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T-2277-86
Corena Doris Clow (demanderesse)
c.
Sa Majesté la Reine (défenderesse)
RÉPERTORIA' CLOW c. M.R.N. (Ire /NST.)
Section de première instance, juge en chef adjoint Jerome—Vancouver, 12 juillet 1991; Ottawa, 23 jan- vier 1992.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité Demande d'ordonnance déclarant inopérant l'art. 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu parce qu'il violerait les droits de la demanderesse garantis par l'art. 7 de la Charte Le délai initial de 90 jours prévu à l'art. /65 peut être prorogé au cours d'une autre période d'un an prévue à l'art. /67(5)a) L'appel à l'encontre de la cotisation n'a pas été interjeté dans le délai imparti et la demande de prorogation a été rejetée pour défaut de poursuivre La demanderesse soutient que la perte de son droit d'appel a des conséquences pécuniaires qui portent atteinte directement à son bien-être physique et psychologique Mention de décisions de la C.A.C.-B. statuant que la prescription des actions en dom- mages-intérêts n'est pas incompatible avec l'art. 7 de la Charte comme les demandeurs recherchent une réparation d'ordre pécuniaire La demanderesse réclame une répara- tion de nature pécuniaire non visée par l'art. 7 de la Charte La prorogation respecte l'exigence du caractère excessif du retard avant le retrait du recours La demanderesse a eu la possibilité de démontrer la violation de ses droits garantis par la Charte si la disposition législative était appliquée.
Impôt sur le revenu Nouvelle cotisation L'art. /67(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu prévoit la prorogation d'un an du délai initial de 90 jours accordé à l'art. 165 pour le dépôt d'un avis d'opposition à une nouvelle cotisation La demanderesse, qui n'a pas déposé son avis dans le délai imparti, affirme que les répercussions pécuniaires de la perte de son droit d'appel portent atteinte à son bien-être physique et psychologique L'art. /67(5)a) ne viole pas l'art. 7 de la Charte.
Compétence de la Cour fédérale Section de première ins tance L'opposition aux avis de nouvelle cotisation n'a pas été déposée dans les délais impartis aux art. /65 et /67(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu L'argument voulant que l'art. 167(5)a) viole le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garanti par l'art. 7 de la Charte est rejeté comme la demanderesse recherche une réparation de nature pécuniaire non visée à l'art. 7 Si les délais prévus aux art. 165 et 167 ne sont pas respectés, la Cour n'a pas compé- tence pour juger l'action.
Il s'agit d'une demande d'ordonnance portant que l'ali- néa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu viole l'article 7 de la Charte et qu'il est inopérant. Le comptable de la deman-
deresse a omis de déposer un avis d'opposition aux nouvelles cotisations dans le délai imparti. La demanderesse a demandé à la Cour de l'impôt la prorogation du délai applicable au dépôt de l'avis d'opposition. La demande a été rejetée pour défaut de poursuivre, personne n'ayant comparu pour la demanderesse qui, selon son affidavit, était hospitalisée à l'époque. La demanderesse a alors interjeté, auprès de la Cour de l'impôt, un appel qui a été rejeté pour manque de compétence. La demanderesse a intenté cette action pour obtenir la prorogation du délai applicable au dépôt des avis d'opposition, soutenant que la Cour avait la compétence nécessaire pour lui accorder une prorogation puisqu'elle avait été privée de son droit d'ex- poser son cas pour une simple question de procédure. Elle a aussi allégué que la défenderesse avait retenu des documents dont elle avait besoin pour rédiger des avis d'opposition régu- liers. Suite à la requête de la défenderesse visant la radiation de la déclaration pour défaut de poursuivre, la demanderesse a déposé la présente demande, soutenant qu'elle devrait être exemptée de l'application de l'alinéa 167(5)a) et que la Cour devrait pouvoir étudier le bien-fondé de sa demande de proro- gation car, dans les circonstances de l'espèce, l'alinéa 167(5)a) violerait l'article 7 de la Charte. La requête en rejet a été ajour- née en vue de l'étude du moyen fondé sur la Charte.
En vertu du paragraphe 165(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, le contribuable a 90 jours à compter de la date d'expé- dition à la poste de l'avis de cotisation pour signifier un avis d'opposition. L'alinéa 167(5)a) permet d'accorder une proro- gation au cours d'une période supplémentaire d'un an si cer- taines conditions sont respectées. La question litigieuse consis- tait à savoir si l'alinéa 167(5)a) violait le droit de la demanderesse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa per- sonne prévu à l'article 7 de la Charte. La demanderesse a sou- tenu que l'alinéa 167(5)a) imposait une restriction inflexible et injustifiable à son droit légal d'appel, la privant de la sorte de la possibilité d'expliquer son retard. Elle a affirmé que cela contrevenait au principe voulant que ceux dont les droits de propriété ont été touchés ont le droit de se faire entendre. La demanderesse a invoqué l'arrêt Bains e. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487 (C.A.) comme énonçant la proposition selon laquelle un délai limite rigide et inflexible sans possibilité d'obtenir une prorogation quelles que soient les circonstances est incompatible avec les principes de justice fondamentale et peut entraîner une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. La demanderesse s'est aussi appuyée sur l'arrêt Kaur e. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209 (C.A.) aux termes duquel une disposition législative n'avait pas été appliquée à une personne parce qu'elle aurait violé ses droits garantis par la Charte. La demanderesse a soutenu que la perte de son droit d'appel portait atteinte à sa situation finan- cière et que cela pouvait directement affecter son bien-être physique et psychologique et la sécurité de sa personne. La demanderesse a affirmé essentiellement qu'elle se situait dans une sphère intermédiaire nébuleuse un droit pécuniaire est lié et touche à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. La défenderesse a fait valoir que la demanderesse recherche une réparation de nature pécuniaire, laquelle n'est pas visée à l'article 7 de la Charte.
Jugement: la demande devrait être rejetée; la demande de radiation devrait être accueillie.
L'application de l'alinéa 167(5)a) ne viole pas les droits de la demanderesse garantis à l'article 7 de la Charte. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a récemment statué que la prescription applicable aux actions en dommages-intérêts ne violait pas l'article 7 parce que les demandeurs recherchaient une réparation d'ordre pécuniaire. Dans un récent arrêt de la Cour suprême du Canada, le juge Lamer a dit que les types de liberté et de sécurité de la personne qu'entend protéger l'ar- ticle 7 sont ceux que l'État permet ordinairement aux juges et aux tribunaux de restreindre (comme la détention d'individus contre leur volonté). Bien que la demanderesse n'ait pas demandé des dommages-intérêts comme tels, elle recherchait une réparation de nature pécuniaire. Même si l'on accepte qu'il doit y avoir un retard excessif pour exclure le recours, le Parle- ment a respecté cette condition en permettant la prorogation du délai initial de 90 jours pendant une autre période d'un an.
L'allégation de la demanderesse selon laquelle ses dossiers d'impôt sur le revenu auraient été retenus contrairement à la Charte est sans bien-fondé. Aucun élément de preuve démontre que l'on ait demandé ces dossiers ou que l'on s'en soit préoc- cupé à un moment quelconque avant l'expiration du délai.
La jurisprudence dit clairement que si les délais impartis aux articles 165 et 167 ne sont pas respectés, la Cour n'a pas com- pétence pour être saisie de l'action de la demanderesse.
Les arrêts Bains et Kaur disent simplement qu'un particulier doit avoir la possibilité de démontrer que les droits que lui garantit la Charte ont été violés par l'application d'une disposi tion législative. La demanderesse a eu cette possibilité.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7, 24.
Limitation Act, R.S.B.C. 1979, chap. 236, art. 8(1).
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. I 1 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, 44], art. 52.
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-7l-72, ch. 63, art. 163(2) (mod. par S.C. 1978-79, ch. 5, art. 7), 165(1), 167 (mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58, item 2), 169 (mod., idem; 1984, ch. 45, art. 70).
Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, ch. S-9, art. 647(2), 649.
Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, ch. 52, art. 27(l)d)(i i), 32(2), 35(1), 70(1).
Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, art. 40(1) (mod. par DORS/80-601, art. 4).
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Graham (H. 1.) c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 255; (1987), 87 DTC 5455 (C.F. 1e inst.); Whitbread v. Walley (1988),
51 D.L.R. (4th) 509; [1988] 5 W.W.R. 313; 26 B.C.L.R. (2d) 203 (C.A.); Wittman (Guardian Ad Litem) v. Emmott (1991), 77 D.L.R. (4th) 77: [1991] 4 W.W.R. 175; 53 B.C.L.R. (2d) 228; 45 C.P.C. (2d) 245 (C.A.); Streng et al. v. Township of Winchester (1986), 56 O.R. (2d) 649; 31 D.L.R. (4th) 734; 37 C.C.L.T. 296; 11 C.P.C. (2d) 183; 25 C.R.R. 357; 34 M.P.L.R. 116; 43 M.V.R. 1 (H.C.); Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; [1990] 4 W.W.R. 481; (1990), 68 Man. R. (2d) 1; 56 C.C.C. (3d) 65; 77 C.R. (3d) 1; 109 N.R. 81.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1989] 3 C.F. 487; (1989), 61 D.L.R. (4th) 573; 47 C.R.R. 361; (1989), 8 Imm. L.R. (2d) 165 (C.A.); Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209; (1989), 64 D.L.R. (4th) 317; 104 N.R. 50; 10 Imm. L.R. (2d) 1 (C.A.); Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [1986] 1 C.F. 274; (1985), 24 D.L.R. (4th) 321; 7 C.P.R. (3d) 145; 19 C.R.R. 233; 12 F.T.R. 81 (lee inst.); conf. par [1987] 2 C.F. 359; (1986), 34 D.L.R. (4th) 584; 11 C.I.P.R. 181; 12 C.P.R. (3d) 385; 27 C.R.R. 286; 78 N.R. 30 (C.A.); Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 299; (1990), 67 D.L.R. (4th) 697; 42 Admin. L.R. 189; 10 Imm. L.R. (2d) 137; 107 N.R. 107 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Neale (1985), 62 A.R. 350; 39 Alta. L.R. (2d) 24; 20 C.C.C. (3d) 415; 46 C.R. (3d) 366: 17 C.R.R. 282; 34 M.V.R. 245 (Q.B.); inf. par (1986), 71 A.R. 337; [1986] 5 W.W.R. 577; 46 Alta. L.R. (2d) 225; 28 C.C.C. (3d) 345;
52 C.R. (3d) 376; 26 C.R.R. 1; 43 M.V.R. 194 (C.A.); Re S.E.M. (1988), 88 A.R. 346; [1988] 6 W.W.R. 661; 61 Alta. L.R. (2d) 206 (C.A.); Starlite Bottlers Ltd. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 60; (1988), 88 DTC 6272 (C.F. Ife inst.); Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177; (1985), 17 D.L.R. (4th) 422; 12 Admin L.R. 137; 14 C.R.R. 13; 58 N.R. 1.
DEMANDE d'ordonnance déclarant inopérant l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu
parce qu'il violerait l'article 7 de la Charte. Demande rejetée.
AVOCATS:
R. Glen Sherman pour la demanderesse.
Mary Jane Dodge, c. r. et E. Junkin pour la
défenderesse.
PROCUREURS:
Macintosh Riecken & Sherman, Vancouver, pour la demanderesse.
Le sous-procureur général du Canada pour la défenderesse.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE EN CHEF ADJOINT JEROME: Cette demande par laquelle la demanderesse sollicite une ordonnance portant que l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu [S.C. 1970-71-72, ch. 63], dans sa version modifiée, viole l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de /982, annexe B, Loi de /982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] et que l'alinéa 167(5)a) est ino- pérant en vertu de l'article 24 de la Charte ou de l'ar- ticle 52 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44] a été entendue à Vancouver (Colombie-Britannique) le 12 juillet 1991. Le 24 juin 1986, la Cour canadienne de l'impôt avait rejeté pour défaut de compétence l'appel interjeté par la demanderesse contre la décision antérieure de la Cour de l'impôt qui se déclarait non compétente à juger la demande de la demanderesse visant la pro longation du délai applicable au dépôt des avis d'op- position. Dans la présente action, la demanderesse sollicite la prolongation du délai applicable au dépôt des avis d'opposition relatifs aux cotisations établies à l'égard de ses années d'imposition 1975 à 1978, mais elle ne peut le faire en raison de l'expiration du délai imposé par l'alinéa 167(5)a). La demanderesse soutient qu'elle devrait être exemptée de l'application de l'alinéa 167(5)a) et que cette Cour devrait être autorisée à étudier le bien-fondé de sa demande de prolongation parce que, dans les circonstances parti- culières en cause, l'alinéa 167(5)a) est incompatible avec l'article 7 de la Charte.
HISTORIQUE
Les déclarations d'impôt sur le revenu de la demanderesse pour les années d'imposition 1975, 1976, 1977 et 1978 ont fait l'objet de cotisations de la part du ministre du Revenu national (le «ministre») les 25 juin 1976, 26 juillet 1977, 14 juillet 1978 et 26
juin 1979 respectivement. Par avis de nouvelles coti- sations en date du 18 novembre 1981, le ministre a établi de nouvelles cotisations à l'égard des années d'imposition 1975, 1976, 1977 et 1978 de la deman- deresse. Le ministre a rejeté des dépenses dont la demanderesse prétendait qu'elles avaient été faites dans le but de tirer un revenu d'une entreprise', et il a imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu [mod. par S.C. 1978-79, ch. 5, art. 7]Z. Selon les affidavits de la demanderesse et de Millard Magasin, tous deux en date du 21 juin 1991, la demanderesse a porté les nouvelles cotisations à la connaissance de son comp-
table, M. Millard Magasin en novembre 1981. Il a rédigé un avis d'opposition, qui n'a cependant pas été déposé parce que, selon M. Magasin, celui-ci faisait l'objet d'une vérification en cours de la part du ministère du Revenu national et parce qu'il avait des problèmes financiers en 1982.
Dans une demande en date du 10 août 1983, la demanderesse a sollicité de la Cour canadienne de l'impôt la prolongation du délai applicable au dépôt d'un avis d'opposition. La demande devait être ins- truite le 30 janvier 1984. Comme personne n'a com- paru pour la demanderesse ou pour son compte, la demande a été rejetée pour défaut de poursuivre par ordonnance du juge St-Onge, C.C.I., en date du 13 février 1984. Dans son affidavit en date du 21 juin 1991, la demanderesse a déclaré n'avoir pas comparu à l'audience parce qu'elle se trouvait à l'époque au Royal Columbian Hospital, à New Westminster (Colombie-Britannique). La demanderesse a alors interjeté appel auprès de la Cour canadienne de l'im-
pôt à l'égard de ses années d'imposition 1975, 1976, 1977 et 1978. Par ordonnance du juge Kempo, C.C.I., en date du 24 juin 1986, la requête du ministre visant
l'annulation de l'appel a été accueillie parce que la demanderesse ne s'était pas conformée aux disposi tions de l'article 169 de la Loi de l'impôt sur le
1 Les montants suivants ont été rejetés: 1975-11 631,83 $;
1976-11 151,34 $; 1977-9 488,78 $; 1978-6 312,00 S.
2 Le ministre a allégué que la demanderesse a sciemment, ou dans des circonstances équivalant à faute lourde, fait de faux énoncés dans ses déclarations d'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1975, 1976, 1977, 1978, ou y a participé, consenti ou acquiescé, contrairement à l'art. 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu.
revenu [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58, item 2; 1984, ch. 45, art. 70] 3 .
Le 14 octobre 1986, la demanderesse a déposé une déclaration auprès de cette Cour à l'égard de ses années d'imposition 1975, 1976, 1977, 1978 et 1979, faisant valoir qu'en raison de son âge et de sa mala- die, cette Cour a compétence pour lui accorder une prolongation puisque, pour une simple question de procédure, elle a été privée du droit d'exposer son cas. Elle allègue aussi qu'elle a été incapable de déposer des avis d'opposition réguliers au moment requis parce que tous les reçus, documents et livres sur lesquels se fondaient les avis d'opposition étaient détenus par la défenderesse contrairement à la Charte. La défense a été déposée le 30 janvier 1987.
Aucune autre mesure n'a été prise jusqu'à ce que la défenderesse, dans des lettres en date du 4 janvier et du 6 mai 1991, avise la demanderesse qu'en raison de son silence jusqu'alors, il serait nécessaire de radier la déclaration. Le 9 mai 1991, la demanderesse a déposé un avis d'intention de procéder. Elle a expliqué qu'au cours des dernières années, elle avait été gravement atteinte d'asthme et de bronchite, qui l'avaient empêchée de répondre plus tôt. Le 17 mai 1991, la défenderesse a présenté une requête en rejet de l'action de la demanderesse et le 24 juin 1991, cette dernière a demandé à cette Cour une ordon- nance portant que le paragraphe 167(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu violait l'article 7 de la Charte et était inopérant. Par ordonnance du juge Joyal en date du 11 juillet 1991, la requête par laquelle la défende- resse sollicitait le rejet de l'action de la demanderesse a été ajournée au 12 juillet 1991 uniquement en vue de l'examen des moyens de la demanderesse fondés
3 169. Lorsqu'un contribuable a signifié un avis d'opposi- tion à une cotisation, prévu à l'article 165, il peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt, pour faire annuler ou modifier la cotisation
a) après que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation, ou
b) après l'expiration des 90 jours qui suivent la signification de l'avis d'opposition sans que le Ministre ait notifié au con- tribuable le fait qu'il a annulé ou ratifié la cotisation ou pro- cédé à une nouvelle cotisation;
mais nul appel prévu au présent article ne peut être interjeté après l'expiration des 90 jours qui suivent la date avis a été expédié par la poste au contribuable, en vertu de l'article 165, portant que le Ministre a ratifié la cotisation ou procédé à une nouvelle cotisation.
sur la Charte. Il a été en outre ordonné que [TRADUC- TION] «dans l'éventualité ou les moyens de la deman- deresse fondés sur la Charte seraient rejetés, juge- ment sera rendu en faveur de la défenderesse».
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
Les dispositions législatives pertinentes à cette demande sont les paragraphes 165(1), 167(1) [mod. par S.C. 1980-81-82-83, ch. 158, art. 58], 167(2) [mod., idem] et 167(5) [mod., idem] de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 et ses modifications et l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loi constitution- nelle de 1982 qui est l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) et le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982:
Impôt sur le revenu
165. (1) Un contribuable qui s'oppose à une cotisation pré- vue par la présente Partie peut, dans les 90 jours de la date d'expédition par la poste de l'avis de cotisation, signifier au Ministre un avis d'opposition, en double exemplaire, dans la forme prescrite, exposant les motifs de son opposition et tous les faits pertinents.
167. (1) Lorsque aucune opposition à une cotisation n'a été faite en vertu de l'article 165 ni aucun appel à la Cour cana- dienne de l'impôt n'a été interjeté en vertu de l'article 169 dans le délai imparti à cette fin par l'article 165 ou 169, selon le cas, une demande peut être faite à la Cour canadienne de l'impôt en vue d'obtenir une ordonnance prolongeant le délai dans lequel un avis d'opposition peut être signifié ou un appel interjeté, et la Cour canadienne de l'impôt peut, si, à son avis, les circonstances du cas sont telles qu'il serait juste et équitable de le faire, rendre une ordonnance prolongeant le délai d'oppo- sition ou d'appel et imposer les conditions qu'elle estime jus- tes.
(2) La demande mentionnée au paragraphe (1) doit indiquer les raisons pour lesquelles il n'a pas été possible de signifier l'avis d'opposition à la Cour canadienne de l'impôt ou d'inter- jeter appel à la Cour canadienne de l'impôt dans le délai par ailleurs imparti à cette fin par la présente loi.
(5) Aucune ordonnance ne peut être rendue en vertu du para- graphe (I) ou (4)
a) à moins que la demande de prolongation du délai d'oppo- sition ou d'appel ne soit faite dans l'année qui suit l'expira- tion du délai par ailleurs imparti par la présente loi pour faire opposition ou interjeter appel en ce qui concerne la cotisa- tion qui fait l'objet de la demande;
b) si la Cour canadienne de l'impôt ou la Cour fédérale a antérieurement rendu une ordonnance prolongeant le délai d'opposition ou d'appel en ce qui concerne la cotisation; et
c) à moins que la Cour canadienne de l'impôt ou la Cour fédérale ne soit convaincue que,
(i) sans les circonstances mentionnées au paragraphe (1) ou (4), selon le cas, une opposition aurait été faite ou un appel aurait été interjeté dans le délai par ailleurs imparti à cette fin par la présente loi,
(ii) la demande a été présentée aussitôt que les circons- tances l'ont permis, et
(iii) des motifs raisonnables de faire opposition ou d'inter- jeter appel existent en ce qui concerne la cotisation. [Sou- lignements ajoutés.]
Charte
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Loi constitutionnelle de 1982
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
LA QUESTION EN LITIGE
La question en litige consiste simplement à savoir si l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu viole le droit de la demanderesse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne contrairement à l'ar- ticle 7 de la Charte.
MOYENS DE LA DEMANDERESSE
La demanderesse fait valoir que l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu viole les droits que lui confère l'article 7 de la Charte, particulièrement son droit à la sécurité de sa personne. Elle prétend que l'alinéa 167(5)a) impose une limite inflexible et injustifiable à son droit légal d'appel. Elle est par conséquent privée de la possibilité de répliquer à la question du retard, de sorte que l'alinéa 167(5)a) est incompatible avec la règle selon laquelle ceux dont les droits de propriété ont été atteints ont le droit de se faire entendre. De plus, la menace d'un préjudice pour la demanderesse dans les présentes circons- tances suffit à lui assurer la protection offerte par l'ar- ticle 7 de la Charte. La perte de son droit d'appel pourrait la placer [TRADUCTION] «dans une situation financière très précaire».
On convient qu'on ne peut invoquer l'article 7 de la Charte en se fondant sur un simple désavantage pécuniaire. La demanderesse allègue toutefois que la perte de son droit d'appel ne représente pas un simple désavantage pécuniaire mais aussi une telle menace pour ses moyens d'existence qu'elle aura des réper- cussions directes sur son bien-être physique et psy- chologique et compromettra la sécurité de sa per- sonne. S'appuyant sur l'arrêt R. v. Neale (1985), 62 A.R. 350 (Q.B.) (infirmé pour d'autres motifs dans (1986), 71 A.R. 337 (C.A.)), la demanderesse fait valoir que l'article 7 de la Charte vise à accroître le dynamisme, la volonté, l'autonomie et le bien-être physique des citoyens. L'expression «porté atteinte» à l'article 7 ne se limite pas à la perte complète ou au déni absolu du droit à la vie, à la liberté et à la sécu- rité de la personne, elle comprend aussi une simple atteinte à ce droit, et la phrase «sécurité de la per- sonne» ne se restreint pas à l'intégrité physique, mais elle peut englober davantage que la sécurité physique et psychologique.
La demanderesse avance que le ministre ne subi- rait aucun préjudice si un retard devait la mener au- delà du délai d'un an prévu à l'alinéa 167(5)a). Elle laisse entendre que s'il y a violation de l'article 7 de la Charte ou si un délai empêche une personne de se faire entendre alors qu'elle a de bonnes raisons de ne s'être pas conformée au délai imparti, le tribunal peut alors intervenir et accorder à l'intéressée la possibi- lité d'expliquer son retard. Elle demande donc que le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 s'applique en l'espèce pour l'exempter de l'applica- tion de l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, et elle prie cette Cour d'étudier le bien-fondé de sa demande de prolongation du délai applicable au dépôt d'un avis d'opposition.
LES MOYENS DE LA DÉFENDERESSE
La défenderesse souligne qu'en l'espèce le délai de 90 jours imparti à l'article 165 de la Loi de l'impôt sur le revenu a pris fin le 16 février 1982, et que l'autre délai d'un an pour demander une prolongation en vertu de l'article 167 a pris fin le 16 février 1983. Comme la demanderesse n'a déposé sa demande de prolongation qu'en août 1983, elle n'a pas respecté les délais imposés par la Loi de l'impôt sur le revenu
et, selon la stricte interprétation donnée jusqu'à pré- sent à l'alinéa 167(5)a), cette Cour n'a pas compé- tence pour entendre son appel.
La défenderesse avance que le droit de la deman- deresse à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa per- sonne n'est pas en jeu. Les griefs de la demanderesse visent une cotisation d'impôt à l'égard de laquelle elle devra verser une somme d'argent; elle n'est pas passible d'emprisonnement ni d'une autre forme de perte de sa liberté ou de sa sécurité. Le recours qu'elle recherche est de nature financière et, comme tel, il n'est pas visé par l'article 7 de la Charte. Les lois fiscales touchent aux intérêts pécuniaires et les tribunaux ont clairement rejeté la proposition voulant que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne comprenne des recours d'ordre financier. De plus, on n'a pas usé de menaces pour encaisser les impôts exigibles et perceptibles depuis 1982 et, en tout état de cause, la perception d'une dette fiscale valide est une autre question. Finalement, la justice fondamentale ne comprend pas le droit de retrancher les délais. En s'appuyant sur l'arrêt Re S.E.M. (1988), 88 A.R. 346 (C.A.), la défenderesse soutient que le ministre doit connaître avec un certain degré de certi tude le moment les dossiers peuvent être effective- ment classés, et qu'un délai n'aurait pratiquement plus de sens avec la prolongation automatique propo sée par la demanderesse.
ANALYSE
L'article 165 de la Loi de l'impôt sur le revenu pré- voit que le contribuable qui s'oppose à une cotisation peut d'office signifier un avis d'opposition dans les 90 jours de la date de la cotisation. Dans l'éventualité le contribuable ne signifie pas un avis de cotisa- tion dans les 90 jours, l'article 167 de la Loi de l'im- pôt sur le revenu prévoit un mécanisme grâce auquel la prolongation du délai peut être accordée pour per- mettre un dépôt tardif si certaines conditions sont res- pectées et si la demande est faite dans l'année qui suit l'expiration du délai imparti à l'article 165. La juris prudence dit clairement que si ces délais ne sont pas respectés, cette Cour n'a pas alors compétence pour être saisie de l'action de la demanderesse. Dans l'ar- rêt Graham (H. I.) c. La Reine, [1987] 2 C.T.C. 255 (C.F. Ire inst.), le juge Cullen a statué qu'il n'avait pas la compétence nécessaire pour entendre l'appel
du contribuable contre une cotisation d'impôt lorsque l'action n'avait pas été engagée dans les délais impar- tis à l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Conséquemment, il a accueilli la demande de la Couronne en vue d'obtenir la radiation de la décla- ration du contribuable. Il a remarqué, aux pages 256 et 257:
Quant aux années d'imposition 1979 et 1981, comme il est mentionné plus haut, le demandeur a adressé à la Cour cana- dienne de l'impôt une requête en prorogation de délai en vue de signifier au ministre du Revenu national des avis d'opposi- tion pour ses années d'imposition 1948 à 1979 inclusivement, de même que pour ses années d'imposition 1981 et 1982. La requête a été rejetée par ordonnance de la Cour en date du 18 décembre 1986 [n° du greffe: 2709 (IT)]. La plupart des requêtes n'étaient pas datées, mais elles ont été reçues par la Cour le 10 décembre 1985. Comme il s'était écoulé plus d'un an et 90 jours, la Cour de l'impôt n'avait pas compétence pour proroger le délai de dépôt des avis d'opposition (voir l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu).
Les faits pertinents ne permettaient pas au demandeur d'ob- tenir un procès de novo. Si l'alinéa 167(5)a) de la Loi empê- chait totalement une action devant la Cour canadienne de l'im- pôt, il n'est plus possible alors de revenir sur les années d'imposition en question. La Cour fédérale du Canada n'a plus compétence parce que l'action n'a pas été introduite dans les délais prévus par la Loi de l'impôt sur le revenu. [C'est moi qui souligne.]
Le juge Pinard a tiré la même conclusion dans des circonstances similaires dans l'arrêt Starlite Bottlers Ltd. c. La Reine, [1988] 2 C.T.C. 60 (C.F. ire inst.).
Il est donc clair, comme l'indique l'ordonnance du juge Joyal en date du 11 juillet 1991, que le délai oppose à la demanderesse une fin de non recevoir, à moins que son moyen fondé sur la Charte ne soit accueilli. À l'appui de son moyen et du recours parti- culier recherché en l'espèce, la demanderesse invoque deux décisions récentes de la Cour d'appel fédérale: Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1989] 3 C.F. 487, et la décision con- courante de la majorité dans l'affaire Kaur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 2 C.F. 209.
Dans l'affaire Bains, les requérants recherchaient l'annulation de deux décisions par lesquelles l'an- cienne Commission d'appel de l'immigration refusait de proroger le délai dans lequel chacun des requé- rants devait déposer sa demande de réexamen de sa revendication du statut de réfugié en vertu du para-
graphe 70(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52 étant donné le délai prescrit par le paragraphe 40(1) du Règlement sur l'immigra- tion de 1978, DORS/78-172 [mod. par DORS/80- 601, art. 4] 4 . Le juge Hugessen, de la Cour d'appel, a conclu au nom de la Cour que la Commission a déter- miné à bon droit qu'elle n'avait pas la compétence nécessaire pour proroger un délai imparti par le gou- verneur en conseil dans l'exercice du pouvoir de réglementation que lui confère la Loi. Il a néanmoins accueilli l'argument des requérants selon lequel un délai limite rigide et inflexible imparti pour demander un réexamen sans qu'il soit possible d'obtenir une prorogation, quelles que soient les circonstances, est incompatible avec les principes de justice fondamen- tale et peut entraîner une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, contrairement à l'article 7 de la Charte. Il a souligné, à la page 490, qu'à la suite de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Singh et autres c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, «[i]1 est maintenant bien établi qu'une revendication du statut de réfugié peut faire entrer en jeu des droits protégés par la Charte». Il a accueilli les demandes et il a renvoyé les affaires à la Commission pour qu'elle procède à un nouvel examen «en partant du principe que la Commission a compétence pour examiner si la justice fondamentale exige que, dans les circons- tances, les requérants soient autorisés à demander un réexamen de leurs revendications du statut de réfugié en dehors du délai fixé par la loi». Il a dit, à la page 491:
Ce qu'on peut reprocher à l'argument invoqué par l'avocate du ministre est que la Commission, estimant qu'elle n'avait pas compétence pour le faire, n'a jamais examiné les faits de
a 70. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et à qui le Ministre a fait savoir par écrit, conformément au paragraphe 45(5), qu'elle n'avait pas ce statut, peut, dans le délai prescrit, présenter à la Commission une demande de réexamen de sa revendication.
40. (1) La personne qui a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention et que le Ministre a notifiée par écrit, conformément au paragraphe 45(5) de la Loi, du fait qu'elle n'avait pas ce statut, peut, dans les quinze jours suivant la date elle en a été notifiée, présenter par écrit à la Commission, selon l'article 70 de la Loi, une demande de réexamen de sa revendication en la remettant à un agent d'immigration ou à la Commission.
l'une ou de l'autre affaire. Il se peut que, finalement, la Com mission souscrive à l'argument de l'avocate du ministre et con- clue que les faits ne révèlent aucune violation des règles de justice fondamentale, mais il appartient, en premier lieu à tout le moins, à la Commission et non à cette Cour d'examiner cette question et d'y répondre. La Commission est une cour d'archives (Loi sur l'immigration de /976, paragraphe 65(1)) ayant «compétence exclusive» (Loi sur l'immigration de 1976, paragraphe 59(1)) pour connaître d'une question telle que celle qui se pose en l'espèce, à savoir une demande de réexamen d'une revendication du statut de réfugié. Ses pouvoirs et sa compétence doivent être interprétés à la lumière de la Charte. En conséquence, elle ne saurait simplement refuser de con- naître d'une demande du type en question en l'espèce; elle doit plutôt examiner les faits particuliers de chaque affaire pour déterminer si le requérant risque d'être privé d'un droit protégé par la Charte au cas il ne serait pas autorisé à demander un réexamen et, dans l'affirmative, si la justice fondamentale exige qu'il lui soit accordé une telle autorisation. [C'est moi qui souligne.]
Dans l'arrêt Kaur, un arbitre avait rejeté la demande de la demanderesse de statut de rouvrir son enquête. Lors de l'audition de sa revendication du statut de réfugiée, la demanderesse avait déclaré qu'elle voulait rentrer en Inde et ne désirait plus revendiquer le statut de réfugiée. Une mesure d'ex- clusion a été prise, cependant, la requérante a plus tard demandé la réouverture de l'enquête parce qu'au moment de cette dernière, son mari avait exercé sur elle de très fortes pressions. Le juge Heald, de la Cour d'appel, qui a rendu la décision concourante de la majorité, a conclu la page 216) que l'arbitre «n'a pas commis d'erreur en refusant de rouvrir l'enquête en vertu de l'article 35 de la Lois, en l'absence d'une application possible de la Charte». Il a ensuite étudié l'argument selon lequel les droits du requérant fondés sur la Charte avaient été violés et en se fondant sur le raisonnement suivant, il a conclu la page 218) que «l'espèce donne clairement lieu à une intervention, en application de l'article 7 de la Charte»:
Il ressort du dossier qu'en raison de la contrainte que son ex- mari exerçait sur elle au cours de l'enquête, la requérante a été effectivement privée de son droit à un conseil indépendant.
5 Le paragraphe 35(1) de la Loi sur l'immigration de 1976, S.C. 1976-77, chap. 52, était libellé comme suit:
35. (1) Sous réserve des règlements, une enquête menée par un arbitre peut être réouverte à tout moment par le même arbitre ou par un autre, à l'effet d'entendre de nouveaux témoignages et de recevoir d'autres preuves, et l'arbitre peut alors confirmer, modifier ou révoquer la décision antérieure.
Elle a aussi été effectivement privée de la possibilité de pren- dre une décision libre et éclairée relativement à la revendica- tion du statut de réfugiée. En conséquence, je conclus que l'or- donnance d'exclusion rendue en l'espèce est manifestement injuste dans les présentes circonstances et contraire aux dispo sitions de l'article 7 de la Charte.
Pour ce qui est de la question de la réparation, le juge Heald, J.C.A., a conclu la page 223] que «l'espèce donne clairement lieu à une [TRADUCTION] «exemption» ou «omission»» en vertu de laquelle la loi reste en vigueur mais n'est pas appliquée à une personne telle que la requérante dont les droits fondés sur la Charte avaient été violés par l'application des dispositions législatives à sa situation.
En conformité avec le raisonnement suivi dans les arrêts Kaur et Bains de la Cour d'appel fédérale et l'esprit de ces décisions, la demanderesse a eu la pos- sibilité de démontrer que les droits que lui confère l'article 7 de la Charte avaient été violés par l'appli- cation de l'alinéa 167(5)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je n'estime pas que ces arrêts soient l'expres- sion d'une proposition plus générale.
En l'espèce, la demanderesse convient de la néces- sité des délais, mais elle laisse entendre qu'ils ne sont pas valides dans tous les cas, particulièrement lors- qu'il y a violation des droits fondés sur l'article 7 de la Charte. Elle ne demande pas un jugement déclarant que l'article contesté est invalide, mais simplement qu'il a pour effet, dans les circonstances particulières de son cas, d'imposer une restriction injustifiable à son droit d'appel.
La demanderesse ne m'a toutefois pas convaincu que dans les présentes circonstances l'alinéa 167(5)a) devrait être tenu pour inopérant parce qu'il aurait pour effet de la priver de la sécurité de sa personne. En effet, les circonstances exposées par la demande- resse et son avocat pour expliquer son retard à dépo- ser des avis d'opposition et pour souligner les réper- cussions qu'aurait sur sa situation personnelle le déni d'un droit d'appel sont déplorables et regrettables, mais sûrement pas exceptionnelles. Je reconnais comme l'a fait le juge Strayer dans l'arrêt Smith, Kline & French Laboratories Limited c. Procureur général du Canada, [ 1986] 1 C.F. 274, à la page 315, (confirmé [1987] 2 C.F. 359 (C.A.)) «qu'il puisse y avoir certaines situations dans lesquelles l'article 7 pourrait protéger de façon accessoire le droit de pro-
priété d'un particulier», mais la demanderesse n'a pas démontré que tel était le cas en l'espèce.
Dans l'arrêt Whitbreadv. Walley (1988), 51 D.L.R. (4th) 509 (C.A.), le juge d'appel McLachlin (tel était alors son titre) a conclu au nom de la Cour que le paragraphe 647(2) et l'article 649 de la Loi sur la marine marchande du Canada, S.R.C. 1970, ch. S-9, qui limitent à une somme fondée sur le tonneau de jauge du navire la responsabilité des propriétaires et des capitaines de navires à l'égard des dommages- intérêts pour blessures, ne portent pas atteinte au droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la per- sonne contrairement à l'article 7 de la Charte cana- dienne des droits et libertés. Dans l'affaire Whit- bread, le demandeur avait été sérieusement blessé dans un accident de bateau. Ses blessures à l'épine dorsale l'avaient rendu quadriplégique et il a pour- suivi les propriétaires et les conducteurs défendeurs du bateau. Le juge de première instance a statué que les dispositions limitant la responsabilité avaient des conséquences financières, et que par conséquent elles ne violaient pas l'article 7 de la Charte.
En appel, la Cour a reconnu que les lois et les actes de l'État qui portent directement atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne sont visés par l'article 7 et que les lois entièrement d'ordre financier ne relèvent pas de l'article 7. Cependant, le juge d'appel McLachlin a remarqué la page 520) que [TRADUCTION] «la question délicate, qui reste en partie sans réponse, vise la situation qui se trouve entre ces deux extrêmes—c'est-à-dire celle la mesure con- testée, tout en ayant un aspect d'ordre financier, peut aussi être considérée de façon défendable comme reliée ou touchant à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne». Elle a résumé comme suit les argu ments du demandeur fondés sur la Charte (aux pages 520 et 521): 1. une revendication d'intérêts financiers fondée sur une atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est visée par l'article 7 de la Charte; et 2. une revendication d'intérêts financiers susceptibles d'accroître la capacité d'une personne à obtenir des outils et des agréments servant à amélio- rer sa vie, sa liberté et la sécurité de sa personne, relève de l'article 7 de la Charte. Ces arguments ont toutefois été rejetés (aux pages 521 et 522):
[TRADUCTION] Le premier argument ... exige que les mots «à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne» à l'art. 7 s'interprètent comme s'ils étaient complétés par les mots «ou aux avantages pécuniaires que la loi peut accorder à leur place». En l'absence de circonstances convaincantes, il me répugnerait de m'engager à voir dans la Charte des mots que ses rédacteurs n'ont pas jugé bon d'inclure et que les objectifs de la disposition de la Charte en cause, interprétés dans l'arrêt Renvoi relatif au paragraphe 94(2) de la Motor Vehicles Act, supra, [(1985), 24 D.L.R. (4th) 536, 23 C.C.C. (3d) 289, [1985] 2 R.C.S. 486] n'imposent pas.
Le second argument ... soulève la même difficulté. Il exige, peut-on dire, que l'on voit à l'art. 7, à la suite de la déclaration selon laquelle chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, l'assurance supplémentaire que chacun a droit «à tout avantage qui puisse améliorer la vie, la liberté ou la sécurité de sa personne». Cet argument se heurte toutefois à un problème encore plus grave. Il est en effet difficile d'imaginer un droit de propriété ou un droit pécuniaire dont on ne peut arguer qu'il a une incidence sur la vie, la liberté ou la sécurité de la personne. La liberté et la sécurité de la personne sont des concepts larges et souples, et la mesure dans laquelle ils peu- vent s'étendre est intimement liée à la somme d'argent dont on dispose. Par exemple, la personne à qui une loi interdit de poursuivre pour rupture de contrat ou dont la société se voit refuser un permis pourrait soutenir que les pertes financières qui en résultent ont porté atteinte à sa liberté et à la sécurité de sa personne parce que privée d'argent, elle ne peut aller elle veut, se livrer aux activités de son choix ou assurer convena- blement son avenir. Accepter le second argument du deman- deur, ce serait rendre l'art. 7 applicable à pratiquement tous les droits de propriété. Étant donné l'économie de la Charte et l'absence de toute mention du droit de propriété, je ne saurais convenir que c'était l'intention des auteurs de la Charte. [C'est moi qui souligne.]
Récemment dans l'arrêt Wittman (Guardian Ad Litem) v. Emmott (1991), 77 D.L.R. (4th) 77 (C.A.), on a statué que le paragraphe 8(1) de la Limitation Act, R.S.B.C. 1979, ch. 236, qui prévoyait que les actions contre les médecins se prescrivaient par six ans, ne violait pas l'article 7 de la Charte parce que les conséquences directes de l'article 8 étaient pure- ment de nature pécuniaire en ce sens que ce dernier faisait obstacle à la recherche de dommages-intérêts, qui est un recours d'ordre pécuniaire. Le demandeur Wittman, en août 1978, était victime d'infirmité- motrice cérébrale, de quadriplégie spastique et d'autres infirmités physiques graves. En mars 1982, ses parents s'étaient rendu compte pour la première fois que son état pouvait être la conséquence des soins négligents prodigués à la mère pendant sa gros- sesse par les médecins défendeurs. Le bref d'assigna- tion du demandeur, décerné en 1985, avait été rejeté
parce qu'il avait été décerné après le délai de six ans imposé par l'article 8 de la Limitation Act. En appel, le demandeur a fait valoir notamment que l'article 8 violait les droits que lui conférait l'article 7 de la Charte.
Le juge d'appel Wallace, qui s'exprimait pour la Cour, a rejeté cet argument en déclarant la page 87) que [TRADUCTION] «selon moi, ce qui est en jeu en l'espèce, ce n'est ni la liberté ni la sécurité de la per- sonne, mais un recours de nature pécuniaire». Il a étudié l'arrêt Whitbread v. Walley, et il a conclu que le paragraphe 8(1), en restreignant le temps pendant lequel une action peut être intentée, ne violait pas l'article 7 de la Charte. Il a déclaré, à la page 89:
[TRADUCTION] En l'espèce, le demandeur mineur poursuit les défendeurs pour obtenir des dommages-intérêts suffisants pour compenser les blessures subies. Comme dans l'affaire Whit- bread, l' action vise une réparation de nature pécuniaire. Elle ne recherche pas une réparation liée à la dignité, à l'amour-propre ou à la liberté, dans le sens classique, de l'individu.
Même en matière d'expulsion de résidents perma nents pour perpétration d'actes criminels, la Cour d'appel fédérale a récemment statué dans l'arrêt Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Im- migration), [ 1990] 2 C.F. 299, que le sous-alinéa 27(1)d)(ii) et le paragraphe 32(2) de la Loi sur l'im- migration de 1976 ne violaient pas l'article 7 de la Charte. Le juge Pratte, de la Cour d'appel, qui s'ex- primait pour cette dernière (bien qu'il ait été dissident à l'égard d'une autre question), n'a pas accueilli l'ar- gument de l'appelant selon lequel la prise d'une mesure d'expulsion contre un résident permanent pour le seul motif qu'il a commis un acte criminel et sans qu'il y ait examen des circonstances dans les- quelles l'acte a été commis est contraire aux droits que lui confère l'article 7 de la Charte. En outre, le juge Lamer (aujourd'hui juge en chef) dans des motifs concourants minoritaires dans le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123, a étudié des exemples de cas l'article 7 de la Charte entrerait en jeu. Sans limiter l'application de l'article 7 aux exemples étu- diés, il a noté, aux pages 1175 et 1176, que:
Ce qui est en jeu dans ces exemples c'est le type de liberté et de sécurité de la personne que l'État autorise ordinairement aux juges et aux tribunaux de restreindre. En d'autres termes, la détention d'individus contre leur volonté ou la restriction de leur contrôle sur leur esprit et leur corps fait précisément partie
du genre d'activités qui relèvent du domaine de l'appareil judi- ciaire en tant que gardien du système judiciaire.
En l'espèce, comme ce fut le cas dans les affaires Whitbread et Wittman, je ne puis conclure que les droits conférés à la demanderesse par l'article 7 de la Charte ont été ou seront violés par l'application de l'alinéa 167(5)a). Bien que la demanderesse ne demande pas des dommages-intérêts per se, elle recherche tout de même une réparation de nature pécuniaire. Comme dans l'affaire Whitbread, la demanderesse en l'espèce soutient essentiellement qu'elle se situe dans une sphère intermédiaire nébu- leuse un droit pécuniaire est lié et touche à sa vie, à sa liberté et à la sécurité de sa personne. La Loi de l'impôt sur le revenu établit et expose les grandes lignes d'un droit d'appel. Même si l'on accepte, comme l'a fait la Haute Cour de justice de l'Ontario dans l'arrêt Streng et al. v. Township of Winchester (1986), 56 O.R. (2d) 649, à la page 654 que [TRADUC- TION] «il doit toujours y avoir un retard excessif pour exclure le recours», je conclus que le Parlement a res pecté cette condition. Le délai initial établi par l'ar- ticle 165 est de 90 jours; cependant, au cours de l'an- née qui suit, il peut être prolongé dans certaines conditions.
Finalement, les allégations de la demanderesse selon lesquelles ses dossiers d'impôt sur le revenu auraient été retenus contrairement à la Charte, la met- tant ainsi dans l'impossibilité de formuler un avis d'opposition en règle, sont sans bien-fondé. Aucun élément de preuve ne démontre que l'on ait demandé des dossiers que l'on s'en soit préoccupé à un moment quelconque avant l'expiration du délai. De plus, ces allégations sont incompatibles avec les explications données par M. Magasin dans son affi davit du 21 juin 1991.
CONCLUSION
Conséquemment, les prétentions d'ordre constitu- tionnel de la demanderesse sont rejetées et la demande en radiation de l'action faite par la défende- resse sera accueillie. Il n'y aura pas adjudication de dépens.
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