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T-2252-91
CNG Transmission Corporation (requérante)
c.
Office national de l'énergie, ANR Pipeline Company, Rochester Gas & Electric Corporation, St. Clair Pipelines Limited, TransCanada PipeLines Limited (intimés)
RÉPERTORIÉ' CNG TRANSMISSION CORP. C. CANADA (OFFICE NATIONAL DE L'ÉNERGIE) (Ire MST.)
Section de première instance, juge Cullen—Ottawa, 3, 4 et 18 octobre 1991.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Certiorari Demande en vue de l'annulation de la décision par laquelle l'Office national de l'énergie (ONE) a décidé de réviser le refus d'accorder aux compagnies intimées l'autorisation de construire un pipeline 1.a requérante, une concurrente, a présenté une proposition concernant le pipeline L'ancien président de l'Office était conseiller de l'intimée et a commu- niqué directement avec le président de l'ONE (contrairement à la politique de l'Office) en vue d'organiser une rencontre avec lui ainsi qu'avec le vice-président et les représentants des com- pagnies de pipelines perdantes Ils ont fait part de réactions défavorables au refus et ont fait des suggestions au sujet de la manière dont l'ONE devait procéder compte tenu de présumés faits nouveaux La requérante n'était pas représentée à la réunion L'Office a décidé d'abréger la procédure de révi- sion Compte tenu des dispositions de la Loi sur l'Office national de l'énergie, de la nature de la décision, qui portait sur la procédure, e! du genre de fonction exercée, les principes de l'équité s'appliquaient, omis pas dans la même mesure que dans le cas des audiences au fond La manière dont la réunion s'est déroulée était inéquitable Lat requérante s'est vu refuser une occasion raisonnable de se prononcer sur l'op- portunité d'une révision Crainte raisonnable de partialité Ii n'y a pas lieu d'interdire aux membres de l'ONE de ren- contrer les représentants du secteur d'activité, mais la réunion n'aurait porter que sur des questions de procédure.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Prohibition Requête visant à interdire à onze membres désignés de l'Office national de l'énergie de participer à toute révision du refus d'accorder l'autorisation de construire un pipeline À la suite du refus, il y a eu une rencontre avec le président et le vice-président de l'Office ainsi qu'avec les représentants des sociétés perdantes La réunion violait le principe audi alte- rami partem La demande a été accueillie en ce qui concerne le président e! le vice-président de l'ONE Étant donné que des questions de fond on! été discutées e! que le président et le vice-président avaient participé à la décision de réviser le refus, il existait une crainte raisonnable de partialité La demande est rejetée en ce qui concerne les membres de l'Office qui ont reçu le procès-verbal de la réunion.
Énergie L'Office national de l'énergie a décidé de réviser le refus d'accorder aux intimés l'autorisation de construire un pipeline et d'abréger la procédure de révision La requé- rante n'a pas eu l'occasion de se prononcer sur l'opportunité d'une révision Les intimés ont eu deux occasions de faire valoir leur point de vue, dont l'une à huis clos et en l'absence des requérantes Examen de la Loi sur l'Office national de l'énergie, de la nature de la décision, qui portait sur la procé- dure, et de la fonction exercée L'Office a un mandat impor tant qui s'accompagne d'une lourde responsabilité d'agir équi- tablement Violation du principe audi alteram partem Décision d'effectuer une révision annulée Il est interdit au président et au vice-président de l'ONÉ de participer à une révision étant donné qu'ils étaient présents à la réunion à huis clos et qu'ils ont participé à la décision de réviser le refus.
Il s'agissait d'une demande en vue de l'obtention d'un cer- tiorari annulant la décision qu'avait prise l'Office national de l'énergie (ONÉ) de réviser son refus d'autoriser les compa- gnies intimées à construire un pipeline et en vue de l'obtention d'un bref de prohibition interdisant à onze membres désignés de I'ONÉ de procéder à une nouvelle audition de l'affaire. La requérante, une concurrente, avait présenté une proposition en vue du transport du gaz en provenance du réseau canadien de pipelines vers l'État de New York. Les deux propositions pré- sentées exigeaient l'approbation des organismes canadien et américain de réglementation. Après que le refus de l'ONÉ eut été communiqué, la Federal Energy Regulatory Commission (la FERC) américaine a approuvé la proposition des intimées sous réserve de l'agrément par l'ONÉ. M. Edge, autrefois pré- sident de l'ONÉ et maintenant conseiller de la société mère d'une compagnie intimée, a communiqué avec le président actuel de l'ONÉ pour organiser une réunion avec lui, ainsi qu'avec le vice-président et un conseiller juridique de l'ONÉ. La politique et les règles de l'Office exigent que toutes les communications qui lui sont destinées soient adressées au secrétaire. A la réunion, les représentants des compagnies inti- mées ont fait part de leur réaction défavorable à la décision de l'ONÉ; ils ont fait des observations sur certains aspects de l'af- faire et ont exprimé l'opinion selon laquelle la décision de la FERC constituait un fait nouveau qui ,justifiait la révision du refus. Le président et le vice-président de l'ONÉ ont fait savoir qu'ils ne pensaient pas que l'Office procéderait à une révision de sa propre initiative; il a été convenu que les compagnies intimées présenteraient une demande de révision fondée sur l'article 21, dans laquelle elles pourraient demander que l'ONÉ accélère la procédure de révision. Les membres de l'Office ont reçu un résumé de cette réunion. Tel que convenu, une demande de révision fondée sur l'article 21 a été présentée et une copie a été envoyée à la requérante, qui a demandé qu'on lui accorde l'occasion de se prononcer sur l'opportunité d'une révision. Sans répondre à la demande, l'Office a décidé d'abré- ger la procédure de révision, puisqu'il avait été «persuadé par les arguments des requérants» qu'une révision était justifiée. Les Règles de l'Office exigent que ce dernier entende en public les observations concernant l'opportunité de réviser une décision, mais l'Office a également le pouvoir de dispenser de l'application de toute disposition des Règles. Il s'agissait de savoir si la décision de l'ONÉ d'effectuer une révision était
assujettie aux principes de l'équité et, dans l'affirmative, si la réunion avec les représentants des compagnies intimées soule- vait une crainte raisonnable de partialité ou constituait un déni de justice naturelle et un manquement à l'obligation d'agir équitablement par suite de la violation du principe audi alte- ram partem.
Jugement: la demande de certiorari devrait être accueillie; la demande de bref de prohibition devrait être accueillie unique- ment en ce qui concerne le président et le vice-président de l'ONE.
Après avoir examiné les dispositions de la Loi sur l'Office national de l'énergie, la nature de la décision, qui portait sur la procédure, et le genre de fonction exercée par l'Office, la Cour a conclu que les règles de l'équité procédurale s'appliquaient, mais pas dans la même mesure que dans le cas des audiences au fond. On pourrait soutenir que la requérante avait subi un préjudice par suite du refus de lui accorder l'occasion de se prononcer sur l'opportunité d'une révision, dans la mesure les intimés se sont vu accorder deux occasions de faire valoir leur point de vue, dont l'une à huis clos et en l'absence des parties ayant des intérêts opposés aux leurs. Les règles de l'équité comprennent les règles audi alteram partem et nemo judex in causa sua debet esse.
En ce qui a trait à la question de la crainte raisonnable de partialité, le problème que posait la décision de l'Office était que l'idée d'abréger la procédure de révision avait été proposée par un groupe qui représentait les compagnies perdantes au cours d'une réunion à huis clos avec le président et le vice- président de l'ONE. Si l'ONE avait rendu la décision de sa propre initiative sans être influencé par des tiers, il n'y aurait pas eu de problème.
L'Office a un mandat important qui s'accompagne d'une lourde responsabilité d'agir équitablement, de ne pas favoriser une partie au détriment de l'autre et de ne pas donner cette impression. Il était à propos de tenir une réunion pour discuter de la procédure même si quelques-unes des parties seulement y participaient, pourvu qu'il soit clairement entendu qu'il y serait question de procédure seulement. Il aurait fallu mettre fin à la réunion lorsqu'il est devenu évident que des questions autres que des questions de procédure seraient abordées en vue d'être examinées.
Compte tenu des circonstances, il existait une crainte raison- nable de partialité. Il ne devrait pas être interdit aux membres de l'ONE de rencontrer des représentants du «secteur d'acti- vité». Des discussions ou réunions préliminaires ne suscitent pas automatiquement de crainte raisonnable de partialité. Cependant, les circonstances extraordinaires justifient une intervéntion. Le contexte de la rencontre et son contenu dans l'ensemble constituaient un facteur décisif, compte tenu du mandat de l'ONE ainsi que de ses politiques et procédures. L'ONE avait été avisé que la «partie perdante» déposerait une demande de révision; le président et le vice-président de l'ONE ont rencontré certains représentants des «parties perdantes»; cette réunion avait été tenue après que l'ancien président, qui agissait pour le compte d'une des compagnies, eut commu- niqué directement avec le président, ce qui était contraire aux
règles et à la politique de l'ONE; des questions de fond impor- tantes ont été abordées, des arguments ont été invoqués à l'ap- pui de la position des représentants et des idées ont été avan- cées sur la manière dont l'ONE devrait procéder, c'est-à-dire, entreprendre une révision de sa propre initiative. Quelques jours plus tard, une demande de révision a été déposée et peu de temps après, l'ONÉ a décidé d'y donner suite et a affirmé qu'il avait retenu les arguments des requérantes. La réunion et la manière dont elle s'est déroulée étaient inéquitables à l'égard de la requérante et d'autres parties à l'instance origi- nale qui n'avaient pas eu une occasion raisonnable ou équitable de se prononcer sur l'opportunité de la révision.
La participation du président et du vice-président de l'ONE à la réunion, compte tenu de ce qui a été discuté, et leur partici pation à la décision de procéder à la révision, pouvait susciter une crainte raisonnable de partialité. Il y a lieu de leur interdire de participer à toute révision ou de procéder à une nouvelle audition de l'affaire. Il n'est pas opportun d'interdire aux autres membres de l'ONE de participer à une révision unique- ment parce qu'ils ont reçu le procès-verbal de la réunion.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), chap. N-7, art. 3(1) (mod. par. L.C. 1990, chap. 7, art. 3), 4, 6 (mod., idem, art. 4), 7(2), 8b), II, 21 (mod., idem, art. 10).
JURISPRUDENCE DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. e. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170; (1990), 75 D.L.R. (4th) 385; [1991] 2 W.W.R. 145; 2 M.P.L.R. (2d) 217; 69 Man. R. (2d) 134; 46 Admin. L.R. 161; 116 N.R. 46; Enquête énergie c. Commission de contrôle de l'énergie atomique, [1984] 2 C.F. 227; (1984), 8 D.L.R. (4th) 735; 5 Admin. L.R. 165; 13 C.E.L.R. 66; 43 C.P.C. 13 (1PC inst.); conf. par [1985] I C.F. 563; (1984), 15 D.L.R. (4th) 48; II Admin. L.R. 287; 13 C.E.L.R. 162; 56 N.R. 135 (C.A.).
AVOCATS:
J. H. Smellie et D. K. Wilson pour la requérante, CNG Transmission Corporation.
Nicol J. Schultz et Susan Brown pour l'interve- nante, Tennessee Gas Pipeline Company. John J. Marshall, c.r., pour l'intimée, St. Clair Pipelines Limited.
H. G. Intven et Robert B. Cohen pour l'intimée, TransCanada PipeLines Limited.
T. Bradbrooke Smith, c.r., T. Gregory Kane et Rowland J. Harrison pour les intimées, Roches- ter Gas & Electric Corporation et ANR Pipeline Company.
Margery A. Fowke pour l'intimé, l'Office natio nal de l'énergie.
PROCUREURS:
Osler, Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour la requérante, CNG Transmission Corporation. Fraser & Beatty, Ottawa, pour l'intervenante, Tennessee Gas Pipeline Company.
Macleod, Dixon, Calgary, pour l'intimée, St. Clair Pipelines Limited.
McCarthy, Tétrault, Toronto, pour l'intimée, TransCanada PipeLines Limited.
Stikeman, Elliott, Toronto, pour les intimées, Rochester Gas & Electric Corporation et ANR Pipeline Company.
Contentieux de l'Office national de l'énergie, Calgary, pour l'intimé, l'Office national de l'énergie.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE CULLEN: La Cour est saisie de la requête de CNG Transmission Corporation (CNG) en vue d'ob- tenir un bref de certiorari annulant la décision de l'intimé, l'Office national de l'énergie (ONÉ) en date du 9 août 1991 de procéder à la révision administra tive de sa propre décision en date du 4 juillet 1991, à l'égard de l'ordonnance d'audience GH -1-91 et un bref de prohibition interdisant aux onze membres nommés de l'ONÉ de participer à toute révision de la décision du 4 juillet 1991 ou de procéder à une nou- velle audition de l'affaire.
MOTIFS DE LA REQUÊTE
Selon la requérante, les faits qui ont entouré la décision rendue par l'ONÉ le 9 août 1991 donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité de la part des membres nommés de l'ONÉ. Ils constitueraient également un déni de justice naturelle et un manque- ment à l'obligation d'agir équitablement.
HISTORIQUE
Les faits en l'espèce intéressent deux groupes d'importantes compagnies de pipelines qui se font concurrence pour être autorisés à transporter du gaz vers les marchés du nord de l'État de New York. Ces deux groupes proposent de transporter du gaz en pro-
venance du réseau canadien de pipelines, exploité par TransCanada PipeLines Limited (TransCanada). L'un des groupes, composé des compagnies TransCanada, ANR Pipeline Company (ANR), Rochester Gas & Electric Corporation (RG&E) et St. Clair Pipelines Limited. (St. Clair), propose d'acheminer le gaz vers les marchés en question au moyen d'un nouveau pipeline dans l'État de New York appelé le «Empire State Pipeline». Ce pipeline serait relié au réseau TransCanada à la rivière Niagara, près de Chippewa (Ontario). Pour atteindre le point de jonction de la rivière Niagara, TransCanada propose de construire un pipeline de 20,6 km, nommé «prolongement de Blackhorse», et les installations connexes. Cette pro position requiert l'agrément des organismes canadien et américain de réglementation en matière d'énergie. L'installation «Empire» passerait dans des territoires dont les marchés avaient été approvisionnés jusque par CNG. Le second groupe, composé de CNG et de Tennessee Gas Pipeline Company (Tennessee) pro pose d'acheminer le gaz du réseau TransCanada en passant par un point de jonction existant sur la rivière Niagara près de Lewiston (New York). Selon cette proposition, le prolongement de Blackhorse ne serait pas nécessaire. Cependant, il faudrait construire de nouvelles installations de compression et agrandir les installations actuelles du pipeline dans l'État de New York. Cette proposition requiert également l'agré- ment des organismes de réglementation au Canada et aux États-Unis.
Le 20 juillet 1989, TransCanada a déposé une demande auprès de l'ONE pour obtenir l'autorisation de construire le prolongement de Blackhorse et les installations connexes. Dans l'ordonnance d'audience GH -l-91, l'ONE a convoqué une audience publique pour instruire l'affaire à Niagara Falls (Ontario), le 22 avril 1991. Les témoignages ont été recueillis à Niagara Falls entre le 22 et le 26 avril 1991 et les plaidoiries orales ont été entendues à Ottawa le 6 mai 1991.
Dans une lettre datée du 28 janvier 1991 (voir la pièce B annexée à l'affidavit de Henry Edwards Brown (Brown)), TransCanada, représentée par un certain M. Varga, [TRADUCTIon] «a demandé à l'Of- fice de rendre sa décision motivée ou, à titre subsi- diaire, sa décision non motivée, l'ordonnance de l'Office à l'égard du prolongement de Blackhorse
ainsi que les conditions d'agrément qui s'y rapporte- raient, et ce, avant le 3 juillet 1991, en publiant ses motifs ultérieurement, dès que possible». M. Varga avait invoqué des motifs convaincants au soutien de cette demande.
Le 4 juillet 1991, l'ONÉ a rendu sa décision (GH - 1-91) par laquelle il rejetait la demande de TransCa- nada, motifs à suivre.
Le 9 juillet 1991, l'organisme de réglementation américain, la Federal Energy Regulatory Commission (FERC) autorisait la construction de l'«Empire State Pipeline», sous réserve de l'agrément, par l'ONÉ du prolongement de Blackhorse. La FERC a rejeté, sous toutes réserves, la demande d'autorisation que CNG et Tennessee avaient faite pour construire le pipeline et certaines installations.
Le 1 1 juillet 1991, M. Varga a encore une fois prié l'ONÉ de communiquer les motifs de sa décision le" plus tôt possible, de préférence avant le 22 juillet 1991. Il a également fait savoir que TransCanada pré- voyait déposer une demande de révision (pièce D annexée à l'affidavit de Brown).
Le 16 juillet 1991, M. Edge, conseil au service de Coastal Corp. (la compagnie mère d'ANR), a com- muniqué avec le président de l'ONÉ pour organiser une réunion avec des fonctionnaires de l'ONÉ le 23 juillet 1991. M. Edge est un ancien membre et prési- dent de l'ONÉ. Cette réunion a finalement été tenue le 29 juillet 1991.
Le 25 juillet 1991, l'ONÉ a publié ses motifs à l'égard de la décision GH -l-91. L'Office a fait savoir que sa décision s'appuyait sur une conclusion selon laquelle les installations proposées du prolongement de Blackhorse n'étaient pas nécessaires et selon laquelle les marchés new-yorkais pouvaient être approvisionnés en temps utile par des moyens moins coûteux et moins dommageables pour l'environne- ment.
Le 29 juillet 1991, M. Edge et des représentants du groupe Coastal, RG&E et St. Clair (nota: M. Bergsma est vice-président de Union Gas et a com- paru comme témoin à l'audience de l'ONÉ en sa qua- lité de président de St. Clair) ont rencontré le prési- dent Priddle, le vice-président Fredette et un membre du service juridique de l'ONÉ. Les représentants des
compagnies de pipelines ont exprimé des opinions et des réactions défavorables à la décision de l'ONE. Ils ont également présenté des observations sur certains aspects de l'affaire et ont déclaré que la décision de la FERC constituait un fait nouveau par rapport à ceux sur lesquels la décision GH -1-91 était fondée, si bien qu'il y avait lieu de réviser la décision. M. Edge a suggéré que l'ONE entreprenne une révision de sa propre initiative. Le président et le vice-président ont fait savoir que, selon eux, il était peu probable que l'ONE agisse en ce sens. Il a ensuite été entendu que les compagnies représentées à la réunion pourraient présenter une demande de révision fondée sur l'ar- ticle 21 dans laquelle elles pourraient demander que l'ONE accélère le processus de révision. Cette révi- sion pourrait être accélérée si l'on se dispensait du processus de révision en deux étapes pour procéder directement à une révision quant au fond au cours de laquelle les parties disposeraient d'une période courte mais équitable afin de faire des commentaires. Au début de la réunion, M. Priddle avait accepté de com- muniquer les résultats aux autres membres de l'ONE. Quelques jours plus tard, les onze membres nommés dans la présente requête ont reçu un résumé de la réunion.
Le 2 août 1991, TransCanada, agissant en son pro- pre nom et pour le compte d'ANR, St. Clair et RG&E, a déposé une demande auprès de I'ONE pour faire réviser la décision OH-1-91, en application de l'article 21 de la Loi sur l'Office national de l'énergie [L.R.C. (1985), chap. N-7 (mod. par L.C. 1990, chap. 7, art. 10)] (la Loi). Les requérants ont fait valoir que la décision de la FERC constituait un fait nouveau qui justifiait la révision. Invoquant l'urgence, les requérants ont également demandé que l'Office se dispense de suivre le processus de révision en deux étapes visé par la Partie V des Règles de procédure de l'Office dans leur forme provisoire.
Bien que CNG et Tennessee n'aient pas été offi- ciellement avisées, elles ont reçu une copie de la demande de révision de TransCanada et elles ont demandé par écrit à l'ONE de leur accorder une occa sion raisonnable et équitable de se prononcer sur l'opportunité même d'une révision.
Cette demande est restée sans réponse. Cependant, le 9 août 1991, l'ONE a décidé d'abréger le proces-
sus de révision et a fait savoir qu'il avait été [TRADUc- Tnon] «persuadé par les arguments des requérants» qu'une révision était justifiée.
LES QUESTIONS EN LITIGE
La requérante conteste la décision du 9 août 1991 d'abréger le processus de révision et d'entreprendre la révision de la décision GH -1-91 quant au fond. Essentiellement, la Cour doit statuer s'il y a lieu d'annuler cette décision au motif que la manière dont l'ONÉ avait agi en participant à la réunion du 29 juil- let avec certains représentants des compagnies de pipelines soulève une crainte raisonnable de partialité de sa part ou constitue un déni de justice naturelle et un manquement à l'obligation d'agir équitablement du fait qu'il n'a pas respecté le principe audi alteram partem. Enfin, la Cour doit décider s'il y a lieu de décerner un bref de prohibition contre les membres de l'ONÉ, ou certains d'entre eux.
THÈSE DE LA REQUÉRANTE
La requérante CNG prétend que l'ONÉ exerçait manifestement une fonction quasi judiciaire lorsqu'il a entendu les parties au sujet du prolongement Blackhorse et lorsqu'il a statué à cet égard, si bien qu'il est assujetti aux règles de la justice naturelle et de l'équité procédurale. Selon elle, il est également clair que I'ONÉ exerce une fonction quasi judiciaire lorsqu'il est saisi d'une demande de révision ou de nouvelle audition en application de l'article 21. Par conséquent, l'ONÉ et ses membres doivent visible- ment agir sans partialité. Il faut donner à toutes les parties une occasion équitable de présenter des obser vations. L'ONÉ ne doit pas entendre des témoignages ou des observations d'une partie à l'insu des autres.
Selon la requérante, les faits en l'espèce soulèvent une crainte raisonnable de partialité. En effet, à la réunion du 29 juillet, des membres de l'Office ont fourni des conseils sur des matières qui se sont avé- rées être des assises importantes de la demande dépo- sée auprès de l'ONÉ le 2 août 1991. Selon la requé- rante, l'importance de ces conseils ne fait pas de doute vu la manière dont la demande de révision du 2 août a été rédigée, laquelle reprenait pour l'essentiel la proposition avancée par MM. Priddle et Fredette à la réunion à huis clos du 29 juillet. En outre, selon la requérante, une personne raisonnable est nécessaire-
ment amenée à conclure que la décision de M. Priddle, M. Fredette et les autres membres de l'ONE qui ont reçu les notes de la réunion à huis clos a pu être influencée par la conduite des parties jusqu'à la décision du 9 août. L'ONÉ a affirmé qu'il avait été [TRADUCrIon] «persuadé par les arguments des requé- rants» qu'une révision était justifiée. Or, la requé- rante CNG s'est demandée de quels arguments il s'agissait: ceux qui avaient été avancés à la réunion à huis clos ou ceux qui étaient énoncés dans la demande de révision?
La requérante CNG prétend également qu'en agis- sant comme il l'a fait, l'ONE a violé le principe audi alteram partem dans la mesure il a entendu des témoignages et des observations d'une partie à l'insu de l'autre. La requérante soutient que l'ONE n'a donné aucune occasion aux parties intéressées, notamment CNG, de se prononcer sur la question préliminaire relative à l'opportunité de réviser la décision GH- l -91, comme l'exigent normalement les Règles de l'Office dans leur forme provisoire.
La requérante allègue également que l'ONÉ a agi contrairement aux politiques qu'il avait lui-même établies à l'égard de ses propres membres et de ses rapports avec les tiers, notamment le cas ces der- niers communiquent avec l'Office ou ses membres. Ainsi, selon ces politiques, les membres ou les employés de I'ONÉ ne doivent jamais discuter du fond d'une demande donnée, ni donner un avis sur l'issue de celle-ci puisqu'il s'agit de questions sur lesquelles l'ONE doit statuer.
La requérante soutient que de par leur participation à la réunion à huis clos, leurs conseils gratuits sur des matières qui se sont avérées être des assises impor- tantes de la demande de révision officiellement pré- sentée quelques jours plus tard et leur participation active à la décision du 9 août, MM. Priddle et Fre- dette doivent être dessaisis de toute révision de la décision GH -1-91 ou de toute nouvelle audition de l'affaire. En outre, vu les circonstances, les autres personnes nommées dans l'avis de requête devraient également être dessaisies de l'affaire.
THÈSE DES INTIMÉS
Les divers intimés ont chacun présenté des argu ments distincts, lesquels reviennent essentiellement
au même. Tous prétendent que la décision d'entre- prendre une révision de la décision GH -1-91 ne cons- tituait pas une décision ou une ordonnance de nature administrative qui devait être rendue conformément à un processus judiciaire ou quasi judiciaire en vertu d'une règle de droit. Selon eux, la décision était d'or- dre procédural et préliminaire. En outre, elle était provisoire, de sorte qu'aucun droit, privilège ou auto- risation n'avait été définitivement touché. Il appar- tient toujours à l'ONÉ de décider, dans le cadre de l'instance de révision en cours s'il y a lieu de modi fier ou d'annuler la décision GH -1-91. Comme tel, l'ONÉ n'est pas obligé de tenir des audiences sur ces questions. Au pis aller, prétendent les intimés, l'ONÉ était tenu de respecter l'obligation d'agir équitable- ment. Selon TransCanada, les règles de l'équité pro- cédurale, notamment la règle audi alteram partem, ne s'appliquent généralement pas à des décisions préli- minaires (il en irait de même, par voie de consé- quence, du critère de la crainte raisonnable de partia- lité). TransCanada plaide que la décision d'entreprendre la révision n'aurait pas de consé- quences importantes à l'égard de CNG ou des autres parties dans la mesure il leur serait tout à fait loisi- ble de participer à l'instance de révision pour tenter de convaincre l'ONÉ de maintenir sa décision. La requérante CNG a, tout au plus, perdu son droit à plu- sieurs «essais». Par conséquent, la requérante n'a perdu aucun droit quant au fond. Les intimés ajoutent que les parties intéressées se sont fait signifier la demande de révision, laquelle comprenait la demande d'abréger la procédure de révision. Ainsi, elles ont eu l'occasion de répondre et de commenter cette demande.
Les intimés prétendent également que même si les principes de l'équité s'appliquent normalement aux demandes de révision ou de nouvelle audition, l'ONÉ a le pouvoir discrétionnaire, en vertu de la Règle 5, d'abréger ces règles dans des cas particuliers. En l'es- pèce, l'ONE a simplement choisi d'exercer son pou- voir discrétionnaire à l'égard de sa propre procédure et les intimés font remarquer qu'une Cour appelée à exercer un contrôle judiciaire doit se garder de con- trecarrer l'exercice légitime du pouvoir discrétion- naire d'un tribunal spécialisé comme l'ONE.
En ce qui a trait à la question de la crainte raison- nable de partialité, l'intimé TransCanada soutient que
le simple fait, pour un membre de l'Office d'avoir participé à une réunion préliminaire qui avait pour objet la procédure ou l'obtention de renseignements ne saurait susciter une crainte raisonnable de partia- lité. Par conséquent, le fait d'avoir reçu le procès-ver bal de cette réunion ne saurait non plus susciter une telle crainte. Toujours selon cette intimée, le fait que les membres qui ont participé à la réunion du 29 juil- let aient pu s'entretenir avec d'autres membres de l'ONÉ, lesquels ont participé à la décision d'entre- prendre la révision, ne saurait susciter une crainte rai- sonnable de partialité, de la part de ces derniers, qui justifierait qu'ils soient exclus de la révision. Selon l'intimée, une conclusion selon laquelle ces faits jus- tifient une crainte raisonnable de partialité priverait de tout son sens la maxime ne#no judex in causa sua debet esse. En outre, une telle conclusion entraverait indûment les tribunaux administratifs chargés d'exer- cer un mandat général de surveillance et de régle- mentation à l'égard d'un secteur d'activité, comme c'est le cas de I'ONE. Il ne doit pas être interdit à l'ONÉ de rencontrer les membres du secteur d'acti- vité visé, ni de prendre connaissance de développe- ments importants sur les décisions qu'il doit prendre.
Les intimés prétendent que l'allégation de CNG selon laquelle il y a aurait eu violation de la règle audi alterani partent s'applique seulement à la demande de certiorari et non à la demande de prohi bition puisque CNG et les autres parties ont eu toute latitude pour faire valoir leurs arguments au sujet des questions abordées à la réunion du 29 juillet pendant l'instance de révision en cours de I'ONÉ. Les intimés prétendent également que le fait de décerner un bref de prohibition contre tous les membres de l'ONE aurait pour effet de contrecarrer les objets de la Loi. En résumé, les intimés prétendent que la demande de CNG constitue une tentative de judiciarisation du processus de l'ONE, notamment à l'égard de réu- nions tenues alors qu'il n'y avait aucune [TRADUC- TION] «instance pertinente» pendante et à l'égard de décisions d'ordre procédural ou préliminaire rendues pendant que l'ONÉ remplissait son mandat prévu par la Loi.
CADRE LÉGISLATIF—L'OFFICE NATIONAL DE L' ÉNERGIE
L'ONÉ exerce ses pouvoirs en vertu de la Loi sur l'Office national de l'énergie, L.R.C. (1985), chap. N-7 et ses modifications. L'article 11 prévoit que 1'ONÉ est une «cour d'archives». Son mandat géné- ral consiste à exercer diverses fonctions prévues par la Loi, notamment celle d'autoriser la construction de pipelines et d'installations connexes. Aux termes du paragraphe 3(1) [mod. par L.C. 1990, chap. 7, art. 3] de la Loi, l'ONÉ est composé d'au plus neuf membres nommés par le gouverneur en conseil; en outre, jusqu'à six membres temporaires peuvent être nommés à une époque donnée (article 4). Au ler juin 1991, les personnes suivantes étaient membres de l'ONÉ: R. Priddle (président), J. G. Fredette (vice- président), R. B. Horner, c.r., W. G. Stewart, D. B. Gilmour, A. Côté-Verhaaf, M. Musgrove, C. Bélan- ger, R. Illing, D. B. Smith (membre temporaire) et K. W. Vollman (membre temporaire). Le quorum est constitué de trois membres, (paragraphe 7(2)). Le président est désigné par le gouverneur en conseil, en vertu de l'article 6 [mod., idem, art. 4] de la Loi, pour agir comme premier dirigeant de l'ONÉ. À ce titre, il en assure la direction et contrôle la gestion de son personnel.
L'article 21 de la Loi accorde à l'ONÉ le pouvoir de réviser, annuler ou modifier ses ordonnances ou décisions ou procéder à une nouvelle audition avant de statuer sur une demande.
En vertu de l'article 8 de la Loi, l'ONÉ peut établir des règles régissant notamment les modalités de pré- sentation des demandes, observations et plaintes, le déroulement de ses audiences et, de façon générale, la manière de traiter les affaires dont il est saisi (ali- néa 8b)). La Partie V des Règles de l'ONÉ dans leur forme provisoire prévoit que les demandes de révi- sion doivent être déposées auprès de la secrétaire de l'ONÉ et doivent être signifiées à toutes les per- sonnes qui étaient parties à l'instance originale. Ces parties ont ensuite vingt jours à compter de la signifi cation pour présenter une déclaration écrite, la dépo- ser et la faire signifier. Le requérant dispose alors de dix jours pour présenter une réponse (Règles 41, 42 et 43). Aux termes de la Règle 45 (Décision), l'ONÉ a pour pratique établie de traiter les demandes de
révision selon une procédure en deux étapes. Dans un premier temps, l'ONÉ décide s'il y a lieu de réviser une décision après avoir entendu les parties intéres- sées, c'est-à-dire les commentaires publics sur l'op- portunité de réviser la décision. Dans un deuxième temps, s'il décide de réviser, l'ONÉ statue alors sur la demande ou décide des procédures appropriées qui régiront le déroulement de cette révision. Cependant, en vertu de la Règle 5 des Règles dans leur forme provisoire, l'ONÉ a le pouvoir de dispenser de, l'ap- plication de ces Règles, de les modifier ou d'y sup pléer. En vertu de la Règle 7, l'ONE a le pouvoir d'abréger les délais prescrits par les Règles en
matière de révision. COMMENTAIRES
Je partage l'avis de l'intimé selon lequel la déci- sion du 9 août d'abréger la procédure de révision en deux étapes à l'égard de la décision GH -1-91 n'est pas de nature quasi judiciaire mais constitue plutôt une décision d'ordre procédural. Par conséquent, je dois décider si l'ONE est tenue de se conformer aux principes de l'équité et jusqu'où va cette obligation, le cas échéant. Je n'accepte pas l'argument de Trans- Canada selon lequel les règles de l'équité procédurale ne s'appliquent pas en l'espèce dans la mesure la décision de l'ONE a été rendue à titre préliminaire. J'estime que la question de savoir si les règles de l'équité procédurale s'appliquent doit être résolue selon l'approche exposée par le juge Sopinka dans I' arrêt Assoc. des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170, à la page
1191:
Le contenu des règles de justice naturelle et de l'équité procé- durale était autrefois déterminé en fonction de la classification des tâches du tribunal administratif ou d'un autre organisme ou fonctionnaire publics. Ce n'est plus le cas et le contenu de ces règles dépend désormais de plusieurs facteurs, dont les termes de la loi en vertu de laquelle agit l'organisme en question, la nature de la tâche particulière qu'il a à remplir et le type de décision qu'il est appelé à rendre. Ce changement d'approche se trouve résumé dans l'arrêt Syndicat des employés de produc tion du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission cana- dienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, j'af- firme (aux pp. 895 et 896):
Aussi bien les règles de justice naturelle que l'obligation d'agir équitablement sont des normes variables. Leur contenu dépend des circonstances de l'affaire, des dispositions législatives en cause et de la nature de la question à trancher. La distinction entre elles s'estompe donc lorsqu'on approche du bas de
l'échelle dans le cas de tribunaux judiciaires ou quasi judi- ciaires et du haut de l'échelle dans le cas de tribunaux adminis- tratifs ou exécutifs. C'est pourquoi on ne détermine plus main- tenant le contenu des règles à suivre par un tribunal en essayant de le ranger dans la catégorie de tribunal judiciaire, quasi judi- ciaire, administratif ou exécutif. Au contraire, on décide du contenu de ces règles en tenant compte de toutes les circons- tances dans lesquelles fonctionne le tribunal en question. [Je souligne.]
Les intimés ont plaidé que les principes de l'équité qui s'appliquaient normalement à l'égard des
audiences de l'ONE quant au fond d'une affaire ne devraient pas être appliqués avec la même rigueur au
processus par lequel l'ONE décide de procéder à une nouvelle audition. Je reconnais que le degré d'équité procédurale à appliquer en l'espèce doit être moins élevé. Cependant, il fallait quand même agir équita-
blement. Dans le cas qui nous intéresse, on peut sou- tenir que la décision de l'ONÉ a causé un préjudice à la requérante CNG dans la mesure les intimés ANR, St. Clair et RG&E se sont effectivement vu accorder deux occasions de faire valoir leur cause,
dont l'une à huis clos et en l'absence des parties ayant des intérêts opposés aux leurs. Qui plus est, CNG s'est vu priver de l'occasion de débattre de l'opportunité d'une révision.
Selon la jurisprudence, il est clair que les règles de l'équité comprennent les règles audi alteram partem et nemo judex: Enquête énergie c. Commission de contrôle de l'énergie atomique, [ 1984] 2 C.F. 227 (]re inst.); confirmé par [1985] 1 C.F. 563 (C.A.).
Comme l'a affirmé le juge Reed, à la page 234 de la décision Enquête énergie, «Je suis certain [sic] que
l'obligation d'agir équitablement énoncée par la Cour suprême dans l'arrêt Nicholson doit comporter la
condition que l'auteur d'une décision soit impartial. Toute autre conclusion saperait entièrement le con cept de l'exigence d'une obligation d'équité».
En ce qui a trait à la question de la crainte raison- nable de partialité, toutes les parties admettent que la question en litige n'est pas de savoir si les membres nommés ont effectivement un parti pris. Les avocats de la requérante ont d'ailleurs tenu à préciser qu'ils ne faisaient aucune allégation en ce sens. Il s'agirait plutôt de décider si les faits en l'espèce sont suscep- tibles de susciter, chez une personne raisonnablement
bien informée, une crainte raisonnable que le mem- bre fera preuve de partialité, même inconsciente ou involontaire dans son évaluation ou son jugement.
Le principal défaut de la décision de l'ONE tient du fait que l'idée d'abréger la procédure de révision avait été proposée par un groupe qui représentait les compagnies de pipelines qui avaient perdu en pre- mière instance au cours d'une réunion à huis clos avec certains membres de l'ONE, notamment son président et son vice-président. Si l'ONE avait rendu la décision de sa propre initiative sans être influencé par des tiers, celle-ci n'aurait pas été susceptible de contestation puisque la Loi permet à l'Office de modifier sa procédure.
Si le président Priddle et le vice-président Fredette avaient rencontré l'avocate de l'ONE le 29 juillet 1991 pour discuter la décision de la FERC et qu'en- suite le rapport de l'avocate avait été envoyé à tous les membres de l'ONE, une telle rencontre et l'avis qui aurait suivi auraient sans aucun doute relevé entièrement des pouvoirs accordés à l'ONE. À mon avis, cette manière de procéder aurait été conforme au mandat de l'ONE et elle aurait certainement été appropriée si l'avocate, dans son rapport, avait énoncé qu'ils avaient examinés le rapport de la FERC et qu'ils avaient décidé de ne pas réviser la décision de sa propre initiative, mais qu'ils attendraient plutôt que les compagnies en cause prennent l'initiative en application de l'article 21. Dans ce cas, nul n'aurait pu demander à la Cour d'intervenir. En effet, une telle intervention reviendrait manifestement à judicia- riser la procédure de l'ONE.
En l'espèce, la véritable question en litige est la suivante: la réunion qui a effectivement été tenue le 29 juillet 1991 à l'initiative de M. Edge et à laquelle ont participé des représentants du groupe Coastal, RG&E et St. Clair justifie-t-elle l'intervention de la Cour, comme le prétend la requérante et comme le conteste les intimés? À mon sens, il faut répondre par l'affirmative vu que les deux parties ont reconnu que la Cour devait examiner les faits dans leur ensemble. Comme il a été mentionné précédemment, la décision de la FERC a été rendue le 9 juillet 1991 et dans la semaine qui a suivi, M. Edge a communiqué avec le président de l'ONE pour organiser une réunion avec des fonctionnaires de l'ONE le 23 juillet 1991. Or, la
politique et les règles de l'Office exigent que toutes les communications qui lui sont destinées soient adressées à la secrétaire. Cette politique est énoncée dans une lettre de l'ONE en date du 23 avril 1980 (Pièce M annexée à l'affidavit de Brown) adressée à toutes les compagnies qui relèvent de la compétence de l'ONÉ. Cette politique est libellée en ces termes:
[TRADUCTION] Si, pour quelque raison que ce soit, des repré- sentants d'un secteur d'activité qui relève de la compétence de l'Office souhaitent rencontrer les membres de l'Office ou l'un d'eux, ils doivent s'adresser à la secrétaire en précisant le but de la réunion et les sujets qui y seront abordés. La demande et la réponse de la secrétaire font alors partie du dossier public de l'Office.
M. Edge devait connaître cette politique et devait également savoir qu'il y contrevenait manifestement lorsqu'il a communiqué directement avec le prési- dent. Or, si un autre que M. Edge avait tenté de com- muniquer avec lui de la sorte, je soupçonne que M. Priddle l'aurait informé qu'il devait passer par la secrétaire. M. Edge n'a pas été ainsi informé, ce qui n'est guère surprenant, au demeurant, puisqu'il avait longtemps occupé un poste important à l'Office. J'ai également l'impression que M. Priddle a réagi comme la plupart des gens auraient pu objectivement s'y attendre et qu'il n'a pas servi cet avertissement à M. Edge.
En outre, une note de service de l'ONE en date du 21 juillet 1987 (Pièce B annexée à l'affidavit de Brown), adressée à tout le personnel de la secrétaire par intérim de l'époque, prévoyait notamment ce qui suit:
[TRADUCTION] L'Office et son personnel sont tenus d'informer les requérants sur tout ce qui touche la procédure, les exigences en matière de dépôt et les autres questions de cet ordre mais ne doivent jamais discuter du fond d'une demande donnée ou offrir un avis sur l'issue de celle-ci puisqu'il s'agit de ques tions sur lesquelles l'Office doit statuer.
Il est clair que M. Priddle et d'autres membres de l'Office craignaient de participer à une réunion avant que I'ONÉ ne prononce ses motifs à l'égard de la décision GH -1-91. Dans une lettre datée du 30 août 1991 adressée à l'avocat de la requérante, Me F. J. Morel, avocat général adjoint, (Pièce R annexée à l'affidavit de Brown), nous avons relevé le passage suivant:
[TRADUCTION] Vous avez raison de présumer que des membres de l'Office autres que le président et le vice-président avaient
connaissance de la réunion du 29 juillet. Cependant, j'ai appris que les paragraphes introductifs des notes prises au cours de la réunion du 29 juillet qui vous ont été fournies ne sont pas tout à fait exacts dans la mesure il y est mentionné que les membres auraient discuté brièvement entre eux de la réunion avant que celle-ci n'aie lieu. En fait, au cours d'une réunion officieuse de l'Office qui a eu lieu le 22 juillet 1991, le prési- dent a informé les membres qui y étaient présents que M. C.G. Edge, agissant au nom de Coastal, avait communiqué avec l'adjoint administratif du président pour demander la tenue d'une réunion le 23 juillet avec des fonctionnaires de l'Office au sujet de la décision OH-1-91. Les membres ont affirmé qu'il serait plus opportun de tenir une telle réunion après la publica tion des motifs de la décision OH-1-91, le 25 juillet. Par consé- quent, la réunion demandée par M. Edge a été remise au 29 juillet 1991.
À mon avis, il était inopportun de tenir une telle réunion si M. Priddle n'était pas convaincu qu'il y serait seulement question de procédure. L'ONÉ s'est vu confier un puissant mandat qui s'accompagne d'une lourde responsabilité d'agir équitablement, de ne pas favoriser une partie au détriment de l'autre et de ne pas donner cette impression. Il est à propos de tenir une réunion pour discuter de procédure et ce, à mon avis, même si quelques-unes des parties seule- ment y participent pourvu qu'il soit clairement entendu qu'il y sera question de procédure seulement. M. Priddle n'avait aucun moyen de savoir que des questions autres que la procédure seraient abordées lorsqu'il a acquiescé à la demande de M. Edge pour la tenue d'une réunion. Cependant, lorsqu'ils ont reçu le document que leur avait remis M. Edge, intitulé [TRADUCTION]«Mesures que devrait prendre l'Office», le président, le vice-président et l'avocate de l'Office auraient savoir que M. Edge cherchait à obtenir davantage que des directives en matière de procé- dure. De plus, les représentants des compagnies ont exprimé leurs réactions défavorables aux motifs publiés par l'Office. D'autres questions de fond ont été abordées. Or, il aurait fallu immédiatement cesser toute discussion à leur égard ou bien annuler la réunion. Je traiterai ces questions plus loin.
Vu l'importance de cette réunion, il convient de reproduire ci-dessous le rapport rédigé par l'avocate de I'ONÉ ainsi qu'un document intitulé [TRADUCTION] «Mesures que devrait prendre l'Office» [TRADUCTION] «lequel a été employé par M. Edge aux fins de sa pré- sentation» (Pièce C annexée à l'affidavit de Brown).
[TRADUCTION] Réunion du 29 juillet 1991 au sujet du projet «Blackhorse»
Observations de MM. Geoff Edge (conseil), Jim Cordes (prési- dent de Coastal), John Bergsma (v-p de Union) et David Laniak (v-p directeur de RG&E)
Étaient présents: MM. Priddle et Fredette, Mme Fowke.
M. Priddle a affirmé qu'une réunion pouvait être régulière- ment tenue du fait que la décision et les motifs de celle-ci avaient été publiés. Selon lui, la réunion ne revêtait aucun caractère officiel en ce qui concerne la procédure de l'Office. Cependant, il s'est engagé à faire un compte rendu de la réunion aux autres membres, lesquels en avaient brièvement discuté entre eux.
Après avoir entendu leurs réactions (défavorables) aux motifs de la décision, M. Cordes a fait remarquer que la FERC avait conclu que Tennessee ne représentait pas un choix viable, contrairement à ce qui était le cas au moment l'Office avait rendu sa décision. A leur avis, il s'agissait de faits nouveaux.
RG&E a réitéré sa position selon laquelle Tennessee n'était pas un transporteur acceptable. Tennessee ne s'était pas inté- ressée à l'expansion tant que RG&E n'avait pas commencé à examiner cette possibilité elle-même et exprimé son intérêt de devenir un copropriétaire. RG&E s'est demandée si Tennessee pouvait fournir le service si, par ailleurs elle ne pouvait pas construire les installations.
Les parties ont insisté sur le besoin de construire les installa tions pour assurer le financement des compagnies.
Elles ont signalé que la NYPSC et la FERC avaient rendu des décisions à l'égard du marché new-yorkais et qu'il était malheureux qu'un organisme réglementaire dans un autre res- sort rende une décision contradictoire. M. Edge a affirmé que normalement, un organisme de réglementation respectait la décision d'un homologue. Dans le présent cas, selon lui, l'Of- fice devrait accorder de l'importance au lieu était exercé l'autre mesure de réglementation. Il a fait remarquer que la plupart des installations étaient situées aux États-Unis. Les par ties se sont demandées si l'Office aurait rendu la même déci- sion si le projet de la compagnie Tennessee n'était plus suscep tible d'être réalisé.
M. Bergsma a comparé la décision de l'ONÉ à la décision favorable de la FERC à l'égard des installations de jonction St. Clair. Il a ensuite abordé la question des marchés et a affirmé que plusieurs parties choisiraient maintenant de se procurer leur gaz des États-Unis puisque le gaz canadien ne serait plus concurrentiel. Selon lui, il est moins cher de s'approvisionner aux États-Unis qu'au Canada. Les consommateurs doivent choisir leur source d'approvisionnement tout de suite car ils ne peuvent plus se permettre d'attendre davantage. Ils ont besoin d'un moyen de transport autorisé ainsi qu'une offre ferme de gaz.
M. Edge s'est demandé comment l'Office pouvait évaluer l'intérêt public canadien sans connaître la décision américaine: selon lui, il y avait peut-être lieu de soupeser certains facteurs à
la lumière de la décision américaine. Selon lui, l'Office devrait entreprendre une révision de sa propre initiative pour que la décision de la FERC soit consignée au dossier. En effet, le temps pressait, à son avis et cette mesure hâterait les choses. La proposition de M. Edge est annexée au présent rapport.
Les membres de l'Office ont affirmé qu'à leur avis, il était peu probable que celui-ci entreprît une révision de sa propre initiative. Il a été convenu que les parties pourraient présenter une demande fondée sur l'article 21. Puisque le temps pressait, elles pourraient demander à l'Office d'accélérer la procédure de révision, de dispenser de la procédure en deux étapes au motif qu'il existe une preuve prima facie de faits nouveaux et de procéder directement à une révision quant au fond les parties disposeraient d'une période, courte mais équitable pour soumettre leurs commentaires.
Bien entendu, les membres n'ont pas précisé le temps que prendrait une telle procédure et ils n'ont pas affirmé, a fortiori que l'Office procéderait à une révision immédiate sur réception d'une demande. M. Fredette a signalé qu'il était important que les requérants fournissent une explication convaincante quant à la pertinence de la décision de la FERC. (Au cours du dîner de l'ANE le soir même, George Hugh a affirmé que la demande de TCPL était déjà rédigée).
MESURES QUE DEVRAIT PRENDRE L'OFFICE:
Entreprendre une révision de la décision (art. 21(1)) de sa propre initiative (art. 15(3)).
Une révision fondée sur l'art. 21(1) tient de la nature d'un appel. Comme tel, il est possible d'en limiter le cadre de manière à ce qu'elle porte uniquement sur les motifs parti- culiers qui y donnent lieu, sans qu'il ne soit nécessaire de réexaminer l'ensemble des procédures relatives au projet Blackhorse; elle peut être traitée par l'Office siégeant au complet ou par un comité de quelques-uns de ses membres.
Prendre connaissance judiciaire de la décision de la FERC en tenant compte notamment du fait qu'elle a refusé d'au- toriser les autres moyens par lesquels les marchés propo- sés pouvaient être approvisionnés et du fait qu'elle a auto- risé la demande de «Empire State Pipeline».
Aviser les parties que l'Office recevra leurs arguments sur la question de savoir si la décision de la FERC constitue un fait nouveau qui nécessite la révision de la décision «Blackhorse» et qu'elle a notamment rendu inopérante la conclusion de l'Office selon laquelle [TRADUCTION] «l'ex- pansion du pipeline Niagara, déjà exploité par TransCa- nada permettra d'approvisionner les marchés proposés en temps utile par des moyens moins dispendieux et moins dommageables à l'environnement».
Convoquer une audience après avoir donné un préavis d'au plus deux semaines pour entendre des plaidoiries orales sur cette question seulement.
À titre subsidiaire, fixer une période de deux semaines pour recevoir des plaidoiries écrites.
Aviser, cette semaine si possible, si l'Office entreprendra une révision pour qu'une demande officielle de révision, si nécessaire, puisse être présentée rapidement.
Malheureusement, la réunion n'a fait l'objet d'au- cun procès-verbal, de sorte que nous n'avons aucun moyen de savoir précisément qui l'a dominée, ni de connaître les auteurs des observations qui y ont été présentées ou l'importance qui aurait été accordée aux diverses observations des intimés.
Cependant, nous savons que M. Priddle a ouvert la réunion en affirmant que [TRADUCTION] «(celle-ci) pouvait être régulièrement tenue» du fait que la déci- sion et les motifs de celle-ci avaient été publiés. Il a avisé tous les participants que cette réunion ne revê- tait aucun caractère officiel en ce qui concernait la procédure de l'Office mais qu'il en ferait un compte- rendu aux autres membres [TRADUCTION] «lesquels en avaient brièvement discuté entre eux».
Ensuite, j'ai été plutôt stupéfait d'entendre que les intimés avaient fait des commentaires défavorables au sujet des motifs de la décision et que le président et le vice-président les avaient entendus. Certes, l'on ne pouvait s'attendre à ce qu'ils s'en déclarassent satisfaits. Cependant, j'estime que l'on est en droit de présumer qu'il n'y avait certainement pas lieu à ce que cette question figure à l'ordre du jour d'une réunion en matière de procédure. Apparemment, M. Cordes croyait nécessaire de signaler la décision de la FERC. A mon avis, cette intervention était déplacée dans la mesure l'Office est réputé être bien informé des décisions de la FERC, surtout une déci- sion si étroitement liée à celle qu'avait lui-même rendu l'Office. Encore une fois, ce n'était ni le moment, ni l'endroit, ni la manière de soulever la question des faits nouveaux. La question de fond sou- levée par RG&E était encore plus déplacée en l'oc- currence, notamment parce que CNG et Tennessee n'étaient pas présentes pour réfuter ces commen- taires. Les parties ont abordé une autre question de fond lorsqu'elles ont [TRADUCTION] «insisté sur le besoin de construire les installations pour assurer le financement des compagnies».
Encore une fois, au paragraphe suivant,-les intimés soulèvent d'autres questions de fond, à savoir que la décision de l'ONÉ était en conflit avec celles de la NYPSC et de la FERC, que ceci était malheureux et
que normalement un organisme de réglementation respectait la décision d'un homologue. Tout au long de ce paragraphe, M. Edge se trouve en fait à présen- ter des arguments en faveur d'une révision et même les conclusions auxquelles l'Office devrait arriver vu que la FERC et la NYPSC avaient déclaré que le pro- jet de Tennessee n'aurait pas lieu. Pour sa part, M. Bergsma a [TRADUCTION] «ensuite abordé la question des marchés et a affirmé que plusieurs parties choisi- raient maintenant de se procurer leur gaz des États- Unis puisque le gaz canadien ne serait plus concur- rentiel. Il serait moins cher de s'approvisionner aux États-Unis qu'au Canada». Tout ce paragraphe mon- tre encore une fois que plusieurs questions de fond avaient été abordées au cours de cette réunion. Nous lisons ensuite que M. Edge s'était demandé comment l'Office pouvait évaluer l'intérêt public canadien sans connaître la décision américaine et qu'il a ensuite soulevé la question de fond selon laquelle l'Office devrait entreprendre une révision de sa propre initia tive.
Il est également clair que l'Office a rendu une décision, à savoir qu'il ne devrait pas entreprendre une révision de sa propre initiative. Il a ensuite sug- géré, recommandé ou signalé aux intimés la manière la plus rapide de faire valoir leur position.
Enfin, M. Fredette signale qu'il serait important que les requérants fournissent une explication con- vaincante quant à la pertinence de la décision de la FERC. Comme l'ont suggéré les intimés, cela allait peut-être de soi. Cependant, venant de la part du vice- président, cette évidence tenait davantage d'un con- seil qu'ils auraient intérêt à suivre. Le président, le vice-président et peut-être l'avocate de l'Office, dans l'hypothèse elle avait été consultée, en sont arrivés à la conclusion que la décision de la FERC ne repré- sentait pas un fait nouveau qui pourrait les inciter à réviser leur décision de leur propre initiative. Ils n'étaient pas convaincus, si bien que M. Fredette a affirmé qu'il était important que les requérants four- nissent une explication convaincante quant à la perti nence de la décision de la FERC.
Il est indéniable que cette réunion et son déroule- ment étaient inéquitables à l'égard de la requérante et d'autres. Je suis notamment troublé par les faits sui- vants:
1. M. Edge n'a pas communiqué avec l'Office en s'adressant à la secrétaire. Il est plutôt entré directe- ment en rapport avec le président, ce qui était mani- festement contraire aux règles et aux politiques de l'Office, au su de M. Edge.
2. M. Edge avait demandé la convocation d'une réunion et il avait souhaité qu'elle fût tenue avant la publication des motifs de l'ordonnance, ce qui semble indiquer qu'il voulait influencer les motifs et, vraisemblablement, la décision elle-même.
3. D'importantes questions de fond ont été abordées au cours de cette réunion et les intimés y ont soulevé des arguments au soutien de leurs positions ferme- ment arrêtées.
4. Si les intimés voulaient savoir si la décision de la FERC représentait un fait nouveau qui pourrait inci- ter l'Office à agir de sa propre initiative, une lettre adressée à la secrétaire aurait suffi pour obtenir ce renseignement. À mon avis, il était inopportun d'ex- poser les raisons pour lesquelles il devrait le faire, particulièrement que cela ait été fait à cette réunion.
5. Dans un premier temps, les intimés ont signalé que la situation était confuse du fait que deux tribunaux avaient rendu des décisions contradictoires, ce qui était l'évidence même. Cependant, ils ont ensuite pré- senté des arguments ou des observations selon les- quels il revenait à l'ONÉ de réviser sa décision.
6. Lorsque l'Office a fait savoir qu'il avait décidé d'entreprendre une révision, il a affirmé qu'il faisait droit aux arguments des requérants; cependant, comme l'ont signalé les avocats de CNG, l'Office ne précise pas s'il s'agissait des arguments présentés à la réunion, ceux qui figuraient dans la demande ou des deux.
7. Lorsqu'ils ont quitté cette réunion, les intimés savaient fort bien que s'ils voulaient une révision, ils devraient en prendre l'initiative eux-mêmes et qu'ils devraient également fournir une explication convain- cante quant à la pertinence de la décision de la FERC. Ils avaient aussi de bonnes raisons de croire que les procédures seraient accélérées, c'est-à-dire que l'Of- fice [TRADUCTION] «procéder(ait) directement à une révision quant au fond les parties disposeraient
d'une période, courte mais équitable pour soumettre leurs commentaires».
8. Le rapport de l'avocate de l'ONÉ n'a pas été envoyé aux parties. CNG ne l'a reçu que le 22 août 1991 (Pièce L), soit après la lettre de Me Smellie du 15 août 1991 (Pièce K). Les intimés ont plaidé que cette lettre n'avait rien de secret et que la requérante aurait toujours pu se la procurer si elle l'avait deman- dée. Il est toutefois impossible de demander une chose dont on ignore l'existence, comme en l'espèce.
Dans l'ensemble, la procédure suivie par l'ONÉ peut être qualifiée, au mieux, d'«extrêmement indis- crète».
À la lumière de ce qui précède, notamment le fait que l'ONÉ avait été avisé que TransCanada allait vraisemblablement déposer une demande de révision, je souscris à la thèse de la requérante selon laquelle une personne raisonnablement informée pouvait envisager que l'ONÉ allait être appelé, à un moment donné, à rendre une décision et qu'il y avait un risque que les sujets abordés pendant la réunion pouvaient peut-être influer sur celui-ci.
Après avoir examiné les arguments qui m'ont été présenté, je partage l'avis des intimés selon lesquels il ne devrait pas être interdit aux membres de l'ONE de rencontrer des représentants du secteur d'activité en cause et des discussions ou réunions préliminaires ne suscitent pas automatiquement de crainte raison- nable de partialité. Manifestement, une intervention judiciaire n'est pas justifiée dans un cas la partie dont la demande de construction de pipelines a été accordée rencontre les membres de l'ONE pour dis- cuter du moment les travaux peuvent commencer. Cependant, en l'espèce, plusieurs faits extraordi- naires amènent des questions suffisamment trou- blantes pour justifier l'intervention de la Cour, à mon avis. Ainsi, un des facteurs décisifs qui m'a amené à statuer en ce sens a été le contexte de cette rencontre et son contenu dans l'ensemble, eu égard au mandat de l'ONÉ, ses politiques et ses procédures. Il ne s'agissait pas simplement d'un cas un membre de l'ONÉ avait participé à une réunion préliminaire en matière de procédure ou ayant pour objet de recueillir des renseignements. Il s'agissait plutôt d'une situa tion dans laquelle l'ONE avait été avisé que la «partie perdante» déposerait une demande de révision. Le
président et le vice-président de l'Office ont rencon- tré certains représentants des compagnies de pipe lines qui comptaient parmi les «parties perdantes». Cette réunion avait été tenue après que l'ancien prési- dent, qui agit maintenant pour le compte d'une des compagnies de pipelines, a communiqué directement avec le président, ce qui est contraire aux règles et aux politiques de l'ONE. Des questions de fond importantes ont été abordées au cours de cette réunion. Les représentants ont soulevé des arguments au soutien de leur position, en plus d'avancer des idées sur la manière dont l'ONE devrait procéder, c'est-à-dire entreprendre une révision de sa propre initiative. Quelques jours plus tard, ils ont déposé une demande de révision et peu de temps après, l'ONE a décidé d'y donner suite et a affirmé qu'il avait accueilli les arguments des auteurs de la demande fondée sur l'article 21.
Manifestement, la réunion du 29 juillet et la manière dont elle s'est déroulée étaient inéquitable à l'égard de la requérante et d'autres parties à l'ins- tance originale. De plus, en l'espèce, je ne crois pas que l'on puisse dire que la requérante et les autres parties intéressées ont eu une occasion raisonnable ou équitable de se prononcer sur l'opportunité de la révi- sion.
Je suis également d'avis que la participation de MM. Priddle et Fredette à la réunion du 29 juillet, compte tenu de ce qui y a été discuté et leur participa tion à la décision du 9 août de procéder à la révision de la décision GH -l-9l, peut susciter, chez une per- sonne raisonnablement bien informée, une crainte raisonnable que cette question sera évaluée et jugée avec partialité.
En conséquence, pour les motifs énoncés ci-des- sus, la Cour décernera un bref de certiorari annulant la décision de l'ONE, en date du 9 août 1991, de pro- céder à une révision administrative de sa propre déci- sion en date du 4 juillet 1991 à l'égard de l'ordon- nance d'audience GH -1-9l.
En ce qui a trait à la demande de prohibition, vu la preuve, je ne puis conclure qu'il y a lieu d'interdire aux membres nommés de l'ONE autres que MM. Priddle et Fredette de participer à une révision de la
décision du 4 juillet 1991 ou de procéder à une nou- velle audition de l'affaire. Je souscris à l'argument des intimés selon lequel il ne serait pas opportun en l'espèce de décerner un bref de prohibition contre les autres membres de l'ONÉ. En conséquence, la Cour décernera un bref de prohibition interdisant à MM. Priddle et Fredette de participer à toute révision de la décision du 4 juillet 1991 à l'égard de l'ordonnance d'audience GH -1-91 ou de procéder à une nouvelle audition de l'affaire.
La requérante a droit à ses dépens.
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