Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-821-91
Procureur général du Canada (requérant) c.
Clarence Levac et Commission canadienne des droits de la personne (intimés)
RÉPERTORIÉ.' CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL) C. LEVAC (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Desjardins et Décary, J.C.A.—Montréal, 29 et 30 avril; Ottawa, 8 juillet 1992.
Droits de la personne Demande présentée en vertu de l'art. 28 en vue de faire annuler une décision rendue par un tribunal canadien des droits de la personne en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne L'intimé a été libéré de son emploi pour des raisons d'ordre médical Le tribunal a déclaré que les Forces armées ont commis un acte discriminatoire illicite en refusant de continuer à employer l'intimé Il s'agit, à première vue, d'un cas de discrimination Rejet du principal moyen qu'invoque le requérant sur le fondement de la négation de son droit à une audience impar- tiale La Cour n'est pas strictement tenue de recevoir de nouvelles observations parce qu'une juridiction supérieure a rendu une décision qui a pu modifier le droit La réouverture de l'audience est une question discrétionnaire L'arrêt Cen tral Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commis sion) de la C.S.C. n'a pas modifié fondamentalement le droit La conduite du requérant l'empêche de prétendre qu'il y a eu violation des règles de justice naturelle La preuve médi- cale des intimés est plus convaincante C'est à bon droit que le tribunal a conclu que l'EPJ d'ordre médical n'était pas jus- tifiée.
Juges et tribunaux La C.S.C. a rendu un arrêt qui aurait modifié fondamentalement le droit avant que le tribunal des droits de la personne ne tranche la présente affaire de discri mination dans l'emploi Il échet d'examiner s'il y a eu viola tion des règles de justice naturelle étant donné que le tribunal n'a pas accordé aux parties l'occasion de présenter de nou- velles observations et de nouveaux éléments de preuve Les cours de justice et les tribunaux administratifs ne sont jamais strictement tenus de recevoir de nouvelles observations lorsque la décision rendue par une juridiction supérieure après l'au- dience pourrait influencer leur décision Il s'agit d'une ques tion discrétionnaire en l'absence d'une demande de la part des parties.
Il s'agit d'une demande présentée en vertu de l'article 28 en vue de faire annuler la décision par laquelle un tribunal cana- dien des droits de la personne agissant en vertu de la Loi cana- dienne des droits de la personne a déclaré que les Forces armées canadiennes ont commis un acte discriminatoire illicite en refusant de continuer d'employer l'intimé, Clarence Levac. Après près de 30 années de service au sein des Forces armées,
M. Levac a été libéré contre son gré de son emploi pour des raisons d'ordre médical à cause d'une déficience cardiaque détectée au cours d'un examen médical de contrôle. Il a plaidé devant la Commission canadienne des droits de la personne que sa libération avait été imposée sur le fondement d'un des motifs de distinction illicite prévus par la Loi, à savoir la défi- cience physique. Les Forces armées se sont dites d'avis que Levac avait été libéré en raison d'une exigence professionnelle justifiée (EPJ) au sens de l'alinéa 15a) de la Loi. Le tribunal n'a pas accepté la réponse que les Forces armées ont donnée à la plainte; il a conclu qu'un acte discriminatoire avait été com- mis au sens de la Loi. Le principal moyen d'appel qu'invoque le requérant pour contester la décision du tribunal est qu'on a nié aux Forces armées le droit à une audience impartiale. Plus précisément, il prétend que le tribunal ne pouvait, sans rouvrir l'audience, rendre une décision fondée, du moins en partie, sur l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), que la Cour suprême a rendu après la clôture de l'audience. La question qui est soumise à la Cour est celle de savoir si le tribunal a eu raison de ne pas rouvrir l'audience après le prononcé de l'arrêt de la Cour suprême et de rejeter le moyen des Forces fondé sur l'exigence professionnelle justi- fiée.
Arrêt (le juge Desjardins, J.C.A., dissidente): la demande devrait être rejetée.
Le juge Marceau, J.C.A.: Le principal moyen que le requé- rant tire de la justice naturelle doit être rejeté. Un tribunal administratif ou une cour de justice ne peut jamais être stricte- ment tenu de recevoir de nouvelles observations des parties à un litige parce que la décision rendue par une juridiction supé- rieure après l'audience pourrait influencer sa décision. Il s'agit d'une question purement discrétionnaire. De plus, l'opinion du requérant suivant laquelle l'arrêt Alberta Dairy Pool signifie un changement fondamental du droit est insoutenable. S'il y a quelque chose de nouveau dans cet arrêt, c'est les éclaircisse- ments qui y sont donnés au sujet de la signification et de la portée de quelques-unes des notions à partir desquelles les lois et la jurisprudence sur les droits de la personne se sont déve- loppées. Madame le juge Wilson a souligné que l'exigence professionnelle justifiée que la loi fédérale et toutes les lois provinciales permettent d'invoquer comme moyen de défense dans le cas d'une plainte de discrimination dans l'emploi n'était pas conçue pour s'appliquer aux règles concernant l'exécution du travail, mais uniquement aux règles exigeant des employés des caractéristiques personnelles spéciales se rat- tachant à l'un des motifs de distinction illicite. Il y a une autre angle sous lequel on peut considérer l'arrêt Alberta Dairy Pool comme quelque peu innovateur. Jusqu'à maintenant, pour être justifiée, une exigence professionnelle justifiée devait, pour reprendre les termes employés par la Cour suprême dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, être «raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général». Désormais, elle doit être non seulement «raisonnablement» mais absolument nécessaire, c'est-à-dire qu'il ne doit exister aucune solution de rechange réalisable et
moins rigoureuse. Les membres du tribunal ont conclu que les Forces armées ne pouvaient excuser leur acte discriminatoire en invoquant une présumée exigence professionnelle justifiée d'ordre médical parce que, dans son inflexibilité et sa généra- lité, cette exigence n'était pas justifiée. L'approche qu'ils ont adoptée pour examiner l'affaire et les principes qu'ils ont sui- vis pour tirer leur principale conclusion étaient bien fondés et le tribunal n'avait aucune raison de rouvrir l'audience.
Le juge Décary, J.C.A.: En ce qui concerne le principal moyen soulevé par le requérant, c'est-à-dire qu'on lui a refusé une audience impartiale, le procureur général n'a jamais, au cours de la période relativement longue qui s'est écoulée entre le moment oh la Cour suprême a rendu l'arrêt Alberta Dairy Pool et le moment oh le tribunal a rendu sa décision, tenté d'obtenir la réouverture de l'audience. Il ne s'agissait pas en l'espèce du cas d'une partie à qui l'on refuse la possibilité de débattre une modification fondamentale apportée au droit. Il s'agit plut8t du cas d'une partie qui était si peu convaincue qu'il y avait effectivement eu une modification fondamentale par suite du prononcé d'une décision récente qu'elle ne s'est pas donnée la peine de demander l'autorisation de rouvrir l'au- dience. La conduite du requérant l'empêche de prétendre qu'il y a eu violation des règles de justice naturelle.
Au sujet du second moyen invoqué par le requérant, c'est-à- dire la question de savoir si le tribunal a eu raison de rejeter le moyen de défense invoqué par les Forces armées, on ne peut pas dire que le tribunal a commis une erreur qui donne lieu à un contrôle dans son appréciation de la preuve ou qu'il a tiré une conclusion qu'il ne pouvait raisonnablement tirer. La preuve médicale présentée par le requérant au sujet de la car- diopathie de Levac était maigre. Son principal expert médical n'a jamais examiné Levac personnellement, alors que l'expert médical des intimés l'a fait. Comme il n'y a pas eu de preuve d'un «risque suffisant», le tribunal avait le droit de confirmer le bien-fondé de la plainte.
Le juge Desjardins, J.C.A. (dissidente): La seule question qui est soumise à la Cour est celle de savoir si le tribunal a eu raison de rejeter le moyen de défense invoqué par les Forces années. Comme les parties ont reconnu que le présent cas est un cas de discrimination directe, par opposition à un cas de discrimination indirecte, il n'y a pas obligation de composer avec l'employé lorsqu'on invoque une EPJ étant donné que par définition une exigence professionnelle se rapporte à l'emploi et non à l'employé. En ce qui concerne la composante objec tive de l'EPJ, la véritable question qui se pose est celle de savoir si un bilan de santé impeccable sans «cardiopathie» est «raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général».
L'intimé bénéficiait d'affectations en mer, de sorte que c'est lui qui assumait les risques. Cependant, ce faisant, il ne pouvait que mettre en danger la vie d'autres personnes, étant donné qu'aucune des opérations de sauvetage décrites par les témoins des Forces ne pouvait être effectuée sans mettre en péril la vie de ses compagnons. De plus, ces opérations entraînaient néces- sairement des dépenses publiques considérables. La difficulté qui se pose en l'espèce est d'apprécier ce que le tribunal a fait
précisément lorsqu'il a évalué la preuve en ce qui concerne l'intéressé. Une fois qu'il a accepté que l'affectation en mer de l'intimé comportait un «élément de risque que ne présente pas l'affectation d'une personne en excellente santé», le tribunal a commis une erreur de droit en évaluant le degré de risque de manière h justifier l'application de la règle discriminatoire. La seule conclusion à laquelle il pouvait en venir était que les For ces armées avaient le droit d'imposer une ligne de démarcation arbitraire. Dès lors qu'il y avait un élément de risque, la bonne santé exigée par les Forces armées constituait une EPJ.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C.
(1985), ch. H-6, art. 3(1), 7a), 15a).
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS SUIVIES:
Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489; (1990), 33 C.C.E.L. 1; Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202; (1982), 132 D.L.R. (3d) 14; 82 CLLC 17,005; 40 N.R. 159.
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536; (1985), 52 O.R. (2d) 799; 23 D.L.R. (4th) 321; 17 Admin. L.R. 89; 9 C.C.E.L. 185; 86 CLLC 17,002; 64 N.R. 161; 12 O.A.C. 241; Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279; (1988), 53 D.L.R. (4th) 609; 88 N.R. 321; Saskatchewan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297; (1989), 90 CLLC 17,001.
DEMANDE présentée en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale en vue de faire annuler une décision par laquelle un tribunal canadien des droits de la personne a déclaré que les Forces armées cana- diennes ont commis un acte discriminatoire illicite en refusant de continuer d'employer l'intimé. Demande rejetée.
AVOCATS:
Alain Préfontaine et K. Watkin pour le requé-
rant.
René Duval pour les intimés.
PROCUREURS:
Le sous procureur général du Canada pour le requérant.
Commission canadienne des droits de la per- sonne, Services juridiques, Ottawa, pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: La décision contestée en l'espèce a été rendue par un tribunal canadien des droits de la personne qui agissait en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6. Il s'agit d'une déclaration portant que les Forces armées canadiennes ont commis un acte discriminatoire illicite en refusant de continuer d'employer l'intimé, Clarence Levac.
Les faits
Les faits essentiels qui ont donné lieu à la décision sont simples. M. Levac, qui travaillait pour les Forces armées depuis qu'il s'était engagé dans la Marine royale canadienne en 1955, à l'âge de 17 ans, a été libéré contre son gré de son emploi le 26 février 1984 pour des raisons d'ordre médical. À l'époque, Levac avait atteint le grade de premier maître de première classe, soit le grade le plus élevé qu'il pouvait obtenir en tant que sous-officier, et il était maître ingénieur (classement C-1/ER4). Les fonctions qu'il exerçait normalement à ce titre consistaient à s'occuper du fonctionnement et de l'entretien des divers appareils électriques et génératrices se trouvant à bord de navires. Les raisons d'ordre médical invoquées con- cernaient une déficience cardiaque détectée au cours d'un examen médical de contrôle.
S'estimant lésé, Levac a déposé auprès de la Com mission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il a plaidé que sa libération avait été imposée sur le fondement d'un des motifs de dis tinction illicite prévus par la Loi, à savoir la défi- cience physique.
Un tribunal composé de trois membres a tenu une audience qui a duré quatre jours. Le cas de Levac était simple. Il a lui-même témoigné qu'il n'avait aucun des symptômes liés à une maladie de cœur; il n'avait jamais souffert de douleurs à la poitrine; il
n'avait jamais eu de difficulté à s'acquitter de ses res- ponsabilités; il s'estimait parfaitement apte à accom- plir ses tâches. Il était par ailleurs accompagné d'un cardiologue réputé, le docteur Jean Gratton, qui s'est dit d'avis, sur le fondement de son examen et de ses connaissances techniques, que le rétrécissement des artères de Levac qui avait été diagnostiqué en 1979 était «minime» et qu'en fait, il se manifestait chez la majorité des hommes âgés de plus de 40 ans.
La réponse des Forces armées était, comme on pouvait s'y attendre, plus complexe. Elles se sont dites d'avis que Levac avait été libéré en raison d'une exigence professionnelle justifiée (EPJ) au sens de l'alinéa 15a) de la Loi, et que par conséquent aucun acte discriminatoire illégal n'avait été commis. Elles ont plaidé, en fait que, 1) à cause du rétrécissement des artères coronaires de Levac, les risques que celui- ci subisse une crise cardiaque au cours des cinq pro- chaines années étaient de huit à douze fois plus élevés; 2) Levac devait être affecté en mer au cours des années en question dans le cadre du système nor mal des affectations en mer et sur terre applicable aux personnes ayant son grade et exerçant ses fonctions et il était essentiel de laisser intact ce système, principa- lement pour des raisons de moral; 3) si Levac avait une crise cardiaque en mer, il courait deux à trois fois plus de risques de mourir que s'il se trouvait près d'un hôpital, compte tenu des installations médicales limitées disponibles sur certains navires, les des troyers par exemple, à bord desquels Levac pourrait servir; 4) la mort d'un marin à bord d'un navire affecte ses compagnons d'équipage sur le plan psy- chologique, et peut causer une interruption non sou- haitable de l'opération navale en cours.
La décision
Le tribunal n'a pas accepté la réponse que les For ces armées ont donnée à la plainte; il a conclu qu'un acte discriminatoire avait été commis au sens de la Loi. Il n'est pas nécessaire d'examiner en détail les longs motifs qu'il a soumis à l'appui de sa décision; ce qu'il faut remarquer attentivement, c'est l'ap- proche qu'il a adoptée dans son raisonnement et les conclusions essentielles auxquelles il en est venu. Voici un résumé rapide des motifs en question.
Après un examen complet des témoignages, les membres définissent dans les termes suivants les
questions à trancher (aux pages 30 et 31 de la déci- sion):
(1) La décision des intimées de libérer de force le plaignant pour des motifs d'ordre médical constitue-t-elle un acte dis- criminatoire fondé sur un motif de distinction illicite, c'est- à-dire la déficience physique, en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi?
(2) Si la réponse à cette question est affirmative, les intimées ont-elles néanmoins réussi à se disculper en invoquant la défense fondée sur l'exigence professionnelle justifiée pré- vue à l'alinéa 15a) de la Loi?
(3) De toute manière, les intimées étaient-elles légalement tenues de composer avec le plaignant, dans la mesure cela n'entraînait pas une contrainte excessive, en raison de l'effet préjudiciable que leur décision de mettre fin à son emploi pourrait avoir sur lui?
(4) Les intimées se sont-elles acquittées de cette obligation?
La première question ne soulève évidemment pas de difficulté: personne ne pourrait contester qu'il s'agissait, à première vue, d'un cas de discrimination. La deuxième question a donné lieu à une longue dis cussion qui a mené à la conclusion centrale suivante (aux pages 38, 39 et 40):
Le tribunal estime que les intimées n'ont pas démontré que le plaignant ne pouvait pas occuper, ni qu'on ne pouvait pas s'attendre qu'il puisse occuper le poste de premier maître de première classe ou de maître mécanicien que ce soit en mer ou à terre; elles n'ont d'ailleurs pas non plus prouvé que l'inexis- tence d'une maladie des artères coronaires ainsi que de la pré- vision ou la probabilité d'une crise cardiaque associée à cette maladie constitue une exigence professionnelle justifiée.
Par conséquent, le tribunal conclut que les intimées n'ont pas réussi à s'acquitter de leur fardeau d'établir une défense valide fondée sur une exigence professionnelle justifiée parce qu'elles n'ont pas réussi à prouver cette exigence au tribunal. Nous ne sommes pas convaincus que le plaignant ne pourrait pas, le cas échéant, servir en mer sans danger ou sans représen- ter un risque véritable pour lui-même, ses compagnons de tra vail ou son employeur, les intimées, et le public en général qu'elles représentent. Nous ne sommes pas non plus convain- cus, comme nous l'avons déjà clairement indiqué, que le plai- gnant ne pourrait pas s'acquitter de ses fonctions à terre.
La troisième question est introduite par les com- mentaires suivants la page 40):
Malgré ce qui précède, compte tenu de l'arrêt le plus récent de la Cour suprême concernant l'espèce, Alberta Human Rights Commission c. Central Alberta Dairy Pool, (précité) les intimées sont, de toute manière, légalement tenues de prendre les mesures raisonnables appropriées pour composer avec le
plaignant qui a été lésé par l'acte discriminatoire des intimées, dans la mesure od cela n'entraîne pas une contrainte excessive.
Le tribunal estime que les intimées ne se sont acquittées d'aucune de ces obligations légales.
Une déclaration rapide résout la quatrième ques tion la page 42):
Le tribunal est convaincu que les intimées pouvaient, de diverses manières sans que cela n'entraîne une contrainte excessive pour elles, composer avec le plaignant quant aux effets discriminatoires qu'il a subis, mais qu'elles ne l'ont pas fait.
Le moyen d'appel
Cet examen des faits et du contenu de la décision est décidément laconique, mais je n'ai pas besoin d'aller plus loin pour examiner le seul moyen de droit invoqué pour contester la décision que j'ai l'intention d'aborder dans les présents motifs. D'autres moyens ont été soulevés. L'avocat du procureur général a essayé de mettre en doute certaines des conclusions de fait tirées par le tribunal, mais il est rapidement devenu clair au cours de l'audience que cela ne ser- vait à rien, car il était déjà évident pour la Cour qu'on ne pouvait prétendre qu'aucune de ces conclusions avait été tirée sans tenir compte de la preuve. L'avo- cat n'a pas insisté sur ces autres moyens, sauf pour faire ressortir le seul moyen qui n'était pas exclusive- ment fondé sur les conclusions de fait.
La question qu'il nous reste à examiner concerne la justice naturelle. Le procureur général prétend qu'on a nié aux Forces armées le droit à une audience impartiale. Il prétend que le tribunal ne pouvait, sans rouvrir l'audience, rendre une décision fondée, du moins en partie, sur l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, que la Cour suprême a rendu après la clôture de l'audience. Voici comment il formule son raisonnement dans son mémoire:
[TRnnucnoN] 63. Lorsque le droit est modifié aussi fondamen- talement qu'il l'a été le 13 septembre 1990 à la suite de la publication de l'arrêt de principe Alberta Human Rights Com mission c. Central Alberta Dairy Pool de la Cour suprême du Canada, un organisme qui a le pouvoir de rendre la justice comme le tribunal est tenu, de par les règles de justice natu- relle, d'accorder aux parties qui comparaissent devant lui la possibilité de débattre la question de savoir si la décision de principe s'applique à leur situation particulière et, si elles le
désirent, de présenter de nouveaux éléments de preuve pour répondre aux nouvelles exigences auxquelles elles sont assujet- ties. Le fait de ne pas leur accorder cette possibilité revient à leur nier une audition impartiale, ce qui vicie toute la procé- dure et rend la décision invalide.
64. Le principe de l'audition impartiale suppose que les parties connaissent à l'avance les questions qu'elles devront aborder dans leur plaidoirie et qu'elles sachent quelle preuve elles doi- vent présenter pour appuyer leurs arguments.
65. Si le droit est modifié fondamentalement pendant que l'af- faire a été mise en délibéré, comme c'est le cas en l'espèce, la seule façon pour le tribunal d'accorder une audition impartiale aux parties est de leur donner la possibilité de présenter des arguments et des éléments de preuve.
66. Il était spécialement important que le tribunal agisse ainsi dans l'affaire qui nous occupe, parce que cette modification importante apportée au droit a des répercussions importantes sur la nature des éléments de preuve qui doivent être présentés pour aborder la présente affaire. La question de savoir ce qui constitue une solution de rechange acceptable ou ce qui fait partie de la liste non exhaustive d'exemples de contrainte excessive donnés par la Cour suprême est une question de fait qui doit être tranchée par le tribunal et que les parties doivent avoir la possibilité d'aborder.
Le rejet du moyen d'appel
On peut répondre en peu de mots à la prétention du requérant. Je ne crois pas qu'un tribunal administratif ou une cour de justice puisse être strictement tenu de recevoir de nouvelles observations des parties à un litige parce que la décision rendue par une juridiction supérieure après l'audience pourrait influencer sa décision. Il peut être utile et plus prudent de le faire mais j'estime qu'il s'agit d'une question purement discrétionnaire, surtout en l'absence de toute demande de la part des parties.
Il y a aussi une réponse plus complète. Je ne suis tout simplement pas d'accord avec l'opinion du requérant suivant laquelle l'arrêt Alberta Dairy Pool signifie un changement fondamental du droit. Le rai- sonnement fondamental du jugement que Madame le juge Wilson a rédigé au nom de la majorité est claire- ment exposé dans l'extrait suivant de ses motifs (aux pages 514 et 515):
Lorsque, à première vue, une règle établit une distinction fondée sur un motif de discrimination prohibé, sa justification devra reposer sur la validité de son application à tous les membres du groupe touché. En vertu du critère du motif justi fiable, il ne peut en effet y avoir d'obligation d'accommode- ment à l'égard des membres individuels du groupe puisque, comme l'a fait observer le juge McIntyre, cela saperait le fon-
dement même de ce moyen de défense. Ou bien on peut valide- ment établir une règle qui généralise à l'égard des membres d'un groupe ou bien on ne le peut pas. Par leur nature même, les règles qui constituent une discrimination directe imposent un fardeau à tous ceux qui y sont assujettis. Si tant est qu'elles puissent être justifiées, c'est dans leur, application générale qu'elles doivent l'être. Voilà pourquoi la règle doit être annulée si l'employeur ne réussit pas à démontrer qu'il s'agit d'une EPN. Une telle règle doit être distinguée d'une règle qui, neu- tre en apparence, a un effet préjudiciable sur certains membres du groupe auquel elle s'applique. En pareil cas, le groupe des personnes qui subissent un effet préjudiciable est toujours plus petit que le groupe auquel la règle s'applique. Dans les faits, fréquemment, le «groupe» lésé se composera d'une seule per- sonne, savoir le plaignant. La règle est alors maintenue en ce sens qu'elle s'appliquera à tous sauf aux personnes sur les- quelles elle a un effet discriminatoire, pourvu que l'employeur puisse procéder aux accommodements nécessaires sans subir de contraintes excessives. Dans l'arrêt O'Malley, le juge McIn- tyre met en lumière les conséquences différentes que compor- tent une conclusion à la discrimination directe ou une conclu sion à la discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Voici comment il s'exprime à la p. 555:
L'obligation dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la religion ou la croyance, consiste à prendre des mesures raisonnables pour s'entendre avec le plaignant, à moins que cela ne cause une contrainte excessive; en d'autres mots, il s'agit de prendre des mesures qui peuvent être raisonnables pour s'entendre sans que cela n'entrave indûment l'exploitation de l'entreprise de l'em- ployeur et ne lui impose des frais excessifs. Les cas comme celui-ci soulèvent une question très différente de celle que soulèvent les cas de discrimination directe. Lorsqu'on démontre l'existence de discrimination directe, l'employeur doit justifier la règle, si cela est possible, en vertu de la loi en cause, sinon elle est annulée. Lorsqu'il y a discrimination par suite d'un effet préjudiciable, fondée sur la croyance, la règle ou la condition répréhensible ne sera pas nécessaire- ment annulée. Elle subsistera dans la plupart des cas parce que son effet discriminatoire est limité à une personne ou à un groupe de personnes et que c'est son effet sur eux plutôt que sur l'ensemble des employés qui doit être examiné. Dans un tel cas, le problème de la justification ne se pose pas, car la condition raisonnablement liée à l'emploi n'a besoin d'aucune justification; ce qui est requis est une cer- taine mesure d'accommodement. L'employeur doit, à cette fin, prendre des mesures raisonnables qui seront susceptibles ou non de réaliser le plein accommodement. Cependant, lorsque ces mesures ne permettent pas d'atteindre complète- ment le but souhaité, le plaignant, en l'absence de conces sions de sa propre part, comme l'acceptation en l'espèce d'un emploi à temps partiel, doit sacrifier soit ses principes religieux, soit son emploi, [Mots soulignés par Madame le juge Wilson.]
Il n'y avait rien de nouveau à partir du principe que, sous le régime de la Loi, une règle d'admission que doit respecter une personne pour accéder à un
emploi et qui établit ouvertement entre des personnes une distinction fondée sur un motif de distinction illi- cite ne peut pas être traitée de la même manière qu'une règle concernant l'exécution du travail qui est neutre en apparence mais qui peut devenir discrimi- natoire lorsqu'on la met en pratique à cause des caractéristiques personnelles de certaines des per- sonnes du groupe auquel elle doit s'appliquer. Depuis l'arrêt Commission ontarienne des droits de la per- sonne et O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. et autres, [1985] 2 R.C.S. 536, dans lequel la Cour suprême du Canada a établi qu'aucune loi sur les droits de la per- sonne n'exige une intention de la part de l'employeur de commettre un acte discriminatoire et a conclu, par conséquent, que la discrimination indirecte ou discri mination par suite d'un effet préjudiciable était égale- ment interdite, la distinction a toujours été considérée comme un point de départ.
Il n'y avait rien de nouveau non plus à affirmer qu'une règle générale, qui prévoit les conditions d'admission que doit respecter quelqu'un pour accé- der à un emploi et qui établit en apparence une dis tinction illicite, doit évidemment être justifiée pour pouvoir être acceptée comme moyen de défense vala- ble, mais que, si elle est justifiée, il n'est pas alors question de vérifier si l'employeur ne pouvait pas en suspendre les effets dans certains cas particuliers. La nature même du moyen de défense fondé sur une EPJ 1 que l'employeur tire de l'existence d'une telle règle discriminatoire générale exige qu'il en soit ainsi. (Voir, plus particulièrement, les commentaires du juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202 et dans l'arrêt Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561, et ceux du juge Beetz dans l'arrêt Brossard (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne), [1988] 2 R.C.S. 279.)
Finalement, il n'y avait rien de nouveau à réitérer le principe que, dans le cas d'une règle concernant l'exécution du travail qui est neutre et qui crée une discrimination indirecte, l'employeur est tenu de prendre des mesures pour composer avec les
I Je conclus, à la lecture des motifs de Madame le juge Wil- son, aux p. 502 et 503, que les concepts d'EPJ et de QPJ (qua- lification) sont équivalents.
membres du groupe victimes de discrimination à laquelle la règle s'applique, à moins que cela ne cause une contrainte excessive. D'ailleurs, on a apporté une nuance nécessaire à l'élargissement donné dans l'arrêt O'Malley à l'interdiction faite par la loi à l'égard de la discrimination indirecte. Le tri bunal a déclaré que l'employeur pouvait se disculper en démontrant que la règle concernant l'exécution du travail contestée avait uniquement pour but d'attein- dre un objectif valable lié à l'emploi et qu'il avait pris des mesures raisonnables pour composer avec les employés lésés à cause de leurs caractéristiques per- sonnelles spéciales.
S'il y a quelque chose de nouveau dans l'arrêt Alberta Dairy Pool, c'est, je crois, les éclaircisse- ments qui y sont donnés au sujet de la signification et de la portée de quelques-unes des notions à partir desquelles les lois et la jurisprudence sur les droits de la personne se sont développées. La plus grande par- tie des commentaires de Madame le juge Wilson visent à démontrer que l'exigence ou la qualification professionnelle justifiée que la loi fédérale et toutes les lois provinciales permettent d'invoquer comme moyen de défense dans le cas d'une plainte de discri mination dans l'emploi n'était pas conçue pour s'ap- pliquer aux règles concernant l'exécution du travail, mais uniquement aux règles exigeant des employés des caractéristiques personnelles spéciales se ratta- chant à l'un des motifs de distinction illicite. Ce qui, en fait, semble être strictement conforme à l'expres- sion «exigence ou qualification professionnelle» et au fait que le moyen de défense qu'elle permet d'invo- quer à l'encontre de l'accusation est sans réserve. Madame le juge Wilson met dans une catégorie com- plètement différente les règles concernant l'exécution du travail qui n'ont rien à voir avec les caractéris- tiques personnelles des employés, comme les règles relatives à la tenue vestimentaire, à l'horaire de tra vail, aux pauses et ainsi de suite. Lorsque, dans l'ar- rêt O'Malley, la Cour a conclu que la discrimination qui pouvait découler de leur application était interdite non pas expressément, bien sûr, mais par les disposi tions générales et l'esprit de la loi (dans cette affaire, la loi ontarienne ne permettait même pas à l'époque d'invoquer une QPJ comme moyen de défense), elle a, comme on nous l'a rappelé ci-dessus, nuancé sa conclusion en précisant que l'employeur ne serait pas tenu responsable s'il avait pris toutes les mesures
possibles pour composer avec les employés lésés. Ce n'est que dans ce cas, et dans ce cas seulement, qu'existe l'obligation de prendre des mesures pour composer avec l'employé. C'est sur le fondement de ces éclaircissements sur les concepts applicables que Madame le juge Wilson a exprimé ses réserves au sujet de l'arrêt Bhinder. La «règle relative au port d'un casque de sécurité» dont il était question dans l'arrêt Bhinder n'était pas une EPJ mais une règle classique concernant l'exécution du travail qui avait un possible effet discriminatoire indirect semblable à celui dont il était question dans l'arrêt O'Malley, et en conséquence une obligation de prendre des mesures pour composer avec l'employé aurait da automatiquement être imposée à l'employeur.
Ces précisions sur la portée limitée du moyen de défense fondée sur une EPJ que prévoit l'article 15 de la Loi et sur la critique formulée en conséquence au sujet de l'arrêt Bhinder peuvent clarifier certains con cepts mais ne changent pas le droit. En tout état de cause, elles ne se rapportent manifestement pas direc- tement au cas qui nous occupe, étant donné que le moyen de défense que font valoir les Forces années en l'espèce est fondé directement sur l'article 15, car la règle invoquée constitue manifestement et sans équivoque une exigence professionnelle qui est direc- tement discriminatoire à sa face même.
Je suis prêt à reconnaître qu'il y a également un autre angle sous lequel on peut considérer l'arrêt Alberta Dairy Pool comme quelque peu innovateur, du moins indirectement, surtout si l'on rapproche les motifs de la minorité de ceux de la majorité. Il se peut que cet arrêt limite encore plus qu'auparavant les cas le moyen de défense tiré d'une EPJ peut être invoqué. Jusqu'à maintenant, l'opinion la plus répandue voulait, je crois, que pour être justifiée, une exigence professionnelle justifiée devait, pour repren- dre les termes employés dans l'arrêt Etobicoke la page 208), être «raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général». Il semble que désor- mais elle doive être non seulement «raisonnable- ment» mais absolument nécessaire, c'est-à-dire qu'il n'existe aucune solution de rechange réalisable et moins rigoureuse. Toutefois, ce pas en avant, si tant est qu'il faille reconnaître qu'il a été franchi, avait été
préparé par l'arrêt Brossard et par l'arrêt Saskatche- wan (Human Rights Commission) c. Saskatoon (Ville), [1989] 2 R.C.S. 1297. Certains peuvent même voir, dans l'arrêt Alberta Dairy Pool, des indices démontrant que la solution de rechange à la règle générale peut incorporer des exceptions possibles ou des, appréciations individualisées, un point de vue qui a été adopté par la minorité dans cet arrêt et qui n'a certainement pas été répudié par la majorité 2 . S'il en était ainsi, l'arrêt aurait introduit, à l'égard d'une EPJ, une notion non complètement étrangère à l'obli- gation de composer avec l'employé, enlevant de ce fait ironiquement presque toute signification et toute pertinence à la distinction entre une règle prévoyant des conditions d'aptitude ou d'admission qui crée en apparence une discrimination, et une simple règle concernant l'exécution du travail qui crée une cer- taine discrimination par suite d'un effet préjudiciable.
Cette dernière remarque peut expliquer pourquoi le tribunal, même après avoir déclaré injustifiée l'EPJ invoquée par les Forces armées, a poursuivi son ana lyse en affirmant que les Forces armées ne s'étaient pas acquittées de leur obligation légale de composer avec le plaignant. Il est évident, toutefois, que cette dernière partie de sa décision était complètement superflue et qu'elle n'était nullement exigée par ce qu'on pourrait peut-être considérer comme une nou- veauté dans l'arrêt Alberta Dairy Pool.
Essentiellement, le tribunal a conclu que les Forces armées ne pouvaient excuser leur acte discriminatoire en invoquant, une présumée exigence professionnelle justifiée d'ordre médical parce que, dans son inflexi- bilité et sa généralité, cette exigence n'était pas justi- fiée. L'approche qu'il a adoptée pour examiner l'af- faire et, les principes qu'il a suivis pour tirer sa principale conclusion étaient bien fondés et n'étaient nullement établis par l'arrêt Alberta Dairy Pool. Dès le départ, les Forces armées savaient ce qu'elles devaient établir. Le tribunal n'avait aucune raison de rouvrir l'audience.
La demande devrait, à mon avis, être rejetée.
2 À la p. 513, Madame le juge Wilson déclare:
Par conséquent, la justification d'une règle révélant un stéréotype de groupe dépend ou bien de la validité de la généralisation ou bien de l'impossibilité d'évaluer chaque cas individuellement, ou des deux.
Ce gui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DESJARDINS, J.C.A. (dissidente): Un tribu nal canadien des droits de la personne constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la per- sonne 3 a confirmé le bien-fondé d'une plainte de pré- sumé acte discriminatoire commis en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Cette plainte a été portée contre les For ces années canadiennes (les «Forces armées») par Clarence Levac (l'«intimé») qui a été libéré contre son gré de son poste au sein des Forces armées. La présente demande fondée sur l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7] a été présentée pour contester le jugement déclaratoire qui a été rendu par le tribunal.
Les faits
L'intimé, qui est le 27 février 1938, s'est engagé dans les Forces armées canadiennes (Marine) en 1955 comme matelot et a commencé son service militaire comme chauffeur. Au moment de sa libéra- tion en 1984, Clarence Levac avait atteint le grade de premier maître de première classe, soit le grade le plus élevé qu'il pouvait obtenir en tant que sous-offi- cier. Quant à ses compétences professionnelles, il était maître mécanicien, ce qui constituait également le degré de compétence le plus élevé qu'il pouvait obtenir dans son métier. Il avait servi à bord d'un destroyer des F.A.C., le N.C.S.M. Margaree. Il s'agissait principalement d'un emploi de supervision. Son métier est qualifié dans le service de «spécialité navale difficile» parce qu'il était nécessaire pour cet emploi qu'il serve en mer et à terre. On avait déjà prévu des affectations en mer et à terre pour lui. En fait, l'intimé préférait les affectations en mer aux affectations à terre 4 .
Les résultats d'un examen médical de contrôle que l'intimé a subi au début de 1979 ont indiqué que celui-ci souffrait d'un «problème cardiaque», ce qui a donné lieu à d'autres examens à la suite desquels il a été déclaré par le Conseil médical de révision des car- rières inapte à poursuivre son service dans les Forces
3 L.R.C. (1985), ch. H-6.
4 Dossier d'appel, à la p. 68.
armées. Il a reçu l'avis officiel de sa libération le 18 mars 1982 5 . À l'époque, il était affecté à terre en tant qu'inspecteur du contrôle de la qualité et chef du détachement des services techniques à la Vickers à Montréal. Même s'il devait être libéré le 8 août 1983, l'intimé a conservé son emploi à la Vickers comme membre des Forces armées jusqu'au 26 février 1984.
La décision contestée
Le tribunal des droits de la personne s'est dit con- vaincu que l'intimé avait établi qu'il était, à première vue, victime d'un acte discriminatoire qui était fondé sur une déficience physique et qui avait été commis par les Forces armées en violation du paragraphe 3(1) et de l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne 6 . Il s'agissait ensuite de savoir si le moyen de défense invoqué par les Forces armées canadiennes en vertu de l'alinéa 15a) de la Loi 7 était bien fondé. Le tribunal a exposé la question dans les termes suivantss:
... les intimées ont-elles néanmoins réussi à se disculper en invoquant la défense fondée sur l'exigence professionnelle jus- tifiée prévue à l'alinéa 15a) de la Loi?
Les Forces armées soutenaient essentiellement par leur moyen de défense qu'aucun acte discriminatoire n'avait été commis parce que l'intimé avait été libéré en vertu d'une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Elles prétendaient que M. Levac n'était plus apte à poursuivre son service à cause d'un risque d'erreur humaine. Son état de santé l'empêchait non seulement d'être affecté en mer, mais aussi à tout
5 Ibid., à la p. 661.
6 3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'ori- gine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de per- sonne graciée ou la déficience.
7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects:
a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;
7 15. Ne constituent pas des actes discriminatoires:
a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;
8 Dossier d'appel, à la p. 1252.
poste ou base ne possédant pas d'installations médi- cales suffisantes.
La preuve médicale soumise au tribunal était con- tradictoire. Le médecin de l'intimé, le docteur Jean Gratton, un cardiologue, s'est dit d'avis que les lésions qui semblaient exister sur le cardiogramme de l'intimé n'étaient que minimes et qu'elles se mani- festaient chez la majorité des hommes âgés de plus de quarante ans. Le docteur Gratton a jugé que l'intimé pouvait satisfaire à toutes les conditions d'emploi dans les Forces armées pendant une longue période. Le lieutenant-colonel Kafka, un cardiologue au ser vice des Forces armées, a laissé entendre que l'intimé devait envisager le «risque d'un accident soudain et imprévisible». Bien que le lieutenant-colonel Kafka ait reconnu que l'intimé avait «un bon pronostic» 9 , il s'est dit d'avis que, dans le cas de l'intimé, «les ris- ques sont considérablement plus élevés que ceux existant pour une personne tout à fait normale». Il a estimé qu'en raison de son état général, l'intimé pré- sentait un risque trop important pour qu'il puisse être affecté en mer ou à une station ou base ne possédant pas d'installations médicales suffisantes. Le docteur René Maurice Bélanger, commandant de l'École du Service de santé des Forces armées canadiennes, était également préoccupé par l'état de santé de l'intimé pour ce qui était d'une affectation en mer. Il n'était pas préoccupé par le service à terre, à moins que l'in- timé ne soit affecté à un poste isolé 10 .
Le tribunal a conclu que l'intimé était de toute façon apte à remplir ses fonctions dans une affecta tion à terre comme celle qu'il occupait à la date de sa libération. Au sujet des affectations en mer, il a déclaréll:
Le tribunal reconnaît que l'affectation en mer du plaignant, si cela devait jamais se produire, comportait en raison de ses problèmes cardiaques un élément de risque que ne présente pas l'affectation d'une personne en excellente santé. Néanmoins, se fondant sur l'ensemble de la preuve médicale, le tribunal ne considère pas que des risques de crise cardiaque de 8 à 10 % au cours des cinq prochaines années (ou de 6 à 9 % au cours des trois prochaines années si l'on se fonde sur les critères du CASS) sont réels ou suffisants, lorsqu'on les compare avec les autres preuves médicales concernant l'état de santé du plai-
9 Dossier d'appel, aux p. 1239 et 1256.
Ibid., à la p. 1251.
1 Ibid., à la p. 1257.
gnant et ses pronostics, pour justifier légalement l'application d'une règle ou d'un acte discriminatoire qui est inacceptable et contrevient à la Loi.
Le tribunal est convaincu que l'établissement d'un risque de crise cardiaque n'est qu'un des éléments dont il faut tenir compte pour déterminer si les intimées ont démontré que le plaignant ne pouvait s'acquitter ou qu'on ne pouvait s'attendre qu'il s'acquitte de son travail en mer ou à terre compte tenu d'une telle prévision. En outre, il faut souligner qu'un facteur de risque ne constitue pas en soi une maladie ni une déficience. Beaucoup d'autres éléments qui ont déjà été signalés plus haut jouent en faveur du plaignant et amènent le tribunal à conclure que les intimés n'ont pas établi qu'il leur était raisonnablement nécessaire d'écarter le plaignant de son emploi et de le libérer de son service militaire afin d'éliminer ou d'éviter un risque réel de dommages graves pour le plaignant, ses compagnons de travail ou le public en général.
Le tribunal estime que les intimées n'ont pas démontré que le plaignant ne pouvait pas occuper, ni qu'on ne pouvait pas s'attendre qu'il puisse occuper le poste de premier maître de première classe ou de maître mécanicien que ce soit en mer ou à terre; elles n'ont pas d'ailleurs non plus prouvé que l'inexis- tence d'une maladie des artères coronaires ainsi que de la pré- vision ou la probabilité d'une crise cardiaque associée à cette maladie constitue une exigence professionnelle justifiée. [C'est moi qui souligne.]
Il a conclu ainsi 12 :
... les intimées n'ont pas réussi à s'acquitter de leur fardeau d'établir une défense valide fondée sur une exigence profes- sionnelle justifiée parce qu'elles n'ont pas réussi à prouver cette exigence au tribunal. Nous ne sommes pas convaincus que le plaignant ne pourrait pas, le cas échéant, servir en mer sans danger ou sans représenter un risque véritable pour lui- même, ses compagnons de travail ou son employeur, les inti- mées, et le public en général qu'elles représentent. Nous ne sommes pas non plus convaincus, comme nous l'avons déjà clairement indiqué, que le plaignant ne pourrait pas s'acquitter de ses fonctions à terre. [C'est moi qui souligne.]
Le tribunal 'a également conclu que les Forces armées ne s'étaient pas acquittées de leur obligation de composer avec l'intimé.
Analyse
La seule question qui nous est soumise est celle de savoir si le tribunal a eu raison de rejeter le moyen de défense invoqué par les Forces armées. Comme les parties ont reconnu que le cas qui nous occupe est un cas de discrimination directe, par opposition à un cas de discrimination indirecte, ainsi que ces termes ont été élaborés particulièrement par Madame le juge Wilson, au nom de la majorité, dans l'arrêt Central
12 Ibid., à la p. 1258.
Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Com mission) 13 , il n'y a pas obligation de composer avec l'employé lorsqu'on invoque une EPJ étant donné que par définition une exigence professionnelle se rapporte à l'emploi et non à l'employé 14 .
Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke 15 , que Madame le juge Wilson a cité au long dans l'ar- rêt Alberta Dairy Pool, le juge McIntyre a traité d'une disposition prévoyant une EPJ dans les termes suivants 16 :
Lorsqu'un plaignant établit devant une commission d'enquête qu'il est, de prime abord, victime de discrimination, en l'es- pèce que la retraite obligatoire à soixante ans est une condition de travail, il a droit à un redressement en l'absence de justifica tion de la part de l'employeur. La seule justification que peut invoquer l'employeur en l'espèce est la preuve, dont le fardeau lui incombe, que la retraite obligatoire est une exigence profes- sionnelle réelle de l'emploi en question. La preuve, à mon avis, doit être faite conformément à la règle normale de la preuve en matière civile, c'est-à-dire suivant la prépondérance des proba- bilités.
Il a ensuite défini les deux composantes d'une EPJ:
... Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction ... doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en générale.
Il n'y a pas de doute que la première composante, celle du critère subjectif, est respectée. La véritable question qui se pose est celle de savoir si un bilan de santé impeccable sans «cardiopathie» est «raisonna- blement nécessaire pour assurer l'exécution efficace
13 [1990] 2 R.C.S. 489, aux p. 505 et 506.
14 Ibid., aux p. 510 et 511.
15 [1982] 1 R.C.S. 202.
16 Ibid., à la p. 208.
17 Ibid.
et économique du travail sans mettre en danger l'em- ployé, ses compagnons de travail et le public en général»' 8 ?
Les Forces armées ont produit un témoin, le doc- teur John D. Smith, médecin-chef adjoint du com- mandement maritime, qui servait comme médecin militaire à bord des navires canadiens de Sa Majesté. Il a d'abord décrit dans le détail le type d'installa- tions disponibles à bord des navires en cas de pro- blème cardiaque. On lui a ensuite demandé 19 :
[nu+Duc'rtox] À quoi servent ces installations dans le traite- ment des accidents cardiaques?
R. Les installations qui se trouvent à bord des destroyers servent essentiellement à stabiliser l'état du patient, si cela est possible. A bord des destroyers, des destroyers à vapeur, il n'y a qu'un médecin A. Il peut évaluer le patient, mais il ne peut en fait poser un diagnostic cer tain.
Q. Qu'en est-il des traitements à bord des navires ravitail- leurs?
R. Eh bien, sur les navires ravitailleurs, la situation est un peu meilleure. Il y a un médecin militaire qui a une for mation plus poussée que celle d'un adjoint médical et il a à sa disposition un électrocardiogramme qui peut ajou- ter un autre élément d'information qui peut l'aider à poser un diagnostic.
Q. Ainsi donc, essentiellement, lorsqu'un incident car- diaque se produit à bord d'un navire, la première chose à faire est de stabiliser l'état du patient.
Q. Que se passe-t-il ensuite?
R. On songe alors à le transporter ailleurs.
Q. Comment s'y prend-on?
R. Pour sortir un patient d'un navire ... Eh bien, il n'y a en réalité que trois façons. Une des façons consiste à inter- rompre ce qu'on est en train de faire et d'accoster, de descendre le patient à terre avec une civière.
La deuxième façon de procéder consiste à le faire transférer à l'aide d'un va-et-vient pour...
Q. Qu'est-ce qu'un va-et-vient?
18 Ce critère a été appliqué par Madame le juge Wilson, pour la majorité, dans l'arrêt Alberta Dairy Pool. Je ne partage pas l'opinion incidente exprimée par mon collègue le juge Mar- ceau, J.C.A., qui estime que l'on peut considérer que l'opinion minoritaire a renforcé ce critère de sorte qu'on peut maintenant considérer que l'obligation doit être «absolument nécessaire».
19 Dossier d'appel, aux p. 325 à 330.
R. Un va-et-vient, c'est une corde que l'on lance d'un navire à l'autre et sur laquelle est suspendu le patient. C'est une situation très angoissante parce qu'on est sus- pendu entre deux navires qui filent à une distance de probablement 70 pieds l'un de l'autre avec la mer en- dessous de vous et, vous savez, les navires se rappro- chent et s'éloignent et la corde, ou le va-et-vient, monte et descend. C'est angoissant et c'est le seul mot qui me vient à l'esprit, ayant vécu l'expérience alors que j'étais en parfaite santé. Pour la personne qui est en plein milieu d'une crise cardiaque, je suis certain que c'est encore plus angoissant.
Q. Et quel serait le dernier moyen?
R. Le troisième moyen consisterait à employer un hélicop- tère, si l'on en a un à sa disposition.
Q. Et s'il y en a un, quels sont les inconvénients?
R. Eh bien, les hélicoptères que nous utilisons sont des Sea King, qui datent d'à peu près 25 ans. Le premier incon- vénient, c'est lorsqu'ils ne fonctionnent pas, parce que, vous savez, il n'y en a qu'un sur le navire et s'il tombe en panne, et que vous n'avez pas la pièce, il ne décolle pas. Si l'on présume donc qu'il fonctionne, ou qu'un autre navire en a un de disponible, il faut présumer que les conditions de vol sont à l'intérieur des limites, c'est- à-dire que l'état de la mer n'est pas excessif, pour qu'on puisse décoller et que le temps n'est pas mauvais au point d'empêcher l'hélicoptère de décoller, et, évidem- ment, il faut avoir un endroit ob amener le patient.
L'hélicoptère a un rayon d'action d'environ 240 milles. Il faut donc un endroit l'hélicoptère peut atterrir dans un rayon de 240 milles et je serais porté à dire que cela n'est pas possible plus que la moitié du temps.
Q. Y a-t-il d'autres inconvénients au transport par ...
R. Oui. Avec un hélicoptère, on ne peut pratiquement pas contrôler l'évolution de l'état du patient...
Bon, comme je l'ai dit, l'hélicoptère a un rayon d'action d'environ 240 milles et peut se déplacer à 120 milles à l'heure. Le patient peut donc être dans l'hélicoptère pendant une période de jusqu'à deux heures pendant laquelle on ne pourra même pas prendre sa pression ou son pouls ou l'ausculter. On ne peut rien faire sauf le regarder et lui demander comment ça va.
On peut administrer un médicament approprié en route, mais on ne peut pas contrôler l'état du patient.
Q. Vous nous avez parlé un peu des inconvénients que com- porte le transfert d'un patient à l'aide d'un...
R. D'un va-et-vient. Le seul endroit on pourrait le trans- férer serait un navire de ravitaillement s'il y en a un de disponible.
Q. Et quels inconvénients comporte le fait de ramener le patient au port?
R. Eh bien, dans ce cas, on abandonne la mission. Le navire est envoyé à grands frais pour faire un travail, que ce soit pour une recherche, un sauvetage, une patrouille de pêches ou une formation. Le navire est envoyé pour faire quelque chose et vous demandez au commandant d'abandonner la mission pour ramener le patient à terre.
Le témoignage du docteur Smith n'a pas été con- tredit. On ne peut guère le qualifier d'«impression- niste» 20 .
L'intimé bénéficiait d'affectations en mer. C'est lui qui assumait les risques. Cependant, ce faisant, il ne pouvait que mettre en danger la vie d'autres per- sonnes, étant donné qu'aucune des opérations décrites, qu'il s'agisse de la procédure de va-et-vient ou du sauvetage par hélicoptère, ne pouvait être effectuée sans mettre en péril la vie de ses compa- gnons. De plus, ces opérations entraînaient nécessai- rement des dépenses publiques considérables.
Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke 21 , le juge McIntyre a établi une distinction entre la retraite obligatoire pour des raisons de sécurité et la retraite obligatoire pour des raisons d'ordre purement économique. Il a déclaré 22 :
Lorsque le souci de la capacité de l'employé est surtout d'or- dre économique, c'est-à-dire lorsque l'employeur s'intéresse à la productivité, et que les conditions de travail ne requièrent aucune qualification particulière susceptible de diminuer sensi- blement avec l'âge, ou ne comportent pour les employés ou le public aucun danger exceptionnel qui peut augmenter avec l'âge, il peut être difficile, voire impossible, d'établir que la retraite obligatoire à un âge déterminé, sans égard à la capacité d'une personne en particulier, peut valablement être imposée en vertu du Code. Dans un emploi de ce genre, à mesure que la capacité décline, et que ce déclin devient évident, les employés peuvent être, à juste titre, congédiés ou mis à la retraite.
Il a poursuivi en disant 23 :
Devant l'incertitude du vieillissement, deux solutions, à mon avis, s'offrent à l'employeur. Il peut fixer l'âge de la retraite à soixante-cinq ans ou plus, et le cas échéant, il ne peut être accusé de discrimination fondée sur l'âge aux termes du Code. D'autre part, il peut, en ce qui concerne certains types d'em- plois, en particulier ceux qui ont trait à la sécurité publique comme c'est le cas des pilotes de ligne aérienne, des conduc- teurs de trains et d'autobus, des policiers et des pompiers, esti-
20 Ibid., à la p. 210.
21 Précité, à la p. 202.
22 Ibid., à la p. 209.
23 Ibid., aux p. 209 et 210.
mer que le risque d'erreur humaine imprévisible que: comporte le maintien de tous les employés à leur poste jusqu'à soixante- cinq ans peut justifier l'application à tous les employés d'un âge de retraite fixé arbitrairement. On peut affirmer que l'em- ploi dont il est question en l'espèce entre dans cette catégorie. Même s'il ne fait aucun doute que certaines personnes âgées de moins de soixante ans peuvent devenir inaptes au travail de pompier et que maintes personnes plus âgées sont encore aptes à la tâche, la reconnaissance de cette prémisse n'aide aucune- ment à résoudre la seconde question. Dans un métier ob, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine suffi- sant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général.
Ce dernier paragraphe du juge McIntyre a été résumé dans les termes suivants par Madame le juge Wilson dans l'arrêt Alberta Dairy Pool 24 :
En revanche, lorsque l'«erreur humaine imprévisible» a pour prix la sécurité publique, la Cour reconnaît que l'âge de la retraite peut être fixé arbitrairement. [C'est moi qui souligne.]
En l'espèce, toutefois, la difficulté qui se pose est d'apprécier ce que le tribunal a fait précisément lors- qu'il a évalué la preuve en ce qui concerne l'inté- ressé. Il lui était loisible de déterminer qui il croyait et qui il ne croyait pas parmi les divers experts. Dans ces conditions, il n'y aurait pas d'erreur donnant lieu au contrôle de notre Cour à, moins que les conditions d'intervention prévues par l'alinéa 28(1)c) de la Loi sur la Cour fédérale ne soient respectées. Cependant, une fois qu'il a accepté, comme il l'a fait selon moi, que l'affectation en mer de l'intimé comportait un «élément de risque que ne présente pas l'affectation d'une personne en excellente santé» 25 , le tribunal a commis une erreur de droit en évaluant le degré de risque de manière à justifier l'application de la, règle discriminatoire. La seule conclusion à laquelle il pou- vait en venir était que les Forces armées avaient le droit d'imposer une ligne de démarcation arbitraire. Dès lors qu'il y avait un élément de risque, la bonne santé exigée par les Forces armées constituait une EPJ.
24 Précité, à la p. 504.
25 Dossier d'appel, à la p. 1257.
Dispositif
Je suis d'avis d'accueillir la demande fondée sur l'article 28, d'annuler la décision rendue le 2 août 1991 par le tribunal canadien des droits de la per- sonne et de confirmer l'avis officiel de libération signé par les Forces armées canadiennes le 18 mars 1982.
* * *
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
Le juge Décary, J.C.A.: Je suis d'accord avec mon collègue le juge Marceau, J.C.A., pour dire que la présente demande devrait être rejetée.
En ce qui concerne le principal moyen soulevé par le requérant, c'est-à-dire qu'on lui a refusé une audience impartiale parce que l'audience n'a pas été rouverte après la publication de l'arrêt de la Cour suprême, Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, je désire ajouter le commentaire suivant à ceux qui ont déjà été formulés par mon collègue.
L'audience qui s'est déroulée devant le tribunal s'est terminée le 7 juin 1990. L'arrêt Alberta Dairy Pool de la Cour suprême a été rendu le 13 septembre 1990. La décision du tribunal a été signée le 17 juin 1991 et a été reçue par le requérant le 2 août 1991. Au cours de la période relativement longue qui s'est écoulée entre le moment la Cour suprême a publié son jugement et le moment le tribunal a rendu sa décision, le requérant n'a jamais tenté d'obtenir la réouverture de l'audience. L'avocat du requérant a reconnu à l'audience que le procureur général du Canada avait couru le «risque» que le tribunal ne mentionne pas l'arrêt Alberta Dairy Pool dans sa décision. Il ne s'agit pas en l'espèce du cas d'une par- tie à qui l'on refuse la possibilité de débattre une modification fondamentale apportée au droit. Il s'agit du cas d'une partie qui était si peu convaincue qu'il y avait effectivement eu une modification fondamen- tale ou que de nouveaux éléments de preuve devaient être présentés par suite de l'arrêt de la Cour suprême, qu'elle ne s'est pas donnée la peine de demander l'autorisation—ce qu'elle avait amplement le temps de faire—de rouvrir l'audience. La conduite du requérant l'empêche, eu égard aux circonstances par-
ticulières de la présente affaire, de prétendre qu'il y a eu violation des règles de justice naturelle.
Au sujet du second moyen invoqué par le requé- rant, c'est-à-dire la question de savoir si le tribunal a eu raison de rejeter le moyen de défense invoqué par les Forces armées, je ne puis me rallier à la conclu sion à laquelle ma collègue le juge Desjardins, J.C.A., en est venue.
Même si je ne pourrais pas souscrire à chacun des paragraphes de la décision du tribunal si on les pre- nait hors contexte, je ne puis dire que le tribunal a commis une erreur qui donne lieu à un contrôle dans son appréciation de la preuve ou qu'il a tiré une con clusion qu'il ne pouvait raisonnablement tirer. Essen- tiellement, selon moi, le tribunal a conclu que le requérant n'avait pas démontré qu'il existait un «ris- que d'erreur humaine suffisant», pour reprendre les mots employés par le juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et autres c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 210, pour justifier le renvoi de Levac. La preuve médicale présentée par le requérant au sujet de la cardiopathie de Levac était, pour employer un euphémisme, remarquablement maigre. Son prin cipal expert médical, le lieutenant-colonel Kafka, n'a jamais examiné Levac personnellement mais a fondé son témoignage sur un examen du dossier médical de Levac entre le 7 mars 1979 et le 9 août 1983 (d.a., vol. 7, à la page 1077, vol. 7, aux pages 1240 et 1241). L'expert médical des intimés, le docteur Jean D. Gratton, avait examiné Levac personnellement le 12 novembre 1986. Bien qu'il ne l'ait pas dit en des termes explicites, le tribunal était de toute évidence plus impressionné par le témoignage du docteur Grat- ton et l'a préféré à celui du docteur Kafka. Comme il n'y a pas eu de preuve d'un «risque suffisant», le tri bunal avait le droit dans ce cas particulier de confir- mer le bien-fondé de la plainte de Levac.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.