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T-442-91
CCH Canadian Limited (demanderesse) c.
Butterworths Canada Ltd. et Les Publications Dacfo Inc. (défenderesses)
RÉPERTORIÉ.' CCH CANADIAN LTD. C. /3UTTERWORTHS CANADA LTD. (ire INST.)
Section de première instance, juge Cullen—Ottawa, 9 mai et 11 juillet 1991.
Injonctions Requête en injonction interlocutoire pour interdire aux défenderesses d'utiliser ou d'annoncer des titres à propos de publications sur l'impôt sur le revenu Contrat accordant à la demanderesse le droit exclusif de publier le ser vice de documentation fiscale mais réservant à la seconde défenderesse le droit d'auteur sur les données publiées La demanderesse a mis fin au contrat puis s'est pourvue en justice contre la première défenderesse pour l'empêcher de publier le service sous les titres en cause Question importante à tran- cher Marques de commerce présumées valides dans les ins tances interlocutoires La protection du droit d'auteur s'étend aux titres La demanderesse ne subirait aucun préju- dice irréparable si l'injonction est refusée La balance des préjudices de part et d'autre penche du côté des défenderesses Absence de rapports de confiance bien que le président de la seconde défenderesse fat le conseil de la demanderesse.
Marques de commerce Passing off Requête en injonc- tion interlocutoire pour interdire la publication d'un service de documentation sur l'impôt sur le revenu Contrat entre les parties muet au sujet de la propriété des marques de commerce constituant les titres La validité des marques de commerce n'est pas un facteur à considérer dans les instances interlocu- toires La demanderesse n'a pas fait valoir un argument con- cluant d'invalidité L'action en passing off de la demande- resse est fondée sur l'art. 7b) de la Loi sur les marques de commerce Jurisprudence invoquée Il appartient au juge saisi de l'action de se prononcer sur la preuve des éléments constitutifs du passing off Concept de signification secon- daire analysé La première défenderesse n'a pas pris un ris- que calculé puisque la demanderesse avait abandonné la publication du service.
Droit d'auteur Injonctions Le droit d'auteur sur le ser vice de documentation fiscale s'étend aux titres L'enregis- trement du droit d'auteur ne peut servir à interdire l'utilisation du titre comme marque de commerce Le droit d'auteur détenu par la défenderesse ne constitue pas une exception à l'action en passing off de la demanderesse.
Requête en injonction interlocutoire pour interdire aux défenderesses d'utiliser ou d'annoncer certains titres à propos de leurs publications sur l'impôt sur le revenu. La demande- resse CCH Canadian Limited (CCH) est une maison d'édition d'ouvrages de droit qui, de février 1988 à décembre 1990,
publia un service mensuel de documentation sur feuillets mobiles appelé ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX ainsi qu'un bulletin parallèle intitulé THE ACCESS LETTER, lesquels donnaient des informations sur les dernières interpré- tations et applications de la législation fiscale par Revenu Canada. Ces documents étaient publiés en vertu d'un contrat conclu en février 1988 par CCH et la défenderesse Les Publi cations Dacfo Inc. (Dacfo) et le président de cette dernière, contrat par lequel CCH s'est vu accorder le droit exclusif de publier le service ACCESS et Dacfo conservait le droit d'au- teur sur les données publiées. Le contrat est muet sur la pro- priété des marques de commerce que pouffaient représenter les titres donnés au service. A l'automne 1989, au moment les deux publications furent distribuées pour la première fois, Dacfo décida de produire un service de documentation en fran- çais sur la TPS; CCH refusa l'offre de publication parce qu'elle avait ses propres plans en la matière. Arguant du conflit d'intérêts chez Dacfo et du refus de celle-ci de renoncer à son projet, CCH a décidé de mettre fin au contrat, conclu avec Dacfo, de publication des services ACCESS, et elle en a informé les abonnés en conséquence. En janvier 1991, Dacfo se mit en rapport avec Butterworths pour voir si la publication des services ACCESS l'intéressait. En février 1991, Butter- worths ayant annoncé son intention de publier ces services, CCH a intenté cette action et décidé de lancer les nouvelles publications «WINDOW ON CANADIAN TAX» et «THE TAX WINDOW» à titre de «successeurs» des publications ACCESS.
Il échet d'examiner si la demanderesse a prouvé qu'il y a une question importante à trancher, qu'elle subira un préjudice irréparable si l'injonction est refusée, et que la balance des pré- judices réciproques penche de son côté.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Afin de faire valoir qu'il y a une question importante à tran- cher, la demanderesse doit prouver que les titres en cause ont acquis une signification secondaire, c'est-à-dire qu'ils évo- quent dans l'esprit du public un lien entre les publications ACCESS et elle-même en tant qu'éditeur. Autrement dit, elle doit être en mesure de prouver que ces titres évoquent, dans l'esprit du public qui s'y intéresse, une publication qui lui est propre. CCH soutient que l'enregistrement des marques de commerce ACCESS par Dacfo est invalide mais, quand bien même ce serait le cas, la jurisprudence prédominante en la matière a posé pour règle qu'on ne saurait mettre en cause la validité des marques de commerce dans les instances interlocu- toires, elle doit être présumée. Il s'ensuit que dans le cadre de cette requête, les marques de commerce de Dacfo doivent être considérées comme valides.
L'action en passing off de la demanderesse est fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce et, pour avoir gain de cause, CCH doit prouver que les titres dont il s'agit ont été associés sur le marché avec ses propres publica tions. La demanderesse aura du mal à faire valoir une action en passing off au procès, comme elle avait abandonné toute idée de continuer à publier sous les titres ACCESS et étant donné la convention implicite entre les parties, en vertu de laquelle les défenderesses étaient propriétaires des marques de commerce
constituant les titres en cause. Cependant, étant donné qu'un titre peut avoir une signification secondaire qui l'associe à un éditeur et qu'il pourrait y avoir un droit résiduel suffisant sur le bon renom des marques de commerce pour soutenir une action en passing off, la demanderesse a fait la preuve, qui lui incombe, qu'il y a une question importante à trancher. Quant à la question du droit d'auteur, les défenderesses soutiennent à bon droit que la protection du droit d'auteur s'étend au titre. Cependant, le fait que les défenderesses détiennent le droit d'auteur ne constitue pas une exception à l'action en passing off.
Quant à la question du préjudice irréparable et de la balance des préjudices réciproques, les facteurs qui doivent entrer en ligne de compte ont été résumés par le juge Stone dans Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc.; à la lumière de cette ana lyse, la demanderesse n'a pas fait la preuve d'un préjudice auquel des dommages-intérêts ne sauraient remédier. La preuve du préjudice irréparable doit être concluante et non pas conjecturale. La balance des préjudices de part et d'autre penche en faveur des défenderesses, car elles ont investi des sommes considérables dans la production et la promotion des services ACCESS alors que CCH a décidé d'en cesser la publi cation. Il faut maintenir le statu quo en attendant le procès, car accorder une injonction en cet état de la cause reviendrait en fait à trancher l'action principale. L'argument de CCH selon lequel Butterworths a pris un risque calculé en publiant les ser vices ACCESS représente une caractérisation incorrecte des actions de cette défenderesse. La Cour ne saurait non plus faire droit à l'argument selon lequel le fait que le président de la défenderesse Dacfo avait été par le passé le conseil de CCH à titre de membre de l'étude Martineau Walker fait que cette transaction, de relations d'affaires ordinaires, est devenue rap ports de confiance. Il n'a pas été prouvé qu'il a acquis des informations spéciales ou un avantage de ses rapports avec sa cliente.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, art. 2.
Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), chap. T-13, art. 7b).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451; (1989), 22 C.I.P.R. 172; 24 C.P.R. (3d) 1; 91 N.R. 341 (C.A.); Mathieson v. Sir Isaac Pitman & Sons Ltd. (1930), 47 R.P.C. 541 (Ch. D.); Syntex Inc. c. Apotex Inc. (1989), 27 C.I.P.R. 123; 28 C.P.R. (3d) 40; 32 F.T.R. 39 (C.F. 1 r inst.); Maple Leaf Mills Ltd. c. Quaker Oat Co. of Can. (1984), 2 C.I.P.R. 33; 82 C.P.R. (2d) 118 (C.F. lre inst.); Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544; (1987), 38 D.L.R. (4th) 544; 17 C.1.P.R. 263; 14 C.P.R. (3d) 314; 12 F.T.R. 317; 80 N.R.
9 (C.A.); Consumers Distributing Company Ltd. c. Seiko Time Canada Ltd. et autres, [1984] 1 R.C.S. 583; (1984),
10 D.L.R. (4th) 161; 29 C.C.L.T. 296; 3 C.1.P.R. 223; 1
C.P.R. (3d) 1; 54 N.R. 161; Norman Kark Publications Ltd. v. Odhams Press Ltd., [1962] R.P.C. 163 (Ch. D.); British Columbia v. Mihaljevic (1989), 26 C.P.R. (3d) 184 (C.S.C.-B); Korz v. St. Pierre et al. (1987), 61 O.R. (2d) 609; 43 D.L.R. (4th) 528; 23 O.A.C. 226 (C.A.); Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574; (1989), 69 O.R. (2d) 287; 61 D.L.R. (4th) 14; 26 C.P.R. (3d) 97.
DECISIONS CITÉES:
Pizza Pizza Ltd. c. Little Caesar International Inc., [1990] 1 C.F. 659; (1989), 27 C.I.P.R. 126; 27 C.P.R. (3d) 525; 32 F.T.R. 43 We inst.); WaxoylAG v. Waxoyl Canada Ltd. (1982), 38 O.R. (2d) 672; 66 C.P.R. (2d) 170 (H.Ct.); Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.I.P.R. 131; 16 C.P.R. (3d) 481; (1987), 11 F.T.R. 139 (C.F. Ire inst.); Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.).
DOCTRINE
Salmond on the Law of Torts, 17th ed. by R. S. V. Hous- ton, London: Sweet & Maxwell, 1977.
AVOCATS:
John R. Morrissey et Alistair G. Simpson pour la demanderesse.
Daniel V. MacDonald pour la défenderesse But- terworths.
Arthur A. Garvis et Richard Uditsky pour la défenderesse Les Publications Dacfo Inc.
PROCUREURS:
Smart & Biggar, Toronto, pour la demanderesse. McMillan Binch, Toronto, pour la défenderesse Butterworths.
Mendelsohn, Rosentzveig, Schacter pour la défenderesse les Publications Dacfo Inc.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: Il y a en l'espèce requête de la demanderesse en injonction interlocutoire pour inter- dire aux défenderesses d'utiliser ou d'annoncer les titres ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX et THE ACCESS LETTER à propos de leurs publica tions sur l'impôt sur le revenu.
Je dois tout d'abord m'excuser auprès des avocats des deux côtés pour avoir mis deux mois à me pro- noncer sur cette requête, c'est-à-dire bien plus longtemps qu'il ne me faut d'habitude. Je ne peux qu'invoquer une charge de travail exceptionnelle à la
fin de mai et pendant tout le mois de juin, ainsi que le fait que cette affaire est, à mon avis, l'une des plus compliquées et m'a obligé à consulter un grand nom- bre de magistères en la matière.
LES FAITS DE LA CAUSE
La demanderesse CCH Canadian Limited («CCH») et la défenderesse Butterworths of Canada Limited («Butterworths») sont l'une et l'autre édi- teurs au Canada d'ouvrages portant sur divers domaines du droit et des affaires. De février 1988 à décembre 1990, CCH publia un service mensuel de documentation sur feuillets mobiles, qui tenait les fis- calistes au courant des dernières interprétations et applications de la législation fiscale par Revenu Canada. Ce document était publié sous le titre ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX. CCH publiait aussi un bulletin mensuel parallèle, intitulé
THE ACCESS LE FIER.
Ces deux publications ACCESS reposaient sur une base de données créée en 1985 par Claude Désy, avo- cat de son état et président de la défenderesse Les Publications Dacfo Inc. («Dacfo»), laquelle base de données emmagasinait les informations obtenues de Revenu Canada en vertu de la loi sur l'accès à l'in- formation. Désy avait fait quelque deux cents demandes de renseignements à Revenu Canada et constaté que les informations qu'il recueillait de cette façon seraient d'un grand intérêt pour les fiscalistes. En 1987, Dacfo, par l'intermédiaire de Désy et de sa compagnie mère Gestion Dacfo Inc. («Gestion»), engagea des négociations avec CCH, par l'intermé- diaire du président de cette dernière, Ken Lata, pour publier ces informations accompagnées de commen- taires, à l'intention des fiscalistes. Un contrat fut signé le 16 février 1988 entre CCH, Dacfo et Désy, par lequel ces deux derniers accordèrent à CCH le droit de publier ce service. Le contrat prévoyait, entre autres, que CCH mettrait à la disposition de Dacfo les installations nécessaires à la production des données destinées aux publications ACCESS; il prévoyait aussi le paiement du prix du service à Dacfo. Selon ce contrat, Dacfo conservait le droit d'auteur sur les données incluses dans le service. Voici les stipula tions du contrat qui nous intéressent en l'espèce (dans ce contrat, Dacfo est appelée «la propriétaire», Désy, «le spécialiste» et CCH, «l'éditeur»):
[TRADUCTION] Article 2.1 Le service aura pour titre «Access to Revenue Canada Income Tax» ou tout autre nom convenu entre les parties.
Article 2.13 Le nom du spécialiste sera imprimé sur le dos de chaque reliure et apparaîtra sur les annonces publicitaires du service. Le spécialiste figurera comme rédacteur en chef du service dans toutes les annonces publicitaires et sur les mises à jour mensuelles.
Article 5.1 La propriétaire conserve le droit d'auteur sur tous les éléments de sa base de données (appelés collectivement «base de données»), sur tout logiciel créé par la propriétaire ou pour son compte, et sur toutes les données qu'elle fournit pour inclusion dans le service.
Article 5.2 La propriétaire par les présentes accorde à l'éditeur le droit et la licence exclusifs de publier et d'utiliser les don- nées qu'elle lui fournit pour inclusion dans le service. Les droits et licence accordés par les présentes à l'éditeur ne seront pas révoqués pendant la durée du présent contrat; la proprié- taire (ou le spécialiste) ne pourra, pendant la durée du présent contrat, accorder à aucune autre personne ou compagnie, aucun droit ou licence de publier ou d'utiliser tout ou partie desdites données.
Article 5.4 Nonobstant le droit d'auteur que conserve la pro- priétaire sur les éléments de la base de données, ni la proprié- taire ni le spécialiste n'a, pendant la durée du contrat, le droit de les vendre, commercialiser ou mettre en vente, ni, notam- ment, le droit de les vendre ou mettre en vente en tout ou en partie par transmission en ligne ou sur disque laser ou autre support non imprimé.
Article 6.1 L'éditeur ou la propriétaire peut dénoncer le présent contrat par préavis écrit de 90 jours à l'autre partie, au cas les abonnements au service n'atteindraient pas 1 200 unités à la fin de la troisième année de redevances.
Article 6.2 L'éditeur peut dénoncer le présent contrat à tout moment après la fin de la troisième année de redevances, par préavis écrit de 90 jours à la propriétaire, s'il juge que l'accueil réservé par le marché au service a été ou est devenu insatisfai- sant ou n'a pas été à la mesure des espoirs des parties quant à la rentabilité de l'entreprise.
Article 8 Chaque partie s'engage à ne pas produire ou vendre, ou s'associer avec une autre personne ou compagnie pour pro- duire ou vendre, pendant la durée du présent contrat, des don- nées qui concurrenceraient le service visé aux présentes.
Le contrat est muet sur la propriété de marques de commerce que pourraient représenter les titres donnés au service. La demanderesse fait valoir qu'à son avis, il était entendu qu'elle était propriétaire de toutes les marques de commerce qui s'attachaient aux titres. CCH fait encore savoir que le droit accordé à
Dacfo de conserver le droit d'auteur sur le service était une exception à sa pratique de détenir le droit d'auteur sur ses services de documentation sur feuil- lets mobiles. Elle produit à l'appui le témoignage d'expert par affidavit de l'un de ses propres diri- geants, Michael Sloly, sur l'usage de ce secteur d'ac- tivité en la matière.
La thèse des défenderesses pour ce qui est de la propriété des marques de commerce est bien entendu différente de celle de la demanderesse. Durant les négociations, Gestion, la compagnie mère de Dacfo, a demandé, le 21 janvier 1988, donc avant la signa ture du contrat, l'enregistrement de plusieurs marques de commerce comprenant le mot ACCESS, dont ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX. L'enre- gistrement eut lieu le 29 mars 1991. Le 18 septembre 1989, Dacfo demanda l'enregistrement de la marque de commerce THE ACCESS LETTER, laquelle fut enregistrée le 25 janvier 1991. Dacfo et Désy soutien- nent que ce dernier a informé Lata qu'il se réservait plusieurs titres pour le compte de Gestion. Le dossier ne dit pas quand exactement Lata a été expressément informé pour la première fois des mesures prises par les défenderesses au sujet des marques de commerce. Cependant, Désy affirme pendant le contre-interroga- toire sur son affidavit, que Lata devait savoir durant les négociations menant à la signature du contrat, que ces titres étaient réservés pour Gestion car, si ces négociations avec CCH devaient achopper, Désy aurait engagé immédiatement des négociations avec d'autres éditeurs. Désy indique également dans son affidavit que durant l'été 1989, après que le contrat eut été signé, il a informé Lata que le titre choisi par Dacfo pour ce service était ACCESS TO CANA- DIAN INCOME TAX, ce à quoi Lata a acquiescé. (Sloly affirme dans son affidavit que Lata conteste la version des faits de Désy, mais il n'y a aucun affida vit à cet effet de Lata lui-même). De son côté, CCH affirme qu'elle n'a été mise au courant des assertions de Dacfo et de Désy au sujet de la propriété des marques de commerce qu'en décembre 1990, après la résolution du contrat.
D'autres communications entre les parties ont été citées à titre d'indication supplémentaire de leur posi tion respective sur la question de la propriété des marques de commerce. Le 20 juin 1989, Dacfo fit tenir à CCH un tableau de répartition de leurs attribu-
tions de part et d'autre. L'une des responsabilités pré- vues pour Dacfo était la [TRADUCTION] «Réservation de la marque de commerce pour le titre». Les défen- deresses y voient la preuve indéniable qu'il était entendu entre les parties qu'elles seraient les proprié- taires de la marque de commerce. CCH rétorque que cette phrase est équivoque et ne prouve pas la con vention des parties pour ce qui était de savoir laquelle serait propriétaire de la marque de commerce. Elle fait valoir que la phrase pourrait facilement être inter- prétée comme signifiant, par exemple, que Dacfo devait réserver la marque de commerce pour CCH.
Le bulletin d'information mensuel THE ACCESS LETTER fut distribué au Canada pour la première fois aux environs de septembre 1989. Le service de documentation ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX fut distribué pour la première fois en novembre 1989. CCH entreprit une grande campagne de promo tion pour les deux publications entre septembre 1989 et décembre 1990, y mettant plus de 2 300 000 dol lars. Elle a aussi payé à Dacfo 1 200 000 dollars pour la production du service. L'apport de CCH au con- tenu proprement dit du service était très limité; il con- cernait les questions comme la présentation et d'autres fonctions d'édition comme les tableaux et les index. Toutes les parties reconnaissent que le service de documentation et le bulletin d'information étaient un succès commercial.
À l'automne 1989, Dacfo décida de produire un service de documentation en français sur la taxe sur les produits et services (TPS). Elle en proposa la publication à CCH, laquelle refusa l'offre parce qu'elle avait déjà des plans pour publier une version française de son propre service TPS. Dacfo décida alors de commercialiser elle-même son service, sous le titre TPS CANADA-QUÉBEC. CCH y voyait cependant une concurrence avec son service prévu, et un conflit d'intérêts chez Dacfo. (Il ne semble pas que CCH y ait vu alors une violation de la clause de non-concurrence de son contrat avec Dacfo et Désy, et il appert qu'elle n'invoquait pas ce motif à l'époque. À mon avis, les deux services ne se font pas concurrence, puisque l'un est consacré à la taxe à la consommation alors que l'autre porte sur l'impôt sur le revenu). Il appert que pour composer le service TPS concurrent, Désy s'est servi du matériel mis à sa disposition par CCH en vue de la production des
publications ACCESS. CCH lui demanda de mettre fin à la nouvelle entreprise, mais Désy s'y refusa. Les rapports entre les deux prirent un tour acrimonieux, comme les difficultés entre les parties au sujet d'autres publications communes furent aussi discu- tées. Le 3 décembre 1990, CCH informa Désy et Dacfo qu'elle mettait fin au contrat de publication du service. Elle publia le dernier numéro de ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX et de THE ACCESS LETTER le 22 novembre 1990. En janvier 1991, elle envoya l'avis suivant aux abonnés:
[TRADUCTION] CCH Canadian Limited a le regret d'annoncer que pour des raisons qui échappent à sa volonté, elle a cessé la publication de Access to Canadian Income Tax, y compris The Access Letter, après le numéro 12 en date du 22 novembre 1990.
Les abonnés recevront sous pli séparé un crédit pour le solde de leur abonnement.
Nous remercions nos fidèles abonnés du soutien qu'ils ont accordé à ce service de documentation et espérons que les informations qui y sont contenues continueront à leur servir dans leurs recherches à l'avenir.
Après la résiliation du contrat, les défenderesses ont pressenti d'autres maisons d'édition pour publier le service. Dacfo, par l'intermédiaire de Désy, se mit en rapport avec Butterworths en janvier 1991 pour voir si la publication des services ACCESS l'intéres- serait. Butterworths était intéressée mais, par mesure de précaution, contacta CCH pour l'en informer et pour lui demander si elle accepterait de lui vendre sa liste d'abonnés. Butterworths prit la décision de publier les services ACCESS le 22 janvier 1991 et en informa CCH. En février 1991, Butterworths annonça au public qu'elle allait publier les services ACCESS. CCH menaça alors de la poursuivre en jus tice. Butterworths fit savoir qu'elle se défendrait vigoureusement. CCH intenta cette action le 21 février 1991. Entre-temps, Butterworths a poursuivi ses efforts de commercialisation des deux services; THE ACCESS LE1"l'ER fut publié le 4 mars 1991. ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX devait être publié et distribué en mai 1991.
Une fois informée que Butterworths envisageait de publier les services ACCESS, CCH a décidé de publier ce qu'elle appelait les «successeurs» des publications ACCESS, sous les titres «WINDOW
ON CANADIAN TAX» et «THE TAX WINDOW» avec le concours d'une autre étude d'avocats fiscalis- tes.
LA THÈSE DE LA DEMANDERESSE
À l'appui de sa requête en injonction, CCH sou- tient qu'elle est la propriétaire des marques de com merce ACCESS TO CANADIAN INCOME TAX et THE ACCESS LETTER, étant donné qu'elle les a utilisées de manière à en faire des marques distinc- tives de CCH dans l'esprit du public. Elle reconnaît que les défenderesses étant les propriétaires des don- nées, elles ont le droit de faire publier le service par un autre éditeur. Ce que vise CCH dans cette action, c'est d'empêcher les défenderesses de publier le ser vice sous les titres en litige.
CCH fait valoir que, bien que n'utilisant plus les marques de commerce dont il s'agit, elle retient sur leur renom un droit résiduel qui peut fonder une action en passing off. De permettre aux défenderesses de publier le service sous le titre ACCESS diminue- rait le bon renom de CCH et constituerait de ce fait un préjudice irréparable. CCH soutient aussi que per- sonne, à part elle-même, n'a utilisé les marques de commerce en question avant février 1991. Et que faute de caractère distinctif, les marques de com merce enregistrées par les défenderesses étaient inva- lides.
CCH prétend aussi que par leurs agissements, les défenderesses ont violé l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce [L.R.C. (1985), chap. T-13], aux termes duquel nul ne peut appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblable- ment causer de la confusion au Canada entre ses mar- chandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre. CCH soutient qu'en publiant le service sous les titres en question, les défenderesses font passer leurs marchandises pour les siennes propres.
LA THÈSE DES DÉFENDERESSES
Les défenderesses soutiennent que Dacfo est pro- priétaire du droit d'auteur sur les titres en litige, en raison de son droit d'auteur sur le service de docu mentation, et qu'elle est propriétaire des marques de commerce enregistrées pour ces titres. Elles font
valoir en conséquence qu'il n'y a aucune question importante à trancher, puisque Dacfo est sans con- teste la propriétaire des marques de commerce. La validité d'une marque de commerce enregistrée doit normalement être présumée en cas de requête en injonction interlocutoire.
Les défenderesses soutiennent aussi qu'il n'y a aucune preuve de préjudice irréparable pour CCH si l'injonction interlocutoire est refusée. En ce qui con- cerne la balance des préjudices de part et d'autre, elles affirment qu'elle penche en leur faveur. Dans leur argumentation au sujet de ces questions, les défenderesses soutiennent entre autres que, si inter diction leur est faite d'utiliser les titres ACCESS, cela signifiera que l'action aura été effectivement décidée au stade interlocutoire. En cas d'interdiction, elles auront à donner un autre titre à leurs publications et si l'injonction est rapportée au moment du procès, elles ne gagneraient rien à reprendre les anciens titres. Par contre, si l'injonction est refusée, CCH peut conti- nuer à publier son service Window et les défenderes- ses peuvent continuer à publier leur service Access. Tout préjudice que CCH subirait en raison du main- tien du statu quo peut être réparé au moyen de dom- mages-intérêts.
ANALYSE
Les conditions de l'injonction interlocutoire sont bien connues. Le requérant doit prouver (I) qu'il y a une question importante à trancher, (2) qu'il subira un préjudice irréparable si l'injonction est refusée, et (3) que la balance des préjudices réciproques penche de son côté: voir Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451 (C.A.). J'examinerai en premier lieu les points de droit pour voir s'il y a une question importante à trancher, puis les argu ments relatifs au préjudice irréparable et à la balance des préjudices de part et d'autre.
Question importante à trancher
À mon avis, l'argument de la question importante à trancher qu'avance la demanderesse repose sur le droit de propriété, si droit de propriété il y a, que CCH peut faire valoir sur les titres en cause. Si elle arrive à montrer que ces titres ont acquis une signifi cation secondaire, c'est-à-dire qu'ils évoquent dans l'esprit du public un lien entre les publications
ACCESS et elle-même en tant qu'éditeur, je conclu- rai qu'il peut y avoir une question importante à tran- cher. Dans Mathieson v. Sir Isaac Pitman & Sons Ltd. (1930), 47 R.P.C. 541 (Ch. D.), le demandeur, qui avait publié un livre intitulé «How To Appeal Against Your Rates in the Metropolis» de 1887 à 1929, cherchait à faire interdire à la défenderesse de vendre deux livres intitulés «How to Appeal Against Your Rates Within the Metropolis» et «How to Appeal Against Your Rates Without the Metropolis», qui furent publiés pour la première fois en 1930. Le juge Maugham a évoqué comme suit les principes à appliquer aux faits de la cause, en page 550:
[TRADUCTION] Il a été souvent jugé que dans les cas de ce genre, il faut examiner si les mots descriptifs qui servent à la vente des marchandises ont acquis une signification secondaire ou spéciale. La question qui se pose au sujet du titre d'un livre est donc la suivante: ce titre évoque-t-il dans l'esprit du public le lien entre l'ouvrage en question et son auteur, ou même dans de rares cas, son éditeur? Prenons par exemple le cas du livre en cause: si nous envisageons les mots «signification secon- daire» au sujet d'un livre publié toutes ces années par le demandeur sur les méthodes d'appel contre l'impôt foncier «How to appeal against your rates», l'existence de cette signi fication secondaire n'est pas prouvée par la simple affirmation que quiconque demandait «How to appeal against your rates» avant janvier de cette année devait avoir à l'esprit, s'il connais- sait tant soit peu ce livre, celui de M. Lawrie. Pareille affirma tion n'est pas preuve de signification secondaire. Dans ce con- texte, la signification secondaire doit être telle que sur le marché ce livre est en vente ou parmi le public qui l'achète, le titre «How to appeal against your rates» indique à lui seul l'ouvrage de M. Andrew Douglas Lawrie, et peut-être même que le livre est publié par Effingham Wilson; à moins que ce fait ne puisse être établi, je pense que les prétentions du demandeur doivent succomber. [Non souligné dans le texte original.]
Ainsi, CCH pourrait fort bien réussir, au procès, à faire interdire à Butterworths de publier le texte de Dacfo sous les titres ACCESS, si elle pouvait prouver que ce texte évoque, dans l'esprit du public qui s'y intéresse, une publication CCH. À mon avis donc, ce point litigieux satisfait au critère de la question importante à trancher à l'égard du recours en injonc- tion.
Avant d'aborder les questions du préjudice irrépa- rable et de la balance des préjudices réciproques, il faut cependant examiner un certain nombre de ques tions préalables qui ont fait l'objet d'une argumenta tion considérable de la part des parties. Il s'agit en premier lieu de l'effet qu'a sur cette cause le fait que
Dacfo est propriétaire des marques de commerce enregistrées que représentent les titres, et en second lieu de l'effet qu'a sur cette cause le fait que Dacfo détient le droit d'auteur sur le service.
Validité des marques de commerce
La demanderesse affirme qu' elle est propriétaire des marques de commerce que représentent les titres. Dans leur défense contre l'injonction interlocutoire, les défenderesses invoquent en partie le fait qu'elles sont les propriétaires inscrits des marques de com merce en question. CCH soutient cependant que l'en- registrement des marques de commerce ACCESS par Dacfo est invalide pour les raisons suivantes: a) elles sont dépourvues de caractère distinctif, b) Dacfo ne s'en servait pas au moment du dépôt des déclarations d'utilisation, et c) Dacfo n'avait pas vraiment l'inten- tion de les utiliser à la date des demandes d'enregis- trement. Les défenderesses rétorquent qu'il n'est pas question, au stade de l'injonction interlocutoire, de discuter de la validité d'une marque de commerce enregistrée.
Je conviens avec les défenderesses qu'on ne saurait mettre en cause la validité des marques de commerce dans cette procédure interlocutoire, et que ces marques doivent être présumées valides. Pareille approche est conforme à la jurisprudence prédomi- nante en la matière. Comme l'a fait remarquer le juge Dubé au sujet de l'argument que la marque de com merce de la demanderesse était invalide dans Syntex Inc. c. Apotex Inc. (1989), 27 C.I.P.R. 123 (C.F. lre inst.), à la page 125:
... les arguments ... étaient très sérieux et [ils] feront à n'en pas douter l'objet d'un examen approfondi au moment oppor- tun, à l'instruction de la présente affaire. Ces arguments étaient cependant prématurés dans la mesure ils visaient avant tout la validité de la marque de commerce, laquelle doit, à ce stade de l'instance, être présumée.
Voir également Pizza Pizza Ltd. c. Little Caesar International Inc., [1990] 1 C.F. 659 (Ire inst.); Waxoyl AG v. Waxoyl Canada Ltd. (1982), 38 O.R. (2d) 672 (H.Ct.), aux pages 681 et 682; Joseph E. Seagram & Sons Ltd. c. Andres Wines Ltd. (1987), 16 C.I.P.R. 131 (C.F. Ire inst.), aux pages 135 et 136.
Il est vrai que selon certains précédents, la règle, qui exclut l'examen de la validité d'une marque de commerce au stade interlocutoire, n'est pas absolue
dans certains cas. Le juge Cattanach a tiré à ce propos cette conclusion dans Maple Leaf Mills Ltd. c. Qua- ker Oat Co. of Can. (1984), 2 C.I.P.R. 33 (C.F. lre inst.), à la page 43:
[TRADUCTION] I1 n'appartient normalement pas au juge saisi d'une demande de se prononcer sur la validité de l'enregistre- ment d'une marque de commerce. Celle-ci est présumée être une marque valide, validement enregistrée à moins d'argument concluant d'invalidité et dans ce contexte, possibilité de radia tion vaut à mes yeux «validité». [Mot non souligné dans l'ori- ginal.]
En l'espèce, cependant, je ne saurais dire que la demanderesse a présenté un «argument concluant d'invalidité». Par ailleurs, à supposer qu'il soit justi fiable dans certains cas d'examiner la validité dans un recours en injonction interlocutoire, je ne pense pas que ce soit le cas en l'espèce. Une décision sur la validité de la marque de commerce en l'espèce sur la base des motifs avancés par la demanderesse nécessi- terait des témoignages extensifs sur des points de fait contestés. Il s'ensuit qu'il ne convient pas d'instruire les points litigieux de ce genre au stade interlocu- toire: voir Syntex Inc. c. Novopharm Ltd. (1991), 36 C.P.R. (3d) 129 (C.A.F.). Je conclus donc que dans le cadre de cette requête, les marques de commerce des défenderesses doivent être considérées comme valides.
Passing off
Si j'ai conclu que les marques de commerce des défenderesses doivent être présumées validement enregistrées au regard de la requête en l'espèce, cela ne signifie qu'il n'y a pas une question importante à trancher. Comme noté plus haut, il est possible qu'une action en passing off soit accueillie au procès bien que les marques de commerce en cause eussent été enregistrées par les défenderesses, si CCH peut prouver que les titres dont il s'agit ont été associés sur le marché avec ses propres publications. Ainsi que l'a conclu le juge Gray dans Waxoyl, supra, en page 681, [TRADUCTION] «Le seul fait qu'une marque de commerce a été enregistrée ne constitue nullement un moyen de défense contre l'action en passing off». L'action en passing off qu'a intentée la demanderesse devant la Cour est fondée sur l'alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce, qui est une codifica tion des règles applicables au délit de passing off de la common law. Voici ce que prévoit l'alinéa 7b):
7. Nul ne peut:
b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisem- blablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandi- ses, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre.
Ainsi que l'a fait remarquer le juge MacGuigan J.C.A., dans Asbjorn Horgard A/S c. Gibbs/Nortac Industries Ltd., [1987] 3 C.F. 544 (C.A.), cet alinéa comporte trois éléments: nul ne peut 1) appeler l'at- tention du public sur ses marchandises, services ou entreprise (2) de manière à causer, effectivement ou vraisemblablement, de la confusion au Canada (3) lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre. Que ces éléments aient été établis ou non en l'espèce, il s'agit là, à mon avis, d'une question qu'il appartient au juge saisi de l'action de trancher.
Le délit de passing off en général a été analysé en ces termes dans l'ouvrage Salmond on Torts (17th. ed., 1977), aux pages 400 et 401, cité par le juge Estey dans Consumers Distributing Company Ltd. c. Seiko Time Canada Ltd. et autres, [1984] 1 R.C.S. 583, à la page 597:
Vendre des marchandises ou exploiter une entreprise sous une dénomination, une marque, une description ou de quelque autre façon de manière à faire croire au public qu'il s'agit des marchandises ou de l'entreprise d'une autre personne constitue un délit civil donnant matière à des poursuites à la demande de cette autre personne. Cette forme de préjudice, selon la for- mule assez lourde communément employée, consiste à faire passer ses marchandises ou son entreprise pour celles d'une autre personne et constitue l'exemple le plus important du délit de tromperie dommageable, bien que les règles qui s'y appli- quent soient à ce point spéciales qu'il vaut mieux le considérer comme un domaine à part. Si l'on réduit les choses à l'essen- tiel, il y a passing off dès lors que les marchandises donnent une fausse impression, et que cette impression est destinée à induire en erreur. Dans ce cas, le droit vise à protéger les com- merçants contre le type de concurrence déloyale qui consiste à s'approprier, par la tromperie, l'avantage de la réputation qu'ont pu établir des concurrents.
Dans Mathieson, supra, le juge Maugham a ana- lysé en ces termes, à la page 549, les principes appli- cables au passing off à l'égard de livres:
[TRADUCTION] Je ne saurais mieux exposer ce qui a été constaté qu'en adaptant aux livres la conclusion tirée par lord Herschel! dans Reddaway v. Banham à la page 240. En voici l'essentiel:
le nom d'une personne ou les mots appartenant au vocabulaire général, qui décrivent par exemple le contenu d'un livre, peu- vent devenir si indissociables du livre d'un auteur qu'on peut prouver que leur seule mention, sans explication ou sans quali fication de la part d'un autre éditeur, pourrait amener l'ache- teur à croire qu'il a acheté un livre écrit par A, alors qu'en fait il a acheté un autre livre complètement différent, écrit par B. Dans un cas de ce genre, la preuve faite par le demandeur que les défendeurs donnent à leur livre un titre qu'il a adopté pour le sien propre ne suffit pas à elle seule à lui assurer la répara- tion demandée; il ne se verrait accorder cette réparation qu'en prouvant à la fois que les défendeurs se sont approprié le titre de son livre et qu'ils l'ont utilisé de manière à faire croire aux acheteurs de leur livre que celui-ci est le sien propre. S'il arri- vait à faire cette preuve, il aurait, conformément aux principes établis, droit à une injonction. En conséquence, en ma qualité de juge des faits, je dois examiner si les preuves produites en l'espèce établissent que les défendeurs ont fait passer leur livre pour celui du demandeur, tout en me rappelant que le seul fait qu'il y a similarité ne suffit pas à justifier une mesure de répa- ration en faveur du demandeur.
À mon avis, et comme l'a noté le juge Maugham ci-dessus, il est possible que dans des cas exception- nels, un titre ait une signification secondaire qui l'as- socie à l'éditeur ainsi qu'à un auteur, et qui justifie- rait une action en passing off par cet éditeur. Je pense qu'en général, le titre d'un livre désigne ce livre lui-même et peut-être l'auteur, mais n'évoquerait nor- malement pas le nom de l'éditeur dans l'esprit du public. Cependant, il est possible qu'une signification secondaire associant les titres ACCESS à CCH puisse être établie au procès proprement dit. Il me semble cependant que la demanderesse aura du mal à faire valoir une action en passing off au procès, pour les raisons suivantes.
En premier lieu, il est clair à mes yeux que CCH avait abandonné toute idée de continuer à publier sous ces titres. Il est vrai, comme CCH le soutient, qu'il a été jugé que même si une marque de com merce n'est plus utilisée, le demandeur peut en faire interdire l'utilisation au défendeur s'il arrive à prou- ver qu'il conserve un droit résiduel sur le bon renom de cette marque au moment de l'utilisation par le défendeur. Ainsi que l'a conclu le juge Wilberforce (tel était son titre à l'époque) dans Norman Kark Publications Ltd. v. Odhams Press Ltd., [1962] R.P.C. 163 (Ch. D.), à la page 169:
[TRADUCTION] Le principe à observer est, à mon avis, celui qui s'applique dans tous les cas le demandeur cherche à
protéger un nom commercial (qui n'est pas une marque de commerce déposée), savoir que le demandeur doit prouver qu'à la date de l'utilisation par le défendeur, dont il se plaint, il détient un droit de propriété sur le bon renom de ce nom, autre- ment dit que ce nom demeure le trait distinctif de son produit, à tel point qu'une utilisation par le défendeur est un effort déli- béré d'induire en erreur.
Cependant, étant donné le libellé sans équivoque de l'avis de cessation de publication envoyé aux abonnés (d'autant plus que ceux-ci font partie d'un groupe relativement restreint d'usagers avisés) et étant donné que la demanderesse a lancé un nouveau service de documentation fiscale sous un autre titre, il appert que si CCH avait retenu quelque droit que ce soit sur le bon renom au moment de la résiliation du
contrat, elle n'a fait absolument aucun effort pour protéger ce droit de manière à l'habiliter à en faire interdire l'utilisation aux autres. Si CCH jouissait d'une réputation quelconque dans l'esprit des anciens abonnés, il me semble que ce serait à titre d'ancien éditeur des services ACCESS: voir Norman Kark, supra, à la page 176. CCH fait valoir qu'à ses yeux la publication WINDOW est un «successeur» du ser vice ACCESS, et que si elle a employé le titre WIN DOW au lieu d'ACCESS, c'était parce que l'étude d'avocats avec laquelle elle composait le service WINDOW ne tenait pas à se trouver mêlée à un con- flit de marque de commerce. Cette convention avec l'étude d'avocats n'empêche pas que le message envoyé au public était, à mon avis, que CCH ne publiait plus sous les titres ACCESS.
Cet abandon sans équivoque par CCH fait, à mon avis, qu'elle aurait du mal à faire valoir la tromperie
du public sur la source des services ACCESS. La
question qui est au coeur de toute action en passing off est le fait de faire passer ses propres marchandises pour celles d'un autre ou de faire penser qu'elles ont un rapport avec cette autre personne. Comme l'argu- ment de tromperie sur la source ne réussira probable-
ment pas, le chef de passing off devra être probable- ment centré sur le contenu ou la nature des services en cause. Le résultat serait tout aussi problématique, puisqu'il appert que le service ACCESS publié par Butterworths est essentiellement semblable à celui publié par CCH. Cependant, toute différence entre les deux services est, à mon avis, une question à trancher au procès proprement dit.
En second lieu, bien que la convention entre les parties en ce qui concerne la propriété des marques de commerce constituant les titres ne soit pas con- cluante pour la solution du conflit, si tant est que cette convention ait un effet quelconque, les preuves produites dans le cadre de cette requête en injonction me portent à croire que la convention implicite entre les parties était que les défenderesses seraient les pro- priétaires des marques de commerce constituant les titres en cause. Une lecture du contrat passé entre Dacfo, Désy et CCH vient renforcer cet argument. Il ressort à l'évidence que CCH assumait le rôle d'un simple concessionnaire de la publication du service, sans aucun contrôle sur le droit d'auteur afférent à l'ouvrage.
Malgré mes doutes quant au succès ultime, il est toujours possible que des preuves soient produites au procès qui établiraient un droit résiduel sur le bon renom des marques de commerce, droit suffisant pour soutenir une action en passing off. Je conclus en con- séquence que la demanderesse a fait la preuve, qui lui incombe, qu'il y a une question importante à tran- cher.
Droit d'auteur
Les parties ont longuement argumenté sur la ques tion du droit d'auteur, et sur celle de savoir si le droit d'auteur, que détenait Dacfo sur le service, s'étendait aux titres ACCESS. La demanderesse soutient qu'un simple titre ne peut faire l'objet d'un droit d'auteur. Les défenderesses soutiennent de leur côté que selon l'article 2 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), chap. C-42, «est assimilé à une oeuvre le titre de l'oeuvre lorsque celui-ci est original et distinctif», et qu'en conséquence, le droit d'auteur sur une oeuvre littéraire embrasse aussi le titre qui est un élément de cette oeuvre.
Je conviens avec les défenderesses que la protec tion du droit d'auteur s'étend au titre. Cependant, il a été expressément jugé dans British Columbia v. Mihaljevic (1989), 26 C.P.R. (3d) 184 (C.S.C.-B.), à la page 190, que l'enregistrement du droit d'auteur sur une oeuvre ne peut servir à faire interdire à quel- qu'un d'autre d'utiliser le titre de cette oeuvre comme marque de commerce. En conséquence, le fait que les défenderesses détiennent le droit d'auteur ne consti-
tue pas une exception à l'action en passing off de la demanderesse.
Ayant conclu de ce qui précède qu'il y a une ques tion importante à trancher, je me penche maintenant sur la question du préjudice irréparable et de la balance des préjudices de part et d'autre.
Préjudice irréparable/balance des préjudices
Dans Turbo Resources, le juge Stone J.C.A. résume comme suit les facteurs qui pourraient entrer en ligne de compte une fois établi qu'il y a une ques tion importante à trancher, en pages 473 et 474:
a) lorsque les dommages-intérêts que le demandeur pourrait obtenir à l'égard de la poursuite par le défendeur de ses acti- vités pendant l'instance indemniseraient adéquatement le demandeur et seraient à la mesure des moyens financiers du défendeur, l'injonction interlocutoire ne devrait normalement pas être accordée;
b) lorsque de tels dommages-intérêts n'indemniseraient pas le demandeur adéquatement mais que des dommages-intérêts (recouvrables en vertu de l'engagement du demandeur) suffi- raient à compenser le préjudice subi par le défendeur à la suite de la limitation de ses activités, il n'existerait aucun motif jus- tifiant le refus d'une injonction interlocutoire;
c) lorsqu'il est douteux que le redressement en dommages-in- térêts pouvant s'offrir à l'une ou à l'autre partie soit adéquat, il doit être tenu compte de la répartition des inconvénients;
d) lorsque les autres facteurs en jeu tendent à s'équilibrer, il est prudent de prendre des mesures qui préserveront le statu quo;
e) lorsque les éléments de preuve présentés avec la requête font apparaître la cause d'une partie comme beaucoup plus forte que celle de l'autre, la répartition des inconvénients pourra être considérée comme favorisant cette première partie pourvu que les préjudices irréparables subis par les parties respectivement ne soient pas très disproportionnés;
f) d'autres facteurs particuliers qui ne sont pas précisés peuvent être considérés dans les circonstances particulières des diffé- rentes espèces.
Appliquant le premier principe directeur esquissé ci-dessus par le juge Stone, J.C.A. aux faits de la cause, je constate que la demanderesse n'a pas fait la preuve d'un préjudice irréparable auquel des domma- ges-intérêts ne sauraient remédier. La demanderesse n'a pas produit les preuves suffisantes pour établir que son bon renom pâtira de la soi-disant utilisation de sa marque de commerce non enregistrée. Ainsi que l'a récemment décidé le juge Heald J.C.A. dans Syntex Inc. c. Novopharm Ltd., supra, la preuve du préjudice irréparable doit être concluante et non pas
conjecturale. Par ailleurs, Butterworths s'est engagée à tenir la comptabilité de tous les abonnements au service, ce qui permettrait de calculer facilement les dommages-intérêts qui pourraient être prononcés le cas échéant.
Pour ce qui est de la balance des préjudices de part et d'autre, je suis aussi convaincu qu'elle penche du côté des défenderesses. Celles-ci ont investi des sommes considérables dans la production et la pro motion des services ACCESS alors que CCH a décidé de cesser la publication de ces services, puis de revenir sur le marché avec un service doté d'un titre différent. À mon avis, il faut maintenir le statu quo en attendant le procès.
CCH a entrepris d'assimiler la publication par But- terworths du service ACCESS aux cas le défen- deur prend un risque calculé, en ce qu'en l'espèce, les défenderesses ont pris pied sur le marché [traduction] «parfaitement conscientes» de la possibilité que la marque de commerce constituant le titre avait été prise: voir Joseph E. Seagram c. Andres Wines Ltd., supra. Je ne saurais accepter cette caractérisation des actions de Butterworths. Elle n'est entrée sur le mar ché qu'après que CCH eut résilié le contrat, et après avoir conclu que Dacfo était propriétaire à la fois des marques de commerce et du droit d'auteur. Elle a fait preuve tout au long d'une conduite exemplaire, en informant CCH de son intention de publier le nou- veau service, et pendant tout ce temps, CCH était au courant des plans de Butterworths pour le service.
J'estime aussi qu'accorder une injonction en cet état de la cause reviendrait en fait à trancher l'action principale. Ainsi que l'ont fait remarquer les défende- resses, une interdiction ordonnée en cet état de la cause les obligerait à trouver un autre titre pour le service en attendant le procès. Si l'injonction est rap- portée au moment du procès, il serait inutile pour le service de reprendre les titres ACCESS après avoir été publié sous un autre pendant une période plus ou moins longue.
Enfin, CCH soutient que les liens entre les parties doivent entrer en ligne de compte dans l'examen de la balance des préjudices réciproques. Que Désy et son étude Martineau Walker avaient été par le passé les conseils de CCH, et qu'il y a en conséquence un lien de confiance entre les parties. Ce lien donne lieu
à une situation de droit qui, en equity, interdit à Dacfo de retenir les marques de commerce, en ce que Dacfo aurait être tenue à l'obligation de divulguer intégralement tout ce qu'elle faisait au sujet de ces marques de commerce, au lieu de s'en remettre à une convention implicite avec Lata.
Il est vrai qu'un avocat peut être tenu à une obliga tion fiduciaire envers un ancien client, s'il a tiré un avantage ou une connaissance spéciale de ses rap ports avec ce client. Dans Korz v. St. Pierre et al. (1987), 61 O.R. (2d) 609 (C.A.), un avocat n'avait pas révélé à d'anciens clients avec lesquels il s'était associé qu'il était insolvable au point d'être à l'abri des jugements. La Cour, en décidant qu'il était tenu à l'obligation de révéler ce fait, s'est prononcée en ces termes la page 618]:
[TRADUCTION] L'avocat se trouvant en possession de renseigne- ments spéciaux et confidentiels au sujet de ses clients, ne doit pas tirer parti de cette position avantageuse lorsqu'il conclut une transaction avec eux. S'il conclut pareille transaction, il est tenu de révéler intégralement ce qu'il sait pour que son client n'en soit pas désavantagé. La déontologie et l'équité requièrent cette divulgation. Autrement les avocats jouiraient indûment d'une position avantageuse et seraient en mesure de tirer parti d'informations spéciales et confidentielles reçues des clients qui les consultaient sur des questions juridiques, tout en évitant subrepticement les risques qu'ils savent assumés par leurs clients. Ce principe doit s'appliquer dans de nombreux cas à l'égard d'anciens clients autant qu'à l'égard des clients actuels.
Cependant je ne suis pas convaincu qu'on puisse dire en l'espèce que Désy a acquis des informations spé- ciales ou un avantage de par sa qualité d'avocat de CCH, qui feraient que cette transaction, de relations d'affaires ordinaires, est devenue rapports de con- fiance. J'ajouterais en passant qu'il faut envisager avec circonspection le concept d'obligation fiduciaire dans le contexte commercial. S'il est vrai, comme l'a conclu le juge Stone J.C.A. dans Turbo, que des fac- teurs particuliers non précisés peuvent être considérés dans certains cas, je dois aussi observer cette mise en garde faite par le juge Sopinka dans Lac Minerals Ltd. c. International Corona Resources Ltd., [1989] 2 R.C.S. 574, à la page 596, au sujet des obligations fiduciaires dans les opérations commerciales: « on ne doit avoir recours au moyen brutal employé en equity que dans les situations la protection spéciale de l'equity se révèle vraiment nécessaire».
DÉCISION
Tout en concluant à la possibilité qu'il y ait une question importante à trancher, je ne suis pas con- vaincu que la demanderesse ait prouvé qu'elle subi- rait un préjudice irréparable si elle n'obtenait pas une injonction interlocutoire, ou que la balance des préju- dices réciproques penche en sa faveur. En consé- quence, la demande sera rejetée.
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