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A-993-90 A-222-91
Joseph Orelien et Marie Aurelien (requérants) c.
Le ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIÉ' ORELlEN C. CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Mahoney et Stone, J.C.A.—Winnipeg, 6 et 7 novembre; Ottawa, 22 novembre 1991.
Immigration Statut de réfugié Un arbitre et un membre de la section du statut ont conclu que les revendications du statut de réfugiés au sens de la Convention des requérants n'avaient pas un minimum de fondement Les requérants ne se sont pas conformés aux avis d'interdiction de séjour Des mesures d'expulsion ont été prises après la seconde enquête Les moyens des requérants se fondent sur la Charte, la Décla- ration des droits, le droit international et le bien-fondé de l'af- faire Étude de l'économie des art. 46(2) et 46.01 de la Loi sur l'immigration Le demandeur a l'obligation de prouver le minimum de fondement de sa revendication Distinction faite entre les premier et second paliers d'audience L'art. 46(2) de la Loi sur l'immigration n'est pas incompatible avec l'art. 7 de la Charte et ni avec l'art. 2e) de la Déclaration des droits Le tribunal n'a pas mentionné les questions que l'art. 46.01(6) lui impose de considérer.
Les requérants, tous deux Haïtiens, ont fait l'objet d'avis d'interdiction de séjour après qu'un arbitre et un membre de la section du statut de réfugié aient conclu que leurs revendica- tions du statut de réfugiés au sens de la Convention n'avaient pas un minimum de fondement. Comme les requérants ne se sont pas conformés aux avis d'interdiction de séjour, une autre enquête a été tenue au terme de laquelle on a conclu qu'ils n'étaient pas admissibles à présenter de nouvelles revendica- tions du statut de réfugié au sens de la Convention, et des mesures d'expulsion ont été prises. Ces décisions et ordon- nances ont fait l'objet de demandes fondées sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale visant à obtenir la révision de la décision concluant au manque d'un minimum de fondement des revendications et l'annulation des mesures d'expulsion. La légalité des mesures d'expulsion dépend de la légalité des avis d'interdiction de séjour, laquelle dépend à son tour de la léga- lité de la décision initiale concluant à l'absence d'éléments cré- dibles sur lesquels la section du statut pouvait se fonder pour reconnaître aux requérants le statut de réfugiés au sens de la Convention. Les moyens des requérants se fondaient sur 1) la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits 2) le droit international et 3) le bien- fondé de l'affaire.
Arrêt: les demandes devraient être accueillies.
1) La revendication du statut de réfugié au sens de la Con vention fait entrer en jeu l'alinéa 2e) de la Déclaration cana- dienne des droits ou l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Les requérants affirment que ces dispositions ont été violées à cinq égards différents par ce qui suit: i) la participation d'un arbitre, ii) le rôle d'adversaire de l'agent chargé de présenter le cas, iii) le fardeau de la preuve, iv) la faculté de nier le minimum de fondement de la revendication et v) le caractère suffisant du contrôle judiciaire.
i) On a fait valoir que l'arbitre, étant un juge de l'immigra- tion, a tendance à considérer les demandeurs comme une menace à l'intégrité de l'économie de la Loi sur l'immigration. La conclusion préliminaire de l'arbitre que, ne serait-ce de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, une personne n'aurait pas le droit d'entrer au Canada ou d'y demeurer ne préjuge nullement de la validité de la revendica- tion du statut de réfugié. La partialité institutionnelle de l'ar- bitre n'est pas inhérente à l'économie de la Loi. Aucune preuve ne donne créance à l'existence de la partialité institu- tionnelle. La reconnaissance du droit des authentiques réfugiés au sens de la Convention de demeurer au Canada fait tout autant partie de l'économie de la Loi que toute autre chose sur laquelle les arbitres peuvent avoir à se prononcer. ii) Le para- graphe 200 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, qui dit que l'examinateur doit mettre le demandeur en confiance, n'envisage pas un pro- cessus de sélection de type accusatoire. C'est l'avocat du demandeur et non l'agent chargé de présenter le cas qui, selon l'économie de la Loi, doit mettre le demandeur en confiance et l'aider à exposer son cas. La procédure de type accusatoire ne comporte rien d'essentiellement contraire à la justice fonda- mentale. Le rôle d'adversaire de l'agent chargé de présenter le cas au premier palier d'audience ne nuit à aucun droit accordé au demandeur de statut par l'article 7 de la Charte ou l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits; iii) Selon le para- graphe 46(2) de la Loi, le demandeur de statut doit prouver que sa revendication est recevable par la section du statut de réfu- gié et qu'elle a un minimum de fondement. Les requérants affirment que cette obligation constitue un déni de justice fon- damentale. Ils ne font toutefois aucune distinction entre le pre mier et le second paliers d'audience. A ce dernier palier, il s'agit de décider si le demandeur est réellement un réfugié au sens de la Convention, la section du statut soupèse les éléments de preuve, et il y a place au bénéfice du doute. Tout ce qu'a à faire le premier palier, c'est de déterminer s'il existe des élé- ments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du sta- tut, au second palier, peut se fonder pour reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention. Il ne s'agit pas à ce stade de soupeser des éléments de preuve con- tradictoires et il n'y a pas place au bénéfice du doute. Il n'existe aucune incompatibilité entre le paragraphe 46(2) de la Loi et la Charte ou la Déclaration des droits. iv) Les requérants font valoir que puisque la conclusion selon laquelle la revendi- cation du statut de réfugié au sens de la Convention n'a pas un minimum de fondement prive le demandeur de statut de son droit de demeurer au Canada en attendant le contrôle judi- ciaire, une conclusion défavorable constitue nécessairement un déni du droit à un procès équitable en conformité avec les prin-
cipes de justice naturelle. Il ne n'agit pas réellement de la contestation du pouvoir du premier palier d'audience de con- clure à l'absence du minimum de fondement de la revendica- tion; il s'agit d'une attaque dirigée contre les conséquences possibles de cette conclusion. L'arbitre a correctement décidé qu'il n'était pas habilité à ordonner qu'il soit permis aux requérants de demeurer au Canada en attendant le contrôle judiciaire. Il appartient à la Cour de déterminer s'il y a lieu de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion à cette fin. L'argument selon lequel la faculté du premier palier d'au- dience de conclure à l'absence d'éléments crédibles et dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention, et la faculté résultante de l'arbitre d'ordonner l'expulsion sont incompatibles avec l'alinéa 2e) de la Déclara- tion des droits, n'a aucun bien-fondé. v) Selon l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale, cette Cour ne peut annuler la décision concluant à l'absence d'un minimum de fondement que si le tribunal qui l'a rendue a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée et s'il a tiré celle-ci de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont il disposait. La prétention des requérants voulant que le con- trôle judiciaire ait une assise trop étroite pour satisfaire aux exigences de la justice fondamentale ne concerne aucune des questions dont est saisie la Cour dans le cadre des présentes demandes.
2) On affirme que l'audience sur le minimum de fondement viole les obligations du Canada aux termes de la Quatrième Convention de Genève et du Protocole II des Conventions de Genève et la règle habituelle du refuge temporaire. Ces lois et instruments internationaux ont force de loi interne au Canada et ils peuvent être mis à exécution par les tribunaux canadiens sur demande d'un particulier. Toutefois, l'obligation ou l'in- tention d'exécuter une mesure d'expulsion qui violerait les lois susmentionnées ne vicie nullement, d'une part, le processus prévu par la Loi sur l'immigration, en vertu duquel la revendi- cation du statut de réfugié au sens de la Convention d'une per- sonne venant d'un pays comme Haïti peut être considérée comme dépourvue d'un minimum de fondement, et d'autre part, la prise d'une mesure d'expulsion consécutive à cette conclusion. Ces questions ne sont pas des matières dont doi- vent se préoccuper le premier palier d'audience ou l'arbitre seul lorsqu'ils rendent leur décision ou prennent une mesure d'expulsion, ni cette Cour lorsqu'elle en fait la révision.
3) Les requérants ont prétendu que le tribunal a mal compris leur moyen, et ils ont insisté pour dire que tous les Haïtiens à l'extérieur de Haïti peuvent revendiquer avec un minimum de fondement la qualité de réfugiés. Il ne va pas de soi que les nationaux d'un pays qui ont fui ce dernier ne puissent pas craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur nationalité s'ils étaient renvoyés dans ce pays. Le dossier contient de nom- breux éléments de preuve relatifs aux conditions existantes à Haïti. Le tribunal n'a nullement fait mention des questions qu'il doit expressément examiner aux termes des alinéas a) et b) du paragraphe 46.01(6). Étant donné la formulation erronée par le tribunal du moyen fondé sur la nationalité, on ne doit pas présumer que les éléments de preuve ont été considérés de façon appropriée. Rien ne distingue la prétention des requé-
rants d'être persécutés du fait de leur appartenance à ce groupe social particulier de personnes pauvres et déshéritées, de leur prétention d'être persécutés du fait de leur nationalité haïtienne elle-même. Le premier palier d'audience a commis une erreur en considérant la revendication des requérants selon son bien- fondé comme il l'a fait.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7.
Convention des Nations Unies relative au statut des réfu-
giés, 28 juillet 1951, [1969] R.T. Can. No 6. Déclaration canadienne des droits, L.R.C. (1985), appen-
dice III, art. 2e).
Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976- 77, chap. 33.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28, 52.
Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), chap. G-3, art. 2 (mod. par L.C. 1990, chap. 14, art. 1).
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 46(1), (2) (mod. par L.R.C. (1985) (4° suppl.), chap. 28, art. 14), 46.01, 46.02 (mod. idem).
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52.
JURISPRUDENCE
DECISIONS APPLIQUÉES:
Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin. L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1; Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086; (1990), 73 D.L.R. (4th) 686; 43 C.P.C. (2d) 165; 112 N.R. 362; Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immi- gration) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313; 12 Imm. L.R. (2d) 43 (C.A.F.); R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309; (1987), 44 D.L.R. (4th) 193; 37 C.C.C. (3d) 1; 61 C.R. (3d) 1; 80 N.R. 161.
DECISIONS EXAMINÉES:
MacBain c. Lederman, [1985] 1 C.F. 856; (1985), 22 D.L.R. (4th) 119; 16 Admin. L.R. 109; 6 C.H.R.R. D/3064; 85 CLLC 17,023; 18 C.R.R. 165; 62 N.R. 117 (C.A.); Conseil canadien des Églises c. Canada, [1990] 2 C.F. 534; (1990), 106 N.R. 61 (C.A.).
DECISIONS CITÉES:
Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673; (1985), 52 O.R. (2d) 779; 24 D.L.R. (4th) 161; 23 C.C.C. (3d) 193; 49 C.R. (3d) 97; 19 C.R.R. 354; 37 M.V.R. 9; 64 N.R. 1; 14 O.A.C. 79; Mohammad c. Canada (Ministre de
l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 2 C.F. 363; 0988), 55 D.L.R. (4th) 321; 21 F.T.R. 240 (note); 91 N.R. 121 (C.A.).
DOCTRINE
Canada, Commission de l'immigration et du statut de réfugié—Système de reconnaissance du statut de réfu- gié.
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Conven tion de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, septembre 1979.
Paciocco, David M. Charter Principles and Proof in Cri- minai Cases, Toronto: Carswell, 1987.
Perluss, Deborah and Hartman, Joan F. «Temporary Refuge: Emergence of a Customary Norm» (1986), 26 Virg. J1, Int'l Law 551.
AVOCATS:
David Matas pour les requérants.
Gerald L. Chartier et Brian H. Hay pour l'in-
timé.
PROCUREURS:
David Matas, Winnipeg, pour les requérants. Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Les requérants, mari et femme, sont Haïtiens. Un arbitre et un membre de la section du statut ont conclu que leurs revendications du statut de réfugiés au sens de la Convention n'avaient pas un minimum de fondement, après quoi l'arbitre leur a donné un avis d'interdiction de séjour.
Voilà les décisions et ordonnances qui font l'objet de la demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] portant le numéro de greffe A-993-90.
Les requérants ne se sont pas conformés aux avis d'interdiction de séjour. Une autre enquête a été ordonnée. On a conclu que les requérants n'étaient pas admissibles à présenter de nouvelles revendica- tions du statut de réfugié au sens de la Convention et des mesures d'expulsion ont été prises. Il s'agit des décisions et ordonnances qui font l'objet de la demande fondée sur l'article 28 portant le numéro de greffe A-222-91.
Étant donné l'alinéa 46.01(1)f) de la Loi sur l'im- migration', la décision consécutive à la seconde enquête selon laquelle les revendications des requé- rants n'étaient pas recevables ne peut être contestée. Le caractère légal des mesures d'expulsion dépend entièrement du caractère légal des avis d'interdiction de séjour, lequel dépend entièrement, pour sa part, de la légalité de la décision initiale concluant à l'absence d'éléments crédibles sur lesquels la section du statut pouvait se fonder pour reconnaître aux requérants le statut de réfugiés au sens de la Convention.
Les requérants ont soulevé devant l'instance infé- rieure et fait valoir devant nous des moyens que l'on peut, pour des fins pratiques, réunir sous les rubriques suivantes: (A) moyens fondés sur la Charte et la Déclaration des droits; (B) moyens fondés sur le droit international, et (C) moyens fondés sur le bien- fondé de l'affaire.
Les moyens fondés sur la Charte et sur la Déclara- tion des droits font tous valoir que l'audience portant sur le minimum de fondement prévue au paragraphe 46(1) de la Loi n'offre pas aux requérants une audi tion impartiale de leur cause, selon les principes de justice fondamentale comme l'exige l'alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits [L.R.C. (1985), appendice III] et comme le garantit l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]].
2. Toute loi du Canada, à moins qu'une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu'elle s'appliquera nonob- stant la Déclaration canadienne des droits, doit s'interpréter et s'appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l'un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s'interpréter ni s'appliquer comme
L.R.C. (1985), chap. 1-2, modifié par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 14.
46.01 (1) La revendication de statut n'est pas recevable par la section du statut si le demandeur se trouve dans l'une ou l'autre des situations suivantes:
f) il est visé par un avis d'interdiction de séjour et n'a pas encore quitté le Canada ou, l'ayant quitté en conformité avec l'avis, n'a pas été légalement autorisé à entrer dans un autre pays.
e) privant une personne du droit à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations;
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Il ne fait aucun doute que l'une ou l'autre de ces dis positions entre en jeu lorsqu'une personne reven- dique le statut de réfugié au sens de la Convention 2 .
On soutient que ces dispositions sont violées par ce qui suit:
1. La participation d'un arbitre à la décision relative au minimum de fondement de la revendication.
2. La participation d'un agent chargé de présenter le cas dans le rôle d'un adversaire à l'audience portant sur le minimum de fondement, et particulièrement le droit de cet agent de contre-interroger les deman- deurs.
3. L'obligation pour le demandeur de prouver le minimum de fondement de sa revendication et, en tout état de cause, l'obligation qu'il a, au plan de la preuve, d'établir ce minimum de fondement selon la prépondérance des probabilités.
4. La faculté de nier que la revendication de la per- sonne qui revendique le statut de réfugié a un mini mum de fondement.
5. Les restrictions apportées par les articles 28 et 52 de la Loi sur la Cour fédérale 3 à la compétence de cette Cour de modifier une décision ou ordonnance.
Dans un moyen fondé sur le paragraphe 3 mais qui touchait aussi au droit international, on a avancé que l'obligation de prouver le minimum de fondement de la revendication violait les obligations du Canada aux termes de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, et par conséquent la Loi sur l'immigration elle-même aussi bien que la Charte et la Déclaration des droits.
Dans leurs moyens fondés sur le droit internatio nal, les requérants soutiennent que l'audience sur le minimum de fondement viole les obligations du
2 Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177.
3 L.R.C. (1985), chap. F-7.
Canada aux termes de la Quatrième Convention de Genève du 12 août 1949 et du Protocole II des Con ventions de Genève du 12 août 1949, tous deux «approuvés» par des Lois du Parlement 4 , et la règle coutumière du refuge temporaires. Selon ces moyens, communs aux trois sources des obligations du Canada sur le plan international, la conclusion défa- vorable du premier palier d'audience pourrait entraî- ner l'expulsion du demandeur en violation des obli gations susmentionnées. Pour ce qui est du bien- fondé des revendications, on a soutenu que le tribunal a commis une erreur en concluant à l'absence d'élé- ments crédibles sur lesquels la section du statut pou- vait se fonder pour reconnaître aux requérants le sta- tut de réfugiés au sens de la Convention du fait de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social ou de leurs opinions politiques.
A. Les moyens fondés sur la Charte et la
Déclaration des droits
1. La participation de l'arbitre
Le point essentiel de cet argument tient à ce que l'arbitre est un juge de l'immigration, tenu principa- lement de décider de l'admissibilité au Canada des immigrés éventuels, ou du renvoi possible de ceux qui sont déjà au pays. Selon la thèse avancée, les réfugiés représentent une lacune du système en ce sens que, en l'absence du statut de réfugié, ils pour- raient ne pas répondre aux critères d'admissibilité et, par conséquent, les arbitres ont tendance à considérer les demandeurs du statut de réfugié comme une menace à l'économie générale de la Loi sur l'immi- gration. Cela revient à dire qu'il y a préjugé institu- tionnel en raison des diverses fonctions attribuées aux arbitres.
L'intimé soutient que cette thèse a été, par voie de conséquence nécessaire, écartée par cette Cour dans I' arrêt Mohammad c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 6 lorsqu'elle a statué que l'écono- mie de la Loi sur l'immigration de 1976 7 respectait les critères énoncés dans l'arrêt Valente c. La Reine et
4 Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), chap. G-3, art. 2, modifiée par L.C. 1990, chap. 14, art. 1.
5 Perluss and Hartman, «Temporary Refuge: Emergence of a Customary Norm» (1986), Virg. il. Int'I Law 551.
6 [1989] 2 C.F. 363 (CA.).
7 S.C. 1976-77, chap. 52.
autres 8 , et que les arbitres constituaient des tribunaux indépendants envisagés par les exigences de l'article 7 de la Charte. Les arbitres n'avaient aucun rôle au sein du processus de détermination des réfugiés en vertu de cette Loi; cependant, dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada 9 , parmi les nombreu- ses questions soulevées se trouvait une requête en radiation d'un acte de procédure visant à faire décla- rer invalides ou sans effet un certain nombre de dis positions de l'actuel régime législatif au motif que:
L'arbitre n'est pas indépendant et impartial, ce qui prive le réfugié du droit à une audience équitable conformément aux principes de justice fondamentale ...
En radiant l'acte de procédure, la Cour a statué comme suit:
Cet argument a cependant été rejeté par cette Cour dans Mohammad c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration.... Cette Cour ne peut pas raisonnablement être priée de réouvrir la question de l'indépendance des arbitres un peu plus d'un an après qu'elle s'est prononcée sur celle-ci.
Bien que la Cour n'ait pas, dans ses motifs, fait expressément mention de l'impartialité institution- nelle des arbitres, celle-ci était parfaitement en cause et, me semble-t-il, il en aurait sûrement été fait men tion si on en avait débattu. Je ne crois pas que l'on puisse conclure avec assurance que la question a été réglée.
L'affaire MacBain c. Ledernuzn 10 nous fournit un exemple d'une crainte raisonnable de partialité, ou de partialité institutionnelle, découlant d'un mélange de fonctions; dans cette affaire, la Loi canadienne sur les droits de la personnel [ , comme elle était alors rédigée, autorisait la Commission canadienne des droits de la personne à conclure qu'une plainte était justifiée en se fondant sur une enquête tenue par une personne qu'elle avait désignée, et ensuite à désigner les membres du tribunal qui enquêteraient de nou- veau sur la question, qui décideraient si la plainte était justifiée et, le cas échéant, qui imposeraient des peines et des sanctions. La conclusion préliminaire de l'arbitre que, ne serait-ce de la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, une personne n'aurait pas le droit d'entrer au Canada ou d'y
8 [1985] 2 R.C.S. 673.
9 [1990] 2 C.F. 534 (C.A.) à la p. 555.
10 [1985] 1 C.F. 856 (C.A.).
11 S.C. 1976-77, chap. 33.
demeurer ne préjuge nullement, ni ne peut raisonna- blement être considérée comme préjugeant, de la validité de la revendication du statut de réfugié. La partialité institutionnelle de l'arbitre n'est pas inhé- rente à l'économie de la Loi.
Il n'existe pas un iota de preuve pour donner créance à la thèse fondamentale des requérants selon laquelle les arbitres ont tendance à considérer que les demandeurs de statut de réfugié constituent une menace pour l'économie générale de la Loi. Il n'y a aucune raison pour qu'il en soit ainsi; la reconnais sance du droit des authentiques réfugiés au sens de la Convention de demeurer au Canada fait tout autant partie de l'économie de la Loi que toute autre chose sur laquelle les arbitres peuvent avoir à se prononcer. On a statué que 12 :
En général, toute contestation relative à la Charte fondée sur la prétention que les effets de la loi visée sont inconstitutionnels doit être appuyée par une preuve recevable concernant les effets contestés.
Le moyen des requérants est entièrement dénué de fondement intellectuel probant et raisonnable.
2. Le rôle d'adversaire de l'agent chargé de présenter le cas
En faisant valoir ce moyen, les requérants se fon- dent particulièrement sur la phrase suivante du para- graphe 200 du Guide des procédures et critères d appliquer pour déterminer le statut de réfugié 13 :
200.... L'examinateur devra alors mettre le demandeur en confiance pour l'amener à exposer clairement son cas et à exprimer pleinement ses opinions et ses sentiments.
Les requérants assimilent l'agent chargé de présen- ter le cas à l'examinateur, et ils soutiennent que son rôle d'adversaire, particulièrement en ce qui concerne le contre-interrogatoire, prive le demandeur de la jus tice fondamentale exigée par la Déclaration des droits et la Charte. On peut noter que le paragraphe 200 débute avec la phrase suivante:
200. Un examen approfondi des différentes méthodes d'éta- blissement des faits dépasserait le cadre du présent Guide.
12 Danson c. Ontario (Procureur général), [1990] 2 R.C.S. 1086, à la p. 1101.
13 Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, septembre 1979.
Il est évident que le paragraphe 200 n'envisage pas un processus de sélection de type accusatoire.
Cette Cour a statué comme suit 14 :
... à l'étape du «minimum de fondement», le tribunal n'a pas à faire de constatations de fait mais doit se limiter à déterminer l'existence d'éléments crédibles ou dignes de foi à l'égard de chacun des éléments nécessaires de la revendication, sur les- quels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l'in- téressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Le rôle principal du tribunal est d'analyser la crédibilité de la preuve. Pour cela, il a le droit de tirer les conclusions qui sont néces- saires à cette fin, par exemple en déterminant que l'intégralité ou une partie de l'histoire d'un témoin n'est pas fiable parce qu'elle n'est pas plausible ou que le témoin s'est contredit.
C'est un lieu commun de dire que le contre-interroga- toire est un outil précieux dans la recherche de la vérité et l'appréciation de la crédibilité. La remarque suivante convient bien à l'espèce 15 :
[TRADUCTION] Le contre-interrogatoire est un moyen, et non une fin en elle-même. On y recourt pour aider à démontrer le crédit que l'on peut accorder aux témoignages.
Le pouvoir et l'obligation qu'a l'agent chargé de présenter le cas de contre-interroger les demandeurs ne doivent pas être isolés des autres dispositions de la Loi. Conformément aux étapes obligatoires du pro- cessus de sélection, le demandeur a droit à une audi tion orale [article 29], à l'assistance d'un avocat [paragraphe 30(1)] et, si nécessaire, aux services d'un avocat aux frais du ministre [paragraphe 30(2)], à la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger les témoins et de présenter des observations [paragraphe 46(3)], et le tribunal doit motiver toute décision défavorable au demandeur [article 46.02]. Une mention subséquente du Guide démontrera que l'expression «examinateur» que l'on y trouve décrit de façon appropriée différents fonc- tionnaires responsables du processus canadien de détermination du statut de réfugié selon ce qu'ils font. C'est l'avocat du demandeur et non l'agent chargé de présenter le cas qui, selon l'économie de la Loi, doit mettre le demandeur en confiance et l'aider à exposer clairement son cas.
La procédure de type accusatoire ne comporte rien d'essentiellement contraire à la justice fondamentale;
14 Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.), à la p. 314.
15 Paciocco, Charter Principles and Proof in Criminal Cases, Carswell (1987), à la p. 289.
si tel était le cas, notre système judiciaire aurait depuis longtemps cessé de fonctionner comme il le fait presqu'universellement. Les requérants aime- raient voir un système plus favorable aux demandeurs de statut. Dans l'arrêt R. c. Lyons 16 , on a dit d'une personne accusée d'une infraction criminelle:
... art. 7 de la Charte reconnaît à l'appelant le droit à un pro- cès équitable; il ne lui donne pas le droit de bénéficier des pro- cédures les plus favorables que l'on puisse imaginer.
On peut dire la même chose des demandeurs de sta- tut. À mon sens, dans le cadre de la Loi, le rôle d'ad- versaire de l'agent chargé de présenter le cas au pre mier palier d'audience ne nuit à aucun droit accordé au demandeur de statut par l'article 7 de la Charte ou l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits.
3. Le fardeau de la preuve La Loi prévoit ce qui suit:
46....
(2) II appartient au demandeur de statut de prouver que sa revendication est recevable et qu'elle a un minimum de fonde- ment.
46.01.. .
(6) L'arbitre ou le membre de la section du statut concluent que la revendication a un minimum de fondement si, après examen des éléments de preuve présentés à l'enquête ou à l'au- dience, ils estiment qu'il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte notamment des points suivants:
a) les antécédents en matière de respect des droits de la per- sonne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté;
b) les décisions déjà rendues aux termes de la présente loi ou de ses règlements sur les revendications était invoquée la crainte de persécution dans ce pays. [Je souligne.]
Selon le paragraphe 46.03(5), si l'arbitre et le mem- bre de la section du statut ou l'un d'eux concluent en faveur du demandeur, la revendication est déférée à la section du statut.
16 [1987] 2 R.C.S. 309, à la p. 362.
Ce que les requérants affirment être un déni de jus tice fondamentale, c'est l'obligation faite au deman- deur d'établir, selon la prépondérance des probabi- lités, que les éléments de preuve produits à l'audience sont crédibles et dignes de foi, et que la section du statut peut se fonder sur eux pour reconnaître à l'inté- ressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Les requérants font en l'espèce une distinction entre l'obligation de produire des éléments de preuve et le fardeau de la persuasion. C'est ce dernier qui, à leur avis, constitue à l'égard du demandeur un déni de justice fondamentale. Si je comprends bien le moyen avancé, le fardeau de la persuasion équivaut au refus d'accorder au demandeur le bénéfice du doute.
Les requérants renvoient à une publication de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié intitulée Système de reconnaissance du statut de réfu- gié, dans laquelle, au-dessus de la signature du prési- dent, on peut lire la page 1]:
La Commission entend accorder le bénéfice du doute à tous les demandeurs du statut de réfugié.
Les requérants trouvent, aux paragraphes 203 et 204 du Guide des N.U. précité, un appui pour la proposi tion selon laquelle c'est un déni de justice fondamen- tale à l'endroit du demandeur de statut que de lui refuser le bénéfice du doute lorsqu'il revendique le statut de réfugié, bien que le paragraphe 204 dise en partie:
204. Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l'examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur.
Finalement, les requérants avancent que c'est une violation de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés définie au paragraphe 2(1) de la Loi et, par conséquent, une violation de la Loi elle- même, aussi bien qu'un déni de justice fondamentale, que de refuser d'authentiques réfugiés et les renvoyer vers le danger et, par conséquent, toute procédure conduisant à ce refus, y compris l'imposition du far- deau de la preuve au demandeur, viole elle-même ces instruments.
La politique de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié ne peut naturellement l'emporter sur la disposition expresse d'une Loi du Parlement, même si l'on devait conclure que les audiences du
premier palier étaient des procédures relevant de la compétence de la Commission. Bien qu'il soit égale- ment clair que le Guide des Nations Unies ne peut l'emporter sur la Loi, le Guide envisage le fait que ceux qui prétendent être des réfugiés au sens de la Convention ne le sont pas tous réellement, et il recon- naît le caractère légitime d'un processus de sélection pour établir la probabilité de la validité des revendi- cations individuelles. Il me semble que l'on ne peut être convaincu que les éléments de preuve sont cré- dibles ou dignes de foi sans être convaincu qu'il est probable qu'ils le sont, et non simplement possible.
Les requérants ne font aucune distinction entre le premier et le second paliers d'audience. À ce dernier palier, il s'agit de décider si le demandeur est réel- lement un réfugié au sens de la Convention, la sec tion du statut soupèse les éléments de la preuve, et il y a place au bénéfice du doute. Tout ce qu'a à faire le premier palier d'audience, de fait tout ce qu'il est habilité à faire, c'est de déterminer s'il existe des élé- ments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la sec tion du statut, au second palier, peut se fonder pour reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention 17 . Il ne s'agit pas de soupeser des éléments de preuve contradictoires. S'il existe des éléments de preuve crédibles, aucun élément de preuve contraire ne peut modifier ce fait. Il n'y a pas place au bénéfice du doute. Je ne vois dans l'exi- gence contenue au paragraphe 46(2) aucune incom- patibilité avec l'article 7 de la Charte ni avec l'alinéa 2e) de la Déclaration des droits.
4. Refus de reconnaître un minimum de fondement à la revendication
On soutient que la conclusion que la revendication du statut de réfugié est dénuée d'un minimum de fon- dement est inconstitutionnelle. Lorsque cette conclu sion est tirée, l'arbitre doit ensuite décider s'il va donner un avis d'interdiction de séjour ou prendre une mesure d'expulsion [paragraphe 46.02(1)] et faire l'un ou l'autre [article 32]. S'il prend une mesure d'expulsion, le ministre doit la mettre à exé- cution «dès que les circonstances le permettent» [arti- cle 48], sous réserve uniquement d'un sursis de 72 heures sur demande pour permettre à l'intéressé de demander l'autorisation de présenter une demande de
r Leung c. MEJ., précité.
contrôle judiciaire auprès de cette Cour [alinéa 49(1)b)].
Les requérants font valoir que puisque la conclu sion que la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention n'a pas un minimum de fondement prive le demandeur de statut de son droit de demeurer au Canada en attendant la révision judiciaire, une conclusion défavorable constitue nécessairement le déni du droit à un procès équitable en conformité avec les principes de justice naturelle. Il ne s'agit pas réellement de la contestation du pouvoir du pre mier palier d'audience de conclure à l'absence du minimum de fondement de la revendication; il s'agit d'une attaque dirigée contre les conséquences pos sibles de cette conclusion. L'arbitre a correctement décidé qu'il n'était pas habilité à ordonner qu'il soit permis aux requérants de demeurer au Canada en attendant la révision judiciaire. Il appartient à la Cour de déterminer s'il y a lieu de surseoir à l'exécution de la mesure d'expulsion à cette fin.
La constitutionnalité du sursis obligatoire de 72 heures est l'une des questions laissées en suspens dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada 18 . Même si le sursis avait déjà été déclaré inconstitutionnel, cela ne saurait vicier le caractère légal de toute décision ou ordonnance contestée en l'espèce, soit la conclusion que les revendications du statut de réfugié n'ont pas un minimum de fonde- ment, la délivrance d'avis d'interdiction et la prise de mesures d'expulsion. Cela ne pourrait toucher que l'exécution des mesures ou la nécessité de se confor- mer aux avis. De fait, bien que cela ne soit pas perti nent à l'espèce, le Canada ne met pas actuellement à exécution les mesures d'expulsion à Haïti; il ne l'a fait à aucune période concernée dans cette action.
L'on ne m'a pas persuadé du bien-fondé de ce qui est pertinent en l'espèce, à savoir l'argument selon lequel la faculté du premier palier d'audience de con- clure à l'absence d'éléments crédibles et dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention, et la faculté résultante de l'ar- bitre d'ordonner l'expulsion sont incompatibles avec l'article 7 de la Charte ou l'alinéa 2e) de la Déclara- tion des droits.
18 [1990] 2 C.F. 534 (C.A.), à la p. 561.
5. Le caractère suffisant de la révision judiciaire
Si la Cour conclut que le tribunal qui a refusé de reconnaître un minimum de fondement à la revendi- cation du statut de réfugié a tiré une conclusion de fait erronée, l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale permet à notre Cour d'annuler la décision contestée seulement si le tribunal qui l'a rendue (1) a fondé sa décision sur cette conclusion de fait et (2) s'il a tiré celle-ci de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il disposait. De plus, si la Cour conclut que le tribunal a commis l'une des erreurs visées au paragraphe 28(1), l'alinéa 52c) de la Loi sur la Cour fédérale ne l'autorise qu'à infirmer la décision ou à l'infirmer et à renvoyer l'af- faire au tribunal pour jugement conformément à ses instructions. Elle ne peut rendre la décision que, selon elle, le tribunal aurait rendre bien que, d'un point de vue pratique, ses instructions peuvent être suffisamment précises pour dicter l'issue du nouvel examen. Les requérants font valoir que la révision judiciaire a une assise trop étroite pour satisfaire aux exigences de la justice fondamentale, au moins pour ce qui est des demandeurs du statut de réfugié, et que ce qui est exigé est un droit d'appel qui permettrait à la Cour de substituer son point de vue sur l'affaire à celle du tribunal si elle considère abusive la décision rendue par l'instance inférieure.
De même qu'il en est pour la constitutionnalité du sursis légal de 72 heures, je ne vois pas la pertinence de cet argument quant à l'une quelconque des ques tions soumises à la Cour dans le cadre des présentes demandes fondées sur l'article 28. L'arbitre, seul ou de concert avec le membre de la section du statut n'avait pas, en rendant les décisions ou en prenant les mesures contestées en l'espèce, à considérer le carac- tère suffisant des dispositions prises par le Parlement à l'égard de leur révision judiciaire. L'insuffisance de ces dispositions, le cas échéant, ne saurait justifier l'annulation des décisions ou des mesures contestées; elle ne peut fournir qu'une excuse ou un motif pour ne pas les exécuter.
B. Les moyens fondés sur le droit international
Je ne vois pas la nécessité de résumer les moyens fondés sur le droit international. J'admets, aux fins de ces moyens, que renvoyer une personne à Haïti dans les circonstances qui existent actuellement et qui
existaient aux époques concernées, ce serait violer les obligations du Canada aux termes de la Quatrième Convention de Genève, du Deuxième Protocole et de la règle coutumière de droit international qui interdit le rapatriement forcé des nationaux étrangers qui ont fui la violence généralisée et d'autres menaces pour leur vie et leur sécurité découlant d'un conflit armé domestique dans l'État dont ils ont la nationalité. Je reconnais aussi, toujours aux fins des moyens invoqués, que ces lois et ces instruments internatio- naux ont force de loi interne au Canada et qu'ils peu- vent être mis à exécution par les tribunaux canadiens sur demande d'un particulier. Toutefois, je ne saurais admettre que l'obligation ou l'intention d'exécuter une mesure d'expulsion qui, si elle était exécutée, violerait les lois susmentionnées vicie le moindre- ment, d'une part, le processus prévu par la Loi sur l'immigration, en vertu duquel la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention d'un natio nal de l'État visé peut être considérée comme dépour- vue d'un minimum de fondement, et d'autre part, la prise d'une mesure d'expulsion consécutive à cette conclusion.
Ces questions, comme il en est du caractère suffi- sant, aux yeux de la Constitution, des dispositions prises par le Parlement à l'égard de la révision judi- ciaire et du sursis de 72 heures, ne sont pas des matières dont doivent se préoccuper le premier palier d'audience ou l'arbitre seul lorsqu'ils rendent leur décision ou prennent une mesure d'expulsion, ni cette Cour lorsqu'elle en fait la révision. Dire que ces questions ne sont pas pertinentes aux décisions ou aux mesures visées ne déprécie évidemment en rien leur importance. Ce serait évidemment une question sérieuse et, j'ose l'espérer, qui relèverait des tribu- naux, si le Canada devait exécuter des mesures d'ex- pulsion dans des circonstances incompatibles avec ses obligations découlant du droit international et qui mettent en danger la vie, la liberté ou la sécurité d'au- trui.
C. Le bien-fondé des moyens
Le réfugié au sens de la Convention est défini de façon pertinente comme étant:
... Toute personne
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, ...
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'ar- ticle premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.
Il n'est pas ici question de race ni de religion.
On a soutenu que tous les Haïtiens peuvent reven- diquer avec un minimum de fondement la qualité de réfugiés au sens de la Convention parce qu'ils sont Haïtiens. Le tribunal a conclu ce qui suit:
[TRADUCTION] ... il serait absurde de retenir la proposition de votre avocat selon laquelle tous les Haïtiens sont des réfugiés, car ce serait offrir une protection internationale aussi bien aux victimes qu'à ceux qui commettent des crimes, et contre qui vous cherchez à vous protéger.
Les requérants disent que le tribunal a mal compris leur moyen. Ils n'ont pas prétendu que tous les Haï- tiens étaient des réfugiés, mais que tous les Haïtiens à l'extérieur de Haïti peuvent revendiquer avec un minimum de fondement la qualité de réfugiés. Ils disent en outre que, en raison de cette méprise, le tri bunal s'est penché sur la question propre au second palier d'audience: les requérants sont-ils des réfugiés, plutôt que sur la question propre au premier palier: existe-t-il des éléments crédibles ou dignes de foi en vertu desquels on pourrait leur reconnaître le statut de réfugiés? Ils soulignent aussi que la possibilité de ce qui a été considéré comme menant à une absurdité a été écartée par la définition de l'expression réfugié au sens de la Convention, qui exclut les personnes visées par la section F de l'article premier de la Convention, dont voici le libellé:
Article premier
F. Les dispositions de cette Convention ne seront pas appli- cables aux personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser:
a) qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instru ments internationaux élaborés pour prévoir des disposi tions relatives à ces crimes;
b) qu'elles ont commis un crime grave de droit commun en dehors du pays d'accueil avant d'y être admises comme réfugiées;
c) qu'elles se sont rendues coupables d'agissements con- traires aux buts et aux principes des Nations Unies.
Il suffit de se remémorer l'histoire récente du Cambodge pour reconnaître la possibilité de la persé- cution générale de la population par un régime natio nal. En toute déférence, il ne va pas de soi que les nationaux d'un pays qui ont fui ce dernier ne puissent pas craindre avec raison d'être persécutés du fait de leur nationalité s'ils étaient renvoyés dans ce pays. Le dossier contient de nombreux éléments de preuve relatifs aux conditions existantes à Haïti, dont le trai- tement des Haïtiens qui ont été rapatriés de force par les États-Unis. Leur crédibilité n'a pas été mise en doute. Il appartient à la section du statut de réfugié, et non à l'audience de présélection, de soupeser ces élé- ments de preuve et de décider s'ils appuient l'élément objectif de la revendication des requérants.
Dans ses [TRADUCTION] «motifs de décision sur le minimum de fondement» 19 relativement brefs, le tri bunal n'a nullement fait mention des questions qu'il doit expressément examiner aux termes des alinéas a) et b) du paragraphe 46.01(6). Bien que l'on ne puisse aucunement en conclure que les éléments de preuve, qui étaient nombreux, n'ont pas été considérés, c'est plutôt surprenant dans le cas de demandeurs haïtiens. Étant donné la formulation erronée par le tribunal du moyen fondé sur la nationalité, j'estime peu sage de présumer que les éléments de preuve ont été consi- dérés de façon appropriée.
Le groupe social auquel les requérants affirment appartenir est celui des pauvres et des déshérités de Haïti. Le tribunal a souligné que la preuve documen- taire établissait que la population haïtienne est consi- dérablement pauvre et déshéritée. Les requérants ne se sont pas penchés sur cet argument dans leur exposé des points d'argument, bien que leur avocat y ait fait allusion en passant dans sa plaidoirie. Si je comprends bien le tribunal, je suis porté à être d'ac- cord avec lui sur le point suivant: rien ne distingue la prétention des requérants d'être persécutés du fait de
19 Séance du 6 septembre 1990. Dossier, p. 150, 1.23 à la p. 152, 1.8. Ces motifs traitaient du bien-fondé de la revendica- tion. Les moyens fondés sur la Charte, la Déclaration des droits et le droit international avaient été rejetés au cours d'une séance antérieure.
leur appartenance à ce groupe social particulier, de leur prétention d'être persécutés du fait de leur natio- nalité haïtienne elle-même.
Pour ce qui est de la revendication fondée sur des opinions politiques, son seul fondement semble lui aussi dépendre entièrement de la crainte des requé- rants de retourner à Haïti en raison du traitement qu'ils pourraient subir. Ils n'ont pas fait état d'opi- nions ni d'activités politiques, ni prétendu avoir été harcelés en raison d'opinions politiques. Ils s'ap- puient plutôt, comme il est dit dans leur exposé, sur une preuve documentaire qui, affirment-ils, [TRADUC- TION] «montre que le gouvernement de Haïti consi- dère que ceux qui refusent de retourner à Haïti lui sont opposés, et qu'il les persécute pour ce motif.» Ceci, tout comme la revendication fondée sur l'ap- partenance au groupe social des pauvres et des déshé- rités, semble selon la preuve être rien de plus qu'une nouvelle formulation de la revendication fondée sur la nationalité.
Le tribunal a trouvé significatif que les requérants aient demandé au Canada un visa d'immigrant avant de quitter Haïti. Cela peut être pertinent au second palier d'audience, l'on soupèse les éléments de preuve et l'on décide si une personne est réellement sortie du pays dont elle a la nationalité et ne veut pas y retourner parce qu'elle craint d'être persécutée. Il me semble bien que le désir d'émigrer et la crainte d'être persécuté dans son propre pays peuvent diffici- lement s'exclure l'un l'autre. S'il était possible à une personne de quitter le pays elle craint d'être persé- cutée en émigrant légalement, cette solution semble- rait des plus satisfaisantes. Le fait qu'une personne ait cherché à émigrer me semble un bien faible motif pour mettre en doute la crédibilité de son témoignage selon lequel elle craint d'être persécutée dans son pays.
Les requérants ont formulé d'autres objections à l'endroit des motifs du tribunal; étant donné la façon dont je statuerais sur leurs demandes, je n'ai pas à en traiter. Pour conclure, je ne trouve soit aucun bien- fondé, soit aucune pertinence aux moyens fondés sur la Charte et la Déclaration des droits, et je ne vois aucune pertinence dans les moyens fondés sur le droit international. Je conclus toutefois que le premier palier d'audience a commis une erreur en considérant
la revendication des requérants selon son bien-fondé comme il l'a fait.
J'accueillerais par conséquent les deux demandes fondées sur l'article 28. Pour ce qui est du dossier A- 993-90, j'annulerais d'une part, la conclusion de l'ar- bitre K. D. Fussey et du membre de la section du sta- tut R. Rushowy, en date du 6 septembre 1990, qu'il n'existait pas d'éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut pouvait se fonder pour reconnaître aux requérants le statut de réfugiés au sens de la Convention et d'autre part, les avis d'in- terdiction de séjour subséquents donnés aux requé- rants par l'arbitre K. D. Fussey le ler octobre 1990, et je renverrais l'affaire au tribunal pour un nouvel exa- men compatible avec ces motifs. Quant au dossier A-222-91, j'annulerais les mesures d'expulsion en date du 28 décembre 1990, prises contre les requé- rants par l'arbitre Lyle Moffatt.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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