été citée et qui confirme que les programmes obligatoires d'analyse d'urines ne sont pas incompatibles avec le Quatrième Amendement, non seulement dans le cas des détenus (voir: Jensen v. Lick, Spence v. Farrier, Peranzo v. Coughlin, précités), mais éga- lement en ce qui concerne les employés des établis- sements pénitentiaires (McDonell v. Hunter, pré- cité), les agents des douanes (National Treasury Employees Union v. Von Raab, 816 F.2d 170 (5th Cir. 1987), confirmé en partie par (1989) Ct. No. 86-1879 (U.S.S.C.)), les préposés à l'exploita- tion des chemins de fer (Skinner v. Railway Labor Executives' Assn., 103 L.Ed. 2d 639 (1989)), les employés du F.B.I. (Mack v. U.S., F.B.I., 653 F.Supp. 70 (S.D.N.Y. 1986); appel rejeté 814 F.2d 120 (2nd Cir. 1987)) et les jockeys et les autres employés des hippodromes réglementés par l'État (Shoemaker v. Handel, 795 F.2d. 1136 (3rd Cir. 1986)).
À mon avis, l'article 41.1 du Règlement satisfait au premier des critères de l'article premier de la Charte, c'est-à-dire que les objectifs fixés par cette disposition réglementaire, ses buts tels qu'établis par la preuve, se rapportent à des préoccupations urgentes et réelles dans une société libre et démo- cratique. Ces objectifs peuvent justifier la suppres sion de droits ou libertés garantis par la Constitu tion, si les moyens retenus sont appropriés.
L'examen des moyens adoptés en l'occurrence présente quelques difficultés dans le contexte de l'interprétation de l'article premier de la Charte. Ces moyens ne satisfont pas facilement au critère de proportionnalité. Les défendeurs soutiennent que les moyens choisis en l'espèce, soit l'analyse d'urines obligatoire, sont d'une manière générale appropriés, qu'ils constituent une atteinte moins grave et sont plus efficaces que les autres moyens qui auraient pu être choisis, comme les prises de
sang. D'après eux, d'autres moyens, qui font appel à la fouille, se sont avérés inefficaces et l'analyse d'urines porte moins gravement atteinte à la vie privée que la fouille à nu et est beaucoup plus efficace. Il a été prouvé en l'espèce que dans les prisons américaines, les programmes d'analyse d'urines ont été couronnés de succès et ont permis de réaliser les objectifs que vise en l'espèce le Service correctionnel. Ils affirment enfin que la norme ou le critère incorporé dans l'article 41.1 du Règlement, soit la norme de la nécessité, est une norme «raisonnable» au sens de l'article premier de la Charte.
L'avocat du demandeur soutient qu'étant donné que le texte réglementaire ne restreint aucunement ce qui est en fait un pouvoir discrétionnaire absolu attribué à l'agent de correction, il n'est pas une restriction raisonnable au sens de l'article premier. Le texte réglementaire serait trop vague et trop peu précis pour que soit possible une analyse en vertu de l'article premier, parce qu'essentiellement, je suppose, selon ce qu'il laisse entendre, il serait impossible d'évaluer la proportionnalité entre l'ob- jectif et le règlement. Faute de norme, de critère ou de définition des circonstances de son applica tion, le texte réglementaire donne prise à l'arbi- traire et ne peut donc pas être tenu pour raisonnable.
L'avocat des demandeurs s'est référé à deux causes qui traitent de l'article premier et des res trictions de la liberté d'expression garantie par l'alinéa 2b) de la Charte. Dans l'affaire Re Onta- rio Film & Video Appreciation Society and Onta- rio Board of Censors (1984), 45 O.R. (2d) 80, la Cour d'appel de l'Ontario, par la voix du juge en chef adjoint MacKinnon, qui a rejeté l'appel formé contre la décision de la Cour divisionnaire, s'est exprimée à son tour sur cette question la page 82):
[TRADUCTION] Ce paragraphe autorise la privation complète ou l'interdiction de la liberté d'expression dans ce champ d'activités et ne restreint en rien les pouvoirs de la Commission de censure de l'Ontario. À l'évidence, il ne fixe aucune limite, raisonnable ou autre, qui puisse étayer l'argument selon lequel il serait visé par l'exception prévue à l'article premier de la Charte: «ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables».
Dans l'arrêt Luscher c. Sous-ministre, Revenu Canada, Douanes et Accise, [ 1985] 1 C.F. 85
(C.A.), aux pages 89 et 90, le juge Hugessen de la Cour d'appel fédérale dit ce qui suit au sujet de l'article premier de la Charte:
À mon avis, l'une des caractéristiques primordiales d'une limite raisonnable imposée par une règle de droit est qu'elle doit être exprimée avec suffisamment de clarté pour qu'on puisse l'identifier et la situer. Le seul fait qu'une limite soit vague, ambiguë, incertaine ou assujettie à l'exercice d'un pou- voir discrétionnaire suffit à en faire une limite déraisonnable. Si un citoyen ne peut déterminer avec un degré de certitude tolérable dans quelle mesure l'exercice d'une liberté garantie peut être restreint, il est probable que cela le dissuadera d'adopter certaines conduites qui, en fait, n'étant pas interdites, sont licites. L'incertitude et l'imprécision sont des vices d'ordre constitutionnel lorsqu'elles servent à restreindre des droits et libertés garantis par la Constitution. Bien qu'il ne puisse jamais y avoir de certitude absolue, une limite imposée à un droit garanti doit être telle qu'il sera très facile d'en prévoir les conséquences sur le plan juridique.
Quoique ces deux décisions, Re, Ontario Film and Video et Luscher, traitent d'un autre droit garanti par la Charte que celui qui nous intéresse en l'espèce, j'estime que le principe sur lequel repose le raisonnement du juge en chef adjoint MacKinnon et du juge Hugessen de la Cour d'ap- pel est convaincant.
J'ai déjà conclu qu'en l'espèce l'article 41.1 du Règlement permet que soit effectuée une fouille abusive et qu'il est incompatible avec l'article 8 de la Charte parce qu'il n'énonce aucune norme ou critère, et qu'il ne définit pas les circonstances dans lesquelles il sera applicable. Je conclus, essen- tiellement pour la même raison, c'est-à-dire l'ab- sence de normes ou de critères limitant les pou- voirs attribués en matière de fouille, que l'article 41.1 du Règlement ne constitue pas une restriction raisonnable au sens de l'article premier.
J'ai déjà conclu que l'article 41.1 du Règlement porte atteinte au droit à la liberté et à la sécurité de la personne prévu à l'article 7 d'une manière qui n'est pas conforme aux principes de justice fondamentale, parce que le texte réglementaire ne comporte aucune norme ou critère régissant son application. Je conclus en outre, essentiellement pour la même raison, qu'il ne saurait constituer une restriction raisonnable prescrite par une règle de droit au sens de l'article premier de la Charte.
En résumé, je conclus que la validité de l'article 41.1 ne peut pas reposer sur l'article premier.
L'article 15
Quant à l'application de la Charte, il ne reste à statuer que sur le paragraphe 15(1), que violerait l'article 41.1 du Règlement, selon le demandeur. Cet article est ainsi conçu:
15. (1) La loi ne fait acception de personne et s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimina tion, notamment des discriminations fondées sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques.
La déclaration modifiée, conformément à l'ap- probation donnée au début du procès, comporte l'allégation suivante: [TRADUCTION] «le deman- deur appartient à une catégorie de personnes, savoir les détenus, qui est le seul groupe au Canada dont les membres sont tenus aux termes de la loi de se soumettre à une analyse d'urines sous peine de sanctions pénales».
Aucune preuve n'a été produite au procès qui permette de conclure qu'en fait les détenus for- ment la seule catégorie de personnes au Canada qui soient obligées de fournir des échantillons sous peine de sanctions, comme le prétend la déclara- tion. Même si l'on supposait ce fait véridique, je ne suis pas persuadé que l'article 41.1 du Règlement viole le paragraphe 15 (1) de la Charte.
Dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, la Cour a discuté
de l'interprétation du paragraphe 15 (1) de la Charte, ainsi que de l'analyse qu'il convient de faire des allégations de violation de cette disposi tion. Le juge McIntyre, avec qui la majorité a été d'accord quant à la manière d'interpréter ce para- graphe, a donné du terme «discrimination» la défi- nition suivante (aux pages 174 et 175):
J'affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d'un individu ou d'un groupe d'invidus qui a pour effet d'imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d'autres ou d'empêcher ou de restreindre l'accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avanta- ges offerts à d'autres membres de la société. Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d'un individu le sont rarement.
Puis, au sujet de la façon dont il faut analyser les violations du paragraphe 15 (1) qui ont été allé- guées, il a dit ce qui suit la page 182):
... pour vérifier s'il y a eu atteinte aux droits que le par. 15(1) reconnaît au plaignant, il ne suffit pas de se concentrer unique- ment sur le motif allégué de discrimination et de décider s'il s'agit d'un motif énuméré ou analogue. L'examen doit égale- ment porter sur l'effet de la distinction ou de la classification attaquée sur le plaignant. Dès qu'on accepte que ce ne sont pas toutes les distinctions et différenciations créées par la loi qui sont discriminatoires, on doit alors attribuer au par. 15(1) un rôle qui va au-delà de la simple reconnaissance d'une distinc tion légale. Un plaignant en vertu du par. 15(1) doit démontrer non seulement qu'il ne bénéficie pas d'un traitement égal devant la loi et dans la loi, ou encore que la loi a un effet particulier sur lui en ce qui concerne la protection ou le bénéfice qu'elle offre, mais encore que la loi a un effet discrimi- natoire sur le plan législatif.
Lorsqu'il y a discrimination, il y a violation du par. 15(1) et, lorsque le par. 15(2) ne s'applique pas, toute justification, tout examen du caractère raisonnable de la mesure législative et, en fait, tout examen des facteurs qui pourraient justifier la discri mination et appuyer la constitutionnalité de la mesure législa- tive attaquée devraient se faire en vertu de l'article premier.
En l'espèce, les détenus sont effectivement, aux termes de l'article 41.1 du Règlement, traités d'une manière différente de la plupart sinon de la totalité des autres Canadiens et l'on peut donc affirmer que cette disposition porte atteinte à leur droit à l'égalité devant la loi. Je ne suis pourtant pas convaincu que cette distinction ou atteinte soit discriminatoire au sens du paragraphe 15(1). Elle ne me semble pas se rapporter à l'un ou l'autre des motifs énumérés et interdits, ou motifs analogues, qui touchent des caractéristiques personnelles. Le traitement distinct dont font l'objet les détenus en l'occurrence, en tant que groupe, ne découle pas de caractéristiques personnelles mais bien de leur conduite passée, qui était répréhensible et antiso- ciale.
J'approuve la thèse des défendeurs qui veut que ces distinctions-là ne soient pas interdites par le paragraphe 15(1) de la Charte. Il n'est pas néces- saire, à mon sens, que les défendeurs démontrent que le traitement distinct dont font l'objet les détenus est une restriction raisonnable aux termes de l'article premier de la Charte.
Conclusion
Durant tout le procès, l'avocat des défendeurs a fait ressortir les répercussions que la décision en l'espèce ne manquerait pas d'avoir sur l'important programme que le Service correctionnel a mis sur pied mais qu'il n'a pas encore étendu à l'ensemble de ses établissements.
Je répète que ce n'est pas tout le programme qui était soumis à notre appréciation. En l'espèce, ce qui est en litige, à la lumière des plaidoiries et des faits prouvés, c'est la validité de l'article 41.1 du Règlement. Or, c'est en vertu de cette disposition seulement que Jackson aurait reçu un ordre légi- time auquel il aurait omis d'obéir, s'exposant ainsi à des audiences disciplinaires. En l'occurrence, cet ordre a été donné à Jackson parce qu'on a cru qu'il avait consommé une substance hallucinogène.
Ma décision est la suivante: l'article 41.1 du Règlement sur le service des pénitenciers, dans la mesure il porte sur une situation dans laquelle un échantillon d'urine est exigé d'un détenu parce que l'on croit qu'il a absorbé une substance hallu- cinogène, est nul et inopérant, parce qu'il contre- vient aux articles 8 et 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il n'est pas visé par l'exception prévue à l'article premier de cette Charte.
Un jugement et une déclaration à cet effet, conformément à la demande de réparation du demandeur, seront inscrits.
Le demandeur a également droit à une déclara- tion, conformément à sa demande, portant que la déclaration de culpabilité prononcée par le tribu nal disciplinaire défendeur, au pénitencier de Joy- ceville, par l'entremise de Donald Schlichter, prési- dent indépendant, est illégale et inopérante.
Finalement, le demandeur aura droit à ses dépens, tels que demandés.
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