Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-533-90
Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (requérante)
c.
Ina Lang et la Commission canadienne des droits de la personne (intimées)
RÉPERTORIÉ: CANADA (COMMISSION DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) c. LANG (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Stone et Linden, J.C.A.—Winnipeg, 9 et 12 avril 1991.
Droits de la personne Demande de subvention dans le cadre du programme «Défi 1986» pour engager sa fille comme étudiante d'été La Commission de l'emploi et de l'immigra- tion a rejeté la demande en vertu de la politique qui consiste à refuser d'accorder une subvention demandée pour engager un membre de la famille immédiate de l'employeur Une telle politique générale est à première vue discriminatoire La décision par laquelle la CCDP a accordé des dommages-inté- rêts pour souffrance est annulée, parce qu'elle n'est fondée ni sur la loi ni sur les faits.
L'intimée Lang s'est adressée à la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada pour obtenir une subvention, dans le cadre du programme «Défi 1986», afin d'engager sa fille comme étudiante d'été pour qu'elle dirige sa garderie. Le programme prévoyait une subvention de 1 000 $ pour chaque emploi d'été qui serait accordée aux employeurs qui payaient le solde du salaire de l'étudiant pour une période de dix semaines.
Le fonctionnaire qui a examiné la demande a noté sur le dossier que la requérante n'envisagerait d'engager personne d'autre que sa fille. La demande a été rejetée en vertu de la politique qui prévoit qu'aucune contribution ne peut être payée à l'égard d'un employé qui était membre de la famille immé- diate de l'employeur.
Une plainte a été déposée auprès de la Commission cana- dienne des droits de la personne. La Commission a statué qu'il y avait eu discrimination fondée sur la situation de famille, en violation de l'article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et elle a accordé une indemnité de 1 000 $ pour souffrance, plus l'intérêt, pour un total de 1 566,24 $. Il s'agit d'une requête fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale et qui attaque cette décision.
Arrêt: la requête devrait être accueillie quant à l'octroi de dommages-intérêts.
Pour qu'il y ait discrimination fondée sur un motif de distinc tion illicite, il suffit de conclure que la discrimination constitue un motif de la décision; il n'est pas nécessaire que ce soit le seul motif: Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada. En l'espèce, il existait des éléments de preuve permettant au Tribunal de conclure à la discrimination fondée sur la situation de famille.
Les dispositions générales comme celles figurant dans la politique sur l'anti-népotisme de la requérante sont à première vue discriminatoires.
L'octroi de dommages-intérêts n'était fondé ni sur le plan juridique, ni sur le plan factuel. Le montant adjugé ne consti- tuait pas un «salaire» perdu; il n'a pas été prouvé non plus constituer des «dépenses entraînées par l'acte», au sens de l'alinéa 53(2)c) de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), chap. H-6, art. 5, 53(2)c).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 112 N.R. 395 (C.A.F.).
DÉCISIONS CITÉES:
Sheehan c. Upper Lakes Shipping Ltd., [1978] 1 C.F. 836; (1977), 81 D.L.R. (3d) 208; 77 CLLC 14,111; 19 N.R. 456 (C.A.); infirmé par [1979] 1 R.C.S. 902; (1979), 95 D.L.R. (3d) 25; 79 CLLC 14,192; 25 N.R. 149; Scott v. Foster Wheeler Ltd. (1987), 16 C.C.E.L. 251; 8 C.H.R.R. D/4179 (C. Div. Ont.); R. v. Bushnell Communications Ltd. et al. (1973), 1 O.R. (2d) 442; 45 D.L.R. (3d) 218; 14 C.C.C. (2d) 426 (H.C.); conf. par (1974), 4 O.R. (2d) 288; 47 D.L.R. (3d) 668; 18 C.C.C. (2d) 317 (C.A.); Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 88 N.R. 321; Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (C.A.); Fitzherbert et la Commission canadienne des droits de la personne c. Underhill, 1"e inst. 11/90 (T.D.P.), en date du 24-9-90, encore inédit.
AVOCATS:
Harry Glinter pour la requérante.
Margaret Rose Jamieson pour l'intimée Com
mission canadienne des droits de la personne.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour la requérante.
Commission canadienne des droits de la per- sonne pour l'intimée Commission canadienne des droits de la personne.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: La présente demande, fondée sur l'article 28, conteste la décision par laquelle le Tribunal des droits de la personne a statué qu'il y avait eu discrimination fondée sur la situation de famille. Selon le Tribunal, lorsqu'Ina
Lang s'est vue refuser une subvention de 1 000 $ du programme Défi 86 pour engager sa fille comme étudiante d'été pour diriger sa garderie, la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada (CEIC) a violé l'article 5 de la Loi cana- dienne sur les droits de la personne [L.R.C. (1985), chap. H-61, qui interdit la discrimination fondée sur la situation de famille. L'avocat de la requérante, Me Glinter, soutient que la raison pour laquelle la demande de M me Lang a été rejetée ne tenait pas à la discrimination fondée sur la situation de famille, mais plutôt à son refus d'examiner la candidature d'autres postulants pour l'emploi projeté que la CEIC pourrait lui renvoyer, ce qui était requis par les règles du programme. Le programme Défi 86 visait à fournir des emplois d'été aux étudiants pour leur permettre d'appren- dre des techniques qu'ils pourraient utiliser plus tard dans l'obtention d'un emploi permanent. Le mécanisme utilisé consistait dans une subvention de 1 000 $ pour chaque emploi approuvé, laquelle subvention serait accordée aux employeurs qui ont engagé un étudiant d'été et payé le solde du salaire pour une période de dix semaines.
Pour qu'il y ait discrimination, il suffit de con- clure que la conduite discriminatoire constitue un motif de la décision; il n'est pas nécessaire que ce soit le seul motif. Comme le juge MacGuigan l'a dit dans l'arrêt Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1990), 112 N.R. 395 (C.A.F.), à la page 397:
... il suffit que la discrimination constitue un fondement de la décision de l'employeur...
(Voir également Sheehan c. Upper Lakes Shipping Ltd., [1978] 1 C.F. 836 (C.A.), à la page 844 (infirmée pour d'autres motifs par [1979] 1 R.C.S. 902; Scott v. Foster Wheeler Ltd. (1987), 16 C.C.E.L. 251 (C. Div. Ont.); R. v. Bushnell Com munications Ltd. et al. (1973), 1 O.R. (2d) 442 (H.C.), aux pages 446 et 447 (le juge Hughes), confirmée par (1974), 4 O.R. (2d) 288 (C.A.), à la page 290 (le juge Evans, J.C.A.) dans le contexte des relations de travail).
S'il existe des éléments de preuve permettant au Tribunal de décider que le motif (ou qu'un motif) de la décision de la CEIC est le refus de M me Lang de bien vouloir examiner d'autres candidatures que celle de sa fille, il existe également d'autres élé- ments de preuve permettant au Tribunal de con-
dure à la discrimination fondée sur la situation de famille.
La partie pertinente de la disposition portant sur le népotisme est ainsi rédigée:
[TRADUCTION] ... aucune contribution ne peut être payée par la Commission à' l'égard du salaire ... d'un employé qui ... est membre de la famille immédiate de l'employeur ...
Il a clairement été jugé que les dispositions généra- les de ce genre sont à première vue discriminatoi- res. (Voir Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279). Il est bien entendu loisible aux employeurs de prouver une exigence professionnelle réelle pour la restriction, mais on n'a pas tenté de le faire en l'espèce. (Voir généralement Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 391 (C.A.)).
Il y a preuve que l'un des employés de la CEIC a dit à Mme Lang qu'on ne pouvait faire droit à sa demande parce que la collectivité pourrait désap- prouver le fait pour elle d'engager sa fille. En outre, Mme Sangster, un des fonctionnaires respon- sables de la CEIC, a noté sur le dossier relatif à la demande de Mme Lang ce qui suit comme motif de rejet:
[TRADUCTION] «Désire engager sa fille et n'examinera pas la candidature d'autres personnes.»
Son intention d'engager sa fille était donc un motif pour lequel sa demande a été classée, sans que la CEIC examine la possibilité d'une exemption, mesure disponible dans le cadre du programme.
Me Glinter, au nom de la CEIC, soutient de façon très originale que c'est M me Lang, et non la CEIC, qui faisait de la discrimination en l'espèce en cherchant à engager sa fille. S'appuyant sur la décision Fitzherbert et la Commission canadienne des droits de la personne c. Underhill (l ee inst., 11/90 - 24 sept. 90), il laisse entendre que, en refusant d'engager quiconque sauf sa fille, elle violerait la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce pourrait très bien être le cas, si cette éventualité venait à se présenter, tout au moins s'il n'existait aucune exigence professionnelle réelle prouvée. Toutefois, comme la demande de Mme Lang n'a jamais été approuvée, elle n'a eu aucune possibilité de faire de la discrimination et son comportement n'est donc pas contesté en l'espèce. Tout ce qui est attaqué en l'espèce est la décision par la CEIC de refuser d'accorder une subvention
à Mme Lang, dans le cadre du programme Défi 86. En conséquence, je ne vois aucune erreur de droit ou de fait qui justifierait que cette Cour intervienne.
Au sujet des réparations, le Tribunal a accordé une indemnité de 1 566,24 $, c'est-à-dire 1 000 $ pour souffrance plus intérêt, et il a laissé entendre que la CEIC devrait établir des critères équitables lui permettant de décider quand il y a lieu d'exempter les postulants de la clause anti -népo- tisme dans l'avenir.
Je suis d'avis que le montant adjugé de 1 566,24 $ n'est fondé ni sur le plan juridique, ni sur le plan factuel. Ce montant ne constitue pas un «salaire» que l'intimée a perdu; on ne peut pas dire non plus qu'il a été, de façon appropriée, prouvé comme des «dépenses entraînées par l'acte» comme l'exige l'alinéa 53(2)c). L'avocate a eu du mal à expliquer et à justifier ce chiffre devant la Cour compte tenu de la preuve produite. Ce montant adjugé ne reposait sur aucun fondement factuel.
En conséquence, la demande fondée sur l'article 28 est accueillie mais seulement en ce qui concerne l'octroi de l'indemnité de 1 566,24 $, qui sera rejeté.
LE JUGE PRATTE, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris aux motifs ci-dessus.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.