Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

T-1380-88
Kevin Bussey (demandeur)
c.
Procureur général du Canada, Sa Majesté la Reine et le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (défendeurs)
RÉPERTORIE' BUSSEY C. CANADA (PROCUREUR GENERAL) (Ire INST.)
Section de première instance, juge Teitelbaum— St. John's, 11 mai; Ottawa, 5 juin 1992.
Pratique Communications privilégiées Demande d'examiner des documents Action en dommages-intérêts pour le préjudice financier subi du fait qu'on a tardé à retirer des accusations criminelles portées contre le demandeur Secret professionnel de l'avocat invoqué par les défendeurs à l'égard d'une lettre du substitut du procureur général recom- mandant qu'aucune accusation ne soit portée Les docu ments faisant l'objet de la revendication de privilège ne sont pas décrits d'une manière suffisante puisqu'il est presque impossible d'en comprendre facilement le contenu; en revan- che, une liste détaillée des documents a été fournie Pour qu'un document soit exempté de communication il faut qu'il ait été établi principalement en vue d'un litige Bien que les faits contenus dans une communication bénéficiant d'un privi- lège en bénéficient également, un interrogatoire peut porter sur ces faits s'ils se rapportent au litige Les documents dont la communication est demandée font l'objet d'un privilège puisqu'ils ont été établis par le «client» et son avocat après que des poursuites eurent été intentées contre le demandeur.
Il s'agit d'une demande d'examiner des documents et en particulier une lettre, adressée par un substitut du procureur général à un représentant de la GRC, recommandant qu'aucune accusation ne soit portée contre le demandeur. Vers le début de 1985, celui-ci a été arrêté et accusé d'avoir comploté en vue de faire le trafic de stupéfiants. Ces accusations n'ont été retirées que vers la fin de 1986. Le demandeur sollicite l'indemnisation du préjudice financier qu'il a subi du fait qu'on ait tardé à reti- rer les accusations. Les défendeurs ont déposé un affidavit dans lequel ils invoquent le secret professionnel de l'avocat à l'égard des rapports, des avis et de la correspondance échangés par leurs avocats et la GRC. Selon le demandeur, cette façon de revendiquer le privilège est insuffisante. Le demandeur con- vient que le secret professionnel de l'avocat protège toute cor- respondance avec un avocat, pourvu qu'elle ait eu lieu aux fins ou en vue d'un litige, mais il fait valoir que les faits énoncés dans une communication peuvent ne pas faire l'objet d'un pri- vilège, même si la communication elle-même en bénéficie.
Jugement: la requête devrait être rejetée.
La Règle 448(3) porte qu'une liasse de documents peut être répertoriée comme un seul document si «a) les documents sont tous de même nature; b) la liasse est décrite avec suffisamment
de détail, pour qu'une autre partie puisse en comprendre facile- ment le contenu». Or, les défendeurs ont décrit de manière à ce qu'il soit presque impossible d'en comprendre facilement le contenu les documents qui, d'après eux, font l'objet d'un privi- lège. C'est la raison pour laquelle l'avocat des défendeurs a fourni une liste détaillée des documents à l'égard desquels est invoqué le secret professionnel de l'avocat.
Le secret professionnel de l'avocat existe à titre d'exception au principe général exigeant qu'il y ait la divulgation la plus complète possible. On invoque à ce propos la décision Sauder Industries Ltd. c. Le navire «Molda» et autre, d'où il ressort qu'un litige doit être la raison principale de la préparation d'un rapport, sans quoi l'exemption de communication ne peut être demandée ni accordée à son égard. Toutes les communications faites entre un avocat et son client en vue d'un litige font l'ob- jet d'un privilège. Les faits contenus dans la communication entre le client et son avocat jouissent également du privilège, c.-à-d. que le document exposant les faits bénéficie du privi- lège s'il a été communiqué entre le client et l'avocat en vue d'un litige. Cela n'écarte cependant pas la possibilité d'interro- ger une personne sur les faits se rapportant à une affaire qui se trouvent mentionnés dans un document bénéficiant du privi- lège.
Les documents demandés bénéficient du privilège du fait qu'ils ont été préparés aux fins du litige. Il s'agit en effet de documents établis par le uclient» et son avocat après que les poursuites eurent été intentées contre le demandeur.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 448 (mod. par DORS/90-846, art. 15).
JURISPRUDENCE
DISTINCTION FAITE AVEC:
Justason c. Canada Trust (1987), 78 N.B.R. (2d) 317; 198 A.P.R. 317 (B.R.); Lapointe c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [1987] 1 C.F. 445; (1986), 6 F.T.R. 134 (Po inst.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Sauder Industries Ltd. et autre c. Le navire «Molda» et autre (1986), 3 F.T.R. 190 (C.F. Iie inst.); Dusik v. New ton et al. (1983), 1 D.L.R. (4th) 568; 48 B.C.L.R. 111; 38 C.P.C. 87 (C.A.).
DÉCISION CITÉE:
Central Mortgage and Housing Corporation v. Founda tion Company of Canada Limited and Travellers Indem nity Company of Canada et al. (1984), 63 N.S.R. (2d) 402; 141 A.P.R. 402; 7 C.L.R. 179; 43 C.P.C. 66 (C.S.).
DEMANDE d'examen de documents. Demande rejetée.
AVOCATS:
Thomas E. Williams pour le demandeur. Al R. Pringle, c.r., pour les défendeurs.
PROCUREURS:
O'Dea, Strong, Earle, St. John's, pour le deman- deur.
Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE TEITELBAUM: La Cour est saisie d'une demande d'examen de documents présentée par le demandeur, Kevin Bussey, dans les termes suivants:
[TRADUCTION] SUR LE FONDEMENT DE la Règle 476 prise en vertu de la Loi sur la Cour fédérale, L.C. 1990, ch. 8, et pour les motifs exposés dans l'affidavit ci-annexé, le deman- deur sollicite auprès de la Cour une ordonnance qui obligerait les défendeurs à communiquer au demandeur les documents se trouvant à l'annexe II de l'affidavit déposé par le défendeur en application de la Règle 448 et, plus particulièrement, les docu ments se rapportant à la correspondance entre différents substi- tuts du procureur général et la Gendarmerie royale du Canada.
Dans sa demande, le demandeur allègue ce qui suit:
1) [TRADUCTION] Il a produit une déclaration contre les défendeurs le procureur général du Canada et Sa Majesté la Reine (la Couronne) le 4 juillet 1988.
2) Les défendeurs ont produit une défense le 8 juin 1989.
3) Les défendeurs ont déposé un affidavit en applica tion de la Règle 448 le 12 mars 1991, date à laquelle la Couronne a invoqué le privilège à l'égard des documents et rapports énumérés et joints à l'annexe II.
4) Les défendeurs ont signifié au demandeur un avis que les documents peuvent être examinés, lequel avis ne portait que sur les documents à l'égard desquels aucun privilège n'a été revendiqué.
Le demandeur a exprimé le désir d'examiner quelques documents en particulier figurant à l'annexe II de l'affidavit visé à la Règle 448 [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663 (mod. par DORS/90-
846, art. 15)] qu'ont déposé les défendeurs, [TRADUC- TION] «puisqu'il les estime essentiels pour appuyer ses propres arguments et pour réfuter ceux des défen- deurs exposés dans leur défense».
À l'audience devant moi, j'ai eu l'impression que l'avocat du demandeur voulait en réalité ne consulter qu'un seul document clé. Ce document, à supposer qu'il existe vraiment, consisterait en une lettre qu'aurait adressée Me Eaton, substitut du procureur général, à un représentant de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et dans laquelle il aurait dit qu'aucune accusation ne devrait être portée contre le demandeur.
Or, je crois qu'il est important de préciser un peu le contexte afin qu'on puisse mieux comprendre de quoi il retourne dans la présente instance.
Le demandeur, je le répète, a déposé une déclara- tion auprès du greffe de la Cour le 4 juillet 1988. Il dit que, vers le 16 janvier 1985, il a été arrêté par la GRC et accusé d'une infraction au Code criminel [S.R.C. 1970, ch. C-34] du Canada. Le 25 janvier 1985, le demandeur a comparu en cour à St. John's (Terre-Neuve) pour faire un choix quant au mode du procès et pour inscrire un plaidoyer. Au paragraphe 8 de sa déclaration, le demandeur allègue:
[TRADUCTION] 8. Le 16 juillet 1985, un représentant du défen- deur a indiqué dans une lettre à l'avocat du demandeur qu'il était prêt à retirer les accusations susmentionnées portées con- tre le demandeur, décision sur laquelle on est revenu par la suite.
Le demandeur affirme en outre avoir multiplié les démarches en vue de se faire juger dans les plus brefs délais, mais en vain. Quoi qu'il en soit, le demandeur prétend que, le 18 novembre 1986, les défendeurs ont retiré la totalité des accusations portées contre lui. Il réclame en conséquence des dommages-intérêts du fait que [TRADUCTION] «il a subi un préjudice à la fois financier et économique».
Aux termes de la Règle 448, les parties à une action sont tenues au dépôt et à la signification d'un affidavit faisant état des documents, tant ceux qui bénéficient d'un privilège que ceux qui n'en bénéfi- cient pas, qu'elles ont en leur possession, et conte- nant d'autres déclarations relatives aux documents. La Règle 448 est ainsi conçue:
Règle 448. (1) Chaque partie à une action dépose un affida vit en application de la présente règle et le signifie aux autres parties à l'action dans un délai de 30 jours après que la contes- tation soit liée ou dans tout autre délai convenu par les parties ou ordonné par la Cour.
(2) L'affidavit prévu à l'alinéa (1) (formule 19) comprend:
a) des listes séparées et des descriptions suffisamment détaillées de tous les documents pertinents à l'affaire en litige:
i) qui sont en la possession, sous l'autorité ou sous la garde de la partie et à l'égard desquels aucun privilège n'est revendiqué;
ii) qui sont ou étaient en la possession, sous l'autorité ou sous la garde de la partie et à l'égard desquels un privilège est revendiqué;
iii) qui étaient mais ne sont plus en la possession, sous l'autorité ou sous la garde de la partie et à l'égard des- quels aucun privilège n'est revendiqué;
iv) que la partie croit être en la possession, sous l'autorité ou sous la garde d'une personne qui n'est pas une partie à l' action;
b) une déclaration exposant le fondement de chaque revendi- cation de privilège revendiqué à l'égard d'un document;
c) une déclaration expliquant comment un document a cessé d'être en la possession, sous l'autorité ou sous la garde de la partie et indiquant le document se trouve actuellement, dans la mesure il lui est possible de le déterminer;
d) les renseignements personnels permettant d'identifier toute personne visée à l'alinéa a)(iv), y compris son nom et son adresse, s'ils sont connus;
e) une déclaration attestant que la partie n'a pas connais- sance de l'existence d'autres documents pertinents que ceux qui sont énumérés à l'affidavit ou qui sont ou étaient seule- ment en la possession, sous l'autorité ou sous la garde d'une autre partie à l'action.
(3) Aux fins de préparation de l'affidavit prévu à l'alinéa (1), une liasse de documents peut être répertoriée comme un seul document si:
a) les documents sont tous de même nature;
b) la liasse est décrite avec suffisamment de détail, pour qu'une autre partie puisse en comprendre facilement le con- tenu.
(4) Un document est réputé être sous l'autorité ou sous la garde d'une partie si:
a) cette partie a le droit d'en obtenir l'original ou une copie;
b) au moins une autre partie ne jouit pas du même droit.
(5) La divulgation d'un document ou sa production pour fins d'examen ne constitue pas une reconnaissance de son authenti- cité ou de son admissibilité dans le cadre de l'action.
Les défendeurs font dans leur affidavit relatif aux documents qu'ils ont en leur possession et qui font l'objet d'un privilège la déclaration suivante:
[TRADUCTION] Sont énumérés ci-après la totalité des documents pertinents ou des liasses de documents pertinents qui sont ou qui ont été en la possession de la Couronne, sous son autorité ou sous sa garde et à l'égard desquels un privilège est reven- diqué:
Les rapports, les avis et la correspondance échangés par les avocats et les mandataires du défendeur d'une part et la Gendarmerie royale du Canada, ses mandataires et ses repré- sentants d'autre part, le secret professionnel de l'avocat étant invoqué à l'égard de ces documents.
Le demandeur veut maintenant pouvoir examiner ces documents, car, dit-il, ils sont cruciaux en ce qu'ils [TRADUCTION] «lui permettront de présenter des arguments plus solides et le mettront en meilleure posture pour attaquer ceux des défendeurs».
L'avocat du demandeur soutient que la façon dont les défendeurs ont signalé qu'ils ont en leur posses sion des documents qui, d'après eux, font l'objet d'un privilège n'est pas suffisante. Selon l'avocat, s'ils prétendent que certains documents sont assujettis au secret professionnel de l'avocat, les défendeurs doi- vent tout au moins indiquer quels sont ces docu ments.
Je retiens ce moyen avancé par le demandeur. En effet, le paragraphe (3) de la Règle 448 porte qu'une liasse de documents peut être répertoriée comme un seul document, pourvu que «a) les documents sont tous de même nature; [et] b) la liasse est décrite avec suffisamment de détail, pour qu'une autre partie puisse en comprendre facilement le contenu».
Or, il appert que les défendeurs ont «décrit» de manière à ce qu'il soit extrêmement difficile, voire impossible, d' «en comprendre facilement le con- tenu», les documents qui, soutiennent-ils, font l'objet d'un privilège. Pour ma part, je suis convaincu que l'avocat des défendeurs s'est rendu compte de ce pro- blème et a en conséquence produit une liste détaillée des documents à l'égard desquels les défendeurs invoquent le secret professionnel de l'avocat. Cette liste figure à l'annexe II de l'affidavit déposé par les défendeurs en application de la Règle 448.
L'avocat du demandeur prétend que ce dernier devrait être en mesure d'identifier les documents, à défaut de quoi il se verrait dans l'impossibilité abso- lue de comprendre quels documents font l'objet d'une revendication de privilège. L'avocat soutient
en outre que le demandeur devrait pouvoir examiner les documents afin d'en retirer non pas le nom et le signalement d'indicateurs, mais des éléments de preuve factuels.
Selon le demandeur, le principe général veut qu'il y ait la divulgation la plus complète possible. Il pré- tend donc que tous les documents pertinents doivent être communiqués intégralement et sans réserve.
C'est évidemment une assertion que nul ne con- teste. Toutefois, pour atténuer ce principe général, on doit conclure que certains documents sont juridique- ment exemptés de communication dans les cas entre en jeu le secret professionnel de l'avocat, c'est- à-dire lorsqu'un document a été préparé aux fins ou en vue d'un litige. Dans l'affaire Sauder Industries Ltd. et autre c. Le Navire «Molda» et autre (1986), 3 F.T.R. 190 (C.F. ire inst.), à la page 191, le juge Rou- leau affirme:
Selon la règle générale qui prévaut actuellement, toute la docu mentation pertinente susceptible de jeter la lumière sur les points litigieux d'une affaire doit, dans la mesure du possible, être communiquée au complet.
La règle du motif principal actuellement suivie par les tribu- naux canadiens laisse entendre que même si le rapport peut avoir été demandé en raison de la possibilité lointaine d'un litige, de même que pour quelque autre motif, le litige doit être la raison principale pour laquelle l'exemption est demandée et accordée.
L'avocat du demandeur fait valoir et convient que le secret professionnel de l'avocat protège toute cor- respondance avec un avocat, pourvu qu'elle ait eu lieu aux fins ou en vue d'un litige. Il soutient cepen- dant que cette règle admet certaines exceptions. À titre d'exemple, il dit que les faits énoncés dans une communication peuvent ne pas faire l'objet d'un pri- vilège, même si la communication elle-même en bénéficie. L'avocat invoque l'affaire Dusik v. Newton et al. (1983), 1 D.L.R. (4th) 568 (C.A.C.-B.), dans laquelle le juge Seaton, se prononçant au nom de la Cour d'appel, dit, aux pages 571 et 572:
[TRADUCTION] Le principe général du secret professionnel de l'avocat se trouve énoncé à 8 Wigmore, Evidence (révision de McNaughton 1961), § 2292, p. 554:
Les communications faites par le client qui consulte un conseiller juridique ès qualités, voulues confidentielles par le client, et qui ont pour fin d'obtenir un avis juridique font l'objet à son instance d'une protection permanente contre
toute divulgation par le client ou le conseiller juridique, sous réserve de renonciation à cette protection.
Cette définition a reçu l'approbation de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Solosky c. La Reine (1979), 105 D.L.R. (3d) 745, à la p. 756, 50 C.C.C. (2d) 495, [1980] 1 R.C.S. 821 (le juge Dickson). Certes, il est des circonstances qui débor- dent de la définition et celle-ci souffre des exceptions, mais, à première vue, les communications entre les avocats et leurs clients font l'objet d'un privilège.
L'argument avancé par l'appelant est le suivant. Quant à savoir s'il y avait vente des actions de la partie demanderesse, c'est une question de fait et les renseignements que possède M. Newton concernant ce fait sont en cause. Ces renseigne- ments, qu'il les ait obtenus de son avocat ou d'une autre source, ne font pas l'objet d'un privilège. L'appelant invoque à l'appui de cet argument des passages tirés de la décision Susan Hosiery Ltd., précitée, et notamment l'extrait suivant qui se trouve à la p. 34:
Ce qu'il importe de noter au sujet de chacune de ces deux propositions, c'est que ni l'une ni l'autre ne confère de privi- lège allant à l'encontre de la communication des faits qui sont ou peuvent être pertinents pour la décision sur les faits litigieux. Ce qui est privilégié, ce sont, d'une part les com munications ou les notes dont l'existence est liée à la demande d'un conseil ou d'une assistance juridiques et, d'autre part les documents préparés pour le dossier de l'avo- cat. Les faits ou les pièces auxquels font allusion ces com munications ou ces documents ne bénéficient pas du privi- lège de ne pas être communiqués si la partie, de toute façon, était tenue de les communiquer.
Je fais remarquer en outre que le juge Seaton, aux pages 572 et 573, ajoute:
[TRADUCTION] A mon avis, le raisonnement dans ces déci- sions ne s'applique pas en l'espèce. En effet, les questions sou- levées par le présent appel concernent les communications entre avocat et client. Or, MC Harasym n'a pas soutenu que le fait connu de son client faisait l'objet d'un privilège. Il a plutôt fait valoir que c'est la communication qui en bénéficiait. Je lui donne raison sur ce point.
L'avocat de l'appelant n'a invoqué aucune décision dans laquelle il a été jugé que le privilège ne jouait pas dans le cas d'une communication entre un avocat et son client dans la mesure cette communication portait sur des faits. Et quant à moi, dans le peu de temps dont je disposais—le procès doit débuter lundi je n'en ai pu trouver.
La distinction que n'a pas faite l'appelant a été faite par le président Jackett, à la p. 35:
À mon avis, qu'il s'agisse d'une lettre adressée à un avocat pour lui demander un conseil de nature juridique ou d'un exposé des faits sur une formule spéciale demandée par un avocat pour un litige, la lettre ou l'exposé, en tant que tels, jouissent du privilège, mais les faits qu'ils rapportent ou les pièces d'où proviennent ces faits ne sont pas exemptés de la
communication si, mise à part leur mention dans des docu ments privilégiés, ils auraient être communiqués.
J'en déduis que font l'objet d'un privilège toutes les communications faites entre . un avocat et son client en vue d'un litige. Les faits contenus dans la communication entre le client et son avocat jouissent également du privilège. C'est-à-dire que le document exposant les faits bénéficie du privilège s'il a été communiqué entre l'avocat et son client en vue d'un litige. Cela n'écarte cependant pas la possibilité d'in- terroger une personne sur tous les faits se rapportant à l'affaire, même, si certains de ces faits figurent dans le document qui bénéficie du privilège. Cette possibi- lité existe notamment à l'égard de la question de savoir si, sur le strict plan des faits, le substitut du procureur général, en l'occurrence Me Eaton, a bel et bien recommandé de ne pas porter une accusation contre le demandeur ou de ne pas poursuivre une telle accusation, recommandation qu'il aurait faite à la GRC (voir Central Mortgage & Housing Corpora tion v. Foundation Company of Canada Limited and Travellers Indemnity Company of Canada et al. (1984), 63 N.S.R. (2d) 402 (C.S.), paragraphe 14, page 405).
Selon l'avocat du demandeur, l'intérêt public et la pertinence pour le public ainsi que l'équité du procès constituent une autre exception à la règle générale prescrivant le privilège pour les communications entre un client et son avocat.
L'avocat invoque au soutien de cette exception la décision Justason c. Canada Trust (1987), 78 N.B.R. (2d) 317 (B.R.). Dans l'affaire Justason, le juge a examiné les documents à l'égard desquels on reven- diquait le privilège et a dit, à la page 320:
[TRADUCTION] , . et j'en suis venu à conclure que les docu ments se rapportent effectivement à la question de l'avis juri- dique demandé et obtenu par le défendeur relativement à l'ad- ministration de la fiducie en question, sauf en ce qui concerne la pièce B-3, dont je traiterai plus loin.
Le juge Higgins poursuit en affirmant, aux pages 320, 321 et 322:
[TRADUCTION] Fait important, cependant, certains de ces documents ont été rédigés par le demandeur lui-même en sa qualité de surveillant. Ils portent précisément sur la fiducie en cause et demandent au nom de la défenderesse, alors l'em- ployeur du demandeur, un avis juridique relativement à cette fiducie.
J'estime donc que ces documents relèvent de deux principes fondamentaux opposés. En premier lieu, il s'agit de documents dans lesquels la défenderesse demande un avis juridique à son avocat et aussi de documents dans lesquels celui-ci fournit cet avis. En deuxième lieu, ces documents contiennent des élé- ments de preuve faisant état de la conduite du demandeur dans l'exercice de ses fonctions de surveillant des services fidu- ciaires, soit le point même soulevé par les «précisions relatives à la cause» déposées par la défenderesse.
La question des principes opposés a été abordée et résolue par lord Edmund-Davies dans l'affaire Waugh v. British Rail ways Board, [1980] A.C. 521, à la p. 543, comme suit:
«Et, à mon sens, il faut partir du principe que, tout compte fait, l'intérêt public est le mieux servi si on limite stricte- ment les cas la communication de documents se rappor- tant à un litige peut être licitement refusée. C'est la franchise plutôt que la suppression qui est le plus susceptible de per- mettre que justice soit rendue. Car, comme l'ont affirmé les juges majoritaires dans l'affaire Grant v. Downs, à la p. 686: " ... le privilège ... compromet l'équité du procès en refusant à une partie l'accès aux documents pertinents ou, tout au moins, en l'exposant à des surprises".»
Je crois qu'il est possible de diviser en trois catégories l'en- semble des documents que j'ai examinés:
1. La correspondance générale entre le demandeur, agissant en sa qualité d'agent fiduciaire de la défenderesse, et l'avo- cat de cette dernière. Cette correspondance demandait ou contenait, selon le cas, des avis et des conseils concernant le contrat de fiducie en question et quant au mode d'adminis- tration de la fiducie. Il y a en outre deux feuilles figurent des chiffres et des calculs sans qu'il ne soit mentionné ni la personne qui les a préparées ni le but précis de leur prépara- tion—je fais allusion en particulier à la pièce B-3.
2. Des notes de service internes du cabinet d'avocats auquel appartenait l'avocat de la défenderesse. Il s'agit essentielle- ment, d'une part, d'instructions par lesquelles cet avocat, un associé principal dudit cabinet, demandait à des avocats en second du même cabinet d'entreprendre des recherches sur certains points touchant le droit des fiducies, et d'autre part, du fruit des recherches faites par ces avocats.
3. Des avis juridiques demandés par des agents de la défen- deresse autres que le demandeur, portant des dates posté- rieures au congédiement du demandeur.
À mon avis, la documentation comprise dans la première catégorie devrait être produite aux fins d'examen, mais il ne devrait pas y avoir communication des documents des deuxième et troisième catégories.
Ce sont les documents de la première catégorie qui, d'après moi, sont les plus pertinents en l'espèce, particulièrement en ce qui concerne le demandeur puisqu'il y est question du moment ce dernier a demandé un avis juridique, de la nature de l'avis demandé, de l'analyse et de l'évaluation du contrat de fiducie en cause, à l'égard duquel le demandeur aurait fait preuve d'incompétence selon la défenderesse, et des avis et conseils que le demandeur recevait de l'avocat de la défende-
resse face aux problèmes qui surgissaient. Or, je tiens cette documentation pour pertinente indépendamment de son aspect «avis juridique».
Je suis d'avis qu'en l'espèce la «pertinence» et l'«équité du procès» doivent l'emporter sur le privilège revendiqué par la défenderesse. De plus, j'ordonne la communication de la pièce B-3 étant donné qu'on semble n'avoir avancé aucune raison militant contre sa divulgation.
Quant au reste des documents que j'ai examinés, ils ne com- portent pas l'élément supplémentaire de la participation per- sonnelle du demandeur, de sorte que, selon moi, le secret pro- fessionnel de l'avocat invoqué doit primer à l'égard de ces documents.
Dans la décision précitée, le demandeur revendi- quait la production de certains documents qu'il avait lui-même rédigés en sa qualité de surveillant. Les documents concernaient une fiducie litigieuse relati- vement à laquelle il demandait un avis juridique pour le compte de son employeur. Ce cas diffère donc de celui qui se présente en l'espèce, aucune lettre n'a été envoyée aux avocats des défendeurs avant que des accusations ne soient portées—le demandeur n'a jamais «agi» pour les défendeurs.
En toute déférence, je suis convaincu que le cas présent n'est nullement assimilable à celui susmen- tionné.
L'avocat du demandeur prétend que la renoncia- tion constitue également une exception à la règle générale prescrivant le privilège. Cette renonciation, soutient l'avocat, peut être expresse ou implicite. L'avocat invoque le paragraphe 4 et la dernière phrase du paragraphe 9, ainsi que la dernière phrase du paragraphe 16, de la défense à l'appui de l'argu- ment selon lequel le défendeur a implicitement renoncé au privilège puisque c'est la lettre envoyée par Eaton qui, d'après le demandeur, établit l'inexis- tence d'une preuve suffisante à première vue.
[TRADUCTION] 4. En ce qui a trait au paragraphe 4 de la déclara- tion, il dit que le demandeur a été accusé d'avoir comploté avec trois autres personnes en vue de faire le trafic d'un stupé- fiant, à savoir de la résine de cannabis, acte criminel visé au paragraphe 4(1) de la Loi sur les stupéfiants, et d'avoir ainsi commis une infraction à l'alinéa 423(1)d) du Code criminel du Canada. Il dit en outre que le demandeur a également été accusé sous deux chefs de possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic, infraction prévue au paragraphe 4(2) de la Loi sur les stupéfiants.
9.... Il dit en réponse au paragraphe 10 de la déclaration que les préposés du défendeur, y compris le substitut du procureur général, ont été d'avis tout au cours de la période mentionnée au paragraphe 10 de la déclaration qu'il existait contre le demandeur une preuve «suffisante à première vue».
16.... I1 affirme en outre que la preuve contre le demandeur a été examinée par le substitut du procureur général, qui l'a jugée suffisante «à première vue» pour que le demandeur puisse être accusé des infractions visées au paragraphe 4 de la déclaration.
L'avocat invoque la décision Lapointe c. Canada (Ministre des Pêches et Océans), [ 1987] 1 C.F. 445; (1986), 6 F.T.R. 134 (lre inst.), à l'appui du principe susmentionné. Le sommaire de cette décision [dans le F.T.R.] est ainsi rédigé la page 134]:
[TRADUCTION] Les demandeurs ont prétendu que les autorités fédérales avaient agi sans y être habilitées en annulant certains permis de pêche. Ils ont prétendu en outre que lesdites auto- rités avaient violé les règles de la justice naturelle et que leurs préposés avaient agi abusivement en annulant les permis. Ils ont réclamé en conséquence des dommages-intérêts pour manque à gagner ainsi que des dommages-intérêts découlant d'un préjudice indirect et des dommages-intérêts exemplaires. Les autorités ont refusé de répondre à des questions concernant des avis juridiques qu'elles avaient obtenus posées lors de l'in- terrogatoire préalable et de produire des documents se rappor- tant à ces avis qui, prétendaient-elles, bénéficiaient d'un privi- lège. Les demandeurs ont demandé en vertu de la Règle 465(18) des Règles de la Cour fédérale une ordonnance obli- geant les autorités à répondre aux questions et à produire les documents.
La Division de première instance de la Cour fédérale a jugé que les avis juridiques faisaient l'objet d'un privilège, mais que les autorités, dans leur défense, avaient renoncé au privilège du secret professionnel de l'avocat. Par conséquent, la Cour a fait droit à la requête des demandeurs, mais a ordonné que les avis juridiques en question ne soient communiqués qu'aux parties pour qu'elles les consultent à titre confidentiel.
À la page 446 C.F., le juge Cullen fait l'observa- tion suivante:
Les demandeurs allèguent que les défendeurs ont violé les règles de la justice naturelle et que leurs préposés ont agi abu- sivement en demandant au ministre des Pêches et Océans (le ministre) d'annuler les permis et ils réclament des dommages- intérêts pour manque à gagner ainsi que des dommages-inté- rêts exemplaires.
En l'espèce, on ne prétend pas que les défendeurs ont violé les règles de la justice naturelle et je suis d'avis que la décision Lapointe ne s'applique pas, elle non plus, au présent litige. En outre, les avis demandés dans l'affaire dont se trouvait saisi le juge
Cullen avaient été obtenus antérieurement à l'annula- tion des permis en cause. Or, il en est tout autrement de la lettre demandée en l'espèce, laquelle, à suppo- ser qu'elle existe, n'a été rédigée qu'après que le demandeur eut été accusé relativement aux activités criminelles auxquelles il se serait livré.
Je suis convaincu que les documents demandés bénéficient du privilège du fait qu'ils ont été préparés aux fins du litige. Il s'agit en fait de documents éta- blis par le «client» et son avocat après que les pour- suites eurent été intentées contre le demandeur.
La demande est rejetée avec dépens.
 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.