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T-1511-91
William Cairns, Patricia Cairns et Eagleton Dairies Ltd., Maximillian Englot, Gerald Blerot et Alfred Froese, Glen Hainsworth et Jocelyn Hainsworth, Jerry Kosheluk, Kenneth Botterill, Norman Jean Botterill, Delbert Leader, Charles E. Sutcliffe, Brian R. Wilson, Clarence A. Mennie, Norman Desrochers, Donald Monastyrski, Reginald Englot, Kenneth Cairns, Gary et Shirley Granger, Kenneth Pedde, Marcel Bouchard et Hart Haidn, en leur qualité personnelle et représentant les emprunteurs anciens, actuels et futurs de la Société du crédit agricole (demandeurs)
c.
La Société du crédit agricole, l'honorable William McKnight et le Bureau d'examen de l'endettement agricole (défendeurs)
RÉPERTORIE.' CAIRNS C. SOCIÉTÉ DU CREDIT AGRICOLE (Ire INST.)
Section de première instance, juge Denault— Toronto, 16 octobre; Ottawa, 19 novembre 1991.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance Requête en injonction interlocutoire empêchant la Société du crédit agricole (S.C.A.) de réaliser sa garantie jus- qu'à ce qu'elle ait fourni des listes des règles, des règlements et des politiques I) régissant ses rapports avec ses clients et 2) exposant en détail les modalités, les conditions et les critères dans le cadre desquels la S.C.A. peut obtenir de l'argent du Fonds d'examen de l'endettement agricole La S.C.A. n'est pas un «office fédéral» au sens de l'art. 2g) de la Loi sur la Cour fédérale La définition n'inclut pas les pouvoirs parti- culiers que peut exercer une société ordinaire créée en vertu d'une loi fédérale, qui ne sont que des éléments accessoires de son entreprise autorisée Il importe d'examiner les circons- tances de chaque affaire Les demandeurs tentent de faire réviser les pouvoirs particuliers de la S.C.A. qui sont des élé- ments accessoires de son entreprise autorisée, soit l'octroi de prêts commerciaux Le B.E.E.A. n'est pas un «office fédéral» car il ne s'agit que d'un simple médiateur, qui ne possède aucun pouvoir décisionnel.
Agriculture La Section de première instance de la Cour fédérale n'a pas compétence pour entendre une action contre la Société du crédit agricole ou le Bureau d'examen de l'endet- tement agricole, car aucun de ces deux organismes n'est un «office fédéral» Méthode d'accès au Fonds d'examen Les agriculteurs n'ont pas accès directement au Fonds La S.C.A. accorde des concessions sur le même pied que les prê-
teurs commerciaux Pas d'intervention de l'État Nature des pouvoirs du B.E.E.A. Ce dernier ne sert que d'intermé- diaire dans les négociations entre la S.C.A. et ses clients en difficulté financière.
Pratique Parties Recours collectif pour contraindre la Société du crédit agricole et le Bureau d'examen de l'endette- ment agricole à fournir à des emprunteurs en difficulté finan- cière des listes des règles, des règlements et des politiques 1) régissant les rapports avec leurs clients et 2) exposant en détail les modalités, les conditions et les critères dans le cadre desquels la Société du crédit agricole (S.C.A.) obtient de l'ar- gent du Fonds d'examen de l'endettement agricole Les cir- constances ne permettent pas d'intenter un recours collectif aux termes de la Règle 1711 Dans cette Règle, le «même intérêt» dans la procédure signifie le même intérêt dans l'issue du jugement Comme les demandeurs se situent à des stades différents dans leurs rapports avec la S.C.A., leur intérêt à l'égard des listes diffère La mesure de redressement que sol- licite une catégorie de demandeurs doit avoir une incidence pratique sur chacun de ses membres Le ministre a été rayé de la liste des défendeurs car aucune allégation n'a été portée contre lui au sujet d'actes commis en sa qualité personnelle.
Il est question en l'espèce d'une requête en vue d'obtenir une injonction interlocutoire visant à empêcher la Société du crédit agricole (S.C.A.) de réaliser sa garantie, d'acquérir des terres par voie de transfert volontaire ou de disposer des terres qu'elle détient, et ce tant qu'elle n'a pas fourni à tous ses emprunteurs en difficulté financière les listes demandées dans l'action principale. Ladite action est un recours collectif des- tiné à contraindre les défendeurs à fournir une liste des règles, règlements et politiques régissant les rapports entre la S.C.A. et ses clients en difficulté financière, ainsi qu'une liste des règles, règlements et politiques exposant en détail les modalités, les conditions et les critères dans le cadre desquels la S.C.A. peut obtenir de l'argent du Fonds d'examen de l'endettement agri- cole (Fonds d'examen). Les demandeurs sont des agriculteurs canadiens qui ont emprunté de l'argent auprès de la S.C.A., qui ont ensuite accusé du retard dans leurs paiements et qui sont mécontents des modalités de règlement que leur offre cet orga- nisme. La situation de chacun des demandeurs est différente, mais ceux-ci allèguent en général que la S.C.A. les a traités d'une manière injuste et inconséquente lors des négociations concernant leurs emprunts non remboursés. Les défendeurs ont demandé la radiation de la déclaration des demandeurs au motif que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable d'action, et ont fait valoir que la Cour n'a pas compétence pour accorder la mesure de redressement demandée. Les points en litige con sistent à savoir si l'honorable William McKnight peut être par- tie à l'action, si l'action peut être poursuivie sous forme de recours collectif et si la Cour est compétente.
Jugement: la requête en radiation devrait être accueillie, et la requête en injonction interlocutoire et l'action devraient être rejetées.
Un ministre ne peut être poursuivi en sa qualité de représen- tant ou en sa qualité personnelle que si les allégations portées contre lui se rapportent à des actes qu'il a commis en sa qualité
personnelle. Le ministre n'étant pas visé en cette qualité, son nom a été rayé de la liste des défendeurs.
Les circonstances ne permettaient pas d'intenter un recours collectif au sens de la Règle 1711. Les personnes qui entament une telle action doivent avoir un intérêt et un grief communs. La mesure de redressement souhaitée doit être profitable à tous les membres de la catégorie. La Règle 1711 exige que les demandeurs et les personnes qu'ils cherchent à représenter aient le même intérêt dans les procédures, et l'on a considéré que cela veut dire le même intérêt dans l'issue du jugement. Les demandeurs se situent à des stades différents dans leurs rapports avec la S.C.A.. Chaque membre de la catégorie de demandeurs cherche à obtenir les listes de règles, de règle- ments et de politiques pour des raisons différentes. Un recours collectif n'a pas pour objet de permettre à un groupe de demandeurs de chercher à obtenir plusieurs formes de mesure de redressement dans un effort pour répondre aux besoins dif- férents de tous les membres de ce groupe. Pour satisfaire à la condition d'avoir le même intérêt dans l'issue du jugement, la mesure de redressement que sollicite une catégorie de deman- deurs doit avoir une incidence pratique sur chacun de ses membres.
Bien que la S.C.A. exerce des pouvoirs légaux et semble relever de la compétence de la Cour fédérale, cette dernière se doit d'examiner les circonstances particulières d'une affaire avant de se prononcer. Il a été jugé que la définition du terme «office fédéral», à l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale, n'inclut pas les pouvoirs particuliers que peut exercer une société ordinaire créée en vertu d'une loi fédérale, qui ne sont que des éléments accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée. La Société Radio-Canada et le Con- seil des arts du Canada ne tombent pas sous le coup de la défi- nition. Les demandeurs ont mal compris la méthode utilisée pour accéder au Fonds d'examen. Pour ce faire, la S.C.A. doit être convaincue soit de la viabilité future de l'exploitation agri- cole, soit que l'agriculteur a besoin d'une aide pour protéger son avoir pendant qu'il abandonne progressivement l'agricul- ture. Dans l'un ou l'autre cas, la S.C.A. doit s'assurer que toute concession consentie est effectuée sur une base commerciale sensée. Les agriculteurs n'ont pas directement accès au Fonds d'examen. Cette décision est prise dans le cadre de son entre- prise autorisée, c'est-à-dire l'octroi de prêts commerciaux. Puisqu'il en est ainsi, la S.C.A. ne possède aucune des caracté- ristiques d'un office fédéral, car il s'agit exactement des déci- sions que tous les prêteurs commerciaux sont tenus de prendre. L'État n'exerce aucun contrôle sur les critères que doit utiliser la S.C.A. pour déterminer qui doit bénéficier de concessions ou d'un compromis déterminés. En outre, la Loi sur le crédit agricole accorde à la S.C.A. une latitude absolue pour ce qui est d'établir ses propres normes afin d'exécuter son mandat. Le Bureau d'examen de l'endettement agricole (B.E.E.A.) n'est pas non plus un «office fédéral». Il n'a pas accès au Fonds d'examen ou n'exerce aucun contrôle sur les décisions que prend la S.C.A. À part le pouvoir de proroger une suspension d'instance obtenue par des créanciers ou d'y mettre fin, le B.E.E.A. ne jouit d'aucun pouvoir décisionnel. On n'a fait appel à lui que pour servir d'intermédiaire dans les négocia- tions entre la S.C.A. et ses clients en difficulté financière. Un
office qui n'agit que comme médiateur et ne possède aucun pouvoir décisionnel n'est pas un «office» au sens de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 2g), 18.
Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11, annexe III, partie I.
Loi sur le crédit agricole, L.R.C. (1985), chap. F-2, art. 3(1), 11, 20, 25, 34, 40.
Loi sur le crédit aux groupements agricoles, L.R.C. (1985), chap. F-5.
Loi sur le ministère de l'Agriculture, S.R.C. (1970), chap. A-10, art. 5(2).
Loi sur l'examen de l'endettement agricole, L.R.C. (1985), chap. F-2.3 art. 26, 29.
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 401, 419, 1711.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1975), 11 O.R. (2d) 167; 65 D.L.R. (3d) 231; 29 C.C.C. (2d) 325 (C.A.); Wilcox c. Société Radio-Canada, [1980] 1 C.F. 326; (1979), 101 D.L.R. (3d) 484 (ire inst.); Aeric, Inc. c. Président du conseil d'administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127; (1985), 16 D.L.R. (4th) 686; 56 N.R. 289 (C.A.); Toronto Independent Dance Enterprise c. Conseil des arts du Canada, [1989] 3 C.F. 516; (1989), 60 D.L.R. (4th) 503; 38 Admin. L.R. 231; 30 F.T.R. 20 Ore inst.).
DÉCISION EXAMINÉE:
General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72; (1983), 144 D.L.R. (3d) 385; 22 C.P.C. 138; 46 N.R. 139.
DECISIONS CITÉES:
Air India Flight 182 Disaster Claimants v. Air India (1987), 62 O.R. (2d) 130; 44 D.L.R. (4th) 317 (H.C.); Bedford (Duke of) v. Ellis, [1901] A.C. 1 (H.L.); Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361; (1981), 123 D.L.R. (3d) 434; 37 N.R. 91 (C.A.); Copeland c. Monsieur le juge McDonald, [1978] 2 C.F. 815; (1978), 88 D.L.R. (3d) 724; 42 C.C.C. (2d) 334 Ore inst.); Hamil- ton (City of) v. Hamilton Harbour Commissioners, [1972] 3 O.R. 61; (1972), 27 D.L.R. (3d) 385 (C.A.); Concept Omega Corp. c. Logiciels KLM Ltée (1987), 15 C.1.P.R. 312; 12 F.T.R. 291 (C.F. Ire inst.).
AVOCATS:
Lawrence D. Ryder pour les demandeurs. Debra McAllister et Jonathan Keene pour les défendeurs.
PROCUREURS:
Ryder & Planz, Port Elgin (Ontario), pour les demandeurs.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE DENAULT: Les faits:
Les demandeurs en l'espèce sont des agriculteurs canadiens qui ont emprunté de l'argent auprès de la Société du crédit agricole (ci-après appelée la «S.C.A.»), ont accusé par la suite du retard dans leurs paiements et ont été mécontents des modalités de règlement que leur offrait cet organisme. La situation de chacun de ces demandeurs est différente, mais ils allèguent en général que la S.C.A. les a traités d'une manière injuste et inconséquente lors des négocia- tions concernant leurs emprunts non remboursés. Ils soutiennent qu'au cours de ces négociations, des représentants de la S.C.A. les ont amenés à croire que l'unique option, à part le rachat, qui s'offrait à eux était le transfert volontaire du titre de propriété de leurs terres agricoles hypothéquées, suivi d'une ces- sion-bail desdites terres, en règlement de leur dette.
L'action:
Les demandeurs ont institué un recours collectif contre la S.C.A., le Bureau d'examen de l'endette- ment agricole (ci-après appelé le «B.E.E.A.») et l'ho- norable William McKnight dans un effort pour con- traindre la S.C.A. et le B.E.E.A. à promulguer et à fournir aux clients en difficulté financière de la S.C.A. une liste des règles, règlements et politiques régissant les rapports entre la S.C.A. et ses clients en difficulté financière, ainsi qu'une seconde liste des règles, règlements et politiques exposant en détail les modalités, les conditions et les critères dans le cadre desquels la S.C.A. peut obtenir de l'argent du Fonds d'examen de l'endettement agricole (ci-après appelé le «Fonds d'examen»). Ils cherchent aussi à obtenir un certain nombre de formes de réparation par voie d'injonction et de déclaration qui se rapportent à ces listes.
Les requêtes:
Par la voie d'une requête déposée devant la pré- sente Cour, les demandeurs tentent d'obtenir une injonction interlocutoire contre la S.C.A., défende- resse en l'espèce. Ils demandent, plus précisément, que l'on rende une ordonnance pour interdire à la S.C.A. de vendre des terres aux enchères ou autre- ment ou de réaliser sa garantie, d'acquérir des terres par voie de transfert volontaire ou de disposer de terres qu'elle détient actuellement, et ce jusqu'à ce qu'elle ait promulgué et fourni à tous ces emprun- teurs en difficulté financière essentiellement les mêmes listes qu'ils tentent d'obtenir dans l'action principale contre les défendeurs.
Les défendeurs ont présenté une requête en vue d'obtenir la radiation de la déclaration intégrale des demandeurs, au motif que celle-ci ne révèle aucune cause raisonnable d'action. Ils font valoir que la pré- sente Cour n'est pas habilitée à accorder la réparation que cherchent à obtenir les demandeurs et ils tentent de plus d'obtenir que l'honorable William McKnight soit rayé de la liste des parties à l'action.
Je vais analyser ces deux requêtes en même temps, car les mêmes principes de droit sont en jeu. Avant d'analyser si la Cour a compétence pour connaître de ces questions, j'aimerais faire quelques observations sur des questions de forme préliminaires.
Questions de forme:
Le ministre de l'Agriculture:
Les demandeurs ont désigné l'honorable William McKnight comme défendeur dans cette action. Un ministre de la Couronne ne peut être poursuivi en sa qualité de représentant, pas plus qu'en sa qualité per- sonnelle, à moins que les allégations portées contre lui se rapportent à des gestes qu'il aurait posés en sa qualité personnelle (Air India Flight 182 Disaster Claimants v. Air India (1987), 62 O.R. (2d) 130 (H.C.)). Les demandeurs n'ayant rien allégué contre le ministre au sujet de gestes qu'il aurait posés en sa qualité personnelle, l'honorable William McKnight doit être rayé de la liste des parties à l'action.
Conditions d'un recours collectif:
L'action des demandeurs, dans la forme elle est structurée, peut-elle constituer l'objet d'un recours collectif au sens du paragraphe 1711(1) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663]? Le texte dudit paragraphe est le suivant:
Règle 1711.(1) Lorsque plusieurs personnes ont le même inté- rêt dans une procédure, la procédure peut être engagée et, sauf ordre contraire de la Cour, être poursuivie par ou contre l'une ou plusieurs d'entre elles en tant que représentant toutes ces personnes ou en tant que les représentant toutes à l'exception d'une d'entre elles ou plus.
Selon la déclaration des demandeurs, la catégorie proposée de demandeurs dans la présente action com- prend tous [TRADUCTION] «les agriculteurs, les emprunteurs de la S.C.A. qui ont été, sont ou peuvent être en difficulté financière».
Pour qu'une question puisse faire l'objet d'un recours collectif, les personnes de la catégorie doi- vent avoir un intérêt et un grief communs. Par ail- leurs, la réparation souhaitée doit, de par sa nature, être avantageuse pour tous les membres de la catégo- rie; comme on le dit parfois, [TRADUCTION] «si les demandeurs gagnent, tous gagnent» (Bedford (Duke of) v. Ellis, [1901] A.C. 1 (H.L.); General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72; Kiist c. Canadian Pacific Railway Co., [1982] 1 C.F. 361 (C.A.); Copeland c. Monsieur le juge McDonald, [1978] 2 C.F. 815 (l 1 e inst.)).
La Règle 1711 exige que les demandeurs et ceux qu'ils visent à représenter aient le «même intérêt» dans les procédures. Dans l'arrêt General Motors of Canada Ltd. c. Naken et autres, [1983] 1 R.C.S. 72, la Cour suprême du Canada a jugé que cela veut dire que les demandeurs doivent tous avoir le même inté- rêt dans l'issue du jugement.
Dans la présente espèce, les demandeurs se situent à l'heure actuelle à des stades très différents dans leurs rapports avec la S.C.A. Plusieurs d'entre eux ont transféré de leur plein gré à la S.C.A. leurs entre- prises agricoles, qu'ils exploitent dans le cadre d'une entente de cession-bail, tandis que d'autres tentent toujours de négocier une entente de règlement. Dans certains cas, l'exploitation agricole a été vendue à une tierce partie, tandis que dans d'autres, les agricul- teurs font face à l'exécution d'une ordonnance défini-
tive d'une cour provinciale concernant la vente judi- ciaire de leur bien. C'est donc dire que chaque membre de la catégorie est intéressé à obtenir les lis- tes de règles, de règlements et de politiques qui sont décrites dans la déclaration pour des raisons qui varient.
Un grand nombre des demandeurs espèrent sûre- ment trouver dans ces listes une option non divulguée qui leur permettrait de garder leurs terres. Cependant, les agriculteurs qui font face à une ordonnance défi- nitive d'une cour provinciale, ou dont les terres ont déjà été vendues, ne peuvent tirer aucun avantage «pratique» de la diffusion de ces listes. Cela explique peut-être pourquoi les demandeurs tentent aussi d'ob- tenir des formes de réparation supplémentaires, comme [TRADUCTION] «une ordonnance déclarant annulables tous les transferts de terres des agricul- teurs à la S.C.A., par la voie d'un transfert ou d'une action en justice, avant la production [des listes]» et [TRADUCTION] «une ordonnance interdisant à la S.C.A. de vendre les terres qu'elle détient actuellement et qui ont été obtenues ... par la voie d'une action en justice ou d'un transfert jusqu'à 60 jours après [la dif fusion des listes]». Malheureusement, un recours col- lectif n'a pas pour objet de permettre à un groupe de demandeurs de chercher à obtenir plusieurs formes de réparation en tentant de répondre aux besoins dif- férents de tous les membres du groupe. La Cour est d'avis que, pour satisfaire à la condition d'avoir le même intérêt dans l'issue du jugement, la mesure de réparation que demande une catégorie de demandeurs doit avoir, à tout le moins, une incidence pratique sur chacun de ses membres.
Pour les motifs qui précèdent, on ne peut permettre aux demandeurs de poursuivre leur action dans la forme elle est structurée actuellement, car elle ne constitue pas l'objet d'un recours collectif au sens de la Règle 1711.
Comme la présente action ne peut être poursuivie sous forme de recours collectif, toute référence à la «requête des demandeurs» concernera la requête pré- sentée uniquement par William Cairns, Patricia Cairns et Eagleton Dairies Limited (c'est en fait ainsi qu'elle a été interprétée).
Compétence:
L'un des points qu'il faut trancher dans cette affaire est celui de savoir si la Cour a compétence pour connaître de la requête en injonction des deman- deurs ainsi que de l'action principale contre les défendeurs.
La Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), chap. F-7], à l'article 18, confère à la présente Cour, de par les recours extraordinaires qui sont indiqués dans cette disposition, une compétence exclusive en matière de révision sur les offices fédéraux. L'article 18 est rédigé comme suit:
18. La Section de première instance a compétence exclusive, en première instance, pour:
a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de manda- mus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;
b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l'alinéa a), et notamment de toute procédure enga gée contre le procureur général du Canada afin d'obtenir réparation de la part d'un office fédéral.
L'expression «office fédéral» est définie à l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale:
2.
«office fédéral» Conseil, bureau, commission ou autre orga- nisme ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pou- voirs prévus par une loi fédérale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provin- ciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'ar- ticle 96 de la Loi constitutionnelle de /867.
La Cour doit donc déterminer si la S.C.A. et le B.E.E.A. sont des «offices fédéraux» sur lesquels la Cour, dans les circonstances de la présente espèce, a compétence.
La S.C.A. est une société qui a été constituée en vertu du paragraphe 3(1) de la Loi sur le crédit agri- cole, L.R.C. (1985), chap. F-2. La S.C.A. est aussi mandataire de la Couronne et est inscrite à la partie I de l'annexe III de la Loi sur la gestion des finances
publiques, L.R.C. (1985), chap. F-11, sont énumé- rées les sociétés d'État mères qui sont la propriété exclusive de la Couronne fédérale.
La S.C.A. consent, administre et supervise des prêts agricoles en vertu de la Loi sur le crédit agri- cole et de la Loi sur le crédit aux groupements agri- coles, L.R.C. (1985), chap. F-5. Son rôle consiste à fournir aux agriculteurs du Canada, sur une base de rentabilité, des services de crédit hypothécaire et des services financiers complémentaires. Les types de prêt, les taux d'intérêt et les paramètres de risque de la S.C.A. sont établis à l'échelle nationale. Cepen- dant, comme l'on considère que les bureaux régio- naux sont mieux placés pour tenir compte des condi tions locales, de la force du marché auquel sont destinés les produits agricoles et des répercussions de la législation provinciale sur les opérations de crédit, les décisions concernant les prêts et les règlements de dette se prennent habituellement au niveau local.
Avant de consentir un prêt, la S.C.A. doit être con- vaincue que la viabilité commerciale potentielle de l'agriculteur est importante (article 25 de la Loi sur le crédit agricole). Lorsque la S.C.A. refuse un prêt ou autorise un montant moindre que celui qui a été demandé, l'agriculteur peut faire réviser sa demande de crédit par un comité d'appel constitué en vertu des règlements de la S.C.A. Cette dernière n'est pas liée par les recommandations que formule le comité d'ap- pel.
C'est également à l'échelon local que l'on s'oc- cupe des comptes de la S.C.A. qui ont de l'arriéré. La S.C.A. est habilitée à conclure des concordats ou des arrangements, à accorder des atermoiements, à accep- ter des garanties de remplacement et à renégocier des hypothèques ou d'autres ententes (article 11 de la Loi sur le crédit agricole). Si les négociations entre la S.C.A. et l'emprunteur s'avèrent infructueuses, il est possible de recourir à l'aide du B.E.E.A.
La Loi sur l'examen de l'endettement agricole, L.R.C. (1985), chap. F-2.3, établit un Bureau d'exa- men de l'endettement agricole (B.E.E.A.) pour chaque province ou région du Canada. Cette Loi per- met aux «agriculteurs en difficulté financière» et aux «agriculteurs insolvables» de demander au B.E.E.A. d'examiner leur situation financière ou de les aider à faciliter les arrangements qu'ils peuvent prendre avec
leurs créanciers. Les agriculteurs insolvables peuvent demander au B.E.E.A. la suspension de tout recours que leurs créanciers peuvent engager contre eux. Cependant, en dehors de ce pouvoir restreint, le B.E.E.A. n'a aucun pouvoir de décision ou d'exécu-
tion.
La décision du Conseil privé C.P. 1986-1/2914, qui a été émise le 18 décembre 1986 la recomman- dation du ministre de l'Agriculture et du Conseil du Trésor aux termes du paragraphe 5(2) de la Loi sur le ministère de l'Agriculture, S.R.C. 1970, chap. A-10, a établi ce que l'on appelle aujourd'hui le Fonds d'exa- men de l'endettement agricole. Cette décision (ainsi que les versions modifiées suivantes) prescrit qu'Agriculture Canada remboursera à la S.C.A. les concessions financières qu'elle consent, par l'entre- mise du processus de négociation du B.E.E.A., aux agriculteurs admissibles qui sont en difficulté finan- cière. Les annexes A et B qui accompagnent la déci- sion du Conseil privé énoncent les conditions et les principes qui régissent la participation de la S.C.A. à ce système de remboursement, de même que les types d'aide que la S.C.A. peut fournir. Plus particulière- ment, la S.C.A. est autorisée à fournir aux agricul- teurs admissibles les formes d'aide suivantes:
a) le report des paiements à la fin du contrat hypothécaire;
b) le refinancement au moyen d'autres prêts de la S.C.A., p. ex.: prêts ordinaires, prêts à risques partagés ou prêts basés sur les prix des denrées;
c) le réamortissement du prêt (y compris les arrérages);
d) l'octroi de prêts de consolidation de dettes;
e) l'octroi de baux pouvant atteindre cinq ans; t) le détachement de dettes—cette mesure consisterait à arrêter l'accumulation des futures intérêts sur une partie de la dette pendant une période de temps;
g) l'annulation des arrérages d'intérêt;
h) la revente de terrains à bâtir aux agriculteurs en phase de départ;
i) l'arrêt de l'accumulation des intérêts afin d'allouer une période de temps raisonnable aux agriculteurs en phase de départ pour qu'ils puissent vendre leurs éléments d'actif; et
j) autres méthodes suscitées par les audiences des Bureaux d'examen de l'endettement agricole.
Si j'ai bien compris, cette liste d'options fait partie des renseignements que les demandeurs désireraient voir distribuer à tous les agriculteurs en difficulté financière qui sont clients de la S.C.A. Malheureuse-
ment, ils semblent avoir mal saisi la méthode utilisée
pour accéder au Fonds d'examen. Pour ce faire, la S.C.A. doit être convaincue soit de la viabilité future de l'exploitation agricole, soit que l'agriculteur a besoin d'une aide pour protéger son avoir pendant qu'il abandonne progressivement l'agriculture. Dans l'un ou l'autre cas, la S.C.A. doit s'assurer que toute concession consentie, dans le cadre du processus d'examen de l'endettement agricole, est effectuée sur une base commerciale sensée. Les agriculteurs eux- mêmes n'ont pas directement accès au Fonds d'exa- men, et c'est la S.C.A. qui doit déterminer si un agri- culteur ou un emprunteur est admissible à une con cession particulière.
En vertu de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédé- rale, le Parlement a conféré à la Section de première instance de la Cour fédérale le pouvoir exclusif d'ac- corder le type de redressement par voie d'injonction et de déclaration que cherchent à obtenir les deman- deurs. Cependant, pour obtenir réparation aux termes de l'article 18, les défendeurs contre lesquels la répa- ration est demandée doivent être visés par la défini- tion d'un «office fédéral» qui est donnée à l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale (Hamilton (City of) v. Hamilton Harbour Commissioners, [1972] 3 O.R. 61 (C.A.)). Bien que la S.C.A. et le B.E.E.A. soient en principe des organismes qui exercent une compé- tence ou des pouvoirs que leur confère une loi du Parlement et qui semblent donc relever de la compé- tence de la Cour fédérale, cette dernière doit exami ner les circonstances particulières de l'affaire avant de trancher une telle question.
Dans l'affaire Canada Metal Co. Ltd. et al. v. Canadian Broadcasting Corp. et al. (No. 2) (1975), 11 O.R. (2d) 167 (C.A.), le juge d'appel MacKinnon, s'exprimant au nom des membres unanimes de la Cour d'appel de l'Ontario, a déclaré que la Canadian Broadcasting Corporation (Société Radio-Canada), un organisme qui exerce des pouvoirs que lui confère une loi du Parlement, n'est pas un «office fédéral», au sens de l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale, lorsqu'elle a pour entreprise de diffuser des émis- sions. La Cour a établi qu'une personne morale qui exploite son entreprise et qui, dans les circonstances, ne présente aucune des caractéristiques d'un office fédéral, ne tombe pas sous le coup de la définition indiquée à l'alinéa 2g).
Dans l'affaire Wilcox c. Société Radio-Canada, [1980] 1 C.F. 326 (lre inst.), le juge en chef adjoint Thurlow (tel était alors son titre) s'est penché sur la question de la compétence de la Cour fédérale dans le contexte d'une demande de jugement déclaratoire contre la Société Radio-Canada. Le juge Thurlow a déclaré que l'expression qui figure à l'alinéa 2g) n'inclut pas les pouvoirs particuliers que peut exercer une société ordinaire créée en vertu d'une loi fédé- rale, qui ne sont que des éléments accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée.
Il s'agit d'une interprétation qu'ont plus tard appli- quée la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire Aeric, Inc. c. Président du conseil d'administration, Société canadienne des postes, [1985] 1 C.F. 127 (C.A.), ainsi que le juge Rouleau, dans Toronto Independent Dance Enterprise c. Conseil des arts du Canada, [1989] 3 C.F. 516 (Ire inst.). Dans cette dernière affaire, il était demandé au juge Rouleau de détermi- ner si le Conseil des arts du Canada, un organisme public qui avait été créé par une loi du Parlement et qui distribuait des fonds publics, devait être soumis à une obligation imposée par l'équité envers les bénéfi- ciaires éventuels de ces fonds. En concluant que la Cour fédérale n'avait pas compétence en la matière parce que le Conseil n'était pas un «office fédéral» au sens de l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale, mon confrère Rouleau la page 525) a pris en compte divers facteurs, tels que l'absence de contrôle de la part de l'État sur l'attribution des fonds du Con- seil et la latitude absolue accordée à ce dernier pour ce qui était d'établir ses propres normes et procédures en vue d'exécuter son mandat. Le juge a aussi ajouté que [TRADUCTION] «Le fait qu'il a été créé par le gou- vernement et qu'il distribue des fonds publics n'est pas en soi déterminant».
Les décisions de la S.C.A. au sujet du compromis le plus sensé sur le plan commercial auquel en arriver avec un client ou du recours le plus approprié à exer- cer contre un emprunteur qui est en retard dans ses paiements sont prises dans le cadre de son entreprise autorisée, c'est-à-dire l'octroi de prêts commerciaux. Dans ces circonstances, la S.C.A. ne possède aucune des caractéristiques d'un «office fédéral», car il s'agit exactement des décisions que tous les prêteurs com- merciaux sont tenus de prendre. L'État n'exerce absolument aucun contrôle sur les critères qu'utilise
la S.C.A. pour déterminer qui doit bénéficier de con cessions ou d'un compromis déterminés. En outre, la Loi sur le crédit agricole accorde à la S.C.A. une lati tude absolue pour ce qui est d'établir ses propres normes dans le but d'exécuter son mandat (voir les articles 11, 20, 25, 34 et 40).
Les demandeurs demandent à la Cour d'examiner les pouvoirs particuliers de la S.C.A. qui constituent des éléments accessoires de son entreprise autorisée que sont les prêts commerciaux. D'après la décision Wilcox, la Cour n'a pas compétence pour connaître de la présente requête des demandeurs ou de leur action principale contre les défendeurs car, dans les circons- tances de l'espèce, la S.C.A. n'entre pas dans la défi- nition d'un «office fédéral», qui figure à l'alinéa 2g) de la Loi sur la Cour fédérale.
En ce qui concerne le B.E.E.A., les circonstances qui entourent le rôle qu'il joue dans les questions qui sont analysées ici font aussi qu'il est impossible de considérer que cet organisme est un «office fédéral» tombant sous le coup de l'alinéa 2g). Le B.E.E.A. n'a pas accès au Fonds d'examen ou n'exerce aucun con- trôle sur ce dernier. Il n'a aucun pouvoir sur les déci- sions que prend la S.C.A. En fait, à part le pouvoir de proroger une suspension d'instance obtenue par des créanciers, ou d'y mettre fin, en vertu des articles 26 et 29 de la Loi sur l'examen de l'endettement agri- cole (qui n'est pas en cause en l'espèce), le B.E.E.A. ne jouit d'aucun pouvoir décisionnel. En ce qui a trait au rôle que ce Bureau a joué auprès des demandeurs, on n'a fait appel à lui que pour servir d'intermédiaire dans les négociations entre la S.C.A. et ses clients qui étaient en difficulté financière. Selon moi, un office qui n'agit que comme médiateur et ne possède aucun pouvoir décisionnel n'est pas un «office» au sens de la Loi sur la Cour fédérale. En conséquence, la pré- sente Cour n'est pas non plus compétente pour con- naître d'une demande de réparation dirigée contre le B.E.E.A.
Conclusion:
Bien que la Règle 401 vise à traiter des questions qui mettent en cause la compétence de la Cour et que la Règle 419(1)a) soit destinée à traiter de la question de savoir s'il existe une cause raisonnable d'action en supposant que l'affaire soit du ressort de la Cour, le fait de n'avoir pas indiqué la règle exacte ne fait pas
échouer le fond de la requête (Concept Omega Corp. c. Logiciels KLM Ltée (1987), 15 C.I.P.R. 312 (C.F. ire inst.). Comme la présente Cour n'a pas compé- tence pour accorder la réparation que sollicitent les demandeurs dans les circonstances, je me dois d'ac- cueillir la requête en radiation des défendeurs et de rejeter la requête des demandeurs ainsi que leur action contre les défendeurs, avec dépens.
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