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A-476-89
Abdul Rassoul Dehghani (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ: DEHGHANI c. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Heald et Mahoney, J.C.A.—Toronto, 30 avril; Ottawa, 26 juin 1990.
Immigration Statut de réfugié Ressortissant d'un pays étranger arrivant par avion sans documents en règle Le requérant a revendiqué le statut de réfugié Après avoir subi un interrogatoire primaire à un poste de contrôle de l'immi- gration, il a été conduit à une salle d'entrevue un agent de l'immigration lui a fait subir un second interrogatoire Attente de quatre heures Interrogatoire de routine Chacun, y compris tout citoyen canadien, est détenu lorsqu'il se présente à un point d'entrée, car nul n'est libre d'entrer au Canada tant qu'un agent d'immigration n'est pas convaincu que cette personne a le droit d'y entrer Le requérant n'a cependant pas été «détenu» au sens de l'art. 10 de la Charte et il n'avait donc pas le droit d'être informé de son droit à l'assistance d'un avocat Le fait que l'arbitre a fait un exposé erroné du critère relatif au minimum de fondement est sans conséquence si le bon critère a par la suite été énoncé et appliqué.
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures criminelles et pénales Droit à l'assistance d'un avocat Ressortissant d'un pays étranger arrivant par avion sans docu ments en règle et revendiquant le statut de réfugié Après avoir subi un interrogatoire primaire à un poste de contrôle de l'immigration, le requérant a été conduit à une salle d'entrevue un agent de l'immigration lui a fait subir un second interrogatoire Il n'a pas été «détenu» au sens de l'art. 10 de la Charte et il n'avait donc pas le droit d'être informé de son droit à l'assistance d'un avocat.
Le requérant, qui est un citoyen de l'Iran, est arrivé au Canada à l'aéroport international Pearson de Toronto en mai 1989 sans document de transport ni pièce d'identité et il a revendiqué le statut de réfugié. Après avoir subi un interroga- toire primaire à l'un des postes de contrôle devant lesquels tous les passagers de vols internationaux qui descendent d'avion font la queue, le requérant a été conduit à une salle d'entrevue il a attendre pendant quatre heures avant d'être interrogé à nouveau par un agent d'immigration. Nerveux et effrayé, le requérant a omis de divulguer des renseignements pertinents: ses activités politiques royalistes, la confiscation de son entre- prise et l'arrestation et l'exécution de sa fille.
Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28 en vue de faire réviser et annuler la décision par laquelle un arbitre et un membre de la Section du statut de réfugié (le tribunal administratif) ont conclu, en vertu du paragraphe 46.01(6) de la Loi sur l'immigration, que la revendication du statut de réfugié du requérant n'avait pas un minimum de fondement. Le requérant demande également l'annulation de la mesure d'exclusion.
Arrêt (avec la dissidence du juge Heald, J.C.A.): la demande devrait être rejetée.
Le juge Mahoney, J.C.A.: Le requérant n'a pas été détenu au sens de l'article 10 de la Charte au cours de l'interrogatoire secondaire que l'agent d'immigration lui a fait subir. Il n'exis- tait pas d'obligation de l'informer de son droit à l'assistance d'un avocat.
Quiconque sollicite l'admission à un point d'entrée est détenu tant qu'un agent d'immigration n'est pas convaincu que cette personne a le droit d'entrer au Canada. Cette personne n'est cependant pas détenue au sens constitutionnel du terme. Elle n'a pas été mise dans cette situation par un agent de l'État qui a restreint sa liberté d'action. Elle s'est plutôt mise elle-même dans cette situation de son propre chef en sollicitant l'admis- sion. L'état d'esprit dans lequel se trouvait le requérant au cours de l'interrogatoire ne saurait changer le fait qu'il s'agis- sait d'un interrogatoire de routine. Le tribunal administratif a parfaitement respecté les limites de ses attributions en appré- ciant la crédibilité du requérant et la valeur du témoignage que celui-ci a donné au sujet de son état d'esprit pour expliquer de façon plausible les omissions.
L'arbitre a effectivement fait un exposé inexact du critère relatif au minimum de fondement (paragraphe 46.01(6)) à l'ouverture de l'audience du tribunal administratif. Cette erreur n'a pas eu de conséquence, car le tribunal administratif a par la suite énoncé et appliqué le bon critère dans sa décision.
Le juge Heald, J.C.A. (dissident): Si l'on applique le raison- nement suivi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Therens aux faits de la présente espèce, on est forcé de conclure que le requérant était détenu au sens de l'alinéa 106) de la Charte. L'agent d'immigration, «un agent de l'État», qui a mené le second interrogatoire du requérant avait restreint la liberté d'action du requérant, qui n'était pas libre de quitter la pièce. L'interrogatoire serré qui a eu lieu faisait partie inté- grante de l'enquête prévue à la Loi sur l'immigration, laquelle enquête a débouché sur la mesure d'exclusion prise contre le requérant. Le requérant a acquiescé à la privation de sa liberté, étant donné qu'il croyait raisonnablement qu'il n'avait pas le choix d'agir autrement. Il y avait une perception raisonnable de n'avoir vraiment pas le choix et une privation involontaire de liberté. Le requérant a par ailleurs été assujetti à une contrainte extérieure. De plus, suivant l'arrêt Singh c. Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration de la Cour suprême du Canada, le présent revendicateur du statut de réfugié, qui se trouvait au Canada durant toute l'époque en cause, avait droit à la protec tion de l'article 10. Les raisons qui justifient de reconnaître la protection de l'article 10 dans le cas d'un revendicateur du statut de réfugié qui risque l'incarcération, la torture et même la mort si on le force à retourner en Iran sont tout aussi convaincantes que celles qui existent lorsque le processus crimi- nel est engagé. Le requérant avait donc le droit d'être informé de son droit à l'assistance d'un avocat. La violation de l'article 10 qui a été commise en l'espèce était une violation de fond étant donné que les éléments de preuve recueillis lors de son interrogatoire ont conduit à la prise d'une mesure d'exclusion. On peut soutenir de façon convaincante que les revendicateurs du statut de réfugié possèdent le droit de consulter un avocat aux points d'entrée.
Les dispositions de l'article premier de la Charte ne s'appli- quent pas aux circonstances de la présente affaire. Il n'y a pas
de «restriction prescrite par une règle de droit» au sens de l'article premier qui exigerait qu'un revendicateur du statut de réfugié soit privé de son droit à l'assistance d'un avocat dans les circonstances de la présente affaire.
Dans une situation comme celle-ci, dans laquelle le tribunal administratif a énoncé à la fois un critère correct et un critère erroné au sujet du minimum de fondement (paragraphe 46.01(6)) à au moins deux reprises et lorsque, comme en l'espèce, il est impossible de savoir avec certitude s'il a appliqué le bon critère, il faut conclure que le tribunal administratif a commis une erreur donnant ouverture à une révision.
Il y a lieu d'annuler la décision rendue par le tribunal administratif sur la question du minimum de fondement ainsi que la mesure d'exclusion.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 1, 10b), 24.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 6(2), 8, 12(3), 46.01(6) (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
R. c. Therens et autres, [1985] 1 R.C.S. 613; (1985), 18 D.L.R. (4th) 655; [1985] 4 W.W.R. 286; 38 Alta L.R. (2d) 99; 40 Sask. R. 122; 18 C.C.C. (3d) 481; 13 C.P.R. 193; 45 C.R. (3d) 57; 32 M.V.R. 153; 59 N.R. 122; Arduengo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.); Kimbudi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1982), 40 N.R. 566 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. c. Simmons, [1988] 1 R.C.S. 495; (1988), 67 O.R. (2d) 63; 55 D.L.R. (4th) 673; 45 C.C.C. (3d) 296; 66 C.R. (3d) 297; 889 N.R. 1; 30 O.A.C. 241; R. c. Thom- sen, [1988] 1 R.C.S. 640; (1988), 40 C.C.C. (3d) 411; 63 C.R. (3d) 1; 32 C.R.R. 257; 4 M.V.R. (2d) 185; 84 N.R. 347; Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; R. v. Kwok (1986), 31 C.C.C. (3d) 196; 18 O.A.C. 38 (C.A. Ont.); R. c. Manninen, [1987] I R.C.S. 1233; (1987), 41 D.L.R. (4th) 301; 34 C.C.C. (3d) 385; 58 C.R. (3d) 97; 76 N.R. 198; Sloley c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-364-89, juge Heald, J.C.A., jugement en date du 22-2-90, C.A.F., encore inédit; Lee c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration), A-401-89, juge Heald, J.C.A., jugement en date du 22-2-90, C.A.F., encore inédit.
DOCTRINE
Hogg, P. W. Constitutional Law of Canada, 2nd ed.
Toronto: The Carswell Company Limited, 1985.
AVOCATS:
Pia Zambelli pour le requérant. Donald A. MacIntosh pour l'intimé.
PROCUREURS:
Jackman, Silcoff, Zambelli, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HEALD, J.C.A. (dissident): La Cour est saisie d'une demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] par laquelle le requérant sollicite l'examen et l'annulation d'une décision datée du 1" août 1989 rendue par l'arbitre S. P. Roberts et par le com- missaire R. White de la Commission de l'immigra- tion et du statut de réfugié (le tribunal administra- tif) en vertu du paragraphe 46.01(6) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985) [chap. I-2 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14)]. Dans cette décision, le tribunal administratif a conclu que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention du requérant n'avait pas un minimum de fondement. En outre, le requérant sollicite, dans sa demande fondée sur l'article 28, l'annulation de la mesure d'exclusion prise égale- ment par l'arbitre Roberts le ler août 1989.
Le dossier qui nous a été soumis était constitué de la transcription de la procédure qui a été enga gée devant l'arbitre et de celle qui s'est déroulée devant le tribunal administratif. En outre, et con- formément à l'ordonnance rendue le 4 avril 1990 par le juge Pratte, J.C.A. on a versé au dossier un affidavit souscrit par le requérant le 30 août 1989 dans lequel celui-ci relate les circonstances entou- rant l'interrogatoire que lui a fait subir un agent d'immigration à son arrivée au Canada le 13 mai 1989.
À l'audition qui a eu lieu devant nous, l'avocate du requérant a fait valoir cinq moyens pour appuyer sa demande de révision judiciaire. La
Cour n'a pas jugé nécessaire d'entendre l'intimé sur trois de ces moyens'. Nous avons toutefois entendu les prétentions des deux avocats sur les deux autres questions litigieuses, à savoir:
(1) Le tribunal administratif a-t-il outrepassé sa compétence en violant le droit du requérant à l'assistance d'un avocat qui est constitutionnellement affirmé à l'alinéa 106) de la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] 2 ?
(2) Le tribunal administratif a-t-il outrepassé sa compétence en appliquant le mauvais critère pour rendre la décision qu'il était tenu de rendre aux termes du paragraphe 46.01(6), de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2?
LES FAITS
Le requérant, qui est âgé de 52 ans, est arrivé au Canada à l'aéroport international Pearson de Toronto le 13 mai 1989 sans document de trans port ni pièce d'identité. C'est un illettré, car il ne sait ni lire ni écrire (exception faite de son nom) sa langue maternelle (le persan). Il est par ailleurs constant que, durant toute l'époque en cause, il ne comprenait pas l'anglais, langue dans laquelle toute la procédure en litige s'est déroulée. Il affirme qu'il s'est enfui de son pays d'origine, l'Iran, par crainte d'y être persécuté. Il est père de quatre enfants. Il est un sympathisant royaliste depuis 1984; en d'autres termes, il était un parti san du Shah d'Iran. Il exhortait ses enfants à être des sympathisants royalistes aussi. Sa fille, Mah- boobeh, s'est notamment occupée très activement de défendre la cause royaliste. En conséquence, elle a été arrêtée, détenue, puis finalement exécu- tée. Avant l'arrestation de sa fille, il a appris que les autorités enquêtaient aussi sur ses activités. On a cessé de distribuer des cartes de rationnement à sa famille et de livrer des fournitures à son entre- prise. Immédiatement après l'exécution de sa fille, lui et les membres de sa famille se sont cachés. Il a
Voici les moyens en question: a) Le tribunal administratif n'a pas tenu compte de la preuve documentaire dont il dispo- sait; b) Le tribunal administratif a mal évalué la crédibilité du requérant; c) Toutes les erreurs reprochées, prises globalement, constituent une erreur de droit donnant ouverture à une révision.
2 L'alinéa 10b) est ainsi conçu:
10. Chacun a le droit, en cas d'arrestation ou de détention:
b) d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;
quitté l'Iran pour la Turquie le 21 avril 1989. C'est la dernière fois qu'il a vu sa famille. Au début du mois de mai de 1989, sa femme, qui était demeu- rée en Iran, lui a appris par téléphone que le gouvernement iranien avait confisqué son entre- prise. Il a déclaré que sa principale préoccupation était de sortir de l'Iran, qu'il avait déjà demandé un visa canadien et que sa demande avait été refusée. Il avait également demandé sans succès un visa des États-Unis en décembre de 1988.
Dans son affidavit du 30 août 1989, le requérant poursuit le récit des événements à compter de son arrivée au Canada le 13 mai 1989 en provenance de la Turquie. Les déclarations faites par le requé- rant dans cet affidavit ne sont pas contredites, étant donné qu'il n'a pas été contre-interrogé à leur sujet même si dans l'ordonnance conformé- ment à laquelle l'affidavit a été ajouté au dossier, le juge Pratte, J.C.A. a expressément accordé l'au- torisation de le contre-interroger. Voici le texte des paragraphes 7 à 16 inclusivement de son affidavit:
[TRADUCTION] 7. Voici, de mon point de vue, ce qui s'est produit à mon arrivée à l'aéroport de Toronto. Après avoir quitté l'avion, j'ai descendu un long corridor et j'ai ensuite fait la queue afin de rencontrer ce qui m'a semblé être un policier dans une petite cabine. J'avais sur moi un faux passeport à ce moment-là; j'étais nerveux. Le premier policier m'a dit qu'il me faudrait voir quelqu'un dans une autre salle de l'aéroport. J'ai suivi ses indications et j'ai attendu dans cette salle pendant environ quatre heures. J'ai trouvé cette attente difficile à supporter, parce que mon sort était incertain et parce que je me rendais compte que je demandais finalement l'asile permanent après m'être enfui de l'Iran.
8. Finalement, un autre policier m'a appelé à son bureau. La nuit était tombée à ce moment-là. On m'a ensuite interrogé pendant environ deux heures. L'entrevue a eu lieu au bureau de cet homme. J'étais assis en face de lui sur une chaise. J'étais très nerveux et effrayé. Il y avait aussi un interprète persan, mais j'avais l'impression qu'il n'était pas un très bon interprète. Par exemple, je suis le 8 du mois d'esfand selon le calendrier iranien, mais l'interprète répétait que j'étais le 9 d'esfand.
9. L'agent m'a demandé pourquoi j'étais venu au Canada. Je lui ai répondu que mon objectif fondamental était d'être un réfugié, mais que je voulais vivre au Canada dans le but d'y travailler pour améliorer ma condition et celle de ma famille. Il m'a demandé si voulais qu'on me présente au consulat iranien. Je lui ai répondu que je ne le voulais pas. Il m'a ensuite demandé si ma vie serait en danger si je retournais en Iran et j'ai répondu par l'affirmative. Il m'a demandé si je m'opposais au régime iranien et je lui ai répondu par l'affirmative. Il m'a demandé si j'étais partisan d'un mouvement politique quelcon- que en Iran, comme les moudjahiddin ou les feddayin-al-Khalq. Je lui ai répondu par la négative. Je lui ai ensuite donné ma date de naissance et d'autres renseignements du genre. Je lui ai montré certains documents que j'avais apportés avec moi qui établissaient que j'étais propriétaire d'une maison en Iran. Il
m'a également demandé si je voulais retourner en Iran et je lui ai répondu que je ne le voulais pas; il m'a expliqué que je pouvais revendiquer le statut de réfugié. Il a également rédigé à mon sujet un rapport dans lequel il a allégué que je ne pouvais être admis au Canada parce que j'avais de faux documents de voyage.
10. Je n'ai pas raconté à cet homme toute la vérité au sujet de ma situation, mais j'estime que j'avais une bonne raison d'agir ainsi. Tout d'abord, avant d'arriver au Canada, je ne connais- sais absolument rien des lois canadiennes relatives aux refugiés. Les seules choses que je savais, je les tenais du passeur, qui m'avait recommandé de ne pas trop parler à l'aéroport. Je ne connaissais pas l'attitude du Canada envers les réfugiés en provenance de l'Iran. Je craignais que le Canada n'ait pas de bonnes relations avec l'Iran et qu'on ne veuille pas entendre ma revendication.
11. Ce que je savais, c'était que j'entrais au Canada illégale- ment avec de faux documents. J'avais très peur et j'étais bouleversé parce que je croyais que le but de l'entrevue consis- tait pour l'agent à trouver une façon de m'expulser du Canada. Mon seul désir était de dire quelque chose qui me permettrait de demeurer au Canada. C'est la raison pour laquelle j'ai dit à l'agent que je venais au Canada pour y travailler, au lieu de lui dire la vérité, c'est-à-dire que j'y cherchais refuge. Je pensais que le Canada verrait d'un mauvais oeil le fait que je m'étais mêlé de politique; je n'ai donc pas parlé à l'agent de mes activités politiques en Iran ou de l'exécution de ma fille. De mon point de vue, je pensais qu'il était possible que le Canada me renvoie sur-le-champ en Iran sans m'accorder d'audience. En conséquence, j'estimais qu'il était primordial que je ne dise pas la mauvaise chose; cependant, il m'était impossible de savoir ce qui était la «bonne» chose ou la «mauvaise» chose.
12. J'avais à ce moment-là la conviction que la personne qui m'interrogeait était un policier. Je sais maintenant que ce n'était pas le cas. J'ai présumé que c'était un policier parce que j'ai été escorté jusqu'à son bureau par le premier homme que j'ai vu. J'avais présumé que, parce qu'il portait un uniforme, cet homme était un policier. De plus, mon seul cadre de référence était l'aéroport, en Iran, qui est pourvu d'officiers chargés de faire respecter la loi qui font partie du régime iranien. En Iran, l'aéroport est un point très névralgique, et l'État contrôle entièrement la surveillance des voyageurs et la vérification des documents de chacun. Je n'avais jusqu'alors jamais entendu parler d'agent d'immigration.
13. J'avais déjà eu affaire à la police. Lorsque je vivais en Iran, la police avait à plusieurs reprises fouillé ma maison. On m'avait alors enfermé à l'intérieur de ma chambre et on m'avait interrogé. Pendant qu'on m'interrogeait, on m'avait battu et on m'avait dit de ne pas faire de bruit. Par ailleurs, en Iran, chacun sait que lorsqu'une personne est convoquée devant les pasdarans, l'interrogatoire est souvent accompagné d'une raclée. C'était ma première expérience avec les autorités cana- diennes et je les jugeais selon les normes iraniennes. En consé- quence, j'avais peur d'être maltraité d'un instant à l'autre si je ne donnais pas la bonne réponse. Cette présomption semble maintenant insensée, mais à ce moment-là, je venais tout juste de subir mon épreuve en Iran et je n'avais pas les idées claires.
14. Au cours de l'entrevue, j'étais très conscient du fait que j'avais enfreint la loi canadienne en me présentant avec des documents de voyage falsifiés. Je pensais qu'on m'avait arrêté. Je pensais qu'on m'emprisonnerait ou que me renverrait en Iran
après m'avoir interrrogé. Pendant que j'étais dans la salle d'attente, j'étais impatient de faire résoudre la question de mon autorisation de demeurer au Canada; à cet égard, j'étais donc disposé à parler aux autorités canadiennes. Néanmoins, même si je pensais que je pouvais quitter la salle d'attente, j'estimais que cela n'était pas permis et que je serais arrêté par les autres «policiers» qui se trouvaient partout dans l'aéroport. Certes, pendant que le second agent m'interrogeait, je pensais que même s'il était très courtois, je devais faire ce qu'il me disait de faire. Je ne pensais certainement pas que je pouvais quitter la salle quand je le voulais.
15. Ce n'est qu'après l'entrevue qu'on m'a informé que je pouvais consulter un avocat. Après m'avoir reconnu le statut de réfugié, l'agent m'a informé que j'avais droit à l'assistance d'un avocat désigné pour m'aider à présenter ma revendication. Je n'ai pas demandé à voir un avocat au début de l'entrevue parce que je pensais qu'étant arrivé au Canada avec des documents falsifiés, je n'avais aucun droit devant les autorités et qu'on pouvait faire ce qu'on voulait de moi.
16. L'agent a consigné les déclarations que je lui ai faites au cours de l'entrevue. J'annexe sous la cote A au présent affidavit un copie conforme des notes qu'il a prises.
LA QUESTION CONSTITUTIONNELLE L'ALINÉA 10B) DE LA CHARTE
Il ressort à l'évidence des motifs qu'il a pronon- cés, que, pour en venir à sa conclusion, le tribunal administratif a notamment tenu compte du formu- laire de renseignements personnels du requérant (pièce P-1), du témoignage très détaillé que le requérant a donné lors de l'enquête, ainsi que des notes prises par l'agent d'immigration au point d'entrée lors de l'interrogatoire du requérant. Ces notes ont été déposées sous la cote C-3 à l'enquête. À la page 93 du procès-verbal, le tribunal adminis- tratif a déclaré:
[TRADUCTION] En conséquence, le tribunal n'est pas convaincu de votre crédibilité et de la véracité de vos déclarations ... Et en conséquence, vous n'avez pas établi qu'il existait des élé- ments de preuves crédibles ou dignes de foi ... Nous en sommes donc venus à la conclusion que votre revendication n'a pas un minimum de fondement.
La transcription révèle que le tribunal adminis- tratif n'a pas cru les déclarations suivantes du requérant:
a) qu'il avait été un sympathisant royaliste;
b) que sa fille avait été exécutée;
c) qu'il ne savait pas se trouvaient sa femme et ses enfants;
d) que ses biens avaient été confisqués;
e) que ses actes dénotaient qu'il fuyait la persécution.
Il ressort également de la transcription (pages 91 et 92) que le tribunal administratif a beaucoup tablé sur la pièce C-3. Je suis persuadé que la pièce C-3 a joué un rôle décisif dans les conclusions défavorables que le tribunal administratif a tirées au sujet de la crédibilité.
Dans le contexte de la situation factuelle de la présente affaire, il est donc nécessaire d'examiner la prétention de l'avocate suivant laquelle, au début de l'entrevue du requérant qui a donné lieu à la pièce C-3, le requérant aurait être informé par l'agent d'immigration de son droit d'avoir recours à l'assistance d'un avocat, parce qu'il était «détenu» au sens de l'alinéa 10b) de la Charte. Lorsque le requérant a quitté l'avion, il a descendu un long corridor et attendu son tour pour subir un interrogatoire primaire global. L'agent d'immigra- tion chargé de l'interrogatoire primaire global l'a ensuite conduit à une salle d'entrevue pour un second interrogatoire. Il a attendu environ quatre heures dans cette pièce. À partir de ce moment-là, il était, selon son avocate, détenu au sens de l'ali- néa 10b). En conséquence, l'avocate soutient en outre que la pièce C-3 constituait un élément de preuve obtenu en violation du droit du requérant à l'assistance d'un avocat prévu par l'alinéa 10b) de la Charte.
DISCUSSION
a) La détention
La première question à laquelle il faut répondre est celle de savoir si, compte tenu des circonstances déjà relatées, on peut dire que le requérant a été «détenu» au sens de l'alinéa 10b). L'avocate du requérant invoque l'arrêt R. c. Therens et autres 3 de la Cour suprême du Canada, et plus particuliè- rement les motifs prononcés par le juge Le Dain dans cet arrêt.
Voici les passages des motifs du juge Le Dain sur lesquels se fonde l'avocate (aux pages 641 et 642):
L'article 10 de la Charte vise à assurer que, dans certaines situations, une personne soit informée de son droit à l'assistance d'un avocat et qu'elle puisse obtenir cette assistance sans délai. Il est évident que les cas (l'arrestation et la détention) mention- nés expressément à l'art. 10 ne sont pas les seuls une personne peut avoir raisonnablement besoin de l'assistance d'un avocat, mais qu'il s'agit de situations l'entrave à la liberté
3 [1985] 1 R.C.S. 613.
pourrait, par ailleurs, avoir pour effet de rendre impossible l'accès à un avocat ou d'amener une personne à conclure qu'elle n'est pas en mesure d'avoir recours à l'assistance d'un avocat. En utilisant le mot «détention», l'art. 10 de la Charte vise une entrave à la liberté autre qu'une arrestation par suite de laquelle une personne peut raisonnablement avoir besoin de l'assistance d'un avocat, mais pourrait, en l'absence de cette garantie constitutionnelle, être empêchée d'y avoir recours sans délai.
Outre le cas il y a privation de liberté par contrainte physique, j'estime qu'il y a détention au sens de l'art. 10 de la Charte lorsqu'un policier ou un autre agent de l'État restreint la liberté d'action d'une personne au moyen d'une sommation ou d'un ordre qui peut entraîner des conséquences sérieuses sur le plan juridique et qui a pour effet d'empêcher l'accès à un avocat. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Chromiak, cette Cour a conclu que le mot «détention» connote «une certaine forme de contrainte». Il ne fait aucun doute qu'une certaine forme de contrainte ou de coercition doit être exercée pour qu'il y ait atteinte à la liberté ou à la liberté d'action équivalant à une détention au sens de l'art. 10 de la Charte. A ce qu'il me semble, la question est de savoir si cette contrainte doit être physique ou s'il peut s'agir également d'une contrainte psychologique ou morale qui a pour effet d'inhiber la volonté tout autant que l'usage, ou la menace d'usage, de la force physique. La question est de savoir si la personne qui fait l'objet d'une sommation ou d'un ordre éma- nant d'un policier ou d'un autre agent de l'État peut raisonna- blement s'estimer libre de refuser d'y obtempérer. [C'est moi qui souligne.]
et (aux pages 643 et 644):
Toute responsabilité criminelle découlant du refus d'obtempé- rer à une sommation ou à un ordre d'un policier doit suffire pour rendre l'obéissance involontaire. Ce serait le cas, par exemple, de l'obéissance lorsque le refus d'obtempérer revien- drait à entraver volontairement un policier dans l'exécution de son devoir, contrairement à l'art. 118 du Code criminel.
Bien que cela ne soit pas strictement nécessaire aux fins du présent litige, j'irais encore plus loin. À mon avis, il est, en règle générale, irréaliste de considérer l'obéissance à une sommation ou à un ordre d'un policier comme un acte réellement volon- taire en ce sens que l'intéressé se sent libre d'obéir ou de désobéir, même lorsque la sommation ou l'ordre en question n'est autorisé ni par la loi ni par la common law, et que, par conséquent, le refus d'y obtempérer n'entraîne aucune respon- sabilité criminelle. La plupart des citoyens ne connaissent pas très exactement les limites que la loi impose aux pouvoirs de la police. Plutôt que de s'exposer à l'usage de la force physique ou à des poursuites pour avoir volontairement entravé la police dans l'exécution de son devoir, il est probable que la personne raisonnable péchera par excès de prudence et obtempérera à la sommation en présumant qu'elle est légale. L'élément de con- trainte psychologique, sous forme d'une perception raisonnable qu'on n'a vraiment pas le choix, suffit pour rendre involontaire la privation de liberté. Il peut y avoir détention sans qu'il y ait contrainte physique, si la personne intéressée se soumet ou acquiesce à la privation de liberté et croit raisonnablement qu'elle n'a pas le choix d'agir autrement. [C'est moi qui souligne.]
Je suis d'accord avec l'avocate du requérant pour dire que le raisonnement formulé dans l'arrêt Therens s'applique aux faits de la présente espèce. À mon avis, l'agent d'immigration, «un agent de l'État», qui a mené le second interrogatoire du requérant avait restreint la liberté d'action du requérant, qui n'était pas libre de quitter la pièce ou d'aller ailleurs. L'agent d'immigration a pro- cédé à un interrogatoire serré du requérant. En conséquence, cet interrogatoire faisait partie inté- grante de l'enquête prévue à la Loi sur l'immigra- tion, laquelle enquête a finalement débouché sur la mesure d'expulsion prise contre le requérant. D'après le témoignage non contredit que le requé- rant a donné dans son affidavit, il est par ailleurs évident qu'il a acquiescé à la privation de sa liberté, étant donné qu'il croyait raisonnablement qu'il n'avait pas le choix d'agir autrement. Dans ces conditions, je conclus, en appliquant le raison- nement formulé dans l'arrêt Therens précité, que le requérant était «détenu» au sens de l'alinéa 10b) 4 .
L'intimé prétend toutefois que les interrogatoi- res de routine auxquels procèdent les fonctionnai- res de l'Immigration, qu'il s'agisse d'interrogatoi- res secondaires ou d'autres types d'interrogatoires, ne constituent pas une détention tant que la per- sonne interrogée n'est pas informée qu'elle sera détenue en vertu de la Loi sur l'immigration. L'avocat se fonde sur les déclarations faites par le juge en chef Dickson dans l'arrêt R. c. Simmons'. Dans l'arrêt Simmons, l'inculpée était arrivée à l'aéroport international de Toronto en provenance de la Jamaïque. On lui a d'abord demandé de se soumettre à l'examen primaire des douanes, puis à un second examen des douanes. Au cours du second examen, on a procédé à une fouille à nu, au cours de laquelle on a découvert sur sa personne de la résine de cannabis.
Après avoir déclaré qu'il existait trois types distincts de fouilles effectuées à la frontière:
a) l'interrogatoire de routine auquel est soumis à chaque voyageur à un port d'entrée;
b) la fouille à nu;
c) l'examen des cavités corporelles;
4 Dans le même sens, voir l'arrêt de la Cour suprême du Canada, R. C. Thomsen, [1988] 1 R.C.S. 640, aux p. 649 et 650.
5 [1988] 2 R.C.S. 495, à la p. 521.
le juge en chef a formulé les commentaires sui- vants au sujet de l'interrogatoire de routine sus- mentionné la page 517):
Il n'y a rien d'infamant à être l'un des milliers de voyageurs qui font, chaque jour, l'objet de ce type de contrôle de routine à leur entrée au Canada et aucune question constitutionnelle n'est soulevée à cet égard. Il serait absurde de laisser entendre qu'une personne qui se trouve dans une telle situation est détenue au sens constitutionnel du terme et a le droit, en conséquence, d'être informée de son droit à l'assistance d'un avocat.
Plus loin, le juge en chef s'est penché sur la fouille à nu susmentionnée à l'alinéa b). Il a déclaré la page 521):
À mon avis, l'appelante était détenue lorsqu'elle a été con- trainte de subir une fouille à nu conformément à l'art. 143 de la Loi sur les douanes. Cette conclusion est compatible à la fois avec le sens donné au mot «détention» dans la langue populaire et avec la définition énoncée par le juge Le Dain dans l'arrêt Therens, précité. Lorsque l'agent des douanes l'a avisée qu'elle allait subir une fouille, l'appelante n'était pas en mesure de lui opposer un refus et de poursuivre sa route. L'agent des douanes a déposé qu'elle aurait averti la GRC si l'appelante avait tenté de quitter les lieux. De plus, aux termes de l'art. 203 de la Loi sur les douanes, constitue une infraction le fait de résister aux perquisitions sur la personne autorisées par la Loi sur les douanes. Au moment de la fouille, l'appelante était nettement assujettie à une contrainte extérieure. L'agent des douanes avait restreint sa liberté d'action au moyen d'une sommation qui entraînait des conséquences sérieuses sur le plan juridique.
Je ne suis pas convaincu par l'argument que la poursuite nous a soumis, selon lequel si la fouille à nu constitue une détention alors tous les voyageurs qui passent aux douanes doivent être considérés comme détenus, et, par conséquent, avoir droit à un avocat. Dans l'arrêt Therens, précité, le juge Le Dain a affirmé que ce ne sont pas tous les rapports avec des agents de police ou d'autres autorités de l'État qui constituent une détention au sens de l'alinéa 106) de la Charte. Cette déclaration vaut également à l'égard de la situation rencontrée aux douanes. Je ne doute guère que l'interrogatoire de routine auquel procèdent les agents des douanes à la frontière ou la fouille ordinaire des bagages pratiquée au hasard ne constituent pas une détention aux fins de l'art. 10. Il ne fait toutefois aucun doute qu'une personne à qui l'on cesse d'appliquer la procédure normale et que l'on force à subir une fouille à nu est détenue au sens de l'art. 10.
À mon avis, les commentaires du juge en chef appuient les prétentions formulées par le requérant sur la présente question plutôt que celles de l'inti- mée. Le requérant à l'instance se trouvait dans une situation analogue à celle de l'inculpée dans l'af- faire Simmons. On a cessé d'appliquer la procé- dure normale à son égard et on l'a forcé à subir un interrogatoire et, par conséquent, il était détenu au sens de l'article 10 de la Charte. On prétend toutefois que l'interrogatoire secondaire de l'immi-
gration ne saurait être comparé à une fouille à nu des douanes et qu'il s'agit en réalité d'une autre forme d'interrogatoire de routine d'une personne qui sollicite de son plein gré l'admission au Canada. Je ne suis pas de cet avis. Les faits démontrent qu'il y avait «une perception raisonna- ble qu'on n'a vraiment pas le choix» et une «une privation involontaire de liberté». Le requérant a par ailleurs été «assujetti à une contrainte exté- rieure». En conséquence, je suis d'avis qu'on a satisfait aux critères permettant de conclure à une «détention» qui ont été énoncés dans la jurispru dence pertinente.
Avant de conclure mon examen des arrêts The- rens et Simmons, je tiens à signaler que dans l'arrêt Simmons, madame le juge L'Heureux- Dubé a rédigé des motifs de dissidence auxquels le juge McIntyre a souscrit. À la page 540, elle s'est dite d'avis que l'alinéa 10b) de la Charte ne s'ap- plique pas aux fouilles effectuées à la frontière. Selon elle:
Une fouille effectuée à la frontière fait partie non pas du processus criminel, mais plutôt des formalités d'entrée au pays. La personne fouillée aura certes le droit à l'assistance d'un avocat si elle était placée sous garde dans le cadre de procédu- res criminelles.
En toute déférence, il me semble que la jurispru dence dominante ne permet pas de faire une inter- prétation aussi restrictive. Dans l'arrêt Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177, madame le juge Wilson a déclaré au sujet de l'emploi du mot «chacun» à l'article 7 de la Charte la page 202):
...je suis disposée à acccepter que ce mot englobe tout être humain qui se trouve au Canada et qui, de ce fait, est assujetti à la loi canadienne.
À l'article 10 de la Charte, on emploie égale- ment le terme «chacun». Comme l'avocat des appe- lants l'a fait remarquer dans l'arrêt Singh la page 202), on a employé dans de nombreux autres articles de la Charte des expressions plus restricti- ves comme «tout citoyen canadien» et «résident permanent au Canada». Il semble donc qu'on puisse raisonnablement en inférer que le présent revendicateur du statut de réfugié, qui se trouvait au Canada durant toute l'époque en cause, a droit à la protection de l'article 10. À mon avis, les raisons qui justifient de lui reconnaître la protec tion de l'article 10 dans les circonstances de la présente espèce sont tout aussi convaincantes que
celles qui existent lorsque le processus criminel est engagé. Dans le contexte des affaires criminelles, les droits de l'inculpé font l'objet de garanties méticuleuses parce qu'il risque d'être privé de sa liberté par le biais d'une incarcération. Dans le cas d'un revendicateur du statut de réfugié comme le requérant à l'instance, en présumant que même une partie de ses affirmations factuelles soient véridiques, son retour forcé en Iran pourrait bien se solder notamment par son incarcération, par l'infliction de tortures et même par la mort.
Par ces motifs, j'en viens donc à la conclusion qu'eu égard aux circonstances de la présente espèce, le requérant a été détenu au sens de l'ali- néa 10b) de la Charte.
b) Le droit à l'assistance d'un avocat
L'intimée soutient, à titre subsidiaire, que si l'interrogatoire du requérant par les fonctionnaires de l'Immigration constituait une «détention», le requérant s'est vu reconnaître les droits que lui confère la Charte «sans délai» et qu'on a parfaite- ment respecté l'article 10. À l'appui de cette pré- tention, l'avocat invoque l'arrêt R. v. Kwok 6 de la Cour d'appel de l'Ontario. Dans cet arrêt, la Cour a semblé considérer la violation de l'article 10 comme une violation de pure forme la page 208). Pour cette raison, j'estime qu'une distinction s'impose entre les faits de l'affaire Kwok et ceux de la présente espèce. À mon avis, la violation de l'article 10 qui a été commise en l'espèce est une violation de fond. Au cours de l'enquête qui a suivi, on s'est servi des notes prises par l'agent examinateur lors de l'interrogatoire mené au cours de la «détention» pour attaquer la crédibilité du requérant. Cela ressort à l'évidence des nombreux renvois aux notes qu'a faits le tribunal administra- tif pour appuyer les conclusions défavorables qu'il a tirées au sujet de la crédibilité'. On s'est servi de la pièce C-3 en guise d'arme antagoniste à l'au- dience du tribunal administratif pour détruire la crédibilité du requérant. Si un avocat avait été présent avant et pendant l'interrogatoire, ce qui aurait permis au requérant d'obtenir des explica tions éclairées au sujet de l'économie du processus de reconnaissance du statut de réfugié prévu par la loi canadienne sur l'immigration, j'estime qu'il est
6 (1986), 31 C.C.C. (3d) 196, le juge Finlayson, J.C.A. Voir transcription, p. 90, 91 et 92.
probable que toute la nature de la procédure s'en serait trouvée changée. En tout étai de cause, cela aurait garanti que le requérant comprenait les conséquences du témoignage qu'il donnait. Comme le juge Lamer l'a déclaré dans l'arrêt R. c. Manninen s :
Le droit à l'assistance d'un avocat a pour objet de permettre à la personne détenue non seulement d'être informée de ses droits et de ses obligations en vertu de la loi, mais également, voire qui plus est, d'obtenir des conseils sur la façon d'exercer ces droits ... Pour que le droit à l'assistance d'un avocat soit efficace, le détenu doit pouvoir obtenir ces conseils avant d'être interrogé ou requis autrement de fournir des éléments de preuve.
Étant donné que la Cour suprême du Canada a déclaré dans l'arrêt Therens, précité, que la juris prudence relative aux enquêtes policières en matiè- res criminelles pouvait être étendue aux autres agents de l'État et étant donné que dans l'arrêt Simmons précité, la majorité de la Cour a appli- qué le critère dégagé dans l'arrêt Therens aux fouilles effectuées aux points d'entrée en vertu de la Loi sur les douanes, je pense qu'on peut soute- nir de façon tout aussi convaincante que les reven- dicateurs du statut de réfugié possèdent le droit de consulter un avocat aux points d'entrée. À mon avis, les circonstances de l'espèce qui ont été résu- mées appuient fortement cette conclusion.
c) L'article premier de la Charte
Ayant conclu pour les motifs précités qu'il y a eu violation des droits que l'alinéa 10b) de la Charte reconnaît au requérant, je dois me deman- der si les dispositions de l'article premier de la Charte s'appliquent aux circonstances de la pré- sente affaire 9 .
L'intimé n'a pas fait valoir de moyen en vertu de l'article premier. J'estime toutefois qu'en tout état de cause, les dispositions de l'article premier ne s'appliquent pas aux faits en cause. Le champ d'application de l'article premier a été délimité par le juge Le Dain dans l'arrêt Therens, précité, lorsqu'il a déclaré la page 645):
8 [1987] 1 R.C.S. 1233, aux p. 1242 et 1243.
9 Voici le libellé de l'article premier:
1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démon- trer dans le cadre d'une société libre et démocratique.
L'article 1 exige que cette restriction soit prescrite par une règle de droit, qu'elle soit raisonnable et que sa justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démo- cratique. L'exigence que la restriction soit prescrite par une règle de droit vise surtout à faire la distinction entre une restriction imposée par la loi et une restriction arbitraire. Une restriction est prescrite par une règle de droit au sens de l'art. 1 si elle est prévue expressément par une loi ou un règlement, ou si elle découle nécessairement des termes d'une loi ou d'un règlement, ou de ses conditions d'application. La restriction peut aussi résulter de l'application d'une règle de common law.
Si l'on applique le critère de l'arrêt Therens (par- fois désigné sous le nom de critère de la précision) à la présente situation, je conclus qu'il n'existe pas de disposition qui est prévue expressément par une loi ou un règlement ou qui découle nécessairement d'une loi ou d'un règlement qui exigerait qu'un immigrant qui sollicite le statut de réfugié soit privé de son droit à l'assistance d'un avocat dans les circonstances de l'espèce. L'économie de la Loi sur l'immigration prévoit la tenue d'entrevues et d'interrogatoires dans le cas des personnes qui sollicitent l'admission au Canada, pour que les agents d'immigration puissent s'acquitter comme il se doit de l'obligation que leur impose la Loi d'établir l'admissibilité des personnes en question. Ainsi, bien que l'application de la Loi sur l'immi- gration permette et prévoie une entrevue comme celle qui a eu lieu le 13 mai 1989, en l'espèce, je suis incapable d'en conclure que lorsqu'une telle entrevue a lieu au cours d'une détention, on puisse raisonnablement prétendre que l'économie de la Loi sur l'immigration exige que l'on prive quel- qu'un de son droit de consulter un avocat. Par ces motifs, je conclus que l'article premier de la Charte n'entre pas en jeu dans les circonstances de l'espèce.
LE CRITÈRE DU PARAGRAPHE 46.01(6)
Je passe maintenant à la seconde question liti- gieuse déjà formulée, en l'occurrence celle de savoir si le tribunal administratif a appliqué le mauvais critère pour rendre la décision qu'il était tenu de rendre aux termes du paragraphe 46.01(6) de la Loi 10 . À mon avis, cette prétention a un certain fondement. À la page 20 de la transcrip tion, au début de l'audience sur le minimum de fondement, l'arbitre a dit au requérant:
10 Le paragraphe 46.01(6) est ainsi libellé: 46.01 .. .
[TRADUCTION] Comme je vous l'ai expliqué, c'est à vous qu'il incombe de nous convaincre, par des éléments de preuve jugés crédibles et dignes de foi, que vous avez raison de craindre d'être persécuté [...] (lignes 18 et 19). [C'est moi qui souligne.]
Puis, à la clôture de l'enquête, en rendant la décision du tribunal administratif, l'arbitre a déclaré:
[TRADUCTION] Nous avons donc examiné la preuve pour déter- miner si vous aviez réussi à justifier votre crainte d'être persé- cuté. (p. 90, lignes 59 et 60) [C'est moi qui souligne.]
Je n'hésite pas à conclure que les deux critères susmentionnés imposent un critère plus strict que celui qu'exige le paragraphe 46.01(6) ".
L'avocat de l'intimé prétend cependant que, dans un passage de la page 90 de la transcription (aux lignes 46 à 57), le tribunal administratif énonce le critère qu'il convient d'appliquer lors de l'audience sur le minimum de fondement. Il sou- tient en outre que le tribunal administratif a exposé à nouveau le bon critère à la page 93 de la transcription (aux lignes 10 à 15). Je suis d'accord pour dire que les critères énoncés dans ces deux passages sont acceptables. Toutefois, le problème est que dans une situation comme celle qui nous occupe, dans laquelle le tribunal administratif a énoncé à la fois un critère correct et un critère erroné à au moins deux reprises, il est difficile de
(Suite de la page précédente)
(6) L'arbitre ou le membre de la section du statut con- cluent que la revendication a un minimum de fondement si, après examen des éléments de peuve présentés à l'enquête ou à l'audience, ils estiment qu'il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte notamment des points suivants:
a) les antécédents en matière de respect des droits de la personne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté;
b) les décisions déjà rendues aux termes de la présente loi ou de ses règlements sur les revendications était invo- quée la crainte de persécution dans ce pays.
" Comparer: Sloley c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-364-89, C.A.F., le juge Heald, J.C.A., juge- ment en date du 22-2-90 encore inédit. Voir aussi: Lee c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-401-89, le juge Heald, J.C.A., jugement en date du 22-2-90, encore inédit.
conclure qu'aucune erreur donnant ouverture à une révision n'a été commise. La présente situation n'est pas sans rappeler celle de l'affaire Arduengo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration' 2 . Il s'agissait d'une affaire dans laquelle la Commis sion d'appel de l'immigration avait, dans un pas sage de ses motifs, exposé le bon critère pour reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention (crainte justifiée d'être persécuté) et avait, dans un autre passage de ses motifs, énoncé incorrectement le critère ([TRADUCTION] «les requérants n'ont pas établi qu'ils feraient l'objet d'une persécution s'ils devaient retourner au Chili»). [C'est moi qui souligne.] À la page 438, j'ai déclaré au nom de la majorité de la Cour:
En conséquence, l'ensemble des motifs adoptés à l'unanimité par la Commission donne deux critères distincts et contradictoi- res pour la détermination du statut de réfugié au sens de la Convention. L'un de ces deux critères est juste, l'autre ne l'est pas. Dans ces circonstances, il est impossible, à mon avis, de déterminer quel critère la Commission a finalement appliqué aux faits de l'espèce présente. Je conclus donc qu'il n'y a pas lieu de confirmer la décision de la Commission, étant donné l'incertitude quant à la question de savoir si la Commission a appliqué le critère approprié pour décider que le requérant et son épouse n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
Je me trouve dans une situation semblable en l'espèce. À la page 20, l'arbitre a énoncé un critère et un fardeau de preuve qui sont plus stricts que le critère qui est prévu au paragraphe 46.01(6). A la page 90, il l'énonce correctement (aux lignes 46 à 57), mais plus loin, toujours à la page 90, il le formule incorrectement (aux lignes 59 et 60). Finalement, à la page 93 (aux lignes 10 à 15), il formule à nouveau un critère acceptable.
Par ces motifs, je suis, comme dans l'affaire Arduengo, incapable de me convaincre que le tri bunal a effectivement appliqué le bon critère. Dans ces conditions, j'estime que le tribunal administra- tif a commis une erreur donnant ouverture à une révision t3 . La Cour était saisie d'un cas semblable
12 (1981), 40 N.R. 436 (C.A.F.).
l' Voir l'arrêt Sloley c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), précité, dans lequel la Cour a déclaré la p. 2]: «En appliquant un critère plus élevé que celui qui est requis aux termes du paragraphe 46.01(6), le tribunal a commis une erreur de droit qui est fondamentale en ce qui concerne la validité de sa décision.»
dans l'affaire Kimbudi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration 14 . Dans cette affaire, le tribunal administratif a formulé le critère erroné dans une phrase et a énoncé le bon critère dans la phrase suivante. Le juge Urie, J.C.A. qui s'exprimait au nom de la Cour, a déclaré qu'il s'agissait d'une erreur justifiant l'infirmation de la décision, étant donné qu'il était incapable de conclure qu'une correction ultérieure suffirait à rectifier un énoncé antérieur erroné du critère applicable.
RÉPARATION
Pour résumer, j'en suis d'abord venu à la conclu sion qu'eu égard aux faits de la présente espèce, il y a eu violation, au cours de la procédure invoquée en vertu de la Loi sur l'immigration, du droit de consulter un avocat que l'alinéa 10b) de la Charte reconnaît au requérant. J'en suis également venu à la conclusion que le tribunal administratif a commis une erreur donnant ouverture à une révi- sion en appliquant un critère erroné pour rendre la décision qu'il était tenu de rendre aux termes du paragraphe 46.01(6) de la Loi sur l'immigration. Il nous reste à examiner la question de la nature de la réparation à laquelle le requérant a droit.
Dans son exposé des faits et du droit, l'avocate du requérant demande simplement que la mesure d'expulsion prise contre le requérant soit annulée. Vu ma conclusion sur le critère appliqué en vertu du paragraphe 46.01(6), j'estime que le requérant a le droit d'obtenir l'annulation de la décision rendue le ler août 1989 par le tribunal administra- tif. La mesure d'expulsion prise le ler août 1989 contre le requérant par l'arbitre Roberts devrait également être annulée.
Pour ce qui est de la violation de la Charte, l'avocate du requérant n'a pas, dans son mémoire ou dans son plaidoyer, demandé que soient écartés les éléments de preuve contenus à la pièce C-3. De même, elle n'a pas fait valoir de moyens à l'appui d'une telle demande 15 .
14 (1982), 40 N.R. 566 (C.A.F.), le juge Urie, J.C.A. à la p. 568.
15 Je n'oublie pas l'opinion formulée par certains analystes de la Charte suivant laquelle il n'est pas nécessaire de demander expressément l'exclusion des éléments de preuve obtenus en violation de la Charte. Le professeur Hogg, par exemple, estime (Constitutional Law of Canada, (2' éd.), à la p. 702) que
En conséquence, il n'est pas nécessaire d'exami- ner dans la présente demande la difficile question de savoir si, lorsqu'elle est saisie d'une demande fondée sur l'article 28, notre Cour a le pouvoir, en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte, d'écarter de tels éléments de preuve, eu égard aux faits plutôt particuliers de la présente affaire.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de lire le projet de motifs de jugement du juge Heald, J.C.A. Il ne me paraît pas possible de me rallier à son opinion. À mon avis, le requérant n'a pas été détenu au sens de l'article 10 de la Charte au cours de l'interrogatoire secondaire que l'agent d'immigration lui a fait subir au point d'entrée. Il s'ensuit qu'il n'existait pas d'obligation de l'infor- mer à ce moment-là de son droit à l'assistance d'un avocat.
Chacun, y compris tout citoyen canadien et tout résident permanent qui a le droit d'entrer au Canada, est détenu lorsqu'il se présente à un point d'entrée pour être admis au Canada. Nul n'est libre d'entrer au Canada tant qu'un agent d'immi- gration n'est pas convaincu que cette personne en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contrevien- drait pas à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2. Ce qui distingue tous ces déte- nus de la sorte de détenu dont il était question dans l'arrêt R. c. Therens et autres, [1985] 1 'R.C.S. 613, c'est le fait que ces personnes n'ont pas été mises dans cette situation par un agent de l'État qui a restreint leur liberté d'action. Ces personnes se sont plutôt mises elles-mêmes dans
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lorsqu'une partie s'oppose à la recevabilité de tels éléments de preuve au cours d'un procès criminel, l'objection constitue elle-même une demande présentée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte au tribunal compétent (le tribunal de première instance) en vue d'obtenir la réparation appropriée, c'est-à-dire l'exclusion de ces éléments de preuve. Je ne suis pas persuadé que même si cette opinion est fondée dans le contexte d'un procès criminel, on puisse l'appliquer aux instances de droit administratif. De plus, lorsque cette question a été sou- mise au tribunal administratif, on ne s'est pas objecté à la recevabilité de la pièce C-3. Ainsi, nous ne sommes pas en présence d'une situation parallèle à celle dont discute le profes- seur Hogg. Vu le dossier, il n'est pas possible, à mon avis, de conclure à l'existence d'une demande fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte en vue d'obtenir la réparation prévue au paragraphe 24(2) de la Charte.
cette situation de leur propre chef en sollicitant l'admission. Ce ne sont pas, pour reprendre les termes employés dans l'arrêt R. c. Simmons, [1988] 2 R.C.S. 495, à la page 517, des personnes qui sont «détenue[s] au sens constitutionnel du terme et [qui ont] le droit, en conséquence, d'être informée [s] de [leur] droit à l'assistance d'un avocat».
Lorsqu'une personne se présente à un point d'en- trée, reconnaît qu'elle n'a pas le droit d'entrer au Canada et revendique le statut de réfugié au sens de la Convention, l'agent d'immigration qui l'inter- roge a le devoir de déterminer notamment si cette personne peut être admise en vertu du paragraphe 6(2) ainsi que de l'article 8 et de se demander si elle devrait être détenue en vertu du paragraphe 12(3).
6....
(2) Les réfugiés au sens de la Convention et les personnes appartenant à une catégorie déclarée admissible par le gouver- neur en conseil conformément à la tradition humanitaire suivie par le Canada à l'égard des personnes déplacées ou persécutées peuvent être admis, sous réserve des règlements pris à cette fin et par dérogation aux règlements d'application générale.
8. (1) Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.
(2) Quiconque cherche à entrer au Canada est présumé immigrant tant qu'il n'a pas convaincu du contraire l'agent d'immigration qui l'interroge ou l'arbitre qui mène l'enquête.
12. (1) Quiconque cherche à entrer au Canada est tenu de se présenter devant un agent d'immigration à un point d'entrée ou à tout autre lieu désigné par l'agent principal en vue de l'interrogatoire visant à déterminer s'il est autorisé à entrer au Canada ou s'il peut y être admis.
(3) L'agent d'immigration qui procède à l'interrogatoire peut, lorsqu'il le juge à propos:
a) confier la fin de l'interrogatoire à un autre agent d'immigration;
b) retenir la personne interrogée ou prendre une mesure à cet effet contre elle.
(4) L'intéressé doit répondre franchement aux questions de l'agent d'immigration et produire toutes les pièces que ce dernier exige pour établir s'il est autorisé à entrer au Canada ou s'il peut y être admis.
Si je comprends bien les termes employés, l'in- terrogatoire primaire a eu lieu, dans le cas qui nous occupe, devant ce que le requérant a appelé [TRADUCTION] «une petite cabine». Il s'agit, si j'ai bien saisi, de l'un des postes de contrôle devant lesquels font la queue tous les passagers de vols internationaux qui descendent d'avion. Il semble de toute évidence déraisonnable de s'attendre à ce que l'interrogatoire du revendicateur du statut de réfugié au sens de la Convention auquel doit pro- céder l'agent d'immigration puisse être mené de façon satisfaisante à l'étape de l'interrogatoire pri- maire global. À mon sens, le simple renvoi de cette personne à un interrogatoire secondaire et le temps écoulé avant le début de cet interrogatoire ne permettent pas de conclure que la personne est détenue au sens constitutionnel du terme. Une attente de plusieurs heures peut n'être attribuable qu'au nombre de personnes qu'il faut interroger et au nombre d'agents qui sont disponibles pour faire ce travail ou encore à la nécessité de recourir aux services d'un interprète.
Je ne puis admettre que l'interrogatoire dont le requérant a fait l'objet en l'espèce était tout sauf un interrogatoire de routine. J'estime que la seule manière de démontrer le fondement de mon opi nion est de reproduire, à l'annexe «A», le texte intégral du compte rendu rédigé à la main par l'agent d'immigration des questions et des réponses qui ont été traduites à l'intention du requérant et que celui-ci a signées à ce moment-là. Ce docu ment se passe de commentaires et ne permet tout simplement pas, à mon avis, de penser que le requérant a fait l'objet d'une fouille à nu inquisito- riale qui, j'en conviens parfaitement, constituerait bien plus qu'une détention sans conséquence sur le plan constitutionnel. Si l'on accepte le témoignage non contredit que le requérant a donné par affida vit au sujet de son état d'esprit au moment de l'interrogatoire secondaire, un aspect qui est à ce point particulier à l'intéressé ne saurait, à mon avis, changer la nature de ce qui était de toute évidence un interrogatoire de routine.
Il est important de constater que ce ne sont pas les renseignements préjudiciables que l'on a per- suadé au requérant de divulguer à l'agent d'immi- gration qui ont alimenté les doutes du tribunal
administratif au sujet du minimum de fondement de sa revendication; c'est plutôt ce qu'il n'a pas mentionné. Parmi ces omissions, signalons ses acti- vités politiques royalistes, la confiscation de son entreprise et l'arrestation et l'exécution de sa fille. Bien que nous soyons peut-être obligés d'accepter le témoignage donné par le requérant dans son affidavit au sujet de son état d'esprit et de sa perception de l'interrogatoire secondaire, le tribu nal administratif n'était pas restreint de la sorte dans son appréciation de la crédibilité du requé- rant et de la valeur du témoignage que celui-ci a donné pour expliquer de façon plausible les omis sions en question. Cette appréciation entrait par- faitement dans le cadre de ses attributions.
Quant au critère prévu au paragraphe 46.01(6), l'arbitre en a effectivement fait un exposé inexact à l'ouverture de l'audience du tribunal administra- tif. Cette audience a eu lieu le 19 mai 1989. L'audience a été ajournée au 30 juin, date à laquelle on a terminé la présentation de la preuve et à laquelle on a présenté les plaidoiries. L'ins- tance a été ajournée au 1" août, date à laquelle le tribunal a rendu sa décision, dans laquelle il a correctement énoncé le critère applicable.
Dans l'arrêt Arduengo c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1981), 40 N.R. 436, une formation collégiale de trois commissaires de la Commission d'appel de l'immigration a prononcé des motifs et des motifs supplémentaires de déci- sion, sous la plume de commissaires différents. Dans les deux cas, les deux autres commissaires y ont souscrit. L'un d'entre eux a énoncé correcte- ment le critère en question et l'autre en a fait un exposé erroné, de sorte qu'il a été statué, à la page 438:
... l'ensemble des motifs adoptés à l'unanimité par la Commis sion donne deux critères distincts et contradictoires pour la détermination du statut de réfugié au sens de la Convention. L'un de ces deux critères est juste, l'autre ne l'est pas. Dans ces circonstances, il est impossible, à mon avis, de déterminer quel critère la Commission a finalement appliqué aux faits de l'espèce présente. Je conclus donc qu'il n'y a pas lieu de confirmer la décision de la Commission, étant donné l'incerti- tude quant à la question de savoir si la Commission a appliqué le critère approprié pour décider que le requérant et son épouse n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention.
Dans l'arrêt Kimbudi c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1982), 40 N.R. 566, le juge Heald, J.C.A. a fait remarquer que la C.A.I. avait énoncé
le critère erroné et le critère correct dans des phrases consécutives de sa décision.
Ces situations me semblent très différentes de celle qui nous occupe. Malgré l'exposé du critère erroné qu'il a fait le 19 mai, je ne doute pas que le tribunal administratif a appliqué le bon critère dans sa décision du ler août.
Je suis d'avis de rejeter la présente demande fondée sur l'article 28.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je suis du même avis. ANNEXE «A»
NOM: DEHGHANI, ABDUL RASSOUL ADRESSE: 74, AVENUE KHAKSHENASSY SHIRAZ
DATE DE NAISSANCE: 28 avril 1937 TAILLE: 1 m 75
POIDS: 80 kg
YEUX: Bruns
LIEU DE NAISSANCE: SHIRAZ (IRAN) [TRADUCTION] Q. Quel est le but de votre visite au Canada?
R. Mon objectif fondamental est d'être un réfugié.
Q. Est-ce que vous revendiquez le statut de réfugié à ce moment-ci?
R. Oui.
Q. Quel motif invoquez-vous pour revendiquer le statut de réfugié?
R. Je veux travailler pour moi-même et pour l'avenir de mes enfants qui veulent étudier.
Q. Y a-t-il une autre raison pour laquelle vous revendiquez le statut de réfugié?
R. Non.
Q. Marié?
R. Marié.
Q. Enfants?
R. J'en ai quatre: trois filles et un fils. Mahboobeh, 26 ans; Zahrr, 27 ans; Mohammed Reza, 24 ans et Fatemeh, 22 ans.
Q. Comment s'appelle votre femme?
R. JAHADPOUR, SHAMSYEH, née en 1946.
Q. sont votre femme et vos enfants?
R. Ils sont à Shiraz, en Iran.
Q. Pouvez-vous m'expliquer comment vous vous êtes rendu de l'Iran au Canada?
R. J'ai été envoyé par le passeur que j'ai payé; il s'est procuré les papiers pour moi.
Q. Quand avez-vous quitté l'Iran?
R. Il y a environ vingt-cinq jours.
Q. Votre sortie de l'Iran était-elle légale ou illégale?
R. Elle était légale.
Q. Aviez-vous en votre possession un passeport ou d'autres
documents de voyage lorsque vous avez quitté l'Iran?
R. Oui. J'avais un passeport que je n'ai pas apporté avec moi. J'ai amené ma carte d'identité iranienne, le contrat de ma maison et de ma boutique et mon permis commercial ... ainsi qu'une attestation policière d'absence de casier judi- ciaire et la carte professionnelle de ma femme—elle est esthéticienne.
Q. Avez-vous ces documents sur vous?
R. Ils sont dans mon sac.
Q. Qu'est-il arrivé de votre passeport iranien?
R. Je l'ai retourné par la poste à Shiraz depuis la Turquie.
Q. Après avoir quitté l'Iran, êtes-vous allé?
R. En Turquie ... À Istamboul puis à Ankara.
Q. Combien de temps êtes-vous demeuré à Istamboul?
R. Vingt jours.
Q. Votre sortie de l'Iran à destination d'Istamboul était-elle légale?
R. Oui.
Q. Quelle est votre profession?
R. Je suis marchand.
Q. Quel genre de marchandises?
R. Des produits de zinc.
Q. Êtes-vous propriétaire de votre maison?
R. Oui.
Q. Qu'avez-vous fait à Istamboul?
R. Rien.
Q. Pourquoi êtes-vous allé à Istamboul?
R. Je voulais aller aux États-Unis.
Q. Lorsque vous avez quitté l'Iran, votre objectif était-il d'en- trer au Canada ou aux États-Unis?
R. En fait, je voulais m'installer au Canada.
Q. Pourquoi avez-vous essayé de vous rendre aux États-Unis?
R. Je voulais aller aux États-Unis légalement et venir ensuite ici. Malheureusement, cela ne s'est pas produit.
Q. Que voulez-vous dire?
R. Je voulais demander un visa de visiteur aux États-Unis dans le but d'entrer ici légalement à partir de là-bas.
Q. Pourquoi prendre ce moyen détourné? Pourquoi n'avez- vous pas fait directement votre demande au Canada?
R. Je ne connaissais personne ici qui pouvait m'envoyer une invitation ou un visa, mais je connaissais quelqu'un aux États-Unis.
Q. Qui connaissiez-vous aux États-Unis?
R. Mon cousin ... Mathew Registry; c'est le fils de la sceur de ma mère. Formule I-134 du SINÉU et lettre de refus de visa de visiteur du consulat des É.-U. versées au dossier.
Q. Votre objectif était-il d'obtenir un visa de visiteur et de demeurer illégalement aux États-Unis?
R. Comme je l'ai expliqué, je voulais obtenir ma carte verte et ensuite entrer ici légalement.
Q. Avez-vous demandé un visa de visiteur ou un visa perma nent aux États-Unis?
R. Un visa de visiteur.
Q. Si vous avez demandé un visa de visiteur, comment pouvez- vous prétendre que vous vouliez obtenir votre carte verte avant d'entrer au Canada?
R. Là-bas, je me serais adressé à un avocat qui s'occupe de ce genre de choses. Après mon installation là-bas pour y travailler et pour y vivre, l'avocat se serait occupé d'obtenir la carte verte pour moi et avec la carte verte, j'aurais pu entrer ici.
Q. En fait, ce que vous dites, c'est que vous prévoyiez vous rendre aux Etats-Unis à titre de visiteur, y demeurer illéga- lement, y travailler illégalement et essayer ensuite d'obtenir votre carte verte?
R. Non, je voulais agir dans la plus parfaite légalité. Parce qu'après m'être rendu là-bas . .. Je voulais travailler là-bas et obtenir ensuite ma carte verte. Tout serait fait légalement.
Q. Avez-vous demandé un visa pour vivre aux États-Unis ou simplement un visa de visiteur?
R. J'ai demandé un visa temporaire.
Q. Pour une durée de combien de temps?
R. Pour une durée de six mois.
Q. Ce que vous dites, c'est que dans ce délai de six mois, vous alliez essayer d'obtenir votre carte verte?
R. Oui.
Q. Qu'est-ce qui vous a amené à changer vos projets?
R. On m'a dit dans l'intervalle qu'il valait mieux se rendre directement au Canada ... On m'a expliqué qu'il était difficile d'obtenir les bons documents aux Etats-Unis, que ça pouvait prendre beaucoup de temps. En conséquence, j'ai pensé de ne pas passer par les États-Unis et de venir ici directement.
Q. Alors, qu'est-il advenu de votre idée de faire les choses légalement?
R. J'aimerais pouvoir toujours respecter la loi, mais dans le cas présent, le passeur m'a dit qu'il ne serait pas possible d'entrer ici avec un passeport iranien; je lui ai donc remis l'argent pour qu'il obtienne les documents.
Q. Quand avez-vous décidé de venir ici par l'entremise d'un passeur? Après que votre demande de visa aux États-Unis eut été refusée?
R. Après que les États-Unis eurent refusé ma demande de visa.
Q. avez-vous rencontré le passeur?
R. À Istamboul, dans la rue.
Q. Était-ce par hasard?
R. Par hasard.
Q. Comment s'appelle-t-il?
R. Il a dit que son nom était Manucheis.
Q. De quoi a-t-il l'air?
R. Il est partiellement chauve, plutôt gras, 50 ans, teint moyen, mesure environ 1 m 60.
Q. Combien l'avez-vous payé?
R. 6 500 $ (U.S.)
Q. Pour quoi? Qu'est-ce que cela comprenait?
R. Un billet, un passeport et tout le reste pour le trajet entre Istamboul et Toronto.
Q. Après l'avoir payé, qu'est-il arrivé?
R. Il (le passeur) a acheté le billet et le passeport.
Q. Quel était l'itinéraire qui était inscrit sur le billet?
R. Istamboul—Amsterdam—Toronto.
Q. Quel genre de passeport vous a-t-il donné?
R. Espagnol. Il était écrit ESPANA sur le passeport.
Q. Est-ce que le passeport contenait votre photo ou celle d'une autre personne?
R. Ma propre photo.
Q. Savez-vous comment il a obtenu le passeport?
R. Non.
Q. Quand êtes-vous parti?
R. Ce matin (13 mai 1989).
Q. Vous avez quitté Istamboul?
R. Oui.
Q. Le passeur vous a-t-il accompagné?
R. Non.
Q. Vous avez simplement montré votre billet et votre passeport et le contrôleur vous a laissé monter à bord de l'avion à Istamboul?
R. Oui.
Q. Qu'est-ce qui est arrivé à Amsterdam lorsque vous avez changé d'avion?
R. Entre Istamboul et Amsterdam, j'ai pris KLM; entre Ams- terdam et Toronto, j'ai voyagé avec CP.
Q. Lorsque vous êtes monté à bord de l'avion de CP, quelles ont été les formalités?
R. J'ai fait confirmer ma réservation; j'ai montré mon passe- port à la police et on m'a remis ma carte d'accès à bord.
Q. Est-ce que quelqu'un vous a posé des questions au sujet du passeport?
R. Non, c'était un passeport en règle.
Q. Pourquoi manque-t-il des pages?
R. Le passeur m'a demandé de détruire le passeport ou du moins les deux pages se trouvaient la photo et les renseignements personnels.
Q. Combien d'argent avez-vous sur vous?
R. J'ai donné tout ce que j'avais au passeur. Il ne me reste plus rien.
Q. Avez-vous de la famille au Canada?
R. Non.
Q. Des amis?
R. Non.
Q. Et aux États-Unis? Seulement votre cousin?
R. Oui.
Q. Avez-vous déjà été déclaré coupable d'actes criminels?
R. Non. J'ai une attestation d'absence de casier judiciaire.
Q. Des problèmes de santé?
R. Non, je n'en ai aucun.
Q. Pourquoi n'avez-vous pas demandé de visa d'immigrant pour entrer au Canada?
R. Je ne savais pas s'il allait être accepté.
Q. Mais avez-vous quand même présenté une demande?
R. J'ai entendu des rumeurs voulant qu'il ne serait pas accepté.
Q. Êtes-vous déjà venu au Canada?
R. Non.
Q. Est-ce que d'autres pays vous ont reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention?
R. Non.
Q. Avez-vous revendiqué le statut de réfugié auprès d'autres pays?
R. Non.
Q. Pourquoi n'avez-vous pas revendiqué le statut de réfugié en Turquie?
R. Je n'aime pas la Turquie. Je voulais vivre au Canada et non en Turquie. De plus, il était possible que la Turquie me renvoie en Iran.
Q. Faisiez-vous partie d'organismes religieux en Iran?
R. Non.
Q. D'associations politiques?
R. Non.
Q. Avez-vous déjà été emprisonné pour des motifs d'ordre religieux ou politique?
R. Je n'ai jamais fait de prison.
Q. Pourquoi avez vous quitté l'Iran à ce moment-ci?
R. Parce que j'en ai déjà assez et que ma fille fréquente l'université; ma fille suit des cours d'obstétrique ici et mon fils veut également étudier et aller à l'université; c'est la raison pour laquelle j'ai décidé de partir maintenant.
Q. En quoi votre présence ici pourrait-elle les aider à aller à l'université?
R. En étant ici, je pourrai ensuite vendre mes propriétés, empocher l'argent et envoyer les enfants à l'université au Canada.
Q. Si vous retourniez en Iran, votre vie serait-elle en danger?
R. Oui.
Q. Pourquoi?
R. Je tiens boutique ... Les gens savent que j'ai quitté l'Iran et ils savent dans quel but je l'ai quitté.
CONSIDÉRATIONS HUMANITAIRES
Première catégorie: vie et sécurité
Non.
Deuxième catégorie: rapports personnels
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Troisième catégorie: motifs de compassion
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Cinquième catégorie: liens avec le Canada
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