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A-727-90
Procureur général du Canada (requérant)
c.
Richard Roderick Morgan et la Commission canadienne des droits de la personne (intimés)
A-741-90
Commission canadienne des droits de la personne (requérante)
c.
Les Forces armées canadiennes, Norman Fetterly, Barry Sheppard et Ronald Lou-Poy, membres du tribunal d'appel canadien des droits de la personne (intimés)
et
Richard Roderick Morgan (mis en cause)
REPERTOR/L' CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) C. MORGAN (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Marceau et MacGuigan, J.C.A.—Vancouver, 24 septembre; Ottawa, 4 novembre 1991.
Droits de la personne Le plaignant fut renvoyé des Forces armées pour des raisons médicales Une demande de réen- gagement a été rejetée pour inaptitude du point de vue médi- cal, bien que le plaignant ait passé avec succès les premières étapes du processus de recrutement Les Forces armées admettent avoir agi de façon discriminatoire Le premier tri bunal a accordé une indemnité pour pertes de salaire à comp- ter de la date à laquelle il aurait pu être réengagé jusqu'à la date de l'audition (avec rajustement pour le retard à déposer de la plainte), avec intérêts composés calculés tous les six mois au taux préférentiel de la BCIC Réduction de l'indemnité pour refléter le fait que le plaignant a négligé d'atténuer les pertes en quittant des emplois Indemnité de I 000 $ égale- ment accordée pour préjudice moral Le tribunal d'appel a modifié l'indemnité en la calculant seulement à compter de la date à laquelle la plainte a été déposée, mais en étendant la période d'indemnité jusqu'à la date de la réintégration, en ne déduisant pas un montant pour l'absence d'atténuation des pertes, en ramenant le taux d'intérêt à celui des obligations d'épargne du Canada et en augmentant l'indemnité pour pré- judice moral, mais en refusant d'accorder des intérêts à ce titre Points en litige: (l) nature de la perte (est-il nécessaire de prouver la possibilité véritable, probable ou sérieuse de la perte de l'emploi?); (2) calcul de l'indemnité (effet du retard à déposer la plainte, absence d'atténuation des pertes, retard à
entendre l'affaire); (3) compétence d'accorder des intérêts et à quel taux Décision du tribunal d'appel annulée.
Il s'agit d'une demande et d'une demande reconventionnelle tendant à obtenir l'annulation de la décision d'un tribunal d'ap- pel des droits de la personne et la modification des redresse- ments accordés par le premier tribunal. En 1978, le plaignant, Morgan, a été renvoyé des Forces années canadiennes pour des raisons médicales après avoir été blessé sérieusement à la tête. Il a cherché à s'engager à nouveau en 1979 et il a passé avec succès les premières étapes du processus de recrutement. Sa candidature a été rejetée en 1980, et à nouveau en 1982, car il a été jugé inapte du point de vue médical. En 1983, il a déposé une plainte sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne, mais un tribunal n'a été constitué que cinq ans plus tard. Les Forces canadiennes ont par la suite reconnu avoir agi de façon discriminatoire contrairement à la Loi. Le tribunal de première instance a jugé que Morgan avait perdu un poste et non simplement la possibilité d'obtenir un poste. Il a accordé une indemnité pour pertes de salaire calcu- lée à compter de la date à laquelle Morgan aurait pu être réen- gagé jusqu'à la date de l'audition, après avoir effectué un rajustement de deux ans et demi pour tenir compte du retard à déposer la plainte en temps opportun. Il a réduit l'indemnité pour pertes de salaire afin de refléter le fait que le plaignant a négligé d'atténuer les pertes en quittant deux emplois qui lui rapportaient autant que le salaire offert par les Forces. Il a en outre accordé des intérêts composés, calculés deux fois par année, sur l'indemnité pour pertes de salaire au taux préféren- tiel de la Banque canadienne impériale de commerce et une somme de 1 000 $ avec intérêts pour préjudice moral. Enfin, il a ordonné la réintégration de Morgan.
Le tribunal d'appel a convenu que Morgan avait perdu un emploi véritable, jugeant qu'il était suffisant d'examiner le résultat probable du processus de recrutement pour arriver à cette conclusion. La majorité des membres du tribunal d'appel étaient d'accord pour dire que Morgan devrait être réintégré mais ils ont décidé que lorsqu'une ordonnance de réintégration est rendue, il n'y avait pas lieu de mettre fin à la période d'in- demnisation avant la réintégration réelle. La majorité a tenu compte de la longueur excessive du temps qui s'est écoulé avant le dépôt de la plainte et elle a jugé que la période d'in- demnisation ne devrait commencer que vingt-sept mois après l'acte discriminatoire. Étant d'avis que seules les pertes subies qui sont raisonnablement prévisibles peuvent être recouvrées, le membre dissident a jugé qu'il n'y avait aucune raison de ne pas fixer le début de la période d'indemnisation à la date à laquelle Morgan aurait réellement été réengagé. Il a jugé que la période ne pouvait pas être étendue au-delà d'une limite qui semblait raisonnable, soit quelque trois années et cinq mois plus tard. Le tribunal d'appel a refusé de déduire un montant de l'indemnité à cause de l'omission par le plaignant de limiter les pertes de salaire parce qu'il a estimé que l'approche adop- tée par le tribunal de première instance était trop simpliste. Le tribunal d'appel a ramené le taux d'intérêt à celui des obliga tions d'épargne du Canada. Il a porté le montant de l'indem- nité pour préjudice moral à 2 500 $ mais n'a pas accordé d'in- térêt sur ce montant, jugeant que cela n'était pas permis par la loi.
Le paragraphe 53(2) habilite le tribunal à accorder une indemnité pour pertes de salaire à la suite d'un acte discrimina- toire. Sous le régime du paragraphe 53(3), il peut ordonner le paiement d'une indemnité maximale de cinq mille dollars (y compris les intérêts) pour préjudice moral subi à la suite de l'acte discriminatoire.
Les questions en litige portaient sur les points suivants: (1) la nature de la perte à indemniser, point dont la résolution était subordonnée à la question de savoir si le plaignant avait perdu un emploi véritable ou simplement la possibilité d'obte- nir un poste car l'acte discriminatoire a eu lieu avant qu'on puisse vérifier s'il existait un poste à combler et évaluer l'es- prit combatif du candidat; (2) le calcul de l'indemnité pour lequel il fallait arrêter la période d'indemnisation, l'effet du retard à déposer la plainte et celui de l'atténuation des pertes; (3) les intérêts accordés, soit la question de savoir si le tribunal était compétent pour accorder des intérêts sur l'indemnité pour pertes de salaire et pour préjudice moral, et le taux d'intérêt approprié.
Arrêt (le juge MacGuigan, J.C.A., dissident): la demande et la demande reconventionnelle devraient être accueillies en par- tie et la décision du tribunal d'appel devrait être annulée.
Le juge Mahoney, J.C.A.: 11 n'était pas nécessaire de décider s'il fallait démontrer que la perte d'emploi était probable ou si elle était très possible parce qu'on s'est acquitté du fardeau plus lourd d'établir la probabilité de la perte d'emploi.
Il doit y avoir un lien de cause à effet entre l'acte discrimi- natoire et les pertes de salaire qui en résultent. Il s'agirait d'une simple coïncidence si ce montant était le même que le montant fixé pour les périodes choisies par l'un et l'autre tribunal. Bien que ce soient les circonstances de chaque affaire qui détermi- nent la longueur de la période au cours de laquelle on peut éta- blir ce lien de causalité, le temps que la Commission a consa- cré à l'examen d'une plainte, le dépôt tardif de la plainte et les délais de procédure avant qu'une ordonnance puisse être ren- due ne sont pas pertinents. La décision du membre dissident du tribunal d'appel doit être retenue.
Il est inutile de constituer de nouveau le tribunal d'appel pour examiner l'habitude de Morgan de quitter ses emplois car on ne pourrait dégager de nouveaux éléments de preuve. Le tribunal de première instance a tenu compte des conséquences financières pour Morgan de l'habitude de quitter ses emplois en se fondant sur les éléments de preuve dont il disposait. Ses conclusions, que le juge Marceau, J.C.A., voudrait rétablir, ne sont pas fondées sur une erreur susceptible de révision.
Puisque le tribunal de première instance a rejeté le taux pré- férentiel de la Banque du Canada sans motif valable, cette décision pouvait faire l'objet d'une révision et le tribunal d'ap- pel n'a pas commis d'erreur susceptible de révision en choisis- sant le taux des obligations d'épargne du Canada.
Le juge Marceau, J.C.A.: Pour donner droit à l'indemnité, il suffisait d'établir la simple possibilité pour le plaignant d'obte- nir un poste. Il était impossible de rejeter des éléments de preuve établissant que le poste aurait pu être refusé pour déter- miner le montant de l'indemnité à accorder. Cela dit, la con clusion du premier tribunal voulant que Morgan aurait pu cer-
tainement s'engager était une conclusion de fait dont il était impossible de dire qu'elle avait été tirée sans égard aucun pour les éléments de preuve produits. Ayant conclu que le premier tribunal n'avait pas commis, à cet égard, une erreur manifeste et dominante, le tribunal d'appel n'avait pas compétence pour intervenir.
Le premier tribunal et les membres majoritaires du tribunal d'appel ont eu tort de refuser de fixer une limite à la période d'indemnisation indépendamment de l'ordonnance de réinté- gration. Les principes établis en responsabilité délictuelle pour remettre la victime dans la position elle aurait été si le tort ne s'était pas produit s'appliquent dans les affaires relatives aux droits de la personne. Par conséquent, les conséquences de l'acte qui sont indirectes ou trop lointaines doivent être exclues des dommages-intérêts recouvrables. Seul le membre minori- taire a analysé les circonstances de l'affaire pour fixer une limite et sa conclusion devrait être acceptée.
La majorité des membres du tribunal d'appel s'est trompée en tenant compte dans l'évaluation des dommages-intérêts du délai de trois ans qui s'est écoulé avant que le plaignant ne dépose sa plainte. Il fallait évaluer les dommages-intérêts découlant de l'acte discriminatoire. Cette évaluation ne pouvait pas être affectée par la date du dépôt de la plainte. La déduc- tion d'une période pour le calcul de l'indemnité accordée en raison du délai correspondait à une pénalité et rien dans la législation n'autorise le tribunal à imposer une telle pénalité au plaignant. La période d'indemnisation fixée par le membre minoritaire devrait être acceptée.
Le tribunal d'appel n'aurait pas intervenir à l'égard de la conclusion relative à la limitation des pertes tirée par le pre mier tribunal. La question de la limitation du préjudice est une question mixte de droit et de fait mais les opinions divergentes du tribunal d'appel reposaient entièrement sur l'appréciation des éléments de preuve. Comme le premier tribunal n'a été guidé ni par une connaissance imparfaite de la loi ni par une fausse appréciation des éléments de preuve, ses conclusions n'auraient pas être infirmées. Les déductions qu'il a effec- tuées pour tenir compte de l'absence d'atténuation des pertes devraient être rétablies.
La Loi ne contient aucune disposition habilitant expressé- ment les tribunaux des droits de la personne à accorder des intérêts. Les tribunaux ont eu raison de juger que le pouvoir dont ils sont investis d'assurer à la victime une indemnisation adéquate leur permettait de lui accorder des intérêts. Cepen- dant, le pouvoir d'adjuger des intérêts n'est pas discrétionnaire. Les intérêts sont accordés seulement si cela s'avère nécessaire pour indemniser la perte. Aucune circonstance spéciale n'a été invoquée pour étayer la conclusion voulant qu'un intérêt supé- rieur à celui convenu par la Commission et le plaignant était nécessaire pour indemniser les pertes subies. L'intérêt est accordé à titre d'indemnité et la perte qui doit être indemnisée doit être établie par des éléments de preuve. Compte tenu de l'admission de responsabilité, le plaignant avait le droit d'être réintégré et d'être complètement indemnisé de ses pertes à compter du moment de la demande. Si cela avait été fait, l'ar- gent reçu aurait pu être immédiatement investi à long terme.
Comme ni les taux préférentiels de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, ni ceux de la Banque du Canada ne sont applicables à une perte de revenu provenant d'un investis- sement, le taux des obligations d'épargne du Canada devrait s'appliquer. Les intérêts composés peuvent être accordés seu- lement s'ils sont nécessaires pour indemniser les pertes subies. La preuve n'a pas démontré que tel était le cas en l'espèce.
Le tribunal d'appel n'avait aucune raison d'infirmer la déci- sion du premier tribunal d'accorder des intérêts pour préjudice moral.
Le juge MacGuigan, J.C.A. (dissident): Le tribunal est habi- lité à examiner le résultat probable de l'ensemble du processus. Le résultat n'a pas besoin d'être certain, mais il doit être fondé sur les conclusions que le tribunal peut tirer des faits présentés. Le premier tribunal a tiré la conclusion de fait voulant que le demandeur ait été rejeté en raison de son dossier médical. Le tribunal d'appel ne peut intervenir à l'égard d'une conclusion de fait que lorsque le premier tribunal a commis une erreur manifeste et dominante. C'est à bon droit qu'il a refusé d'inter- venir.
La Loi établit implicitement que les dommages-intérêts accordés doivent découler nécessairement de l'acte discrimina- toire. Le libellé de l'alinéa 53(2)c) établit un lien causal clair entre les dommages-intérêts accordés et l'acte discriminatoire. La majorité du tribunal d'appel s'est trompée en prenant en considération le retard de Morgan à déposer la plainte. Il n'y a aucun fondement légal permettant de le faire, si ce n'est le pouvoir conféré à la Commission de tenir compte de ce fac- teur. Un tribunal n'est autorisé qu'à accorder les seuls redres- sements prévus par l'article 53 qui ne comprennent pas le droit d'imposer une pénalité d'ordre financier au plaignant qui aurait tardé à déposer sa plainte. La période d'indemnisation doit commencer au moment de l'acte discriminatoire. Ce serait pénaliser Morgan que de déduire la période pendant laquelle il a tenté de limiter ses pertes en essayant de se réengager de la période d'indemnisation et ce serait contraire à l'objet de la Loi qui en est un de dédommagement et de redressement du préjudice.
Le délai de près de cinq ans et demi qui s'est écoulé est attri- buable à la Commission. Les articles 43, 44 et 49 montrent qu'il s'agit d'un processus qui tient compte du temps même si le temps n'est pas un élément essentiel. Il semble raisonnable que la Commission prenne une année pour enquêter et décider si elle doit constituer un tribunal, et sans vouloir lui imposer un horaire trop contraignant, lorsque la Commission ne propose aucune explication satisfaisante, un tribunal devrait considérer qu'il est normal qu'il s'écoule, au plus, deux ans entre la plainte et la constitution du tribunal, temps qui pourra être con- sacré aux procédures internes de la Commission. Par consé- quent, les délais de procédure de la Commission qui dépassent la période de deux ans ne devraient pas être pris en considéra- tion pour établir les pertes de salaire puisqu'après deux ans, il ne saurait y avoir aucun lien de causalité entre l'acte discrimi- natoire et l'indemnité pour pertes de salaire accordée. Le lien causal prévu par la Loi doit être respecté en dépit du préjudice subi par le plaignant dont la demande est accueillie. Ce qui
serait équitable, ce serait que la Commission rembourse toutes les pertes de salaire encourues pendant les deux années supplé- mentaires ou plus. Le retard intolérable à traiter cette plainte remet en question les ressources consenties à la Commission canadienne des droits de la personne.
Le tribunal d'appel a commis une erreur en ne tenant pas compte des deux cas l'intimé a volontairement quitté des emplois. Le caractère raisonnable des mesures prises pour atté- nuer les pertes doit être évalué en tenant compte de toutes les circonstances de l'affaire. Il ne s'agit pas d'incidents isolés, ils font partie de la conduite habituelle à examiner.
Les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire d'accorder des intérêts sur l'indemnité pour préjudice moral mais le tribunal d'appel a commis une erreur en augmentant le montant de l'in- demnité sans motif suffisant pour justifier la révision de la décision discrétionnaire du tribunal. L'alinéa 53(2)c), qui porte précisément sur l'indemnité pour pertes de salaire, autorise le tribunal à accorder des intérêts sur toute somme adjugée pour pertes de salaire. L'indemnisation adéquate de la victime sup pose un profit raisonnable sur l'argent qu'elle a perdu en raison de l'acte discriminatoire. Cet intérêt n'est pas limité par l'in- demnité maximale de 5 000 $ fixée au paragraphe 53(3). Le tribunal d'appel a commis une erreur en annulant sans motif la décision rendue par le tribunal au sujet du taux d'intérêt. Puis- que la Loi ne permet pas explicitement d'accorder des intérêts, il n'est pas possible de prétendre que seul le taux préférentiel de la Banque du Canada est autorisé. Le tribunal doit conserver le pouvoir discrétionnaire de fixer le taux, mais le taux préfé- rentiel de la Banque du Canada devrait être utilisé de préfé- rence, sauf lorsqu'il y a des circonstances spéciales. Le tribu nal a le pouvoir discrétionnaire d'accorder des intérêts simples ou composés, mais l'intérêt simple devrait être accordé le plus souvent et c'est ce que prévoit la loi dans la province la présente affaire a pris naissance.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Court Order Interest Act, R.S.B.C. 1979, ch. 76, art. 2.
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 41e), 43 (mod. par L.R.C. (1985) (1cr suppl.), ch. 31, art. 63), 44(1),(3) (mod., idem, art. 64), 49(1) (mod., idem, art. 66), (1.1) (mod., idem), 53(2),(3), 55, 56(3),(4),(5).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28.
JURISPRUDENCE DECISIONS APPLIQUÉES:
Société Radio-Canada c. S.C.F.P., [1987] 3 C.F. 515; (1987), 38 D.L.R. (4th) 617; 76 N.R. 155 (C.A.); Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391; (1990), 34 C.C.E.L. 179; 91 CLLC 17,011 (C.A.); DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1987), 8 C.H.R.R. D/3963 (Trib. C.D.P.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Canada (Procureur général) c. McAlpine, [1989] 3 C.F. 530; (1989), 99 N.R. 221 (C.A.); Torres v. Royalty Kit chenware Limited (1982), 3 C.H.R.R. D/858 (Comm. d'enqu. Ont.); Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633; (1978), 12 A.R. 271; 89 D.L.R. (3d) 1; [1978] 6 W.W.R. 301; 5 B.L.R. 225; 23 N.R. 181; Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2 R.C.S. 181; (1981), 124 D.L.R. (3d) 193; 14 B.L.R. 157; 17 C.C.L.T. 106; 2 C.H.R.R. D/468; 81 CLLC 14,117; 22 C.P.C. 130; 37 N.R. 455; Morgan c. Canada (Forces armées canadiennes) (1989), 10 C.H.R.R. D/6386 (Trib. C.D.P.); Cashin c. Société Radio-Canada (no 2) (1990), 12 C.H.R.R. D/222; 90 CLLC 17,017 (Trib. C.D.P.); Allen v. Sir Alfred McAlpine & Sons Ltd., [1968] 2 Q.B. 229 (C.A.); Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F. 209; (1984), 8 D.L.R. (4th) 622; 8 Admin. L.R. 161; 5 C.H.R.R. D/2234; 84 CLLC 17,009; 55 N.R. 112 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
Chandris v. Isbrandtsen-Moller Co. Inc., [1951] 1 K.B. 240 (C.A.); Minister of Highways for British Columbia v. Richland Estates Ltd. (1973), 4 L.C.R. 85 (C.A.C.-B.); Re Westcoast Transmission Co. Ltd. and Majestic Wiley Con tractors Ltd. (1982), 139 D.L.R. (3d) 97; [1982] 6 W.W.R. 149; 38 B.C.L.R. 310 (C.A.C.-B.); Cashin c. Société Radio-Canada, [1988] 3 C.F. 494; (1988), 9 C.H.R.R. D/5343; 88 CLLC 17,019; 86 N.R. 24 (C.A.); Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84; (1987), 40 D.L.R. (4th) 577; 8 C.H.R.R. D/4326; 87 CLLC 17,025; 75 N.R. 303.
DOCTRINE
Waddams, S. M. The Law of Damages, Toronto: Canada Law Book Ltd., 1983.
DEMANDE et demande reconventionnelle visant à faire annuler la décision d'un tribunal d'appel des droits de la personne [Morgan c. Canada (forces armées) (1990), 13 C.H.R.R. D/42] modifiant les remèdes accordés par le tribunal de première ins tance. Demande et demande reconventionnelle accueillies en partie.
AVOCATS:
Barbara A. Mclsaac pour le procureur général du Canada, requérant dans A-727-90, et les For ces armées canadiennes, intimée dans A-741-90. Peter C. Engelmann pour la Commission cana- dienne des droits de la personne, intimée dans A-727-90, requérante dans A-741-90.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour le procureur général du Canada, requérant dans A-727-90, et les Forces armées canadiennes, intimée dans A-741-90.
Commission canadienne des droits de la per- sonne pour la Commission canadienne des droits de la personne, intimée dans A-727-90, requé- rante dans A-741-90.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: J'ai eu l'avantage de lire le brouillon des motifs du jugement de mes collègues, les juges Marceau et MacGuigan de la Cour d'appel. Ils sont d'accord sur la plupart des questions en litige soulevées par la présente affaire et, sur ces points, je leur donne raison. Toutefois, mes collègues divergent d'opinion sur certaines questions, même s'ils s'enten- dent sur les conclusions, avec lesquelles, d'ailleurs, je suis d'accord. Il me paraît donc opportun d'expliquer brièvement les motifs qui m'ont amené à ces conclu sions relatives aux questions sur lesquelles mes col- lègues diffèrent d'opinion.
Premièrement, tous deux s'accordent pour dire que, suite à un acte discriminatoire, Richard Roderick Morgan s'est vu refuser un emploi dans les Forces armées canadiennes par opposition à une simple occasion d'obtenir un emploi, conformément aux décisions unanimes du tribunal [(1989), 10 C.H.R.R. D/6386] et du tribunal d'appel [(1990), 13 C.H.R.R. D/42], mais les juges ne s'entendent pas sur les élé- ments de preuve qui permettent d'en arriver à cette conclusion. L'obligation des Forces armées d'indem- niser Morgan des pertes de salaire découle de la con clusion selon laquelle Morgan aurait perdu un emploi. Le juge MacGuigan, J.C.A., quant à lui, pré- tend qu'il faut démontrer que la perte d'emploi était probable, alors que le juge Marceau, J.C.A., voudrait des éléments de preuve démontrant que la perte d'emploi était très possible.
Même si, dans une autre affaire, il pourrait s'avérer nécessaire d'en arriver à une conclusion quelconque sur cette question, cela me semble superflu dans l'af- faire qui nous occupe. Le tribunal et le tribunal d'ap- pel ont, à l'unanimité, statué qu'il y avait eu perte d'emploi. Comme le juge MacGuigan, J.C.A., l'a
démontré en révisant les éléments de preuve, on s'est acquitté du fardeau plus lourd d'établir la probabilité de la perte d'emploi. Je suis par conséquent d'accord avec mes collègues, quant au résultat.
Deuxièmement, le tribunal a jugé que l'indemnité pour pertes de salaire prévue par l'alinéa 53(2)c) [Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6] devait porter sur la période écoulée avant la date de l'audience. Une majorité des membres du tribunal d'appel a statué que lorsqu'il y a une ordonnance de réintégration, l'indemnité devait continuer jusqu'au moment de cette intégration. L'alinéa 53(2)c) de la Loi est à l'effet qu'il faut indemniser «la victime de la totalité, ou de la frac tion ... des pertes de salaire ... entraînées par l'acte». Je suis d'accord avec mes collègues: il doit y avoir un lien de cause à effet entre l'acte discrimina- toire et les pertes de salaire qui en résultent. Il s'agi- rait d'une simple coïncidence si ce montant était le même que le montant fixé pour les périodes choisies par le tribunal ou par la majorité du tribunal d'appel. Les dates limites choisies par ces deux tribunaux sont arbitraires et n'ont aucun lien logique avec la conclu sion.
Je suis également d'accord avec mes collègues pour dire que ce sont les circonstances de chaque affaire qui détermineront la longueur de la période au cours de laquelle on peut établir ce lien de causalité. Cependant, le juge MacGuigan, J.C.A., semble pen- ser que le temps que la Commission a consacré à l'examen d'une plainte peut être pertinent. Avec tout le respect que je lui dois, je ne suis pas d'accord. Je ne pense pas non plus que les délais entraînés par le dépôt tardif de la plainte, ni même les délais de pro- cédure avant que le tribunal ou le tribunal d'appel ne rendent une ordonnance de réintégration ou autre soient pertinents en l'espèce.
Dans les circonstances présentes, je souscris à l'opinion du juge Marceau, J.C.A., que c'est la déci- sion du membre dissident du tribunal d'appel, le seul arbitre à avoir vraiment étudié la question, qui devrait être retenue.
Troisièmement, quant à la limitation du préjudice, le juge MacGuigan, J.C.A., voudrait que le tribunal d'appel prenne en considération l'habitude qu'avait Morgan de quitter ses emplois, alors que le juge Mar-
ceau, J.C.A., a fixé pour chaque année en cause des montants qu'il voudrait soustraire de l'indemnité accordée à Morgan parce qu'il n'avait pas tenté d'at- ténuer ses pertes. Les montants stipulés sont ceux que le tribunal de première instance a fixés pour les années en cause compte tenu du fait que Morgan avait quitté certains emplois, mais ils ne tiennent pas compte du fait qu'il avait l'habitude de le faire.
Les principes sur lesquels le juge MacGuigan, J.C.A., s'est appuyé pour tirer ses conclusions me semblent valables, et je pense que l'habitude qu'a une personne de changer souvent d'emploi est tout à fait pertinente à la question de limitation du préjudice. Toutefois, je crois qu'il est inutile de constituer de nouveau le tribunal d'appel, sauf pour une réunion pro forma. Il est clair qu'on ne pourrait dégager de nouveaux éléments de preuve. Le tribunal de pre- mière instance a tenu compte des conséquences financières pour Morgan de l'habitude de quitter ses emplois. Il a pris une décision fondée sur les élé- ments de preuve dont il disposait et qu'il jugeait ne pas être suffisants. Ses conclusions, que le juge Mar- ceau, J.C.A., voudrait rétablir, ne sont pas fondées sur un raisonnement erroné que, soit le tribunal, soit cette Cour, aurait le pouvoir d'examiner de nouveau.
Quatrièmement, quant aux intérêts, mes collègues sont d'avis qu'en l'espèce il n'y avait pas lieu d'ac- corder des intérêts composés, et que le tribunal d'ap- pel avait fait erreur en substituant à l'indemnité de 1 000 $, avec intérêts, accordée par le tribunal en vertu de l'alinéa 53(3)b), une indemnité de 2 500 $, sans intérêt, mais, si je comprends bien, ils ne sont pas d'accord sur le taux qui s'applique. Le juge Mar- ceau, J.C.A., accepterait le taux des obligations d'épargne du Canada que le tribunal d'appel a substi- tué au taux préférentiel que la Banque Canadienne Impériale de Commerce [BCIC] réserve à ses meil- leurs clients imposé par le tribunal de première ins tance. Le juge MacGuigan, J.C.A., préférerait laisser cette question à la discrétion du tribunal d'appel, tout en indiquant qu'il faudrait appliquer, en l'absence de circonstances spéciales, le taux préférentiel de la Banque du Canada. Puisque le tribunal a rejeté le taux préférentiel de la Banque du Canada sans motif valable (il est certainement aussi facile de connaître que le taux préférentiel de la BCIC à divers moments
depuis 1980), le tribunal d'appel était libre de fixer un taux différent. Je ne suis pas convaincu que le tri bunal d'appel a commis une erreur susceptible de révision en choisissant le taux des obligations d'épargne du Canada. Je pencherais donc pour le taux proposé par le juge Marceau, J.C.A.
J'accueillerais la demande et la demande recon- ventionnelle, j'annulerais la décision du tribunal d'appel et je renverrais l'affaire au tribunal d'appel pour nouvel examen, conformément aux conclusions du juge Marceau, J.C.A.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Il s'agit d'une demande principale et d'une demande reconventionnelle fon- dées sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7] relatives à une décision du tribunal d'appel constitué en vertu de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. À première vue, les présentes demandes qui portent sur le montant de l'indemnité accordée au plaignant en raison de l'acte discriminatoire qu'il a subi présentent peu d'intérêt. Toutefois, la question dont nous sommes saisis déborde le cadre du litige et porte sur des principes généraux sur lesquels cette Cour n'a jamais eu à se pencher dans une affaire sem- blable.
J'ai eu l'avantage de lire les motifs du jugement rendu par mon collègue, le juge MacCuigan, J.C.A. Toutefois, l'étude que j'ai faite des différentes ques tions soulevées m'a amené à tirer des conclusions différentes des siennes. Compte tenu des répercus- sions éventuelles de la présente décision, j'ai cru sou- haitable d'exposer brièvement mon propre point de vue.
Il m'apparaît inutile de ressasser les faits. D'ail- leurs, ils ont peu d'importance eu égard à mes pro- pos. Je les invoquerai peut-être plus explicitement, s'il y a lieu, au cours de ce jugement, mais pour l'ins- tant, il me suffit de résumer les faits principaux. La décision en cause, qui est très longue (94 pages), a été rendue par un tribunal d'appel de trois membres qui devait réviser la décision d'un tribunal de pre- mière instance constitué d'une seule personne. Le tri-
bunal d'appel devait déterminer les remèdes auxquels le plaignant Morgan avait droit. Dix années plus tôt, les Forces armées avaient refusé d'engager Morgan d'une manière «incorrecte» qui constituait, de l'avis de toutes les parties, un acte discriminatoire illégal. Le tribunal d'appel a confirmé la décision du premier tribunal relative à la réintégration du plaignant dans ses fonctions, tout en modifiant le montant de l'in- demnité que les Forces armées devaient lui verser. Le juge MacGuigan,J.C.A., a expliqué que les questions en litige portent essentiellement sur les conclusions relatives à l'indemnité. Je les aborderai donc dans l'ordre suivi par mon collègue.
1. La première question porte sur la nature de la perte qu'il faut indemniser. Le procureur général sou- tient, comme il le fait depuis le début, que le plai- gnant n'a perdu que l'occasion d'obtenir un emploi, plutôt qu'un emploi véritable tel qu'en a jugé le tribu nal de première instance, décision entérinée par le tri bunal d'appel.
Il m'est difficile d'accepter la conclusion du tribu nal d'appel entérinée par mon collègue qu'il suffisait d'examiner le résultat probable du processus de recrutement pour conclure qu'il s'agissait de la perte d'un emploi plutôt que de la perte d'une simple pos- sibilité d'emploi. La Cour n'a pas à se pencher sur la preuve d'un fait antérieur qui, dans une cour civile, se fait par prépondérance des probabilités. La Cour n'a pas non plus à examiner le lien entre un résultat parti- culier et sa cause éventuelle. Il me semble qu'il ne faut pas confondre la preuve d'une perte véritable et de son lien avec l'acte discriminatoire avec la preuve de l'ampleur de la perte. Pour démontrer l'existence du préjudice donnant droit à l'indemnité, il n'était pas nécessaire de démontrer que, n'eût été l'acte dis- criminatoire, le plaignant aurait certainement obtenu le poste. De plus, aux fins d'établir le préjudice, point n'est besoin de démontrer la probabilité de celui-ci. À mon avis, la preuve d'une possibilité, pourvu qu'elle soit sérieuse, suffit à démontrer l'existence du préju- dice. Par contre, pour connaître l'ampleur du préju- dice et les dommages-intérêts qu'il entraîne, il m'ap- paraît impossible de rejeter des éléments de preuve démontrant que, de toute manière, le poste aurait pu être refusé. La présence de cet élément d'incertitude empêcherait le tribunal d'accorder les dommages-
intérêts qu'il accorderait en l'absence de celui-ci. L'indemnité fixée par le tribunal serait réduite en fonction du degré d'incertitude.
Cela dit, néanmoins, je partage l'opinion de mon collègue qui veut écarter l'argument du requérant sur ce point. Si je comprends bien la décision du tribunal de première instance, le président en est arrivé à la conclusion, malgré certaines remarques équivoques, que Morgan aurait pu certainement s'engager même si, théoriquement, il n'avait pas encore franchi toutes les étapes du processus de recrutement. Bien entendu, il s'agit d'une conclusion de fait fondée sur certains éléments de preuve. Ayant conclu que le tribunal antérieur n'avait pas commis, à cet égard, une erreur manifeste et dominante', le tribunal d'appel n'a pas compétence pour intervenir. Pour ce motif, nous n'avons pas non plus compétence dans ce cas.
2. La deuxième question, celle du calcul de l'in- demnité pour pertes de salaire, est beaucoup plus dif- ficile à régler. Comme l'a expliqué mon collègue, tous les membres du tribunal d'appel se sont enten- dus pour modifier la décision du tribunal de première instance, mais ils ne se sont pas entendus sur la nature de la décision qu'il fallait lui substituer. La question en litige était celle de savoir s'il fallait fixer une «limite» ou une «fin» à la période d'indemnisa- tion. La majorité des membres étaient d'avis que dans les affaires portant sur les droits de la personne, lors- qu'une ordonnance de réintégration était rendue, il n'y avait pas lieu de mettre fin à la période d'indem- nisation avant la réintégration réelle. En l'espèce, cependant, à cause de la longueur excessive du temps qui s'est écoulé (39 mois) avant le dépôt de la plainte, cette période ne devait commencer que 27 mois après la date du refus injustifié de la nouvelle demande d'engagement du plaignant. Pour le membre minori- taire, la doctrine de «prévisibilité» adoptée en respon- sabilité délictuelle exigeait l'établissement d'une date limite. Mais il n'a trouvé aucune raison de ne pas fixer le début de la période au jour Morgan aurait pu s'engager si sa demande n'avait pas été injuste- ment refusée. Il a conclu que la période devait débu- ter le 21 juillet 1980, mais qu'elle devait être d'au plus trois ans et cinq mois, limite de temps qui lui
Cashin c. Société Radio-Canada, [1988] 3 C.F. 494 (C.A.), à la p. 501.
semblait raisonnable. Par contre, ni la majorité, ni la minorité des membres n' a accepté la décision du tri bunal de première instance de déduire un montant de l'indemnité à cause de la prétendue omission par le plaignant de limiter les pertes de salaire au cours de la période d'indemnisation.
Cette deuxième question, qui porte sur le montant de l'indemnité, soulève trois questions, soit: a) la durée de la période d'indemnisation; b) la déduction pour les mois écoulés avant le dépôt de la plainte; c) la déduction pour omission de limiter le préjudice.
a) À la lecture des commentaires du président du tribunal de première instance et de ceux de la majo- rité du tribunal d'appel, force m'est de constater la présence d'une certaine confusion entre le droit d'ob- tenir réparation d'un préjudice subi et l'évaluation des dommages-intérêts. Si la nature spéciale de la Loi sur les droits de la personne, que l'on dit tellement fondamentale qu'elle serait presque de nature consti- tutionnelle et qui n'est pas du domaine de la respon- sabilité délictuelle (voir p.ex. l'arrêt Robichaud c. Brennan (sub nom. Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, à la page 89, et l'arrêt Bhadauria c. Bureau des gouverneurs du Seneca Col lege (sub nom. Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria), [1981] 2 R.C.S. 181), exclut l'application de limites au droit d'obtenir une indemnité qui relève de la responsabilité délictuelle, l'évaluation des dommages-intérêts exigibles par la victime ne peut être régie par des règles différentes. Dans les deux cas, le principe est le même: la partie lésée doit être remise dans la position elle aurait été si le tort ne s'était pas produit. Tout autre but entraînerait un enrichissement sans cause et un appauvrissement injustifié parallèle. Les principes établis par les tribunaux pour atteindre cet objectif en responsabilité délictuelle s'appliquent donc nécessai- rement. Il est bien connu que l'un de ces principes consiste à exclure les conséquences de l'acte qui sont trop lointaines ou seulement indirectes. À mon avis, le membre minoritaire avait tout à fait raison en écri- vant (aux pages D/74 et D/75):
Si la réintégration est purement discrétionnaire et que ce n'est pas le cas de l'indemnisation, il me semble que certains principes reconnus applicables en matière d'octroi de dom- mages-intérêts devraient guider le tribunal dans son apprécia- tion et son évaluation de la perte financière. Ces principes ont été cités et endossés par le tribunal d'appel au par. 7716
[D/869 de Torres, supra] de l'affaire Foreman [Foreman c. Via Rail Canada Inc. (1980), 1 C.H.R.R. D/233], supra:
À notre avis, le mot «indemnité» titre de compensation) utilisé dans la loi canadienne implique que les tribunaux doi- vent appliquer les principes employés par les cours de jus tice qui accordent des compensations en droit civil, dont le principe essentiel repose, dans l'octroi de dommages-inté- rêts, sur celui de la «restitutio in integrum»: la partie lésée doit être remise dans la position elle aurait été si le tort qui lui a été causé ne s'était pas produit, dans la mesure l'argent peut dédommager la partie lésée et dans la mesure celle-ci reconnaît son obligation de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes. (D/238)
Dans un arrêt récent, Canada (Attorney General) c. McAI- pine, supra, [[1989] 3 C.F. 530], la Cour d'appel fédérale, appelée à statuer sur un appel formé contre une décision d'un tribunal des droits de la personne qui s'est appuyé sur ce prin- cipe pour déterminer les dommages-intérêts devant être accordés pour les pertes de prestations d'assurance-chômage, a fait les commentaires suivants à la p. 538 [par. 13, D/258]:
[ ... ] il aurait également fallu tenir compte du caractère prévisible ou de la prévisibilité raisonnable des dommages, peu importe que l'action intentée soit en responsabilité con- tractuelle ou en responsabilité délictuelle. En effet, seules les pertes subies qui sont raisonnablement prévisibles sont recouvrables.
La Cour fédérale cite et endosse ensuite les propos du profes- seur Cummings dans l'affaire Torres, supra [Torres v. Royalty Kitchenware Ltd. (1982), 3 C.H.R.R. D/858 (Comm. d'enqu. Ont.)], en ce qui concerne la limite au montant que la victime peut recevoir à titre de dédommagement, et elle signale que ce raisonnement a été suivi par le tribunal d'appel dans l'affaire DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (no 2), supra [(1987), 8 C.H.R.R. D/3963] aux p. D/3966 et D/3967, ainsi que d'autres tribunaux des droits de la personne qui ont considéré que la doctrine de la prévisibilité raisonnable est un facteur essentiel dans l'évaluation des dommages-intérêts.
Il découle de mon interprétation des mesures correctives prévues dans la Loi qu'il n'est pas nécessaire que la période d'indemnisation coïncide avec la réintégration, peu importe quand elle a lieu. Elle est encore moins déterminée automati- quement par l'ordonnance de réintégration. C'est sur ce point capital de l'affaire que je ne partage pas l'opinion de mes col- lègues. Je serais d'accord pour dire que, si la victime de l'acte discriminatoire avait été congédiée d'un emploi qu'elle occu- pait réellement et que sa réintégration devait avoir lieu peu après, la période d'indemnisation coïnciderait logiquement avec cet événement. Par contre, il s'agit plutôt en l'espèce de la perte théorique d'un emploi que n'occupait pas l'intimé lors- que s'est produit l'acte discriminatoire.
À mon avis ces diverses doctrines ont peu de poids lorsqu'il s'agit de mettre en application l'idée toute simple qu'il y a une limite à la responsabilité de l'au- teur du préjudice quant aux conséquences de son acte sauf, peut-être, dans les cas de mauvaise foi. Certains
arrêts se sont fondés sur la doctrine de la prévisibilité des dommages, un critère qui me semble plus appro- prié en matière contractuelle. Dans d'autres arrêts, on mentionne des critères tels que les conséquences directes ou raisonnablement directes de l'acte dom- mageable. Le but visé demeure le même: écarter les conséquences de l'acte qui sont trop lointaines compte tenu de tous les événements qui ont eu lieu entre les deux. Quelle que soit la source de responsa- bilité, le bon sens s'applique.
Je sais que les principes appliqués dans les affaires portant sur des cas de congédiement injuste pour l'évaluation des pertes de salaire ne s'appliquent pas nécessairement aux affaires portant sur les pertes d'emploi découlant d'un acte discriminatoire. Dans les cas de congédiement injuste, on reproche à l'em- ployeur non pas d'avoir mis fin au contrat de travail, mais de l'avoir fait sans avis préalable, en violation du contrat. La nature de l'acte sur lequel porte la res- ponsabilité étant différente, les conséquences qui en découlent le sont donc aussi.
À mon avis, le tribunal de première instance et la majorité des membres du tribunal d'appel ont eu tort de refuser de fixer une limite à la période d'indemni- sation indépendamment de l'ordonnance de réinté- gration. L'établissement de cette limite était, comme il l'est dans toutes ces affaires, un exercice difficile qui exige une analyse détaillée des circonstances en cause. Le membre minoritaire est le seul à avoir fait ce calcul et je pense que cette Cour, au lieu d'ordon- ner une nouvelle audience, devrait accepter ses con clusions qui sont celles d'ailleurs que le tribunal a adoptées dans des circonstances similaires dans l'af- faire de DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1987), 8 C.H.R.R. D/3963 (Trib. C.D.P.).
b) La deuxième question, qui porte sur la déduc- tion d'un certain nombre de mois pour compenser le dépôt tardif de la plainte, m'apparaît facile à régler. Je n'arrive pas à comprendre le fondement de la déci- sion des membres majoritaires de tenir compte du délai de trois ans qui s'est écoulé avant que le plai- gnant ne dépose sa plainte. Ils n'ont certainement pas pensé qu'en déposant sa plainte plus tôt, le plaignant aurait atténué ses pertes; d'ailleurs, ils ne le préten- dent pas. Par conséquent, comment ce délai pouvait-il entrer en jeu dans l'évaluation des dommages-inté-
rats? Bien entendu, toutes les pertes encourues doi- vent être indemnisées jusqu'au moment de la réinté- gration, alors on pourrait penser que le retard du plaignant à déposer sa demande a eu pour effet d'al- longer cette période. Mais cela est faux. Ce qu'il faut, c'est évaluer les dommages-intérêts découlant des pertes de salaire dues à l'acte fautif. Je ne vois pas comment cette évaluation pourrait être affectée par la date du dépôt de la plainte. La déduction d'une période de trois ans du montant de l'indemnité accor- dée n'est qu'une forme de pénalité et rien dans la loi ne peut être interprété comme permettant au tribunal d'imposer une pénalité au plaignant. Par conséquent, je suis d'accord avec mon collègue que la demande reconventionnelle, à cet égard, doit être accueillie.
c) Il me semble que la troisième question qui porte sur la limitation du préjudice n'est pas tellement compliquée. Elle ne soulève aucune question de droit; les deux tribunaux ont reconnu que l'évaluation des dommages-intérêts devait tenir compte de l'obli- gation bien établie en common law de limiter le pré- judice. Ils s'entendaient également sur la nature de cette obligation. Néanmoins, le tribunal d'appel a jugé bon d'intervenir parce qu'il avait le sentiment que l'approche adoptée par le tribunal de première instance était trop simpliste. De l'avis du tribunal d'appel, par exemple, on ne pouvait reprocher au plaignant, compte tenu de tous les faits, d'avoir quitté deux emplois sans motifs, l'un en 1980 et l'autre en 1981, emplois qui lui rapportaient autant que le salaire offert par les Forces armées, à l'époque.
À mon avis, cette intervention du tribunal d'appel n'est pas justifiée. Alors que la question de limitation du préjudice est une question mixte de droit et de fait, les opinions divergentes du tribunal d'appel repo- saient entièrement sur l'appréciation des éléments de preuve. Le président du tribunal de première instance n'a certes pas été guidé par une connaissance impar- faite de la loi ou une fausse appréciation des éléments de preuve en rendant sa décision. Ses conclusions étaient les bonnes je pense qu'il faut les rétablir.
Par conséquent, quant au montant de l'indemnité, je me vois obligé d'exprimer mon désaccord avec le juge MacGuigan, J.C.A. J'accepterais que la période d'indemnisation soit celle fixée par le membre mino-
ritaire, c'est-à-dire du mois de juillet 1980 au mois de décembre 1983. Toutefois, je rétablirais la conclusion du tribunal de première instance que l'intimé a manqué à son obligation de limiter le préjudice au cours de ces années pour les montants suivants: 4 092,56 $ en 1980, 4 767,57 $, en 1981, 901,46 $ en 1982 et 4 861,80 $ en 1983.
3. La troisième question est celle des intérêts accordés sur l'indemnité principale pour pertes de salaire et sur l'indemnité supplémentaire pour préju- dice moral.
a) Quant à l'indemnité pour pertes de salaire, le premier tribunal avait accordé les intérêts composés calculés tous les six mois au taux que la Banque Canadienne Impériale de Commerce accorde à ses clients de premier ordre. Le tribunal d'appel y a subs- titué un taux différent, soit celui des obligations d'épargne du Canada. Encore une fois, il faut évaluer cette question par étapes successives: i) est-ce que les tribunaux avaient la compétence d'accorder les inté- rêts?; ii) si c'était le cas, à compter de quelle date, à quel taux et sur quel montant?; et finalement iii) fal- lait-il qu'il s'agisse d'intérêts composés?
i) La loi ne contient aucune disposition habilitant expressément les tribunaux à adjuger des intérêts et cette Cour n'a pas encore eu à trancher cette ques tion. Néanmoins, je suis d'accord avec le juge MacGuigan, J.C.A., lorsqu'il affirme que les tribu- naux ont eu raison de juger que le pouvoir dont ils sont investis d'assurer à la victime une indemnité adéquate leur permettait de lui accorder les inté- rêts. Il s'agit très certainement d'une conclusion pleine de bon sens que cette Cour n'a pas hésité à appliquer dans les décisions suivantes: Société Radio-Canada c. S. C. F. P., [ 1987] 3 C.F. 515 et Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391. Bien noter, cependant, que dans ce sens, le pouvoir d'adjuger des intérêts n'est pas discré- tionnaire. Il ne s'agit pas non plus d'un pouvoir fondé uniquement sur le principe général retenu en responsabilité délictuelle ou contractuelle selon lequel la partie défenderesse a privé le plaignant d'argent alors qu'elle en avait elle-même l'usage. Les intérêts sont accordés si, et seulement si, cela s'avère nécessaire pour indemniser la perte. Voilà le fondement de ma pensée sur les autres questions relatives aux intérêts.
ii) Par rapport à ces autres questions, mon collègue a cité un passage de la décision du tribunal de pre- mière instance dont voici, de nouveau, le premier paragraphe la page 6406]:
Les avocats des mises-en-cause dans la présente affaire ont soutenu que dans l'éventualité des intérêts seraient adjugés, le taux devrait en être de 5 p. 100 selon les disposi tions de l'art. 3 de la Loi sur les intérêts. Même si les avo- cats des mises-en-cause et de la Commission ont déclaré être disposés à accepter un taux d'intérêt de 5 p. 100, je ne suis pas du même avis.
Je m'étonne que le président du tribunal ait fait fi de l'entente entre le plaignant et la Commission sur le taux de 5 p. 100. Ce qui me gêne, ce n'est pas que le président ait, en quelque sorte, outre- passé la demande, car à mon avis la doctrine de l'ultra petita ne s'applique pas en l'espèce. Je suis plutôt surpris du fait que le tribunal n'a invoqué aucune circonstance qui pourrait justifier sa déci- sion d'accorder un taux d'intérêt plus élevé pour indemniser les pertes subies. Aucun élément de preuve ne permet de conclure que le plaignant avait eu à compenser les pertes de salaire par des emprunts sur lesquels il aurait versé des intérêts, ni qu'il aurait touché des intérêts sur la totalité ou sur une partie de ce salaire s'il n'en avait pas été privé. Encore une fois, c'est à titre d'indemnité que le tri bunal accorde des intérêts, et, à mon avis, la perte qui doit être indemnisée doit être établie par des éléments de preuve.
D'après les faits en l'espèce, cependant, et compte tenu du fait que les Forces armées ont reconnu leur responsabilité, il me semble que dès le dépôt de la plainte, le plaignant avait droit d'être réintégré dans ses fonctions et, au même moment, d'être complètement indemnisé de ses pertes. Si cela avait été fait, l'argent reçu, à titre d'indemnité, aurait pu être immédiatement investi à long terme. Ses besoins quotidiens auraient été comblés par le salaire normal auquel il aurait eu droit de nouveau. Quant au taux, puisqu'il s'agit de pertes de revenu provenant d'un investissement, le tribunal d'appel a raison lorsqu'il soutient que ni les taux préféren- tiels de la Banque Canadienne Impériale de Com merce, ni ceux de la Banque du Canada ne con- viennent. J'adopterais également le taux des obligations d'épargne du Canada qui s'appliquerait chaque année sur le montant de l'indemnité, jus- qu'au paiement de la somme due.
iii) Quant à la question de savoir s'il était du res- sort du tribunal d'accorder des intérêts composés, il faut régler cette question en suivant le même principe. Le tribunal peut accorder des intérêts composés si, et seulement si, en vertu des éléments de preuve et des circonstances de l'affaire, ces intérêts sont nécessaires pour indemniser les pertes subies. Je m'empresse d'ajouter que mon collègue a raison d'affirmer que ce n'était pas le cas en l'es- pèce.
b) Reste la question de l'indemnité pour préjudice moral. Comme l'a expliqué mon collègue, le tribunal d'appel a encore une fois refusé de confirmer la déci- sion du tribunal de première instance en statuant que la loi ne permettait pas d'accorder ce genre d'indem- nité. Je suis d'accord avec mon collègue que la déci- sion de cette Cour dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Rosin, précitée, a réglé cette question. Le tribunal d'appel n'avait aucune raison d'infirmer la conclusion du tribunal.
En résumé, il me semble que le tribunal d'appel a erré: a) en établissant une période d'indemnisation plus longue que celle proposée par le membre mino- ritaire; b) en limitant la période d'indemnisation à cause du retard du plaignant à déposer sa plainte; c) en modifiant les conclusions du tribunal de première instance sur la déduction des dommages-intérêts payables au plaignant au cours des années 1980 et 1981, sous prétexte qu'il n'aurait pas atténué ses pertes; d) en accordant plus que les intérêts simples calculés au taux des obligations d'épargne du Canada, à compter de la date de la plainte; et e) en modifiant la conclusion du tribunal de première ins tance relative au montant de l'indemnité pour préju- dice moral et les intérêts sur celui-ci. Comme mon collègue MacGuigan, J.C.A., j'accueillerais en partie la demande principale et la demande reconvention- nelle et j'infirmerais la décision contestée; toutefois, je renverrais l'affaire au tribunal pour nouvel examen avec des directives conformes aux présentes conclu sions.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MACGUIGAN, J.C.A. (dissident): La pré- sente demande fondée sur l'article 28 portant le numéro A-727-90, vise la décision datée du 14 sep- tembre 1990 du tribunal d'appel constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 («la Loi»). Dans cette déci- sion, le tribunal d'appel avait modifié la décision du 8 mars 1989 du tribunal constitué en vertu de la Loi pour examiner une plainte déposée par la première partie intimée, Richard Roderick Morgan («Mor- gan»). Les parties demandent à la Cour de réviser les indemnités accordées.
La Commission des droits de la personne («la Commission») a déposé une demande reconvention-
nelle portant le numéro A-741-90 à l'encontre de la décision du tribunal d'appel. Conformément aux directives émises par la Cour, les deux demandes fondées sur l'article 28 ont fait l'objet d'un même dossier et ont été entendues conjointement.
Morgan a été soldat d'infanterie dans les Forces armées canadiennes (les «Forces canadiennes») du 21 novembre 1973 au 30 mars 1978. En 1975, alors qu'il n'était pas en fonction, il a été blessé sérieusement à la tête dans un accident de voiture qui l'a laissé inconscient pendant huit semaines et incapable de travailler pendant un an. Conséquemment, il a été renvoyé à la vie civile pour raisons médicales au mois de mars 1978.
Au mois de juin 1979, Morgan a cherché à s'enga- ger de nouveau dans les Forces canadiennes. Il a passé avec succès les premières étapes du processus de recrutement, mais dans une lettre datée du 17 avril 1980 Morgan apprit que, suite à l'examen complet de son dossier, on ne jugeait pas [TRADUCTION] «qu'il était apte, du point de vue médical, à s'engager dans les Forces armées» (dossier V, à la page 882). Il faut tenir compte également du fait qu'à cause d'une obli gation judiciaire Morgan ne pouvait, de toute façon, s'engager avant le 21 juillet 1980, date qui devrait donc être celle de l'acte discriminatoire dans la pré- sente affaire. Au mois de février 1982, Morgan s'est, encore une fois, enquis au sujet de sa nouvelle demande d'engagement dans les Forces canadiennes, mais il a été refusé de nouveau. Il a ensuite déposé
une plainte en vertu de la Loi, le 31 juillet 1983. Pres- que cinq années se sont passées avant que l'avis de la constitution d'un tribunal canadien des droits de la personne ne soit émis le 9 juin 1988, un délai inexpli cable sur lequel nous reviendrons plus tard.
Au moment Morgan voyait sa demande refusée en 1980, l'examen médical le plus récent effectué par un médecin de la base militaire le déclarait apte à s'engager. Cet examen avait été rendu nécessaire, parce que Morgan avait tenté d'obtenir une pension d'invalidité suite aux blessures qu'il avait subies à la tête. Il a voulu s'engager de nouveau suite au résultat positif de cet examen. Les Forces canadiennes ont par la suite reconnu avoir agi de façon discriminatoire contrairement à la Loi, et les procédures légales visaient à fixer l'indemnité qui devait être accordée.
Les dispositions pertinentes de la Loi sont les sui- vantes:
53....
(2) A l'issue de son enquête, le tribunal qui juge la plainte fondée peut, sous réserve du paragraphe (4) et de l'article 54, ordonner, selon les circonstances, 3 la personne trouvée coupa- ble d'un acte discriminatoire:
b) d'accorder à la victime, dès que les circonstances le per- mettent, les droits, chances ou avantages dont, de l'avis du tribunal, l'acte l'a privée;
c) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte;
d) d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d'autres biens, services, installations ou moyens d'hébergement, et des dépenses entraînées par l'acte.
(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dol lars, s'il en vient à la conclusion, selon le cas:
a) que l'acte a été délibéré ou inconsidéré;
b) que la victime en a souffert un préjudice moral.
55. La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l'ordonnance rendue par un tribunal de moins de trois membres en signifiant l'avis prescrit par décret du gou- verneur en conseil aux personnes qui ont reçu l'avis prévu au paragraphe 50(1), dans les trente jours du prononcé de la déci- sion ou de l'ordonnance.
56....
(3) Le tribunal d'appel peut entendre les appels fondés sur des questions de droit ou de fait ou des questions mixtes de droit et de fait.
(4) Le tribunal d'appel entend l'appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision ou l'ordonnance fait l'objet de l'appel et sur les observations des parties intéressées; mais il peut, s'il l'estime indispensable à la bonne administration de la justice, recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre des témoignages.
(5) Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'ar- ticle 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels.
Le requérant prétend que le tribunal d'appel a fait erreur en la manière suivante:
1) En décidant que l'acte discriminatoire admis avait privé Morgan d'un poste auprès des Forces canadiennes, par opposition à la possibilité d'obtenir un emploi;
2) En ordonnant que la victime soit indemnisée pour une période de temps qui n'était pas raisonna- ble, vu les circonstances;
3) En estimant mal l'importance du fait que Mor- gan n'avait pas atténué ses pertes;
4) En ordonnant des intérêts de plus de 5 000 $ sur l'indemnité pour pertes de salaire;
5) En ordonnant l'application d'intérêts composés sur l'indemnité accordée pour pertes de salaire;
6) En omettant de déduire les prestations d'assu- rance-chômage et les bénéfices d'aide sociale perçus par Morgan de l'indemnité pour pertes de salaire.
Cette dernière prétention a été abandonnée au moment de la plaidoirie orale et on n'a pas trop insisté sur la quatrième. Les autres questions feront chacune l'objet d'un examen particulier. À ces der- nières il faut ajouter, d'ailleurs, les trois questions soulevées par la Commission dans sa demande recon- ventionnelle, à savoir que le tribunal d'appel avait erré a) en refusant d'imposer des intérêts sur l'indem- nité accordée, à titre de dédommagement pour le pré- judice moral, b) en substituant le taux d'intérêt des obligations d'épargne du Canada au taux d'intérêt préférentiel de la Banque Canadienne Impériale de Commerce, et c) en tenant compte, par rapport à l'in- demnité pour pertes de salaire, du retard du plaignant à déposer sa plainte en vertu de la Loi. Les questions qui découlent de la demande reconventionnelle seront examinées en même temps que la demande princi- pale.
1. La perte d'un emploi
Il s'agit d'une question soulevée dans la demande principale seulement.
Le requérant prétend qu'en réalité, ce que Morgan a perdu ce n'est pas un poste, mais tout simplement la possibilité d'obtenir un poste puisqu'à l'époque l'acte discriminatoire a été commis, Morgan devait franchir encore deux étapes du processus de recrute- ment même s'il avait été recommandé par l'intervie- weur du comité de sélection de l'unité: a) il fallait vérifier pour savoir s'il y avait des postes vacants et b) évaluer l'esprit combatif du candidat (dossier V, à la page 899).
La plaidoirie du requérant portait que: 1) le droit à l'indemnité pour la perte d'un emploi est acquis s'il est certain que le plaignant aurait obtenu le poste n'eût été l'acte discriminatoire; 2) cette conclusion dépend d'une part, du moment, au cours du processus de recrutement, du rejet de la demande du plaignant, et d'autre part, de la question de savoir si l'acte dis- criminatoire constituait le seul motif de rejet de la demande. Le requérant a déclaré qu'en l'espèce, aucune évaluation médicale adéquate n'avait été sou- mise, que la demande de Morgan avait été rejetée avant qu'il ait subi l'ensemble du processus de sélec- tion et de recrutement et que le succès de sa demande
n' était pas garanti, même avec une évaluation médi- cale favorable.
Cet argument est mal fondé en ce qu'il découle d'une conception tout à fait statique du processus de sélection. Le tribunal n'a sûrement pas à prendre une décision fondée uniquement sur l'étape atteinte au cours du processus. Le tribunal est habilité à exami ner le résultat probable de l'ensemble du processus à la lumière des éléments de preuve dont il dispose. Le résultat n'a pas besoin d'être certain, mais il doit être fondé sur les conclusions que le tribunal peut tirer des faits présentés. De plus, il ne faut pas s'en tenir aux seules étapes franchies, à moins que les éléments de preuve ne permettent pas de tirer d'autres conclu sions.
Dans l'affaire qui nous occupe, le tribunal a conclu que l'examen médical attestant que le plaignant était apte à s'engager avait été effectué au cours de l'année précédente et était, par conséquent, encore valide. En étudiant les éléments de preuve quant aux postes dis- ponibles et au caractère combatif du candidat, le tri bunal s'est exprimé en ces termes (aux pages D/6392 et D/6393):
Les mises-en-cause ont déposés des pièces tendant à prouver que les demandes qu'elles avaient reçues au cours de l'année 1980 étaient environ trois fois plus nombreuses que les postes disponibles et qu'elles s'étaient donc trouvées dans l'impossi- bilité de les accepter toutes. Il a également été démontré en preuve qu'à l'époque le plaignant a sollicité un réenrôle- ment, les Forces armées étaient surdotées en cuisiniers, en techniciens de véhicules, et en conducteurs de matériel mobile de soutien. Toutefois, rien ne nous a été présenté pour démon- trer que les mises-en-cause avaient rejeté la demande du plai- gnant parce que, dans le cadre de la concurrence avec d'autres anciens membres du service, les compétences, l'instruction et les autres caractéristiques du plaignant avaient été jugées moins méritoires. Qui plus est, rien ne prouve que les mises- en-cause aient rejeté la demande du plaignant parce que tous les postes que celui-ci sollicitait étaient surdotés.
M. Flewelling a déclaré dans son témoignage qu'au moment d'examiner la demande du plaignant, à Ottawa, les respon- sables s'étaient interrogés sur trois points. Premièrement, cer- taines préoccupations ont été soulevées quant à l'avis médical reçu du Dr Pritchard. Deuxièmement, des questions se posaient à propos de l'impolitesse du plaignant à l'égard du personnel administratif et du personnel du centre des examens médicaux. Troisièmement on s'est inquiété du fait que le plaignant avait été condamné au cours de l'année antérieure pour un délit lié à l'alcool (conduite d'un véhicule moteur alors que la teneur alcoolique de son sang dépassait 0,08). En ce qui concerne la
deuxième préoccupation, c'est le capitaine Ujimoto, de Centre de recrutement de Victoria, qui était le mieux placé pour en juger. Or, il avait recommandé l'acceptation de la demande du plaignant. Pour ce qui touche la troisième préoccupation, M. Flewelling a reconnu en contre-interrogatoire qu'il n'était pas inhabituel pour les Forces armées canadiennes d'enrôler un candidat qui a déjà été condamné pour un délit lié à l'alcool. Ce qui est plus important, toutefois, c'est que ni la deuxième, ni la troisième «préoccupations» n'ont été invoquées en tant que raison du rejet de la demande du plaignant.
Quant à toutes les raisons «éventuelles» de rejeter la demande du plaignant, si elles avaient réellement constitué un motif, la chose aurait certainement été consignée dans les documents et signifiée au plaignant. En l'absence de mention de ces raisons, je dois conclure qu'à défaut de motif médical, les mises-en-cause auraient accepté la demande du plaignant en vue d'un réenrôlement. En fait, M. Flewelling a expliqué que les candidats au réenrôlement qui n'avaient pas quitté les Forces armées depuis longtemps recevaient un traitement plus favorable que les candidats n'ayant reçu aucune formation militaire, en raison de l'économie que cela pouvait représenter.
En conséquence, je conclus que la seule raison que les mises-en-cause avaient pour rejeter la demande du plaignant en 1980 était son dossier médical. D'ailleurs, les mises-en-cause ont reconnu n'avoir pas tenu compte de cet aspect de façon appropriée. D'après la preuve devant moi, je constate que l'ef- fet de négligence des mises-en-cause de tenir dûment compte de la demande du plaignant a été, pour le plaignant, de se voir refuser un emploi pour un motif illicite de discrimination.
En fait, les éléments de preuve dont disposait le tribu nal étaient encore plus percutants puisque le requé- rant a reconnu, dans sa plaidoirie, que ces éléments démontraient que certaines personnes avaient été embauchées au cours de la période en cause dans les domaines pour lesquels Morgan avait voulu s'enga- ger de nouveau.
À mon avis, le tribunal d'appel a eu raison de refu- ser d'intervenir la page D/53):
Compte tenu de l'ensemble de la preuve, le présent tribunal est incapable de conclure qu'il y a eu une «erreur évidente ou manifeste» qui justifierait l'annulation des conclusions de fait du président selon lesquelles il s'agissait réellement du refus d'un emploi à la suite de l'acte discriminatoire des appelantes plutôt que de la perte d'une possibilité de concourir pour un emploi; ses conclusions sur ce point sont confirmées et ce motif d'appel est rejeté.
Le tribunal d'appel a jugé, avec raison, qu'il ne pou- vait intervenir sur une conclusion de fait à moins que
le tribunal de première instance n'ait commis une erreur manifeste et dominante.
Conformément à cette conclusion, le tribunal d'ap- pel a modifié un seul aspect de l'ordonnance du tribu nal la page D/53):
Nous sommes d'avis qu'il serait inopportun d'intervenir dans l'exercice par le président de son pouvoir discrétionnaire d'accorder la réintégration, sauf pour limiter les métiers ou postes qui peuvent être offerts à l'intimé à ceux de cuisinier, de technicien de véhicules ou de conducteur de matériel mobile de soutien, l'intimé ayant lui-même indiqué, lorsqu'il a pré- senté sa demande de rengagement, qu'il n'était pas intéressé par un poste de fantassin. Qui plus est, les fonctions et les res- ponsabilités d'un fantassin sont exigeantes et nécessitent une grande force physique, de l'endurance et de l'assurance. Voir à la pièce 2 dans le recueil de documents fourni par l'intimé, onglets 9 et 13. L'intimé est maintenant âgé de 32 ans et il reconnaît dans son témoignage qu'il est maintenant inapte à reprendre le poste de fantassin ...
L'appel est donc partiellement accueilli sur ce point et l'or- donnance de réintégration rendue par le président doit être modifiée en conséquence.
À mon avis, il s'agit d'une modification justifiable de l'ordonnance du tribunal puisqu'elle reflète les décla- rations de Morgan lui-même.
La demande devrait donc être rejetée sur ce point.
2. La période d'indemnisation
Cette question a été soulevée à la fois dans la demande principale et dans la demande reconvention- nelle et c'est également sur ce point que le tribunal d'appel n'a pas été unanime.
En dissidence, le président a déclaré que, alors que l'objet de la Loi est de remettre la victime dans l'état elle était (restitutio in integrum) avant l'acte dis- criminatoire, cette Cour dans l'affaire Canada (Pro- cureur général) c. McAlpine, [1989] 3 C.F. 530, s'inspirant en cela du président Cumming dans Torres v. Royalty Kitchenware Limited (1982), 3 C.H.R.R. D/858 (Comm. d'enqu. Ont.) et DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale) (1987), 8 C.H.R.R. D/3963 (Trib. C.D.P.), a fixé des limites à cette doctrine en statuant que seules les pertes subies qui sont raisonnablement prévisibles par la personne fautive sont recouvrables.
Le président a déclaré ce qui suit (aux pages D/82 et D/83):
... les appelantes auraient-elles d0 raisonnablement prévoir que les conséquences de leur acte discriminatoire se poursui- vraient six ans et demi après l'événement, ou, plus longtemps, si on accepte mon interprétation de la preuve. En toute défé- rence, il me semble que le premier tribunal a dépassé ce qui était raisonnablement prévisible en accordant des dommages- intérêts pour cette période après avoir effectué un rajustement de deux ans et demi pour l'omission de déposer une plainte à temps. La période de six ans et demi pour laquelle l'indemnité a été accordée excède considérablement la durée du service de l'intimé dans les Forces armées.
À mon avis, l'intimé recevrait une indemnité juste et suffisante si on ordonnait une indemnisation à compter du début de la période de pertes de gains le 15 juillet 1980, comme l'a statué le premier tribunal, jusqu'à la fin de 1983, soit le 31 décembre 1983.
La majorité du tribunal d'appel en est arrivé à une toute autre conclusion (aux pages D/66 et D/67):
Toutefois, lorsqu'il convient d'ordonner la réintégration, comme c'est le cas dans l'affaire dont a été saisi le présent tri bunal d'appel, nous sommes d'avis que l'ordonnance de réinté- gration fixe automatiquement un «maximum» ou une limite au montant de l'indemnité ou encore, un moment la personne doit prendre ses responsabilités. L'ordonnance de réintégration comporte en elle-même, l'élément qui permet de déterminer la période ou la limite, soit la date réelle de la réintégration.
Nous sommes d'avis qu'il n'y a pas lieu, dans le cas la réintégration est ordonnée, d'adopter la doctrine de la prévisi- bilité raisonnable pour déterminer une limite, celle-ci étant pré- vue dans l'ordonnance elle-même.
Par conséquent, nous ordonnons en l'espèce que l'indemni- sation des pertes de salaire couvre la période du 15 juillet 1982 à la date de réintégration de l'intimé. Ce dernier n'a pas déposé sa plainte avant le mois de juillet 1983, environ trois ans et trois mois après l'acte discriminatoire. Nous croyons que ce délai est excessif et, par conséquent, nous n'accordons aucune indemnisation pendant environ vingt-sept mois de cette même période.
Cependant, la majorité des membres du tribunal d'appel s'est protégée en statuant que même si la doctrine de la prévisibilité raisonnable était appli- quée, le résultat serait le même. la page D/67):
Toutefois, dans l'éventualité notre raisonnement serait jugé erroné et la doctrine de la prévisibilité raisonnable s'appliquerait dans le cas la réintégration est ordonnée, nous croyons que les critères de la prévisibilité raisonnable ont été respectés en l'espèce et qu'il n'est pas nécessaire de modi fier l'indemnité pour perte de salaire que nous avons adjugée à l'intimé. Nous sommes d'avis que dans le cas la réintégra-
tion est ordonnée, il est tout à fait raisonnable que l'auteur d'un acte discriminatoire prévoie que l'indemnité qu'il devra verser couvrira les pertes de salaire à compter de l'acte discrimina- toire jusqu'au moment de la réintégration. Sinon, l'auteur de l'acte discriminatoire pourra tirer partie des retards et du temps requis pour que la demande franchisse les étapes de la procé- dure applicable en matière de droits de la personne. La per- sonne lésée subira un préjudice.
L'imposition d'une limite à l'indemnité pour
pertes de salaire fondée sur la doctrine de la prévisi- bilité raisonnable ne peut être déduite de l'arrêt McAlpine. Dans cette affaire, l'employeur avait retiré une offre d'emploi lorsqu'il avait appris que la plai- gnante était enceinte, puisqu'à cette époque le minis- tre avait pour politique de ne pas employer de per- sonnes enceintes. Le Ministère a reconnu qu'il s'agissait d'un acte discriminatoire, et la question en litige portait sur les dommages-intérêts que la plai- gnante pouvait réclamer pour pertes de prestations d'assurance-chômage, au motif que, en l'absence de l'acte fautif, elle aurait travaillé pendant quatorze semaines, période plus que suffisante pour bénéficier des prestations d'assurance-chômage.
Cette Cour a soutenu que les alinéas 53(2)b), c) et d) de la Loi ne permettent pas d'indemniser les pertes de prestations d'assurance-chômage. Cette décision suffisait à disposer de l'affaire, mais la Cour a ajouté à titre de remarque incidente qu'elle appuyait le prin- cipe de la prévisibilité raisonnable 2 . Toutefois, à mon avis, la Cour a appliqué ce principe uniquement quant au type de dommages-intérêts demandé: c'est- à-dire qu'un employeur ne pouvait pas raisonnable- ment prévoir que l'acte discriminatoire en question entraînerait une perte de prestations d'assurance-chô-
mage.
Il est vrai que dans l'affaire Torres, citée par la Cour, le principe a été appliqué au montant des dom- mages-intérêts, mais je crois que la Cour ne s'était pas réellement penchée sur cette question. En fait, elle n'avait pas besoin de le faire, puisque la question en litige portait sur le type de dommages-intérêts et
2 La prévisibilité raisonnable est le principe de common law qui s'applique à la fois en responsabilité délictuelle et en res- ponsabilité contractuelle: voir Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation et autre, [1979] 1 R.C.S. 633, aux p. 645 et s. Le juge Estey déclare à la p. 673 que «les principes relatifs au caractère prévisible s'appliquent égale- ment que la réclamation soit fondée sur la responsabilité délic- tuelle ou contractuelle».
non sur le montant de ceux-ci. Je suis donc d'accord avec le tribunal dans l'affaire Cashin c. Société Radio-Canada (n° 2) (1990), 12 C.H.R.R. D/222 (Trib. C.D.P.) qui établit une distinction avec l'affaire McAlpine et également quant aux questions plus importantes de l'affaire (aux pages D/233 et D/234): ,
Si on laisse de côté son fondement, il semble ressortir de l'arrêt McAlpine, supra, qu'il n'est pas indiqué d'appliquer le critère du caractère prévisible existant en matière délictuelle aux dommages-intérêts accordés pour des actes discrimina- toires. La Cour suprême du Canada a statué dans l'arrêt Bha- dauria c. Board of Governors of Seneca College (1981), 124 D.L.R. (3d) 193, [(sub nom. Seneca College c. Bhadauria), 2 C.H.R.R. D/468], que la discrimination ne constitue pas un délit civil. En outre, elle a également indiqué qu'elle était d'avis qu'il ne faut pas essayer de fonder les recours existant en matière des droits de la personne sur des doctrines juri- diques erronées. Par exemple, lorsqu'on lui a demandé dans l'arrêt Robichaud, supra, de déterminer si un employeur était responsable (du fait d'autrui ou autrement) du harcèlement sexuel d'une employée par un surveillant, la Cour suprême du Canada a tout d'abord examiné l'objet de la Loi ainsi que les recours qu'elle prévoit, évitant d'avoir à déterminer si la res- ponsabilité de l'employeur pour les actes discriminatoires de ses employés reposait sur la doctrine de la responsabilité du fait d'autrui en matière délictuelle ou sur une autre doctrine. Le juge La Forest a déclaré à la p. 89 [D/4329]:
... on s'est beaucoup attardé sur les différentes théories, telles la responsabilité du fait d'autrui, en matière délic- tuelle, et la responsabilité stricte, en matière quasi crimi- nelle, selon lesquelles l'employeur est responsable des actes de ses employés. Cependant, comme le fait remarquer le juge en chef Thurlow, il faut nécessairement prendre comme point de départ la Loi elle-même, dont le texte, à l'instar de celui des autres lois, doit être interprété en fonction de sa nature et de son objet.
Il a ajouté que l'objet de la Loi est essentiellement l'élimina- tion de toute discrimination plutôt que la punition d'une con- duite anti-sociale. Il a ensuite déclaré à la p. 91 [D/4330]:
Les principes d'interprétation que j'ai énoncés me semblent largement décisifs en l'espèce. Pour commencer, ils réfutent l'argument voulant qu'on doive se reporter à des théories de la responsabilité de l'employeur qui ont été établies à l'égard d'une conduite criminelle. Ces théories, étant axées sur la faute, n'ont absolument aucune pertinence en l'espèce, car, comme nous l'avons vu, une loi relative aux droits de la per- sonne a un but essentiellement réparateur qui consiste à éli- miner des conditions antisociales sans égards aux motifs ou intentions de ceux qui en sont à l'origine.
Concluant que la Loi envisageait de rendre les employeurs res- ponsables de tous les actes accomplis par leurs employés, le juge La Forest a dit D/4331): «[ ... ] 11 s'agit d'un type de responsabilité qui se passe de tout qualificatif et qui découle purement et simplement de la loi».
Cette interprétation renforce mon opinion que le texte du par. 41(2) de la Loi, interprété en fonction de l'objet de la législation et des principes dégagés par la Cour suprême du Canada, est suffisamment clair pour trancher l'argument vou- lant que le critère de la prévisibilité raisonnable doive être con- sidéré comme une limite aux dommages-intérêts pouvant être accordés pour des pertes de salaire. L'article fixe lui-même ses propres limites, soit que le tribunal peut ordonner d'indemniser la personne «de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indi- quée» des pertes de salaire.
Tous ces raisonnements sont fort intéressants. Ce serait à tort que l'on appliquerait rigoureusement les règles de la responsabilité délictuelle ou contractuelle puisque la question en litige n'en est pas une de com
mon law; il s'agit plutôt du dédommagement particu- lier prévu par la loi: voir l'arrêt Seneca College of Applied Arts and Technology c. Bhadauria, [1981] 2
R.C.S. 181, dans lequel la Cour suprême a statué que The Ontario Human Rights Code [R.S.O. 1970, chap. 318] n'établissait ni un délit de common law ni, apparemment, un délit en vertu de la Loi puisque le régime prévu est particulier et que le Code établit les procédures destinées à l'application de sa politique générale. Selon les termes du juge La Forest dans l'affaire Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, à la page 91: «une loi relative aux droits de la personne a un but essentiellement répara- teur qui consiste à éliminer des conditions antiso- ciales sans égards aux motifs ou intentions de ceux
qui en sont à l'origine». On peut dire que le para- graphe 53(2) de la Loi fixe ses propres limites, c'est- à-dire la totalité des pertes de salaire, mais à mon avis, il ne fait pas de la totalité des pertes de salaire, soit toutes les pertes de salaire à compter de la date de l'acte discriminatoire jusqu'à la date de réintégra- tion, le critère à appliquer pour calculer l'indemnité.
La majorité du tribunal d'appel a erré en droit quant aux limites et aux critères établis par la loi
quand elle a déclaré, dans un passage que j'ai déjà cité la page 428]:
Toutefois, lorsqu'il convient d'ordonner la réintégration, comme c'est le cas dans l'affaire dont a été saisi le présent tri bunal d'appel, nous sommes d'avis que l'ordonnance de réinté- gration fixe automatiquement un «maximum» ou une limite au montant de l'indemnité ou encore, un moment la personne doit prendre ses responsabilités. L'ordonnance de réintégration comporte en elle-même, l'élément qui permet de déterminer la période ou la limite, soit la date réelle de la réintégration. [Sou- lignements ajoutés.]
Si l'ordonnance de réintégration est le redressement qui convient, on ne saurait en tirer la conclusion que la période d'indemnisation pour pertes de salaire doit être celle comprise entre l'acte discriminatoire et la réintégration. Il me semble que la Loi établit implici- tement le critère portant que les dommages-intérêts accordés découlent nécessairement de l'acte discrimi- natoire. L'alinéa 53(2)c) prévoit que la personne qui a commis un acte discriminatoire doit «indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indi- quée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte» [c'est moi qui souligne]. En d'autres mots, la Loi exige clairement un lien causal (entraînées par) entre l'indemnité accordée et l'acte discriminatoire.
Il me semble probable que c'est ce que le juge Heald de la Cour d'appel voulait dire dans l'arrêt McAlpine lorsqu'il a écrit la page 538) qu'il «aurait également fallu tenir compte du caractère pré- visible ou de la prévisibilité raisonnable des dom- mages, peu importe que l'action intentée soit en res- ponsabilité contractuelle ou en responsabilité délictuelle». Dans ce sens, on pourrait donner une interprétation plus large à l'arrêt McAlpine.
Dans la présente affaire, se trouve ce lien cau sal? La principale difficulté à cet égard, je crois, pro- vient du laps de temps très long qui s'est écoulé entre l'acte discriminatoire et le moment présent, soit plus de onze ans, ce qui pourrait indiquer une cause nou- velle. Dans trois affaires portant sur des délais juri- diques assez longs, soit plus de neuf ans, lord Den- ning, M.R., dans l'affaire Allen v. Sir Alfred McAlpine & Sons Ltd., [1968] 2 Q.B. 229 (C.A.), à la page 243, s'est prononcé en ces termes:
[TRADUCTION] Dans ces trois affaires, les délais juridiques ont été beaucoup trop longs. Ils ont été longs au point de discrédi- ter la justice.
On peut dire que cette conclusion s'applique à plus forte raison en l'espèce.
Le membre minoritaire du tribunal d'appel a déclaré qu'il s'agissait de l'aspect le plus étonnant de l'affaire la page D/70):
L'élément le plus troublant et le plus complexe dans cette affaire est, pour moi, le laps de temps exagéré qui s'est écoulé
entre l'acte discriminatoire en avril 1980 et l'audition de l'af- faire par le premier tribunal en janvier 1989.
J'imagine que cet élément a également préoccupé le premier tribunal ainsi que mes collègues du tribunal d'appel.
La majorité s'est également étonnée de ce fait, mais l'a accepté d'avantage la page D/67):
La période d'indemnisation peut sembler excessive en l'es- pèce mais, quelles que soient les raisons, il a fallu tout ce temps pour que la plainte franchisse les étapes de la procédure applicable en matière de droits de la personne. Si la preuve indiquait que l'intimé a causé quelque retard dans la procé- dure, il faudrait en tenir compte dans l'indemnité accordée. Ce n'est toutefois pas le cas. Si on respecte les objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il ne semblerait pas juste qu'un plaignant ayant eu gain de cause doive supporter les conséquences du retard entraîné par la procédure prévue dans la législation applicable en matière de droits de la per- sonne.
Tout d'abord, il n'y a aucun fondement légal per- mettant de prendre en considération le retard de Mor- gan à déposer sa plainte, à l'exception, comme l'a soutenu la Commission, du pouvoir de la Commis sion elle-même de tenir compte de ce facteur. La période d'indemnisation doit logiquement commen- cer au moment de l'acte discriminatoire—dans la pré- sente affaire, le 21 juillet 1980. Lorsqu'une plainte a été déposée plus d'un an après l'acte discriminatoire allégué, l'alinéa 41(e) de la Loi confère à la Commis sion le droit d'accueillir la plainte dont elle est saisie ou de la déclarer irrecevable. Mais le tribunal n'est autorisé qu'à accorder les seuls redressements prévus par l'article 53 qui ne comprennent pas le droit d'im- poser une pénalité d'ordre financier au plaignant qui aurait tardé à déposer sa plainte.
Morgan a déclaré qu'il avait attendu pour déposer la plainte prévue par la Loi, parce qu'il avait continué d'essayer de s'engager de nouveau dans les Forces au cours de la période en cause. Ce serait le pénaliser pour avoir essayé de limiter le préjudice en tentant de s'engager si le tribunal d'appel déduisait cette période de la période d'indemnisation, et ce serait également contraire à l'objet de la Loi qui en est un de dédommagement et de redressement du préjudice. À mon avis, par conséquent, la majorité du tribunal d'appel a erré en droit en modifiant cet aspect de la décision du tribunal. À cet égard, la demande recon- ventionnelle doit être accueillie.
Deuxièmement, il est impossible de passer sous silence la période de près de cinq ans qui s'est écou- lée entre la plainte et l'avis de constitution du tribu nal, soit le 9 juin 1988.
La Loi prévoit que dès la réception d'une plainte, la Commission peut charger un enquêteur d'enquêter sur la plainte (article 43 [mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.), ch. 31, art. 63]), que cet enquêteur «présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête» (c'est moi qui souligne) (paragraphe 44(1)), et que «[s]ur réception du rapport
, la Commission a) peut demander au président du Comité du tribunal des droits de la personne de constituer, en application de l'article 49, un tribunal des droits de la personne» (c'est moi qui souligne) (paragraphes 44(3) [mod. idem, art. 64] et 49(1) [mod. idem, art. 66]). Sur réception d'une telle demande, le président «constitue un tribunal chargé d'examiner la plainte visée par cette demande» (c'est moi qui souligne) (paragraphe 49(1.1) [mod. idem]). Ces articles révèlent qu'il s'agit d'un processus qui tient compte du temps même si le temps n'est pas un élément essentiel.
La constitution du tribunal semblant prendre peu de temps, il faut donc en conclure que le délai de près de cinq ans et demi qui s'est écoulé dans la présente affaire est attribuable à la procédure suivie par la Commission. Par le passé, la Commission a démontré sa bonne foi et, par conséquent, si le délai nécessaire à l'examen d'une plainte est jugé excessif, il faut pro- bablement l'imputer au manque de ressources de la Commission plutôt qu'à l'utilisation de ces dernières. Néanmoins, comme le juge Mahoney de la Cour d'appel l'a dit dans Cashin c. Société Radio-Canada, [1984] 2 C.F. 209, la page 215, il incombe à la Commission de trouver un moyen de faire le néces- saire; en cas contraire, elle n'a qu'à constituer un tri bunal.
Il m'apparaît raisonnable que la Commission prenne une année pour enquêter et décider si elle doit constituer un tribunal et, sans vouloir lui imposer un horaire trop contraignant, permettez-moi de dire que, lorsque la Commission ne propose aucune explica tion satisfaisante, le tribunal devrait considérer qu'il est normal qu'il s'écoule, au plus, deux ans entre la
plainte et la constitution du tribunal, temps qui pourra être consacré aux procédures internes de la Commis sion.
Dans la présente affaire, il n'y a pas d'explication et je suis porté à croire que les délais de procédure de la Commission, qui dépassent la période de deux ans, ne peuvent pas être pris en compte par le tribunal dans l'établissement des pertes de salaire puis- qu'après deux ans il ne saurait y avoir aucun lien de causalité entre l'acte discriminatoire et l'indemnité pour pertes de salaires accordée.
Le tribunal d'appel s'est inquiété du fait que (dans un passage cité plus haut [aux pages 432-433]): «Si on respecte les objectifs de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il ne semblerait pas juste qu'un plaignant ayant eu gain de cause doive supporter les conséquences du retard entraîné par la procédure pré- vue dans la législation applicable en matière de droits
de la personne.» Mais il faut respecter le lien causal prévu par la Loi. Ce qui serait équitable ce serait que la Commission rembourse toutes les pertes de salaire encourues pendant les deux années supplémentaires ou plus. Cette conclusion fera peut-être un jour l'ob- jet d'une demande du plaignant à l'encontre de la Commission, mais tel n'est pas l'objet de notre pro- pos.
La demande devrait donc être accueillie sur ce point et la demande reconventionnelle rejetée.
3. La limitation du préjudice
J'abonde dans le même sens quant au résumé du droit en la matière par le tribunal d'appel, unanime sur ce point la page D/60):
En toute déférence, il nous semble que le tribunal a abordé le problème de l'atténuation des dommages d'une manière trop simpliste. Il n'est possible de déterminer le caractère raisonna- ble ou déraisonnable des mesures prises par l'intimé pour atté- nuer les dommages qu'en tenant compte de toutes les circons- tances, notamment ses efforts pour trouver un emploi mais aussi la présence de militaires dans sa famille, son expérience antérieure dans les Forces armées, ses possibilités d'avance- ment, son âge ainsi que ses compétences personnelles. Il s'agit à notre avis de facteurs dont il faut tenir compte.
Cependant, je crois que le tribunal d'appel a, tout de suite après, fait erreur, compte tenu de l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale, en décidant ce
qui suit sans égard aux éléments de preuve dont il disposait la page D/61):
De ce point de vue, les deux cas isolés ob, peu après le rejet de sa demande par les Forces armées, l'intimé a volontaire- ment quitté son emploi ont relativement peu d'importance. L'intimé a poursuivi ses efforts pour se rengager ou changer de spécialité au sein des Forces armées jusqu'en juillet 1983 lors- qu'il a déposé une plainte en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne.
Le tribunal d'appel a raison de réagir ainsi par rap port à ces deux incidents survenus quand Morgan a quitté des emplois à plein temps, à la fois pour les motifs invoqués et également parce que, je l'ai déjà dit, le délai avant le dépôt de sa demande ne doit pas être pris en compte à des fins de dédommagement.
Néanmoins, ces deux incidents ne sont pas isolés, à mon avis, mais font partie de la conduite habituelle de Morgan. En plus de ces deux abandons de poste survenus en 1984, il appert d'après son rapport d'im- pôt sur le revenu relatif à cette année-là, que Morgan avait occupé des emplois à plein temps pour le dis trict de Victoria et le gouvernement du Canada, même s'il a déclaré ne pas se souvenir d'avoir tra- vaillé pour ces deux employeurs ni pour quel motif il avait laissé son emploi. Cette habitude de quitter ses emplois constitue certainement l'une des questions principales qu'il faut examiner dans l'étude du com- portement global de l'individu.
La demande fondée sur l'article 28 devrait donc être accueillie sur ce point.
4. Les intérêts, les taux d'intérêt et les intérêts sur l'indemnité pour préjudice moral
L'affaire qui s'applique le plus directement à celle- ci, puisqu'elle porte sur une question d'intérêts en vertu de la même Loi, est celle de Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (C.A.). Dans cette affaire, le tribunal a accordé au plaignant un montant de 1 500 $ pour pertes et préjudice moral en vertu de l'alinéa 53(3)b) de même que les intérêts sur cette somme. Le juge Linden, J.C.A., a déclaré pour la Cour (aux pages 413 et 414):
Bien qu'il n'existe pas de disposition conférant expressément aux tribunaux des droits de la personne le pouvoir d'accorder de l'intérêt, ce pouvoir est inclus dans le pouvoir d'«ordonner à l'auteur de l'acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de cinq mille dollars» (voir le paragraphe
53(3)). Les tribunaux des droits de la personne ont fréquem- ment accordé des intérêts.
Cette décision règle la question du pouvoir d'accor- der des intérêts sur l'indemnité pour préjudice moral (accordés par le tribunal sur la somme de 1 000 $, mais refusés par le tribunal d'appel sur la somme de 2 500 $). Ces intérêts peuvent être accordés pourvu que l'indemnité (y compris les intérêts) ne dépasse pas la somme de 5 000 $, mais cela est laissé à la discrétion du tribunal. A mon avis, le tribunal d'appel a erré en augmentant l'indemnité pour préjudice moral à 2 500 $ (sans intérêts) sans motif suffisant pouvant justifier la révision de cette décision discré- tionnaire du tribunal, et la demande reconvention-
nelle devrait être accueillie sur ce point.
Même si la question des intérêts n'a pas été contes- tée dans la plaidoirie orale du requérant, il faut souli- gner que cette question n'est pas réglée par l'affaire Rosin qui porte uniquement sur le paragraphe 53(3) de la Loi. Bien entendu, dans l'alinéa 53(2)b), tel que décidé dans l'affaire McAlpine, il n'est pas du tout question d'indemnité financière. Toutefois, l'alinéa c) porte précisément sur l'indemnité pour pertes de salaire et c'est en vertu de cet alinéa, à mon avis, que le tribunal peut accorder des intérêts sur l'indemnité accordée pour pertes de salaire, conformément à l'af- faire Société Radio-Canada c. S. C. F. P., [ 1987] 3 C.F. 515 (C.A.) 3 : pour indemniser adéquatement la vic- time, il faut absolument lui accorder un profit raison- nable sur l'argent qu'elle a perdu en raison de l'acte discriminatoire. Comme l'a décidé le tribunal d'appel (aux pages D/56 et D/57), il faut donner un sens large à l'indemnité prévue par l'alinéa 53(2)c). Les intérêts accordés en vertu du paragraphe 53(2) ne sont pas limités par l'indemnité maximale de 5 000 $ imposée
par le paragraphe 53(3).
Quant au taux d'intérêt, le tribunal a déclaré ce qui suit la page D/6406):
Les avocats des mises-en-cause dans la présente affaire ont soutenu que, dans l'éventualité des intérêts seraient adjugés, le taux devrait en être de 5 p. 100 selon les dispositions de l'art. 3 de la Loi sur l'intérêt. Même si les avocats des mises- en-cause et de la Commission ont déclaré être disposés à
3 Voir aussi Chandris v. Isbrandtsen-Moller Co. Inc., [1951] I K.B. 240 (C.A.); Minister of Highways for British Columbia v. Richland Estates Ltd. (1973), 4 L.C.R. 85 (C.A.C.-B.); Re Westcoast Transmission Co. Ltd. and Majestic Wiley Contrac tors Ltd. (1982), 139 D.L.R. (3d) 97 (C.A.C.-B.).
accepter un taux d'intérêt de 5 p. 100, je ne suis pas du même avis.
Dans l'affaire Société Radio-Canada c. Conseil de la radio- diffusion du Syndicat canadien de la Fonction publique, supra, [[1987] 3 C.F. 515 (C.A.)] le Conseil canadien des relations du travail a adjugé des intérêts au taux préférentiel de la Banque du Canada. La Cour d'appel fédérale a maintenu cette déci- sion. Ce faisant, je suppose que la Cour fédérale avait cons cience d'approuver un taux d'intérêt plus élevé que celui prévu à l'art. 3 de la Loi sur l'intérêt. On peut probablement justifier ce taux plus élevé du fait que l'adjudication vise une «indem- nisation» plutôt qu'un intérêt et que, en conséquence, la Loi sur l'intérêt ne s'applique pas.
Plusieurs raisons semblent militer en faveur du recours au taux préférentiel de la Banque du Canada, mais la détermina- tion de ces taux en vigueur depuis 1980 serait par trop fasti- dieuse. Pour certaines raisons qui deviendront manifestes plus tard, je préfere me fonder sur le taux préférentiel imposé par la Banque canadienne impériale de commerce à ses meilleurs clients. J'adopte ainsi une position compatible avec la décision Boucher c. Le Service correctionnel du Canada, supra [(1988), 9 C.H.R.R. D/4910 (Trib. C.D.P.)].
Bien entendu, il serait «difficile» d'établir les taux préférentiels de la Banque du Canada depuis 1980, mais cela n'est pas un motif valable de choisir un taux différent.
Le tribunal d'appel a substitué un taux différent en déclarant tout simplement que la page D/57) «Le taux d'intérêt sur les montants en souffrance pendant la période d'indemnisation devrait être le taux varia ble applicable aux Obligations d'épargne du Canada». Cette autorisation apparente, de la part du tribunal d'appel, est certainement erronée en ce qu'elle annule la décision du tribunal sans motif. Cependant, il est moins facile d'établir quel taux devrait être imposé.
Il a été proposé que le meilleur taux serait le taux préférentiel de la Banque du Canada, ce qui consti- tuerait un compromis entre le taux le plus bas, soit celui des obligations d'épargne du Canada, et le taux préférentiel plus élevé des banques commerciales. J'accepte ce point de vue et il me semble que c'était le taux préféré par le tribunal de première instance sauf en ce qui a trait au caractère «difficile» de la question.
Il n'est pas possible, à mon avis, de prétendre que seul le taux préférentiel de la Banque du Canada est permis par la Loi, puisque la Loi elle-même ne per-
met pas explicitement d'accorder des intérêts. Le tri bunal doit conserver le pouvoir discrétionnaire d'éta- blir le taux, mais le taux préférentiel de la Banque du Canada devrait être utilisé de préférence, sauf lors- qu'il y a des circonstances spéciales.
Quant au choix des tribunaux entre les intérêts simples et composés, le professeur S. M. Waddams dans l'ouvrage intitulé The Law of Damages, 1983, à la page 512, s'exprime ainsi:
[TRADUCTION] Les intérêts composés n'ont généralement pas été accordés en common law et ils sont précisément exclus par les lois de la Colombie-Britannique et de l'Ontario suivant une loi d'Angleterre à cet égard. L'on comprendra, étant donné la rareté des décisions qui accordent les intérêts simples, que les tribunaux n'aient jamais accordé des intérêts composés. En principe, cependant, il n'y a aucune raison de ne pas accorder des intérêts composés. Si l'indemnité avait été versée tout de suite après le délit, le plaignant aurait disposé d'un capital à des fins d'investissement; il aurait touché des intérêts sur cette somme à intervalles réguliers, et aurait également investi ces sommes. Par la même occasion, le défendeur aura bénéficié des intérêts composés.
Je suis d'accord avec cet énoncé puisque, je l'ai dit, le tribunal doit conserver le pouvoir discrétionnaire de choisir, mais ce sont les intérêts simples qui devraient être accordés le plus souvent sauf dans des circonstances spéciales décrites et motivées par le tri bunal. Dans la mesure la common law pouvait s'appliquer, ce sont les intérêts simples qui étaient accordés et, dans la présente affaire, il faut tenir compte de l'existence de la Court Order Interest Act de la Colombie-Britannique (R.S.B.C. 1979, ch. 76, art. 2), province qui a donné naissance à la présente affaire, et dont la Loi prévoit des intérêts simples.
Somme toute, sur la question des intérêts, la demande et la demande reconventionnelle devraient toutes les deux être accueillies en partie.
5. Conclusion
Finalement, la demande principale et la demande reconventionnelle devraient être accueillies en partie, la décision du tribunal d'appel annulée en partie et la question renvoyée au tribunal d'appel pour nouvel examen, conformément à ces motifs.
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