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T-2548-91 242 946 119 caporal-chef Christian Denault, ler bataillon, Royal 22ième régiment, base des Forces canadiennes Lahr, République fédérale d'Allemagne (requérant)
c.
Le procureur général du Canada, le ministre de la Défense nationale et le Commandant des Forces canadiennes en Europe, le major-général B. L. Smith (intimés)
RÉPERTORIÉ.' DENA(ILT C. CANADA (MINISTRE DE L9 DÉFENSE NATIONALE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Dubé—Ottawa, 10 et 22 octobre 1991.
Forces armées Procès de meurtre par une cour martiale Chacun des trois accusés sera jugé séparément Les Ordonnances et Règlements royaux prévoient que les accusés ne sont pas jugés ensemble, ,sauf lorsque le ministre ordonne la tenue d'un procès conjoint Les accusés veulent avoir un procès conjoint pour empêcher la poursuite de contraindre l'un ou plusieurs des accusés à témoigner contre l'un ou l'autre des co-accusés La ministre a rejeté la requête au motif qu'elle n'avait plus l'autorité d'ordonner un procès con joint, les inculpés ayant déjà été accusés de façon distincte Y a-t-il violation des droits garantis par la Charte?
Droit constitutionnel Charte des droits Procédures cri- minelles et pénales Procès de meurtre devant une cour mar- tiale Trois militaires accusés séparément Ils veulent avoir un procès conjoint pour empêcher la poursuite de contraindre les co-accusés de témoigner les uns contre les autres En vertu des Ordonnances et Règlements royaux, il n'y a pas pro- cès conjoint, sauf ordre contraire du ministre La ministre rejette la requête, les accusations ayant déjà été portées La décision du commandant de tenir des procès distincts et le refus de la ministre de permettre la tenue d'un procès conjoint violent-t-ils les droits du requérant garantis aux art. 7, 11c),d) et 15 de la Charte? Comparaison des règles de pratique applicables aux procès conjoints en vertu des ORFC et du Code criminel Des procès distincts ne violent aucun droit garanti par la Charte Le requérant est protégé contre l'auto-incrimination par l'art. 13 de la Charte, mais celle-ci ne protège pas contre le témoignage d'un co-accusé.
Le requérant demandait un bref de prohibition interdisant au commandant des Forces canadiennes en Europe de tenir des procès distincts pour juger le requérant et ses deux coaccusés inculpés de meurtre au premier degré; le requérant sollicitait aussi, conformément à l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés, une ordonnance enjoignant au ministre et au commandant de prendre les mesures appropriées pour un pro- cès conjoint.
Le 29 avril 1991, le requérant a été appréhendé par les auto- rités militaires canadiennes à Lahr en Allemagne relativement à un homicide. Deux autres militaires avaient été appréhendés la veille pour le même acte criminel. Le 20 juin 1991, les trois accusés ont été mis en accusation séparément pour être jugés par une cour martiale générale. Le 30 août 1991, le procureur du requérant a été avisé que trois procès distincts auraient lieu. Il a demandé à la ministre la tenue d'un procès conjoint, requête qui fut rejetée par lettre en date du 3 octobre 1991. Des dates ont été fixées pour les trois procès, le premier étant fixé pour le 30 octobre 1991. L'un des coaccusés figure sur la liste des témoins devant être convoqués par la Couronne au procès du requérant. Le sommaire de la déposition de ce témoin décrit les événements qui entourent le meurtre allégué. Le requérant fait valoir que des procès distincts permettent à la Couronne de citer les coaccusés à témoigner les uns contre les autres, et que le contraindre à témoigner à l'égard de ce que lui et les autres militaires peuvent avoir fait est assimilable à l'auto-incrimina tion.
Jugement: la demande devrait être rejetée.
Les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes prévoient que les «accusés ne sont pas jugés ensemble par une cour martiale», à moins que le Minis- tre n'ordonne qu'ils soient accusés conjointement et jugés ensemble. L'alinéa 591(3)b) du Code criminel permet au tribu nal d'ordonner la tenue de procès distincts à l'égard d'accusés qui ont été inculpés conjointement. Un tel ordre serait norma- lement donné à l'instance d'un accusé désireux de citer un co- accusé à titre de témoin à décharge puisque selon le Code, les personnes accusées conjointement sont jugées conjointement. Le Code prévoit la réunion des chefs d'accusation, mais on n'y trouve aucune procédure applicable aux procès conjoints de personnes accusées séparément. En vertu de la common law, un procès criminel doit porter sur un seul chef d'accusation ou une seule dénonciation.
Le seul fait de tenir des procès distincts ne viole pas le droit au silence de l'accusé ni son droit à ce que son propre témoi- gnage ne soit pas utilisé contre lui. Le témoignage d'un accusé au procès de l'un de ses co-accusés ne peut être utilisé contre lui à son propre procès: article 13 de la Charte. Ce que craint le requérant, c'est que les témoignages de ses coaccusés soient utilisés contre lui, mais la Charte n'offre aucune protection à cet égard.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7, llc),d), 13, 15, 24.
Code criminel, L.R.C. (1985), chap. C-46, art. 235(1), 591 (mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.), chap. 27, art. 119).
Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), chap. N-5, art. 70.
Ordonnances et Règlements royaux applicables aux For ces canadiennes, art. 101.09.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
R. v. Mazur (1986), 27 C.C.C. (3d) 359; 26 C.R.R. 113 (C.A.C.-B.); autorisation d'interjeter appel refusée [1986] 1 R.C.S. xi; (1986), 27 C.C.C. (3d) 359n; 26 C.R.R. 133n.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
R. v. Weir (No. 4) (1899), 3 C.C.C. 351 (B.R. Qué.); Phil- lips et Phillips c. La Reine, [1983] 2 R.C.S. 161; (1983), 50 N.B.R. (2d) 81; 3 D.L.R. (4th) 352; 131 A.P.R. 81; 8 C.C.C. (3d) 118; 35 C.R. (3d) 193; 48 N.R. 372.
DÉCISIONS CITÉES:
Regina v. Crooks (1982), 39 O.R. (2d) 193; 143 D.L.R. (3d) 601; 2 C.C.C. (3d) 57; 2 C.R.R. 124 (H.C.); R. c. Miller, [1983] C.S.P. 1094 (Qué.); R. c. Zurlo (1990), 57 C.C.C. (3d) 407; 50 C.R.R. 357 (C.A. Qué.); R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; [1990] 5 W.W.R. 1; 47 B.C.L.R. (2d) 1; 57 C.C.C. (3d) 1; 77 C.R. (3d) 145; 49 C.R.R. 114; 110 N.R. 1; Re Praisoody (1990), 50 C.R.R. 335 (H.C. Ont.)
AVOCATS:
Lcol D. Couture pour le requérant.
R. Morneau, Rosemarie Millar et Lcol M. Crowe
pour les intimés.
PROCUREURS:
Bureau du juge-avocat général, Ottawa, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timé.
Voici les motifs de l'ordonnance rendus en français par
LE JUGE DueÉ: Par cette requête introductive d'ins- tance le requérant, un militaire accusé de meurtre au premier degré, demande un bref de prohibition inter- disant au Commandant des Forces canadiennes en Europe («le Commandant») de procéder à des procès séparés pour juger le requérant et deux autres mili- taires contre lesquels pèsent les mêmes accusations, soit le caporal-chef Leclerc et le soldat Laflamme. La requête recherche également l'émission d'un ordre «de nature de remède sous le paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés» [qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de /982 sur le Canada, 1982, chap. 11
(R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] intimant au ministre de la Défense nationale («le ministre») et au Commandant de prendre les mesures appropriées pour le procès conjoint du requérant et des deux autres coaccusés.
Les faits essentiels de cette requête sont les sui- vants. Le 29 avril 1991, le requérant fut appréhendé par les autorités militaires à Lahr en Allemagne et incarcéré au Centre de détention des Forces cana- diennes à cet endroit relativement au décès de mon sieur William Bartholomew. Les deux autres mili- taires précités avaient été appréhendés le jour précédent. Le 20 juin 1991, les trois militaires ont été mis en accusation séparément pour être jugés par une cour martiale générale. Le 30 août 1991, le procureur du requérant était avisé que trois procès séparés auraient lieu. Le 6 septembre 1991, le procureur a adressé une demande à la ministre associée de la Défense nationale («la ministre») pour qu'elle ordonne la mise en accusation conjointe et le procès conjoint des trois accusés. Au soutien de sa demande, le procureur a soumis les arguments suivants:
a. les trois accusés ont été mis en accusation pour le meurtre de M. Bartholomew le 28 avril 1991, présumément un acte collec- tif;
b. la poursuite en procédant de la façon proposée se réserve l'opportunité de forcer un ou plusieurs des accusés à témoigner contre l'un ou l'autre des co-accusés, ceci à l'encontre de leur droit fondamental au silence;
c. la poursuite a toute la liberté d'orchestrer l'ordre des procès de façon à favoriser les intérêts de la poursuite au détriment des droits des accusés contre l'auto-incrimination;
d. les accusés, y compris mon client, pourraient subir un préju- dice grave à la suite de cette façon de procéder;
e. cette approche n'est pas conforme à la pratique sous le Code criminel du Canada en vertu de laquelle des individus accusés relativement à une même infraction sont jugés ensemble à moins qu'une autorité judiciaire n'en décide autrement;
f. les dispositions de l'article 101.09(2) des ORFC vous autori- sent à ordonner la mise en accusation conjointe ainsi que le procès conjoint des accusés que ce soit à la demande de la poursuite ou de la défense;
g. la règle généralement reconnue concernant les procès con- joints devrait être suivie et l'on devrait laisser le soin aux auto- rités judiciaires compétentes de prendre les décisions subsé- quentes appropriées comme cela se fait dans le système judiciaire canadien; et
h. la tenue de procès séparés pourrait résulter en des verdicts inconsistants, des sentences inconsistantes ce qui ne servirait certes pas les fins de la justice.
Dans sa demande, le procureur se réfère à l'article 101.09 des Ordonnances et Règlements royaux appli- cables aux Forces canadiennes («ORFC») qui se lit:
101.09—PROCÈS CONJOINTS
(1) Sous réserve des prescriptions du paragraphe (2) du présent article, des accusés ne sont pas jugés ensemble par une cour martiale.
(2) Le Ministre, ou un officier qu'il désigne à cette fin, peut ordonner qu'un certain nombre de personnes soient accusées conjointement et jugées ensemble par une cour martiale pour un délit supposé avoir été commis par elles collectivement.
(3) Lorsque, par suite d'un ordre donné en vertu du paragraphe (2) du présent article, une cour martiale est convoquée pour juger des personnes accusées conjointement, un accusé peut demander à l'autorité qui convoque la cour martiale d'être jugé séparément, alléguant que le témoignage d'un ou de plusieurs accusés qu'on se propose de juger en même temps que lui serait essentiel à sa défense. Si l'autorité à qui est présentée cette requête est convaincue du bien-fondé de la demande, elle convoque une cour martiale distincte pour le procès du requé- rant. [Mon soulignement.]
Par lettre en date du 3 octobre 1991, la ministre rejetait la demande. Elle cite le paragraphe 101.09(2) précité et elle en conclut que vu que les trois accusés avaient été accusés de façon séparée «avant que vous fassiez votre demande pour un procès conjoint», elle n'avait pas l'autorité maintenant d'ordonner que les trois soient jugés ensemble. Les deux paragraphes pertinents de la lettre de la ministre sont les suivants:
3. Je sais que les autorités militaires ont accusé votre client de meurtre, de façon séparée, avant que vous fassiez votre demande pour un procès conjoint. Ainsi donc, je considère que l'exception à cette règle des procès séparés ne s'applique pas en l'espèce puisque l'alinéa (2) de l'article 101.09 des ORFC se rapporte à une situation l'on veut obtenir, par ordre ministériel, un type d'accusation et un genre de procès alors que des accusations n'ont pas encore été portées.
4. Puisque je n'ai pas l'autorité en vertu des règlements de donner l'ordre ministériel en question, je pense qu'il est inutile et même qu'il ne convient pas que je commente la justesse des arguments que vous invoquez dans votre demande de procès conjoint.
En vertu des articles 111.06 et 111.07 des ORFC il appartient au Commandant de déterminer la tenue des cours martiales générales. Des dates ont déjà été fixées pour les trois procès, le premier étant celui du requérant fixé pour le 30 octobre 1991. Il appert au
sommaire additionnel de la preuve qui sera soumise au procès du requérant que l'un des trois accusés, le caporal-chef Leclerc, est sur la liste des témoins à être convoqués. Le sommaire du témoignage du caporal-chef Leclerc décrit les événements qui entou- rent le meurtre allégué de la victime William Bartho- lomew aux mains des trois accusés. Évidemment, une telle preuve, si elle est admise au procès du requérant, peut avoir un effet considérable sur le dénouement de cette affaire.
Il faut retenir au départ que le procureur du requé- rant n'attaque pas la constitutionnalité de l'article 101.09 précité à l'effet qu'en général des accusés ne sont pas jugés ensemble par une cour martiale. Sa prétention est que la décision du Commandant de procéder à trois procès séparés et celle de la ministre de refuser la demande d'un procès conjoint consti tuent en l'espèce une violation des droits garantis au requérant et aux deux coaccusés en vertu des articles 7, 11 (c),(d) et 15 de la Charte.
Le requérant reconnaît l'existence de certaines pré- rogatives de la poursuite, telles les décisions de choi- sir les accusations, le mode de procédure, etc., mais ces prérogatives ne doivent pas être exercées d'une manière calculée à procurer un avantage indu à la poursuite. Le procureur allègue que selon la pratique établie devant les cours de juridiction criminelle civile, les personnes accusées du même chef d'accu- sation relatif à une entreprise collective seront jugées ensemble à moins qu'un ordre pour procès séparé ne soit rendu en vertu de l'article 591 du Code criminel [L.R.C. (1985), chap. C-46 (mod. par L.R.C. (1985) (1ef suppl.), chap. 27, art. 119)]. Il soumet que les militaires canadiens devraient bénéficier de toute la gamme des droits garantis aux autres citoyens cana- diens. Surtout dans la présente affaire, dit-il, l'in- fraction alléguée n'est pas de nature typiquement militaire, mais plutôt de nature civile, contrairement au paragraphe 235(1) du Code criminel, et n'aurait pas été assujettie au droit militaire n'eut été du fait qu'elle fut présumément commise hors du Canada, tel qu'en fait foi l'article 70 de la Loi sur la défense nationale ' .
L.R.C. (1985), chap. N-5.
Le procureur insiste surtout sur le droit au silence du requérant, une partie intégrante des principes de justice fondamentale de l'article 7 de la Charte. Bien que le procès du requérant doit être le premier des trois, il n'en demeure pas moins que la poursuite détient le contrôle de l'ordre des procès et pourrait changer cet ordre sans que le requérant ne puisse intervenir. Si une telle décision devait être prise et que le procès de l'un des coaccusés procède avant celui du requérant, ce dernier serait un témoin con- traignable dans les procédures du coaccusé en ques tion. Le requérant serait alors appelé à témoigner sur les faits mêmes à l'appui de l'accusation portée con- tre lui, alors que son procès demeurerait à venir.
L'article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne. L'alinéa 11(c) accorde à tout inculpé le droit de ne pas être contraint de témoigner contre lui-même et l'alinéa 11(d) le droit d'être présumé innocent tant qu'il n'est pas déclaré coupable. L'article 15 prévoit que toute personne a droit à l'égalité devant la loi et à la même protection et aux mêmes bénéfices indépen- damment de toute discrimination.
Évidemment, le requérant bénéficie de la protec tion de l'article 13 de la Charte à l'effet qu'aucun témoignage incriminant qu'il donnerait à un procès ne puisse être utilisé pour l'incriminer lui-même dans d'autres procédures. Par contre, allègue le procureur, l'information divulguée par lui pourrait causer un extrême préjudice à sa future défense, fournissant à la poursuite de l'information à laquelle elle n'aurait pas eu accès sans son témoignage. Parce que les accusa tions sont identiques et la preuve de la poursuite pres- qu'identique contre chacun des trois accusés, le fait de contraindre le requérant à témoigner contre l'un ou l'autre des coaccusés est équivalent à le contrain- dre à témoigner contre lui-même.
Au surcroît, même si le procès du requérant se tenait le premier, ce dernier serait toujours contrai- gnable à témoigner au procès de chacun des deux autres accusés et il serait, toujours selon le procureur, encore privé de son droit au silence sous l'article 7 de la Charte. Si le requérant était contraint à témoigner dans un autre procès sur les faits mêmes de l'accusa- tion portée contre lui, la possibilité de preuve nou- velle au niveau de la Cour d'appel, la possibilité pour
les autorités de réviser le témoignage de l'appelant et d'obtenir de la preuve additionnelle et enfin la possi- bilité d'un ordre pour un nouveau procès sont autant de facteurs démontrant la violation des droits du requérant, toujours selon le procureur du requérant.
Et les mêmes arguments vont au soutien des requêtes identiques des deux autres coaccusés.
Dans un premier temps, il n'y a pas de stipulation parallèle à l'article 101.09 au Code criminel. Par con- tre, l'alinéa 591(3)(b) prévoit que lorsqu'il est con- vaincu que les intérêts de la justice l'exigent, le tribu nal peut ordonner, s'il y a plusieurs accusés ou défendeurs, qu'ils subissent leurs procès séparément, ce qui porte à croire que le principe général est à l'ef- fet que plusieurs accusés sur un même chef d'accusa- tion sont jugés conjointement, soit l'effet contraire de l'article 101.09. D'ailleurs, une cause de la Cour supérieure du Québec datant de l'année 1899, dépo- sée par le requérant, semble confirmer cette conclu sion 2 . Qu'il me suffise de citer ce passage du juge Wiirtele la page 352):
[TRADUCTION] Lorsque plusieurs personnes sont mises en accusation conjointement, la Couronne peut à son choix opter pour un procès conjoint ou des procès distincts; mais les défen- deurs ne peuvent exiger de plein droit des procès distincts.
Toutefois, si on démontre l'existence de motifs valables jus- tifiant la disjonction, le juge du procès peut leur accorder des procès distincts.
Selon la règle générale, les personnes mises en accusation conjointement doivent subir leur procès conjointement; mais lorsque, dans une instance particulière, il en résulterait une injustice pour l'un des défendeurs accusés conjointement, le juge du procès doit, si on démontre l'existence de motifs suffi- sants, permettre la disjonction et ordonner la tenue de procès distincts.
Effectivement, selon les représentations d'un des procureurs du requérant, en général les accusés dans les causes criminelles recherchent plutôt d'être jugés séparément puisqu'ils y voient une meilleure protec tion. Dans cette optique, l'article 101.09 favorise la personne accusée. Pour ce qui est de la requête devant le juge Würtele, les accusés avaient demandé d'être jugés séparément et il a rejeté leur requête au motif qu'ils n'avaient pas démontré qu'un procès conjoint leur causerait préjudice.
2 R. v. Weir (No. 4) (1899), 3 C.C.C. 351 (B.R. Qué).
C'est donc que la règle de pratique sous le Code criminel est à l'effet que des personnes accusées con- jointement doivent être jugées conjointement. Telle n'est pas la situation en l'espèce. Les trois requérants dans les trois présentes requêtes n'ont pas été accusés conjointement, mais séparément. De plus, la règle de base en cour martiale est à l'effet qu'en principe les accusés ne sont pas jugés ensemble, à moins que le ministre l'ordonne.
Le Code criminel énonce une procédure élaborée applicable à la réunion de chefs d'accusation mais on n'y retrouve aucune procédure du genre applicable aux procès conjoints de plus d'un accusé. Dans l'af- faire Phillips et Phillips c. La Reine 3 , la Cour suprême du Canada a conclu la page 171) de façon définitive qu'en vertu de la common law un procès criminel doit porter sur un seul acte d'accusation ou une seule dénonciation. C'est donc que le législateur doit légiférer s'il veut qu'un seul procès porte sur plusieurs actes d'accusation:
Partout dans le Code, on parle de l'instruction de l'acte d'accu- sation ou de la dénonciation. Même les dispositions relatives aux chefs d'accusation multiples et à leur séparation indiquent qu'un procès doit porter sur un seul acte d'accusation ou une seule dénonciation. Si le législateur avait voulu qu'un seul pro- cès puisse porter sur plus d'un acte d'accusation ou plus d'une dénonciation en même temps, ces dispositions relatives à la réunion ou à la séparation de chefs d'accusation auraient été inutiles.
Le juge du procès n'a donc pas la compétence pour instruire ensemble des actes d'accusation ou des dénonciations distincts. Cependant, le juge McIntyre, qui a rendu le jugement de la Cour suprême dans Phillips, a conclu que lorsqu'il y a des actes d'accu- sation ou des dénonciations distincts qui auraient être présentés conjointement, il était loisible au juge du procès de permettre, s'il y a lieu, la modification de l'acte d'accusation ou de dénonciation afin d'in- clure les accusés ou les accusations visées par un autre acte d'accusation ou dénonciation.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a conclu dans l'affaire Mazur4 que cette dernière partie du jugement du juge McIntyre était obiter dicta et qu'elle serait limitée à l'injustice qui pourrait décou-
3 [1983] 2 R.C.S. 161.
4 R. v. Mazur (1986), 27 C.C.C. (3d) 359 (C.A.C.-B.); auto- risation d'en appeler refusée par la Cour suprême du Canada le 20 mai 1986 [[1986] 1 R.C.S. xi].
ler d'un procès conjoint de deux accusés suite à des actes d'accusations séparés. Elle ne s'applique aucu- nement aux procès séparés suite à des actes d'accusa- tions distincts, le cas en l'espèce. De plus, cette Cour d'appel a conclu qu'un juge de la Cour provinciale n'avait pas juridiction d'amender l'acte d'accusation afin d'ajouter un coaccusé en l'absence du consente- ment de la Couronne.
Dans le cas présent, le requérant et les deux autres militaires en question ont été mis en accusation sépa- rément et le Commandant a décidé de procéder à des procès séparés. La ministre a par la suite exercé sa discrétion et décidé de ne pas infirmer cette décision.
Au cours de l'audition, le procureur du requérant s'est référé à la jurisprudences sous la Charte cana- dienne des droits et libertés dans le but de démontrer que l'imposition d'un procès séparé violait son «droit au silence». À mon avis, le seul fait de tenir des pro- cès séparés ne viole aucun des droits prévus à la Charte. Par ailleurs, l'imposition à un coaccusé de venir témoigner au procès d'un autre coaccusé pour- rait éventuellement violer les droits du témoin: en vertu de l'article 13 de la Charte, chacun a droit à ce que son propre témoignage dans une procédure ne soit pas utilisé contre lui à son propre procès. Si cette protection est violée, alors la personne lésée pourra faire valoir ses droits en temps et lieu.
La menace de violation que craint le requérant à ce stade n'est pas vraiment que son propre témoignage soit utilisé contre lui-même, mais que les témoi- gnages des deux autres accusés soient utilisés contre lui. La Charte ne protège pas un accusé contre les témoignages de ses coaccusés.
De plus, la présente requête ne demande pas que les coaccusés ne soient pas entendus en preuve contre les autres coaccusés. La requête demande d'interdire au Commandant de procéder à des procès séparés, ou d'intimer au ministre d'ordonner un procès conjoint. Pour les motifs précités, je ne peux acquiescer à une telle requête.
La requête est donc rejetée.
5 Regina v. Crooks (1982), 39 O.R. (2d) 193 (H.C.); R. c. Miller, [1983] C.S.P. 1094 (Qué.); R. v. Mazur, 4, ibid; R. c. Zurlo (1990), 57 C.C.C. (3d) 407 (C.A. Qué.); R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151; Re Praisoody (1990), 50 C.R.R. 335 (H.C. Ont.).
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