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A-342-90
Sa Majesté la Reine (appelante) (défenderesse) c.
Miriam Rumack (intimée) (demanderesse) RÉPERTORIÉ' RUMACK C. M.R.N. (CA.)
Cour d'appel, juges Heald, Hugessen et Stone, J.C.A. —Toronto, 14 janvier; Ottawa, 27 janvier 1992.
Impôt sur le revenu Calcul du revenu La contribuable a remporté dans le cadre d'une loterie un prix de 1 000 $ par mois à vie dont le versement était garanti pour une période minimale de 20 ans Le prix a été financé par l'achat d'une rente de 135 337,75 $ A la suite d'une nouvelle cotisation, la somme de 8 /55,20 $ a été incluse dans son revenu de 1979 -- Une somme de 3 844,80 $ n'a pas été imposée au motif qu'elle correspondait à la partie représentant le capital des versements au sens de l'art. 60a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (qui permet de déduire la partie représentant le capital de toute rente) Le juge de première instance a statué que chacune des mensualités était libre d'impôt en vertu de l'art. 52(4) (acquisition réputée d'un prix à la juste valeur mar- chande) L'appel est accueilli L'art. 52(4) ne s'applique pas car il se rapporte aux gains en capital Les prix de lote- rie ont traditionnellement été exonérés de l'impôt car ils ne peuvent être reliés à une source productive de revenu L'art. 52(4) fait écho à la décision de principe de ne pas imposer à titre de gains en capital les gains de loterie qui ne constituent pas un revenu 11 ne s'agit pas de 240 «prix» séparés de 1 000 $ chacun au sens de l'art. 52(4), mais plutôt d'un prix unique consistant en des rentrées régulières de revenus garan- tis pendant au moins 20 ans Une série ininterrompue de versements possède les attributs d'un revenu car les verse- ments sont périodiques, réguliers, certains, prévisibles, atten- dus, exécutoires et inépuisables, ,cous réserve de la durée de la vie du gagnant Chaque versement est composé dans une large mesure du revenu découlant de la valeur en capital exo- néré d'impôt du prix.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, chap. 63, art. 40(2)1), 52(4), 56(1)d) (mod. par S.C. 1977-78, chap. I, art. 101, Item 5), 60a) (mod., idem, chap. 32, art. 12), 248.
JURISPRUDENCE DÉCISION INFIRMÉE:
Rumack (M.) c. M.R.N., [1990] 1 C.T.C. 413; (1990), 90 DTC 6271 (C.F. Ire inst.).
AVOCATS:
Alexandra K Brown pour l'appelante (défende- resse).
Joanne E. Swystun pour l'intimée (demande- resse).
PROCUREURS:
Le sous procureur général du Canada pour l'ap- pelante (défenderesse).
Goodman and Carr, Toronto, pour l'intimée (demanderesse).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Le présent appel soulève la question du traitement fiscal qu'il convient de don- ner à certains types de gains de loterie. Traditionnel- lement, ces gains ont toujours été exonérés de l'impôt sur le revenu car ils étaient considérés comme des «gains fortuits», et par conséquent comme consti- tuant du capital'. La question qui se pose en l'espèce est celle de savoir s'il y a lieu d'accorder la même exonération lorsque les gains eux-mêmes prennent la forme de rentrées régulières de revenus.
Voici les faits à l'origine du litige. En 1978, l'inti- mée était la détentrice du billet gagnant d'une loterie organisée par l'Association ontarienne pour les défi- cients mentaux. Le billet qualifiait à sa face même le jeu de [TRADUCTION] «loterie gains à vie». Au recto, le billet portait également la mention suivante: [TRADUC- TION] «grand prix: 1 000 $ par mois à vie». Il y avait d'autres prix, dont certains consistaient en des men- sualités viagères moins importantes. À l'endos du bil
let, on trouve le texte suivant:
[TRADUCTION] Les gains à vie sont financés au moyen de rentes viagères achetées par l'Association et leur versement est garanti pour une période minimale de 20 ans. Les versements de revenus viagers sont remis à partir de l'âge de 18 ans et commencent environ 30 jours après l'annonce des gagnants. Toutes les sommes recueillies sont versées à l'Association ontarienne pour les déficients mentaux. Vérifiez les numéros gagnants dans votre journal ou auprès de votre vendeur de bil lets «Cash for Life,> après la date du tirage.
1 Le terme anglais «windfall» lui-même (gain fortuit), qui implique une rentrée de capital, vient de l'ancienne règle sui- vant laquelle, entre le titulaire du domaine résiduel et le titu- laire du domaine viager, les arbres de haute futaie qui étaient abattus par le vent devaient être vendus et le produit de leur vente devait être placé comme capital.
Au cours de l'année d'imposition 1979, la seule qui soit directement en litige dans le présent appel, l'intimée a reçu douze mensualités de 1 000 $ cha- cune. Ces mensualités lui ont été versées par la Com- pagnie d'assurances Sun Life à qui l'Association ontarienne pour les déficients mentaux avait acheté une rente sur la tête de l'intimée avec une période garantie de vingt ans. La prime unique de 135 337,75 $ a été payée par l'Association, qui est demeurée propriétaire de la rente. Le nom de l'inti- mée y est indiqué comme bénéficiaire mais, en tant que propriétaire, l'Association a conservé le droit d'annuler la désignation du bénéficiaire ou d'en choi- sir un autre en tout temps avant le décès du rentier.
Après la fin de l'année d'imposition 1979, la Sun Life a remis à l'intimée un formulaire T-4A indi- quant qu'elle devait inclure la somme de 8 155,20 $ dans son revenu de l'année. Le reste du 12 000 $, c'est-à-dire la somme de 3 844,80 $, constituait la partie représentant le capital des versements et elle a été déduite en vertu de l'alinéa 60a) de la Loi. L'inti- mée n'a inclus aucun des versements qu'elle a reçus de la Sun Life dans sa déclaration de 1979 et le ministre a, en temps utile, fixé l'impôt sur le revenu qu'elle devait relativement à la somme de 8 155,20 $. L'opposition et l'appel qui ont été formés devant la Cour canadienne de l'impôt ont tous les deux échoué, mais l'appel qui a ensuite été interjeté devant la Sec tion de première instance de notre Cour par voie d'action a été accueilli [[19901 1 C.T.C. 413]. D'où le présent appel.
Voici les dispositions pertinentes de la Loi de l'im- pôt sur le revenue:
40....
(2) Nonobstant le paragraphe (1),
f) le gain ou la perte du contribuable résultant de la disposi tion
(i) d'une chance de gagner un prix, ou
(ii) d'un droit de recevoir une somme comme prix,
à l'occasion d'une loterie est nul;
52... .
2 S.C. 1970-71-72, chap. 63 [mod. par S.C. 1977-78, chap. 1, art. 101, Item 5; chap. 32, art. 12].
(4) Lorsque, à une date quelconque, après 1971, un contri- buable a acquis un bien comme prix à l'occasion d'une loterie, il est réputé avoir acquis ce bien à un prix égal à la valeur mar- chande de ce bien à cette date.
56. (1) Sans restreindre la portée générale de l'article 3, sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition,
d) toute somme reçue dans l'année par le contribuable à titre de rente sauf dans la mesure cette rente doit par ailleurs être incluse dans le calcul de son revenu pour l'année;
60. Peuvent être déduites lors du calcul du revenu d'un con- tribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées:
a) la partie représentant le capital de toute rente (autres qu'une pension de retraite ou d'autres pensions, un paiement effectué en vertu d'un régime enregistré d'épargne-retraite, un paiement effectué en vertu d'un contrat de rente à verse- ments invariables ou une rente payée ou acquise dans le cadre d'un régime de participation différée aux bénéfices ou d'un régime appelé au paragraphe 147(15) «régime dont l'enregistrement est annulé») inclus dans le calcul du revenu du contribuable pour l'année, c'est-à-dire,
(i) si la rente a été payée en vertu d'un contrat, une somme égale à la partie du paiement déterminée de la manière prescrite comme ayant été un remboursement de capital, et
(ii) si la rente a été payée en vertu d'un testament ou d'une fiducie, la partie du paiement qui, comme le bénéfi- ciaire l'aura établie, ne provient pas du revenu de la suc cession ou de la fiducie;
248. (1) ...
«rente» comprend une somme payable à intervalles réguliers plus longs ou plus courts qu'une année, en vertu d'un contrat, d'un testament, d'une fiducie ou autrement;
À mon avis, l'intimée est imposable sur les gains de loterie.
Comme je l'ai précisé au début, les prix de loterie ont traditionnellement été exonérés de l'impôt sur le revenu au Canada. À l'origine, cette situation ne résultait pas d'une politique déclarée ou d'une dispo sition législative de la Loi de l'impôt sur le revenu. Elle découlait plutôt simplement du fait que l'impôt sur le revenu ne frappait que les revenus provenant d'une source. Les gains de loterie n'avaient pas le caractère ou les attributs d'un revenu et ils ne pou-
vaient être reliés à une source qui pouvait être quali- fiée de source productive de revenu. On les qualifiait de «gains fortuits» ce qui, comme je l'ai déjà dit, était simplement une autre façon de dire qu'ils consti- tuaient des rentrées de capital.
Avec l'introduction au Canada en 1972 de l'impôt sur les gains en capital, il est devenu nécessaire d'en- visager la possibilité que les gains de loterie qui ne constituaient pas un revenu soient néanmoins impo- sables à titre de gains en capital. De toute évidence, on a pris la décision de principe de ne pas les assujet- tir à l'impôt. À la suite de cette décision, on a édicté l'alinéa 40(2)f) et le paragraphe 52(4) précités qui se trouvent tous les deux dans la sous-section c de la section B de la Partie I intitulée «Gains en capital imposables et pertes en capital déductibles».
Le juge de la Section de première instance s'est dit d'avis, que chacune des mensualités de 1 000 $ que l'intimée avait reçues tombaient sous le coup de ce qu'il a appelé la «disposition d'exonération» du para- graphe 52(4) et qu'elles étaient par conséquent libres d'impôt. J'estime, en toute déférence, qu'il a eu tort.
À mon avis, le paragraphe 52(4) ne peut tout sim- plement pas aider l'intimée. Comme je l'ai déjà dit, ce paragraphe se trouve dans une sous-section de la Loi qui est particulièrement consacrée à la question des gains en capital; il ne prétend pas résoudre la question de savoir si les versements reçus devaient être traités comme un revenu. Le libellé même du paragraphe 52(4) est caractéristique des dispositions relatives aux gains en capital, car il parle du coût réputé de l'acquisition d'un bien.
Même si, comme le juge de la Section de première instance semble l'avoir estimé, chaque mensualité de 1 000 $ était un prix acquis par l'intimée à l'occasion d'une loterie—une proposition qui n'est pas sans me causer certaines difficultés comme on le verra plus loin—cela ne sert toujours pas à exonérer les men- sualités de l'impôt sur le revenu si elles possèdent effectivement les attributs d'un revenu. Nombreux sont les versements de revenu qui sont «acquis» par un contribuable, en ce sens qu'ils entrent en sa pos session, à un prix égal à leur juste valeur marchande. Les exemples qui viennent le plus spontanément à l'esprit sont les salaires, les honoraires, les,rede-
vances, etc. Mais le fait que le contribuable a donné une valeur pour ce qu'il reçoit n'a jamais, autant que je sache, eu pour effet d'enlever aux versements de revenu leur caractère comme tel ou à les rendre non imposables.
En outre, et comme je l'ai laissé entendre dans le paragraphe précédent, je ne crois pas que l'on puisse à bon droit qualifier chaque mensualité de 1 000 $ de «prix» au sens du paragraphe 52(4). J'ai déjà cité le texte du billet de loterie qui explique que le «grand prix» correspond à «1 000 $ par mois à vie». De toute évidence, suivant le sens ordinaire des mots, on ne saurait considérer qu'il s'agit de deux cent quarante prix séparés ou plus de 1 000 $ chacun, mais plutôt d'un prix unique consistant en des rentrées régulières de revenus garantis pendant au moins 20 ans. Cette conclusion est confirmée par le texte qui se trouve à l'endos du billet et qui précise que chaque prix viager doit être financé par l'achat d'une rente viagère.
De par sa nature même, une série ininterrompue de mensualités viagères de 1 000 $ possède le caractère et les attributs d'un revenu. Voici quelques-unes des caractéristiques qui font ressortir fortement ce carac- tère selon moi. Les versements sont périodiques, réguliers, certains, prévisibles, attendus et exécu- toires; ils doivent aussi durer pendant toute la vie du bénéficiaire et, sous réserve uniquement de cette res triction, ils sont inépuisables. Le fait que leur valeur actuelle est beaucoup moins élevée que la valeur nominale minimale qu'elles auront avec le temps démontre qu'elles contiennent une importante com- posante fondée sur l'intérêt ou la productivité de l'ar- gent.
La source du revenu constitué par la série ininter- rompue de versements est l'obligation contractuelle souscrite par l'Association au moment l'intimée a acheté le billet gagnant. Plus immédiatement, c'est le contrat de rente que l'Association a acheté à la Sun Life au profit de l'intimée pour s'acquitter de l'obli- gation qu'elle avait contractée envers cette dernière. S'il en coûte 135 337,75 $ à l'Association pour s'ac- quitter de l'obligation contractuelle qu'elle a contrac- tée envers l'intimée au moment celle-ci s'est pré- sentée avec son billet gagnant en 1978, c'est sûrement la valeur du prix qu'elle a gagné.
L'intimée a acquis, dans le cadre d'une loterie, un prix consistant en une série ininterrompue de men- sualités de 1 000 $ sa vie durant. Ce prix avait une valeur de 135 337,75 $, et le législateur voulait de tout évidence qu'il tombe sous le coup des disposi tions du paragraphe 52(4). C'est un «gain fortuit» qui constitue un capital et qui n'est donc pas imposable comme revenu. Comme il est réputé avoir été acquis par elle à un coût égal à sa juste valeur marchande, c'est-à-dire 135 337,75 $, ce prix n'est par ailleurs pas assujetti à l'impôt sur les gains en capital.
Les mensualités que l'intimée a reçues constituent toutefois une question entièrement différente. Il est vrai qu'elle reçoit chaque versement en conséquence du fait qu'elle a gagné un prix d'une valeur de 135 337,75 $, mais aucun versement ou groupe de versements ne constitue en soi le prix. Le prix, c'est la série ininterrompue de versements garantis à vie, dont chacun est composé, dans une large mesure, du revenu découlant de la valeur en capital exonéré d'impôt du prix. Si elle avait gagné une somme for- faitaire et qu'elle l'avait placée, il n'y a aucun doute que le revenu provenant de ce placement serait impo- sable entre ses mains; seul le capital serait libre d'im- pôt par application du paragraphe 52(4). En l'espèce, le placement de la valeur en capital du prix était en fait obligatoire, et lui était imposé par les règles du jeu lui-même, mais cela ne saurait certainement pas changer le résultat.
Ce que l'intimée a reçu en 1979, ce sont douze ver- sements de 1 000 $ chacun. Ces versements ont été effectués en vertu d'une rente au sens du paragraphe 248(1) précité. En tant que tels, ils ont un caractère de revenu et doivent, selon l'alinéa 56(1)d), être inclus dans le calcul du revenu de la contribuable. Aux termes de l'alinéa 60a), peuvent être déduites de cette somme les sommes déterminées de la manière prescrite comme ayant été un remboursement de capital. Ces sommes s'élevaient à 3 844,80 $ en 1979. Le solde de 8 155,20 $ constituait un revenu imposable et c'est à bon droit qu'il a été considéré comme tel dans la cotisation.
J'accueillerais l'appel avec dépens, annulerais le jugement de la Section de première instance et rejet- terais l'action avec dépens.
LE JUGE HEALD, J.C.A.: Je suis du même avis. LE JUGE STONE, J.C.A.: Je suis du même avis.
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