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T-2581-89
Ken Rubin (demandeur) c.
Procureur général du Canada, Raymond P. Gue- nette, J. F. Cousineau et Société canadienne d'hy- pothèques et de logement (défendeurs)
RÉPERTORIÉ: RUBIN C. CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) (1" INST.)
Section de première instance, juge Strayer — Ottawa, 19 juin et 5 juillet 1990.
Droit constitutionnel Charte des droits Droits à l'égalité Le demandeur s'est vu attribuer les dépens entre parties, mais les honoraires d'avocat qu'il réclamait lui ont été refusés, au motif qu'il agissait pour son propre compte Action en jugement déclaratoire portant que les Règles 344 et 346 des Règles de la Cour fédérale et le tarif B créent une discrimination à l'égard des personnes qui, en raison de leurs activités d'intérêt public, de leur orientation politique, de leur situation économique ou d'une combinaison de ces facteurs, n'engagent pas d'avocat Bien que les Règles et le tarif B établissent une distinction entre les personnes qui plaident elles-mêmes leur cause et celles qui sont représentées par un avocat, le demandeur n'a pas démontré qu'il faisait l'objet d'une distinction défavorable équivalant à l'un des motifs de discrimination énumérés à l'art. 15(1) de la Charte ou à un motif analogue Le simple fait de prétendre qu'on est financièrement désavantagé ne constitue pas une discrimina tion au sens de l'art. 15(1).
Pratique Frais et dépens Le demandeur, qui plaidait lui-même sa cause, s'est vu adjuger les dépens entre parties Sa demande d'honoraires d'avocat a été refusée conformément à la lettre du tarif B, qui permet d'accorder un montant «pour les services des avocats» et à l'interprétation bien établie des Règles Action en jugement déclaratoire portant que les Règles et le tarif sont contraires à l'art. 15 de la Charte au motif qu'ils créent une discrimination à l'égard des plaideurs qui agissent pour leur propre compte La déclaration est radiée au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'action.
Pratique Plaidoiries Requête en radiation Action en jugement déclaratoire portant que les Règles 344 et 346 des Règles de la Cour fédérale et le tarif B contreviennent à l'art. 15 de la Charte au motif qu'ils créent une discrimination à l'égard des personnes qui, en raison de leurs activités d'intérêt public, de leur orientation politique, de leur situation écono- mique, ou d'une combinaison de ces facteurs, n'engagent pas d'avocat La requête est accueillie Les allégations sont fondées sur des conjectures et on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves.
Pratique Parties Le demandeur, qui plaidait lui- même sa cause, s'est vu adjuger les dépens entre parties Sa demande d'honoraires d'avocat a été refusée Action tendant à obtenir un jugement déclaratoire portant que les Règles 344 et 346 des Règles de la Cour fédérale et le tarif B créent une discrimination à l'égard des plaideurs qui agissent pour leur
propre compte, ainsi qu'un bref de certiorari annulant la décision de l'officier taxateur et un bref de mandamus enjoi- gnant à l'officier taxateur de taxer les frais et les dépens du demandeur comme s'il s'agissait d'un plaideur représenté par un avocat Les officiers taxateurs sont mis hors de cause, au motif que leur participation au procès comme défendeurs n'est pas nécessaire La Cour aurait pu corriger elle-même la taxation si le demandeur avait obtenu gain de cause dans son action en jugement déclaratoire.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 15.
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1. Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles
344 (mod. par DORS/87-221, art. 2), 346 (mod., idem,
art. 3), tarif B (mod., idem, art. 8).
JURISPRUDENCE
DÉCISION NON SUIVIE:
McBeth v. Dalhousie University (1986), 72 N.S.R. (2d) 224; 26 D.L.R. (4th) 321; 173 A.P.R. 224; 10 C.P.C. (2d) 69 (C.A.N: E.).
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255; Renvoi relatif à la Workers' Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922; (1989), 76 Nfld. & P.E.I.R. 181; 56 D.L.R. (4th) 765; 235 A.P.R. 181; 96 N.R. 227; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1.
DÉCISION EXAMINÉE:
Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F. 341; (1989), 36 Admin. L.R. 251 (C.A.).
AVOCATS:
Milos Barutciski, pour le demandeur.
Linda Wall, pour les défendeurs le procureur général du Canada et la Société canadienne d'hypothèques et de logement.
Kevin L. LaRoche, pour les défendeurs Ray- mond P. Guenette et J. F. Cousineau.
PROCUREURS:
Gowling, Strathy & Henderson, Ottawa, pour le demandeur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs le procureur général du Canada et la Société canadienne d'hypothè- ques et de logement.
Scott & Aylen, Ottawa, pour les défendeurs Raymond P. Guenette et J. F. Cousineau.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER: Réparation demandée
La Cour est saisie de deux requêtes. Dans la première, le procureur général du Canada et la Société canadienne d'hypothèques et de logement demandent la radiation de la déclaration au motif qu'elle ne révèle aucune cause raisonnable d'ac- tion. Dans la seconde, les défendeurs Raymond P. Guenette et J. F. Cousineau demandent à être mis hors de cause au motif que leur participation au procès comme parties n'est pas nécessaire.
Faits à l'origine du litige
Aux fins de la requête en radiation de la décla- ration, j'accepte, comme j'y suis tenu, les faits tels qu'ils sont articulés. Suivant la déclaration, le demandeur s'est adressé en mars de 1985 à la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) en vertu de la Loi sur l'accès à l'infor- mation' pour consulter les procès-verbaux de cer- taines réunions de la Société. Le demandeur s'est vu refuser l'accès à ces documents et il a déposé une plainte auprès du Commissaire à l'informa- tion. Par la suite, le commissaire adjoint à l'infor- mation a recommandé à la SCHL de divulguer les renseignements demandés, ce qu'elle a de nouveau refusé de faire. Le demandeur a ensuite intenté une poursuite devant la Cour fédérale [(1987), 8 F.T.R. 236 (i re inst.)] et a finalement obtenu gain de cause devant la Cour d'appel fédérale [[1989] 1 C.F. 265] qui, le 6 juillet 1988, a accueilli son appel et lui a adjugé les dépens entre parties tant en première instance qu'en appel. Le demandeur, qui se qualifie lui-même de «personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du public», a plaidé lui- même sa cause depuis le début. Au moment de la taxation des dépens, il a réclamé dans son mémoire
1 Maintenant L.R.C. (1985), chap. A-1.
de frais un montant de 1 025 $ en honoraires d'avocat en vertu du paragraphe 1(1) du tarif B [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663 (mod. par DORS/87-221, art. 8)]. Les officiers taxateurs concernés étaient J. F. Cousineau et Raymond P. Guenette et, dans des motifs datés du 13 juillet 1989, ce dernier a refusé d'accorder au demandeur les honoraires d'avocat qu'il réclamait. Il est constant qu'en agissant ainsi, il s'en tenait à la lettre du tarif B, qui ne vise que «les services des avocats» et à l'interprétation bien établie des Règles de notre Cour suivant laquelle les honorai- res d'avocat ne sont pas taxés en faveur des plai- deurs qui agissent pour leur propre comptez.
L'avocat du demandeur m'informe que celui-ci a déposé une demande de révision de la décision rendue sur la taxation, mais qu'il a laissé cette demande en suspens et a introduit l'action en question en l'espèce. Dans la présente action, il allègue que les Règles 344 [mod. par DORS/87- 221, art. 2] et 346 [mod., idem, art. 3] des Règles de la Cour fédérale et le tarif B créent une discri mination à l'égard des parties qui plaident elles- mêmes leur cause parce qu'ils ne permettent pas de rémunérer le travail personnel qui est effectué par les parties qui obtiennent gain de cause et qui serait rémunéré en partie si ces personnes enga- geaient plutôt un avocat et parce qu'ils prévoient que la taxation des frais et des dépens autres que ceux qui sont normalement prévus au tarif B ne peut avoir lieu que sur directive spéciale donnée par la Cour en vertu de la Règle 344(7), et que le fait de demander cette directive défavorise le plai- deur qui agit pour son propre compte. Dans sa déclaration, le demandeur invoque le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et liber- tés [qui constitue la Partie I de la Loi constitu- tionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]], et il nie que les Règles en question puissent constituer une limite raisonnable (justifiée par l'article premier) à son droit à l'éga- lité devant la loi et à la même protection et au même bénéfice de la loi. Il sollicite divers juge- ments déclaratoires en ce sens, un bref de certio- rari annulant la décision de l'officier taxateur, et un bref de mandamus enjoignant aux officiers taxateurs de taxer ses frais et ses dépens comme
2 Voir, par ex., Davidson c. Canada (Procureur général), [1989] 2 C.F. 341 (C.A.).
s'il s'agissait de la taxation des frais et dépens d'un plaideur qui a obtenu gain de cause et qui était représenté par un avocat.
Conclusion
Je suis convaincu qu'il y a lieu de rejeter l'action.
Dans sa déclaration, le demandeur se qualifie de «personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du public». Voici les paragraphes clés de sa déclara- tion:
[TRADUCTION] 6. En tant que personne qui fait de la recher- che dans l'intérêt du public, le demandeur s'adresse à l'occasion à des institutions fédérales pour obtenir des renseignements qui peuvent être utilisés par lui-même ou par d'autres personnes pour faciliter l'évaluation et la critique objectives des politiques et des méthodes de l'Administration fédérale.
7. Le demandeur a, à plusieurs reprises, demandé la communi cation de renseignements en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), chap. A-1, modifiée, pour son propre compte ou pour le compte de la presse écrite et parlée ou d'organismes d'intérêt public, dont des organismes visant à améliorer la situation de groupes et de personnes socialement et économiquement défavorisés.
8. À plusieurs occasions, après s'être vu refuser par une institu tion fédérale ses demandes de communication de renseigne- ments présentées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, le demandeur a demandé la révision judiciaire du refus par la Cour fédérale du Canada.
9. En raison des ressources limitées qui sont disponibles pour appuyer des activités d'intérêt public comme celles qu'il exerce, le demandeur n'a pas les moyens de retenir les services d'un avocat pour le représenter dans ses demandes d'accès à l'infor- mation. Si le demandeur devait engager un avocat pour de telles demandes, cela compromettrait sérieusement son rôle de personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du public à cause des coûts supplémentaires considérables qu'il faudrait engager pour obtenir les renseignements pertinents.
23. Les Règles 344 et 346 des Règles de la Cour fédérale et le tarif B créent une discrimination à l'égard des parties qui plaident elles-mêmes leur cause. La Règle 346(1) des Règles dispose que, sauf ordonnance contraire de la Cour, tous les dépens entre parties doivent être taxés conformément au tarif B. Le tarif B prévoit les sommes qui peuvent être accordées par l'officier taxateur «pour les services des avocats», mais ne contient pas de disposition expresse au sujet du temps et des frais (exception faite des débours) que le plaideur qui agit pour son propre compte a consacrés pour exécuter les fonctions qui seraient considérées comme des services admissibles si le plai- deur avait choisi de se faire représenter par un avocat.
24. Dans la mesure elle peut récupérer les frais et les dépens en question, la partie qui plaide elle-même sa cause devra, dans le délai prévu à la Règle 344(7), invoquer le pouvoir discrétion- naire que la Règle 344 confère à la Cour. Le plaideur qui agit pour son propre compte est ainsi désavantagé par rapport au plaideur qui est représenté par un avocat pour ce qui est de la récupération des frais et des dépens associés aux fonctions pour
lesquelles des frais et des dépens peuvent être récupérés en vertu du tarif B.
25. La partie qui plaide elle-même sa cause s'expose quand même à devoir payer les dépens de la partie adverse qui est représentée par un avocat, ce qui, au procès, désavantage la première.
26. Telles qu'elles ont été promulguées et telles qu'elles sont appliquées, les Règles de la Cour fédérale ont pour effet de créer une discrimination à l'égard des personnes qui, en raison de leurs activités d'intérêt public, de leur orientation politique ou de leur situation économique ou d'une combinaison de ces facteurs, n'engagent pas d'avocat, car elles les forcent soit à supporter le coût de certaines fonctions qui n'est pas assumé dans la même mesure par les plaideurs qui ont les moyens de retenir les services d'un avocat, soit à satisfaire à des critères que les plaideurs qui engagent des avocats ne sont pas tenus de respecter pour récupérer les frais et les dépens en question, soit, finalement, à s'abstenir de s'adresser à la Cour.
27. On a de ce fait porté atteinte aux droits constitutionnels du demandeur à l'égalité devant la loi et à la même protection et au même bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimi nation qui sont garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
Il est de jurisprudence constante que les Règles et le tarif B, tels qu'ils ont été interprétés par notre Cour, établissent une distinction entre les plaideurs qui agissent pour leur propre compte et ceux qui sont représentés par un avocat. Cela a été affirmé dans les termes les plus nets dans l'arrêt David- son', dans lequel un avocat qui agissait pour lui- même s'est vu refuser la taxation d'honoraires d'avocat. Il me semble toutefois que pour obtenir gain de cause dans son action, le demandeur doit démontrer que cette distinction défavorable, dont il fait l'objet au même titre que tous les autres plaideurs qui plaident eux-mêmes leur cause, équi- vaut à une discrimination au sens du paragraphe 15(1) de la Charte. À cet égard, le juge McIntyre, qui s'exprimait au nom de la majorité de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia 4 a jugé qu'une simple distinction défavorable créée par la loi ne contreve- nait pas automatiquement au paragraphe 15(1). Cette distinction doit constituer une discrimina tion. Il a précisé que pour pouvoir conclure à l'existence d'une «discrimination» au sens du para- graphe 15(1), il faut que le motif de discrimination
3 Supra, note 2.
[1989] 1 R.C.S. 143, aux p. 181 et 182.
soit l'un des motifs énumérés à ce paragraphe ou un motif analogue. La Cour suprême du Canada a appliqué à nouveau ce critère dans une affaire ultérieure comme seul motif de rejet d'une alléga- tion de discrimination 5 .
Le demandeur ne justifie pas d'un intérêt parti- culier pour soulever des points litigieux au sujet des droits de toute personne autre que lui-même à l'égard de la taxation des frais et des dépens dans le litige particulier qui l'oppose à la SCHL et qui est à la base de la présente action. Il n'allègue aucun lien, à l'égard de la présente demande de renseignements, avec les organismes «visant à amé- liorer la situation de groupes et de personnes socia- lement et économiquement défavorisés» dont il est question au paragraphe 7 de la déclaration. Le seul rôle ou trait caractéristique que revendique le demandeur dans la poursuite qu'il a intentée contre la SCHL est celui de «personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du public», un qualifica- tif qu'il semble s'être lui-même attribué. Je ne vois dans tout cela aucune allégation d'une série de faits sur la base desquels la Cour pourrait conclure en droit à une discrimination fondée sur des motifs analogues à ceux qui sont énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte. En d'autres termes, je ne constate aucune allégation portant qu'en tant que «personne qui fait de la recherche dans l'intérêt du public», le demandeur est victime, dans les cas la loi lui est défavorable, d'une discrimination fondée sur un motif analogue à ceux qui sont énumérés au paragraphe 15 (1) de la Charte. L'af- firmation qui se rapproche le plus d'une telle allé- gation est celle il parle de ses «ressources limi- tées» et du fait que son efficacité serait compromise s'il devait débourser de l'argent pour engager un avocat afin de réclamer des honoraires d'avocat au tarif des dépens entre parties. Si, comme j'y suis tenu, je présume que cette option est vraisemblable, la simple prétention qu'un cer tain plaideur, qui n'a par ailleurs pas réussi à établir qu'il faisait l'objet d'une discrimination, est financièrement désavantagé par rapport aux autres ne constitue pas, à mon avis, une allégation de «discrimination» au sens du paragraphe 15(1).
Lors des débats, l'avocat du demandeur a toute- fois insisté sur le fait qu'il fréquentait des groupes
5 Renvoi relatif à la Workers' Compensation Act, 1983 (T.-N.), [1989] 1 R.C.S. 922, à la p. 924.
qui seraient pour la plupart systématiquement sous-financés et qui défendraient invariablement l'intérêt public. Ainsi, des règles qui défavorisent des personnes comme le demandeur désavantage- raient de ce fait de la même manière les groupes qu'elles fréquentent. Comme je l'ai déjà précisé, le demandeur n'a pas invoqué selon moi les condi tions préalables requises pour établir que l'intérêt qu'il a pour agir «dans l'intérêt du public», en vue de défendre cette question au nom de tous les groupes et chercheurs d'intérêt public 6 , dépasse l'intérêt qu'il possède indubitablement pour contes- ter l'application qui lui est personnellement faite du tarif dans l'action en accès à l'information intentée contre la SCHL. Cependant, même en supposant que le demandeur puisse établir qu'il a qualité en l'espèce pour invoquer les présumés droits constitutionnels de n'importe quel individu et groupe «d'intérêt public» qui n'engage pas d'avo- cat et même en supposant que tous les faits articu- lés en l'espèce soient véridiques, je ne vois pas comment on pourrait établir qu'ils possèdent tous en l'espèce un droit constitutionnel à l'égard de l'application du tarif B et des Règles de la Cour fédérale. Le paragraphe clé de la déclaration est, à mon avis, le paragraphe 26, que, par souci de commodité, je reproduis à nouveau:
[TRADUCTION] 26. Telles qu'elles ont été promulguées et telles qu'elles sont appliquées, les Règles de la Cour fédérale ont pour effet de créer une discrimination à l'égard des personnes qui, en raison de leurs activités d'intérêt public, de leur orientation politique ou de leur situation économique ou d'une combinaison de ces facteurs, n'engagent pas d'avocat, car elles les forcent soit à supporter le coût de certaines fonctions qui n'est pas assumé dans la même mesure par les plaideurs qui ont les moyens de retenir les services d'un avocat, soit à satisfaire à des critères que les plaideurs qui engagent des avocats ne sont pas tenus de respecter pour récupérer les frais et les dépens en question, soit, finalement, à s'abstenir de s'adresser à la Cour. [Les soulignements sont de moi.]
En essayant de trouver dans cet énoncé les alléga- tions qui pourraient justifier une accusation de discrimination fondée sur le paragraphe 15(1), j'ai tenu dûment compte du jugement prononcé par le juge en chef Dickson dans l'affaire Operation Dis mantle Inc. et autres c. La Reine et autres' dans lequel ce dernier a déclaré:
6 Il n'a pas démontré, par exemple, qu'il est peu probable que d'autres personnes puissent soulever elles-mêmes la question en litige si cette question les concernait dans un litige réel.
7 [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 455.
La règle selon laquelle les faits matériels d'une déclaration doivent être considérés comme vrais, lorsqu'il s'agit de détermi- ner si elle révèle une cause raisonnable d'action, n'oblige pas à considérer comme vraies les allégations fondées sur des supposi tions et des conjectures. La nature même d'une telle allégation, c'est qu'on ne peut en démontrer la véracité par la présentation de preuves. Il serait donc inapproprié d'accepter une telle allégation comme vraie. On ne fait pas violence à la règle lorsque des allégations, non susceptibles de preuve, ne sont pas considérées comme prouvées.
Comme je l'ai déjà fait observer, le demandeur doit alléguer que la distinction défavorable dont font l'objet les personnes qui plaident elles-mêmes leur cause donne lieu à une certaine «discrimina- tion» fondée sur un motif analogue à ceux qui sont énumérés au paragraphe 15(1). Le mieux qu'on puisse dire en faveur des allégations contenues au paragraphe 26 c'est, pour reprendre les mots du juge en chef Dickson, qu'elles sont «fondées sur des suppositions et des conjectures» dont «on ne peut démontrer la véracité par la présentation de preu- ves». Quelle preuve établirait que les activités d'un individu ou d'un groupe donné sont «d'intérêt public»? Les tribunaux vont-ils se livrer à des conjectures pour savoir qui représente véritable- ment l'intérêt public»? Quelles suppositions fau- drait-il faire pour connaître les raisons pour les- quelles ce groupe ne retient pas les services d'un avocat? Il faudrait se livrer à des conjectures semblables pour déterminer de quelle manière l'«orientation politique» d'un groupe l'inciterait à ne pas engager d'avocat. Le simple fait de préten- dre, en ce qui concerne un individu ou un groupe donné, que sa «situation économique» ne lui permet pas d'engager un avocat, ne constitue pas, comme je l'ai déjà signalé, une allégation de discrimina tion fondée sur un motif analogue à ceux qui sont énumérés au paragraphe 15(1). Finalement, il con- vient d'observer qu'au paragraphe 26, le deman- deur n'allègue pas que l'une des caractéristiques qui y sont précisées (les «activités d'intérêt public», l'«orientation politique», la «situation économique») est essentielle pour qu'une personne ou un groupe soient victimes d'une discrimination. Il se peut que ce soit l'un de ces facteurs ou une combinaison de plusieurs d'entre eux qui les amènerait à ne pas engager d'avocat. Cela fait ressortir le caractère par trop général, nébuleux et très conjectural des allégations.
Pour en arriver à cette conclusion, j'ai tenu
compte de l'arrêt McBeth v. Dalhousie University 8 de la Section d'appel de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, dans lequel on a jugé que le fait de refuser les honoraires d'avocat à un plaideur qui agit pour son propre compte allait à l'encontre du paragraphe 15 (1) de la Charte. Cette manière de voir a toutefois été écartée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Davidson 9 , dans lequel la Cour a suivi d'autres décisions de notre Cour qui portaient sur l'interprétation de l'article 15 et qui confirmaient la validité de nos Règles et de nos tarifs. Bien que l'interprétation que la Cour d'ap- pel a donnée de l'article 15 ait pu être influencée dans une certaine mesure par l'arrêt plus récent Andrews 10 de la Cour suprême, il ressort à l'évi- dence de ce dernier arrêt et de la décision Renvoi relatif à la Worker's Compensation Act, 1983" qu'on exige, pour qu'elles soient interdites par le paragraphe 15(1), que les distinctions défavorables soient fondées sur un des motifs énumérés au paragraphe 15(1) ou sur un motif analogue.
La requête en radiation de la déclaration est en conséquence accueillie avec dépens.
La requête en mise hors de cause des officiers taxateurs à titre de défendeurs devrait également être accueillie et ce, même si l'action devait se poursuivre. Leur participation au procès comme parties n'est pas nécessaire, étant donné que les points litigieux essentiels pourraient être examinés au cours de la procédure déclaratoire. Si le deman- deur avait pu poursuivre l'instance avec succès jusqu'au jugement, la Cour aurait pu elle-même corriger la taxation soit d'un commun accord dans le cadre de la présente instance, soit à l'occasion d'une révision de la taxation par un juge. Le demandeur a déjà présenté une demande de révi- sion de la taxation. Étant donné que l'action est mal fondée, ces défendeurs ont également droit aux dépens.
8 (1986), 72 N.S.R. (2d) 224.
9 Supra, note 2.
10 Supra, note 4. " Supra, note 5.
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