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A-1109-91
Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (requérant)
c.
Agnieszka Obstoj (intimée)
RÉPERTORIÉ: CANADA (MINISTRE DE L'EMPLOI ET DE L'IMMIGRATION) C. ORSTO.I (CA.)
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Desjardins— Montréal, 18 mars; Ottawa, 11 mai 1992.
Immigration Statut de réfugié Demanderesse souffrant de lésion permanente, ayant été battue par la police secrète polonaise Le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement a conclu qu'il n'existait plus de raison de craindre une persécution, mais il a décidé que la revendica- tion avait un minimum de fondement étant donné l'existence de raisons impérieuses permettant à la demanderesse de refuser de se réclamer de la protection de la Pologne Le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement a-t-il compétence pour appliquer l'art. 2(3) de la Loi sur l'immigra- tion? Examen de la définition légale de l'expression «réfu- gié au sens de la Convention» L'art. 2(3) confère le statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable qu'il n'y a pas lieu de les retourner lors même qu'ils ne craindraient aucune nouvelle persécution.
La demande fondée sur l'article 28 tend à l'annulation de la décision par laquelle un arbitre et un membre de la section du statut de réfugié ont statué que la revendication du statut de réfugié faite par l'intimée avait un minimum de fondement.
L'intimée, de nationalité polonaise, a revendiqué le statut de réfugié 3 son arrivée au Canada en février 1988. Le 12 mai 1991, un tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement, composé d'un arbitre et d'un membre de la sec tion du statut de réfugié, a conclu que, dans les circonstances actuelles, il n'était pas réellement possible qu'elle souffre de persécution si elle devait retourner en Pologne. Toutefois, le tribunal a conclu en outre que sa revendication avait un mini mum de fondement en raison du fait qu'elle avait des raisons impérieuses, tenant au mauvais traitement physique qu'elle avait subi au cours d'un interrogatoire tenu par la police polo naise en 1983, de ne pas se réclamer de la protection de la Pologne, comme le prévoit le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration. L'appelant prétend qu'un tribunal chargé d'éta- blir l'existence d'un minimum de fondement n'a pas compé- tence pour appliquer le paragraphe 2(3) 3 une situation il n'existe actuellement aucune crainte de persécution bien fon- dée.
Arrêt (le juge Pratte, J.C.A., étant dissident): la demande devrait être rejetée.
Le juge Hugessen, J.C.A.: Un tribunal statutaire peut se pro- noncer seulement sur les questions qui relèvent de sa compé- tence. Le paragraphe 69.1(5) de la Loi prévoit que les ques tions qui mettent en cause la perte du statut de réfugié en vertu du paragraphe 2(2) peuvent être soulevées à une audience tenue devant la section du statut de réfugié. Ces questions, tout comme, nécessairement, les questions mettant en cause l'ex- ception au paragraphe 2(2) prévue au paragraphe 2(3), relèvent donc de la compétence de la section du statut de réfugié. En vertu du paragraphe 46.01(6), l'arbitre et le membre de la sec tion du statut de réfugié sont tenus de déterminer s'il existe des éléments crédibles sur lesquels la section du statut peut se fon der pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié: ils sont donc investis du pouvoir d'entendre des éléments de preuve concernant une question qui pourrait se rapporter à une audience tenue devant la section du statut de réfugié, dont la question des circonstances impérieuses prévues au paragraphe 2(3). L'alinéa b) de la définition de réfugié au sens de la Con vention serait redondant à moins que le législateur n'ait voulu qu'un examen des questions soulevées par les paragraphes 2(2) et 2(3) soit compris dans l'examen de la question de savoir si une personne remplit les exigences de l'alinéa a) de la défini- tion. Le paragraphe 2(3) doit être interprété comme exigeant la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire dans le cas de ceux qui ont souffert d'une persécu- tion tellement épouvantable qu'on ne devrait pas les retourner lors même qu'il n'existerait plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.
Le juge Desjardins, J.C.A.: Une personne qui est visée par les dispositions sur la perte du statut des alinéas a) à d) du paragraphe 2(2) ne saurait prétendre au bien-fondé de sa crainte. Par ses propres actes, elle a cessé, en vertu de l'alinéa b) de la définition, d'être un réfugié et, en même temps, elle ne remplit pas les exigences de l'alinéa a). En vertu de l'alinéa 2(2)e), ce sont les événements externes survenus dans le pays d'origine qui éliminent le fondement de la crainte. Le para- graphe 2(2) serait redondant vis-à-vis des exigences de la défi- nition n'eût été le paragraphe (3), qui peut exclure l'application de l'alinéa (2)e). Décider que, même si la demanderesse n'a pas perdu son statut de réfugié en application du paragraphe 2(2), elle ne satisfait plus, en raison de l'élimination du motif de la crainte de persécution, à l'alinéa a) de la définition prive- rait le paragraphe 2(3) de son application, sauf uniquement dans le cadre d'une enquête pour cessation du statut de réfugié. L'intention du législateur est plutôt de reconnaître aux per- sonnes qui ont subi un traitement atroce le droit de revendiquer le statut de réfugié, même si elles ne remplissent plus les exi- gences de l'alinéa 2(1)a).
Le juge Pratte, J.C.A. (dissident): La question se pose de savoir si un étranger qui n'a plus aucun motif de craindre d'être persécuté dans son pays d'origine, mais qui ne désire pas y retourner en raison des persécutions qu'il y a subies dans le passé, peut se voir reconnaître le statut de réfugié au sens de la Convention. En 1988, l'alinéa b) a été ajouté à la définition de réfugié au sens de la Convention pour préciser l'idée qu'un demandeur de statut de réfugié doit, au moment on statue sur sa revendication,, craindre d'être persécuté dans son pays d'origine. Le législateur a cru utile de souligner que les faits
mentionnés au paragraphe 2(2) non seulement faisaient perdre le statut de réfugié auparavant reconnu, mais faisaient égale- ment obstacle à la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention. Le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement a eu tort de présumer qu'une personne qui satisfait aux conditions prescrites par l'alinéa b) peut se voir reconnaître le statut de réfugié bien qu'elle ne remplisse pas les conditions prévues à l'alinéa a). Comme l'intimée n'avait plus aucun motif de craindre la persécution, elle ne pouvait répondre aux exigences de la définition.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28. Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, art. 2(1) (mod. par L.R.C. (1985) (4e Suppl.), ch. 28, art. 1), (2) (mod. idem), (3) (mod. idem), 46.01 (édicté, idem, art. 14), 46.02(2) (édicté, idem), 67(1) (mod. idem, art. 18), 69.1(5) (édicté, idem), 69.2 (édicté, idem).
JURISPRUDENCE
DÉCISION CITÉE:
Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313; 12 Imm. L.R. (2d) 43; 129 N.R. 391 (C.A.F.).
DOCTRINE
Grahl-Madsen, Atle The Status of Refugees in Internatio nal Law, Leyden: A. W. Sijthoff, 1966.
Hathaway, James C. The Law of Refugee Status, Toronto: Butterworths, 1991.
Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Conven tion de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Genève, septembre 1979.
DEMANDE de révision et d'annulation d'une décision rendue en matière de minimum de fonde- ment par un arbitre et un membre de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Demande rejetée.
AVOCATS:
Joanne Granger pour le requérant.
PROCUREUR:
Le sous-procureur général du Canada pour le requérant.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: La demande fondée sur l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale' tend à la révision et à l'annulation de la décision par laquelle un arbitre et un membre de la section du statut de réfugié ont statué que la revendication du statut de réfugié faite par l'intimée avait un minimum de fon- dement. La demande soulève une question importante concernant un aspect de la compétence tant du tribu nal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement que de la section du statut de réfugié elle- même. Elle porte sur l'interprétation de certains articles de la Loi sur l'immigration 2 dont on ne peut pas dire qu'ils soient un modèle de clarté quant à leur rédaction. L'omission par l'intimée de comparaître ou de se faire représenter à l'audience complique le règlement de l'affaire.
L'intimée est citoyenne polonaise. Elle est arrivée au Canada en février 1988, et elle a revendiqué le sta- tut de réfugié. Sa revendication a, en temps utile, été déférée à un tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement, lequel tribunal était com- posé d'un arbitre et d'un membre de la section du sta- tut de réfugié qui ont, le 12 mai 1991, rendu la déci- sion contestée. Dans cette décision, les membres du tribunal ont conclu que, étant donné le changement dans la situation actuelle du pays d'origine de l'inti- mée, il n'était réellement pas possible qu'elle souffre de persécution si elle devait y retourner. L'essentiel de la décision figure dans les passages suivants:
[TRADUCTION] Ayant examiné attentivement les documents présentés par le représentant du ministre, nous ne sommes pas d'accord avec vous sur la situation politique actuelle en Pologne. Il ressort de notre évaluation de la preuve documen- taire que, bien qu'en Pologne de nombreux problèmes persis tent, l'appareil d'État s'oriente manifestement vers une pleine démocratie, processus qui prendra du temps pour être complété et s'améliorer. En conséquence, nous ne trouvons pas crédible la crainte générale que vous avez exprimée concernant l'insta- bilité et les répercussions politiques possibles pour vous en rai- son de la situation actuelle en Pologne.
Toutefois, étant donné la preuve que vous avez été battue par la police secrète polonaise au cours d'un interrogatoire auquel vous avez été convoquée, ce qui a causé des lésions perma- nentes à vos reins, nous nous référons à l'article 2, paragraphe 3 de la Loi sur l'immigration du Canada pour conclure qu'il existe, dans votre cas, des raisons impérieuses vous permettant de refuser de vous réclamer de la protection de la Pologne.
I L.R.C. (1985), ch. F-7. 2 L.R.C. (1985), ch. 1-2.
Nous concluons que votre revendication a un minimum de fondement. En conséquence, votre revendication sera déférée au second palier d'audience, c'est-à-dire à la section du statut de réfugié.
En bref, le requérant prétend que le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement n'avait pas compétence pour appliquer les disposi tions du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28, art. I]. Ce paragraphe doit être interprété en tenant compte du paragraphe précédent 2(2) [mod. idem]:
2....
(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Con vention dans les cas où:
a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protec tion du pays dont elle a la nationalité;
b) elle recouvre volontairement sa nationalité;
c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protec tion du pays de sa nouvelle nationalité;
d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;
e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.
(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.
À l'évidence, les paragraphes 2(2) et 2(3) font état de la perte du statut de réfugié, c'est-à-dire de la situation envisagée par l'article 69.2 [édicté, idem, art. 18] de la Loi:
69.2 (1) Le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de déterminer s'il y a ou non perte du statut de réfugié au sens de la Convention par une personne qui s'est vu recon- naître ce statut aux termes de la présente loi ou de ses règle- ments.
(2) Avec l'autorisation du président, le ministre peut, par avis, demander à la section du statut de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Conven tion accordée en application de la présente loi ou de ses règle- ments et d'annuler cette reconnaissance, au motif qu'elle a été obtenue par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important, même si ces agissements sont le fait d'un tiers.
(3) L'autorisation requise dans le cadre du paragraphe (2) se demande par écrit et ex parte; le président peut l'accorder s'il
est convaincu qu'il existe des éléments de preuve qui, portés à la connaissance de la section du statut, auraient pu modifier la décision.
(4) Les avis mentionnés dans le présent article sont déposés auprès de la section du statut selon les modalités fixées par les règles de la Commission.
(5) Le ministre envoie sans délai un double de l'avis déposé aux termes du paragraphe (4) à l'intéressé.
De par sa formulation, cette disposition ne peut s'appliquer qu'à une personne «qui s'est vu recon- naître ce statut (de réfugié au sens de la Conven tion)», c'est-à-dire après qu'il y a eu une reconnais sance initiale du statut de réfugié de la part de la section du statut; logiquement, elle ne saurait entrer en jeu à l'audience portant sur le minimum de fonde- ment qui doit nécessairement précéder une telle reconnaissance.
En outre, puisque la section du statut tient du para- graphe 67(1) 3 [mod. idem] une compétence exclusive sur ces questions, il s'ensuit que, selon le requérant, le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement n'est nullement autorisé à se prononcer sur la question de perte de statut, ni même à examiner son application possible.
Je noterais en passant qu'il en découle logiquement que, si l'argument invoqué par le requérant est fondé, non seulement le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement n'a pas compétence sur les questions de perte de statut de réfugié, mais qu'il est en de même pour la section du statut de réfugié elle-même lorsqu'elle siège pour trancher une reven- dication initiale du statut de réfugié en vertu de l'ar- ticle 69.1 [édicté, idem].
Après avoir examiné la question de la façon la plus attentive possible, je suis parvenu à la conclusion que la demande doit être rejetée.
La compétence du tribunal chargé d'établir l'exis- tence d'un minimum de fondement est prévue au paragraphe 46.01 (6) [édicté, idem, art. 14]:
3 67. (1) La section du statut a compétence exclusive, en matière de procédures visées aux articles 69.1 et 69.2, pour entendre et juger sur des questions de droit et de fait, y compris des questions de compétence.
46.01.. .
(6) L'arbitre ou le membre de la section du statut concluent que la revendication a un minimum de fondement si, après examen des éléments de preuve présentés à l'enquête ou à l'au- dience, ils estiment qu'il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié au sens de la Convention. Parmi les éléments présentés, ils tiennent compte notamment des points suivants:
a) les antécédents en matière de respect des droits de la per- sonne du pays que le demandeur a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté;
b) les décisions déja rendues aux termes de la présente loi ou de ses règlements sur les revendications était invoquée la crainte de persécution dans ce pays.
En bref, le tribunal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement est tenu de déterminer s'il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur lesquels la section du statut peut se fonder, pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié. Si l'un ou l'autre des membres du tribunal ou les deux déci- dent en faveur du demandeur, le paragraphe 46.02(2) 4 [édicté, idem] exige d'eux qu'ils défèrent l'affaire à la section du statut qui est alors habilitée par l'article 69.1 à tenir une audience portant sur la revendication.
À l'évidence, ces dispositions ont pour consé- quence d'investir le tribunal chargé d'établir l'exis- tence d'un minimum de fondement du pouvoir d'en- tendre des éléments de preuve concernant une question qui pourrait se rapporter à une audience
4 46.02...
(2) Si au moins l'un d'eux conclut à la recevabilité de la revendication, et au moins l'un d'eux conclut que celle-ci a un minimum de fondement, l'arbitre et le membre de la sec tion du statut prononcent leur décision, motifs à l'appui, le plus tôt possible, en présence du demandeur si les circons- tances le permettent, et défèrent sans délai le cas à la section du statut, selon les modalités prévues par les règles de la Commission. S'il s'agit d'une enquête, l'arbitre prend ensuite les mesures qui s'imposent aux termes des para- graphes 32(l), (3) ou (4) ou de l'article 32.1.
tenue par la section du statut en application de l'ar- ticle 69.1.
Le paragraphe 69.1(5) est ainsi rédigé: 69.1.. .
(5) À l'audience, la section du statut est tenue de donner à l'intéressé et au ministre la possibilité de produire des élé- ments de preuve, de contre-interroger des témoins et de pré- senter des observations, ces deux derniers droits n'étant toute- fois accordés au ministre que s'il l'informe qu'à son avis, la revendication met en cause la section E ou F de l'article pre mier de la Convention ou le paragraphe 2(2) de la présente loi.
J'estime qu'il ressort très clairement du texte du paragraphe 69.1(5) que le paragraphe 2(2) peut être «mis en cause» à une audience tenue en application de l'article 69.1 5 . Nous nous trouvons devant un tri bunal statutaire, et les seules questions qui puissent être soulevées à ses audiences sont celles qui relèvent de sa compétence. Je suis certain que si les questions mettant en cause le paragraphe 2(2) relèvent de la compétence de la section du statut à l'occasion d'une audience tenue en application de l'article 69.1, comme elles se doivent, les questions mettant en cause le paragraphe 2(3), étant l'exception à l'alinéa 2(2)e), relèvent également de cette compétence.
Il s'ensuit, à mon avis, que puisque la section du statut, lorsqu'elle connaît d'une revendication du sta- tut de réfugié, peut entendre la preuve et examiner les questions soulevées par le paragraphe 2(3), le tribu nal chargé d'établir l'existence d'un minimum de fondement, lorsqu'il tranche la question de savoir s'il existe des éléments crédibles ou dignes de foi sur les- quels la section du statut peut se fonder pour se pro- noncer en faveur du demandeur, peut le faire égale- ment.
Ma conclusion se trouve renforcée par le fait qu'elle sert à éclairer et à expliquer ce qui serait par ailleurs une tautologie incompréhensible dans la défi- nition de «réfugié au sens de la Convention» figurant au paragraphe 2(1) [mod. idem, art. 1]:
«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
s Je note que le texte français du paragraphe 69.1(5) s'oriente, on peut le dire, même plus fermement dans cette direction que le texte anglais.
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) soit, si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Conven tion en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'ar- ticle premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.
À première vue, l'alinéa b) de cette définition semble tout à fait inutile et en fait redondant. Si une personne remplit les exigences de l'alinéa a), toutes ces exigences étant exprimées au temps présent, il est clair que cette personne n'est pas visée par l'alinéa b), qui, par son renvoi au paragraphe 2(2), prévoit cinq cas distincts dont l'un quelconque est à l'évi- dence la négation de l'un des éléments de la défini- tion figurant à l'alinéa a). De même, quiconque ne remplit pas les exigences de l'alinéa b) ne remplirait pas non plus celles de l'alinéa a).
La solution à cette énigme, à ce que je vois, doit résider dans le fait que le législateur a voulu qu'un examen des questions soulevées au paragraphe 2(2) (et nécessairement du paragraphe 2(3) également) soit compris dans l'examen de la question de savoir si une personne remplit les exigences de l'alinéa a) de la définition. Une telle intention est conforme au pla cement des paragraphes 2(2) et 2(3) dans l'article de la Loi portant sur la définition plutôt que, comme la logique le laisserait par ailleurs entendre, dans l'ar- ticle 69.2 portant sur la perte de statut ou dans un article adjacent à celui-ci.
Pour exposer la question d'une autre façon, le législateur a élargi la portée des paragraphes 2(2) et 2(3), bien que, d'emblée, ceux-ci semblent porter uniquement sur la perte du statut de réfugié qui a déjà été acquis, pour les incorporer dans la définition au moyen de l'alinéa b), de sorte que leur examen fasse partie du processus décisionnel lui-même.
Il ne fait pas de doute que, en le faisant, le législa- teur est allé au-delà de ce qui est exigé par le texte de
la Convention. L'article 1 C(5) de ce document dont, à l'évidence, s'inspire le paragraphe 2(3) de notre Loi, s'applique, de par sa formulation, seulement aux réfugiés «statutaires», c'est-à-dire à ceux dont le sta- tut en tant que tel avait été reconnu antérieurement à la date de la Convention. Quelle que soit l'interpréta- tion du paragraphe 2(3), elle doit s'étendre à qui- conque a été reconnu comme réfugié à un moment donné, même bien après la date de la Convention. Il n'est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités cana- diennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c'est- à-dire ceux qui ont souffert d'une persécution telle- ment épouvantable que leur seule expérience consti- tue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.
Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer unique- ment à une petite minorité de demandeurs actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l'avocat n'en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l'échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir si elles ont obtenu la reconnaissance du statut de réfu- gié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d'origine. En fait, une interprétation qui produisait un tel résultat me semblerait à la fois répu- gnante et absurde. Elle rendrait également, ainsi qu'il a été noté, l'alinéa 69.1 (5)b) tout à fait incompréhen- sible.
En conséquence, je conclus que le tribunal d'accès est en droit d'entendre et d'examiner la preuve des questions mises en cause par le paragraphe 2(3) et, s'il conclut que ces éléments de preuve sont crédibles et dignes de foi, d'estimer que la section du statut peut se fonder sur ces éléments et sur tous les autres faits pertinents pour reconnaître à l'intéressé le statut de réfugié.
Je rejetterais la demande.
6 Le tribunal en l'espèce a, dans le passage précité, utilisé de façon regrettable et inopportune la formulation [TRADUC- TION] «il existe ... des raisons impérieuses». Rien ne porte sur cette erreur.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A.: La définition de «réfu- gié au sens de la Convention» que l'on retrouve à l'alinéa 2(1)a) de la Loi sur l'immigration 7 est struc turée de la manière suivante:
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«réfugié au sens de la Convention». Toute personne
(a) qui, craignant avec raison ...
(I)... (ii) .. .
(b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Con vention en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition . .
Contrairement à la position prise par le requérant, j'estime que l'alinéa 2(1)b), ajouté lors des amende- ments de 1988, fait partie intégrante de la définition de réfugié au sens de la Convention et que le revendi- cateur doit satisfaire aux exigences des deux alinéas au moment de la revendication du statut et tout au long par la suite, même après que le statut lui a été reconnu. Il existe de plus un rapport constant entre les cas prévus à l'alinéa 2(1)b) et l'exigence d'une crainte bien fondée prévue à l'alinéa 2(1)a) de la définition.
Le paragraphe (2) auquel fait référence l'alinéa 2(1)b) de la définition se lit en effet comme suit:
(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Con vention dans les cas où:
a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protec tion du pays dont elle a la nationalité;
b) elle recouvre volontairement sa nationalité;
c) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protec tion du pays de sa nouvelle nationalité;
d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;
e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.
7 L.R.C. 1985, ch. 1-2 [mod. par L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 28].
Chacun des quatre premiers alinéas du paragraphe 2, soit les alinéas a), b), c) et d), suppose le cas d'une personne qui pose un geste contradictoire à la notion de réfugié au sens de la Convention; par exemple, se réclamer de nouveau et volontairement de la protec tion du pays de sa nationalité; ou recouvrer volontai- rement cette nationalité ou acquérir une nouvelle nationalité et jouir de la protection du pays de sa nou- velle nationalité; ou retourner volontairement s'éta- blir dans le pays qu'il a quitté ou hors duquel il est demeuré de crainte d'être persécuté. Une personne, alors, ne pourra jamais prétendre au bien-fondé de sa crainte. Elle a manifestement cessé d'être un réfugié au sens de la Convention d'abord parce qu'elle ne satisfait plus à l'alinéa 2(l )b) et, en même temps, elle ne rencontre pas les exigences de l'alinéa 2(1)a).
Dans le cas de l'alinéa 2(2)e), il n'est plus question d'un geste posé par le revendicateur et qui soit con- traire à l'idée d'une crainte bien fondée. Il s'agit de changements survenus dans le pays d'origine qui font cesser ses raisons de craindre. Le revendicateur ne rencontre plus l'exigence de l'alinéa 2(1)b) de la définition. Sa crainte n'est manifestement plus fon- dée selon l'alinéa 2(1)a).
C'est ce qui fait dire que le paragraphe (2) est redondant vis-à-vis l'alinéa 2(1)a) de la définition.
C'est alors qu'intervient le paragraphe (3) de l'ar- ticle 2 qui constitue une exception à l'alinéa 2(2)e).
(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée. [Je sou- ligne.]
Le paragraphe (3) crée une justification qui écarte l'application de l'alinéa 2(2)e). Ce résultat a-t-il un impact sur l'alinéa 2(1)a) de la définition? Peut-on affirmer que, malgré qu'une personne satisfasse alors à l'alinéa 2(1)b), elle ne satisfait pas à l'alinéa 2(1)a) parce que sa crainte de persécution n'est plus objecti- vement fondée suite aux changements survenus dans son pays?
Répondre affirmativement à cette question, sans plus, équivaut à dire qu'un revendicateur ne pourra jamais invoquer le paragraphe 2(3) de la Loi au pre mier niveau et, par conséquent, non plus au deuxième
niveau dans le cadre de l'enquête menée selon l'ar- ticle 69.1. Le paragraphe 2(3) ne pourra alors être invoqué que devant la section du statut dans le cadre d'une enquête pour cessation du statut de réfugié selon le paragraphe 69.2(2) de la Loi.
Ce résultat me paraît contraire à l'intention du Par- lement.
Selon les notes explicatives accompagnant le pro- jet de loi C-55 modifiant la Loi sur l'immigration de 1976 8 , les paragraphes 2(2) et (3) ont été ajoutés à la définition de réfugié au sens de la Convention afin de «faire mieux coïncider celle-ci avec la Convention des Nations Unies relative aux réfugiés». L'intention était donc sans aucun doute de permettre aux réfugiés «dits statutaires» 9 de réclamer le statut de réfugié. Or, ces personnes ne rencontrent manifestement pas les exigences de l'alinéa 2(1)a). N'ayant pas ajouté les limites prévues au paragraphe 1 de la section A de l'article premier de la Convention, le Parlement cana- dien a, de plus, forcément étendu l'application de la Convention à toutes les personnes dites dans des cir- constances spéciales.
x Deuxième session, trente-troisième législature, 35-36 Eli- zabeth II, 1986-87, Chambre des communes du Canada, pre- mière lecture le 5 mai 1987.
9 11 s'agit de ceux mentionnés au paragraphe 1 de la section A de l'article premier de la Convention, lequel déclare:
A. Aux fins de la présente Convention, le terme «réfugié» s'appliquera 'a toute personne:
I) Qui a été considérée comme réfugiée en application des Arrangements du 12 mai 1926 et du 30 juin 1928, ou en application des Conventions du 28 octobre 1933 et du 10 février 1938 et du Protocole du 14 septembre 1939, ou encore en application de la Constitution de l'Organisation internationale pour les réfugiés.
Dans le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de l95/ et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Genève, septembre 1979 à la p. 34, on retrouve l'explication suivante:
... l'exception procède d'un principe humanitaire assez général qui peut également être appliqué à des réfugiés autres que les réfugiés statutaires. Il est fréquemment admis que l'on ne saurait s'attendre qu'une personne qui a été victime—ou dont la famille a été victime—de formes atroces de persécution accepte le rapatriement. Même s'il y a eu un changement de régime dans le pays, cela n'a pas nécessairement entraîné un changement complet dans l'at- titude de la population ni, compte tenu de son expérience passée, dans les dispositions d'esprit du réfugié.
L'intention du législateur est de reconnaître que ces personnes puissent réclamer le statut de réfugié en dépit du fait qu'elles ne rencontrent pas les exi- gences de l'alinéa 2(1)a). Leur réclamation ne peut être formulée qu'au premier niveau. La Loi reconnaît donc que s'il existe des circonstances spéciales, une revendication est bien fondée, même si la crainte de persécution elle-même n'est plus objectivement fon- dée.
Je ne puis expliquer autrement la difficulté de rédaction qui apparaît dans la définition.
Le reste est une question de preuve que chaque palier décisionnel, le premier et le second niveau, a charge d'appliquer selon la juridiction qui lui est dévolue 10 .
Le tribunal en l'espèce a bien décidé. Il appartient au ministre, s'il veut contester cette décision devant la section du statut, de suivre la procédure prévue au paragraphe 69.1(5).
Je disposerais de cette affaire tel que le suggère le juge Hugessen.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE, J.C.A. (dissident): Ce pourvoi ne soulève qu'une question: la Loi sur l'immigration permet-elle que l'on reconnaisse le statut de réfugié au sens de la Convention à un étranger qui n'a plus aucun motif de craindre d'être persécuté dans son pays mais qui refuse néanmoins d'y retourner à cause des persécutions qu'il y a subies dans le passé?
Pour comprendre cette question, il faut avoir à l'es- prit la définition de l'expression «réfugié au sens de la Convention» que donne le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration ainsi que les dispositions rela tives à la perte du statut de réfugié que contiennent les paragraphes 2(2) et (3):
2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«réfugié au sens de la Convention» Toute personne:
10 Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion) (1990), 74 D.L.R. (4th) 313 (C.A.F.).
a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques:
(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,
(ii) soit si elle n'a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ou, en raison de cette crainte, ne veut y retourner;
b) qui n'a pas perdu son statut de réfugié au sens de la Con vention en application du paragraphe (2).
Sont exclues de la présente définition les personnes soustraites à l'application de la Convention par les sections E ou F de l'ar- ticle premier de celle-ci dont le texte est reproduit à l'annexe de la présente loi.
(2) Une personne perd le statut de réfugié au sens de la Con vention dans les cas où:
a) elle se réclame de nouveau et volontairement de la protec tion du pays dont elle a la nationalité;
b) elle recouvre volontairement sa nationalité;
e) elle acquiert une nouvelle nationalité et jouit de la protec tion du pays de sa nouvelle nationalité;
d) elle retourne volontairement s'établir dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée;
e) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister.
(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.
L'intimée est polonaise. Elle a quitté la Pologne en 1986, a vécu en Angleterre et ensuite est arrivée au Canada le 26 février 1988. Elle a aussitôt manifesté son intention de revendiquer le statut de réfugié, mais ce n'est que le 12 avril 1991 qu'elle comparut devant l'arbitre et le membre de la section du statut de réfu- gié chargés de décider si sa revendication avait un minimum de fondement. Au terme de leur enquête, l'arbitre et le membre conclurent qu'il n'existait aucune preuve crédible que l'intimée risquerait d'être persécutée si elle retournait en Pologne. Malgré cela, cependant, ils jugèrent que sa revendication avait un minimum de fondement parce que, comme la preuve révélait que l'intimée avait été persécutée par les autorités polonaises avant 1985, on pouvait croire
que cette persécution la justifiait de ne pas vouloir se réclamer de la protection de son pays. Sur ce point, l'arbitre et le membre de la section du statut s'expri- mèrent comme suit:
[TRADUCTION] Toutefois, étant donné la preuve que vous avez été battue par la police secrète polonaise au cours d'un interro- gatoire auquel vous avez été convoquée, ce qui a causé des lésions permanentes à vos reins, nous nous référons à l'article 2, paragraphe 3 de la Loi sur l'immigration du Canada pour conclure qu'il existe, dans votre cas, des raisons impérieuses vous permettant de refuser de vous réclamer de la protection de la Pologne. La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'af- faire Paszkowska (C.A.F., A-724-90, le 16 avril 1991) appuie indéniablement la compétence du tribunal d'accès en matière d'examen du changement de circonstances dans le pays d'ori- gine du demandeur de statut. En s'exprimant au nom de la Cour, le juge Hugessen renvoie au paragraphe 2(3) de la Loi pour souligner que les circonstances spéciales dont il est ques tion dans cet article constituent une exception à la règle géné- rale selon laquelle la revendication du demandeur saurait avoir un minimum de fondement lorsqu'il n'est plus raisonnable pour lui de craindre d'être persécuté. La brutalité de la police secrète polonaise dont vous avez été victime en 1983 constitue, 3 notre avis, une de ces «circonstances spéciales».
Nous concluons que votre revendication a un minimum de fondement. En conséquence, votre revendication sera déférée au second palier d'audience, c'est-à-dire à la section du statut de réfugié.
L'arbitre et le membre de la section du statut devaient juger, comme l'indique le paragraphe 46.01(6), s'il existait dans la preuve qui leur avait été présentée des éléments dignes de foi qui pourraient permettre à la section du statut de reconnaître à l'inti- mée le statut de réfugié au sens de la Convention. Leur décision suppose donc qu'ils estimaient que la preuve qui leur avait été présentée aurait pu permettre à la section du statut de conclure que l'intimée répon- dait à la définition que donne le paragraphe 2(1) de l'expression «réfugié au sens de la Convention». Et il semble que, à leurs yeux, l'intimée pouvait satisfaire aux conditions prévues à l'alinéa a) de cette défini- tion puisque, lors de son arrivée au Canada, elle avait de justes motifs de craindre d'être persécutée à cause de ses opinions politiques si elle retournait chez elle, et qu'elle pouvait aussi satisfaire aux conditions pré- vues à l'alinéa b) puisque le paragraphe 2(3) permet- tait de croire qu'elle n'avait pas perdu depuis son arrivée ici le statut de réfugié qui était le sien à ce moment-là.
L'avocate du requérant s'en est prise à cette déci- sion au motif principal que, contrairement à ce qu'ont supposé l'arbitre et le membre de la section du statut, l'alinéa b) de la définition et les paragraphes 2(2) et (3) ne concerneraient que les personnes dont le statut de réfugié a déjà été reconnu en vertu de la loi. Comme il est constant que l'intimée n'a jamais béné- ficié de pareille reconnaissance, il s'ensuivrait, sui- vant cet argument, que l'intimée ne pouvait tirer avantage du paragraphe 2(3).
Ce raisonnement me semble fondé sur une fausse prémisse, savoir, que l'alinéa b) de la définition et les paragraphes 2(2) et (3) ne concernent que ceux à qui le statut de réfugié a été officiellement reconnu. Si tel était le cas, la présence de l'alinéa b) dans la défini- tion serait inexplicable. En effet, la seule utilité de cette définition est de permettre de statuer sur les revendications faites par ceux qui prétendent être des réfugiés au sens de la Convention. Or, d'une part, on ne peut perdre le statut de réfugié «reconnu» avant de l'avoir obtenu et, d'autre part, celui à qui on a reconnu le statut de réfugié est, suivant le paragraphe 46.01(1), irrecevable à le revendiquer de nouveau.
Si le législateur a cru bon d'ajouter l'alinéa b) à la définition de l'expression «réfugié au sens de la Con vention» en 1988, c'est parce qu'il voulait appuyer davantage sur l'idée qu'énonce déjà l'alinéa a) qu'une personne doit, pour se voir reconnaître le sta- tut de réfugié au sens de la Convention, avoir au moment on statue sur sa revendication de justes motifs de craindre d'être persécutée si elle retourne chez elle. Conscient que l'existence de ces justes motifs de crainte doit nécessairement s'inférer de faits passés, le Parlement a cru utile de souligner, en ajoutant l'alinéa b) à la définition, que les faits men- tionnés au paragraphe 2(2), non seulement faisaient perdre le statut de réfugié reconnu, mais faisaient obstacle à la reconnaissance de ce statut".
I I Grahl-Madsen exprimait la même idée:
[TRADUCTION] «Le fait qu'une personne soit visée par une clause de cessation avant d'être officiellement reconnue en tant que réfugiée, a été considéré comme un obstacle à sa reconnaissance ... » Grahl-Madsen, Atle., The Status of Refugees in International Law, à la p. 370 (1966), cité par James C. Hathaway, The Law of Refugee Status, à la p. 190, note 10.
Ce n'est pas à dire que la décision attaquée soit à l'abri de toute critique. Elle est en effet fondée sur une erreur très grave. Cette erreur, c'est d'avoir cru qu'une personne peut se voir reconnaître le statut de réfugié au seul motif qu'elle satisfait aux conditions prescrites par l'alinéa b) de la définition sans égard au fait qu'elle ne satisfait pas aux conditions prévues à l'alinéa a). Il suffit de lire la définition du para- graphe 2(1) pour constater qu'un réfugié au sens de la Convention doit nécessairement satisfaire à toutes les conditions prévues dans la définition. L'intimée, sui- vant les constatatiôns de l'arbitre et du membre de la section du statut, ne satisfaisait manifestement pas aux conditions prescrites par l'alinéa a) de la défini- tion puisqu'elle n'avait plus aucun motif de craindre la persécution. Il s'ensuit, à mon sens, qu'elle ne pou- vait répondre aux exigences de la définition, même si, par ailleurs, elle pouvait satisfaire Aux conditions prescrites par l'alinéa b).
Je ferais droit à la demande, je casserais la décision attaquée et je renverrais l'affaire pour qu'elle soit décidée de nouveau en tenant pour acquis que la Loi sur l'immigration ne permet pas qu'on reconnaisse le statut de réfugié au sens de la Convention à l'étranger qui n'a plus de raison de craindre d'être persécuté dans son pays, pour le seul motif que la persécution dont il a souffert dans le passé le justifie de refuser de se réclamer de la protection de ce pays.
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