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T-2379-90
Sydney Steel Corporation, personne morale (intimée) (demanderesse)
c.
Le navire «Omisalj», Jugolinija et les propriétaires, les affréteurs et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire «Omisalj» (requérants) (défendeurs)
RÉPERTORIA' SYDNEY STEEL CORP. C. OMISALI (LE) (!re /NST.)
Section de première instance, juge MacKay—Hali- fax, 14 janvier; Ottawa, 28 janvier 1992.
Pratique Communication de documents et interrogatoire préalable Interrogatoires préalables par écrit dans une affaire concernant une collision maritime Les questions de la demanderesse portent sur les accidents dans lesquels le capitaine a été impliqué dans le passé, sur les mesures subsé- quentes prises par les propriétaires, sur la question de savoir si le navire aurait répondu à la barre S'agit-il de questions pertinentes? Le critère relatif au bien-fondé d'une question posée dans le cadre d'un interrogatoire préalable est de savoir si les renseignements sollicités peuvent être pertinents aux points litigieux Le doute est dissipé en faveur de la fran chise Les accidents dans lesquels le capitaine a été impliqué dans le passé ne sont pas pertinents à la question de savoir si l'accident est à la négligence Ils peuvent être pertinents à la limitation de responsabilité prévue par la loi La preuve de faits postérieurs ne constitue pas, en soi, une preuve de négligence Elle peut avoir une valeur probante après que d'autres éléments de preuve établissant la négligence ont été produits Les questions visant à obtenir un avis lors d'un interrogatoire préalable sont admissibles seulement lors- qu'elles s'adressent à un témoin expert dont les connaissances techniques sont en litige Le capitaine n'est pas un témoin expert au sens cette expression est entendue et son opinion en tant qu'expert n'est pas en litige.
Il s'agit d'une demande fondée sur la Règle 466.1(3) en vue de faire radier certaines questions posées dans le cadre d'un interrogatoire préalable par écrit.
L'action principale fait suite à une collision impliquant le navire défendeur qui s'est produite au quai de la demanderesse à Sydney (Nouvelle-Écosse). Parmi les questions auxquelles on s'oppose, il y en a une qui concerne les accidents dans les- quels le capitaine a été impliqué dans le passé, il y en a deux qui visent à savoir si la compagnie a modifié ses pratiques ou pris des mesures disciplinaires depuis, et il y en a deux qui demandent au capitaine si une manoeuvre de barre aurait été efficace durant les minutes qui ont précédé la collision.
Jugement: la demande est accueillie en partie—les questions portant sur des faits antérieurs et des faits postérieurs doivent faire l'objet d'une réponse, les questions sollicitant un avis doi- vent être radiées.
Le critère relatif au bien-fondé d'une question posée dans le cadre d'un interrogatoire préalable est moins rigoureux que le critère relatif à l'admissibilité de la preuve au procès. Il s'agit d'établir si les renseignements sollicités par la question peu- vent être pertinents aux points litigieux dans les actes de procé- dure au stade de l'interrogatoire préalable. Lorsqu'il y a un doute, on le dissipe en faveur de l'objectif de franchise. La question portant sur les accidents dans lesquels le capitaine du navire défendeur a été impliqué dans le passé n'est pas perti- nente à la question de la négligence à l'occasion de l'accident en question; toutefois, les renseignements que possèdent les propriétaires sur des accidents dans lesquels leur employé a été impliqué dans le passé seraient pertinents à leur droit de limiter leur responsabilité aux termes de l'article 575 de la Loi sur la marine marchande du Canada. Bien que les défendeurs puis- sent retirer avant l'instruction leur demande en vue de limiter leur responsabilité au montant prévu dans la Loi, qui est supé- rieur au montant probable des dommages, cette demande fait encore partie des actes de procédure. Quoique la preuve de faits postérieurs ne constitue pas, en soi, une preuve de négli- gence, elle peut avoir une valeur probante après que d'autres éléments de preuve établissant la négligence ont été produits. C'est au juge de première instance qu'il appartient de décider du traitement à accorder aux réponses à ces questions au pro- cès.
On prétend que les questions concernant l'incidence possi ble d'une manoeuvre de barre immédiatement avant la collision se rapportent à la compétence et à l'habileté du capitaine. La «règle (de la Cour fédérale) relative aux questions visant à obtenir un avis» dans le cadre d'un interrogatoire préalable a été énoncée par la Cour d'appel dans l'arrêt Rivtow Straits Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd.: les questions visant à obtenir un avis ne sont pas admissibles sauf lorsque le témoin est un expert dont les connaissances techniques sont mises en doute par les actes de procédure. Dans la présente espèce, c'est la compétence du capitaine au moment de l'accident qui est en litige. Il n'est pas un témoin expert au sens cette expression est habituellement employée, et son opinion en tant qu'expert n'est pas mise en question par les actes de procédure.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi .sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), chap. S-9, art. 575.
Règles de la Cour . fédérale, C.R.C., chap. 663, Règles 458(1)a) (mod. par DORS/90-846, art. 15), 466.1 (mod., idem, art. 16).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
McKeen and Wilson Ltd. v. Gulf of Georgia Towing Co. Ltd. et al., [1965] 2 R.C.É. 480; Algoma Central Railway
v. Herb Fraser and Associates Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 330; 36 C.P.C. (2d) 8; 31 O.A.C. 287 (C. div.); Rivtow Straits Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd., [1977] 1 C.F. 735; (1976), 14 N.R. 314 (C.A.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Simonar et al. v. Braybrook et al. (1989), 76 Sask. R. 206; 33 C.P.C. (2d) 89 (B.R.); Clif-Den Holdings Ltd. et al. v. Automated Concrete Ltd. et al. (1986), 70 A.R. 327 (B.R.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Philips Export B.V. c. Windmere Consumer Products Inc. (1986), 7 C.I.P.R. 147; 8 C.P.R. (3d) 505; 1 F.T.R. 300 (C.F. Pe inst.); Everest & Jennings Canadian Ltd. c. Inva- care Corporation, [1984] 1 C.F. 856; (1984), 79 C.P.R. (2d) 138; 55 N.R. 73 (C.A.); D & L Sales Ltd., exercant ses activités sous le nom de Royal Specially Sales c. Mayda Industries Co. Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 131; 4 F.T.R. 77 (C.F. inst.); Savoie v. Bouchard and Board of Trustees of Hotel-Dieu d'Edmundston (1983), 49 N.B.R. (2d) 424; 129 A.P.R. 424; 26 CCLT 173 (C.A.); Meilleur v. U.N.I.-Crete Canada Ltd. (1982), 30 C.P.C. 80 (H.C. Ont.).
DÉCISIONS CITÉES:
Can. Cement Lafarge Ltd. v. Caterpillar Tractor Co. (No. I) (1982), 29 C.P.C. 205 (H.C. Ont.); Canadian Pacific Railway Co. v. City of Calgary (1966), 59 D.L.R. (2d) 642; (1966), 58 W.W.R. 124 (C.S. Alb., Div. d'appel); Cominco Ltd. v. Phillips Cables Ltd., [1987] 3 W.W.R. 562; (1987), 54 Sask. R. 134; 18 C.P.C. (2d) 165 (C.A.); James et al. v. River East School Division No. 9 et al. (1975), 64 D.L.R. (3d) 338; [1976] 2 W.W.R. 577 (C.A. Man.); Glidden v. Town of Woodstock (1895), 33 N.B.R. 388 (C.S.); R & B Fishing Ltd. et autres c. Canada (1986), 1 F.T.R. 305 (C.F. ITC inst.); Smith, Kline & French Laboratories Ltd. et autres c. Procureur général du Canada (1982), 67 C.P.R. (2d) 103; 29 C.P.C. 117 (C.F. I fe inst.); Drake v. Overland and Southam Press Ltd. (1979), 19 A.R. 472; 107 D.L.R. (3d) 323; [1980] 2 W.W.R. 193; 12 C.P.C. 303 (C.A.); Opron Construction Co. v. Alberta (1988), 85 A.R. 143; 59 Alta. L.R. (2d) 214 (B.R.).
AVOCATS:
John D. Murphy, pour l'intimée (demanderesse). A. William Moreira, pour les requérants (défen- deurs).
PROCUREURS:
Stewart McKelvey Stirling Scales, Halifax, pour l'intimée (demanderesse).
Daley, Black & Moreira, Halifax, pour les requérants (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE MACKAY: Les défendeurs en l'espèce demandent à la Cour d'ordonner que certaines ques tions contenues dans un interrogatoire préalable par écrit soient radiées aux termes de la Règle 466.1(3) des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., chap. 663], modifiée par DORS/90-846, article 16. La Règle 466.1, qui a été modifiée en 1990 et qui remplace l'ancienne règle relative aux interrogatoires, permet de procéder à un interrogatoire préalable par écrit au moyen d'«une liste de questions concises et numéro- tées séparément auxquelles la partie adverse devra répondre» (Règle 466.1(1)) et prescrit que «[1]a per- sonne qui s'oppose à une question posée dans le cadre d'un interrogatoire écrit peut demander à la Cour de radier cette question» (Règle 466.1(3)).
L'action ayant donné lieu à la présente demande fait suite à une collision qui s'est produite dans le port de Sydney (Nouvelle-Écosse) le 21 mars 1989, date à laquelle le navire défendeur aurait heurté et endommagé un duc-d'albe appartenant à la demande- resse tandis qu'il s'approchait de son poste d'amar- rage à la Sydney Steel Corporation. Les défendeurs ont invoqué en défense l'absence de négligence.
Comme il n'était pas pratique de procéder à un interrogatoire préalable oral en raison de la distance et d'autres difficultés logistiques, la demanderesse a signifié un interrogatoire préalable par écrit le 21 novembre 1990, aux termes de la Règle 466.1. Cer- taines questions ont fait l'objet d'une objection, que les avocats des parties ne sont pas parvenus à résou- dre à l'amiable, d'où la présente demande adressée à la Cour pour qu'elle décide si les cinq questions aux- quelles les défendeurs s'opposent doivent faire l'ob- jet d'une réponse.
Pour faciliter l'examen de la présente demande, l'avocat des défendeurs range les questions en litige dans trois catégories, soit les questions portant sur des faits antérieurs, les questions portant sur des faits postérieurs et les questions portant sur des témoi- gnages d'opinion. Il convient d'examiner les ques-
tions posées en fonction de ce classement, après avoir passé en revue les principes applicables.
Aux termes de la Règle 458(1)a) , [mod., idem, art. 15]:
Règle 458. (1) Une personne qui est soumise à un interroga- toire préalable répond, au mieux de ses connaissances, à toute question qui:
a) soit est pertinente à un fait allégué non admis dans un acte de procédure déposé dans le cadre de l'action par la partie qui est soumise à l'interrogatoire préalable ou par la partie qui interroge; ...
Les avocats des parties conviennent que le critère relatif au bien-fondé d'une question posée dans le cadre d'un interrogatoire préalable est moins rigou- reux que le critère relatif à l'admissibilité de la preuve au procès, et que le critère qu'il convient d'appliquer est de savoir si les renseignements solli- cités par une question peuvent être pertinents aux points qui, au stade de l'interrogatoire préalable, sont litigieux dans les actes de procédure déposés par les parties. Comme les défendeurs l'ont indiqué, c'est le juge suppléant d'appel Norris qui a énoncé ce critère dans l'arrêt McKeen and Wilson Ltd. v. Gulf of Geor- gia Towing Co. Ltd. et al., [1965] 2 R.C.É. 480, la page 482:
[TRADUCTION] ... les questions auxquelles on s'oppose peu- vent porter sur des points pertinents aux litiges soulevés dans les conclusions écrites. C'est tout ce que les défendeurs doi- vent démontrer. Il appartient au savant juge de première ins tance de décider si elles sont ou non pertinentes et admissibles au procès.
C'est le critère sur lequel repose la décision par laquelle le protonotaire adjoint Giles, a ordonné que des questions qui «[pouvaient] être pertinentes» fas- sent l'objet d'une réponse dans l'arrêt Philips Export B.V. c. Windmere Consumer Products Inc. (1986), 7 C.I.P.R. 147 (C.F. Ire inst.), aux pages 153 155.
Ce même principe, appliqué à des documents devant être produits dans le cadre d'un interrogatoire préalable, sous-tend la décision rendue par la Cour d'appel dans l'arrêt Everest & Jennings Canadian Ltd. c. Invacare Corporation, [ 1984] 1 C.F. 856 (C.A.), qui a accueilli l'appel formé contre la déci- sion du juge des requêtes de ne pas ordonner la com munication du reste d'un dossier contenant une lettre produite au cours d'un interrogatoire préalable. Le
juge Urie a dit au nom de la Cour d'appel (aux pages 857 et 858):
Nous sommes tous d'avis que l'appel doit être accueilli. En produisant la pièce 7, l'intimée a reconnu sa pertinence. D'après le sens manifeste de son libellé, il ne ressort aucune- ment de la lettre qu'elle vise uniquement l'invention, s'il en est, exposée dans le brevet litigieux plutôt que quelque chose de tout à fait différent. Il paraît donc que, dans la détermination de la pertinence de la lettre, le dossier d'où elle a été tirée peut être tout aussi pertinent que la lettre elle-même. Selon nous, le critère qu'il convient d'appliquer pour établir la pertinence aux fins d'un interrogatoire préalable est celui qu'a posé le juge en chef McEachern dans la décision Boxer and Boxer Holdings Ltd. v. Reesor, et al. (1983), 43 B.C.L.R. 352 (C.S.C.-B.), il dit, à la page 359:
[TRADUCTION] Les demandeurs ont incontestablement le droit de consulter tout document susceptible de les lancer dans une enquête qui pourra, directement ou indirectement, bénéficier à leur cause ou nuire à celle du défendeur, parti- culièrement sur la question vitale de la probabilité que la version du contrat donnée par une partie soit plus exacte que celle de l'autre. Tel étant le cas, il me semble que les deman- deurs doivent avoir gain de cause sur certains aspects de la demande.
La production des documents compris dans le dossier pourra aider l'appelante dans sa défense. Peut-être aussi que ces docu ments ne l'aideront pas et qu'ils sont, comme l'affirme l'inti- mée, complètement dénués de pertinence. Quoi qu'il en soit, la question pourra être plus facilement résolue au procès, la perti nence et l'importance de ces documents étant à déterminer par le juge de première instance.
Selon la demanderesse, toutes les questions au sujet desquelles une objection a été formulée satis- font au critère qu'il convient d'appliquer aux ques tions posées dans le cadre d'un interrogatoire préala- ble, à savoir qu'elles peuvent être pertinentes à des points qui sont litigieux à ce stade-ci dans les actes de procédure. La demanderesse fait en outre valoir dans des observations écrites que ce critère oblige la partie qui s'oppose à des questions à prouver que ces ques tions ne peuvent absolument pas être pertinentes à un fait en litige. À mon sens, cette prétention va trop loin. Plus exactement, lorsqu'on objecte l'absence de bien-fondé d'une question parce qu'elle est dénuée de pertinence pour des raisons données, la partie qui pose la question doit convaincre la cour que les ren- seignements qu'elle veut obtenir peuvent être perti- nents à un fait en litige. Il n'est probablement pas dif- ficile de satisfaire à ce critère vu l'objectif de franchise que les règles cherchent à promouvoir au cours des étapes préparatoires au procès, en particu- lier dans le cadre d'un interrogatoire préalable, peu
importe qu'il se déroule oralement ou au moyen de questions par écrit. De plus, il est établi que lorsqu'on ne sait pas très bien si une question doit faire l'objet d'une réponse, on laisse le bénéfice du doute à la par- tie qui veut obtenir cette réponse, vu l'objectif fonda- mental de franchise (D & L Sales Ltd., exerçant ses activités sous le nom de Royal Specialty Sales c. Mayda Industries Co. Ltd. (1986), 10 C.P.R. (3d) 131 (C.F. 1 1 e inst.), Madame le juge Reed, à la page 134).
Faits antérieurs
Les défendeurs ne veulent pas répondre à la ques tion suivante:
[TRADUCTION] Q. 1(g) «[Veuillez donner] des précisions sur les accidents dans lesquels ont déjà été impliqués des navires dont vous [le capitaine] aviez le commandement ou dont vous étiez l'officier de quart à l'époque en cause?»
Les défendeurs soutiennent que cette question vise à obtenir des renseignements sur des événements antérieurs qui, selon eux, ne sont pas pertinents aux litiges soulevés dans l'action, qui est fondée sur la négligence dont le capitaine aurait fait montre dans la conduite du navire dans des circonstances particu- lières, ainsi qu'à un moment et à un endroit précis. Les défendeurs s'appuient sur la décision rendue par le juge Wedge dans l'arrêt Simonar et al. v. Bray- brook et al. (1989), 76 Sask. R. 206 (B.R.), à la page 207, bien qu'à mon avis, les questions qui étaient en litige dans cette affaire-là étaient plus générales que la question portant sur des faits antérieurs dans la pré- sente espèce, et on a facilement conclu qu'elles étaient dénuées de pertinence.
La demanderesse s'appuie principalement sur deux moyens pour dire que cette question satisfait au cri- tère qu'il convient d'appliquer aux questions posées dans le cadre d'un interrogatoire préalable, à savoir qu'elle peut être pertinente aux faits en litige. Premiè- rement, l'un des points litigieux, qui est soulevé dans la défense à titre de moyen subsidiaire au moyen de défense fondé sur l'absence de négligence, est une demande de limitation de responsabilité présentée en application de l'article 575 de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), chap. S-9. Les renseignements que possèdent les propriétaires du navire sur des accidents dans lesquels auraient été impliqués des navires dont le commandement était exercé par le capitaine seraient pertinents à toute
demande de limitation de responsabilité que ceux-ci peuvent présenter. L'avocat des défendeurs l'admet dans sa plaidoirie, mais fait valoir qu'il faut examiner la question dans un contexte plus général que celui- là, puisqu'il se peut que la demande de limitation de responsabilité soit retirée si, comme cela semble pro bable, le montant de toute limitation possible risque de dépasser celui des dommages-intérêts réclamés en l'espèce.
Dans ce contexte plus général, la demanderesse soutient que la question est pertinente à la compé- tence du capitaine et elle cite des causes dans les- quelles des questions portant sur des faits antérieurs ont été permises. Dans l'arrêt Royal Specialty Sales c. Mayda Industries Co. Ltd., précité, qui concerne la contrefaçon dont aurait fait l'objet un dessin protégé par le droit d'auteur, ma collègue Madame le juge Reed a ordonné que des questions posées dans le cadre d'un interrogatoire préalable sur des poursuites en contrefaçon de dessins industriels intentées dans le passé fassent l'objet d'une réponse. Selon moi, cette affaire a été décidée ainsi parce que la défense a plaidé la contrefaçon de bonne foi, si contrefaçon il y avait, et que c'est un fait à l'égard duquel les ques tions ont été jugées pertinentes en ce qu'elles ten- daient à établir la connaissance de l'existence proba ble d'un droit en matière de propriété intellectuelle dans le dessin en question et, partant, à réfuter la question de la contrefaçon de bonne foi. Dans l'arrêt Savoie v. Bouchard and Board of Trustees of Hotel - Dieu d'Edmundston (1983), 49 N.B.R. (2d) 424 (C.A.), qui portait sur l'admissibilité de questions posées au procès sur des faits antérieurs (et implicite- ment, donc, sur l'admissibilité de questions pouvant être posées dans le cadre d'un interrogatoire préala- ble), les questions posées ont été déclarées admis- sibles parce qu'elles étaient pertinentes à la déposi- tion d'une partie relativement à une pratique uniforme qui tendait à étayer une conclusion établis- sant l'absence de négligence de sa part. Dans l'arrêt Meilleur v. U.N.I.-Crete Can. Ltd. (1982), 30 C.P.C. 80 (H.C. Ont.), qui concernait une poursuite en dom- mages-intérêts fondée sur la responsabilité du fait des produits et sur le prétendu défaut d'étiqueter conve- nablement des contenants, de les emballer correcte- ment, de mettre les consommateurs en garde et de leur donner des instructions, des questions portant sur d'autres blessures causées par l'emploi du produit de
la défenderesse, avant et après l'accident ayant donné lieu à la poursuite, et dont celle-ci était au courant,
ont été autorisées pour autant qu'elles se rapportaient à des accidents antérieurs à la poursuite. Dans cette affaire-là, il me semble que les questions étaient per- tinentes parce qu'elles se rapportaient à des rensei- gnements que possédait la défenderesse et qui pou-
vaient influer sur son devoir envers d'éventuels utilisateurs du point de vue des prétentions particu- lières concernant le défaut de donner des mises en garde ou des avis suffisants au sujet des dangers pos sibles. Enfin, dans l'arrêt Clif-Den Holdings Ltd. et al. v. Automated Concrete Ltd. et al. (1986), 70 A.R. 327 (B.R.), la demanderesse prétendait qu'un défen- deur avait fait preuve de négligence en remplissant excessivement les réservoirs de gaz propane d'un autre défendeur dont le camion a explosé et a détruit le bien de la demanderesse. La décision qu'a rendue le protonotaire Quinn reposait, comme il le précise, sur la Règle 200 d'alors des Règles de l'Alberta [Alberta Rules of Court, Alta. Reg. 390/68]., Il s'est prononcé en ces termes à la page 329:
[TRADUCTION] A proprement parler, il est vrai qu'il n'est pas pertinent de savoir si Davis Heater a rempli excessivement les réservoirs de gaz propane de véhicules appartenant à un parti- culier ou à une firme autre que Automated. Il est également vrai que le remplissage excessif des réservoirs du véhicule de Davis Heater à d'autres moments avant l'accident n'est pas pertinent d'un point de vue strictement logique. Il se peut que Davis Heater ait parfois rempli excessivement les réservoirs d'autres véhicules et même qu'il ait déjà rempli excessivement le camion de Automated, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu'il a rempli excessivement le camion de Automated dans les circonstances de l'espèce.
Aux termes de la Règle 200, il est permis d'interroger au préalable une personne sur ce qu'elle sait «concernant le point en litige». Cela donne manifestement beaucoup plus de latitude qu'un critère fondé strictement sur la pertinence.
Il a ensuite conclu que les questions portant sur d'autres véhicules ayant fait l'objet d'un remplissage excessif ou sur le remplissage excessif du camion en question dans le passé [TRADUCTION] «concernaient le point en litige» et devaient faire l'objet d'une réponse. À mon sens, cette décision traite de la portée de la règle albertaine concernant les interrogatoires préalables, qui serait plus grande que celle du critère de la pertinence, qui est le fondement établi par la Règle 458(1)a) de la présente Cour.
La prétention de la demanderesse selon laquelle la compétence du capitaine est en litige en l'espèce est acceptable dans la mesure cette compétence se voit à son comportement au moment et à l'endroit s'est produit l'accident ayant donné lieu à la présente action. Sa compétence générale, telle qu'on peut la juger d'après les accidents dans lesquels il peut avoir été impliqué, peut aussi être pertinente, comme on l'a déjà mentionné, à toute demande de limitation de res- ponsabilité des propriétaires. Toutefois, cette compé- tence générale dans d'autres situations et circons- tances n'est pas pertinente à la question de la négligence dont le capitaine peut avoir fait montre dans le port de Sydney. S'il s'agissait en l'espèce d'un recours en dommages résultant de la conduite négligente d'un véhicule automobile, les questions adressées au conducteur au sujet d'accidents dans les- quels il aurait été impliqué ne seraient pas pertinentes à la question de la négligence dont il aurait fait preuve dans les circonstances ayant donné lieu à la demande d'indemnisation.
Par conséquent, pour ce qui est de la négligence dont on peut avoir fait montre dans la conduite du navire tandis qu'il s'approchait de son poste d'amar- rage au quai de la Steel Company, la question des accidents dans lesquels auraient été impliqués des navires placés sous le commandement du capitaine est dénuée de pertinence. Néanmoins, la question peut être pertinente aux renseignements que possé- daient les propriétaires et à leur demande de limita tion de responsabilité, qui demeure en litige dans les actes de procédure. J'arrive donc à la conclusion que cette question doit faire l'objet d'une réponse.
Faits postérieurs
Deux questions font l'objet d'une objection au motif qu'elles visent à obtenir des renseignements sur des faits postérieurs à l'accident ayant donné lieu à l'action et qu'elles ne sont pas pertinentes aux points en litige de l'avis des défendeurs. Ces questions sont les suivantes:
[TRADUCTION] Q. 2(j) Si la réponse à la question susmentionnée est affirmative (y avait-il un règlement?), ce Règlement a-t-il été modifié depuis le 21 mars 1989? Dans l'affir- mative, veuillez fournir une copie des modifications.
Q. 3(cc) Cet accident a-t-il fait l'objet d'une audition ou d'une mesure disciplinaire au sein de la société?
Les avocats conviennent qu'il y a deux tendances jurisprudentielles au sujet du bien-fondé des ques tions posées dans le cadre d'un interrogatoire préala- ble sur des faits postérieurs à ceux qui ont donné lieu à l'action. Selon les défendeurs, la Cour devrait appliquer la suite d'arrêts qui écarte ces questions, illustrée par l'opinion dissidente du juge White dans l'arrêt Algoma Central Railway v. Herb Fraser and Associates Ltd. (1988), 66 O.R. (2d) 330 (C. div.) aux pages 336 à 342. L'exclusion de pareilles questions posées dans le cadre d'un interrogatoire préalable et au procès, qui serait une position traditionnelle, repose sur le fait que les réponses ne sont pas perti- nentes à la question de la négligence dont on aurait fait preuve pendant l'accident, de même que sur des considérations générales voulant que nul ne devrait être dissuadé de prendre des dispositions après un accident, par mesure de précaution ou autrement, pour éviter que d'autres accidents semblables n'arri- vent, de crainte que ces dispositions ne soient mises en preuve pour appuyer une conclusion quant à la négligence. Les juges de la majorité font peu de cas de ces considérations générales dans l'arrêt Algoma Central Railway, et bien que le juge Chilcott affirme dans les motifs qu'il prononce au nom de la majorité (aux pages 334 à 336) que la preuve de faits posté- rieurs produite sous forme de mesures de redresse- ment prises après l'accident n'est pas, en soi, perti- nente à la question de la négligence, elle peut être pertinente à d'autres questions, notamment la con- naissance des risques et le caractère réalisable de mesures préventives, ou bien à la demande de limita tion de responsabilité présentée par le propriétaire en application de la Loi sur la marine marchande du Canada, comme en l'espèce. De plus, comme d'autres causes l'ont établi, bien que la preuve de faits postérieurs ne constitue pas, en soi, une preuve de négligence, elle peut avoir une valeur probante après que d'autres éléments de preuve établissant la négligence ont été produits (voir Can. Cement Lafarge Ltd. v. Caterpillar Tractor Co. (No. 1) (1982), 29 C.P.C. 205 (H.C. Ont.)).
Selon la demanderesse, la présente Cour devrait suivre la décision rendue par la majorité dans l'arrêt Algoma Central Railway, qui adopte comme règle de droit pour l'Ontario, vu l'existence de décisions con- tradictoires, une position qui diffère de celle que la Cour d'appel de la province avait prise précédem-
ment, compte tenu de la tendance plus récente à assouplir les interrogatoires préalables et à laisser les questions relatives à l'admissibilité et à la valeur pro- bante de la preuve à l'appréciation du juge de pre- mière instance. On cite un grand nombre de causes dans lesquelles une conclusion semblable est tirée; pour les fins des présents motifs, il suffit de dire que la décision de la majorité dans Algoma Central Rail way reflète la position adoptée précédemment en Alberta (voir Canadian Pacifie Railway Co. v. City of Calgary (1966), 59 D.L.R. (2d) 642 (C.S. Div. d'ap- pel)), en Saskatchewan (voir Cominco Ltd. v. Phillips Cables Ltd., [1987] 3 W.W.R. 562 (C.A.)), au Mani- toba (voir James et al. v. River East School Division No. 9 et al. (1975), 64 D.L.R. (3d) 338 (C.A.)) et peut-être au Nouveau-Brunswick (voir Glidden v. Town of Woodstock (1895), 33 N.B.R. 388 (C.S.)).
Selon moi, l'objectif général des Règles de la Cour fédérale, à savoir fournir à tous les justiciables une divulgation entière et complète préalablement au pro- cès et dissiper le plus de doutes possible avant le pro- cès au sujet des positions respectives des parties, milite en faveur de l'adoption de l'opinion de la majorité dans l'arrêt Algoma Central Railway à pro- pos des questions portant sur des faits postérieurs qui se rapportent à des mesures disciplinaires ou à des mesures de contrôle ou de redressement prises après un accident ayant donné lieu à une action. Il se peut que ces questions se rapportent à d'autres points que la négligence dont on a fait preuve pendant l'acci- dent, ce qui n'est pas facile à discerner avant l'inter- rogatoire préalable, ou encore que les réponses dont ces questions font l'objet aient une valeur probante suite à la production d'autres éléments de preuve éta- blissant la négligence. Je suis d'accord pour dire que les réponses ne constituent pas à proprement parler une preuve de négligence. C'est au juge de première instance qu'il appartient de décider si ces réponses sont admissibles au procès, à quelles fins elles le sont et quelle est leur valeur probante.
Par conséquent, je conclus que les questions 2(j) et 3(cc) auxquelles les défendeurs s'opposent doivent faire l'objet d'une réponse dans le cadre de l'interro- gatoire préalable.
Témoignages d'opinion
La dernière catégorie de questions en litige propo sée est celle qui comprend les questions qui visent à obtenir des opinions ou des conclusions de nature qualitative, essentiellement adressées au capitaine du navire. Dans sa plaidoirie, le défendeur dit que les questions sollicitent de simples suppositions, si ce n'est des opinions. La demanderesse soutient pour sa part que les questions posées ne visent pas à obtenir des opinions, mais prétend que si c'est ainsi qu'on les qualifie, les réponses devraient être considérées comme des exceptions à la règle générale sur les témoignages d'opinion étant donné qu'elles se rap- portent selon elle à la compétence, à l'habileté et au savoir du capitaine.
Les questions litigieuses sont les suivantes:
[TRADUCTION] Q. 3(n) Une manoeuvre de barre aurait-elle été efficace au cours de la période de six minutes et demie durant laquelle on a stoppé le moteur?
Q. 3(r) Durant les sept minutes qui se sont écoulées entre 1118 et 1125, une manoeuvre de barre aurait-elle été effi- cace?
À la suite d'entretiens entre les avocats des parties, des questions accessoires auxquelles le défendeur ne s'oppose pas ont été posées, à savoir:
[TRADUCTION] Veuillez décrire la façon dont le navire a répondu à la barre durant cette période de six minutes et demie; et
Durant les sept minutes qui se sont écoulées entre 1118 et 1125, quelles manoeuvres de barre ont été faites et comment le navire a-t-il répondu à chacune d'elles?
Néanmoins, la demanderesse veut quand même obte- nir des réponses aux questions posées initialement.
La demanderesse fait valoir que les questions ne visent pas à obtenir des opinions, qu'elles sollicitent simplement des renseignements factuels, [TRADUC- TION] «à savoir si la barre du navire aurait répondu dans certaines situations», [TRADUCTION] «non si le défendeur pense qu'elle aurait répondu ou pourrait avoir répondu». À mon sens, cette explication ne tient pas compte de la façon dont les questions sont libellées ni du fait que les questions ne contiennent pas les mots [TRADUCTION] «certaines situations» aux- quelles les questions sont censées se rapporter, si l'on s'en tient à l'explication. Il me semble plutôt que les questions sont formulées de manière à obliger les défendeurs à faire des suppositions au sujet de
manoeuvres possibles et à recueillir l'avis ou le point de vue du capitaine ou des défendeurs sur la possibi- lité de prévoir la façon dont le navire aurait pu répon- dre à ces manoeuvres. Qui plus est, je ne pense pas qu'on doive considérer ces questions comme des exceptions à la «règle relative aux questions visant à obtenir un avis» dont fait mention le juge Pratte au nom de la Cour d'appel dans l'arrêt Rivtow Straits Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd., [1977] 1 C.F. 735, lorsqu'il dit la page 736]:
... la présente Cour a décidé que les questions visant à obtenir un avis ne sont pas admissibles au cours d'un interrogatoire préalable, sauf peut-être lorsque le témoin est un expert et que ses connaissances techniques sont mises en doute par les faits allégués dans les plaidoyers... Quelles que soient les règles de procédure des cours des différentes provinces, je suis d'avis que, au cours d'un interrogatoire préalable tenu conformément aux Règles de la Cour fédérale, les questions sollicitant une simple opinion, à supposer qu'elles soient admissibles, ne le sont que dans les cas elles sont posées à un témoin dont les connaissances techniques sont mises en doute dans les faits allégués dans les plaidoyers ...
Voir aussi le juge Dubé dans R & B Fishing Ltd. et autres c. Canada (1986), 1 F.T.R. 305 (C.F. ire inst.); le juge Addy dans Smith, Kline & French Laborato ries Ltd. et autres c. Procureur général du Canada (1982), 67 C.P.R. (2d) 103 (C.F. lre inst.) aux pages 107 et 109.
La demanderesse soutient que l'exception relative aux questions sollicitant une opinion qui peuvent être soulevées lorsque la compétence d'un témoin est en litige devrait s'appliquer en l'espèce, étant donné que la compétence du témoin, à savoir le capitaine, est en litige dans les actes de procédure, notamment dans la déclaration, vu la négligence dont auraient fait preuve ceux qui commandaient le navire ou ceux qui étaient responsables de sa conduite, de son entretien et de sa gestion, et qu'elle est également en litige dans les conclusions de la défense à propos du fait que le navire n'a pas répondu à la barre suffisamment rapi- dement, de la dénégation de négligence et du moyen de défense fondé sur le caractère inévitable de l'acci- dent. La compétence du capitaine juste avant l'acci- dent et au moment même de l'accident est assuré- ment en litige vu l'allégation de négligence et la dénégation qu'on y oppose. Toutefois, la question posée semble vouloir recueillir le point de vue géné- ral du capitaine fondé sur sa compétence eu égard à son expérience. Selon moi, cela n'est pas en litige
dans le cas qui nous occupe. Le capitaine n'est pas un témoin expert au sens cette expression est habi- tuellement employée. Son opinion en tant que témoin n'est pas en litige. A mon sens, les questions qui sont posées sollicitent des opinions et ne constituent pas des exceptions à la règle qui proscrit ces questions aux termes des Règles de la Cour fédérale. La demanderesse cite deux arrêts de l'Alberta dans les- quels on a ordonné que des questions portant sur la compétence et sur des opinions fassent l'objet d'une réponse au cours d'un interrogatoire préalable (voir Drake v. Overland and Southam Press Ltd. (1979), 19 A.R. 472 (C.A.) et Opron Construction Co. v. Alberta (1988), 85 A.R. 143 (B.R.)). Ces causes, qui ont été décidées conformément aux Règles de l'Al- berta, peuvent indiquer que la portée des interroga- toires préalables pour ce qui est des opinions qu'on désire obtenir est plus grande que celle des interroga- toires préalables régis par les Règles de la Cour fédé- rale.
Par conséquent, j'arrive à la conclusion que les défendeurs ne sont pas tenus de répondre aux ques tions 3(n) et 3(r), et qu'on devrait faire droit à la demande de radiation de ces deux questions.
Résumé—Conclusion
En conformité avec les présents motifs, il est ordonné aux défendeurs de répondre aux questions posées par la demanderesse dans l'interrogatoire préalable par écrit daté du 21 novembre 1991, ces questions pouvant être pertinentes aux points en litige. Toutefois, c'est au juge de première instance qu'il appartient de décider si les réponses à ces ques tions sont admissibles au procès. Les questions 3(n) et 3(r) de cet interrogatoire préalable par écrit sont radiées et les défendeurs ne sont pas tenus d'y répon- dre.
L'issue de la demande présentée par les défendeurs favorise donc les deux parties. Les dépens suivront l'issue de la cause.
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