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A-638-90
F. Latimer, G. Lynch & P. Watson (requérants) c.
Sa Majesté la Reine du chef du Canada représentée par le Conseil du Trésor (intimée)
RÉPERTORIE: LATIMER C. CANADA (CONSEIL DU TRÉSOR) (C.A.)
Cour d'appel, juges Mahoney, Stone et MacGuigan, J.C.A.—Ottawa, 3 et 5 décembre 1991.
Fonction publique Relations du travail Des employés à titre occasionnel ayant travaillé moins de six mois réclament l'admissibilité à des augmentations de traitement rétroactives obtenues par l'unité de négociation Manœuvres et hommes de métier La LRTFP exclut ces personnes de la définition de l'expression «fonctionnaire» Les requérants soutiennent devant l'arbitre que cette exclusion est contraire à la Charte L'arbitre n'a pas compétence à l'égard des parties ni de l'ob- jet du litige.
Droit constitutionnel Charte des droits Recours Des employés à titre occasionnel soutiennent que la disposition de la LRTFP qui exclut de la définition de l'expression «fonction- naire» les employés ayant travaillé moins de six mois est incompatible avec les droits à l'égalité et à la liberté d'asso- ciation garantis par la Charte Les tribunaux des relations de travail ont un pouvoir limité de se prononcer sur les ques tions relatives à la Charte qui portent sur leur compétence Cette dernière découle de leur loi constitutive et non de la Constitution L'arbitre nommé en vertu de la LRTFP n'a pas compétence à l'égard des parties ni de l'objet du litige.
Il s'agit d'une demande de révision de la décision dans laquelle un arbitre a conclu qu'il n'avait pas la compétence nécessaire pour être saisi du grief des requérants.
Les requérants sont des employés à titre occasionnel engagés par l'intimée pour moins de six mois. Leurs fonctions sont portées au groupe professionnel Manoeuvres et hommes de métier (MHM), représenté à des fins de négociation collec tive par l'Alliance de la Fonction publique du Canada (AFPC). Les requérants ont réclamé l'admissibilité aux augmentations de traitement rétroactives obtenues pour les fonctionnaires du groupe MHM dans le cadre de négociations collectives. L'em- ployeur soutient qu'ils ne sont pas visés par la convention col lective puisqu'ils ne sont pas fonctionnaires: l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique exclut expressément de la définition de l'expression «fonctionnaire» les employés à titre occasionnel ayant travaillé moins de six mois. Les requérants ont déposé un grief; ils ont soutenu devant l'arbitre que le refus de la Loi de leur reconnaître la qualité de fonctionnaires est incompatible avec leurs droits à la liberté d'association et à l'égalité prévus à la Charte. L'arbitre a conclu que seule la Commission des relations de travail dans
la Fonction publique (CRTFP) et non lui pouvait se prononcer sur la constitutionnalité de l'une des dispositions de la Loi.
Arrêt: la demande devrait être rejetée.
Les tribunaux ont reconnu le pouvoir restreint mais impor tant des commissions des relations de travail de se prononcer sur des questions constitutionnelles ayant trait à leur propre compétence. Ce pouvoir est considéré comme étant conféré non pas par la Constitution, mais par le cadre législatif dont fait partie le tribunal administratif. Dans l'arrêt Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), la Cour suprême du Canada s'est montrée d'avis à la majorité que cette compétence doit être conférée par la loi habilitante ou par ail- leurs expressément ou implicitement. La même Cour, dans l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration) a conclu qu'en l'absence d'une attribution de pouvoir par une loi, un conseil arbitral n'est pas compétent pour se prononcer sur la constitutionnalité de sa loi habilitante.
La question litigieuse en l'espèce vise la compétence du tri bunal administratif à l'égard des parties qui se sont présentées devant lui. La compétence de l'arbitre lui est conférée à l'égard des «fonctionnaires» par une loi qui exclut expressément les personnes telles que les requérants. Aucune restriction de ce genre n'est imposée à la CRTFP, qui a pour mandat légal d'exercer les pouvoirs qu'implique la réalisation des objets de la Loi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice Il, 44], art. 2d), 15.
Lei constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 52.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7, art. 28.
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), chap. P-35, art. 2, 21, 34, 92, 96.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep. 790; Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'em- ploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 81 D.L.R. (4th) 358; 91 CLLC 14,023; 126 N.R. 1.
DÉCISION EXAMINÉE:
Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161.
DÉCISION CITÉE:
Dougla.s/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 91 CLLC 17,002; 118 N.R. 340.
AVOCATS:
Andrew J. Raven pour les requérants.
Roger R. Lafrenière et Dora Benbaruk pour l'in-
timée.
PROCUREURS:
Soloway, Wright, Ottawa, pour les requérants. Le sous-procureur général du Canada pour l'in- timée.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
MACGUIGAN, J.C.A.: Cette demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), chap. F-7] vise la compétence qu'a un arbitre nommé par la Commission des relations de travail dans la Fonction publique («la CRTFP» ou «la Commis sion») pour déterminer la qualité des requérants comme fonctionnaires.
I
Les requérants, employés à titre occasionnel par l'in- timée, recherchent l'admissibilité à des augmenta tions de traitement rétroactives obtenues pour les fonctionnaires de l'unité de négociation Manoeuvres et hommes de métier («MHM») dans le cadre des négociations menées par l'agent négociateur, l'Al- liance de la Fonction publique du Canada (l'«AFPC»). L'intimée nie leur admissibilité au motif qu'ils ne sont pas des fonctionnaires aux fins de la convention collective parce qu'ils sont des employés à titre occasionnel pour une période de moins de six mois, et qu'ils sont ainsi exclus de la définition du mot fonctionnaire dans la Loi sur les relations de tra vail dans la fonction publique («la Loi»), L.R.C. (1985), chap. P-35, qui contient la définition suivante à l'article 2:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«fonctionnaire» Personne employée dans la fonction publique, ... mais à l'exclusion des per- sonnes:
g) employées à titre occasionnel ou temporaire et ayant tra- vaillé à ce titre pendant moins de six mois; ...
Le même article consacré aux définitions décrit le grief comme étant la plainte déposée par un «fonc- tionnaire»:
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.
«grief» Plainte écrite déposée conformément à la présente loi par un fonctionnaire, soit pour son propre compte, soit pour son compte et celui de un ou plu- sieurs autres fonctionnaires, ...
L'article 92 de la Loi prévoit l'arbitrage des griefs:
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la pro- cédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonction- naire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur:
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une dis position d'une convention collective ou d'une décision arbi- trale;
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une sanction pécuniaire.
(2) Pour pouvoir renvoyer à l'arbitrage un grief du type visé à l'alinéa (1)a), le fonctionnaire doit obtenir, dans les formes réglementaires, l'approbation de son agent négociateur et son acceptation de le représenter dans la procédure d'arbitrage.
Les autres dispositions citées au cours de la plai- doirie relativement aux pouvoirs de la Commission dans son ensemble sont le paragraphe 21(1) et les articles 34 et 96, qui sont libellés comme suit:
21. (1) La Commission met en oeuvre la présente loi et exerce les pouvoirs et fonctions que celle-ci lui confère ou qu'implique la réalisation de ses objets, notamment en prenant des ordonnances qui exigent l'observation de la présente loi, des règlements pris sous le régime de celle-ci ou des décisions qu'elle rend sur les questions qui lui sont soumises.
34. À la demande de l'employeur ou de l'organisation syn- dicale concernée, la Commission se prononce sur l'apparte- nance ou non d'un fonctionnaire ou d'une classe de fonction- naires à une unité de négociation qu'elle a préalablement définie, ou sur leur appartenance à une autre unité.
96. (1) Sauf règlement pris par la Commission aux termes de l'alinéa 100(1)d), le renvoi d'un grief à l'arbitrage de même que son audition et la décision de l'arbitre à son sujet ne peu- vent intervenir qu'après l'observation intégrale de la procédure applicable en la matière jusqu'au dernier palier.
(2) En jugeant un grief, l'arbitre ne peut rendre une décision qui aurait pour effet d'exiger la modification d'une convention collective ou d'une décision arbitrale.
(3) Sauf dans le cas d'un grief qui peut être renvoyé à l' arbi- trage au titre de l'article 92, la décision rendue au dernier palier de la procédure applicable en la matière est finale et obligatoire, et aucune autre mesure ne peut être prise sous le régime de la présente loi à l'égard du grief ainsi tranché.
Que les requérants soient fonctionnaires ou pas, la nature de leurs fonctions et de leurs responsabilités est telle qu'ils sont classés au sein du groupe profes- sionnel MHM, qui est représenté à des fins de négo- ciation collective par l'AFPC.
Les requérants ont soutenu devant l'arbitre et de nouveau devant cette Cour que le refus de reconnaître la qualité de fonctionnaire aux employés à titre occa- sionnel à l'alinéa 2g) de la Loi est incompatible avec la liberté d'association prévue à l'alinéa 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés [qui consti- tue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] («la Charte») et avec la protection accordée aux droits à l'égalité en vertu de l'article 15 de la Charte, et qu'en conséquence de l'application de l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, chap. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]], l'exclusion des employés à titre occasionnel en vertu de l'alinéa 2g) de la Loi est
nulle et sans effet.
Le commissaire Young, qui siégeait comme arbi-
tre, a statué dans ses motifs de décision en date du 14 août 1990, qu'une telle question ne peut être abordée qu'au moyen d'une demande régulièrement adressée à la CRTFP dans son ensemble plutôt que sous forme de grief soumis à un arbitre. Les parties pertinentes de son raisonnement sont les suivantes (Dossier, aux
pages 427a à 429):
[TRADUCTION] Essayer de trancher les prétentions des employés par la procédure d'arbitrage de griefs présente d'énormes difficultés. Il y a lieu de signaler que les parties ont reconnu que les trois employés s'estimant lésés étaient visés par l'exclusion g) de la définition de «fonctionnaire» figurant à l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. L'avocat des employés a avancé au nom de ses clients des arguments très détaillés et sérieux à propos des droits qui leur sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. L'ingéniosité de ces arguments n'enlève rien au fait que ces derniers, me semble-t-il, vont bien au-delà des consi- dérations qui entrent ou devraient entrer en ligne de compte dans le règlement des griefs. Essentiellement, l'avocat main- tient que la définition de «fonctionnaire» figurant dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique va à l'en- contre de la Charte et que, par conséquent, les employés ont été privés de la possibilité de s'associer et de devenir membres de l'unité de négociation.
Autrement dit, afin de résoudre ce qui normalement serait une simple demande de hausse de traitement rétroactive, l'avo- cat des employés exige de l'arbitre qu'il se prononce sur la constitutionnalité d'une partie importante du cadre régissant la négociation collective dans la fonction publique fédérale. Les ramifications d'une telle décision pourraient être énormes et aller bien au-delà des limites des présents griefs, étant donné que le terme «fonctionnaire», tel qu'il est défini dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, est utilisé par- tout dans la Loi pour établir la portée de la négociation, de l'accréditation, de la procédure de règlement des griefs, etc.
En réalité, ce que Me Raven me demande d'accomplir, pour faire droit aux griefs, c'est de déclarer que les employés en cause sont des «fonctionnaires» et qu'ils sont membres de l'unité de négociation. À toutes fins utiles, cela équivaudrait à étendre la portée de l'ordonnance d'accréditation initiale ren- due par la Commission il y a quelque 23 ans. Non seulement cette décision remettrait en question le cadre et la procédure régissant la négociation collective dans la fonction publique fédérale, mais elle remettrait vraisemblablement en question tous les autres certificats délivrés par la Commission les droits des employés occasionnels seraient en jeu.
Voilà des questions d'une ampleur telle qu'il est impossible de penser pouvoir les trancher dans les limites d'un simple grief portant sur le droit à un traitement rétroactif. Si l'on peut sympathiser avec les employés qui touchent des salaires dispa- rates et peu élevés en comparaison de ceux que reçoivent leurs collègues syndiqués—avec qui ils travaillent dans les mêmes conditions, exception faite de la durée de leur nomination—, il demeure qu'il s'agit de questions que la Commission ne peut examiner que dans le cadre d'une demande en règle, plutôt que sous le couvert d'un grief, comme c'est le cas ici. Par exemple, dans le jugement Cuddy Chicks (précité) sur lequel l'avocat des employés a appuyé sa plaidoirie, la question en litige découlait d'une demande d'accréditation. La Cour d'appel de l'Ontario a confirmé la décision de la Commission des rela tions de travail de l'Ontario selon laquelle cette dernière avait le pouvoir voulu pour décider si la disposition de sa loi habili- tante excluant les travailleurs agricoles de la négociation col-
lective violait la Charte et était par conséquent nulle et sans effet en vertu de l'article 52 de la Loi constitutionnelle du Canada, 1982. La Cour suprême du Canada doit très prochai- nement se prononcer sur cette affaire.
D'autre part, à la lumière de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, j'estime que j'outrepasserais mes pouvoirs d'arbitre en décidant si une dis position de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique viole la Charte et si elle est par conséquent nulle et sans effet. Une telle décision pourrait remettre en question non seulement une bonne partie des fondements actuels de la négo- ciation collective au sein de la fonction publique fédérale, mais également la portée d'un grand nombre de certificats délivrés par la Commission. Ces questions, tel que je l'ai dit plus haut, relèvent de la compétence de la Commission et non d'un arbi- tre, et elles devraient être soulevées dans le contexte d'une demande appropriée présentée à la Commission, et non d'un grief portant sur un rappel de salaire.
Il est non seulement concevable mais fort probable que toute demande dont serait saisie la Commission des relations de tra vail dans la fonction publique en vue de faire annuler les dispo sitions d'exclusion figurant dans la définition de «fonction- naire» de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique intéresserait au plus haut point tous les employeurs et tous les agents négociateurs qui risqueraient d'être touchés par la décision. À ce titre, ils auraient droit à être notifiés de la procédure et à se voir accorder le statut d'intervenants. Cela n'est pas possible dans le contexte du renvoi à l'arbitrage de griefs portant sur une demande de rémunération rétroactive et mettant en cause trois personnes et un seul agent négociateur.
Étant donné que par définition les employés en cause ne sont pas des fonctionnaires aux termes de la Loi sur les rela tions de travail dans la fonction publique, et comme je n'estime pas avoir, en tant qu'arbitre, le pouvoir de déterminer si l'ex- clusion g) de la définition de fonctionnaire figurant à l'article 2 de la Loi viole la Charte et est donc nulle et sans effet, je déclare que les employés n'ont droit à aucun des avantages figurant dans quelque convention collective que ce soit négo- ciée pour les fonctionnaires membres de l'unité de négociation Manoeuvres et hommes de métier.
Je partage le point de vue de l'arbitre Young, mais parce qu'il a rendu sa décision avant les trois récents arrêts de la Cour suprême du Canada confirmant la compétence qu'ont les tribunaux administratifs d'in- terpréter la Constitution, y compris la Charte, je crois qu'il serait bon de tenir compte de ces arrêts dans l'interprétation de la décision susmentionnée.
II
Les trois récents arrêts en question de la Cour suprême sont les suivants: Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; Cuddy Chicks Ltd c. Ontario (Commission des rela-
tions de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; Tétreault- Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22.
Lorsque le juge La Forest a rendu les motifs de jugement de la majorité dans l'affaire Douglas Col lege, il a considéré trop évident pour en discuter le fait que l'arbitre, nommé en vertu des dispositions de la Industrial Relations Act, R.S.B.C. 1979, chap. 212, avait compétence sur les parties, ce qui constitue la principale question en l'espèce, mais en fin de compte il en est aussi arrivé à la conclusion que l'ar- bitre avait également compétence sur l'objet en litige et la réparation recherchée. Pour ce qui est de la com- pétence à l'égard des parties, il suffit de noter que les deux membres de la faculté qui avaient déposé le grief étaient membres d'un syndicat représentant les employés du Collège lorsqu'ils ont présenté leur grief en vertu de la convention collective contre la retraite obligatoire prévue par la convention.
Dans l'affaire Cuddy Chicks, la question portait sur la compétence de la Commission des relations de tra vail de l'Ontario de décider de la constitutionnalité d'une disposition de sa loi habitante, la Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, chap. 228, dans le cadre d'une demande d'accréditation d'une section locale d'un syndicat international. aussi, il ne pou- vait y avoir de doute quant à la compétence de la Commission à l'égard des parties, de l'employeur et du syndicat, puisqu'ils étaient régulièrement devant elle. Le problème tenait à la compétence de la Com mission à l'égard de l'objet du litige et de la répara- tion recherchée. Selon les propres mots du juge
La Forest la page 15):
Il faut d'abord déterminer si la Commission a compétence à l'égard de l'ensemble de l'affaire qui lui est soumise. Il est clair qu'elle a compétence à l'égard de l'employeur et du syn- dicat. La question porte en l'espèce sur sa compétence à l'égard de l'objet du litige et de la réparation recherchée. L'ob- jet du litige dont la Commission est saisie ne peut être simple- ment qualifié de demande d'accréditation, laquelle relèverait sans aucun doute de sa compétence. Il s'agit en l'espèce d'une demande qui exige que la commission examine l'al. 26) de la Loi à la lumière de la Charte afin de déterminer si la demande d'accréditation lui est régulièrement soumise. De la même façon, en raison la réparation recherchée, soit l'accrédita- tion, la Commission doit refuser de donner effet à l'al. 26) de la Loi compte tenu de son manque de conformité avec la Charte. Puisque l'objet du litige et la réparation en l'espèce supposent l'application de la Charte, le pouvoir d'appliquer
celle-ci doit se trouver dans la loi habilitante de la Commis sion.
Après avoir conclu que la Commission des relations de travail de l'Ontario avait non seulement la compé- tence mais encore l'obligation de vérifier la validité constitutionnelle de toute disposition contestée de sa Loi habilitante, le juge La Forest a dit ce qui suit la page 19):
Ces arrêts traitent non seulement de la nature fondamentale de la Constitution, mais aussi de la compétence décisionnelle des commissions des relations du travail et de la valeur de leur expertise aux étapes initiales de délibérations constitution- nelles complexes. Ces considérations d'ordre pratique ont amené les tribunaux à reconnaître le pouvoir, certes soigneuse- ment restreint, des tribunaux des relations du travail de se pro- noncer sur des questions constitutionnelles ayant trait à leur propre compétence. Ces considérations sont tout aussi contrai- gnantes dans le cas de la contestation, sur le plan de la Charte, de la loi habilitante d'un tribunal administratif. Par conséquent, l'extension du «rôle restreint, mais important» des commis sions des relations du travail au domaine de la Charte n'est que la progression naturelle d'un principe bien établi.
Dans l'arrêt Tétreault-Gadoury, qui traitait du refus d'accorder aux personnes de plus de 65 ans les prestations ordinaires d'assurance-chômage, le juge La Forest a dit la page 31) «[l]a Cour est saisie, pour la première fois, ... de la question de savoir si un tribunal administratif, auquel n'a pas été conféré expressément le pouvoir d'examiner toutes les lois pertinentes, peut néanmoins appliquer la Charte». Le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ne confere pas lui-même un tel pouvoir à un tribunal. Seule, sa loir habilitante peut le faire. La Cour n'a vu
1 Dans tous ces arrêts, le juge La Forest a déclaré que «[1]a compétence du tribunal, doit plutôt lui avoir été conférée expressément ou explicitement par sa loi constitutive ou autre- ment». (Cuddy Chicks à la p. 14, c'est moi qui souligne) et son point de vue est considéré différent du sien par le juge Wilson (Cuddy Chicks, à la p. 20):
Dans le présent pourvoi, mon collègue a réitéré la position qu'il avait adoptée dans Douglas College selon laquelle le pouvoir d'appliquer la Charte doit se trouver dans la loi habilitante du tribunal et il a conclu de nouveau que sa com- pétence se trouve et que la vaste compétence conférée à la Commission par la Loi sur les relations de travail, L.R.O. 1980, ch. 228, comprend le pouvoir d'interpréter la Charte.
En partageant l'opinion de mon collègue dans le présent pourvoi, je désire donc encore une fois ajouter la réserve dont j'ai assorti mon opinion concordante dans l'arrêt Dou- glas College. Â mon avis, l'absence d'autorisation d'exami-
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aucune attribution explicite de compétence semblable dans la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage en ce qui concerne le conseil arbitral, alors que la compé- tence en question est expressément attribuée au juge- arbitre. Le juge La Forest a donc conclu la page 35):
... j'estime qu'en dépit de la capacité pratique du conseil arbitral, il découle de l'économie de la Loi de 1971 sur l'assu- rance-chômage qu'il convient davantage de présenter la ques tion constitutionnelle au juge-arbitre, en appel, plutôt qu'au conseil lui-même.
Appliquant le critère énoncé dans les arrêts Douglas College et Cuddy Chicks, j'estime que, tout en ayant compétence sur les parties en l'espèce, le conseil arbitral n'avait pas compé- tence quant au fond du litige et à la réparation demandée.
Il a vu dans cette conclusion le maintien de l'éco- nomie de la loi et la préservation des avantages qu'il y a, d'un point de vue pratique, à permettre aux tribu- naux administratifs de se prononcer sur des questions constitutionnelles (aux pages 35 37):
Dans les arrêts Douglas College et Cuddy Chicks, précités, j'ai reconnu qu'il y a de nombreux avantages, d'un point de vue pratique, à permettre aux tribunaux administratifs de sta- tuer sur des questions constitutionnelles. Il importe de souli- gner que plusieurs de ces avantages sont préservés en l'espèce, même si la compétence de trancher des litiges relatifs à la Charte ne ressortit pas au conseil. Le plus important est que la Loi de 1971 sur l'assurance-chômage prévoit la possibilité d'un appel devant un juge-arbitre possédant cette compétence. Cette possibilité revêt une importance considérable en ce qu'elle donne au requérant un recours autre que le processus judiciaire normal ...
Toutefois, lorsque, comme en l'espèce, le législateur a donné au justiciable la possibilité d'interjeter appel devant un organisme administratif investi du pouvoir de prendre en con- sidération des arguments d'ordre constitutionnel, le besoin de faire trancher la question constitutionnelle par le tribunal de premier ressort n'est manifestement pas aussi grand. En pareil cas en effet, les justiciables jouissent toujours des avantages que présente l'examen de la question constitutionnelle à l'inté- rieur du processus administratif.
Est également préservé un autre avantage majeur qu'offre l'examen de questions relatives à la Charte au niveau adminis- tratif, à savoir, celui de pouvoir compter sur l'expertise du tri bunal. Grâce à sa vaste expérience de l'économie de la Loi, le juge-arbitre apportera un éclairage qui rendra précieuse sa con-
(Suite de la page précédente)
ner la question relative à la Charte dans la loi habilitante n'est pas nécessairement concluante quant à la compétence d'un tribunal puisque le pouvoir et l'obligation d'appliquer le droit peuvent se trouver ailleurs ...
tribution à la décision sur la question constitutionnelle. En outre, cette prise en charge par le juge-arbitre de la compétence sur les questions portant sur la Charte ne compromettra pas la nature du processus administratif. Dans l'arrêt Douglas Col lege, j'ai évoqué le fait que, dans certaines situations, l'attribu- tion du pouvoir de prendre en considération des arguments constitutionnels constituerait une entrave à la justice spéciali- sée, relativement peu onéreuse, que le tribunal est censé ren- dre. En raison simplement du nombre considérable d'affaires que certains organismes administratifs doivent entendre, il serait en effet hautement irréaliste, sinon impossible de s'atten- dre à ce qu'ils puissent se prononcer sur des questions constitu- tionnelles. La Commission de l'emploi et de l'immigration en est un exemple. Par contre, il est probable qu'un tribunal situé à un niveau plus élevé de la hiérarchie administrative, dont les fonctions seraient davantage de nature juridictionnelle—c'est- à-dire un tribunal fréquemment appelé à résoudre des questions de droit ou de fait conformément à des règles législatives ou des règlements—, serait mieux en mesure de recevoir des argu ments et de trancher des questions constitutionnelles qu'un tri bunal appelé avant tout à constater des faits. C'est à ce type de tribunal que correspond le juge-arbitre.
Dans aucun de ces trois arrêts la question précise de la compétence à l'égard des parties se trouve-t-elle en litige, comme c'est le cas en l'espèce. En effet, dans cette affaire, l'article 92 confère à l'arbitre la compétence de régler des griefs, dont il est dit à l'ar- ticle 2 qu'ils sont déposés par des «fonctionnaires», lesquels, selon la définition de ce mot, ne compren- nent pas les personnes «employées à titre occasionnel ou temporaire». Le paragraphe 96(2) interdit à un arbitre de rendre une décision qui aurait pour effet d'exiger la modification d'une convention collective. De plus, la compétence de l'arbitre à l'égard des par ties est aussi limitée par le libellé de la convention collective puisque, ne faisant pas partie de l'unité de négociation, les requérants ne sont pas admissibles aux avantages qu'elle a négociés.
Non seulement l'arbitre n'a-t-il pas compétence à l'égard des parties, mais il en va de même, semble-t- il, à l'égard de l'objet du litige.
Par contre, la CRTFP exerce pleinement en vertu du paragraphe 21(1), «les pouvoirs et fonctions» que lui confère la Loi «ou qu'implique la réalisation de ses objets». Cette attribution de pouvoirs implicites est à mon sens très importante. La Commission se voit attribuer une large gamme de pouvoirs tout au long de la Partie I de la Loi, dont la faculté de se pro- noncer sur l'appartenance d'un fonctionnaire à une unité de négociation en vertu des articles 33 et 31. La
compétence de la Commission n'est clairement pas restreinte comme l'est celle de l'arbitre.
Contrairement au rapport entre le conseil arbitral et le juge-arbitre étudié dans l'arrêt Tétreault-Gadoury, il ne peut y avoir dans une affaire comme celle-ci aucun appel de la décision de l'arbitre auprès de la Commission. Il se peut, comme l'a laissé entendre l'intimée, qu'une procédure fondée sur l'article 34, qui peut être intentée «at any time» selon le libellé de la version anglaise, soit la méthode appropriée de soumettre une telle affaire à la Commission. Reste à déterminer si cela est faisable, étant donné la décision de la Cour suprême dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614 2 . Si cela n'est pas pos sible, il me semble que la conclusion de la majorité (motifs du juge Sopinka, aux pages 630 et 631) n'aide en rien les requérants:
... j'arrive à la conclusion que le Parlement n'a pas eu l'in- tention d'attribuer à la Commission la compétence sur les rela tions de travail des employés qui ne sont pas membres de la Fonction publique.
... D'après le texte même de l'art. 33 [aujourd'hui l'art. 34], le rôle de la Commission consiste non pas à déterminer qui est employé, mais plutôt à déterminer si les employés qui répon- dent à cette définition appartiennent à une unité particulière de négociation.
Si même la Commission n'a pas la compétence nécessaire pour se prononcer sur la question en litige en l'espèce, un arbitre serait encore moins fondé à revendiquer cette compétence. En tout état de cause, que la Commission ait ou non compétence à l'égard des requérants ou de l'objet du litige, il semble clair qu'un arbitre n'a pas cette compétence 3 .
2 Dans l'affaire sur laquelle s'est prononcée la Cour suprême, le litige ne portait pas sur l'inconstitutionnalité, mais il est incertain que cela constitue un motif suffisant de distinc tion.
3 Dans l'éventualité la Commission et l'arbitre se révéle- raient dépourvus de compétence, on pourrait toujours deman- der à la Section de première instance de rendre un jugement déclaratoire.
III
En fin de compte, la demande doit être rejetée. LE JUGE MAHONEY, J.C.A.: Je souscris à ces motifs. LE JUGE STONE, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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