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A-674-91
Ruhrkohle Handel Inter GMBH
et
National Steel Corp.
et
Toutes les personnes ayant un droit sur la cargaison du navire Federal Calumet (appelantes) (demanderesses)
c.
Fednav Ltd.
et
Federal Pacific (Liberia) Ltd.
et
Les propriétaires du navire Federal Calumet et de ses soutes et toutes les autres personnes ayant un droit sur ceux-ci
et
Le navire Federal Calumet et ses soutes (intimés) (défendeurs)
RÉPERTORIÉ.' RUHRKOHLE HANDEL INTER GMBH C. FEDERAL CALUMET (LE) (CA.)
Cour d'appel, juges Marceau, Desjardins et Décary, J.C.A.—Montréal, 15 mai; Ottawa, 29 mai 1992.
Pratique Suspension d'instance Appel contre le juge- ment de la Section de première instance confirmant le rejet, par le protonotaire en chef de la demande de suspension d'instance Interdépendance de l'art. 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale et des art. 8 et 9 du Code d'arbitrage commer cial Le juge de première instance a eu raison de ne pas aborder la suspension de la demande reconventionnelle puis- que les appelantes ne l'ont pas demandée La suspension d'instance étant exceptionnelle, il faut la demander explicite- ment La déclaration ne contient aucune demande formelle d'arbitrage, contrairement à l'art. 8(1) du Code Les appe- lantes n'ont pas demandé la suspension de leur propre action en temps opportun Le juge. de première instance a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire en vertu de l'art. 50 de la Loi sur la Cour fédérale La jurisprudence a été consi- dérée Il existe des «motifs impérieux» de refuser la suspen-
sion d'instance Le défaut de présenter la demande dans le délai prescrit à l'art. 8(1) du Code constitue un facteur impor tant jouant contre la suspension.
Droit maritime Pratique Appel contre le jugement de la Section de première instance confirmant le rejet, par le pro- tonotaire en chef de la demande de suspension d'instance La charte-partie comprend une clause compromissoire Le déchargement de la cargaison n'a pas été effectué au port con- venu pour la livraison Action in rem et in personam La déclaration ne mentionne ni clause compromissoire ni l'in- tention des appelantes de soumettre la question à l'arbitrage
Les intimés ont déposé une défense et une demande recon- ventionnelle Les appelantes ont fait défaut de présenter une demande d'arbitrage en temps opportun Les conditions essentielles de l'art. 8(1) du Code d'arbitrage commercial n'ont pas été remplies Le juge de première instance a exercé correctement son pouvoir discrétionnaire Les appelantes n'ont entrepris aucune démarche en vue de renvoyer le diffé- rend à l'arbitrage Il y a des «motifs impérieux» de ne pas accorder la suspension d'instance Appel rejeté.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code d'arbitrage commercial, qui constitue l'annexe à la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 2f), 8, 9.
Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, art. 2, 4, 5.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 50(1).
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règles 1003 (mod. par DORS/79-57, art. 18), 1025, 1717, 1718.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Navire M/V Seapearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161; (1982), 139 D.L.R. (3d) 669; 43 N.R. 517 (C.A.); Jala Godavari (Le) c. Canada, A-112-91, le juge Hugessen, J.C.A., jugement en date du 18-10-91, C.A.F., encore iné- dit; Munsingwear, Inc. c. Prouvost S.A., [ 1992] 2 C.F. 541 (C.A.).
DÉCISIONS CITÉES:
BC Navigation S.A. (Bankrupt) c. Canpotex Shipping Ser vices Ltd. (1987), 16 F.T.R. 79 (C.F. inst.); lberfreight S.A. et autres c. Ocean Star Container Line A.G. et autre (1989), 104 N.R. 164 (C.A.F.); Vallorbe Shipping Co. S.A. c. Le Tropwave, [1975] C.F. 595 (1« inst.).
DOCTRINE
Rapport de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur les travaux de la dix-huitième session-3-21 juin 1985. Doc. off. AG NU, 40e Bess., Supp. No. 17, Doc. NU A/40/17 (1985).
Rapport du Secrétaire général à la dix-huitième session de la Commission des Nations Unies pour le droit com mercial international, Vienne, 3-21 juin 1985, Doc. NU A/CN.9/264 (1985).
Russell on the Law of Arbitration, 19th ed. by Anthony Walton, London: Stevens & Sons, 1979.
APPEL contre le jugement de la Section de pre- mière instance, (1991), 36 C.P.R. (3d) 521, qui a con firmé l'ordonnance rendue par le protonotaire en chef rejetant une demande de suspension d'instance. Appel rejeté.
AVOCATS:
George J. Pollack pour les appelantes (deman-
deresses).
Trevor H. Bishop pour les intimés (défendeurs).
PROCUREURS:
Martineau, Walker, Montréal, pour les appe- lantes (demanderesses).
Brisset, Bishop, Montréal, pour les intimés (défendeurs).
Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par
LE JUGE DÉCARY, J.C.A.: Le présent appel soulève la question de l'interdépendance du paragraphe 50(1) 1 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), eh. F-7] (la Loi) et des articles 8 et 9 2 du Code d'ar- bitrage commercial (le Code) adopté en application
Le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale est ainsi libellé:
50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire:
a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;
I)) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.
2 Les articles 8 et 9 du Code d'arbitrage commercial sont ainsi libellés:
Article 8
Convention d'arbitrage et actions intentées quant au fond devant un tribunal
(1) Le tribunal saisi d'un différend sur une question faisant l'objet d'une convention d'arbitrage renverra les parties à l'ar- bitrage si l'une d'entre elles le demande au plus tard lors- qu'elle soumet ses premières conclusions quant au fond du dif- férend, à moins qu'il ne constate que la convention est caduque, inopérante ou non susceptible d'être exécutée.
(Suite à la page suivante)
de la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 17, dans le contexte d'une demande de suspension d'instance présentée en matière mari time.
Les faits ne sont pas contestés. L'intimée Federal Pacific (Liberia) Ltd. (Fedpac), société libérienne ayant un établissement en Belgique, est la proprié- taire enregistrée du navire libérien Federal Calumet (le navire), enregistré à Monrovia. L'intimée Fednav Ltd. (Fednav), société canadienne ayant un établisse- ment à Montréal (Québec), est l'affréteur à temps et l'exploitant du navire en vertu d'une charte-partie à long terme. Les appelantes Ruhrkohle Handel Inter GMBH, société allemande, et National Steel Corp., société américaine, sont les propriétaires, expéditeurs et consignataires, en vertu d'un connaissement, d'une cargaison de coke métallurgique (la cargaison) char gée à bord du navire à Emden (Allemagne) en vue d'être transportée à Détroit (E.-U.).
La charte-partie signée à Greenwich, (Connecticut) le 18 janvier 1989 comprend une clause compromis- soire (la clause compromissoire) ainsi libellée:
[TRADUCTION] 5. Les litiges ou différends découlant de la pré- sente Charte sont soumis à trois arbitres à New York; chaque partie aux présentes nomme un arbitre, le troisième étant nommé par les deux premiers. Leur décision, ou celle de deux d'entre eux, est finale et obligatoire, et la présente entente peut, aux fins de son exécution, revêtir le caractère d'une ordon- nance de la cour. Les trois arbitres doivent être des hommes d'affaires. Si les deux arbitres choisis ne s'entendent pas sur le troisième, la Society of Maritime Arbitration, Inc. (N.Y.), effectue la nomination;
Le recto du connaissement mentionne qu'il est applicable [TRADUCTION] «sous réserve des modalités et réserves de la charte-partie signée le 18 janvier 1989 à Greenwich, dont la clause compromissoire».
(Suite de la page précédente)
(2) Lorsque le tribunal est saisi d'une action visée au para- graphe 1 du présent article, la procédure arbitrale peut néan- moins être engagée ou poursuivie et une sentence peut être ren- due en attendant que le tribunal ait statué.
Article 9
Convention d'arbitrage et mesures provisoires prises par un tribunal
La demande par une partie à un tribunal, avant ou pendant la procédure arbitrale, de mesures provisoires ou conservatoires et l'octroi de telles mesures par un tribunal ne sont pas incom patibles avec une convention d'arbitrage.
Peu après le départ, le navire, qui n'était plus maître de son gouvernail, a été remorqué à Brest pour y être réparé. Il y est demeuré trois mois et demi. Ce retard et la fermeture de la voie maritime du St-Lau- rent pour l'hiver l'ont empêché de se rendre à Détroit; il s'est plutôt dirigé vers la Nouvelle-Orléans il est arrivé le 31 janvier 1990. La cargaison a été transportée par péniche jusqu'en Illinois l'appe- lante, National Steel Corp., devait en prendre livrai- son.
Le 11 janvier 1991, les appelantes, par l'entremise de leurs procureurs newyorkais, ont demandé aux intimés, par écrit, [TRADUCTION] «une prorogation de délai, du ler février 1991 au ler mai 1991, ... pour entamer une poursuite et/ou un arbitrage en vertu des documents de transit pertinents».
Le 15 janvier 1991, Fednav a répliqué au nom des intimés en accordant [TRADUCTION] «une prorogation de délai, jusqu'au ler mai 1991 inclusivement, pour entamer l'arbitrage à New York comme le stipule la charte-partie ... ». Les intimés n'ont donc accordé aucune prorogation pour engager une poursuite.
Le 30 janvier 1991, les appelantes ont déposé une action in rem et une action in personam contre les intimés devant la Cour fédérale du Canada, réclamant une somme de 551 000 $ pour le préjudice qu'elles auraient subi à la suite du déchargement de la cargai- son du navire à la Nouvelle-Orléans plutôt qu'à Détroit, port convenu de livraison. La déclaration ne mentionne ni la clause compromissoire ni l'intention des appelantes de soumettre la question à l'arbitrage.
Le même jour, les appelantes ont déposé un affida vit en vue d'obtenir un mandat de saisie contre le navire. Ce mandat fut décerné par le greffe de la Cour à Montréal.
Le 27 février 1991, le navire a été saisi au port de Bécancour (Québec).
Le ler mars 1991, il y a eu mainlevée de la saisie.
Le 5 mars 1991, les intimés ont déposé une défense et une demande reconventionnelle, confor-
mément à laquelle ils demandent 132 191,50 $ aux appelantes pour contribution d'avarie commune.
Le 6 mars 1991, les appelantes ont demandé une ordonnance, conformément à l'article 50 de la Loi et de l'article 8 du Code, afin [TRADUCTION] «que la pré- sente action soit suspendue». La demande et l'affida- vit déposé à son appui sont muets quant à la demande reconventionnelle.
Dans une ordonnance rendue le 30 avril 1991, le protonotaire en chef a rejeté la demande de suspen sion d'instance. Le 3 juillet 1991, le juge Pinard a confirmé cette ordonnance [(1991), 36 C.P.R. (3d) 521].
Je me prononcerai d'abord sur la prétention des appelantes selon laquelle le protonotaire et le juge de première instance ont commis une erreur en n'abor- dant pas la suspension de la demande reconvention- nelle. Cette prétention est sans fondement. Les appe- lantes, qui se sont contentées de demander la suspension de 1'«action», n'ont tout simplement pas demandé la suspension de la demande reconvention- nelle. Celle-ci est essentiellement une action dis- tincte, greffée, du point de vue procédural, à l'action existante (voir la Règle 1717 des Règles de la Cour fédérale [C.R.C., ch. 663] et l'alinéa 2f) du Code), à tel point que la suspension de l'action n'entraîne pas celle de la demande reconventionnelle (voir la Règle 1718). La suspension d'instance est tellement excep- tionnelle qu'il faut la demander explicitement. En outre, une demande orale présentée lors de l'audition de l'appel en vue de modifier la demande, comme l'a donné à entendre l'avocat des appelantes, est tardive.
Le Code d'arbitrage commercial
Les appelantes soutiennent principalement qu'en vertu de l'article 8 du Code, elles ont droit à la sus pension d'instance de plein droit, la Cour n'ayant pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de renvoyer les parties à l'arbitrage.
Pour obtenir gain de cause, les appelantes doivent démontrer qu'elles ont effectivement demandé l'arbi- trage et que cette demande a été soumise en temps opportun, soit au plus tard lorsqu'elles ont soumis leurs premières conclusions quant au fond du diffé- rend (voir BC Navigation S.A. (Bankrupt) c. Canpo-
tex Shipping Services Ltd. (1987), 16 F.T.R. 79 (C.F. lre inst.). Les appelantes ont échoué sur les deux tableaux.
Selon elles, il n'est pas nécessaire de présenter à la Cour la demande d'arbitrage mentionnée à l'article 8(1); il suffit qu'une partie l'ait présentée à l'autre partie sans saisir le tribunal, avant d'intenter l'action. Cette prétention est sans fondement. Il ressort claire- ment de l'article 8(1) que la demande en cause est une demande adressée au tribunal saisi de l'action visant le renvoi des parties à l'arbitrage. Il est fort possible qu'une partie ait déjà demandé l'arbitrage au moment l'action est intentée, mais à moins que cette partie ne demande formellement au tribunal de renvoyer la question à l'arbitrage, l'article 8(1) ne s'applique pas (voir Iberfreight S.A. et autres c. Ocean Star Container Line A.G. et autre (1989), 104 N.R. 164 (C.A.F.)). En l'espèce, la déclaration n'in- clut aucune demande d'arbitrage.
Même si j'avais conclu que la demande visée à l'article 8(1) pouvait être extrajudiciaire, j'aurais dif- ficilement pu, en l'espèce, voir une telle demande dans la lettre envoyée par l'avocat des appelantes le 11 janvier 1991. Il s'agissait d'une demande de pro- rogation de délai et non d'une demande d'arbitrage, et cette demande était faite en vue d'engager une «poursuite et/ou un arbitrage», les appelantes n'ayant de toute évidence pas pris leur parti à ce moment là.
Les appelantes soutiennent qu'en tout état de cause, au sens de l'article 8(1), leur demande en sus pension d'action du 6 mars 1991 a été présentée à la Cour en temps opportun. Leur déclaration déposée le 30 janvier 1991 ne représentait pas, soutiennent-elles, leurs «premières conclusions quant au fond du diffé- rend» puisqu'elles ne demandaient alors que la saisie du navire à titre de mesure provisoire ou conserva- toire en vertu de l'article 9 du Code.
Encore une fois, j'éprouve quelque difficulté à accepter cette proposition, d'autant plus que l'action déposée le 30 janvier 1991 était à la fois in rem et in personam. Il est vrai que dans le cas de procédures soumises à la Cour fédérale du Canada, la saisie d'un navire qui, devant un tribunal différent, pourrait être obtenue à titre de mesure provisoire ou conservatoire, ne peut être autorisée à moins qu'une action in rem contre le navire soit régulièrement intentée, ce qui
présuppose le dépôt d'une déclaration (Règle 1003 [mod. par DORS/79-57, art. 18]) et par conséquent une conclusion quant au fond du différend, mais cela, à mon avis, n'a aucun effet sur l'interprétation du Code.
Le Code est un document international fondé sur la loi type adoptée par la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international le 21 juin 1985 (voir l'article 2 de la Loi sur l'arbitrage commercial), qui a force de loi au Canada (voir l'ar- ticle 5) et qui peut être interprété en fonction du Rap port de la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international sur les travaux de sa dix-huitième session, tenue du 3 au 21 juin 1985, et du commentaire analytique figurant dans le Rapport du Secrétaire général à la dix-huitième session de la Commission des Nations Unies pour le droit commer cial international (voir l'article 4).
Le Code, à titre de principe de droit et de commo- dité pour la communauté internationale, a établi, à l'article 8(1), un échéancier qui se situe au-delà et au- dessus des subtilités procédurales des tribunaux des états participants. Pour que le Code soit efficace, les parties doivent savoir que, pour retirer au tribunal, quel qu'il soit, toute discrétion, la demande de renvoi à l'arbitrage doit être faite au plus tard au moment même elles soumettent à ce tribunal leurs pre- mières conclusions sur le fond du différend. Ce moment précis peut varier d'une juridiction à une autre, mais il constitue la norme objective précise qu'il faut respecter dans toute juridiction. Le passage suivant de la page 24 du commentaire analytique déjà mentionné appuie mon interprétation:
L'élément temps a été introduit dans le texte puisque la demande doit être présentée au plus tard soit en même temps que les premières conclusions quant au fond du différend, soit même dans les premières conclusions. Nous proposons que ce délai soit entendu au sens strict et appliqué dans tous les sys- tèmes juridiques, y compris dans ceux l'on considère nor- malement une telle demande comme une exception devant être soulevée préalablement à tout débat quant au fond.
En l'espèce, les appelantes, soit les demanderesses, ont pris la mesure exceptionnelle qui consiste à demander la suspension de l'instance qu'elles avaient elles-mêmes engagée seulement après que les défen- deurs aient eu déposé leur défense. Il est absolument
impossible de considérer qu'une telle demande a été présentée en temps opportun. Je remarque également que la demande, qui aurait être présentée en vertu des Règles 1025 et suivantes des Règles de la Cour fédérale, conclut à la suspension de l'action et non, tel que requis à l'article 8(1) du Code, au renvoi des parties à l'arbitrage. Cela, à mon avis, constitue plus qu'une simple faute procédurale, et il est fort possible que la Cour, en tout état de cause, n'aurait pu rendre l'ordonnance prévue à ce paragraphe.
Je suis donc entièrement d'accord avec le juge Pinard lorsqu'il exprime l'opinion suivante [aux pages 523 et 524]:
En effet, les demanderesses, qui ont opté pour les procédures devant la Cour fédérale du Canada à l'égard d'une question pour laquelle elles avaient convenu de recourir à l'arbitrage à New York, n'ont nullement fait mention de la convention d'arbitrage dans leur déclaration et elles ont attendu que les défendeurs déposent leur défense et leur demande reconven- tionnelle pour demander une suspension d'instance. En dif- férant ainsi leur demande de suspension d'instance, les demanderesses ont omis de se conformer à une exigence fondamentale du paragraphe 8(1) du Code d'arbitrage com mercial; en conséquence, à une date aussi tardive, la Cour n'a plus l'obligation impérative de renvoyer l'affaire à l'ar- bitrage à leur demande. [Renvoi omis.]
L'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale
Nonobstant l'observation figurant à la page 24 du commentaire analytique selon laquelle
En ce qui concerne le cas une partie n'invoquerait pas la convention d'arbitrage par une demande effectuée dans le délai prévu, il semble clair qu'en application de l'article 8.1, ladite partie ne pourrait plus invoquer la convention d'arbi- trage à un stade ultérieur de la procédure judiciaire.
on peut voir dans la décision du Groupe de travail
... de ne pas introduire dans le texte une disposition ayant un effet aussi général car il aurait été impossible d'élaborer une règle simple qui traitât de manière satisfaisante de tous les aspects de cette question complexe. [Idem.]
une invitation à ne pas adopter une interprétation aussi large de l'article 8(1) et à ne pas écarter le pou- voir discrétionnaire de «suspendre les procédures dans toute affaire» soumise à la Cour en application de l'article 50 de la Loi. Je n'ai toutefois pas à tran- cher cette question puisque, comme nous le verrons, je suis d'avis que le juge de première instance a, en tout état de cause, exercé correctement son pouvoir discrétionnaire.
Les appelantes soutiennent que le juge de première instance a refusé d'exercer son propre pouvoir discré- tionnaire conformément à l'article 50 de la Loi en concluant qu'elles n'avaient pas démontré que le pro- tonotaire en chef avait exercé son pouvoir discrétion- naire «en se fondant sur un principe erroné, en appli- quant la loi de manière erronée ou en se méprenant totalement sur les faits» la page 523]. Hors con- texte, ces mots, qui traduisent un principe géné- ralement adopté alors par la Section de première instance, ne sauraient résister aux déclarations subséquentes de cette Cour dans les arrêts Jala Godavari (Le) c. Canada (A-112-91, le juge Hugessen, J.C.A., 18 octobre 1991, encore inédit) et Munsingwear, Inc. c. Prouvost S.A., [1992] 2 C.F. 541 (C.A.), dans lesquels on a conclu que le juge saisi d'un appel d'une décision du protonotaire sur une question mettant en cause l'exercice d'un pou- voir discrétionnaire doit exercer son propre pouvoir discrétionnaire et n'est pas lié par l'opinion du proto- notaire. Mais je considère qu'en l'espèce, le juge de première instance, après s'être exprimé dans ces termes inexacts, n'en a pas moins formé sa propre opinion, et les appelantes ne m'ont pas convaincu qu'il s'agit ici d'un cas la Cour d'appel devrait intervenir à l'égard du pouvoir discrétionnaire exercé par le juge de première instance.
À mon avis, le juge Pinard a très certainement tiré la bonne conclusion compte tenu des faits de l'es- pèce. Les appelantes demandent à la Cour fédérale du Canada de suspendre l'instance qu'elles ont elles- mêmes introduite devant cette Cour (voir Vallorbe Shipping Co. S.A. c. Le Tropwave, [1975] C.F. 595 (ire inst.)). À compter de la date de la prétendue perte, soit le 31 janvier 1990, jusqu'à l'envoi de la lettre demandant une prorogation de délai le 11 jan- vier 1991, elles n'ont entrepris aucune démarche en vue de renvoyer le différend à l'arbitrage. En aucun temps, de février 1990 au 10 janvier 1991 inclusive- ment ont-elles avisé les intimés de la possibilité qu'elles présentent une réclamation. Elles ont attendu jusqu'à la dernière minute, et même alors, elles hési- taient entre le tribunal et l'arbitrage. Elles ont choisi d'introduire leurs actions in rem et in personam au Canada. Elles n'ont pas fait mention de la clause compromissoire dans leurs procédures et elles n'ont pas réservé leur droit à l'arbitrage dans la déclaration. Elles ont attendu que les intimés déposent leur
défense pour demander une suspension d'instance à la Cour. Puisqu'elles n'ont pas demandé une suspen sion d'instance à l'égard de la demande reconven- tionnelle, la même question, de par leur propre volonté, aurait entraîné des procédures judiciaires au Canada et un arbitrage aux États-Unis (voir Russell on the Law of Arbitration, 19e ed. (Londres: Stevens & Sons, 1979), à la page 202). Dans leur demande de suspension de leur propre action, elles ne se sont pas dites prêtes et disposées à faire tout ce qui était nécessaire à la bonne marche de l'arbitrage. Il n'existe aucun endroit «naturel» pour le règlement du litige: l'intimée Fednav, qui dispose véritablement du navire et qui est la défenderesse contractante dans l'action, a son bureau principal à Montréal et c'est de Montréal qu'elle dirige ses opérations; les appelantes comptent une société américaine et une société alle- mande. Les appelantes n'ont produit aucun élément de preuve sur les avantages et les désavantages res- pectifs de la procédure judiciaire au Canada et de la procédure arbitrale à New York. La demande ne men- tionne pas que les appelantes et les intimés sont tous parties aux modalités du connaissement et de la charte-partie ou qu'ils sont tous liés par ces dernières.
En refusant d'intervenir et d'accorder la suspen sion demandée, je n'ai pas omis de tenir compte de la décision de cette Cour dans l'arrêt Navire MN Sea- pearl c. Seven Seas Dry Cargo Shipping Corporation de Santiago (Chili), [1983] 2 C.F. 161, le juge Pratte, J.C.A. a dit, à la page 176, qu'«[e]n règle générale, il est certainement dans l'intérêt de la jus tice que les engagements conventionnels soient honorés». À mon avis, les facteurs que j'ai énumérés ci-dessus constituent des «motifs impérieux», pour emprunter les termes du juge Pratte, J.C.A., à la page 177, qui invitent la Cour à écarter cette règle et qui permettent de conclure qu'il ne serait ni raisonnable ni juste, en l'espèce, de suspendre l'instance. J'aime- rais ajouter en passant que les motifs de l'arrêt Le Seapearl ont été prononcés avant l'entrée en vigueur de la Loi sur l'arbitrage commercial et que la règle générale exprimée par le juge Pratte de la Cour d'ap- pel pourrait bien avoir été renversée (en présumant, encore une fois, que la Cour a un pouvoir dicrétion- naire en vertu de l'article 50 de la Loi) dans le cas la partie qui demande la suspension n'a pas présenté sa demande à la Cour dans le délai prescrit à l'article 8(1) du Code. En d'autres termes, le défaut de pré-
senter la demande en temps utile pourrait très bien constituer, en l'absence de motifs sérieux dans le sens contraire, un facteur important jouant contre la sus pension.
Je rejetterais donc l'appel avec dépens.
LE JUGE MARCEAU, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
LA JUGE DESJARDINS, J.C.A.: Je souscris à ces motifs.
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