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A-560-89
Procureur général du Canada (requérant)
c.
G. Blashford et D. Taillefer (intimés)
et
M.-Nicole Ladouceur (Mise en cause)
RÉPERTORIÉ: CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) c. BLASHFORD
(CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, MacGuigan et Décary, J.C.A.—Ottawa, 11 décembre 1990 et 15 janvier 1991.
Fonction publique Processus de sélection Concours Les intimés avaient été éliminés des concours pour manque d'expérience considérable de surveillance au deuxième niveau Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publi- que a fait droit aux appels interjetés par les intimés en application de l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique Lien rationnel entre les normes de sélection et le principe du mérite Distinction entre qualités requises et normes de sélection La Commission de la Fonction publique et le jury de sélection n'étaient pas habilités à toucher aux exigences fondamentales définies par le ministère concerné.
Demande fondée sur l'article 28 en annulation de la décision du Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique qui a fait droit à l'appel interjeté par les intimés en application de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique. Les deux intimés s'étaient inscrits à un premier concours pour un poste de chef de centre d'immigration du Canada, et l'intimé Blashford s'était également inscrit à un second concours pour un poste de chef adjoint. Les deux postes, du niveau PM-5, requéraient entre autres qualités fondamentales, une expérience considérable de surveillance au deuxième niveau. Les deux ont été éliminés au stade de la présélection, le jury de sélection ayant conclu qu'ils ne satisfaisaient pas à la condition d'expé- rience de surveillance. Selon le critère défini par le jury de sélection, les candidats devaient justifier de deux années d'expé- rience de surveillance au deuxième niveau au cours des cinq années précédentes, dont une année d'expérience continue. Les deux intimés, ayant contesté le processus de sélection, ont eu gain de cause devant le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, qui a conclu que le jury de sélection avait commis une erreur en fixant les critères relatifs à l'expérience de surveillance et en violant la règle fondamentale du lien rationnel entre les normes de sélection et le principe du mérite. Le procureur général soutient que le Comité d'appel a commis une erreur de droit (1) en concluant qu'il n'y avait aucun lien rationnel entre la définition, par le jury de sélection, d'expé- rience considérable de surveillance au deuxième niveau et le principe du mérite, et (2) en reprochant aux membres du jury de sélection une conduite telle qu'elle pourrait jeter le doute sur leur impartialité pour ce qui était de définir les normes de sélection.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Le juge Marceau, J.C.A.: Il n'y avait pas incompatibilité entre la définition donnée par le jury de sélection de l'exigence d'expérience et le principe du mérite. Il n'y a cependant aucun rapport entre le principe du mérite, qui préside au processus de sélection à observer par la Commission de la Fonction publique dans l'exercice de ses attributions qui consistent à juger et à classer les candidats, et la définition des exigences de base pour pouvoir participer au concours, laquelle relève de la prérogative exclusive du ministère intéressé. La décision de la Cour fédérale Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, sur laquelle s'est fondé le Comité d'appel, ne s'appli- que pas en l'espèce puisqu'elle portait non pas sur les qualités requises, mais sur les normes de sélection. La Commission de la Fonction publique ou son «délégué», le jury de sélection, n'est pas habilitée à toucher aux exigences fondamentales définies par le ministère concerné en y ajoutant ou en les modifiant en partie. Il faut aussi distinguer de l'espèce les décisions Bam- brough c. La Commission de la Fonction publique et Re Boychuck et Le Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique et autres puisque dans ces deux causes, les exigences supplémentaires avaient été établies avec la participa tion active du ministère concerné alors qu'en l'espèce, la déci- sion de circonscrire l'exigence fondamentale par l'introduction de rigides critères temporels a été prise par le jury de sélection et par lui seul.
Le juge Décary, J.C.A. (motifs concourants): La définition des qualités requises pour un poste de la Fonction publique relève du ministère concerné, et non pas de la Commission de la Fonction publique. Un comité d'appel constitué sous le régime de la Loi est seulement habilité à examiner si le principe du mérite établi par l'article 10 a été respecté dans le choix et la nomination d'un candidat; un jury de sélection ou de présélec- tion ne peut, pas plus que la Commission elle-même ou que son comité d'appel, remettre en question les conditions définies par le ministère concerné pour un poste donné. L'arrêt Bambrough c. La Commission de la Fonction publique, selon lequel la Commission est habilitée à participer à la définition des quali- tés requises au cours du processus de sélection, pose pour règle que la Commission peut tout au plus participer à un développe- ment raisonnable des exigences qui se déduisent des conditions initiales.
Il est manifeste qu'en l'espèce, le jury de sélection, en circonscrivant la condition définie par le Ministère, a outre- passé sa compétence ou celle de la Commission. En introduisant un critère temporel rigide, il a usurpé ou outrepassé le pouvoir du Ministère de définir les qualités requises pour un poste. L'arrêt Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, qui pose pour règle que les normes de sélection établies par la Commission doivent justifier d'un lien rationnel avec le principe du mérite, n'a aucun rapport avec l'espèce, qui ne porte pas sur les normes de sélection, mais sur les qualités requises. La formulation de la condition en cause— expérience considérable de surveillance au deuxième niveau— était particulièrement vague, et la Commission aurait demander au Ministère de produire une formulation plus spéci- fique avant d'annoncer le concours, ou de prescrire lui-même des normes de sélection.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (motifs concordants quant au résultat): Les lignes directrices dont il s'agit sont semblables aux normes de sélection visées par l'arrêt Delanoy en ce qu'elles ont été établies par la Commission de la Fonction publique par
la voix du jury de sélection, et non par la direction du ministère concerné. Par application de l'article 10 de la Loi, toute action de la Commission et de ses délégués en matière de nominations est régie par le principe du mérite. Le Comité d'appel a conclu que le jury de sélection avait commis une erreur non pas parce que celui-ci ajoutait des conditions supplémentaires, mais parce que ce qu'il ajoutait était entaché d'arbitraire. Par cette conclu sion, le Comité d'appel a correctement appliqué le droit aux faits de la cause tels qu'il les a constatés. La dernière observa tion du Comité d'appel qui mettait en doute l'impartialité du jury de sélection, ne constituait pas un motif de décision distinct, mais une indication supplémentaire de l'arbitraire qu'il avait relevé.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-33, art. 10, 12, 21.
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562; (1976), 13 N.R. 341 (C.A.); Bambrough c. La Commission de la Fonction publique, [1976] 2 C.F. 109; (1975), 12 N.R. 553 (C.A.); Re Boychuck et Le Comité d'appel établi par la Com mission de la Fonction publique et autres (1982), 135 D.L.R. (3d) 385; 42 N.R. 204 (C.A.F.).
DÉCISION EXAMINÉE:
Bauer c. Le Comité d'appel de la Fonction publique, [1973] C.F. 626; (1973), 40 D.L.R. (3d) 126; 6 N.R. 183 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Ricketts c. Ministère des Transports (1983), 52 N.R. 381 (C.A.F.); Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.); Le procureur général du Canada c. Le comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique, [1982] 1 C.F. 803 (C.A.); Rex v. Sussex Justices. Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256; Ahluwalia, 1987 DCA [8-2] 256; Brown c. La Commis sion de la Fonction publique, [1975] C.F. 345; (1975), 60 D.L.R. (3d) 311; 9 N.R. 493 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Jollimore, A-19-90, C.A.F., le juge Décary, J.C.A., jugement en date du 23/11/90, non encore publié.
AVOCATS:
Ben Bierbrier pour le requérant. Andrew J. Raven pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Soloway, Wright, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je conviens avec le juge MacGuigan que la décision attaquée, qui faisait droit aux appels interjetés par les intimés en application de l'article 21 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), chap. P-33] (la Loi), doit être confirmée. À la différence cependant de mon collègue, je ne partage pas le raisonnement tenu par le Comité d'appel dans sa décision, ce qui m'amène à exprimer mes propres vues en la matière.
La présidente du Comité d'appel, Mme Ladou- ceur, a expliqué dans sa décision pourquoi elle a conclu que le jury de sélection avait commis une erreur en prescrivant que pour satisfaire à la prin- cipale qualité requise à l'avis de concours, savoir [TRADUCTION] «une expérience considérable des fonctions de surveillance au deuxième niveau», le candidat devait justifier de deux années de cette expérience, dont une année d'expérience «conti- nue», au cours des cinq années précédentes. À son avis, ce jury de sélection a enfreint la règle fonda- mentale, établie par cette Cour dans son arrêt Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562, savoir qu'il doit y avoir un lien rationnel entre les normes de sélection et le «principe du mérite» prévu à l'article 10 de la Loi. Sauf le respect que je lui dois, je doute que la décision attaquée du jury de sélection puisse être critiquée par ce motif.
En premier lieu, j'ai des réserves sérieuses au sujet de la conclusion d'incompatibilité entre la définition donnée par le jury de sélection de l'exi- gence d'expérience prévue à l'avis de concours et le «principe du mérite». Les membres du jury de sélection ont donné une explication détaillée et logique des raisons pour lesquelles à leur avis, la période d'exercice des fonctions de gestion choisie pour leur définition était nécessaire pour préparer convenablement aux postes de direction en ques tion. Affirmer que les critères qu'ils ont ainsi adoptés étaient arbitraires et déraisonnables revient à rejeter cette explication, et pareille atti tude me paraît tout à fait injustifiée. Cette défini- tion était bien entendu incomplète, puisqu'elle ne prenait en considération que l'élément durée, mais
il n'était pas prévu qu'elle devait être complète et, à ce stade préliminaire, il n'était pas nécessaire qu'elle le fût. L'élément qualité pouvait entrer en ligne de compte à un stade ultérieur. En tant que point de départ, je ne vois pas comment cette définition pourrait aller à l'encontre du principe du mérite.
Mais la véritable objection que m'inspire le rai- sonnement du Comité d'appel est plus fondamen- tale. Selon mon interprétation de l'esprit de la Loi, le «principe du mérite» doit présider au processus de sélection que la Commission de la fonction publique doit observer dans l'exercice de ses attri butions qui consistent à juger et à classer les candidats; ce «principe» n'a rien à voir avec la définition des exigences de base pour pouvoir par- ticiper au concours, laquelle relève de la préroga- tive exclusive du ministère intéressé. La décision Delanoy, sur laquelle s'est fondé le Comité d'ap- pel, portait non pas sur les qualités requises mais sur les normes de sélection, ce que le juge Ryan a pris soin de souligner dans les motifs de jugement qu'il prononçait au nom de la Cour'.
La raison pour laquelle je partage la conclusion du Comité d'appel n'a aucun rapport avec la ques tion du principe du mérite. Je ne pense tout sim- plement pas, toujours selon mon interprétation de l'esprit de la Loi, que la Commission de la fonction publique ou son «délégué», le jury de sélection, soit habilité à toucher aux exigences fondamentales définies par le ministère concerné en y ajoutant ou en les modifiant en partie, de manière à limiter les facteurs qui pourraient entrer en jeu dans l'appré- ciation et le classement des candidats.
' Le passage applicable des conclusions du juge Ryan est le suivant la p. 569):
Il est inutile en l'espèce de se demander si la Commission de la Fonction publique peut déterminer les qualifications exigées pour les emplois de la Fonction publique et, dans l'affirmative, dans quelle mesure elle peut le faire. La Com mission a prétendu agir en se fondant sur son pouvoir de prescrire des normes de sélection conformément à l'article 12 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, mais, pour la raison énoncée au paragraphe précédent, l'exigence en question ne constituait pas une norme de sélection. En fait, on peut déduire des motifs de l'arrêt Bambrough c. Un Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique que l'article 12 ne confère aucun pouvoir pour établir les qualifications nécessaires pour remplir un poste par opposition aux normes à prescrire pour choisir un candi- dat qui satisfait le mieux aux qualifications établies par ailleurs.
Il est vrai que par l'arrêt Bambrough c. La Commission de la Fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), et encore tout récemment, par l'arrêt Re Boychuck et Le Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique et autres (1982), 135 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.), la Cour a refusé d'intervenir dans des causes l'élaboration ou la modification des exigences fon- damentales (qui deviendraient alors de nouvelles exigences) eut lieu au cours du processus de sélec- tion. Cependant il a été jugé dans ces deux causes: en premier lieu, que les exigences supplémentaires avaient été établies avec la participation active du ministère concerné (dans l'un et l'autre cas par un soi-disant «jury de présélection» manifestement constitué pour préparer le jury de sélection à ses délibérations); en deuxième lieu, comme l'a conclu le juge Le Dain dans Bambrough (page 117 du recueil), que «l'énoncé de ces qualités [avait donné] une assise solide à un processus de sélection selon le mérite»; et, en troisième lieu, que l'adjonc- tion des nouvelles exigences n'avait pas eu, dans les faits, pour effet de causer un préjudice indu aux plaignants. La situation est tout autre en l'espèce: la décision de circonscrire l'exigence fondamenta- le—exprimée par le ministère en termes suscepti- bles d'appréciation pratique et relative—par l'in- troduction de rigides critères temporels, a été prise par le jury de sélection et par lui seul; cette restriction ne pouvait certainement pas assurer une base plus logique pour la sélection selon le mérite, car elle avait pour seul effet de rendre le processus de sélection plus mécanique et plus restrictif; et enfin, il y avait des candidats qui, comme les intimés en l'espèce, ont certainement pâti de l'«obs- tacle» nouvellement créé, puisqu'ils étaient auto- matiquement éliminés du concours du fait que leur expérience ne pouvait être considérée comme suffi- samment «considérable» pour leur permettre d'y participer, alors qu'elle aurait pu être plus utile et plus méritoire que celle de candidats admis à concourir.
Par ces motifs, je conviens avec le juge MacGui- gan qu'il n'y a pas lieu de toucher à la décision attaquée du Comité d'appel et qu'en conséquence, la demande doit être rejetée.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A.: Les intimés qui contestaient le processus de sélection visant à doter deux postes de gestion de la Commission de l'em- ploi et de l'immigration du Canada («CEIC»), ont eu gain de cause dans leur appel formé en applica tion de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publi- que («la Loi»).
En avril 1989, la CEIC avait annoncé par avis la tenue simultanée de deux concours visant à doter deux postes du niveau PM-5. Le premier concours, 89-EIC-CC-QU-IMM-26, portait sur un poste de chef de centre d'immigration du Canada, et le second, 89-EIC-CC-QU-IMM-24, sur un poste de chef-adjoint. La date de clôture pour l'un et l'autre était le 4 mai 1989.
Pour l'un et l'autre concours, l'avis indiquait les mêmes conditions fondamentales comme suit (Dossier d'appel, à la page 27):
[TRADUCTION] Qualités requises
Avoir terminé avec succès les études secondaires conformément
aux normes provinciales.
Expérience dans l'application de la Loi sur l'immigration et de
ses règlements d'application.
Expérience considérable de surveillance au deuxième niveau.
Les deux intimés ont posé leur candidature pour le premier poste, et Blashford pour le second poste également. Les deux ont été éliminés au stade de la présélection et, par conséquent, n'ont pas été évalués au regard des qualités requises, le jury de sélection ayant conclu qu'ils ne satisfaisaient pas à la condition d'expérience de surveillance telle que le jury l'avait interprétée. Les deux ont été infor més qu'ils ne satisfaisaient pas au critère de l'«ex- périence considérable de surveillance au deuxième niveau> (Dossier d'appel, aux pages 42 et 56).
Il ressort des témoignages donnés devant le Comité d'appel qu'après examen de toutes les can- didatures et sachant ainsi qui étaient les candidats, le jury de sélection s'est mis à définir les critères de ce qui constituait une expérience acceptable de surveillance au deuxième niveau. Selon ces critè- res, les candidats devaient justifier de deux années d'expérience de surveillance au deuxième niveau au cours des cinq années précédentes, dont une année d'expérience «continue». L'intimé Blashford
avait un peu moins d'une année d'état de service aux fonctions de chef adjoint. L'intimé Taillefer avait huit années d'expérience, mais cinq ans avant l'ouverture du concours.
La présidente du Comité d'appel, Mme Ladou- ceur, cite dans sa décision en date du 20 novembre 1989 l'arrêt Delanoy c. Le Comité d'appel de la Commission de la Fonction publique, [1977] 1 C.F. 562, aux pages 568-569 2 , dans lequel le juge Ryan de cette Cour avait exposé le principe de la nécessité d'un lien rationnel entre les normes de sélection et le principe du mérite consacré par l'article 10 de la Loi:
Le pouvoir que l'article 12 accorde à la Commission pour prescrire des normes de sélection concerne les normes relatives à la sélection, parmi les candidats qualifiés, de la personne ou des personnes qui mérite(nt) le mieux d'être nommée(s) compte tenu des fonctions à accomplir par le titulaire du poste à combler. Bien sûr, la Commission dispose d'un pouvoir discré- tionnaire pour prescrire les normes, mais toute norme prescrite doit s'appliquer au but recherché, sinon ce n'est pas une norme de sélection au sens de cet article.
Il est vraiment impossible d'entrevoir un lien rationnel entre ce qu'on appelle l'exigence fondamentale posée dans cette affaire et la sélection du candidat selon son mérite en vue de la nomination du candidat le plus qualifié pour combler le poste annoncé. Des fonctions exercées à un poste sans rapport avec le poste annoncé pour le concours en ce qui concerne les fonctions à remplir ou les qualités requises pourraient satisfaire à la condition stipulée exigeant que le candidat ait exercé ces fonc- tions depuis au moins un an ou qu'il ait occupé un poste classifié dans le même groupe et au même niveau. D'autre part, un candidat très qualifié qui a occupé un poste connexe pendant un peu moins d'une année serait automatiquement exclu. Une telle exigence, n'est pas une norme en rapport avec la sélection selon le mérite. La présente affaire illustre amplement le fait que cette exigence fondamentale non seulement ne satisfait pas à l'objectif de la sélection selon le mérite, mais peut même y faire échec.
La présidente du Comité d'appel a tiré cette conclusion (Dossier d'appel, aux pages 136 et 137):
[TRADUCTION] Je ne suis pas du tout convaincue qu'on puisse trouver en l'espèce ce que le juge Ryan appelle un «lien
2 Le requérant n'a pu établir que cette cause se distinguait de Ricketts c. Ministère des Transports (1983), 52 N.R. 381 (C.A.F.), le juge en chef Thurlow et de Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.), le juge Décary J.C.A., le litige portait sur les conditions définies par le ministère concerné et non par la Commission de la Fonction publique, ni de Le Procureur général du Canada c. Le Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique, [1982] 1 C.F. 803 (C.A.), le juge Heald, J.C.A., le litige ne portait pas sur les normes de sélection mais sur le processus de sélection proprement dit.
rationnel» entre la condition fondamentale telle que la définit le jury de sélection et le principe du mérite qui veut que la ou les personnes les mieux qualifiées soient nommées au poste en cause.
La définition la condition fondamentale d'«expérience considérable de surveillance au deuxième niveau» est si étirée pour ce qui est des périodes de «cinq ans, deux ans, un an» d'acquisition de cette expérience qu'on a la nette impression qu'à cet égard, le processus de présélection évoque plus une loterie qu'une évaluation du mérite des candidats respectifs.
On n'a pu établir aucun rapport entre la condition d'expé- rience de surveillance telle que l'a définie le jury de sélection [et] les attributions du poste à combler. Ainsi, un employé d'un niveau très subalterne qui justifie d'une expérience de surveil lance au deuxième niveau dans un domaine sans aucun rapport avec le poste en question, pourrait être qualifié selon le témoin cité par le ministère. Par contre, des personnes comme les appelants, qui justifient d'une expérience dans le domaine du poste en question, ont été éliminées pour la seule raison qu'il leur manquait quelques mois d'état de service. On n'a nulle- ment tenu compte du contenu de leur expérience, c'est-à-dire des fonctions qu'ils ont remplies, des conditions dans lesquelles ces fonctions ont été remplies (savoir le travail du ministère, etc.). Le jury de sélection ne s'est attaché qu'aux périodes et à la durée. Pareille pratique est injuste et va à l'encontre du principe du mérite.
Enfin, la présidente du Comité d'appel, citant l'adage célèbre [TRADUCTION] «Il ne faut pas seulement que justice soit faite, mais encore que tous le sachent» 3 , a tiré la conclusion suivante (Dossier d'appel, à la page 138):
[TRADUCTION] Bien que l'intégrité des membres du jury de sélection ne soit pas en cause en l'espèce, je pense que la conduite de certains d'entre eux qui avaient pris connaissance des noms des candidats ainsi que des candidatures, combinée avec le fait que les membres du jury connaissaient les candi- dats, était inconvenante et jette suffisamment de doute sur l'impartialité dont ils devaient faire preuve en prescrivant les paramètres de la condition fondamentale d'état de service en surveillance.
Mes collègues estiment que l'arrêt Delanoy sur lequel s'est fondé le Comité d'appel ne s'applique pas en l'espèce parce qu'il portait sur les normes de sélection, alors que les lignes directrices en cause concernent non pas les normes de sélection, mais les qualifications. Sauf leur respect, je constate que les lignes directrices dont s'agit sont sembla- bles aux normes de sélection visées par l'arrêt Delanoy en ce qu'elles ont été établies par la Commission de la fonction publique par la voix du jury de sélection, et non par la direction du minis- tère concerné. Ainsi que l'a conclu le juge en chef
3 Rex a. Sussex Justices. Ex parte McCarthy, [1924] 1 K.B. 256.
Jackett dans Bauer c. Le comité d'appel de la Fonction publique, [1973] C.F. 626 (C.A.), à la page 630, «L'employeur doit pouvoir délimiter les qualités requises et les fonctions d'un poste avant de chercher une personne pour le remplir> parce qu'«il semble que ce pouvoir est inhérent à la gestion». La Commission n'a cependant pas ce pouvoir inhérent: chaque fois qu'elle définit des critères, qu'il s'agisse de normes de sélection ou de lignes directrices, elle est, à mon avis, tenue au principe du «lien rationnel» qu'énonce l'arrêt Dela- noy. J'interprète l'article 10 comme signifiant que toute action de la Commission et de ses délégués en matière de nominations est régie par le principe du mérite: «Les nominations internes ou externes à des postes de la fonction publique se font sur la base d'une sélection fondée sur le mérite, selon ce que détermine la Commission ...».
Le requérant fait valoir que le Comité d'appel a commis une erreur de droit (1) en concluant qu'il n'y avait aucun lien rationnel entre la définition, par le jury de sélection, d'expérience considérable de surveillance au deuxième niveau d'une part, et le principe du mérite d'autre part 4 , et (2) en reprochant aux membres du jury de sélection une conduite telle qu'elle pourrait jeter le doute sur l'impartialité dont ils devaient faire preuve au moment ils définissaient les normes de sélection.
Selon l'arrêt Bambrough c. La Commission de la Fonction publique, [1976] 2 C.F. 109 (C.A.), la Commission de la fonction publique, par la voix d'un jury de sélection, peut participer à la défini- tion des qualités requises pour un poste, même après que le processus de sélection a commencé. Cette conclusion a été tirée par le juge Le Dain en ces termes, dans le jugement rendu au nom de la Cour (aux pages 119 et 120):
De toute évidence, si la modification des qualités requises devait augmenter le nombre de candidats éventuels à un poste, le processus de sélection serait recommencé afin de permettre l'identification d'autres candidats. Si, toutefois, la modification des qualités requises a pour effet de réduire le nombre de candidats éventuels, comme en l'espèce, elle n'est pas contraire au principe du, mérite et ne cause aucun préjudice à celui dont
Dans son argumentation verbale, le requérant soutenait aussi que la décision du Comité d'appel était viciée au regard de l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], mais n'a pu étayer cette assertion, attendu qu'il y avait à l'évidence des preuves sur lesquelles le Comité avait pu se fonder pour conclure comme il l'a fait.
la candidature n'est pas retenue pour plus ample considération parce qu'il ne possède pas une des nouvelles qualités requises. Le simple fait d'avoir été recor.nu candidat, sur la base des qualités requises initialement, ne confère pas au requérant un droit à l'évaluation de son mérite à l'égard de ces qualités. Si la nouvelle qualité requise, exigeant des candidats qu'ils aient effectué de la recherche dans le domaine de la pollution de l'air, avait constitué un critère de recherche lors de la consultation du Permatri, le requérant n'aurait peut-être même pas été identifié comme candidat éventuel au poste. Même reconnu candidat, il aurait quand même pu être éliminé par le jury de présélection, au motif qu'il ne possédait pas une des qualités essentielles pour le poste. À mon avis, aucune disposition de la Loi ou du Règlement n'interdit :'identification en deux étapes des candidats à un poste. Le requérant soutient que si les qualités requises pour un poste peuvent être modifiées au cours du processus de sélection, cette modification peut en outre constituer un moyen d'avantager injustement un candidat par rapport aux autres, sans prétendre cependant que ce soit le cas en l'espèce. Le comité d'appel a conclu que, compte tenu du poste à pourvoir, les qualités additionnelles étaient raisonnables et nous n'avons aucune raison de contester cette opinion. En fait, il semble que l'exigence additionnelle d'une expérience en recherche sur la pollution de l'air soit au plus une précision apportée aux exigences indiquées dans l'énoncé initial des qualités requises quant à la recherche.
Il ressort de la conclusion ci-dessus qu'un jury de présélection peut, à bon droit, éclairer des qualités formulées en termes généraux par la définition de nouveaux critères, pourvu qu'un comité d'appel juge ces conditions complémentaires «raisonna- bles», c'est-à-dire ayant un lien rationnel avec le principe du mérite consacré par l'arrêt Delanoy. Dans Bambrough, la Cour n'avait aucune raison de remettre en question la décision du Comité d'appel.
Dans Re Boychuck et le Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique et autres (1982), 135 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.), l'un des points litigieux concernait les lignes directrices de présélection qui fixaient pour condition un minimum d'heures de vérification directe et un minimum de travaux terminés à titre d'expérience requise dans un concours au poste de vérificateur principal de dossiers commerciaux. Dans cette cause, le Comité d'appel, après avoir invoqué l'ar- rêt Delanoy, conclut (passage cité en page 390):
[TRADUCTION] ... Puisqu'en l'espèce je trouve raisonnable l'exigence fondamentale d'expérience telle qu'elle a été défi- nie par le jury de sélection, étant donné la portée des vérifications effectuées par un vérificateur supérieur des dossiers d'entreprises, je conclus que l'exigence fondamentale établie pour ce concours se rapporte à la sélection faite au mérite.
Le juge Ryan a tiré cette conclusion la page 391):
Je peux dire que le comité d'appel n'a pas commis d'erreur. Toutefois, je choisirais de poser la question autrement: pour reprendre les expressions utilisées dans Delanoy, on peut diffici- lement dire qu'il n'exite pas de lien rationnel entre les lignes directrices de présélection litigieuses en l'espèce et la sélection faite au mérite, puisque les lignes directrices devaient se rap- porter à l'expérience acquise dans un travail connexe.
Ici encore, le Comité d'appel a conclu que le critère établi par l'arrêt Delanoy avait été respecté. Il y a lieu de noter que pour le juge Ryan, «les lignes directrices devaient se rapporter à l'expé- rience acquise dans un travail connexe».
Rien de ce qui précède ne remet en question la décision en l'espèce du Comité d'appel. II a conclu que le jury de sélection avait commis une erreur non pas parce qu'il ajoutait des conditions supplé- mentaires, mais parce que ce qu'il ajoutait était entaché d'arbitraire. C'est ce qui ressortait, à son avis, du fait que le jury de sélection a accepté un état de service «n'ayant absolument aucun rapport» avec les postes dont s'agit, de préférence aux états de service dans le même domaine. Par cette con clusion, le Comité d'appel a, à mon avis, correcte- ment appliqué le droit aux faits de la cause tels qu'il les a constatés.
Vu l'importance qu'il attachait aux états de service dans le même domaine, le Comité d'appel n'a eu aucun mal à faire la distinction entre l'af- faire en instance avec une décision antérieure de Comité d'appel, Ahluwalia, 1987 DCA [8-2] 256, un minimum de cinq années d'expérience conti nue avait été accepté à titre de qualification rai- sonnable d'expérience considérable pour les pro grammes complexes de marchés et de gestion. La présidente Ladouceur, en citant les motifs de la décision Ahluwalia, a souligné que le quantum d'expérience approuvé dans cette affaire établissait un seuil de compétence dans le même domaine.
En outre, je ne vois pas dans la dernière observa tion du Comité d'appel qui mettait en doute l'im- partialité du jury de sélection, un motif de décision distinct, mais une indication supplémentaire de l'arbitraire qu'il avait relevé.
Par ces motifs, je conclus que le requérant n'a réussi à faire valoir ni l'un ni l'autre de ses deux arguments, et me prononce ainsi pour le rejet de la demande.
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Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de lire les motifs de jugement prononcés par mes collègues Marceau et MacGuigan. Je conviens avec eux que cette demande fondée sur l'article 28 doit être rejetée. Bien qu'à mon avis, l'approche générale de mon collègue Marceau soit plus con- forme à l'esprit de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique («la Loi»), je ne saurais y sous- crire entièrement.
Cette Cour a constamment jugé que la défini- tion des qualités requises pour un poste de la fonction publique relève du ministère concerné, et non pas de la Commission de la fonction publique («la Commission»). De même, selon une jurispru dence constante, le rôle du comité d'appel consti- tué sous le régime de la Loi «ne consiste pas à examiner les conditions définies par le ministère pour un poste précis mais à se demander si le principe du mérite établi par l'article 10 a été respecté dans le choix et la nomination d'un candi- dat qui possède les qualités requises par le minis- tère pour le poste en question» 5 .
Il découle logiquement de ces principes qu'un jury de sélection ou de présélection constitué par la Commission dans le processus de sélection ne peut, pas plus que la Commission elle-même ou que son comité d'appel, remettre en question les conditions définies par le ministère concerné pour un poste donné. Deux décisions de cette Cour ont cependant été citées pour soutenir que la Commission, par la voix du jury de présélection ou de sélection, peut participer aux côtés du ministère intéressé à la définition des qualités requises pour un poste. Il s'agit des arrêts Bambrough c. La Commission de la Fonction publique 6 et Re Boychuck et le Comité d'appel établi par la Commission de la Fonction publique et autres'.
5 Brown c. La Commission de la Fonction publique, [1975] C.F. 345 (C.A.); Ricketts c. Ministère des Transports (1983), 52 N.R. 381 (C.A.F.), à la p. 382, le juge en chef Thurlow; Canada (Procureur général) c. Viola, [1991] 1 C.F. 373 (C.A.); et Canada (Procureur général) c. Jollimore, A-19-90 (C.A.F.), le juge Décary, J.C.A., arrêt rendus le 23 novembre 1990, non encore publié.
[1976] 2 C.F. 109 (C.A.).
(1982), 135 D.L.R. (3d) 385 (C.A.F.).
Il a été jugé par l'arrêt Bambrough, à mon avis, a) que les qualités requises pour un poste, norma- lement définies par le ministère intéressé avant l'ouverture du processus de sélection, peuvent être validement modifiées par celui-ci au cours de ce processus de sélection, pourvu que la modification ne soit pas une manoeuvre visant à favoriser indû- ment un candidat et ne soit que le développement raisonnable d'une exigence qui se déduit de l'énoncé primitif des qualifications; et b) que la Commission peut participer à la formulation de cette modification à condition que l'autorité déci- sionnelle continue d'être le ministère en question. En pages 117 et 118, le juge Le Dain a expliqué les raisons pour lesquelles il était nécessaire que la Commission fût habilitée à participer avec le ministère intéressé à la définition des qualités requises pour un poste donné:
Le devoir statutaire de la Commission de nommer à des postes de la Fonction publique des personnes possédant les qualités requises, conformément au principe du mérite, doit au moins comporter le pouvoir implicite de participer, avec le ministère ou la direction concerné, à la formulation des qualités requises pour un poste. La Commission doit avoir le pouvoir de s'assurer que les qualités spécifiées correspondent à celles exi- gées par le poste et que l'énoncé de ces qualités donne une assise solide à un processus de sélection selon le mérite. J'estime que ce pouvoir découle des responsabilités de la Commission en matière de nominations, en vertu des articles 5, 8 et 10 de la Loi, plutôt que de son pouvoir, en vertu de l'article 12, de prescrire les normes de sélection. [Mes soulignements.]
Pour ce qui est de la question de savoir dans quelle mesure la Commission peut participer à la défini- tion d'une exigence supplémentaire pour un poste donné après que le processus de sélection a com- mencé, la conclusion suivante du juge Le Dain en page 117 est particulièrement pertinente:
Il est cependant possible de considérer, d'après l'exposé conjoint des faits et le rapport du jury de présélection, qu'In - graham a établi les qualités essentielles additionnelles au nom du ministère, à titre de représentant du ministère et de direc- teur concerné, de concert avec L'Espérance, en sa qualité d'agent de dotation en personnel responsable, et que c'est en siégeant comme jury de présélection, qu'ils ont tous deux appliqué ces nouvelles qualités requises au processus de sélec- tion. Toutefois, même s'il faut attribuer la formulation de ces qualités additionnelles à la Commission, je ne pense pas qu'en participant de la sorte à la définition, des exigences d'un poste, la Commission excède ses pouvoirs implicites particulièrement lorsque, comme en l'espèce, elle le fait non seulement avec l'approbation, mais avec la participation active d'un agent du ministère concerné. En l'espèce, la Commission n'a pas tenté d'usurper ou d'empiéter sur le pouvoir du ministère de définir les qualités requises pour un poste. [Mes soulignements.]
Dans cette affaire Bambrough, les «qualités additionnelles» visées avaient été établies «au nom du ministère ... de concert avec» la Commission, et ce n'est que dans les limites d'une action «de concert» «de la sorte» que la Commission était investie du «pouvoir implicite de participer, avec le ministère ... à la formulation des qualités requises pour un poste». Il serait erroné de déduire de l'arrêt Bambrough qu'il suffit qu'un représentant du ministère concerné soit présent au sein du jury de présélection ou de sélection pour que ce jury soit en mesure d'ajouter des conditions à celles qui sont déjà définies par ce ministère.
Qui plus est, comme le fait observer le juge Le Dain, à la page 120:
... sans ... que ce soit le cas en l'espèce [pour ce qui était d'avantager injustement un candidat par rapport aux autres]. Le comité d'appel a conclu que, compte tenu du poste à pourvoir, les qualités additionnelles étaient raisonnables ... En fait, il semble que l'exigence additionnelle ... soit au plus une précision apportée aux exigences indiquées dans l'énoncé initial des qualités requises quant à la recherche.
En conséquence, dans la mesure la Commission est habilitée à «participer» à la définition des quali- tés requises au cours du processus de sélection, l'arrêt Bambrough pose pour règle que la Commis sion peut tout au plus participer à un développe- ment raisonnable des exigences qui se déduisent des conditions initiales.
Dans Boychuck, le litige portait sur la question de savoir si les directives de présélection adoptées par le jury de présélection en application des normes de sélection établies par la Commission, allaient à l'encontre des «exigences fondamentales» que celle-ci avait définies à la lumière de ces normes. Comme le litige ne portait pas sur la question de savoir si les lignes directrices adoptées par le jury de présélection en la matière ou si les normes de sélection et les conditions fondamenta- les définies par la Commission, représentaient une condition à ajouter à celles définies par le minis- tère concerné, on ne saurait voir dans la décision Boychuck une règle jurisprudentielle au sujet du pouvoir des jurys de sélection ou de présélection de définir des conditions supplémentaires.
En l'espèce, pour satisfaire à l'une des conditions essentielles définies par le Ministère, les candidats devaient justifier d'une «expérience considérable de
surveillance au deuxième niveau». Il ressort du dossier qu'à sa réunion, le jury de sélection a défini le niveau d'expérience requis comme suit: deux années d'expérience de surveillance au deuxième niveau au cours des cinq années précédentes, dont une année d'expérience «continue». Il n'y a aucune preuve établissant que les représentants du Minis- tère qui participaient au jury de sélection agis- saient vraiment au nom du ministère lorsqu'ils définissaient ces critères, et, à mon avis, il faudrait des preuves très concluantes pour réfuter la pré- somption que les membres du jury de sélection constitué par la Commission agissaient au nom de la Commission, et non de leur propre ministère, quand ils établissaient des critères équivalant à des exigences supplémentaires. Il se peut que les jurys de présélection comme ceux des affaires Barn- brough et Boychuck soient plus facilement disso- ciables de la Commission que les jurys de sélection mais, attendu qu'aucun jury de présélection n'était en cause en l'espèce, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin à ce sujet.
Il échet donc d'examiner si le jury de sélection, en circonscrivant la condition définie par le Minis- tère, a agi dans les limites de sa compétence ou de celle de la Commission. La réponse est, à l'évi- dence, négative: il n'était nullement habilité à tou- cher, comme il l'a fait, aux conditions définies par le Ministère concerné. En introduisant un critère temporel rigide qui dépassait le simple développe- ment des exigences du Ministère, il a usurpé ou outrepassé le pouvoir de ce dernier de définir les qualités requises pour un poste. Il est même possi ble de soutenir, à la lumière de la décision Barn- brough, que le Ministère lui-même ne pourrait pas, une fois que le processus de sélection a commencé, apporter ces modifications aux conditions primiti ves puisqu'elles sont davantage qu'un développe- ment, mais comme il n'est pas soutenu en l'espèce que les modifications ont été faites par le Minis- tère plutôt que par le jury de sélection, il n'est pas nécessaire de considérer cet argument.
En faisant droit à l'appel, le Comité d'appel s'est fondé en particulier sur l'arrêt Delanoy c. Le comité d'appel de la Commission de la Fonction publique» de cette Cour, lequel arrêt, à mon avis,
8 [1977] 1 C.F. 562 (C.A.).
n'est pas applicable en l'espèce. Cet arrêt ne por- tait pas sur les qualités requises par un ministère ou un jury de présélection ou de sélection, mais sur les normes de sélection prescrites par la Commis sion en application de l'article 12 de la Loi. L'arrêt Delanoy pose pour règle que les normes de sélec- tion établies par la Commission doivent justifier d'un lien rationnel avec le principe du mérite; il n'a aucun rapport avec les causes qui, comme celle en instance, ne portent pas sur les normes de sélec- tion. Il n'est pas nécessaire d'examiner s'il existe ou non un lien rationnel entre les lignes directrices adoptées par le jury de sélection et le principe du mérite, car je constate qu'en l'espèce, les lignes directrices ne concernent pas les normes de sélec- tion, mais les qualités requises.
La difficulté pratique tient en l'espèce à ce que la formulation de la condition en cause—«Expé- rience considérable de surveillance au deuxième niveau»—est particulièrement vague, bien plus vague que dans les causes citées, et à ce qu'aucune référence n'a été faite à quelque norme de sélec- tion. Il se peut fort bien que la Commission ait failli à l'exercice de son pouvoir implicite «de s'assurer que les qualités spécifiées correspondent à celles exigées par le poste et que l'énoncé de ces qualités donne une assise solide à un processus de sélection selon le mérite», pour reprendre les termes employés par le juge Le Dain dans Barn- brough, ou à l'exercice de son pouvoir exprès de prescrire des normes de sélection. Cela eût-il été le cas, la Commission aurait pu y remédier en demandant au Ministère de produire une formula tion plus spécifique avant d'annoncer le concours ou en prescrivant elle-même des normes de sélec- tion. Une fois l'avis de concours affiché, tout ce que la Commission pouvait faire, c'était, de la manière que j'ai décrite plus haut, de développer les exigences qui se déduisaient des conditions initiales.
Le Comité d'appel ayant tiré la conclusion judi- cieuse mais par des motifs erronés, il faut rejeter la demande.
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