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T-3478-90
Curragh Resources Inc. (demanderesse) c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le ministre de la Justice (défenderesse)
RÉPERTORIE: CURRAOH RESOURCES INC. C. CANADA (MINISTRE DE LA JUSTICE) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Joyal—Toronto, 21 novembre 1991; Ottawa, 14 janvier 1992.
Environnement La demanderesse a entrepris un projet d'exploitation minière à ciel ouvert dans le territoire du Yukon sur des terrés appartenant au gouvernement du Canada et administrées par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et par le gouvernement du territoire du Yukon L'Office des eaux du territoire du Yukon a délivré un permis d'utilisation des eaux à certaines conditions, à savoir l'obliga- tion de fournir une garantie Le ministère des Pêches et des Océans et le MAINC ont jugé insuffisant le montant de la garantie Ce dernier a imposé une garantie supplémentaire à la suite d'un accord La Couronne avait-elle le droit d'impo- ser des mesures d'atténuation et d'indemnisation? La Cour a examiné la législation et la jurisprudence pertinentes concer- nant le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement (le Décret) Le Décret s'applique à l'Office des eaux en tant que texte législatif d'application générale qui porte sur la qualité de l'environnement Il s'applique également au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et au ministre des Pêches et des Océans en tant que dirigeants des ministères res- ponsables.
Il s'agit d'une demande fondée sur la Règle 474 des Règles de la Cour fédérale pour qu'il soit statué sur la question de savoir si la Couronne a le pouvoir, conformément à la loi ou à une autre règle de droit, d'imposer des mesures d'atténuation et d'indemnisation à l'égard du projet Vangorda entrepris par la demanderesse dans le territoire du Yukon. Le projet, qui consiste à mettre en valeur des gisements de plomb et de zinc sur des terres appartenant au gouvernement du Canada, aura un certain nombre d'effets environnementaux néfastes sur des questions de compétence fédérale, dont le plus important résul- tera de l'ajout de métaux, et plus particulièrement de zinc, aux eaux du ruisseau Vangorda et de la rivière Pelly. A défaut de prendre des mesures destinées à atténuer les effets actuels du projet et ceux qui suivront son abandon, il y aura des répercus- sions néfastes importantes, à la fois immédiates et à long terme, sur la qualité de l'eau, l'habitat du poisson et les res- sources halieutiques des deux cours d'eau, ainsi que des réper- cussions sociales afférentes à ces effets sur l'eau et les pois- sons.
De mars 1987 à septembre 1990, diverses procédures en matière d'environnement ont été tenues sous le régime du Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évalua- tion et d'examen en matière d'environnement (le Décret). Entre temps, la demanderesse a demandé' un permis d'utilisation des eaux sous le régime de la Loi sur les eaux internes du Nord. À la suite d'audiences publiques tenues devant l'Office des eaux du territoire du Yukon en juin 1990, ce dernier a accordé à la demanderesse un permis d'utilisation des eaux assujetti à cer- taines conditions, à savoir l'obligation de fournir une garantie représentant 10 p. 100 du coût des travaux, ainsi qu'une somme annuelle de 560 000 $ pour couvrir les frais engagés après l'abandon du projet. Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MA1NC) et le ministère des Pêches et des Océans (MPO) ont, tous les deux, décidé que les condi tions de garantie imposées par l'Office des eaux étaient claire- ment insuffisantes. La demanderesse et le MAINC ont conclu un accord en vertu duquel la demanderesse fournirait une garantie supplémentaire de 4 406 000 $, qui permettrait d'assu- rer que les eaux seraient traitées après la fermeture des mines, et ce, à perpétuité. Cependant, au moment de signer l'accord, la demanderesse a mis en question le droit du ministre d'impo- ser l'obligation de fournir une garantie supplémentaire.
Jugement: il faut répondre à la question par l'affirmative.
Aux fins de statuer en l'espèce, la Cour a jugé utile d'exami- ner la jurisprudence concernant l'application du Décret con- jointement avec d'autres textes législatifs pertinents en matière d'environnement. Par exemple, dans l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), la Cour d'appel fédérale a statué que le Décret était censé lier le ministre de l'Environnement dans l'exercice de ses pouvoirs et fonctions et a créé une fonction qui s'ajoute à l'exercice des autres pouvoirs qui lui sont conférés par des lois. Cette déci- sion nous permet de conclure que le Décret peut, indépendam- ment de toute autre exigence législative, imposer à un gouver- nement ou à un organisme l'obligation d'examiner les répercussions environnementales sur une question de compé- tence fédérale.
La Cour devait d'abord décider si le Décret s'appliquait à l'Office des eaux du territoire du Yukon dans le cadre de ses procédures sous le régime de la Loi sur les eaux internes du Nord. Le pouvoir attribué par l'article 6 de la Loi sur le minis- tère de l'Environnement est expressément accordé au ministre de l'Environnement et non à un autre organisme gouvernemen- tal. Le Décret est un texte législatif d'application générale qui porte sur la qualité de l'environnement. En proposant qu'une interprétation restrictive soit donnée aux mots «non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux», employés à l'article 4 de la Loi sur le ministère de l'Environne- ment, la demanderesse restreindrait considérablement la portée générale du Décret. Si le Décret ne pouvait jamais s'appliquer à des domaines qui étaient attribués de droit à d'autres minis- tères ou organismes, son objet serait, en grande partie, contre- carré. Le Décret est justement censé s'appliquer aux ministères et organismes qui, dans le cadre des mandats qui leur ont été confiés, doivent, à l'occasion, prendre des décisions à l'égard de matières susceptibles d'avoir des conséquences sur l'envi-
ronflement et ce, dans un domaine de compétence du gouver- nement fédéral. En ce qui a trait au mandat de l'Office des eaux du territoire du Yukon en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord, il n'y a aucun doute que la question des con- séquences environnementales pour les eaux relève de sa com- pétence. Vu la complexité des questions en cause, les pressions publiques sans cesse grandissantes en faveur de la protection de l'environnement et les effets potentiellement dévastateurs qui pourraient résulter des lacunes législatives, la portée des dispositions de cette Loi et les objets visés sont tels que l'Of- fice des eaux doit jouir de tous les pouvoirs voulus afin qu'il puisse résoudre les problèmes qui pourraient se présenter. Le Décret ne fait qu'aider l'Office des eaux 3 exercer ses fonc- tions; il s'agit d'une garantie supplémentaire. Sous réserve de l'article 8 du Décret, qui empêche l'application du Décret lors- qu'il y a un «obstacle juridique», ce texte s'applique à l'Office des eaux du territoire du Yukon. Le Décret crée des responsabi- lités qui s'ajoutent, sans les remplacer, aux fonctions et aux responsabilités prescrites par d'autres textes législatifs.
Il fallait ensuite décider si le Décret s'appliquait au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. En vertu de l'ar- ticle 11 de la Loi sur les eaux internes du Nord, ce ministre devait approuver la délivrance par l'Office d'un permis d'utili- sation des eaux pour que la demanderesse puisse entreprendre le projet Vangorda. Parce que c'est lui qui exerçait le pouvoir de décision, c'est son Ministère qui était le ministère responsa- ble. Indépendamment de toute autre loi, le Décret lui-même constitue un fondement de la responsabilité du ministre de prendre en charge les problèmes environnementaux touchant des questions de compétence fédérale, et crée une obligation positive à respecter. La Cour a rejeté la thèse de la demande- resse selon laquelle seul l'Office des eaux du territoire du Yukon avait le pouvoir d'exiger une garantie comme condition 3 la délivrance d'un permis d'utilisation des eaux. Il était clair, selon le ministre, que la garantie exigée par l'Office des eaux ne suffisait pas 3 contrer les répercussions environnementales dont il était question dans le rapport d'examen préalable. C'était en vertu du Décret que le ministre avait imposé l'obli- gation de fournir une garantie supplémentaire avant de délivrer le permis, et non pas en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord. Si une garantie adéquate n'était pas fournie, la conclu sion selon laquelle les effets du projet avaient été atténués, ne serait plus valable et il se pouvait que le projet dût être annulé, vu que les répercussions environnementales seraient inaccep- tables. Le pouvoir de décision du ministre d'autoriser la déli- vrance d'un permis lui imposait l'obligation positive de respec- ter le Décret, et c'est justement ce qu'il a fait. Il n'y a eu ni usurpation des fonctions de l'Office des eaux, ni chevauche- ment des responsabilités. Ayant attendu la décision de l'Office des eaux, le ministre pouvait évaluer quelle garantie supplé- mentaire serait nécessaire pour réduire au minimum les effets néfastes que la proposition pouvait avoir sur l'environnement.
Enfin, pour ce qui est de savoir si le Décret s'appliquait au ministre des Pêches et des Océans, la Loi sur les pêches accorde au ministre le pouvoir légal de restreindre l'exploita- tion de l'ouvrage ou de l'entreprise, ou d'exiger qu'y soient apportées des modifications, lorsque l'ouvrage ou l'entreprise est de nature à entraîner la détérioration, la perturbation ou la
destruction nocive de l'habitat du poisson. Ce pouvoir de déci- sion obligeait le ministre à se conformer au Décret et son Ministère était donc un autre ministère responsable.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Décret sur les lignes directrices visant le processus d'éva- luation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467, art. 2, 3, 6, 8, 9(1), 10(1),(2), 11, 12, 13, 14, 19.
Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), chap. N-22, art. 5(1).
Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), chap. E-10, art. 4(1),(2), 6.
Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, L.R.C. (1985), chap. I-6, art. 4, 5, 6.
Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), chap. F-15, art. 4(1),(2).
Loi sur les eaux internes du Nord, L.R.C. (1985), chap. N-25, art. 2(1), 7(1), 8(1), 10, 11(1),(2).
Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux, L.R.C. (1985), chap. I-20.
Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), chap. F-14, art. 34(1), 35(1), 37(1 )a),(2)a),b).
Loi sur les terres territoriales, L.R.C. (1985), chap. T-7, art. 4, 5.
Règlement sur les eaux internes du Nord, C.R.C., chap. 1234, art. 3(2), 4, 7(1), 13(1),(3),(4).
Règlement sur l'utilisation des terres territoriales, C.R.C., chap. 1524, art. 3, 36(1),(5) (mod. par DORS/88-169, art. 5), (6) (mod., idem), (7) (édicté, idem).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., chap. 663, Règle 474 (mod. par DORS/79-57, art. 14).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Minis- tre de l'Environnement), [1989] 3 C.F. 309; [1989] 4 W.W.R. 526; (1989), 37 Admin. L.R. 39; 3 C.E.L.R. (N.S.) 287; 26 F.T.R. 245 (1re inst.); conf. par [1990] 2 W.W.R. 69; (1989), 99 N.R. 72 (C.A.F.); Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Trans ports), [1990] 2 C.F. 18; (1990), 68 D.L.R. (4th) 375 (C.A.); Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1991] 1 C.F. 641; (1990), 6 C.E.L.R. (N.S.) 89; 4 F.T.R. 318 (note); 121 N.R. 385 (C.A.).
DOCTRINE
Willis, Bruce L. and Daniell Shier. «Environmental Con trols Affecting Exploration and Development of Mine ral Resources in the Yukon», (1990), 3 C.J.A.L.P. 243.
AVOCATS:
William V. Sasso et Paul G. MacDonald pour la demanderesse.
Donald J. Rennie pour la défenderesse. PROCUREURS:
McMillan Binch, Toronto, pour la demande- resse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE JOYAU La Cour est saisie d'une demande fondée sur la Règle 474 des Règles de la Cour fédé- rale, C.R.C., chap. 663 [mod. par DORS/79-57, art. 14] pour qu'il soit statué sur le point de droit suivant:
À la lumière de la décision de l'Office des eaux du territoire du Yukon en date du 12 septembre 1990, la Couronne du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, le ministre des Pêches et des Océans ou ces deux ministres a-t-elle le pouvoir, conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'exa- men en matière d'environnement, à la Loi sur les eaux internes du Nord, à la Loi sur les terres territoriales, à la Loi sur les pêches ou à une autre règle de droit, d'imposer des mesures d'atténuation et d'indemnisation, y compris une garantie monétaire ou autre à l'égard du projet Vangorda, un projet entrepris par la demanderesse dans le territoire du Yukon, sur des terres qui appartiennent à la défenderesse, Sa Majesté la Reine?
La Règle 474 des Règles de la Cour fédérale dis pose:
Décision préliminaire sur un point de droit ou d'admissibilité
Règle 474. (1) La Cour pourra, sur demande, si elle juge opportun de le faire,
a) statuer sur un point de droit qui peut être pertinent pour la décision d'une question, ou
b) statuer sur un point afférent à l'admissibilité d'une preuve (notamment d'un document ou d'une autre pièce justifica- tive),
et une telle décision est finale et péremptoire aux fins de l'ac- tion sous réserve de modification en appel.
(2) Sur demande sollicitant une ordonnance pour qu'il soit statué sur une question en vertu du paragraphe (1), la Cour doit, si elle accorde l'ordonnance,
a) donner des directives sur ce qui doit constituer le dossier à partir duquel la question doit être débattue,
b) décider si des exposés doivent être déposés et signifiés et, dans l'affirmative, fixer les délais dans lesquels ils doivent l'être, et
c) sous réserve du paragraphe 15(2) de la Loi, fixer les temps et lieu du débat sur la question.
Le juge en chef adjoint a entendu la demande fon- dée sur la Règle 474 le 17 juin 1991 et, le 20 septem- bre 1991, il a ordonné que cette Cour statue sur la question précitée et que l'affaire soit entendue le 21 novembre 1991, à Toronto. Il a également ordonné aux parties de présenter un exposé conjoint des faits et une liste conjointe de documents.
À l'audience, la Couronne défenderesse a contesté, pour la forme, la recevabilité de la demande, plaidant que les conditions de la Règle 474 n'avaient pas été respectées. Cependant, elle n'a pas poussé plus loin cette contestation. L'affaire a donc été entendue sur le fond.
LES FAITS DE LA CAUSE
La demanderesse Curragh Resources Inc. (ci-après appelée «Curragh») met actuellement en valeur les gisements de plomb et de zinc de Vangorda et de Grum, situés dans le plateau de Vangorda dans le ter- ritoire du Yukon (le projet Vangorda). Ce projet a été entrepris sur des terres que possède le gouvernement du Canada en propriété exclusive et administrées, en partie, par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et en partie par le gouvernement du territoire du Yukon.
Dans le cadre du projet Vangorda, Curragh cons- truira deux mines à ciel ouvert (l'une pour exploiter le gisement de Vangorda et l'autre pour exploiter le gisement de Grum), ainsi que des terrils de déchets, des routes et des installations de traitement des eaux. Le projet est aménagé au centre du bassin de drai nage du ruisseau Vangorda qui se jette dans la rivière Pelly.
Le gisement de Vangorda est situé au-dessous du lit naturel du ruisseau Vangorda. Pendant la mise en valeur de la mine de Vangorda, le cours du ruisseau Vangorda sera détourné pour que ses eaux passent par un canal construit au périmètre de la mine. Lors- qu'elle sera pleinement mise en valeur, la mine de Vangorda aura une longueur de 900 mètres, une lar- geur de 200 à 300 mètres et une profondeur de 100 mètres. Lorsque son exploitation sera terminée, les ouvrages de détournement seront enlevés et le ruis-
seau Vangorda s'écoulera dans la mine, inondant ainsi cette partie de la mine creusée sous le niveau du lit du ruisseau.
La mine de Grum est située sur un plateau incliné qui forme la ligne de partage des eaux de la région. Les eaux du versant sud de ce plateau s'écoulent directement dans le ruisseau Vangorda. Les eaux des versants nord et ouest s'écoulent dans de petits affluents du ruisseau Vangorda. Lorsqu'elle sera plei- nement mise en valeur, la mine de Grum aura une longueur de 1 100 mètres, une largeur de 800 mètres et une profondeur de 300 mètres. Les exploitants de la mine de Grum laisseront la mine se remplir d'eau lorsqu'ils auront terminé de l'exploiter.
La mise en valeur et l'exploitation du projet Van- gorda produiront environ 158 millions de tonnes de déchets rocheux. Ces déchets seront entassés dans des terrils situés à divers emplacements dont les eaux s'écoulent toutes dans le ruisseau Vangorda ou ses affluents.
Curragh prévoit que les réserves certaines des gise- ments de Vangorda et de Grum permettront d'exploi- ter le projet pendant 13 ans.
Le ruisseau Vangorda et la rivière Pelly dans laquelle il se jette, constituent un habitat pour les poissons et contiennent des ressources halieutiques. Le débit de la rivière Pelly est de 200 300 fois plus important que celui du ruisseau Vangorda. Si le projet Vangorda devait être mis en oeuvre sans prendre de mesures d'atténuation, il se trouverait de jeunes sau- mons hivernants Chinook dans le ruisseau Vangorda pendant la période la concentration de matières toxiques est la plus élevée.
La rivière Pelly constitue un important système de production de poissons dont dépend le saumon Chi- nook et diverses espèces de poissons qui y vivent. Les ressources halieutiques du ruisseau Vangorda et de la rivière Pelly sont exploitées pour la pêche com- merciale, artisanale et sportive.
Le peuple Kaska Dena, qui appartient aux bandes Ross River et Selkirk, utilise régulièrement l'eau du ruisseau Vangorda et de la rivière Pelly, notamment pour y pêcher le poisson. La région se trouvent le ruisseau Vangorda et la rivière Pelly fait partie du ter- ritoire traditionnel du peuple Kaska Dena. Des camps
de base et des avants-postes sont établis dans cette région et ce peuple y a aménagé un réseau de voies d'accès aux zones susceptibles d'assurer sa subsis- tance. Les membres de la bande Ross River y prati- quent la pêche, la chasse, notamment la chasse à la trappe et la cueillette. Les terres traditionnelles de la bande indienne Selkirk sont situées en aval de cette région, au bord de la rivière Pelly. Pour subsister, la bande dépend en partie du saumon provenant de la rivière Pelly, en amont.
Le projet Vangorda aura un certain nombre de répercussions environnementales sur des questions de compétence fédérale. Certaines de ces répercussions représentent des effets néfastes importants et l'on sait depuis longtemps que des mesures devront être prises pour les atténuer.
L'effet néfaste le plus important que le projet Van- gorda pourra avoir sur l'environnement résultera de l'ajout de métaux, et plus particulièrement de zinc, aux eaux du ruisseau Vangorda et, par conséquent, à la rivière Pelly. Ces métaux seront ajoutés à l'eau par le drainage minier acide provenant principalement des parois de la mine de Vangorda, du terril de déchets rocheux de Vangorda et du terril de déchets rocheux sulfureux de Grum. La réaction entre l'oxy- gène, l'eau et le souffre contenu dans la roche des parois de la mine et celle des terrils produira de l'acide sulfurique qui dissoudra ensuite les métaux contenus dans ces roches. Le drainage enrichi de métaux se mêlera ensuite à l'eau souterraine et à l'eau de surface. Le drainage acide sera neutralisé au contact de l'environnement récepteur alcalin et il sera dilué par l'eau souterraine, les précipitations et l'eau de ruissellement. Cependant, certains métaux, surtout du zinc, demeureront dans l'eau. On assistera à la production d'acide et à la contamination subséquente, par des métaux lourds, de l'eau en provenance des installations minières pendant l'exploitation de la mine. Cette réaction se poursuivra après la fin du pro- jet, tant que tout le souffre disponible contenu dans la roche acidifiante n'aura pas été oxydé, un processus qui pourra durer des siècles.
À défaut de prendre des mesures destinées à atté- nuer les effets actuels du projet Vangorda et ceux qui suivront son abandon, la dégradation de la qualité de l'eau causée par le drainage minier acide produit par
le projet sera telle qu'il y aura des répercussions néfastes importantes, à la fois immédiates et à long terme sur la qualité de l'eau, l'habitat du poisson et les ressources halieutiques du ruisseau Vangorda et de la rivière Pelly dans la région située en aval du ruisseau Vangorda, ainsi que des répercussions sociales afférentes à ces effets sur l'eau et les pois- sons.
La mine de Vangorda est la première à être exploi- tée et c'est elle qui risque davantage de produire du drainage minier acide et donc de contaminer le ruis- seau Vangorda avec des métaux. Que l'exploitation minière dans le cadre du projet Vangorda se pour- suive ou non jusqu'à l'épuisement du gisement de Vangorda et du gisement de Grum, des mesures d'at- ténuation, notamment par le traitement des eaux, doi- vent être entreprises d'emblée pour empêcher que le drainage minier acide provenant du terril de déchets rocheux de Vangorda et des parois de cette mine n'ait des effets néfastes importants sur l'environnement. Il se peut que de telles mesures soient nécessaires à per- pétuité.
PROCÉDURES D'ÉVALUATION E N MATIÈRE D' ENVIRONNEMENT
Du 9 mars 1987 à la fin de septembre 1990, diver- ses procédures en matière d'environnement ont été tenues sous le régime du Décret sur les lignes direc- trices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement, DORS/84-467 (le Décret).
Le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) et le ministère des Pêches et des Océans (MPO) ont tous les deux réalisé des études portant sur les incidences environnementales du pro- jet. Ces deux ministères ont fini par s'intéresser parti- culièrement à un aspect important des incidences environnementales, à savoir la question de maintenir des mesures d'atténuation à l'égard des eaux du ruis- seau Vangorda longtemps après la fin du projet, dont la durée prévue est de treize ans. De telles mesures obligeraient Curragh à fournir une garantie pour assurer le paiement des frais engagés après l'abandon du projet.
À cette condition, les ministères ont convenu que le projet Vangorda remplissait les exigences énoncées à l'alinéa l2c) du Décret.
LE PERMIS DÉLIVRÉ PAR L'OFFICE DES EAUX DU TERRITOIRE DU YUKON
Pendant que les procédures susmentionnées se déroulaient entre les diverses parties, Curragh a demandé un permis d'utilisation des eaux sous le régime de la Loi sur les eaux internes du Nord, L.R.C. (1985), chap. N-25, (LEIN). Il s'agissait d'une exigence spécialement prévue par la Loi puis- que les eaux du ruisseau Vangorda étaient nécessaires au projet.
Des audiences publiques ont été tenues devant l'Office des eaux du territoire du Yukon (ci-après appelé l'Office des eaux), du 28 juin au 30 juin 1990. Toutes les parties étaient présentes, y compris Cur- ragh, le ministère de l'Environnement, le MPO, le MAINC, les bandes indiennes touchées, les autorités du territoire du Yukon, la Yukon Conservation Society, ainsi que d'autres parties.
Le 12 septembre 1990, l'Office des eaux a rendu sa décision. Il a délivré un permis d'utilisation des eaux qui, en vertu de la Loi, est assujetti à l'approbation du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. Il a également assorti le permis de certaines condi tions, à savoir l'obligation de fournir une garantie de 943 700 $, c'est-à-dire dix pour cent (10 p. cent) du coût des travaux selon les critères de l'Office des eaux, ainsi qu'une somme annuelle de 560 000 $, qui devait être déposée dans un compte en fiducie pour couvrir les frais engagés après l'abandon du projet.
À cette étape, bien entendu, le principal différend entre les parties portait sur la question de savoir si les effets négatifs pouvaient ou non être atténués par des mesures permanentes de contrôle environnemental qui se poursuivraient pendant longtemps. La question de la garantie monétaire était d'une importance suprême, surtout en ce qui avait trait aux coûts futurs de ces mesures de contrôle. Cette question revêtait une importance particulière pour le MPO qui avait jugé inacceptable la proposition de Curragh de verser une indemnisation monétaire pour la perte de l'habi- tat du poisson.
Une autre question préoccupait le MPO et le MAINC: en effet, selon eux, seules des mesures d'at- ténuation continues permettraient de contrôler les répercussions environnementales des effluents,
notamment du drainage minier acide, de manière à atténuer les effets néfastes «importants» pendant une période de temps indéterminée, c'est-à-dire, évidem- ment longtemps après la fin du projet, dont la durée prévue est de treize ans. À cet égard, les deux minis- tères ont décidé que les conditions de garantie impo sées par l'Office des eaux étaient clairement insuffi- santes.
Le 28 septembre 1990, Curragh et le MAINC ont
conclu un accord en vertu duquel Curragh fournirait une garantie supplémentaire dont le montant permet- trait d'assurer que les eaux seraient traitées après la fermeture des mines, et ce, à perpétuité. Les deux parties évaluaient à 4 406 000 $ la valeur de cette garantie supplémentaire. Une fois cet accord conclu, le ministre des Affaires indiennes et du Nord cana- dien approuverait le permis d'utilisation des eaux accordé précédemment par l'Office des eaux.
Cependant, au moment de signer l'accord, Curragh a mis en question le droit du ministre d'exiger cette garantie supplémentaire et la Couronne a reconnu qu'il serait loisible à Curragh de soumettre la ques tion à la Cour. Il m'appartient maintenant de statuer sur ce point.
LA DÉCISION DE L'OFFICE DES EAUX DU TERRITOIRE DU YUKON
Il convient d'abord d'examiner les motifs de la décision rendue par l'Office des eaux relativement au Décret. L'Office des eaux a fait un certain nombre de constatations importantes à l'égard de la question dont cette Cour est saisie. Premièrement, l'Office des eaux a exprimé en ces termes son opinion sur la nature législative du Décret:
[TRADUCTION] Les lignes directrices visant le processus d'éva- luation et d'examen en matière d'environnement ont été adop- tées en vertu de l'article 6 de la Loi sur l'organisation du gou- vernement, qui est maintenant l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985) [ ... ]
Le Décret est un texte réglementaire. Il ne saurait imposer des responsabilités plus étendues que celles que prévoit la loi habi- litante ...
Il faut tenir compte des facteurs suivants aux fins de décider dans quelle mesure le Décret s'applique à l'Office dans l'exer- cice de sa compétence sous le régime de la LEIN:
a) en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi sur le ministère de l'Environnement, les pouvoirs du ministre de l'Environnement (y compris le pouvoir d'adopter un texte réglementaire comme
le Décret) ne s'étendent pas aux domaines de compétence attri- bués à d'autres organismes fédéraux;
b) le Parlement n'a pas attribué au ministre de l'Environne- ment, au sens du paragraphe 4(2), la compétence de délivrer des permis d'utilisation des eaux;
c) par conséquent, le ministre de l'Environnement n'a pas le pouvoir de faire appliquer le Décret à un domaine qui ne relève pas de sa compétence;
d) l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement en vertu duquel le Décret a été adopté n'accorde pas au ministre des pouvoirs plus étendus que ceux que prévoit l'article 4 de la Loi.
L'Office des eaux a également mentionné la déci- sion du juge Cullen dans l'affaire Fédération cana- dienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'En- vironnement), [ 1989] 3 C.F. 309 (l re inst.); confirmée par [1990] 2 W.W.R. 69 (C.A.F.) et a fait les com- mentaires suivants:
[TRADUCTION] Dans la décision rendue par M. le juge Cullen dans l'affaire Fédération canadienne de la faune Inc. le 10 avril 1989 et confirmée par la Cour d'appel fédérale le 22 juin 1989, il n'est pas question de l'article 4 de la Loi sur le minis- tère de l'Environnement. En outre, dans cette affaire, le minis- tre de l'Environnement avait manifestement compétence, en vertu de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux («LODACEI») à l'égard de la rivière Souris, un cours d'eau interprovincial et international. Par conséquent, la Cour n'avait apparemment pas à tenir compte, pour rendre sa décision, de l'article 4 de la Loi sur le ministère de l'Environnement. Cependant, dans la décision Fédération canadienne de la faune, la Cour a fait les commen- taires suivants:
a) l'article 6 du Décret «prévoit expressément que les lignes directrices en question s'appliquent aux propositions pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale». Le juge énumère ensuite les questions de compétence fédérale touchées sans examiner le moindre- ment les pouvoirs du ministre de l'Environnement. Autrement dit, le texte réglementaire, selon le juge Cullen, s'applique à toutes les questions de compétence fédérale.
b) la législation (c'est-à-dire le Décret) établit une condition préalable qui doit être remplie avant qu'un permis ne puisse être délivré.
Dans son arrêt, la Cour d'appel fédérale circonscrit en ces termes la question dont elle est saisie:
«Le ministre de l'Environnement qui délivre un permis en vertu de la LODACEI est-il tenu de se conformer au Décret?»
La réponse est affirmative. Cependant, la Cour poursuit en affirmant que le Décret est un texte d'application générale qui a force obligatoire pour tous ceux qu'il vise.
Jusqu'à maintenant, aucune décision ou directive n'a défini la notion de chevauchement des responsabilités que prévoit le
paragraphe 8 du Décret. L'Office présume que la notion de chevauchement des responsabilités vise les cas deux orga- nismes, par exemple l'Office national de l'énergie et l'Office constitué sous le régime de la LEIN, tenaient tous les deux des audiences publiques complètes dans le cadre de leur procédure normale.
En vertu du paragraphe 13 du Décret, les propositions définies dans les lignes directrices doivent être soumises au ministre de l'Environnement en vue de la tenue d'un examen public par une commission chaque fois que les préoccupations du public rendent un tel examen souhaitable. L'Office craint qu'il y aurait chevauchement des responsabilités sous le régime de la LEIN et celles que prévoit le Décret si, après l'examen public prescrit par la LEIN, une commission devait tenir un autre exa- men public en application du paragraphe 13 du Décret.
Enfin, l'Office des eaux a exprimé en ces termes son opinion sur le Décret:
[TRADUCTION] L'Office a examiné en détail tous les arguments qui lui ont été présentés relativement au Décret et à son appli cation à l'égard de l'Office constitué sous le régime de la LEIN. En vertu du Décret, le MAINC est le ministère respon- sable des projets entrepris sur les terres fédérales du Yukon et le Comité régional d'examen de l'environnement a été établi pour faire l'examen préalable des projets ou activités que l'on propose d'entreprendre sur les terres de la Couronne fédérale dans le Yukon ou qui y auront vraisemblablement des répercus- sions. L'Office reconnaît clairement que le Décret joue un rôle important dans la protection de l'environnement du Yukon. L'Office a également tenu compte des définitions de «minis- tère» et de «ministère responsable» à l'article 2 du Décret. Un «ministère» s'entend de tout ministère, commission ou orga- nisme fédéraux. Le «ministère responsable» est le ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition.
Dans le jugement Yukon Conservation Society c. Office des eaux du territoire du Yukon, (1982) 11 C.E.L.R. à la page 99, la Cour fédérale a statué que lorsque l'Office entend des demandes de permis, il exerce une fonction quasi judiciaire et doit agir en conséquence.
Il peut être interjeté appel d'une décision de l'Office à la Cour fédérale du Canada sur une question de droit ou sur une ques tion de compétence. Ce droit d'appel marque bien le caractère de l'Office, c'est-à-dire celui d'un tribunal quasi judiciaire indépendant.
L'Office conclut qu'il n'est pas un ministère responsable au sens du Décret puisqu'il n'est pas un ministère qui, au nom du gouvernement du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition. Il reconnaît que le ministère respon- sable du rapport d'examen préalable établi en application du Décret est, en fait, le MAINC.
Malgré ce qui précède, l'Office est d'avis qu'il a tenu compte des recommandations de fond contenues dans le Décret dans la mesure l'exigeait son mandat pour la délivrance du présent
permis, si bien qu'il n'est pas nécessaire de répondre, dans les présents motifs, à la question de savoir si le Décret s'applique ou non.
POSITIONS DES PARTIES Position de la demanderesse
La demanderesse plaide que le Parlement du Canada a attribué à l'Office des eaux, à titre exclusif, la compétence de délivrer des permis d'utilisation des eaux, y compris le pouvoir d'assortir ces permis de conditions. Par conséquent, ni le ministre des Pêches ni le ministre du MAINC n'a le pouvoir d'obliger Curragh à fournir une garantie supplémentaire à celle exigée par l'Office des eaux comme condition à l'ob- tention du permis d'utilisation des eaux. Selon la demanderesse, la LEIN et son règlement sont des textes législatifs d'«application particulière» qui constituent un code complet régissant les modalités selon lesquelles un permis d'utilisation des eaux peut être délivré, ainsi que la forme de garantie que le titu- laire de licence peut être appelé à fournir, l'objet de cette garantie et le montant maximal qui peut être exigé.
Selon la demanderesse, le fait que les ministres en cause aient participé aux procédures tenues devant l'Office des eaux et le fait qu'ils aient choisi de ne pas interjeter appel de la décision de l'Office les empêchent de plaider en faveur d'une garantie sup- plémentaire puisque la question du montant de la garantie était une question sur laquelle l'Office avait statué.
La demanderesse plaide également que le Parle- ment n'a pas attribué à l'un ou l'autre de ces minis- tres la fonction d'accorder des permis d'utilisation des eaux ou le pouvoir de les assortir de conditions, y compris l'obligation de fournir une garantie; en effet, ces pouvoirs ont été spécialement attribués à l'Office des eaux.
La demanderesse affirme en outre que le Décret ne confère à aucun de ces ministres le pouvoir ou la compétence d'obliger Curragh à fournir une garantie supplémentaire à celle ordonnée par l'Office des eaux. À titre subsidiaire, la demanderesse prétend qu'en l'espèce, l'application cumulée des disposi tions de la LEIN et du Décret donnerait lieu à un che- vauchement des responsabilités. En outre, il existe un
obstacle juridique au sens de l'article 8 du Décret qui empêcherait l'application de celui-ci aux questions confiées à l'Office des eaux.
Position de la défenderesse
La défenderesse plaide que la législation fédérale en matière d'environnement peut être envisagée sous plusieurs rapports. Le Décret lie les ministres dans l'exécution de leurs fonctions. Il crée une fonction qui s'ajoute au pouvoir dont jouit le ministre. Le fon- dement du pouvoir et de la responsabilité du ministre de prendre en charge les problèmes environnemen- taux touchant des questions de compétence fédérale réside dans le Décret lui-même et non dans la loi.
La défenderesse prétend que le gouvernement du Canada, représenté par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, exerce un pouvoir de décision en vertu de deux dispositions législatives, à savoir le pouvoir de décider s'il y a lieu d'approuver un permis d'utilisation des eaux en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord et le pouvoir de décider s'il y a lieu d'accorder un bail de surface à Curragh en vertu de la Loi sur les terres territoriales [L.R.C. (1985), chap. T-7].
En outre, indépendamment des pouvoirs de déci- sion particuliers conférés par les lois, le Décret est mis en oeuvre sur demande présentée au nom d'un particulier en vue de prendre des mesures particu- lières qui relèvent des responsabilités du ministre en vertu d'une loi qu'il est chargé d'administrer au nom du gouvernement du Canada, c'est-à-dire, en l'es- pèce, le ministre des Pêches et des Océans chargé d'administrer la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans [L.R.C. (1985), chap. F-15].
La défenderesse estime qu'il n'y a aucune inconsé- quence ni aucun chevauchement des responsabilités du fait de l'application des deux dispositions qui autorisent chacune la fourniture d'une garantie moné- taire. L'exercice de pouvoirs supplémentaires et com- plémentaires n'a rien d'inconséquent.
La défenderesse prétend que la LEIN ne saurait être interprétée comme établissant de manière exhaustive et comme limitant le pouvoir du gouver- nement du Canada d'imposer les conditions que la
Loi lui permet d'imposer et qui sont nécessaires, de
l'aveu général, à la conservation et à la protection de l' environnement.
En outre, l'on ne saurait prétendre que les pouvoirs et l'autorité du ministre des Pêches et des Océans, indépendants par ailleurs, puissent être entravés par la cession, à un office qui relève d'un autre ministre, d'une compétence limitée en matière d'utilisation des eaux.
LÉGISLATION PERTINENTE
Le Décret sur les lignes directrices visant le pro- cessus d'évaluation et d'examen en matière d'envi- ronnement.
2....
«ministère responsable» Ministère qui, au nom du gouverne- ment du Canada, exerce le pouvoir de décision à l'égard d'une proposition.
«Ministre» Le ministre de l'Environnement.
«proposition» S'entend en outre de toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décision.
Portée
3. Le processus est une méthode d'auto-évaluation selon laquelle le ministère responsable examine, le plus tôt possible au cours de l'étape de planification et avant de prendre des décisions irrévocables, les répercussions environnementales de toutes les propositions à l'égard desquelles il exerce le pouvoir de décision.
Champ d'application
6. Les présentes lignes directrices s'appliquent aux proposi tions
a) devant être réalisées directement par un ministère respon- sable;
b) pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale;
c) pour lesquelles le gouvernement du Canada s'engage financièrement; ou
d) devant être réalisées sur des terres administrées par le gouvernement du Canada, y compris la haute mer.
8. Lorsqu'une commission ou un organisme fédéral ou un organisme de réglementation exerce un pouvoir de réglementa- tion à l'égard d'une proposition, les présentes lignes directrices ne s'appliquent à la commission ou à l'organisme que si aucun
obstacle juridique ne l'empêche ou s'il n'en découle pas de chevauchement des responsabilités.
9. (1) Lorsqu'il y a plus d'un ministère responsable à l'égard d'une proposition, ceux-ci décident entre eux de la répartition des fonctions et des responsabilités que les présentes lignes directrices attribuent 3 un ministère responsable.
ÉVALUATION INITIALE Le ministère responsable
10. (1) Le ministère responsable s'assure que chaque propo sition à l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision est soumise à un examen préalable ou 3 une évaluation initiale, afin de déterminer la nature et l'étendue des effets néfastes qu'elle peut avoir sur l'environnement.
(2) Les décisions qui font suite à l'examen préalable ou à l'évaluation initiale visés au paragraphe (1) sont prises par le ministère responsable et ne peuvent être déléguées à nul autre organisme.
11. Aux fins de l'examen préalable et de l'évaluation initiale visés au paragraphe 10(1), le ministère responsable dresse, en collaboration avec le Bureau, les listes suivantes:
a) une liste des divers types de propositions qui n'auraient aucun effet néfaste sur l'environnement et qui, par consé- quent, seraient automatiquement exclus du processus; et
b) une liste des divers types de propositions qui auraient des effets néfastes importants sur l'environnement et qui seraient automatiquement soumises au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission.
12. Le ministère responsable examine ou évalue chaque pro position 3 l'égard de laquelle il exerce le pouvoir de décision, afin de déterminer:
a) si la proposition est d'un type compris dans la liste visée à l'alinéa 11a), auquel cas elle est réalisée telle que prévue;
b) la proposition est d'un type compris dans la liste visée à l'alinéa 11 b), auquel cas elle est soumise au Ministre pour qu'un examen public soit mené par une commission;
c) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'en- vironnement sont minimes ou peuvent être atténués par l'ap- plication de mesures techniques connues, auquel cas la pro position est réalisée telle que prévue ou à l'aide de ces mesures, selon le cas;
d) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'en- vironnement sont inconnus, auquel cas la proposition est soumise à d'autres études suivies d'un autre examen ou éva- luation initiale, ou est soumise au Ministre pour qu'un exa- men public soit mené par une commission;
e) si, selon les critères établis par le Bureau, de concert avec le ministère responsable, les effets néfastes que la proposi tion peut avoir sur l'environnement sont importants, auquel
cas la proposition est soumise au Ministère pour qu'un exa- men public soit mené par une commission; ou
f) si les effets néfastes que la proposition peut avoir sur l'en- vironnement sont inacceptables, auquel cas la proposition est soit annulée, soit modifiée et soumise à un nouvel exa- men ou évaluation initiale.
13. Nonobstant la détermination des effets d'une proposi tion, faite conformément à l'article 12, le ministère responsa- ble soumet la proposition au Ministre en vue de la tenue d'un examen public par une commission, chaque fois que les préoc- cupations du public au sujet de la proposition rendent un tel examen souhaitable.
14. Le ministère responsable voit à la mise en application de mesures d'atténuation et d'indemnisation, s'il est d'avis que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d'une propo sition sur l'environnement prennent de l'ampleur.
Autres ministères
19. Il incombe à tout ministère à vocation spécialisée ou ayant des responsabilités à une proposition donnée:
a) de fournir au ministère responsable, sur demande, des données, des renseignements ou des avis concernant:
(i) les exigences réglementaires afférentes à la proposi tion, et
(ii) les effets de la proposition sur l'environnement ainsi que les répercussions sociales qui y sont directement liées; et
b) au besoin, de proposer des mesures de protection pour les ressources renouvelables dont il a la responsabilité.
Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, L.R.C. (1985), chap. I-6.
POUVOIRS ET FONCTIONS DU MINISTRE
4. Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parle- ment non attribués de droit à d'autres ministères ou organis- mes fédéraux et liés:
a) aux affaires indiennes;
h) au territoire du Yukon et aux Territoires du Nord-Ouest, ainsi qu'à leurs affaires et à leurs ressources naturelles;
c) aux affaires inuit.
5. Le ministre s'acquitte des fonctions suivantes:
a) il coordonne l'activité des divers ministères et organis- mes fédéraux dans le territoire du Yukon ... ;
b) il recommande, encourage et met sur pied des pro grammes propres à stimuler le progrès économique et l'évo- lution politique du territoire du Yukon ... ;
6. Le ministre a compétence sur toutes les terres du Yukon ... qui appartiennent à Sa Majesté du chef du Canada, à l'ex- ception ...
La Loi sur le ministère de l'Environnement, L.R.C. (1985), chap. E-10.
POUVOIRS ET FONCTIONS DU MINISTRE
4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parle- ment non attribués de droit à d'autres ministères ou organis- mes fédéraux et liés:
a) à la conservation et l'amélioration de la qualité de l'envi- ronnement naturel, notamment celle de l'eau, de l'air et du sol;
b) aux ressources naturelles renouvelables, notamment les oiseaux migrateurs et la flore et la faune sauvages en géné- ral;
c) aux eaux;
(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent en outre aux autres domaines de compétence du Parlement liés à l'envi- ronnement et qui lui sont attribués de droit.
DIRECTIVES ÉTABLIES PAR ARRÊTÉ
6. Au titre de celles de ses fonctions qui portent sur la qua- lité de l'environnement, le ministre peut par arrêté, avec l'ap- probation du gouverneur en conseil, établir des directives à l'usage des ministères et organismes fédéraux et, s'il y a lieu, à celui des sociétés d'État énumérées à l'annexe III de la Loi sur la gestion des finances publiques et des organismes de régle- mentation dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions.
La Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C. (1985), chap. F-15.
POUVOIRS ET FONCTIONS DU MINISTRE
4. (1) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent d'une façon générale à tous les domaines de compétence du Parle- ment non attribués de droit à d'autres ministères ou organis- mes fédéraux et liés:
a) à la pêche côtière et à la pêche dans les eaux internes;
b) aux ports de pêche et de plaisance;
c) à l'hydrographie et aux sciences de la mer;
d) à la coordination des plans et programmes du gouverne- ment fédéral touchant aux océans.
(2) Les pouvoirs et fonctions du ministre s'étendent en outre aux domaines de compétence du Parlement liés aux océans et qui lui sont attribués de droit.
La Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), chap. F - 14.
PROTECTION DE L'HABITAT DES POISSONS ET PRÉVENTION DE LA POLLUTION
34. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent aux articles 35 à 43.
«substance nocive»
a) Toute substance qui, si elle était ajoutée à l'eau, altérerait ou contribuerait à altérer la qualité de celle-ci au point de la rendre nocive, ou susceptible de le devenir, pour le poisson ou son habitat, ou encore de rendre nocive l'utilisation par l'homme du poisson qui y vit;
35. (1) Il est interdit d'exploiter des ouvrages ou entreprises entraînant la détérioration, la destruction ou la perturbation de l'habitat du poisson.
37. (1) Les personnes qui exploitent ou se proposent d'ex- ploiter des ouvrages ou entreprises de nature à entraîner soit l'immersion de substances nocives dans des eaux vivent des poissons ou leur rejet en quelque autre lieu si le risque existe que la substance nocive en cause, ou toute autre substance nocive provenant de son rejet, pénètre dans ces eaux, soit la détérioration, la perturbation ou la destruction de l'habitat du poisson, doivent, à la demande du ministre—ou de leur propre initiative, dans les cas et de la manière prévus par les règle- ments d'application pris aux termes de l'alinéa (3)a)—, lui fournir les documents—plans, devis, études, pièces, annexes, programmes, analyses, échantillons—et autres renseignements pertinents, concernant l'ouvrage ou l'entreprise ainsi que les eaux, lieux ou habitats du poisson menacés, qui lui permettront de déterminer, selon le cas:
a) si l'ouvrage ou l'entreprise est de nature à faire détériorer, perturber ou détruire l'habitat du poisson en contravention avec le paragraphe 35(1) et quelles sont les mesures éven- tuelles à prendre pour prévenir ou limiter les dommages;
(2) Si, après examen des documents et des renseignements reçus et après avoir accordé aux personnes qui les lui ont four- nis la possibilité de lui présenter leurs observations, il est d'avis qu'il y a infraction ou risque d'infraction au paragraphe 35(1) ou à l'article 36, le ministre ou son délégué peut, par arrêté et sous réserve des règlements d'application de l'alinéa (3)b) ou, à défaut, avec l'approbation du gouverneur en con- seil:
a) soit exiger que soient apportées les modifications et adjonctions aux ouvrages ou entreprises, ou aux documents s'y rapportant, qu'il estime nécessaires dans les circons- tances;
b) soit restreindre l'exploitation de l'ouvrage ou de l'entre- prise.
La Loi sur les eaux internes du Nord, L.R.C. (1985), chap. N-25.
2. (1)...
«ministre» Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien...
«office»
a) À l'égard du territoire du Yukon, l'Office des eaux du territoire du Yukon ...
«permis» Permis pour l'utilisation des eaux, délivré sous le régime de l'article 11.
DÉPÔT DE DÉCHETS DANS LES EAUX
7. (1) Sauf de la façon réglementaire ou aux conditions pré- vues dans un permis, il est interdit de déposer des déchets de toute nature—ou d'en permettre le dépôt—dans des eaux, ou ailleurs mais dans des conditions qui permettent à ces déchets ou à ceux résultant de leur dépôt d'atteindre ces eaux.
OFFICES
8. (1) Sont constitués l'Office des eaux du territoire du Yukon ... , chacun étant composé de trois à neuf membres nommés par le ministre.
MISSION ET POUVOIRS DES OFFICES
10. Les offices ont pour mission de veiller à la conservation, à la mise en valeur et à l'utilisation rationnelle des ressources en eau du territoire du Yukon ... d'une façon qui permette aux Canadiens en général et aux résidents du territoire du Yukon ... en particulier d'en retirer le maximum de profits.
11. (1) Sous réserve du paragraphe (2), un office peut, avec l'approbation du ministre, délivrer des permis, pour une durée maximale de vingt-cinq ans, autorisant les personnes qui en font la demande, sur paiement des droits d'utilisation fixés sous le régime de l'alinéa 31(1)a), aux dates et de la manière réglementaires, à utiliser les eaux pour l'exploitation d'une entreprise déterminée indiquée dans le permis en une quantité et à un régime n'excédant pas ce que prévoit le permis.
(2) L'office ne délivre pas de permis à moins d'être con- vaincu:
a) que l'utilisation des eaux projetée ne nuira pas à l'utilisa- tion des eaux, dans la zone de gestion visée par la demande, par un titulaire de permis qui a préséance sur le demandeur en application de l'article 25, ou par un autre demandeur qui, si sa demande de permis était accordée, aurait préséance sur le demandeur en application de ce même article;
b) qu'une indemnisation appropriée a été ou sera payée par le demandeur aux titulaires de permis autorisés à faire des eaux, dans la zone de gestion des eaux visée par la demande, une utilisation de priorité moindre dans cette zone que celle projetée par le demandeur, et qui en seront lésés;
c) que les déchets produits par l'entreprise pour l'exploita- tion de laquelle les eaux seront utilisées seront traités et éli- minés de manière à respecter les normes de qualité des eaux fixées en application de l'alinéa 29e);
d) que la responsabilité financière du demandeur est suffi- sante, eu égard à l'entreprise pour l'exploitation de laquelle les eaux seront utilisées.
Règlement sur les eaux internes du Nord, C.R.C., chap. 1234.
3....
(2) Sur la recommandation du Ministre et de l'Office des eaux du territoire du Yukon, les régions géographiques du terri- toire du Yukon mentionnées ci-après sont déclarées zones de gestion des eaux:
b) à compter du ler avril 1973,
(i) ... la rivière Peel et ses affluents et tous les bassins fluviaux de ladite rivière et de ses affluents,
4. La présente partie concerne les zones de gestion des eaux établies à l'article 3.
Permis
7. (1) Les demandes d'obtention, de modification ou de renouvellement de permis doivent être présentées à l'office concerné et être accompagnées du droit prescrit à cet égard à l'article 9.
Garantie
13. (1) L'office peut exiger du requérant d'un permis qu'il fournisse une garantie d'un montant que ledit office détermine, mais ledit montant ne doit jamais être supérieur à $100,000 ou
à 10 pour cent du montant estimatif des immobilisations exi- gées pour l'exécution des travaux, en prenant le montant le plus élevé. [C'est moi qui souligne.]
(3) La garantie mentionnée au paragraphe (1) doit être rem- boursée lorsque l'office est convaincu que le titulaire du per- mis a terminé ou interrompu les travaux autorisés par son per- mis et qu'il s'est conformé aux modalités énoncées dans ledit permis et dans le présent règlement.
(4) Lorsque le titulaire du permis ne s'est pas conformé à toutes les modalités énoncées dans son permis ou dans le pré- sent règlement, l'office peut rembourser la partie de la garantie qui s'impose, de l'avis de l'office, compte tenu des circons- tances.
La Loi sur les terres territoriales, L.R.C. (1985), chap. T-7.
ZONES D'AMÉNAGEMENT
4. S'il l'estime nécessaire pour la préservation de l'équilibre écologique ou des caractéristiques physiques d'une région, dans le territoire du Yukon ou les Territoires du Nord-Ouest, le gouverneur en conseil peut classer des terres territoriales en zones d'aménagement.
5. Le gouverneur en conseil peut, par règlement, régir:
a) la protection, la surveillance, la gestion et l'usage, en sur face, des terres situées dans une zone d'aménagement;
b) la délivrance de permis pour l'usage en surface de ces terres ainsi que fixer les conditions à remplir et les droits à acquitter pour leur obtention.
Règlement sur l'utilisation des terres territoriales, C.R.C., chap. 1524, modifié par DORS/88-169.
Constitution de zones de gestion des terres
3. Le territoire du Yukon et les territoires du Nord-Ouest sont mis à part et affectés à titre de zones de gestion des terres.
Dépôt de garantie
36. (1) Pour s'assurer que le détenteur de permis se con- forme aux conditions de son permis et au présent règlement, l'ingénieur peut imposer comme condition qu'il dépose auprès du Ministre une garantie n'excédant pas $100,000.
(5) Lorsqu'un détenteur de permis ne s'est pas conformé à toutes les conditions de son permis ou au présent règlement et qu'il a, par son exploitation des terres, endommagé celles-ci, le Ministre peut retenir tout ou partie du dépôt de garantie, selon
ce qui est nécessaire pour remettre en bon état les terres endommagées.
(6) Si le Ministre retient une partie du dépôt de garantie con- formément au paragraphe (5), il en remet le reliquat au déten- teur de permis.
(7) Si le montant du dépôt de garantie retenu conformément au paragraphe (5) est insuffisant pour acquitter le coût des tra- vaux effectués pour remettre en bon état les terres endomma- gées, la différence peut être recouvrée du détenteur de permis à titre de créance de la Couronne.
JURISPRUDENCE PERTINENTE CONCERNANT LE DÉCRET SUR LES LIGNES DIRECTRICES VISANT LE PROCESSUS D'ÉVALUATION ET D'EXAMEN EN MATIÈRE D'ENVIRONNEMENT
Il convient d'abord d'examiner la décision rendue par cette Cour en 1989 dans l'affaire Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement) (précitée).
Dans cette affaire, la Souris Basin Development Authority, une société d'État de la Saskatchewan, avait été constituée pour réaliser les barrages Rafferty et Alameda sur le réseau de la rivière Souris pour le compte de la Saskatchewan Water Corporation, une autre société d'État de la Saskatchewan. Dans le cadre de ses travaux préparatoires au projet, la Souris Basin Development Authority avait soumis au minis- tre de l'Environnement de la Saskatchewan un énoncé des incidences environnementales. Puisque la rivière Souris est un cours d'eau international, la Sas- katchewan Water Corporation a présenté au ministre fédéral de l'Environnement une demande de permis en vue de construire les barrages nécessaires sur le réseau de la rivière Souris.
Agissant en vertu de la Loi sur les ouvrages des- tinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux [L.R.C. (1985), chap. I-20] et son règlement d'appli- cation, le ministre fédéral de l'Environnement a accordé un permis pour le projet à la Saskatchewan Water Corporation. Cependant, le ministre a accordé le permis sans exiger la tenue d'un examen et d'une évaluation en matière d'environnement comme le prévoyait le Décret.
La Fédération canadienne de la faune a demandé à la Cour fédérale de décerner un bref de certiorari en vue d'annuler le permis et un bref de mandamus enjoignant au ministre de se conformer au Décret.
Le ministre a prétendu qu'il n'était pas tenu de res- pecter le Décret lorsqu'il envisageait de délivrer un permis en vertu de la Loi sur les ouvrages destinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux. Il a soutenu que le Décret s'appliquait seulement aux pro- jets entrepris par des organismes fédéraux, subven- tionnés par le gouvernement fédéral, projets qui étaient situés sur des terres fédérales ou qui avaient des répercussions environnementales sur une ques tion de compétence fédérale. En outre, selon le minis- tre, il n'était pas nécessaire de respecter le Décret lorsque l'application du processus donnerait lieu à un chevauchement de responsabilités.
Le juge Cullen a rejeté l'argument du ministre, annulé le permis et ordonné au ministre de respecter le Décret. La Cour a d'abord examiné les fonctions du ministre en ce qui concernait la délivrance de per- mis en vertu de la Loi, puis a examiné la nature légis- lative du Décret [aux pages 321 et 322]:
À la lecture des dispositions susmentionnées, il est clair qu'une personne doit détenir un permis valide pour pouvoir construire, mettre en service ou entretenir un ouvrage destiné à l'améliora- tion d'un cours d'eau international. La délivrance du permis a un lien direct avec le fait que la construction aura des répercus- sions ou des effets néfastes sur un cours d'eau international. Le ministre de l'Environnement a le pouvoir discrétionnaire de délivrer le permis lorsque certaines exigences énoncées dans le Règlement sont respectées. Il ne fait aucun doute que le projet répond à la définition d'«ouvrage destiné à l'amélioration d'un cours d'eau international» et que la Souris est un «cours d'eau international».
Il est également clair que, dans l'exercice de ses fonc- tions ... , le ministre de l'Environnement peut, par et avec l'approbation du gouverneur en conseil, établir des directives à l'usage des ministères et organismes fédéraux, et je suis d'ac- cord pour dire que le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environne- ment est un texte ou un règlement au sens de l'article 2 de la Loi d'interprétation:
«règlement» Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d'hono- raires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris:
a) soit dans l'exercice d'un pouvoir conféré sous le régime d'une loi fédérale;
b) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité. «texte» Tout ou partie d'une loi ou d'un règlement.
Par conséquent, le Décret n'est pas un simple énoncé de poli- tique ou de programme; il est susceptible de créer des droits qu'on peut faire respecter par voie de mandamus .. .
Sur la question de savoir si le ministre était tenu de respecter les dispositions du Décret lorsqu'il a délivré un permis, la Cour s'est exprimée en ces termes [aux pages 322 à 327]:
À première vue, il semble que le Décret ne soit destiné qu'aux ministères et organismes fédéraux ... et le ministre intimé n'a pas tort de dire que le projet est une entreprise provinciale qui n'est soumise qu'à la réglementation et qu'aux lignes direc- trices provinciales. Toutefois, l'article 6 du Décret prévoit expressément que les lignes directrices en question s'appli- quent aux propositions pouvant avoir des répercussions envi- ronnementales sur une question de compétence fédérale. Par proposition, on entend en outre toute entreprise ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la prise de décisions. Délivrer un permis sous le régime de la Loi sur les ouvrages destinés n l'amélioration des cours d'eau internationaux constitue une «participation à la prise de déci- sions».
Comme je l'ai déjà précisé, je suis d'avis que le ministre de l'Environnement est tenu, avant de délivrer un permis en vertu de la Loi sur les ouvrages destinés n l'amélioration des cours d'eau internationaux, de se conformer au Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement. En n'appliquant pas les dispositions du Décret, le ministre n'a pas respecté une obligation que la loi lui imposait et il a outrepassé ses pouvoirs. Les requérants ont donc droit à leur ordonnance de certiorari.
En dernier lieu, la Cour a étudié l'argument de l'intimé selon lequel l'application du Décret dans une affaire comme celle-là, c'est-à-dire lorsqu'un énoncé des incidences environnementales avait déjà été rédigé, donnerait lieu à un chevauchement des res- ponsabilités au plan du processus. La Cour a statué que le rapport provincial n'avait pas abordé plusieurs préoccupations fédérales [aux pages 325 et 326]:
Je conviens qu'il faut éviter toute situation de double emploi injustifié, mais il me semble que plusieurs préoccupations fédérales, dont l'examen des incidences du projet au Dakota du Nord et au Manitoba, n'ont pas été abordées dans l'énoncé provincial des incidences environnementales. En soi, je ne crois pas qu'appliquer le Décret créerait une situation de dou ble emploi injustifié. Cela permettrait plutôt d'obtenir les ren- seignements nécessaires qui manquent.
Je conviens qu'il peut être difficile de savoir comment, dans un cas comme celui qui nous occupe, le ministère de l'Envi- ronnement ou le gouvernement fédéral trouvent les pouvoirs
voulus pour garantir la protection environnementale nécessaire, mais il ne fait aucun doute, que la législation prévoit des condi tions préalables qui doivent être respectées avant qu'un permis puisse être délivré.
Cette décision du juge Cullen a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale. Cette dernière a rejeté l'appel et a confirmé la décision de la Section de première instance.
Devant la Cour d'appel, la Saskatchewan Water Corporation a plaidé que la Loi sur les ouvrages des- tinés à l'amélioration des cours d'eau internationaux et son règlement d'application constituaient un code complet régissant la délivrance de permis. La Cour a statué que si le Décret était obligatoire, le ministre était alors tenu de le respecter au même titre que toute autre loi d'application générale. La Cour a con- clu que le libellé de l'article 6 de la Loi sur le minis- tère de l'Environnement était compatible avec l'exis- tence du pouvoir de prendre des règlements ayant force obligatoire, si bien que le Décret avait force obligatoire pour tous ceux qu'il vise.
Il s'agit maintenant d'examiner l'arrêt Friends of the Oldman River Society c. Canada (Ministre des Transports), [ 1990] 2 C.F. 18 (C.A.). Autorisation d'appeler de cet arrêt devant la Cour suprême du Canada a été accordée.
En mars 1986, le ministère de l'Environnement de l'Alberta a entrepris des démarches auprès du minis- tre fédéral des Transports aux fins d'obtenir son approbation, sous le régime de l'article 5 de la Loi sur la protection des eaux navigables [L.R.C. (1985), chap. N-22], pour la construction d'un barrage sur la rivière Oldman. L'approbation du projet n'a pas été précédée d'un examen préalable ou d'une évaluation initiale des incidences environnementales comme celui que prévoit le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement. Cette question n'a pas non plus été soumise au ministre fédéral de l'Environne- ment pour qu'un examen public soit mené sous le régime de cette ordonnance.
En 1987, on a demandé au ministre des Pêches et des Océans et au ministre de l'Environnement d'in- tervenir pour veiller à ce que le projet soit examiné en vertu du Décret. Les deux ministères ont refusé,
affirmant que l'Alberta prendrait en charge les pro- blèmes causés par le barrage, le cas échéant.
La Section de première instance de la Cour fédé- rale a statué que le Décret ne s'appliquait pas à une demande présentée au ministre des Transports pour obtenir une approbation en vertu du paragraphe 5(1) de la Loi sur la protection des eaux navigables. La Cour a également jugé que le Décret ne s'appliquait pas à la décision rendue par le ministre des Pêches et des Océans en l'espèce. Enfin, la Cour a statué qu'il n'était pas opportun de décerner un bref de certiorari ou un bref de mandamus en l'espèce.
La Cour d'appel a accueilli l'appel, elle a infirmé la décision rendue en première instance, a annulé l'approbation donnée par le ministre des Transports et a ordonné à celui-ci de se conformer au Décret.
La Cour a tenu compte du fait qu'un projet sembla- ble pouvait avoir des répercussions environnemen- tales sur diverses questions de compétence fédérale. La Cour a estimé qu'au moins trois de ces questions étaient visées, soit les pêcheries, les Indiens et les terres réservées aux Indiens. Plus loin, la Cour a abordé la question de savoir si, en accordant une telle approbation en vertu de la Loi sur la protection des eaux navigables, le ministre des Transports devait seulement prendre en considération les facteurs tou- chant la navigation [aux pages 39 et 40]:
Avec déférence, je suis incapable de souscrire à la proposi tion que, lorsqu'il a décidé s'il accordait ou non son approba tion, le ministre des Transports pouvait seulement prendre en considération les facteurs touchant la navigation, et n'était pas habilité à exiger un examen des incidences environnementales. De telles conclusions semblent assez incompatibles avec la portée verticale et, certes, très étendue du Décret sur les lignes directrices. Le projet de barrage auquel se rapportait l'approba- tion tombait nettement sous le coup de l'alinéa 6b) du Décret sur les lignes directrices en ce qu'il faisait partie des «proposi- tions ... pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale». À la suite de cette «proposition», le ministre des Transports est devenu le «minis- tère responsable» en qualité de ministère qui «exerce le pou- voir de décision». Les incidences environnementales qu'une décision accordant la demande pouvait entraîner pour toute question de compétence fédérale devaient être examinées con- formément aux dispositions du Décret sur les lignes direc- trices. Ce Décret s'appliquait dans ses moindre détails.
Les intimés sont en faveur d'une interprétation beaucoup plus étroite du Décret sur les lignes directrices. Selon eux, il n'est pas applicable lorsque les dispositions d'une loi spéciali- sée exigent la considération de critères statutaires non directe-
ment reliés à des préoccupations environnementales, ce qui serait le cas en l'espèce, le libellé de la Loi sur la protection sur les eaux navigables restreint l'examen du ministre à la «navigation». A mon sens, accepter cette prétention serait omettre de tenir compte du caractère véritable du Décret sur les lignes directrices qui, ainsi que l'a conclu l'arrêt Fédération canadienne de la faune, est une loi d'application générale. En vertu de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environne- ment, les directives établies doivent être utilisées par les «ministères ... dans l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions» pour aider à l'exécution des fonctions du ministre de l'Envi- ronnement du Canada lui-même qui «portent sur la qualité de l'environnement». Je conclus que le Décret sur les lignes direc- trices a été destiné à lier le ministre dans l'exercice de ses fonctions. Il a créé une fonction qui s'ajoute à l'exercice des autres pouvoirs qui lui sont conférés par des lois. Le fondement du pouvoir et de la responsabilité du ministre de prendre en charge les problèmes environnementaux touchant des ques tions de compétence fédérale ne réside pas dans ces lois mais dans le Décret sur les lignes directrices lui-même. Le ministre avait une obligation positive à respecter. [C'est moi qui sou- ligne.]
Le ministre avait également plaidé que le Décret ne devait pas s'appliquer puisqu'il y avait, de toute évidence, une incompatibilité et un conflit avec le mécanisme d'approbation établi par la Loi sur la pro tection des eaux navigables. La Cour a rejeté cet argument et a affirmé qu'il n'y avait rien dans l'une ou l'autre loi qui empêchait le ministre de se confor- mer aux prescriptions de l'autre dans toute la mesure du possible. Par conséquent, il n'existe aucune incompatibilité et aucun conflit entre les deux dispo sitions.
La Cour a également examiné la question de savoir si le ministre des Pêches et des Océans était lui aussi lié par le Décret. Les intimés avaient plaidé qu'à moins qu'une demande ne soit présentée directement au ministre, celui-ci n'était pas tenu de se conformer au Décret. La Cour a jugé qu'il suffisait que le minis- tre soit mis au courant de l'existence d'une «entre- prise ou activité» à l'égard de laquelle il exerçait le pouvoir de décision. La Cour a jugé qu'il avait été expressément demandé au ministre d'intervenir pour protéger l'habitat du poisson sous le régime des articles 35 et 37 de la Loi sur les pêches. Il apparte- nait au ministre d'invoquer ou non ces dispositions. Par conséquent, le ministre était visé par les obliga tions d'un «ministère responsable» à titre de celui qui «exerçait le pouvoir de décision», si bien qu'il était
assujetti au Décret.
Cette décision nous permet de conclure que le Décret peut, indépendamment de toute autre exigence législative, imposer à un gouvernement ou à un orga- nisme l'obligation d'examiner les répercussions envi- ronnementales sur une question de compétence fédé- rale.
Dans l'arrêt Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), [1991] 1 C.F. 641 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a encore une fois été saisie d'une question relative au projet Rafferty-Alameda. Il s'agissait d'un appel de la déci- sion par laquelle la Section de première instance avait ordonné au ministre de l'Environnement, par voie de mandamus, de constituer une commission d'évalua- tion environnementale conformément au Décret afin d'entreprendre un examen public de certains effets environnementaux du projet. Le juge de première ins tance avait également affirmé qu'à défaut de consti- tuer cette commission dans un délai donné, le permis accordé par le ministre serait annulé.
La Cour d'appel a confirmé le jugement rendu en première instance. Elle a examiné le Décret et a for- mulé les commentaires suivants [aux pages 656 et 657]:
Les Lignes directrices prévoient deux paliers possibles d'examen. Il y a en premier lieu l'évaluation environnementale initiale que doit effectuer le Ministère responsable pour exami ner si et dans quelle mesure la proposition peut avoir des effets environnementaux néfastes. Le second palier consiste en un examen public effectué par une commission indépendante, lequel examen public est déclenché (i) par le ministre chaque fois que les préoccupations du public rendent un tel examen souhaitable, (ii) si la proposition est d'un type compris dans une liste en vertu de laquelle elle est automatiquement soumise au ministre en vue de l'examen public par une commission, et (iii) si l'évaluation initiale révèle des facteurs qui justifient l'examen public par une commission. Si aucun de ces trois cas ne s'applique, la proposition peut être mise à exécution sans examen public par une commission.
S'il ressort de l'évaluation initiale que les effets néfastes que peut avoir la proposition «sont minimes ou peuvent être atté- nués par l'application de mesures techniques connues», cette proposition ... , peut être mise à exécution telle quelle ou à l'aide de ces mesures, selon le cas.
Dans son appel reconventionnel, Saskatchewan Water Corporation avait plaidé que l'alinéa 12c) du Décret devait être interprété à la lumière de l'article
14 de celui-ci. Toutefois, la Cour d'appel a rejeté cet argument [aux pages 658 et 6591:
Selon Sask. Water, l'alinéa 12c) qui permet la mise à exécu- tion d'une proposition sans examen public de la part d'une commission si les effets qu'elle peut avoir sur l'environnement «sont minimes ou peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues» doit être interprété à la lumière d'autres dispositions des Lignes directrices relatives aux mesures d'atténuation, savoir l'article 14. Sask. Water soutient que cet article 14 définit la norme à appliquer lorsqu'il s'agit d'examiner, en application de l'alinéa 12c), si les effets néfas- tes que peut avoir une proposition «peuvent être atténués par l'application de mesures techniques connues». Selon cette argumentation, l'article 14 a pour effet de faire que des effets néfastes «peuvent être atténués» [sic] les «mesures d'atténua- tion et d'indemnisation, s'il est d'avis que celles-ci peuvent empêcher que les effets néfastes d'une proposition sur l'envi- ronnement prennent de l'ampleur». Il ressort de l'article 14 que les mesures d'atténuation ne doivent pas nécessairement élimi- ner tout effet néfaste potentiel pour tomber dans le champ d'application de l'alinéa 12c). Il suffirait que le ministre con- clue que les mesures d'atténuation ou d'indemnisation peuvent empêcher que les effets néfastes prennent de l'ampleur.
Je ne saurais accueillir pareil argument. L'article 14 fait aux ministères responsables l'obligation de s'assurer que les mesures d'atténuation et d'indemnisation sont prises pour empêcher que les effets néfastes potentiels prennent de l'am- pleur. Comme nous le verrons plus loin, les dispositions des Lignes directrices relatives aux commissions d'examen public n'envisagent que deux catégories d'effets environnementaux néfastes: ceux qui sont importants et ceux qui sont minimes. En conséquence, j'interprète le membre de phrase «empêcher que les effets néfastes ... prennent de l'ampleur» comme signifiant que les mesures d'atténuation et d'indemnisation doivent être prises de manière à rendre ces effets néfastes «minimes».
Par conséquent, s'il est impossible, pour une raison ou pour une autre, de mettre en oeuvre une mesure d'atténuation nécessaire pour faire en sorte que l'effet néfaste soit «minime», celui-ci sera important et il faudra forcément soumettre le projet à un examen complet, voire l'annuler, comme le prévoit l'alinéa 12f). Lorsque l'effet néfaste est important, le projet ne peut être mis à exécution sans être modifié ou sou- mis à un examen public par une commission.
ANALYSE
APPLICATION DU DÉCRET À L'OFFICE DES EAUX DU TERRITOIRE DU YUKON
Nous devons d'abord décider si le Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'examen en matière d'environnement s'applique à l'Office des eaux du territoire du Yukon dans le cadre de ses procédures sous le régime de la Loi sur les eaux internes du Nord.
Le débat sur cette question a porté, en grande par- tie, sur le pouvoir du ministre de l'Environnement. Selon l'argument de la demanderesse, auquel semble souscrire l'Office des eaux, les pouvoirs du ministre d'établir des directives en application de l'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Environnement ne peu- vent, conformément au paragraphe 4(1) de cette Loi, s'étendre à des domaines attribués de droit à d'autres ministères ou organismes du gouvernement du Canada. Par conséquent, puisque le pouvoir de déli- vrer des permis d'utilisation des eaux a été attribué à l'Office des eaux du territoire du Yukon, le Décret établi en application de l'article 6 ne peut, en vertu du paragraphe 4(1), s'appliquer à l'Office des eaux.
En toute déférence, je ne suis pas de cet avis. Le Parlement du Canada a compétence en matière d'en- vironnement; «les pouvoirs et les fonctions du minis- tre de l'Environnement s'étendent à tous les domaines de compétence du Parlement non attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédé- raux». Ces pouvoirs et fonctions s'étendent en outre aux «autres domaines de compétence du Parlement liés à l'environnement et qui lui sont attribués de droit». L'article 6 de la Loi sur le ministère de l'Envi- ronnement attribue au ministre le pouvoir d'établir des directives à l'usage des «ministères et organis- mes fédéraux» et, s'il y a lieu, à celui des organismes de réglementation dans «l'exercice de leurs pouvoirs et fonctions». Ce pouvoir est expressément accordé au ministre. Il n'est pas conféré à un autre organisme gouvernemental.
Le Décret est un texte législatif d'application géné- rale (voir l'arrêt Fédération canadienne de la faune) qui porte sur la qualité de l'environnement. En don- nant une interprétation restrictive aux mots «non
attribués de droit à d'autres ministères ou organismes fédéraux», employés à l'article 4 de la Loi sur le ministère de l'Environnement, la demanderesse se trouve à réduire considérablement la portée générale du Décret. En fait, si le Décret ne pouvait jamais s'appliquer à des domaines qui étaient attribués de droit à d'autres ministères ou organismes, il me semble que son objet serait, en grande partie, contre- carré.
Le Décret est justement censé s'appliquer aux ministères et organismes qui, dans le cadre des man- dats qui leur ont été confiés, doivent, à l'occasion, prendre des décisions à l'égard de matières suscep- tibles d'avoir des conséquences sur l'environnement et ce, dans un domaine de compétence du gouverne- ment fédéral.
Si ces ministères et organismes sont exclus simple- ment parce qu'ils sont chargés de questions qui inté- ressent l'environnement, le ministre de l'Environne- ment ne serait pas en mesure de s'occuper efficacement de toutes les questions d'ordre environ- nemental dont il est chargé.
En ce qui a trait au mandat de l'Office des eaux du territoire du Yukon en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord, il n'y a aucun doute que la question des conséquences environnementales pour les eaux relève de sa compétence. L'Office des eaux doit veil- ler à la «conservation, à la mise en valeur et à l'utili- sation rationnelle des ressources en eau du territoire du Yukon d'une façon qui permette aux Canadiens en général et aux résidents du territoire du Yukon ... d'en tirer le maximum de profits». En outre, l'Office jouit de pouvoirs qui lui permettent de protéger et de maintenir les normes de qualité de l'eau. De plus, il existe une procédure d'audiences publiques qui per- met à l'Office des eaux d'entendre les observations des divers intéressés.
Compte tenu de ces pouvoirs étendus, la question n'est peut-être pas de savoir si le Décret s'applique, mais plutôt de savoir comment il s'applique en pra- tique. Il est peut-être difficile de voir en quoi le Décret peut aider davantage l'Office des eaux alors que celui-ci est déjà doté de pouvoirs qui lui permet- tent de s'attaquer au problème de la qualité de l'eau. Cependant, vu la complexité des questions en cause, les pressions publiques sans cesse grandissantes en
faveur de la protection de l'environnement et les effets potentiellement dévastateurs qui pourraient résulter de lacunes législatives, la portée des disposi tions et les objets visés sont tels qu'à mon avis, l'Of- fice des eaux doit jouir de tous les pouvoirs voulus afin qu'il puisse résoudre les problèmes qui pour- raient se présenter. Dans cette optique, nous voyons que le Décret ne fait qu'aider l'Office des eaux à exercer ses fonctions. Son utilité dépendra de la ques tion à résoudre et il se peut que dans bien des cas, il ne soit d'aucune utilité, vu les pouvoirs étendus qui ont été conférés par la Loi sur les eaux internes du Nord. Il s'agit cependant d'une garantie supplémen- taire. Je dirais que, sous réserve de l'article 8 du Décret, celui-ci s'applique à l'Office des eaux du ter- ritoire du Yukon.
En vertu de l'article 8 du Décret, les lignes direc- trices ne s'appliquent à un organisme de réglementa- tion qui exerce un pouvoir de réglementation à l'égard d'une proposition «que si aucun obstacle juri- dique ne l'empêche ou s'il n'en découle pas de che- vauchement des responsabilités».
En l'espèce, l'Office des eaux possédait les rap ports d'examen préalable du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien et du ministre des Pêches et des Océans. Ces deux rapports traitaient en détail des répercussions environnementales liées à l'utilisation des eaux, y compris les effets à long terme sur l'habitat du poisson et les normes de qua- lité de l'eau. Les rapports portaient sur toutes les questions que l'Office était chargé d'examiner. Dans ce contexte, si l'Office avait ordonné un examen préalable supplémentaire, il en aurait résulté non seu- lement une perte de temps et un gaspillage de res- sources, mais un véritable chevauchement des res- ponsabilités tout à fait superflu dans ce cas.
Avant de clore cette question, je voudrais aborder la réserve prévue à l'article 8 qui empêche l'applica- tion du Décret lorsqu'il y a un «obstacle juridique». Si, en l'espèce, l'Office des eaux ne possédait pas de rapport d'examen préalable des incidences environ- nementales, il pourrait, en vertu du Décret ordonner qu'un tel rapport soit établi. Si, comme l'ont conclu les rapports du MAINC et du MPO, l'Office jugeait qu'une garantie financière devait être fournie afin d'atténuer les effets néfastes éventuels, il ne pourrait
cependant imposer une garantie supérieure à 100 000 $ ou dix pour cent (10 p. cent) du montant des immobilisations et ce, même si l'article 14 du Décret autorise une somme supérieure. À cause de la loi habilitante, et particulièrement du paragraphe 13(1) du Règlement, précité il existe un obstacle juri- dique à l'imposition d'une garantie financière supé- rieure au montant prévu par cette disposition. Le Décret crée des responsabilités qui s'ajoutent, sans les remplacer, aux fonctions et aux responsabilités expresses prescrites par d'autres textes législatifs.
APPLICATION DU DÉCRET AU MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANA- DIEN
Le MAINC, par le biais du Comité régional d'exa- men en matière d'environnement, est chargé d'éva- luer ou d'examiner au préalable tout projet ou activité que l'on propose d'entreprendre sur les terres de la Couronne dans le territoire du Yukon ou qui y auront vraisemblablement des répercussions, toute proposi tion qui pourrait avoir des répercussions environne- mentales dans un domaine de compétence fédérale et tout projet qu'il finance. (Voir Willis and Shier, «Environmental Controls Affecting Exploration and Development of Mineral Resources in the Yukon» (1990), 3 C.J.A.L.P. 243, à la page 281).
La responsabilité du MAINC à l'égard du territoire du Yukon découle de plusieurs lois. Citons d'abord la Loi sur le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, alinéas 4(1)b), 5a) et b) et article 6. D'autres domaines de responsabilité sont prévus dans diverses dispositions de la Loi sur les eaux internes du Nord et dans la Loi sur les terres territoriales.
En vertu de l'article 11 de la Loi sur les eaux internes du Nord, un office peut, avec l'approbation du ministre, délivrer des permis. En vertu de cette disposition, le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien doit prendre une décision à l'égard de permis, c'est-à-dire approuver ou refuser leur déli- vrance. Il est clair que pour pouvoir réaliser le projet Vangorda, la demanderesse devait avoir un tel permis d'utilisation des eaux. Par conséquent, le projet Van- gorda est une «entreprise, ou activité à l'égard de laquelle le gouvernement du Canada participe à la
prise de décision». Puisqu'en l'espèce, c'est le minis- tre des Affaires indiennes et du Nord canadien qui exerce le pouvoir de décision, c'est son Ministère qui est le Ministère responsable.
Le Décret s'appliquera aux propositions pouvant avoir des répercussions environnementales sur une question de compétence fédérale et devant être réali- sées sur des terres administrées par le gouvernement du Canada.
En vertu de la décision du juge Cullen dans l'af- faire Fédération canadienne de la faune Inc. c. Canada (Ministre de l'Environnement), le ministre est tenu de se conformer au Décret. S'il ne le fait pas, une ordonnance de mandamus pourra être rendue. Qui plus est, indépendamment de toute autre loi, le Décret lui-même constitue un fondement du pouvoir et de la responsabilité du ministre de prendre en charge les problèmes environnementaux touchant des questions de compétence fédérale. En outre, il crée une obligation positive à respecter (arrêt Friends of the Oldman River).
Selon la demanderesse, seul l'Office des eaux du territoire du Yukon a le pouvoir d'exiger une garantie comme condition à la délivrance d'un permis d'utili- sation des eaux. Je ne puis souscrire à cette thèse.
Le permis ne peut être délivré sans l'approbation du ministre. En l'espèce, le ministre était lié par le Décret, qui le charge d'une «fonction qui s'ajoute» à celles qu'il avait déjà. Par conséquent, lorsqu'il a exercé son pouvoir de décision relativement à la déli- vrance du permis, le ministre a, à juste titre, tenu compte des conclusions de son propre rapport d'exa- men préalable. Il était clair, selon lui, que la garantie exigée par l'Office des eaux ne suffisait pas à contrer les répercussions environnementales dont il était question dans le rapport. C'est en vertu du Décret que le ministre a exigé une garantie supplémentaire avant de délivrer le permis et non pas en vertu de la Loi sur les eaux internes du Nord.
Si, comme le suggère la demanderesse, le Décret ne peut s'appliquer à l'Office des eaux et qu'il ne peut pas non plus s'appliquer au ministre parce qu'il est lié par la décision de l'Office des eaux, il s'ensui- vrait que toute la protection de l'environnement, en ce qui a trait à l'utilisation des eaux, relèverait uni-
quement de l'Office des eaux. Puisque les pouvoirs de l'Office d'exiger une forme quelconque de garan- tie sont limités, le ministre jouit de ce que l'on pour- rait appeler un pouvoir supplétif ou permanent d'exi- ger une garantie supplémentaire en vertu du Décret. Il en résulterait une impasse s'il en était autrement. Si un Ministère responsable, agissant en application de l'alinéa 12c), concluait qu'il y avait lieu d'exiger une garantie supplémentaire, l'Office des eaux serait incapable de donner suite à cette conclusion.
En l'espèce, par exemple, si une garantie moné- taire n'était pas fournie, la conclusion selon laquelle les effets du projet seraient minimes ou qu'ils pour- raient être atténués ne serait plus valable. Par consé- quent, il faudrait que le projet soit modifié, annulé ou soumis à un examen public par une commission.
Vu la preuve convaincante et non contredite selon laquelle, en l'absence d'une garantie monétaire, les répercussions environnementales seraient inaccep- tables, il se peut très bien que, dans ce cas, le projet soit annulé.
Le pouvoir de décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien d'autoriser la déli- vrance d'un permis lui imposait l'obligation positive de respecter le Décret, et c'est justement ce qu'il a fait.
Il n'y a eu aucune usurpation des fonctions de l'Office des eaux non plus qu'un chevauchement des responsabilités. Au contraire, le ministre a, à juste titre, attendu les résultats de la décision de l'Office des eaux. Ayant pris connaissance de son rapport d' examen préalable et de celui du ministre des Pêches et des Océans, le ministre connaissait déjà l'étendue des répercussions environnementales pos sibles et la somme d'argent qui serait nécessaire pour en atténuer les effets. A l'époque, il n'aurait pas été prudent d'exiger la garantie puisque le ministre ne connaissait pas la somme qui serait nécessaire à ce titre. Ayant attendu la décision de l'Office des eaux, le ministre pouvait évaluer quelle garantie supplé- mentaire serait nécessaire pour réduire au minimum les effets néfastes que la proposition pouvait avoir sur l'environnement.
J'ajouterais une seule précision à ce qui précède: si les mesures imposées par l'Office des eaux avaient
suffi à résoudre toutes les questions environnemen- tales qui se posaient, il y aurait eu un obstacle juri- dique à ce que le ministre exige une garantie supplé- mentaire. Toutefois, ce n'est pas le cas en l'espèce.
Le Décret s'appliquerait également, à titre complé- mentaire, au ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien en lui imposant des fonctions qui s'ajouteraient à son pouvoir décisionnel d'accorder des baux de surface en vertu de la Loi sur les terres territoriales.
APPLICATION DU DÉCRET AU MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS
Je traiterai brièvement cette question. En vertu du paragraphe 35(1), et spécialement en vertu du para- graphe 37(1) et des alinéas 37(2)a) et 37(2)b) de la Loi sur les pêches, le ministre des Pêches et des Océans a le pouvoir légal de restreindre l'exploitation de l'ouvrage ou de l'entreprise, ou d'exiger qu'y soient apportées des modifications lorsque l'ouvrage ou l'entreprise est de nature à entraîner la détériora- tion, la perturbation ou la destruction nocives de l'ha- bitat du poisson. Ce pouvoir de décision obligeait le ministre à se conformer au Décret sur les lignes directrices. Ce ministère était donc un autre ministère responsable et, en vertu de l'article 9 du Décret sur les lignes directrices, le MPO et le MAINC avaient décidé que ce dernier veillerait à ce que la garantie monétaire exigée ait été fournie.
CONCLUSION
Vu ce qui précède, la Cour statue qu'il faut répon- dre à la question suivante,
A la lumière de la décision de l'Office des eaux du territoire du Yukon en date du 12 septembre 1990, la Couronne du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, le ministre des Pêches et des Océans ou ces deux ministres a-t-elle le pouvoir, conformément au Décret sur les lignes directrices visant le processus d'évaluation et d'exa- men en matière d'environnement, à la Loi sur les eaux internes du Nord, à la Loi sur les terres territoriales, à la Loi sur les pêches ou à une autre règle de droit, d'imposer des mesures d'atténuation et d'indemnisation, y compris une garantie monétaire ou autre à l'égard du projet Vangorda, un projet entrepris par la demanderesse dans le territoire du Yukon, sur des terres qui appartiennent à la défenderesse, Sa Majesté la Reine?
par l'affirmative.
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