A-232-91
Sivaganthan Rasaratnam (requérant)
c.
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (intimé)
RÉPERTORIE.' RASARATNAM C. CANADA (MINISTRE DE
L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) (CA.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et Linden,
J.C.A.—Toronto, 26 novembre; Ottawa, 5 décembre
1991.
Immigration — Statut de réfugié — Possibilité de refuge
dans une autre partie du même pays — Appel de la décision de
la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigra-
tion et du statut de réfugié selon laquelle le requérant n'est pas
un réfugié au sens de la Convention — Le requérant est un
Tamil Sri Lankais — La Commission a conclu que bien qu'il
existe une crainte bien fondée de persécution dans une région
particulière, le requérant aurait pu se réfugier dans une autre
partie du pays — Requête rejetée — Le concept de la possibi-
lité de refuge dans une autre partie du même pays est inhérent
à la définition de réfugié au sens de la Convention selon
laquelle le demandeur doit se trouver hors du pays dont il a la
nationalité et il doit ne pouvoir y retourner au motif qu'il
craint avec raison d'être persécuté — Les conditions néces-
saires pour conclure que le demandeur n'est pas un réfugié au
sens de la Convention en raison d'une possibilité de refuge
dans une autre partie du même pays sont les suivantes: (1) la
Commission doit être convaincue selon la prépondérance des
probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement
d'être persécuté dans la partie du pays où il existe une possibi-
lité de refuge; (2) la situation dans cette partie du pays doit
être telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour le demandeur,
compte tenu de toutes les circonstances, de s'y réfugier; (3)
puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention
doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou
région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens
de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une
autre partie du même pays — La décision portant sur l'exis-
tence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la
décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Conven
tion — La question de la possibilité de refuge dans une autre
partie du même pays doit être expressément soulevée lors de
l'audience par l'agent d'audience ou par la Commission, et le
demandeur doit avoir l'occasion d'y répondre — La Commis
sion pouvait s'appuyer sur une preuve abondante pour con-
clure que Colombo présentait une possibilité de refuge pour les
réfugiés Tamil et qu'il était raisonnable pour l'appelant d'y
chercher refuge.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 2
(mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), chap. 28, art. 1).
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Zalzali c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra-
tion), [1991] 3 C.F. 605 (C.A.).
DOCTRINE
Haut commissariat des Nations Unies pour les réfugiés,
Guide des procédures et critères à appliquer pour
déterminer le statut de réfugié au regard de la Conven
tion de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut
des réfugiés, Genève, 1979.
AVOCATS:
Lorne Waldman pour le requérant.
Bonnie J. Boucher pour l'intimé.
PROCUREURS:
Lorne Waldman, Toronto, pour le requérant.
Le sous-procureur général du Canada pour l'in-
timé.
Ce qui suit est la version française des motifs du
jugement rendus par
LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Il s'agit d'un appel de la
décision de la section du statut de réfugié de la Com
mission de l'immigration et du statut de réfugié selon
laquelle le requérant, un Tamil Sri Lankais, n'est pas
un réfugié au sens de la Convention. Le litige porte
sur ce qu'on appelle la possibilité de refuge dans une
autre partie du même pays. La Commission a expres-
sément dissipé tout doute quant à la crédibilité du
requérant (ci-après appelé appelant), et a par la suite
conclu:
[TRADUCTION] ... que le demandeur craint d'être persécuté par
les LTTE dans la région de Jaffna. Cette crainte a un fonde-
ment objectif. ...
Si le Sri Lanka était sous l'emprise des LTTE, je n'éprouve-
rais aucune difficulté à conclure que le demandeur a une
crainte bien fondée de persécution. Mais tel n'est pas le cas. Le
gouvernement sri lankais contrôle effectivement la plus grande
partie du pays, particulièrement le sud. C'est dans cette région
qu'est située la ville de Colombo. Le demandeur y a vécu de
juin 1989 décembre 1989 sans qu'aucun incident ne se pro-
duise.
Le demandeur a exprimé sa crainte d'être arrêté et peut-être
abattu dès son arrivée à l'aéroport de Colombo, mais il n'a
apporté aucune précision pour appuyer cette crainte. Il a quitté
l'aéroport de Colombo, muni de son propre passeport, sans
aucune difficulté. Les nombreuses pièces soumises par le
demandeur ne contiennent rien qui permette d'appuyer sa pré-
tention selon laquelle il serait mis en état d'arrestation dès son
arrivée. La preuve démontre qu'une importante population de
Tamils vivent à Colombo. Toutefois, aucune preuve ne
démontre que ce groupe est persécuté par le gouvernement du
Sri Lanka.
... Je ne peux conclure que la crainte subjective de persécu-
tion éprouvée par le demandeur repose sur un fondement
objectif.
Les LTTE sont les soi-disant Tigres Tamils.
La Loi sur l'immigration' définit «réfugié au sens
de la Convention».
2....
«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa
race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à
un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et
ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de
la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du
pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut
ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Conven
tion en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites
à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'ar-
ticle premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe
de la présente loi.
L'appelant prétend que la Commission a appliqué
erronément le critère de la possibilité de refuge dans
une autre partie du même pays en concluant qu'il
n'avait pas une crainte bien fondée de persécution
puisqu'il aurait pu se réfugier dans une autre partie
du pays, soit Colombo. Il prétend également que la
Commission a mal interprété les éléments de preuve
portant sur la possibilité de refuge à Colombo.
L'appelant soumet les propositions suivantes à titre
de conditions nécessaires pour conclure que le
demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Conven
t L.R.C. (1985), chap. I-2, art. 2 (mod. par L.R.C. (1985) (40
suppl.), chap. 28, art. 1).
tion en raison d'une possibilité de refuge dans une
autre partie du même pays.
[TRADUCTION] En premier lieu, la Commission doit
être convaincue, d'après la preuve qui lui est sou-
mise, que les circonstances dans la partie du pays
où le demandeur aurait pu se réfugier sont suffi-
samment sécuritaires pour permettre à l'appelant
de «jouir des droits fondamentaux de la personne».
En deuxième lieu, la situation dans cette partie du
pays doit être telle qu'il ne serait pas déraisonnable
pour le demandeur, compte tenu de toutes les cir-
constances, de s'y réfugier.
En troisième lieu, lorsque le demandeur a établi une
crainte bien fondée de persécution dans une partie
du pays, il ne lui appartient plus de prouver, selon
la prépondérance des probabilités, qu'il est un
réfugié au sens de la Convention; il incombe plutôt
au ministre de convaincre la Commission, selon la
prépondérance des probabilités, qu'il existe une
possibilité de refuge dans une autre partie du
même pays, puisque conclure en ce sens revient en
substance à refuser d'accorder ou de maintenir le
statut de réfugié au sens de la Convention.
Il semble que parmi la jurisprudence de cette Cour,
seul le jugement rendu dans l'affaire Zaizali c.
Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) 2
mentionne le concept de la possibilité de refuge dans
une autre partie du même pays. Le juge Décary,
J.C.A., y dit [aux pages 614 et 615]:
Je n'ai pas ici à décider ce qu'il faut entendre par «gouver-
nement». Je sais qu'en principe une persécution dans une
région donnée ne sera pas une persécution au sens de la Con
vention si le gouvernement du pays est en mesure, ailleurs sur
son territoire, d'assurer la protection voulue, mais encore faut-
il qu'on puisse raisonnablement attendre des victimes, compte
tenu de toutes les circonstances, qu'elles se déplacent vers
cette partie du territoire où elles seraient protégées.
Le juge Décary, J.C.A., fait mention, dans le renvoi
faisant suite à cette citation, de certaines décisions de
la Commission d'appel de l'immigration et du para-
graphe 91 du Guide des Nations Unies 3 , ainsi libellé:
91. La crainte d'être persécuté ne doit pas nécessairement
s'étendre à l'ensemble du territoire du pays dont l'intéressé a la
2 [1991] 3 F.C. 605 (C.A.).
3 Guide des procédures et critères à appliquer pour détermi-
ner le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et
du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Haut com
missariat des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, 1979.
nationalité. En cas de conflit entre des ethnies ou en cas de
troubles graves équivalant à une situation de guerre civile, les
persécutions dirigées contre un groupe ethnique ou national
particulier peuvent être limitées à une partie du pays. [Déjà en
italique dans l'original.]
A mon avis, le concept de la possibilité de refuge
dans une autre partie du même pays est inhérent à la
définition de réfugié au sens de la Convention. Selon
cette définition, le demandeur doit se trouver hors du
pays dont il a la nationalité ou de celui où il avait sa
résidence habituelle et il doit ne pouvoir ou ne vou-
loir y retourner au motif qu'il craint avec raison
d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de
sa nationalité, de son appartenance à un groupe social
ou de ses opinions politiques. Je n'éprouve pas le
besoin d'en conclure que la crainte d'être persécuté
ainsi restreinte est nécessairement de la même nature
que la perte de jouissance des «droits fondamentaux
de la personne». En conséquence, j'énoncerais de
nouveau la première proposition: la Commission doit
être convaincue selon la prépondérance des probabi-
lités que le demandeur ne risque pas sérieusement
d'être persécuté dans la partie du pays où, selon elle,
il existe une possibilité de refuge.
La seconde proposition est juste.
En ce qui concerne la troisième, puisque, par défi-
nition, le réfugié au sens de la Convention doit être
un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou
région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfu-
gié au sens de la Convention s'il existe une possibi-
lité de refuge dans une autre partie du même pays. Il
s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non
d'une telle possibilité fait partie intégrante de la déci-
sion portant sur le statut de réfugié au sens de la Con
vention du demandeur. Je ne vois aucune raison de
déroger aux normes établies par les lois et la jurispru
dence et de traiter de la question de la possibilité de
refuge dans une autre partie du même pays comme
s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir
le statut de réfugié au sens de la Convention. Pour ce
motif, je rejetterais la troisième proposition de l'ap-
pelant.
Cela dit, toutefois, on ne peut s'attendre à ce que le
demandeur de statut soulève la question de la possibi-
lité de refuge dans une autre partie du même pays ni à
ce qu'on puisse simplement déduire de la demande
elle-même la prétention que cette possibilité est
inexistante. La question doit être expressément soule-
vée lors de l'audience par l'agent d'audience ou par
la Commission, et le demandeur doit avoir l'occasion
d'y répondre en présentant une preuve et des moyens.
À mon avis, en concluant à l'existence d'une pos-
sibilité de refuge, la Commission se devait d'être
convaincue, selon la prépondérance des probabilités,
que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être
persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes
les circonstances, dont celles lui étant particulières, la
situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas
déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.
L'appelant s'oppose à la conclusion selon laquelle
[L]e demandeur ... a vécu [à Colombo] de juin 1989 à
décembre 1989 sans qu'aucun incident ne se produise.
et à celle selon laquelle
La preuve démontre qu'une importante population de Tamils
vivent à Colombo. Toutefois, aucune preuve ne démontre que
ce groupe est persécuté par le gouvernement du Sri Lanka.
Il soutient que la première conclusion ne tient pas
compte de la preuve, jugée crédible, selon laquelle il
s'est cloîtré dans son appartement pendant la plus
grande partie des six mois vécus à Colombo en raison
de la présence des LTTE, et que la seconde conclu
sion ferme les yeux sur la preuve documentaire de la
persécution des Tamils par le gouvernement sri lan-
kais. Il prétend également que même s'il pouvait se
réfugier à Colombo, on ne peut raisonnablement s'at-
tendre à ce qu'il le fasse puisque les Tamils y sont
minoritaires et que la majorité cinghalaise les a
opprimés à l'occasion, avec la complicité possible du
gouvernement.
La preuve fait état de trois situations très diffé-
rentes dans diverses parties du Sri Lanka au cours des
périodes entourant la présence de la Indian Peace
Keeping Force, la «IPKF». Au moment où l'appelant
était à Colombo, la IPKF était au Sri Lanka; depuis,
celle-ci a quitté le pays. L'appelant a déclaré, lors de
son témoignage, avoir eu des démêlés avec la IPKF,
et non avec les autorités sri lankaises. Après un
séjour de deux mois à Colombo, il a pris connais-
sance de la présence des L 1"1'h, lesquels coopéraient
avec le gouvernement pour assurer le retrait de la
IPKF. Craignant les LFI'h, l'appelant est demeuré
dans son appartement. Après le retrait de la IPKF, les
L FIE ont également quitté Colombo, et ils militent à
nouveau contre le gouvernement au nord et à l'est du
Sri Lanka, bien loin de Colombo. La preuve
démontre que c'est en 1983 que les dernières hosti-
lités importantes ont opposé les Tamils et les Cingha-
lais à Colombo. Elles ont coïncidé avec l'explosion
de violence tamile au nord et à l'est et avec le meur-
tre de soldats cinghalais par des jeunes Tamils à
Jaffna. La preuve démontre également que depuis le
retrait de la IPKF, la violence a surtout fait rage au
nord et à l'est du Sri Lanka, et nulle part près de
Colombo.
Il a pu être quelque peu trompeur de déclarer que
l'appelant avait vécu à Colombo sans qu'aucun inci
dent ne se produise, compte tenu que son style de vie
n'était guère normal. Ceci étant dit, la Commission
pouvait s'appuyer sur une preuve abondante pour
conclure que, au moment de l'audience de l'appelant,
Colombo présentait une possibilité de refuge pour les
réfugiés Tamils en provenance de Jaffna et que,
compte tenu de toutes les circonstances du cas de
l'appelant, il ne lui serait pas déraisonnable d'y cher-
cher refuge. Compte tenu du dossier, je ne peux con-
clure que la Commission a appliqué quelque principe
erroné ou qu'elle a par ailleurs commis une erreur
pour en venir à sa conclusion.
À mon avis, la Commission n'a commis aucune
erreur en concluant que l'appelant n'est pas un réfu-
gié au sens de la Convention. Je rejetterais l'appel.
LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LE JUGE LINDEN, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.