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A-207-90
C. D. (requérant)
c.
Ministre du Revenu national (intimé)
RÉPERTORIÉ: C.D. c. M.R.N. (C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Ottawa, 15 mars 1991.
Impôt sur le revenu Pratique L'art. 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt permet la tenue d'audiences à huis clos lorsque les circonstances le justifient Le requérant craignait d'être assujetti à des procédures disciplinaires devant un organisme professionnel si sa conduite était dévoilée au cours de procédures en matière fiscale Il ne poursuivra probablement pas l'appel interjeté d'une nouvelle cotisation si celui-ci ne se tient pas à huis clos —1l ne s'agit pas d'un motif adéquat pour ordonner la tenue d'une audience à huis clos Le principe de l'arrêt Scott v. Scott (H.L.) selon lequel on pourrait permettre l'exclusion du public lorsque les parties seraient dissuadées de demander justice se limite aux cas le secret est l'essence même de la cause, par exemple lorsqu'il s'agit de procédés secrets L'arrêt Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre incorpore le principe de l'arrêt Scott au droit canadien uniquement à l'égard des procédés secrets Les procédures en matière fiscale ne seraient pas vaines si elles avaient lieu devant une cour publi- que Le caractère confidentiel pour les fins de la Loi de l'impôt sur le revenu, reconnu à l'art. 241, ne constitue pas une circonstance qui justifie la tenue d'audiences à huis clos sous le régime de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.
Droit constitutionnel Charte des droits Libertés fon-
damentales La reconnaissance de la liberté de presse à l'art. 2b) de la Charte a redonné sa dimension originale au principe de la publicité, si tant est que ce principe fût dilué par des exceptions d'origine législative Une disposition législa- tive permettant la tenue de procédures à huis clos ne sera valide conformément à la Constitution que dans les cas les plus clairs, soit s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance La nécessité de ne pas dissuader les contribuables de procéder à des auto-cotisations honnêtes de leur impôt sur le revenu en les rendant passibles de consé-
quences fâcheuses n'est pas une valeur qui a préséance La crainte de procédures disciplinaires pour inobservation des règles d'un organisme professionnel n'est pas un motif adéquat pour qu'on ordonne la tenue d'audiences à huis clos sous le régime de l'art. 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.
Pratique— Preuve Demande visant à obtenir que la Cour tienne ses audiences à huis clos Si le requérant témoigne, il peut invoquer l'art. 5 de la Loi sur la preuve au Canada et l'art. 13 de la Charte La personne qui est passible de procédures disciplinaires ne devrait pas jouir d'une protection plus grande que celle qui est accordée par la Charte aux
témoins qui craignent des procédures pénales La crainte de procédures disciplinaires pour inobservation des règles d'un organisme professionnel n'est pas un motif adéquat pour qu'on ordonne la tenue d'audiences à huis clos sous le régime de l'art. 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 2b), 13.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 16, 241 (mod. par S.C. 1977-78, chap. I, art. 101, item 46; 1980-81-82-83, chap. 48, art. 107;
chap. 68, art. 117; chap. 140, art. 126; 1984, chap. 19, art. 30; 1986, chap. 55, art. 77; 1987, chap. 46, art. 68; 1988, chap. 51, art. 14; chap. 55, art. 183; 1990, chap. 1, art. 30; chap. 35, art. 26).
Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C., (1985), chap. T-2, art. 16, (mod. par L.R.C. (1985) (let suppl.), chap. 48, art. 1).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), chap. C-5, art. 3, 5.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S 1326; (1989), 103 A.R. 321; 64 D.L.R. (4th) 577; [1990] 1 W.W.R. 577; 71 Alta. L.R. (2d) 273; 45 C.R.R. 1; 102 N.R. 321.
DISTINCTION FAITE AVEC:
Scott v. Scott, [1913] A.C. 417 (H.L.); Procureur géné- ral de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre, [1982] 1 R.C.S 175; (1985), 49 N.S.R. (2d) 609; 132 D.L.R. (3d) 385; 96 A.P.R. 609; 65 C.C.C. (2d) 129; 26 C.R. (3d) 193; 40 N.R. 181; «A (Dr.)„ and Council of College of Physicians and Surgeons, Re (1965), 53 D.L.R. (2d) 667; 53 W.W.R. 313 (C.S.C.-B.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Attorney -General v. Butterworth, [1962] 3 All E.R. 326 (C.A.); B. (otherwise P.) v. Attorney -General, [1965] 3 All E.R. 253 (P.D.A.); R. c. A., [1990] 1 R.C.S. 992; (1990), 55 C.C.C. (3d) 570; 77 C.R. (3d) 232; 108 N.R. 214.
DÉCISIONS CITÉES:
McCleery c. La Reine, [1974] 2 C.F. 352; (1974), 50 D.L.R. (3d) 387; 5 N.R. 229 (C.A.); R v Chief Registrar of Friendly Societies ex p New Cross Building Society, [ 1984] 2 All ER 27 (C.A.).
AVOCATS:
Joel A. Nitikman pour le requérant.
Wilfrid Lefebvre, c.r., et Sandra Phillips pour
l'intimé.
PROCUREURS:
Fraser & Beatty, Vancouver, pour le requé- rant.
Ogilvy Renault, Montréal, pour l'intimé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Le requérant a inter- jeté appel devant la Cour canadienne de l'impôt d'une nouvelle cotisation de son assujettissement à l'impôt établie par l'intimé. Avant que l'appel ne soit entendu, l'avocat du requérant a présenté une demande sous le régime de l'article 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt' afin d'obtenir de la Cour qu'elle tienne ses audiences à huis clos.
La demande d'une audience à huis clos était fondée sur le fait que le requérant, en sa qualité de membre d'un organisme professionnel, craignait que sa conduite, qui serait dévoilée au cours des procédures de la Cour canadienne de l'impôt, puisse le rendre passible de mesures disciplinaires. Au cours d'une conversation «sans préjudice» avec un représentant de cet organisme professionnel auquel il s'était adressé pour vérifier si ses appré- hensions étaient fondées, il a appris que, si la décision en matière fiscale était rendue publique, il risquait de faire l'objet d'une plainte de la part d'un collègue, d'être convoqué devant un comité de discipline et d'être assujetti à des procédures disci- plinaires'. Le requérant a déclaré qu'avant cette conversation, il avait l'intention de poursuivre l'ap- pel interjeté de la nouvelle cotisation, mais qu'à la suite de la conversation, il [TRADUCTION] «ne poursuivra probablement pas» l'appel si celui-ci ne se tient pas à huis clos.
' L'article 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, L.R.C. (1985), chap. T-2, modifiée par L.R.C. (1985) (1" suppl.), chap. 48, art. 1, portait alors:
16. La Cour peut tenir ses audiences à huis clos à la demande de l'appelant si celui-ci lui démontre que les circonstances le justifient.
2 Même si l'avocat du requérant a soutenu avec insistance au cours de l'audience que le requérant s'exposait à un «suicide professionel» si l'affaire fiscale était rendue publique, aucun élément de la preuve n'indique la nature de la mesure discipli- naire éventuelle.
Le juge en chef adjoint de la Cour canadienne de l'impôt a rejeté la demande d'audience à huis clos; le requérant a par la suite déposé la présente demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7], à l'égard de laquelle la Cour a ordonné le huis clos.
L'avocat du requérant s'est fondé principale- ment sur la déclaration suivante du comte Lore- burn dans l'arrêt Scott v. Scott':
[TRADUCTION] ... Il serait impossible d'énumérer ou de pré- voir toutes les situations possibles, mais dans toutes les affaires le public a été exclu de bon droit, le principe sous-jacent est, selon moi, que l'administration de la justice ne pourrait avoir lieu en sa présence, soit parce que l'affaire ne pourrait être jugée efficacement, ou que les parties qui ont le droit de demander justice seraient raisonnablement dissuadées de le demander devant la Cour. [Souligné par mes soins.]
Selon l'avocat, ce principe aurait été adopté par une majorité de lords juges dans cette affaire puis introduit dans la jurisprudence canadienne par les motifs du juge Dickson, plus tard juge en chef, dans Procureur général de la Nouvelle-Écosse et autre c. Maclntyre 4 .
L'avocat a fait valoir, essentiellement, que le requérant craignait d'encourir des conséquences fâcheuses par suite de sa déposition devant une cour publique, qu'il était dissuadé de demander la justice devant la Cour canadienne de l'impôt si les procédures avaient lieu en public, et que le critère établi par le comte Loreburn s'appliquait à son cas.
Avec égards, je ne puis admettre l'interprétation donnée à ce critère par l'avocat, ni sa proposition selon laquelle la déclaration du comte Loreburn a été approuvée par ses collègues puis est devenue partie intégrante de notre jurisprudence grâce à l'arrêt Maclntyre.
Le critère a été formulé par le comte Loreburn dans un contexte très précis, c'est-à-dire [TRADUC- TION] «lorsque l'objet même de l'action serait annihilé par une audience tenue devant une Cour publique, comme dans le cas de certains procédés secrets de fabrication», et lorsque [TRADUCTION] «il y aurait effectivement un déni de justice» la page 445) dans un cas particulier. Lorsque le caractère secret ou confidentiel des renseignements est précisément ce qui est en litige dans une procé-
3 [1913] A.C. 417 (H.L.), à la p. 446.
4 [1982] 1 R.C.S. 175.
dure, la partie qui cherche à protéger ces rensei- gnements serait très certainement dissuadée de demander justice devant la Cour si «le secret devait être communiqué au monde entier» la page 445). En l'espèce, le requérant hésite à demander justice non parce que les procédures mêmes de la Cour canadienne de l'impôt pour lesquelles il demande le huis clos seraient vaines si elles avaient lieu devant une cour publique, mais plutôt parce que d'autres procédures hypothétiques pourraient par la suite avoir lieu devant un autre tribunal. Ce n'est pas là, selon moi, ce que le comte Loreburn avait en vue'.
Même si c'est ce qu'envisageait le comte Lore- burn, une lecture attentive des opinions des cinq lords juges qui ont entendu l'affaire Scott montre que la portée du consensus était beaucoup plus étroite' et qu'elle peut se réduire à deux proposi tions. La première est que le principe général selon lequel les cours doivent administrer publiquement la justice est [TRADUCTION] «l'une des plus impor- tantes garanties de nos libertés» et «constitue le fondement même de la sécurité publique et pri- vée»'. La deuxième est que ce principe général [TRADUCTION] «souffre d'apparentes exceptions» qui elles-mêmes [TRADUCTION] «résultent d'un . principe plus fondamental selon lequel l'objectif premier des cours de justice doit être de faire en sorte que justice soit rendue»». Ces [TRADUCTION] «exceptions définies strictement» 9 ... «qui sont
L'avocat a prétendu, en invoquant la décision de lord Denning, M.R., dans l'affaire Attorney -General v. Butter- worth, [1962] 3 All E.R. 326 (C.A.), que les cours peuvent procéder à huis clos lorsque des audiences publiques dissuade- raient des témoins de comparaître pour apporter leur contribu tion à des procédures judiciaires. Il s'agit d'une interpréta- tion absolument erronée de cette décision, qui a déclaré tout simplement [TRADUCTION] «que le fait d'exercer des représail- les contre un témoin constitue un outrage au tribunal, peu importe que celles-ci aient lieu pendant ou après l'instance» la p. 329). Cette décision a pour effet d'affaiblir plutôt que d'étayer le critère de «dissuasion» tel qu'il est interprété par le requérant.
6 Dans B. (otherwise P.) v. Attorney -General, [1965] 3 All E.R. 253 (P.D.A.), le juge Wrangham, en commentant le critère de «dissuasion» établi par le comte 'Loreburn, a déclaré ce qui suit: [TRADUCTION] «Tel n'était cependant pas, selon moi, l'avis exprimé clairement par les autres lords juges dans cette affaire» la p. 255).
Lord Shaw de Dunfermline, à la p. 476.
» Vicomte Haldane, L.C., à la p. 437.
9 Ibid., à la p. 434.
reconnues, à l'application de la règle exigeant la publicité des cours de justice s'appliquent premiè- rement dans des affaires de pupilles sous tutelle judiciaire; deuxièmement, dans des cas d'aliénés; et troisièmement, dans les affaires le secret, comme, par exemple, le secret entourant un pro- cédé de fabrication, une découverte ou une inven tion des secrets industriels est l'essence même de la cause . .. Le troisième cas, soit celui des procédés, inventions ou documents secrets, ou autres éléments semblables, dépend du fait sui- vant: les droits du justiciable sont liés au respect du secret. Divulguer ces renseignements à la faveur de la publication d'une instance devant une cour de droit entraînerait la disparition de la pro tection même que le justiciable cherche à obtenir devant la Cour» '°.
Il est vrai, comme le souligne le comte Lore- burn, qu' [TRADUCTION] «il serait impossible d'énumérer ou de prévoir toutes les situations pos sibles», mais toute extension des exceptions recon- nues au-delà de la portée étroite qui leur a été donnée par le vicomte Haldane, par lord Halsbury et par lord Shaw de Dunfermline ne devrait être accordée qu'avec une extrême prudence et dans les circonstances les plus extraordinaires.
De toute façon, il est un peu futile de spéculer sur la façon d'interpréter l'opinion des lords juges dans l'arrêt Scott puisque, à mon avis, ces princi- pes ont été incorporés au droit canadien unique- ment dans la mesure ils ont été adoptés par le juge Dickson, plus tard juge en chef, dans l'arrêt MacIntyre", en ces termes:
Il est aujourd'hui bien établi cependant que le secret est l'exception et que la publicité est la règle. Cela encourage la confiance du public dans la probité du système judiciaire et la compréhension de l'administration de la justice. En règle géné- rale, la susceptibilité des personnes en cause ne justifie pas qu'on exclut le public des procédures judiciaires.
Selon les autorités, sauf à quelques exceptions bien établies, comme le cas des enfants, des malades mentaux ou des procé- dés secrets, les procédures judiciaires doivent toutes se dérouler en public.
À mon avis, restreindre l'accès du public ne peut se justifier que s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance.
Lord Shaw de Dunfermline, aux p. 482 et 483.
Supra, note 4, aux p. 185 à 186. Voir aussi McCleery c. La
Reine, [1974] 2 C.F. 352 (C.A.), à la p. 357.
Une illustration récente de circonstances extraordinaires qui ont justifié un élargissement des «catégories» mentionnées dans l'arrêt Scott est donnée dans l'affaire R. c. A. 12 , la Cour suprême du Canada a ordonné que le pourvoi devant elle soit entendu à huis clos parce que la divulgation des procédures mettait en danger la sécurité d'une personne et des membres de sa famille, lorsque cette personne, alors sous la pro tection de la gendarmerie royale, était assignée à témoigner au cours d'une instance pénale.
En lisant les arrêts Scott et Maclntyre, il faut se rappeler a) que dans les deux cas les cours n'étaient pas habilitées par la loi à ordonner la tenue d'audiences à huis clos et b), plus important encore, que les principes énoncés dans la Charte [Charte canadienne des droits et libertés, qui cons- titue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] ] n'entraient pas en jeu.
On pourrait prétendre que les exceptions recon- nues par la common law ont perdu une partie de leur rigueur par suite de l'entrée en vigueur de nombreuses exceptions d'origine législative par les- quelles le Parlement indique expressément aux cours que, dans une situation donnée, il est possible de faire exception au principe de la publicité. On pourrait prétendre, au contraire, que les disposi tions législatives sont généralement adoptées pour confirmer des cas qui, de toute façon, seraient visés par les exceptions reconnues par la common law.
Il n'y a toutefois pas lieu de choisir entre ces deux points de vue puisque, avec l'adoption de la Charte et, plus précisément, avec la reconnais sance de la liberté de presse à l'alinéa 2b) de celle-ci, la publicité des cours est devenue un prin- cipe mieux reconnu et mieux protégé qu'il ne l'était en vertu de la common law. Comme l'a déclaré le juge Cory dans Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général) u:
Il semblerait alors que les libertés consacrées par l'al. 2b) de la Charte ne devraient être restreintes que dans les cas les plus clairs.
Par conséquent, une disposition législative permet- tant la tenue de procédures à huis clos ne sera
12 [1990] 1 R.C.S. 992.
13 [1989] 2 R.C.S. 1326, à la p. 1336.
valide conformément à la constitution «que dans les cas les plus clairs», soit, pour reprendre les mots du juge Dickson dans l'arrêt. Maclntyre, «s'il est nécessaire de protéger des valeurs sociales qui ont préséance». En ce sens, je dirais que la Charte a redonné sa dimension originale au principe de la publicité, si tant, est que ce principe fût dilué par des exceptions d'origine législative.
En l'espèce, la crainte qu'a le requérant de subir des conséquences fâcheuses pour sa carrière si les procédures de la Cour canadienne de l'impôt devaient se tenir en public ne peut, même avec beaucoup d'imagination, constituer un de ces «cas les plus clairs» qui justifierait une exception au principe général de publicité de notre système judiciaire. Le droit d'intérêt public que le requé- rant tente de faire valoir contre le droit d'intérêt public relatif à la publicité est celui de la nécessité de ne pas dissuader les contribuables de procéder à des auto-cotisations honnêtes de leur impôt sur le revenu en les rendant passibles de conséquences fâcheuses. Si ce droit d'intérêt public qui appelle des audiences à huis clos avait été une valeur qui a «préséance», le Parlement en aurait fait une règle plutôt qu'une exception, comme le prévoit l'article 16 de la Loi. Il est vrai que l'article 241 de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, chap. 63 (mod. par S.C. 1977-78, chap. 1,
art. 101, item 46; 1980-81-82-83, chap. 48, art. 107; chap. 68, art. 117; chap. 140, art. 126; 1984, chap. 19, art. 30; 1986, chap. 55, art. 77; 1987, chap. 46, art. 68; 1988, chap. 51, art. 14;
chap. 55, art. 183; 1990, chap. 1, art. 30, chap. 35, art. 26)] reconnaît que le caractère con- fidentiel des renseignements est nécessaire à l'ap- plication adéquate et efficace de la Loi de l'impôt sur le revenu, mais je ne suis pas prêt à considérer le caractère confidentiel pour les fins de la Loi de l'impôt sur le revenu comme l'une des circons- tances qui, selon l'article 16 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, «justifie» la tenue d'audien- ces à huis clos.
Permettre à quelqu'un de demander justice à huis clos dans le seul but de dissimuler à un organisme professionnel une conduite qui pourrait donner lieu à des procédures disciplinaires serait faire précisément ce contre quoi lord Shaw de Dunfermline a mis les cours en garde dans l'arrêt Scott, aux pages 484 et 485:
[TRADUCTION] Il reste le point suivant. En admettant que le principe de la publicité de la justice peut s'accommoder d'un secret obligatoire dans les affaires portant sur des intérêts et des biens patrimoniaux, notamment lorsqu'il s'agit de secrets industriels ou de documents confidentiels, la peur de témoigner en public sur des questions de statut, comme en l'espèce, ne peut-elle pas dissuader des témoins délicats de rendre témoi- gnage, et inciter plutôt des demandeurs susceptibles à renoncer à l'exercice de leurs droits? Ne serait-ce pas une bonne raison pour appliquer la justice à huis clos en pareil cas? Autrement, selon l'argument, la justice serait contrariée dans certains cas. Vos Seigneuries, ce motif est très dangereux. L'expérience montre que la réticence à dévoiler leurs intérêts privés en public incite bon nombre de citoyens à renoncer à leurs justes revendications. Il ne fait aucun doute que bon nombre d'affaires semblables auraient pu être portées devant les tribunaux si ceux-ci tenaient des séances secrètes. Mais, à mon avis, céder à ces sentiments risquerait d'entraîner les dangers mêmes à la liberté en général, et à la société dans son ensemble, contre lesquels la publicité tend à nous protéger ... 14
De plus, interpréter l'article 16 comme le sug- gère le requérant pourrait fort bien conduire à des exceptions injustifiées aux règles établies aux arti cles 3 et 5 de la Loi sur la preuve au Canada 15 et à l'article 13 de la Charte. Il se peut, et je ne voudrais pas donner l'impression d'exprimer mon opinion sur cette question, que le requérant, après avoir témoigné devant la Cour canadienne de l'im- pôt, invoque par la suite devant le tribunal discipli- naire la protection contre les témoignages incrimi- nants prévue à l'article 5 de la Loi sur la preuve au Canada et à l'article 13 de la Charte; mais même si tel était le cas, ni la Charte, ni la Loi sur la preuve au Canada ne lui accorderait quelque protection contre la publicité de l'audience tenue devant la Cour canadienne de l'impôt. En ce qui a trait au témoignage qui pourrait entraîner des
14 L'avocat s'est fondé sur la décision «A (Dr.)„ and Council of College of Physicians and Surgeons, Re (1965), 53 D.L.R. (2d) 667 (C.S.C.-B.), dans laquelle la Cour suprême de la Colombie-Britannique a accepté d'entendre à huis clos un appel interjeté d'une décision du Collège des médecins et des chirur- giens privant l'appelant de son droit de pratiquer sa profession. L'audience devant le conseil s'était tenue à huis clos. Cette décision n'est pas pertinente, puisqu'elle n'est tout au plus qu'une indication du fait que les cours d'appel ou de révision peuvent décider de tenir des audiences à huis clos lorsque les procédures visées par l'appel ou par la révision ont elles-mêmes eu lieu à huis clos. C'est effectivement la pratique suivie par notre Cour en l'espèce. Au sujet de cette pratique, voir R y Chief Registrar of Friendly Societies ex p New Cross Building Society, [1984] 2 All ER 27 (C.A.), à la p. 31, Sir John Donaldson M.R.
15 L.R.C. (1985), chap. C-5.
procédures pénales, la protection s'appliquerait à l'égard de son emploi et non à l'égard de sa publicité, tandis que, dans des procédures discipli- naires éventuelles, la protection s'appliquerait à l'égard de l'emploi du témoignage comme à l'égard de sa publicité: il s'agit d'une position intenable. Permettre une audience à huis clos devant la Cour canadienne de l'impôt par crainte de mesures dis- ciplinaires éventuelles équivaudrait à accorder au requérant une protection que la Charte n'accorde même pas aux témoins qui craignent des procédu- res pénales.
Pour reprendre les termes du juge en chef adjoint de la Cour canadienne de l'impôt, «je ne connais aucune affaire, et (l'avocat du requérant) n'a pu en trouver aucune, qui, dans les faits, suggère que l'appréhension d'un appelant d'être assujetti à des procédures disciplinaires pour inob- servation des règles de l'organisme professionnel auquel il appartient est un motif adéquat pour qu'on ordonne la tenue d'audiences à huis clos devant un tribunal judiciaire».
Puisqu'il n'y a aucune erreur de droit et que le juge en chef adjoint a exercé judiciairement sa discrétion à l'égard des faits de l'espèce, je rejette- rais la requête, sous réserve que l'ordonnance à huis clos accordée à l'égard de la procédure devant notre Cour soit maintenue et que les présents motifs soient rendus publics avec l'utilisation des lettres «C.D.» pour identifier le requérant.
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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