Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-66-91
Jegathas Sivaguru (requérant) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIA' S/VAGURU C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATIONS (C.A.)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone, J.C.A.—Toronto, 15 janvier; Ottawa, 27 janvier 1992.
Immigration Statut de réfugié Un membre de la section du statut de réfugié a demandé, de son propre chef des rensei- gnements du Centre de documentation Utilisation de docu ments pour contre-interroger le revendicateur sur des ques tions auxquelles il avait donné des réponses concordantes lorsqu'il avait été interrogé par son avocat et l'agent d'au- dience Obligation d'informer les parties et de leur donner l'occasion de présenter des observations Le membre de la Commission a tendu un piège au revendicateur Il aurait fallu que le membre révèle ses doutes et qu'il fournisse la documentation aux deux parties Décision annulée pour cause de crainte raisonnable de partialité.
Contrôle judiciaire Immigration Un membre de la sec tion du statut de réfugié a demandé des renseignements dont il n'avait pas été question à l'audience Le revendicateur a été contre-interrogé sur ces renseignements La Loi sur l'immi- gration confère à la Section des pouvoirs étendus pour admet- tre des faits d'office Les pouvoirs conférés doivent être exercés dans le cadre d'une audience L'audience doit être équitable Le critère pour établir la partialité consiste à se demander si une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arri- verait à cette conclusion Il y avait crainte raisonnable de partialité en l'espèce.
Il s'agit d'un appel d'une décision de la section du statut de réfugié portant que l'appelant n'était pas un réfugié au sens de la Convention.
L'appelant est un Tamoul de nationalité sri-lankaise. A l'au- dience, il a témoigné au sujet des rapports qu'il avait, au Sri Lanka, avec une organisation politique tamoule, soit le LTTE. Dans son témoignage, il a affirmé qu'il avait travaillé à diffu- ser des renseignements auprès du public pour le LTTE de 1979 à
1983, mais qu'il avait quitté l'organisation quand il a su qu'elle avait commencé à commettre des actes de violence. Au cours d'un ajournement des procédures, le membre qui a rédigé les motifs du tribunal a fait parvenir une demande de renseignements au Centre de documentation de la Commis sion. Il a reçu et examiné les documents avant la reprise de l'audience. Il y avait, parmi ces renseignements, des articles selon lesquels le LITE aurait commis des attentats mortels dès
1979. Après que l'appelant eut été interrogé par son propre avocat et l'agent d'audience, le membre l'a contre-interrogé sur ces articles.
Arrêt: l'appel devrait être accueilli.
Bien que la Loi prévoie, aux paragraphes 68(3) et 68(4), que la section du statut de réfugié n'est pas liée par les règles légales de présentation de la preuve et qu'elle peut admettre d'office les renseignements qui sont du ressort de sa spécialisa- tion, le paragraphe 68(5) prévoit que les parties doivent en être informées et la section doit leur donner la possibilité de pré- senter leurs observations sur tout élément autre que les faits qui peuvent être admis d'office en justice. Les pouvoirs étendus de la Commission sont conférés afin d'être exercés dans le cadre d'une audience, et ils doivent être exercés sous réserve de la norme générale voulant que l'audience soit équitable. L'équité implique l'impartialité du tribunal. Les questions posées par un membre peuvent traduire un état d'esprit ou une attitude peu propice à l'impartialité. Le pouvoir accordé par la Loi d'ad- mettre des faits d'office atteste de la difficulté qu'il y a à découvrir tous les faits relatifs aux revendicateurs arrivant de contrées lointaines. Cependant, il ne permet pas à un membre de se mettre en quête d'éléments de preuve comme il a été le cas en l'espèce, par un moyen qui allait nécessairement cor- rompre la fonction de la Commission, chargée d'agir à titre de tribunal impartial. Le membre ne s'est pas limité à clarifier les questions soulevées par les parties, puisque ses questions por- taient sur des objets qui avaient déjà été traités par les avocats des deux parties sans révéler d'incohérences. Son objectif, semble-t-il, était de tendre un piège au requérant. Le membre aurait pu faire part de ses doutes à l'audience et demander que la documentation soit mise à la disposition des deux parties. La situation en l'espèce remplissait le critère d'une crainte raison- nable de partialité établi dans l'arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, c'est- à-dire qu'une personne bien renseignée qui étudierait la ques tion en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arriverait à conclure qu'il est plus vraisemblable que le tribunal ne rendrait pas une décision équitable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. 1-2, art. 67 (mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 18), 68 (mod., idem), 69.1 (édicté, idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369; (1976), 68 D.L.R. (3d) 716; 9 N.R. 115.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64
N.R. I; 14 O.A.C. 79; Yusuf c. Canada (Ministre de l'Em-
ploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 629 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Mahendran c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 30 (C.A.F.); Rajarat- nam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), A-824-90, juge Stone, J.C.A., jugement en date du 5-12-91, C.A.F., encore inédit.
AVOCATS:
Raoul Boulakia pour l'appelant. Marie-Louise Wcislo pour l'intimé.
PROCUREURS:
Raoul Boulakia, Toronto, pour l'appelant.
Le sous procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE STONE, J.C.A.: Le présent appel met en cause, à la fois, la régularité des procédures suivies par la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié à l'audience relative à la revendication, et la décision qu'elle a rendue. Les questions de procédure revêtent une cer- taine importance. Vu la conclusion à laquelle je suis arrivé relativement à ces questions, je suis dispensé d'examiner le fond de la décision.
L'appel est interjeté d'une décision, rendue le 11 septembre 1990, portant que l'appelant, un citoyen du Sri Lanka, n'était pas un réfugié au sens de la Con vention, conformément à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, et ses modifications. L'ap- pelant avait revendiqué le statut de réfugié peu de temps après son arrivée au Canada, le 10 mai 1989.
Pour bien placer les objections d'ordre procédural dans leur contexte, il faut en expliquer la genèse. L'audience relative à la revendication a été tenue à Vancouver (C.-B.), les 21 septembre et 16 novembre 1989, devant une formation de la Commission com posée d'Edith Nee, la présidente de l'audience, et de Charles Groos, membre de la Commission. À l'ou- verture de l'audience, les deux parties ont présenté des documents que la Commission a accepté d'«ad- mettre d'office» plutôt que d'exiger qu'ils soient
dûment prouvés. L'avocat de l'appelant, Me Bhatti, a ensuite procédé à l'interrogatoire principal de son client.
Au cours de cet interrogatoire, l'appelant a déclaré avoir appartenu à une organisation tamoule connue sous le sigle L FIE, ou l'avoir appuyée entre 1979 et 1983. Son rôle, a-t-il dit, consistait à organiser des réunions et à diffuser les idées politiques du L1TE auprès du grand public, la principale étant que le peu- ple tamoul devait pouvoir jouir des mêmes droits que la majorité cingalaise, vivre en paix et jouir de la même liberté que le reste de la population. Tout au long de l'interrogatoire principal et des interroga- toires menés par l'agent d'audience et les membres du tribunal, l'appelant a bien précisé qu'il ignorait si le L FIE avait commis des actes de violence entre 1979 et 1983. Ainsi, au cours de son interrogatoire principal, il a fait la déposition suivante, rapportée à la page 8 de la transcriptions:
[TRADUCTION] Q. Maintenant, précisons l'époque à laquelle vous diffusiez ces renseignements.
R. À partir de 1979, jusqu'en 1983, ils employaient des moyens pacifiques, sans violence.
Q. Et quelle était la structure du LTTE à cette époque?
R. Sous la direction de Prabaharan, P-r-a-b-a-h-a-r-a-n, il était bien organisé et ne commettait pas d'actes de vio lence.
Q. L'organisation comportait-il plusieurs groupes?
R. Il y avait des groupes comme EROS, E-R-O-S, PLOTE, P-L-O-T-E et quelques autres.
Q. Quel euh ... étiez-vous lié à un groupe particulier du LTTE?
R. J'agissait particulièrement sous la direction de Prabaha- ran, dont j'expliquais les idées politiques.
Q. Avez-vous pris part à des activités violentes?
R. Non.
Q. Euh ... avez-vous déjà prôné l'emploi de la violence?
R. Jamais.
Selon son témoignage, rapporté à la page 9 de la transcription 2 , les idées politiques du LYIE auraient changé après 1983:
[TRADUCTION] Q. Pourquoi diffusiez-vous la cause du LITE plutôt que celle d'un autre groupe?
I Dossier d'appel, vol. 2, à la p. 136. 2 Ibid., à la p. 137.
R. Parce qu'ils étaient—ils prônaient surtout l'emploi de moyens pacifiques et parce que tout conduisait à croire qu'ils obtiendraient la liberté des Tamouls.
Q. Bien. A votre avis, les idées politiques du LTTE à l'égard de la violence, ont-elles changé à un moment donné?
R. Après 1983, la situation s'est progressivement dégradée pour devenir de plus en plus violente.
Q. Vous dites que vous diffusiez des renseignements. Qu'entendez-vous par là?
R. Il s'agissait d'informer les autres groupes et la popula tion tamoule en général que le LTTE était sur la bonne voie et qu'il mettait en œuvre ses idées politiques par des moyens pacifiques.
Il a également fait la déposition suivante, rapportée aux pages 10 et 11 de la transcription 3 :
[TRADUCTION] Q. Bien. Vous avez mentionné que votre partici pation avait duré jusqu'en 1983. Qu'est-ce qui a changé en 1983, le cas échéant?
R. Ils ont commencé à porter des armes et la situation s'est dégradée: ils avaient recours à la violence, que je désap-
prouvais, et à laquelle je ne pouvais pas participer.
Q. Parlez-vous maintenant du LTTE en général ou des acti- vités du LTTE dans le village vous étiez?
R. En général.
L'agent d'audience a alors interrogé l'appelant sur ses réponses données précédemment. L'appelant a fait le témoignage suivant, rapporté aux pages 51 et 52 de la transcription 4 :
[TRADUCTION] Q. Et vous avez affirmé qu'en 1983, la politique du LTTE avait changé et euh ... et qu'ils ont alors commencé à porter des armes et à prôner le recours à la violence pour obtenir les droits revendiqués?
R. Oui.
Q. Cette politique avait-t-elle changé soudainement ou pro- gressivement?
R. Ça c'est fait graduellement.
Q. Comment vous en ôtes-vous rendu compte?
R. Ils ont commencé à tuer des gens, c'est que j'ai su.
Q. Quand cela s'est-il produit exactement?
R. En 1983, le LTTE a attaqué le poste de police à C-h-a-v- a-k-a-c-h-c-h-e-r-i.
Q. Cette attaque a-t-elle eu lieu à la fin de l'année? A quelle époque cela s'est-il passé?
3 Ibid., aux p. 138 et 139.
4 Ibid., aux p. 179 et 180.
R. Je ne suis pas certain.
Q. Avant cette attaque dirigée contre le poste de police, saviez-vous qu'ils avaient commencé à porter des armes et qu'ils prônaient la violence?
R. Non. Je ne le savais pas.
Q. Comment savez-vous que le LTTE était l'auteur de cet attentat?
R. C'était de notoriété publique.
Q. De quelle manière avez-vous mis fin à votre association avec le LTTE?
R. Parce que je m'opposais au fait qu'ils se sont soudaine- ment —qu'ils ont graduellement commencé à porter des armes et à avoir recours à la violence. Je me suis disso- cié d'eux.
Avant que l'agent d'audience n'ait pu conclure son interrogatoire, l'audience a été ajournée au 16 novembre 1989, 9 heures.
Pour comprendre ce qui s'est passé ensuite, nous devons nous reporter aux motifs de la décision, en date du 11 septembre 1990, rédigés par le membre de la Commission, M. Groos, auxquels a souscrit la pré- sidente de l'audience. L'exposé suivant figure aux pages 14 et 15 de ces motifs 5 :
[TRADUCTION] A la levée de l'audience du 21 septembre, je dou- tais déjà très sérieusement du témoignage du demandeur qui avait dépeint le LTTE comme une organisation politique tamoule non violente de 1979 à 1983. J'estimais que ce témoi- gnage ne concordait pas avec l'impression que m'avaient don- née des renseignements dont j'avais pris connaissance dans le cadre de mes fonctions de membre chargé d'exercer la compé- tence spécialisée de la section. Cependant, il s'agissait simple- ment d'une impression générale qui n'était nullement fondée sur des faits particuliers dont je pouvais informer le demandeur et qui auraient été suffisamment précis pour se conformer au paragraphe 68(5) de la Loi.
Le membre de la Commission expose ensuite les motifs qui l'ont amené à prendre la mesure qu'il décrit aux pages 17 et 18 des motifs 6 :
[TRADUCTION] J'avais ensuite le choix de demander moi-même des renseignements au centre de documentation de la Commis sion ou de demander à l'agent d'audience de le faire. Je préfère normalement cette deuxième manière de procéder. Cependant, en l'espèce, cette manière de faire, qui obligeait l'agent d'au- dience à réitérer ma demande, aurait simplement retardé d'au- tant toute réponse, laquelle risquait d'arriver après la date de la reprise de l'enquête, sans que quiconque ne puisse en profiter. J'ai donc moi-même envoyé directement au Centre de docu-
5 Dossier d'appel, vol. 3, aux p. 398 et 399.
6 Ibid., à la p. 401.
mentation la demande de renseignements en date du 25 sep- tembre 1989 (laquelle fait partie de la pièce 9).
Le 15 novembre 1989,1a section à Vancouver a reçu du centre la réponse à ma demande, datée du meme jour. Je l'ai vue pour la première fois vers 16h30 ce jour-là, une fois les audiences de la journée terminées. En la parcourant brièvement, je me suis tout de suite rendu compte qu'elle contredisait le témoi- gnage du demandeur. Cependant, je n'ai pu la faire copier avant le lendemain matin pendant l'audience qui reprenait.
En fait, la lettre de demande ne se trouve pas au dos sier.
Le jour suivant, c'est-à-dire le 16 novembre 1989 à
9 heures, l'audience a repris. L'agent d'audience a poursuivi son interrogatoire de l'appelant pendant une bonne partie de la matinée. Tout de suite après cet interrogatoire, l'appelant a été interrogé par M. Groos, le membre de la Commission. Au début de cet interrogatoire, ce dernier a posé les questions sui- vantes à l'appelant, rapportées aux pages 34 et 35 de la transcription 7 :
[rRADucriox] Q. Je sais que vous avez déjà répondu à cette question mais, seulement pour m'en assurer, quand avez-vous travaillé pour la première fois pour le LTTE?
R. En 1979.
Q. Pourriez-vous nous dire quel mois?
R. Pas exactement; au début de 1979.
Q. Voulez-vous dire les trois premiers mois ou les six pre miers mois?
R. Les trois premiers mois de cette année-là.
Q. Et encore une fois, seulement pour éclaircir—éclaircir les choses et me rafraîchir la mémoire: quand avez-vous cessé de travailler avec eux en 1983?
R. En janvier 1983.
Q. Est-ce que tout votre travail pour le LTTE de 1979 à jan- vier 1983 a été fait dans la région de Jaffna?
R. Oui.
Un peu plus loin, aux pages 35 37 de la transcrip tion$, M. Groos a posé les questions suivantes à l'ap- pelant au sujet des activités violentes dont le L avait été l'auteur entre 1979 et 1983:
[rRADucnox] Q. Qu'en est-il d'activités violentes en 1979?
R. Ils ont commencé par—ils ont d'abord, ils ont toujours cru qu'il faillait trouver des solutions pacifiques et résoudre les problèmes par les négociations.
7 Ibid., aux p. 322 et 323.
8 Ibid., aux p. 323 à 325.
Q. Mais, vous souvenez-vous si le LTTE a été l'auteur d'ac- tivités violentes en 1979?
R. Non, je ne me souviens pas.
Q. Euh ... j'ai dans l'idée, j'ai peut-être tort, que le LTTE, dès ses débuts, était une organisation violente qui a com- mis des actes violents, y compris des vols de banques et l'assassinat de policiers dès 1979.
R. Autant que je me souvienne, le LTTE n'a pas commis de tels actes mais je connais plusieurs autres groupes qui ont participé à certains des incidents qui ont été men- tionnés.
Q. Ainsi, vous ne vous souvenez pas que le LTTE ait parti- cipé à de telles activités violentes avant quelle date?
R. Pour autant que je le sache, ils ont pris part à"de telles activités après 1983.
Q. Vous souvenez-vous des noms des dirigeants du LTTE à l'époque vous avez adhéré à ce groupe, en 1979 jus- qu'en 1983?
R. Prabaharan, P-r-a-b-a-h-a-r-a-n; Kittu, K-i-t-t-u et Mathia, M-a-t-h-i-a.
Q. Prabaharan est-il le chef suprême du LTTE?
R. Oui.
Q. Et qui est Kittu?
R. Ces deux hommes occupaient respectivement les deuxième et troisième postes de commandement.
Q. Occupaient-ils les trois premiers postes de commande- ment du LTTE à partir du moment vous avez adhéré à cette organisation?
R. Oui.
Q. J'ai dans l'idée que Prabaharan est célèbre pour avoir, au cours d'un incident, personnellement tué huit ou neuf policiers sri-lankais dans la région de Jaffna en 1979 ou 1980 et peut-être en 1981.
R. Je ne suis pas au courant de cela.
Q. J'ai également dans l'idée qu'au cours de la période de 1979 1981, le LITE était impliqué dans un grand nom- bre de vols de banques commis dans la région de Jaffna.
R. Je ne peux rien dire à ce sujet, je ne suis pas certain.
Q. J'ai également dans l'idée que dès le tout début, le LTTE faisait assassiner tout tamoul qui s'y opposait ouverte- ment, même à partir de 1979.
R. Oui, c'est vrai.
Le membre de la Commission n'avait pas terminé son interrogatoire au moment l'audience a été sus- pendue pour le dîner.
Lorsque l'audience a repris à 13h30, l'avocat de l'appelant a demandé et obtenu un court ajournement car, selon ses propres termes, l'appelant lui avait
[TRADUCTION] «relaté certaines choses au sujet de l'af- faire» pendant la pause de midi. À 14 heures, lorsque l'audience a repris de nouveau, la présidente de l'au- dience a demandé à l'avocat de l'appelant s'il [TRA- DUCTION] «(avait) quelque chose». Celui-ci a répondu qu'il [TRADUCTION] «(n'avait) rien pour l'instant». L'avocat de l'appelant a alors été prié de procéder au réinterrogatoire, mais avant qu'il n'ait pu le faire, l'échange suivant 9 a eu lieu entre M. Groos et lui:
[TRADUCTION] M. GROOS:
Avant de commencer votre interrogatoire, Maître, je crois devoir vous dire que ce midi, j'ai reçu—excusez moi, hier soir j'ai reçu une longue réponse à une demande de rensei- gnements qui n'a été photocopiée qu'à midi. Il y a un nom- bre considérables de documents ici. Je n'ai lu que partielle- ment...
LA PRÉSIDENTE DE L'AUDIENCE:
Pourriez-vous m'en donner un exemplaire, s'il vous plaît?
M. GROOS: Excusez-moi.
Ma demande en date du 25 septembre 1989 est annexée et il y a une réponse en date du 15 novembre que j'ai reçue à 16h30 hier et que j'ai fait photocopier ce matin. Je n'ai pas lu tous ces documents mais je crois opportun de vous signa- ler que le premier article, c'est-à-dire l'article paru dans le Illustrated Weekly of India du 25 octobre 1987, relate l'en- trevue avec M. Kittu, dont le demandeur a mentionné le nom et que cet article contredit en grande partie le témoignage de votre client.
Me BHATTI:
Avant que vous ne poursuiviez, il y a quelque chose que— c'est un peu délicat, mais enfin, la raison pour laquelle j'ai obtenu ou demandé l'ajournement se rapporte en partie à ce que vous venez de me remettre et je vais maintenant deman- der à mon client de commenter quelques-unes des réponses qu'il a fournies aux questions qui—ou, du moins, de com- menter en partie le contenu de cet article. Certes, tout ce que je voulais dire à ce moment-ci est que je crois savoir ce que vous essayez de me dire et euh ... je vous prie de continuer si vous avez quelque chose à ajouter.
M. GROOS:
En définitive, ses réponses au sujet des vols de banques et des meurtres de policiers commis par le LTTE avant 1983 ne concordent pas avec les documents que vous avez mainte- nant devant vous.
L'appelant a ensuite fait l'objet d'un réinterroga- toire, au cours duquel il a témoigné comme suitl 0 :
[TRADUCTION] QUESTION POSÉE PAR Mc BHATTI:
9 Ibid., aux p. 333 et 334. Io Ibid., aux p. 335 à 337.
Q. M. Sivaguru, je pense que vous savez ce dont nous par- lons. Nous en avons discuté au dîner aujourd'hui et il s'agit des réponses que vous avez données selon les- quelles vous ne saviez absolument pas que le LTTE avait participé à des actes de violence avant 1983. Dites-moi ce que vous m'avez dit à l'heure du dîner.
R. Au dîner, j'ai avoué à mon avocat, Me Bhatti, qu'aux questions qui m'avaient été posées au sujet des activités violentes du LTTE, je lui ai dit que je n'avais pas, par crainte, avoué savoir qu'ils avaient commis des actes de violence.
Q. Êtes-vous en train de dire que vous saviez quelque chose au sujet des actes de violence?
R. Oui, j'en savais quelque chose.
Q. M. Groos a mentionné quelques exemples précis, notam- ment l'allégation selon laquelle Prabaharan aurait tué neuf policiers. En saviez-vous quelque chose?
R. Oui.
Q. M. Groos a également mentionné des vols de banque. Saviez-vous que des actes de violence, à savoir des vols de banque, avaient été commis avant 1983?
R. Oui.
Q. Pourquoi avez-vous répondu que vous ne saviez pas ces choses ou qu'il ne s'agissait pas d'une organisation vio- lente?
R. J'avais—je craignais surtout que si j'avouais savoir que le LTTE avait commis des actes de violence, on me soupçonnerait d'être, comme eux, soit un terroriste ou une personne portée à la violence. En plus, lorsque j'ai d'abord—lorsque je me suis présenté à la première audience en septembre de cette année, j'ai entendu d'une autre source que M. Charles Groos était un homme intraitable dont il fallait se méfier, de sorte que j'avais peur.
Q. Et qu'en est-il du reste de votre témoignage, est-il—a- vez-vous, de peur, fait d'autres fausses déclarations?
R. Non.
Q. En êtes-vous certain?
R. J'en suis certain.
Q. Alors dites-nous donc que vous saviez ce que le LTTE faisait de 1979 à 1983 alors que vous en étiez membre.
R. Je sais qu'à cette époque, un dénommé K-u-t-t-y a été— qui avait parlé contre le LTTE a été assassiné et qu'un de ses cousins qui travaillait comme chauffeur, un chauf feur d'autobus au service de l'office des transports sri- lankais a aussi été tué ainsi que sa famille parce qu'ils étaient opposés au LTTE.
Q. Vous avez dit que vous aviez connaissance de quelques- unes des activités de Prabaharan et des vols de banque. Qu'est-ce que cela vous faisait? Qu'est-ce que cela vous
faisait de faire partie d'un groupe qui exerçait ce genre d'activités?
R. Même s'ils voulaient en arriver à une solution pacifique au problème tamoul, ils ont effectivement commis de tels actes de violence qui étaient parfois dispropor- tionnés mais je n'ai jamais, à aucun moment, approuvé ce qu'ils ont fait.
Par la suite, l'appelant a expliqué qu'un tamoul qu'il avait rencontré soit en voyage ou à l'aéroport de Toronto lui avait conseillé de ne pas dire la vérité car autrement, la [TRADUCTION] «Commission dont il fal- lait se méfier», dont faisait partie [TRADUCTION] «un homme intraitable dont il fallait se méfier.»—c'est-à- dire M. Groos—le classerait comme terroriste et ne lui permettrait pas de rester au Canada. Il a également témoigné qu'il avait été absolument franc jusqu'à ce que M. Groos commence à l'interroger.
Avant la fin de l'audience, du commun accord des parties, la Commission a demandé à l'avocat de l'ap- pelant de déposer, au plus tard le 15 décembre 1989, une plaidoirie écrite ou, puisque de nouveaux élé- ments de preuve avaient été présentés, de solliciter une réouverture de l'enquête. La Commission a demandé à l'agent d'audience de déposer une réponse écrite, au plus tard le 5 janvier 1990. Enfin, la Com mission a demandé à l'avocat de l'appelant de dépo- ser une réplique, s'il y avait lieu, au plus tard le 12 janvier 1990. L'avocat de l'appelant a effectivement déposé ses arguments le 9 janvier 1990 après quoi l'agent d'audience a déposé une courte plaidoirie. Aucune réplique n'a été déposée. Dans une lettre du 19 juin 1990, le greffier adjoint de la Commission a écrit à Me Bhatti pour l'informer qu'il avait ['TRADUC- TION] «jusqu'au 6 juillet 1990... pour présenter d'autres éléments de preuve ainsi que tous les autres arguments de droit et de faits y afférents (qu'il jugeait) opportuns». Me Bhatti n'a pas donné suite à cette lettre.
Dans ses motifs écrits, M. Groos a longuement expliqué pourquoi il avait jugé nécessaire et correct de demander les éléments de preuve qui faisaient par- tie de la pièce 8 et pourquoi il les avait utilisés comme il l'avait fait à la reprise d'audience du 16 novembre 1989. Cette explication figure aux pages 15 à 17 des motifs 11 , il a affirmé ce qui suit:
i i Ibid., aux p. 399 à 401.
[TRADUCTION] Conformément au paragraphe 69.1(1) de la Loi, la section doit entendre les revendications dont elle est saisie. Elle a donc le pouvoir d'obtenir les éléments de preuve très pertinents qui risquent de ne pas être présentés par ailleurs.
C'est dans le contexte de la Loi, qui charge de statuer rapide- ment sur chaque revendication que se pose la question de savoir si les membres de la section devraient, lorsqu'ils tien- nent une audience à cet égard, obtenir des éléments de preuve de leur propre chef.
La section peut charger l'agent d'audience de présenter à l'au- dience tous les éléments de preuve pertinents raisonnablement disponibles qui sont nécessaires aux fins d'une instruction approfondie de l'affaire. Cependant, en vertu du paragraphe 68(2) de la Loi, l'affaire doit être entendue sans formalisme et avec célérité, dans la mesure les circonstances et l'équité le permettent, et sans ajournement des procédures susceptible de causer une entrave sérieuse, contrairement au paragraphe 69(6) de la Loi. En vertu du paragraphe 69.1(9), la section doit ren- dre sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possible après l'audience.
Je me suis d'abord demandé si je pouvais, pour que l'affaire soit instruite de façon approfondie, prendre l'initiative, d'obte- nir des éléments de preuve. Il est peut-être rare qu'un juge prenne une telle initiative, surtout pour obtenir des éléments de preuve qui, s'ils existaient, pourraient manifestement causer un tort important au crédit du demandeur. Dans bien des cas, l'is- sue de la revendication dépend de cette question lorsque le demandeur est l'unique témoin.
Cependant, je ne suis pas un juge et la section n'est pas une cour de justice. Je suis membre d'un tribunal administratif fédéral inférieur quasi-judiciaire qui, en vertu du paragraphe 69.1(1) de la Loi «entend» les revendications dont il est saisi. Bien que la ministre puisse participer aux audiences, son rôle se limite à y produire des éléments de preuve et elle ne peut, par ailleurs, contester une revendication à moins qu'elle ne soit d'avis, conformément à l'alinéa 69.1(5)b) de la Loi, que la revendication met en cause les clauses d'exclusion ou de cessa tion.
Toutefois, la ministre participe rarement aux audiences tenues devant la section. En l'espèce, elle n'avait pas donné d'avis de son intention de participer. En outre, toute participation de sa part semblait peu probable, sous réserve d'imprévu.
À mon avis, il y va de l'intérêt public que la section prenne des mesures pour veiller à ce que les dispositions de la Loi rela tives à la détermination du statut de réfugié dans des procé- dures dont elle est dûment saisie, et en matière desquelles le paragraphe 67(2) de la Loi lui accorde la compétence exclu sive, soient administrées conformément aux objectifs de la Loi. Les objectifs énoncés au paragraphe 3 de la Loi montrent clai- rement qu'à cette fin, des mesures doivent également être pri ses pour veiller à ce qu'on ne puisse se prévaloir des disposi tions de la Loi à des fins frauduleuses ou de toute autre façon
irrégulière, de sorte que quiconque revendique le statut de réfu- gié au sens de la Convention puisse se voir reconnaître ce sta- tut sans droit. A cette fin, des mesures doivent également être prises pour veiller à ce que seuls les véritables réfugiés au sens de la Convention puissent s'en prévaloir.
Par conséquent, il était nécessaire, dans l'intérêt public, que les lois du Canada soient correctement administrées, de prendre des mesures efficaces et rapides pour veiller à ce que les élé- ments de preuve raisonnablement disponibles et qui semblaient susceptibles d'être très pertinents soient présentés à l'audience et ce, indépendamment du fait qu'ils pouvaient infirmer ou confirmer les allégations du demandeur. Je prendrais les mêmes mesures pour veiller à ce que des éléments de preuve soient présentés au besoin, si je croyais raisonnablement qu'ils pouvaient confirmer les allégations d'un demandeur.
L'appelant prétend que la manière dont M. Groos a obtenu, présenté et utilisé les éléments de preuve était extrêmement irrégulière et témoignait d'un préjugé contre l'appelant, ou donnait lieu à une crainte rai- sonnable de partialité. L'intimé prétend que les pro- cédures suivies étaient correctes puisque M. Groos, fort de son expérience et de ses connaissances acqui- ses comme membre du tribunal, avait des doutes quant à la véracité du témoignage de l'appelant qu'il avait entendu le 21 septembre 1989 et qu'il tentait de les dissiper. De toute manière, selon l'intimé, si les gestes de M. Groos ont pu causer un préjudice à l'ap- pelant, celui-ci avait eu toutes les chances voulues de le réparer avant que la Commission n'ait statué sur sa revendication le 11 septembre 1990.
Pour situer l'affaire dans son contexte, il faut reproduire les dispositions de la Loi qui ont une inci dence sur les questions de procédure. Il s'agit des articles 67 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap.
28, art. 18], 68 [mod., idem] et 69.1 [édicté, idem]:
67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence.
(2) La section du statut et chacun de ses membres sont investis des pouvoirs d'un commissaire nommé aux termes de la partie I de la Loi sur les enquêtes. Ils peuvent notamment, dans le cadre d'une audience:
a) par citation adressée aux personnes ayant connaissance de faits se rapportant à l'affaire dont ils sont saisis, leur enjoin- dre de comparaître comme témoins aux date, heure et lieu indiqués et d'apporter et de produire tous documents, livres ou pièces, utiles à l'affaire, dont elles ont la possession ou la responsabilité;
b) faire prêter serment et interroger sous serment;
c) par commission rogatoire ou requête, faire recueillir des éléments de preuve au Canada;
d) prendre toutes autres mesures nécessaires à une instruc tion approfondie de l'affaire.
68. (1) La section du statut siège au Canada aux lieux, dates et heures choisis par le président en fonction de ses travaux.
(2) Dans la mesure les circonstances et l'équité le per- mettent, la section du statut fonctionne sans formalisme et avec célérité.
(3) La section du statut n'est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve. Elle peut recevoir les éléments qu'elle juge crédibles ou dignes de foi en l'occur- rence et fonder sur eux sa décision.
(4) La section du statut peut admettre d'office les faits ainsi admissibles en justice de même que, sous réserve du para- graphe (5), les faits généralement reconnus et les renseigne- ments ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.
(5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d'office en jus tice, la section du statut informe le ministre, s'il est présent à l'audience, et la personne visée par la procédure de son inten tion d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions et leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet égard.
69.1 (1) La section du statut entend dans les meilleurs délais la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention dont elle est saisie aux termes du paragraphe 46.02(2) ou 46.03(5).
(2) Lorsque l'intéressé est sous le coup d'une mesure de ren- voi conditionnel ou d'un avis d'interdiction de séjour condi- tionnelle, la date de l'audience sur la revendication dont la sec tion du statut est saisie aux termes du paragraphe 46.02(2) ou 46.03(5) doit être fixée dans les dix jours qui suivent la fin de l'enquête.
(3) La section du statut notifie par écrit à l'intéressé et au ministre les date, heure et lieu de l'audience.
(4) L'audience sur la revendication se tient en présence de l'intéressé.
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des élé- ments de preuve, de contre-interroger des témoins et de pré- senter des observations, ces deux derniers droits n'étant toute- fois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article pre mier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
(6) Faute pour l'intéressé ou son avocat ou mandataire de comparaître aux date, heure et lieu fixés pour l'audience, ou si elle estime qu'il y a défaut par ailleurs de leur part dans la poursuite de leur réclamation la section du statut peut, après avoir donné à l'intéressé la possibilité de se faire entendre, conclure au désistement.
(7) Le quorum de la section du statut lors d'une audience tenue dans le cadre du présent article est constitué de deux membres.
(8) Sur demande de l'intéressé ou avec son consentement, la revendication peut être jugée par un seul membre de la section du statut; le cas échéant, les dispositions de la présente partie relatives à la section s'appliquent à ce membre et la décision de celui-ci vaut décision de la section.
(9) La section du statut rend sa décision sur la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention le plus tôt possi ble après l'audience et la notifie à l'intéressé et au ministre par écrit.
(10) En cas de partage, la section du statut est réputée rendre une décision en faveur de l'intéressé.
(11) La section du statut n'est tenue de motiver par écrit sa décision que si soit celle-ci est défavorable à l'intéressé, soit le ministre ou l'intéressé le demande dans les dix jours suivant sa notification, auquel cas la transmission des motifs se fait sans délai.
(12) Si elle conclut que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention et que la revendication de celui-ci n'a pas un minimum de fondement, la section du statut en fait état dans sa décision.
Il ressort clairement de ces dispositions que la Commission ne possède pas les pouvoirs d'une cour. Ses membres ne sont pas juges. Ils ne sont pas liés «par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve» et, «dans la mesure les circonstances et l'équité le permettent», ils sont tenus d'agir «sans
formalisme et avec célérité». La Commission est éga- lement tenue d'entendre la revendication, comme le prévoit expressément l'article 69.1. En outre, les pou- voirs conférés par le paragraphe 67(2) sont exercés «dans le cadre d'une audience». Bien que ces pou- voirs soient énoncés en termes larges, surtout aux ali- néas c) et d) de ce paragraphe, ils doivent être exercés sous réserve de la norme générale voulant que l'au- dience soit équitable et tenue selon les règles.
À mon avis, une audience ne répond à ces critères que dans la mesure la Commission agit avec impartialité. À mon sens, un membre de la Commis sion doit faire preuve de la même impartialité que doit avoir un juge, c'est-à-dire celle dont a parlé le juge LeDain dans l'arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673. À la page 685, Sa Sei- gneurie s'est exprimée en ces termes:
L'impartialité désigne un état d'esprit ou une attitude du tribu nal vis-à-vis des points en litige et des parties dans une ins tance donnée. Le terme «impartial», comme l'a souligné le juge en chef Howland, connote une absence de préjugé, réel ou apparent.
Dans trois affaires récentes portées devant cette Cour, on a contesté des décisions de la Commission en plai- dant notamment que le membre de la Commission avait employé des moyens excessifs et irréguliers pour interroger le demandeur à l'audience. Il s'agit des affaires Mahendran c. Canada (Ministre de l'Em- ploi et de l'Immigration) (1991), 14 Imm. L.R. (2d) 30 (C.A.F.); Yusuf c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 C.F. 629 (C.A.) et Raja- ratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration), A-824-90, Stone, J.C.A., jugement en date du 5 décembre 1991 (encore inédit). La contestation a été rejetée dans deux de ces affaires. Dans la troi- sième, l'affaire Yusuf, le juge Hugessen, J.C.A., a sta- tué comme suit, aux pages 637 et 638:
À mon avis, ces remarques sexistes, déplacées et fort mal à propos de la part d'un membre de la section du statut sont de nature à créer une apparence de partialité chez leur auteur. Le jour est passé on tolérait la condescendance, le ton de supé- riorité inhérente et les «compliments» insultants qu'on offrait trop souvent aux femmes qui osaient pénétrer dans le sanc- tuaire mâle des tribunaux de justice. Le juge qui se le permet aujourd'hui perd son manteau d'impartialité. La décision ne peut pas tenir.
À mon avis, ce passage illustre le cas l'interroga- toire peut révéler un préjugé, réel ou apparent. Dans
cette affaire, l'interrogatoire par le membre de la Commission témoignait, comme l'a exprimé le juge LeDain dans l'arrêt Valente, d'«un état d'esprit ou une attitude du tribunal vis-à-vis des points en litige et des parties».
Pour qu'une «audience» soit digne de ce nom, la Commission doit constamment être disposée à étu- dier des éléments de preuve présentés de la manière objective et impartiale voulue pour en arriver à la vérité. Sans doute, cette tâche n'est pas particulière- ment facile et, dans certains cas, elle doit même être très difficile. Les revendicateurs qui se présentent devant la Commission, arrivant de contrées loin- taines, n'ont souvent rien à relater que les circons- tances personnelles qui les ont amenés à revendiquer le statut de réfugié. La difficulté qu'il y a à découvrir tous les faits est peut-être attestée par les pouvoirs conférés aux paragraphes 67(2) et 68(4) de la Loi. En vertu des dispositions souples de ce dernier para- graphe, la Commission peut admettre d'office les faits admissibles en justice, ainsi que les autres faits, renseignements et opinions qui sont du ressort de sa spécialisation, pourvu qu'elle le fasse conformément à la Loi.
En toute déférence, selon mon interprétation de la Loi, un membre de la Commission ne peut pas se mettre en quête d'éléments de preuve comme il a été le cas en l'espèce. Assurément, ce moyen de procéder allait nécessairement corrompre la fonction de la Commission, chargée d'agir à titre de tribunal impar tial et ce, même si M. Groos semblait ma par une pré- occupation légitime, à savoir que l'appelant ne disait pas toute la vérité. Un tel mobile, si pur soit-il, ne saurait autoriser le membre de la Commission à entreprendre secrètement une enquête susceptible de confirmer une impression qu'il aurait formée à partir d'éléments de preuve déjà présentés. En outre, la teneur des questions qu'il a posées à l'appelant juste avant la pause pour le dîner, le 16 novembre 1989, suggère fortement que même s'il n'avait pas lu tous ces nouveaux documents, il avait prêté suffisamment d'attention à un article en particulier pour lui permet- tre de l'employer dans son interrogatoire avec un effet dévastateur. Puisque les questions qu'il a abor- dées avaient déjà été traitées par l'avocat de l'appe- lant et par l'agent d'audience, et puisque les réponses données au cours des deux interrogatoires concor-
daient, l'on ne saurait prétendre que M. Groos tentait simplement de clarifier ou même de concilier des témoignages incompatibles. Son seul objectif, semble-t-il, était de tendre un piège. L'appelant est tombé dans ce piège quelques instants plus tard lors- que M. Groos a révélé la preuve contradictoire qui avait résulté de l'enquête qu'il avait entrepris à son insu. À mon avis, cette procédure expose le membre le mieux intentionné de la Commission à une accusa tion de partialité.
Une lecture équitable du dossier dont je suis saisi m'amène à conclure, à regret, que M. Groos s'est mépris sur son rôle. Il existait d'autres moyens par lesquels il aurait pu calmer son inquiétude légitime. Par exemple, il aurait pu révéler ouvertement ses doutes à l'audience, et des mesures connues de tous les intéressés auraient pu être instituées et appliquées. La Commission aurait alors pu demander à, l'agent d'audience de transmettre une demande au Centre de documentation, ou demander à son propre greffier de présenter une demande écrite, avec des copies aux deux parties, et demander à ce que toute réponse reçue du Centre soit transmise rapidement aux par ties.
À mon avis, il existait une crainte raisonnable de partialité en l'espèce. Le critère établi par le juge de Grandpré dans l' arrêt Committee for Justice and Liberty et autres c. Office national de l'énergie et autres, [1978] 1 R.C.S. 369, à la page 394, est rempli en l'espèce. Une personne bien renseignée qui étudie- rait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique, en arriverait à une telle conclusion. Puis- qu'il en est ainsi, la décision contestée ne saurait être maintenue.
Malgré ces irrégularités de procédure, l'intimé pré- tend que la décision devrait être maintenue. Il avance trois arguments distincts au soutien de cette thèse. D'après le premier argument, la preuve selon laquelle le LTTE prônait et commettait des actes de violence était, en fait, révélée par les documents que l'appelant avait demandés à la Commission d'admettre d'office au début de l'audience le 21 septembre 1989. Il s'agissait d'un rapport intitulé «Report of a Fact- Finding Mission to Sri Lanka», daté de septembre 1988, entrepris par le conseil anglo-danois sur les réfugiés entre le 30 juillet et le 12 août 1988 ainsi que
les documents intitulés «Sri Lanka: Aperçu» et «Le Sri Lanka: profil d'un pays» obtenus du Centre de documentation de la Commission à Ottawa. Ce der- nier document suggère effectivement que «divers groupes de militants tamouls ... commencèrent à piller des banques et à attaquer des postes de police et des objectifs militaires, notamment dans la province du Nord» au lendemain des élections tenues en juillet 1977, lesquelles ont également été suivies d'émeutes. Cependant, j'estime qu'il s'agit de renseignements de nature très générale qui n'impliquent pas nommé- ment le LITE dans l'un ou l'autre des actes de vio lence dont il est question. Par ailleurs, comme M. Groos l'a signalé lui-même à l'audience du 16 novembre 1989, le tout premier article qu'il avait reçu du Centre de documentation le 15 novembre 1989 renfermait des renseignements qui «contredi- saient en grande partie ce que (l'appelant) avait dit» puisqu'ils contredisaient son témoignage «au sujet des vols de banque et des meurtres de policiers com- mis par le LITE avant 1983».
Deuxièmement, l'intimé prétend que l'appelant n'était pas sans faute, pour ainsi dire, puisqu'il avait lui-même omis de rectifier le faux témoignage qu'il avait donné précédemment lorsque l'audience a repris à 14 heures le 16 novembre 1989. À mon avis, cet argument n'est d'aucun secours pour l'intimé. Il est évident que l'appelant n'a pas dit la vérité et il est tout aussi évident qu'il aurait le faire. Cependant, aussi menteur qu'il se soit révélé, il avait le droit d'être entendu par un tribunal dénué de préjugés, en réalité et en apparence.
Enfin, je ne vois pas comment la procédure irrégu- lière suivie en l'espèce pourrait être corrigée par la volonté apparente de la Commission d'autoriser la réouverture de l'enquête pour permettre à l'appelant de présenter d'autres éléments de preuve. Cette volonté, si je puis dire, semblait quelque peu irréa- liste. Puisque l'appelant vient d'avouer un faux témoignage, il ne faut tout de même pas s'attendre à ce qu'il présente de nouveaux éléments de preuve en vue de contredire cet aveu.
Par ces motifs, j'accueillerais le présent appel, j'annulerais la décision en date du 11 septembre 1990 et je renverrais l'affaire à une autre formation de la
section du statut de réfugié pour qu'elle tienne une nouvelle audience et rende une nouvelle décision.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs. LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.