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A-532-90
Andrée Ménard et Michel Ouellette (requérants)
c.
Sa Majesté la Reine (intimée)
RÉPERDW MÉNARD C. CANADA (C.A.)
Cour d'appel, juges Pratte, Hugessen et Desjardins, J.C.A.—Ottawa, 25 mars et 10 juillet 1992.
Code civil Des fonctionnaires fédéraux syndiqués travail- lant au Québec ont travaillé en dehors des heures normales de travail et ont été rémunérés au taux du temps supplémentaire
Le tarif des heures supplémentaires a été appliqué par erreur puisque la convention collective ne le prévoyait pas L'employeur peut-il recouvrer les paiements faits en trop? Les employés invoquent le principe du promissory estoppel M. Ouellette a accepté une promotion en se fondant unique- ment sur la promesse qu'il pourrait continuer à travailler des heures supplémentaires et Mme Ménard a accepté de sacrifier ses jours de congés et ses vacances L'estoppel doit reposer sur la promesse et le détriment qu'elle entraîne L'élément de détriment n'existe pas dans le cas de M. Ouellette La doctrine de l'estoppel en common law ne s'applique pas à la cause d'action qui a pris naissance au Québec La fin de non-recevoir n'est pas identique à l'estoppel L'enrichisse- ment sans cause, qui est une doctrine de nature civiliste, s'ap- plique aux faits de l'espèce En ce qui concerne M. Ménard, les cinq éléments de l'action fondée sur l'enrichissement sans cause savoir l'enrichissement du débiteur, l'appauvrisse- ment du créancier, un lien de connexité entre les deux, une absence de justification légale et l'absence d'un autre recours prévu par la loi) sont réunis.
Fonction publique Relations du travail Les requérants, à savoir un infirmier et une infirmière ont travaillé dans un établissement pénitentiaire en dehors des heures régulières de travail et ont été rémunérés selon le tarif des heures supplé- mentaires L'employeur a constaté subséquemment que le paiement des heures supplémentaires avait été effectué en vertu d'une interprétation erronée de la convention collective
Le recouvrement du trop payé s'est effectué par voie de déduction sur les salaires conformément à l'art. 155 de la Loi sur l'administration financière L'arbitre a rejeté les griefs
L'arbitre avait-il compétence pour entendre les griefs fondés sur le promissory estoppel Le différend découle de l'interprétation erronée donnée à la convention collective L'application de la convention a soulevé la prétention fondée sur l'estoppel La doctrine de l'estoppel de la common law est-elle applicable à la cause d'action qui a pris naissance au Québec? La demande est accueillie quant à l'un des deux requérants au motif de l'enrichissement sans cause.
Il s'agit en l'espèce d'une demande fondée sur l'article 28, visant la révision judiciaire de la décision d'un arbitre qui a rejeté les griefs des requérants. Les deux requérants étaient un infirmier et une infirmière qui travaillaient dans un établisse-
ment du service correctionnel du Canada à Cowansville. Ils étaient syndiqués et leurs conditions de travail étaient régies par une convention collective. La pratique de l'établissement consistait à considérer comme heures supplémentaires tout tra vail accompli en dehors des heures régulières de travail d'un employé, y compris les jours de congés et les vacances. À la fin de 1987, l'employeur s'est rendu compte que cette pratique était fondée sur une interprétation erronée de la convention collective et qu'un bon nombre d'heures payées selon le tarif des heures supplémentaires n'auraient pas da l'être. Les requé- rants avaient, au cours des années 1986 et 1987, travaillé en dehors des heures normales de travail et avaient été rémunérés au tarif des heures supplémentaires. L'employeur a avisé les requérants qu'ils avaient été trop payés, à savoir, M. Ouellette, jusqu'à concurrence de 128 heures, et Mme Ménard, jusqu'à concurrence de 35 heures. L'employeur a procédé au recouvre- ment des sommes dues en les déduisant des salaires qu'ils tou- chaient à cette époque. Le représentant des employés a reconnu que les paiements des heures supplémentaires n'étaient pas jus- tifiés par la convention collective, mais ils ont prétendu que l'employeur ne pouvait pas réclamer le paiement en trop puis- qu'il avait incité les requérants à travailler des heures supplé- mentaires. En ce qui concerne M. Ouellette, on lui avait offert un poste de superviseur qui, normalement, n'aurait pas exigé la prestation d'heures supplémentaires, et il l'avait accepté contre la promesse qu'il continuerait à faire à peu près le même nom- bre d'heures supplémentaires à titre d'infirmier que dans le passé. Mme Ménard avait été rappelée au travail les jours de congés et durant ses vacances et elle avait accepté de sacrifier ses congés contre la promesse qu'elle serait rémunérée au taux majoré de temps et demi ou temps double.
L'arbitre a conclu que le recouvrement des paiements faits en trop était conforme à la Loi sur la gestion des finances publiques.
Arrêt (le juge Pratte, J.C.A., dissident): la demande devrait être accueillie à l'égard de la requérante Ménard et rejetée à l'égard du requérant Ouellette.
Le juge Hugessen, J.C.A.: L'article 92 de la Loi sur les rela tions de travail dans la fonction publique confère à un arbitre la compétence pour entendre les griefs portant sur l'interpréta- tion ou l'application de la convention collective. Le présent différend résultait d'une mauvaise interprétation que les parties en cause ont donnée à la convention collective. Les gestes de l'employeur dont on prétend qu'ils ont donné naissance à l'es- toppel portaient sur l'interprétation de la convention collective, et les conséquences juridiques qui en découlent relèvent néces- sairement de la compétence de l'arbitre. L'estoppel se fonde non seulement sur une promesse mais aussi sur le détriment auquel le bénéficiaire de la promesse est exposé. Lorsque M. Ouellette a accepté la promotion à titre «chef-santé», on lui a garanti la possibilité de faire des heures supplémentaires et on a tenu cette promesse. En acceptant le nouveau poste, il n'agissait pas à son détriment et ce, quel que soit le taux de rémunération des heures supplémentaires. Mme Ménard agis- sait à son détriment en sacrifiant ses jours de congés, ce qu'elle n'aurait pas fait si elle ne devait être rémunérée qu'au taux ordinaire. Elle pourrait invoquer l'estoppel, sauf que la doc-
trine de l'estoppel de la common law, plaidée par les parties en cause, ne fait pas partie de la loi applicable en l'espèce. La cause d'action a pris naissance dans la province de Québec, oh le droit général applicable est le droit civil. Même si l'expres- sion «estoppel» est souvent employée dans les écrits de droit civil, ce concept n'est pas identique à la fin de non recevoir, et il faut éviter d'employer le vocabulaire de la common law qui peut induire en erreur. L'action de Mme Ménard contre l'em- ployeur convient mieux à l'enrichissement sans cause, un con cept qui est solidement établi dans la doctrine du droit civil et dans sa jurisprudence. Cinq éléments sont essentiels à l'action fondée sur l'enrichissement sans cause. Il doit y avoir enrichis- sement d'une partie, appauvrissement de l'autre partie, un lien de connexité entre les deux, une absence de justification légale à l'égard de l'enrichissement et absence d'un autre recours pour la personne appauvrie. L'employeur a bénéficié, en l'es- pèce, des heures supplémentaires accomplies par Mme Ménard, et celle-ci a été privée de ses congés; en outre, l'avantage de même que le détriment découlent du même événement. Les parties ont agi sous l'effet d'une erreur de droit mutuelle annu- lant le motif qui justifiait le consentement de l'employé. Aucun autre recours n'est possible en l'espèce.
Le juge Pratte, J.C.A. (dissident): L'arbitre n'avait pas com- pétence pour entendre les griefs des requérants. Le paragraphe 92(1) de la Loi permet à l'arbitre d'entendre les griefs fondés sur l'interprétation ou l'application d'une convention collec tive, et cette compétence se limite à déterminer si l'employeur a violé ou non la convention collective. En réclamant les paie- ments en trop faits aux requérants, l'employeur n'appliquait pas les termes de la convention collective, mais il invoquait plutôt les règles de droit générales relatives au recouvrement des sommes payées par erreur. Les requérants reconnaissent que la convention collective ne leur donnait pas le droit de recevoir les sommes en litige. Même si l'on suppose que les déclarations et les promesses faites par l'employeur l'empê- chaient de recouvrer les sommes versées, cette prétention n'a rien à voir avec la convention collective que l'arbitre devait interpréter et appliquer.
Le litige est au Québec dont le droit civil reconnaît la validité contractuelle d'une simple promesse sans qu'il soit nécessaire que le bénéficiaire fournisse une «considération». Puisque le promissory estoppel n'est qu'une qualification apportée à l'exigence de la common law relative à la «considé- ration», il ne peut avoir aucune influence sur un litige résultant des promesses faites et acceptées au Québec.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code du travail S.R.Q. 1977, ch. C-27.
Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 28. Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11, art. 155(3).
Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, art. 92, 93.
JURISPRUDENCE
DÉCISION APPLIQUÉE:
Banque Nationale du Canada (Banque Canadienne Nationale) c. Soucisse et autres, [1981] 2 R.C.S. 339; (1981), 43 N.R. 283.
DECISIONS CITÉES:
Sinyor Spinners of Canada Ltd. c. Leesona Corp., [1976] C.A. 395; (1976), 29 C.P.R. (2d) 71 (Qué.); Cerundolo c. Val-Barette (Corp. mun. de), [1986] R.D.I. 796; (1986) 9 Q.A.C. 96 (C.A. Qué.); Syndicat national des travailleurs des pâtes et papiers de Port-Alfred c. Lippe, [1990] R.D.J. 124 (C.A. Qué.); Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614; (1991), 80 D.L.R. (4th) 520; 48 Admin. L.R. 161; 91 CLLC 14,017; 123 N.R. 161.
DOCTRINE
Baudouin, Jean-Louis. Les obligations, Montréal: Presses de l'université de Montréal, 1970.
D'Aoust, Claude et Dubé, L. L'estoppel et les Taches en jurisprudence arbitrale, Montréal: École de relations industrielles, Université de Montréal, 1990.
DEMANDE visant la révision judiciaire d'une décision d'un arbitre nommé en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, sta- tuant que les requérants n'ont pas droit d'être rému- nérés selon le tarif des heures supplémentaires. La demande est accueillie à l'égard de l'un des requé- rants.
AVOCATS:
Catherine H. MacLean pour les requérants. Dora Benbaruk et Harvey A. Newman, pour l'in- timée.
PROCUREURS:
Nelligan/Power, Ottawa, pour les requérants. Le sous procureur général du Canada pour l'in- timée.
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE HUGESSEN, J.C.A.: Introduction
Les requérants s'en prennent à une décision rendue par un arbitre nommé en vertu des articles 92 et 93 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publiques. Les griefs des requérants avaient trait aux réclamations faites par eux en 1986 et 1987 pour du
L.R.C. (1985), ch. P-35.
temps supplémentaire. Toutefois, les griefs eux- mêmes n'ont été déposés qu'en décembre 1988 et renvoyés à l'arbitrage en novembre 1989. La raison de ce retard inhabituel est importante et a des réper- cussions sur la situation juridique des parties.
Les faits
En 1986 et 1987, aux moments les deux requé- rants avaient originalement formulé leurs demandes de temps supplémentaire, elles ont été acceptées par l'employeur. En effet, il est acquis au débat qu'à l'époque l'employeur avait, depuis longtemps, donné à la convention collective une mauvaise interpréta- tion selon laquelle un employé qui acceptait d'exécu- ter un travail supplémentaire était toujours rémunéré au taux de temps et demi ou temps double, selon les circonstances. Les parties sont d'accord aujourd'hui pour déclarer que cette interprétation n'est pas con- forme au texte de la convention collective qui n'ac- corde les taux majorés que dans certaines circons- tances précises.
Les deux requérants sont infirmiers et travaillent à Cowansville, Québec dans un établissement du Ser vice Correctionnel du Canada. Durant les années 1986 et 1987 la requérante, Ménard, a reçu, durant ses périodes de congés et ses vacances annuelles, des appels de la part de l'employeur l'invitant à rentrer au travail et lui offrant une rémunération, le cas échéant, au taux de temps et demi ou temps double selon les circonstances. Elle a accepté ces offres et a travaillé pendant un certain nombre de ses journées de congés pour lesquelles elle est rémunérée selon le taux con- venu.
Deux ans plus tard, en 1988, l'employeur s'est rendu compte que l'interprétation qu'il avait aupara- vant donnée à la convention collective était erronée. Voici comment l'employeur explique son geste dans la réponse qu'il a donnée à l'employée au troisième palier de règlement du grief:
Une enquête administrative a permis de constater que vous avez perçu en trop, entre juin 86 et septembre 87, par suite d'une application inappropriée de votre convention collective en ce qui a trait au paiement des heures supplémentaires, une rémunération équivalant i135.5 heures de travail à taux simple.
Ce faisant, l'employeur n'avait d'autre choix que de procéder au recouvrement du trop payé.
La décision de l'employeur n'est nullement illégale contraire- ment à ce que vous prétendez car elle s'appuie sur l'article 156(3) de la Loi sur l'administration financière.
Par conséquent, votre grief est rejeté. [Dossier d'appel, à la page 4.]
Dans le cas du requérant Ouellette, la situation est un peu différente. Normalement il est appelé à tra- vailler beaucoup de temps supplémentaire. Durant l'été 1986, l'employeur lui a demandé d'agir à titre de «chef-santé» sur une base intérimaire. Dans l'exé- cution des fonctions de ce poste, apparemment, il y avait très peu de possibilité de gagner du temps sup- plémentaire. M. Ouellette a donc conclu une entente avec son employeur selon laquelle il acceptait de remplir les fonctions de «chef-santé» à la condition qu'il pouvait quand même continuer, comme dans le passé, à travailler du temps supplémentaire à titre d'infirmier régulier. Il a aussi été convenu, selon l'employé, que ce travail serait rémunéré au taux de temps et demi ou temps double selon les circons- tances, ce qui fut fait.
Ici, encore, l'employeur s'est rendu compte deux ans plus tard qu'une partie de la rémunération payée à M. Ouellette était supérieure aux taux prévus dans la convention collective. L'employé, pour sa part, s'est objecté à la tentative de l'employeur de récupé- rer le «trop payé». La réponse de l'employeur au troi- sième palier du règlement du greffe explique l'ache- minement du dossier:
Une enquête administrative a permis de constater que vous avez perçu en trop, entre juin 86 et septembre 87, par suite d'une application inappropriée de votre convention collective en ce qui a trait au paiement des heures supplémentaires, une rémunération équivalant à 128 heures de travail à taux simple.
Ce faisant, l'employeur n'avait d'autre choix que de procéder au recouvrement du trop payé.
La décision de l'employeur n'est nullement illégale contraire- ment à ce que vous prétendez car elle s'appuie sur l'article 156(3) de la Loi sur l'administration financière.
Par conséquent, votre grief est rejeté. [Dossier d'appel, à la page 1 1.]
Les griefs
Devant l'arbitre les requérants ont invoqué la doc trine de l'estoppel, doctrine de la common law selon laquelle une partie qui, par ses paroles ou ses gestes, induit une autre partie à agir à son détriment, ne peut
pas, par la suite, changer sa position et revenir sur sa parole afin de profiter de l'erreur dont elle a été elle- même la source.
L'arbitre a rejeté les griefs, d'où le présent pour- voi.
Compétence de l'arbitre
Devant nous l'intimée soutient que l'arbitre n'avait pas la compétence pour juger des griefs des requé- rants et que, partant, nous ne pouvons que rejeter la demande faite en vertu de l'article 28 [Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7].
La juridiction de l'arbitre tire sa source de l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonc- tion publique qui limite les cas pouvant faire l'objet d'un grief par un employé aux réclamations ayant comme source:
92... .
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une dis position d'une convention collective ou d'une décision arbi- trale;
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une sanction pécuniaire.
Or, prétend l'intimée, les requérants admettent maintenant que la convention collective ne leur donne pas droit à une rémunération au taux de temps et demi ou temps double chaque fois qu'ils sont appelés à travailler en dehors de leurs heures régu- lières de travail ou durant leurs périodes de congés. Cela étant, il n'y a plus aucun débat sur l'interpréta- tion ou l'application de la convention et le remède des requérants doit se trouver ailleurs que dans la procédure du grief et du renvoi à l'arbitrage.
Avec égards pour l'avis contraire, je ne peux pas accepter cette prétention. La source même de la dis pute entre les parties est précisément l'interprétation erronée que les parties ont donnée à la convention et son «application inappropriée» au cas des requérants (l'expression est celle utilisée par l'employeur même dans sa réponse au grief citée ci-dessus). N'eût été cette interprétation, les requérants n'auraient jamais fait les réclamations pour temps supplémentaire, ces réclamations n'auraient jamais été payées, et l'em- ployeur n'aurait donc jamais tenté de se faire rem- bourser. Puisque c'est la tentative de remboursement qui a provoqué les griefs, il y a un lien direct de cause
à effet entre ceux-ci et l'interprétation et l'application de la convention collective.
Autrement dit, les prétentions des requérants sont basées sur la doctrine de l'estoppel, c'est-à-dire sur une prétention que l'employeur, par ses gestes et ses paroles, les a induits à agir à leur détriment. Les ges- tes et les paroles en cause, toutefois, n'ont trait qu'à l'interprétation et l'application de la convention col lective, et une dispute quant à leurs conséquences relève nécessairement de la compétence du tribunal d'arbitrage.
D'ailleurs, toute l'économie du droit des relations de travail, tant dans le secteur public que dans le sec- teur privé, tend à favoriser le recours à l'arbitrage et à décourager que des questions, touchant aux relations entre employeur et employé, soient soumises aux tri- bunaux de droit commun. À mon avis, il est tout sim- plement impensable que le présent litige, impliquant des relations entre un employeur et ses employés syn- diqués, qui sont régis par une convention collective, soit soumis à un autre tribunal que celui que. la Loi a spécifiquement désigné à cette fin.
La décision de l'arbitre sur les réclamations des requérants telles que formulées
Comme je l'ai déjà dit, les requérants fondaient leurs griefs sur la doctrine de l'estoppel. Dans sa décision, l'arbitre a rejeté cette prétention dans les termes suivants:
En ce qui a trait à l'estoppel, il n'y a aucune preuve que l'employeur a fait une promesse ou un engagement en ce qui a trait au montant à être payé. L'engagement était simplement que M. Ouellette pourrait faire du surtemps. [Dossier d'appel, à la page 174, verso.]
Notons tout de suite que l'arbitre ne dit pas un mot concernant la réclamation de Mme Ménard dont la position est pourtant bien distincte. J'y reviendrai.
Le procureur des requérants prétend que, en ce qui a trait à la réclamation de M. Ouellette, la conclusion est tout simplement erronée et que l'arbitre a omis de tenir compte des gestes de l'employeur qui, selon la doctrine, sont tout aussi susceptibles de constituer une promesse ou un engagement que des paroles.
Pour ma part, il ne me paraît pas essentiel d'étudier ce problème plus à fond car il me semble que même
en tenant pour acquis que le procureur a raison, un élément essentiel de l'estoppel, soit le détriment, manque dans le cas de M. Ouellette.
L'on se rappellera que tout ce que M. Ouellette a fait, comme conséquence de la prétendue promesse de l'employeur, était d'accepter d'être nommé sur une base intérimaire au poste de «chef-santé». La preuve ne révèle pas (et il est d'ailleurs fort peu pro bable) que le salaire attaché . à ce poste était moindre que celui que touchait M. Ouellette dans son poste régulier. L'objection que faisait l'employé à la nomi nation intérimaire proposée était que le nouveau poste lui offrirait moins de possibilité de faire du temps supplémentaire. L'employeur lui a alors pro- mis qu'il pourrait dans l'avenir faire autant de temps supplémentaire que dans le passé, et il s'est tenu à cette promesse. Que l'employeur ait ou non promis en même temps que le temps supplémentaire serait toujours payé au taux de temps et demi ou temps double ne change absolument rien, parce que M. Ouellette n'a aucunement agi à son détriment sur la foi d'une telle promesse. Avant la prétendue pro- messe, M. Ouellette travaillait comme infirmier régu- lier et faisait beaucoup de temps supplémentaire pour lequel il était rémunéré à un taux auquel, il l'admet maintenant, il n'avait pas droit. Après la promesse, il a accepté la nomination de «chef-santé» mais il conti- nuait à faire du temps supplémentaire pour approxi- mativement le même nombre d'heures par mois à exactement le même taux. Il n' a donc rien perdu par rapport à sa position antérieure. Le détriment, élé- ment essentiel de l'estoppel, étant absent, l'arbitre a eu raison de rejeter sa réclamation.
Pour ce qui est de Mme Ménard, pourtant, la situa tion est différente. Dans son cas, la preuve est claire et non contredite qu'elle a accepté de sacrifier ses journées de congés et de vacances annuelles unique- ment parce que l'employeur lui avait promis une rémunération au taux de temps et demi ou temps dou ble.
L'arbitre a omis de donner un résumé de la partie essentielle de la preuve de Mme Ménard et cette Cour a autorisé la modification du dossier par l'ajout d'un affidavit d'une personne qui avait assisté à l'audience
devant l'arbitre. Voici l'essentiel de cet affidavit, qui n'a pas été contredit ni contesté par l'intimée:
7. Durant l'interrogatoire principal de Mlle Ménard, celle-ci a mentionné que quand on l'appelait et qu'on lui demandait de revenir au travail pendant ses jours de vacances, jours de congés ou en congé statutaire, on lui disait toujours quel serait le nombre d'heures supplémentaires à faire. De plus, on lui disait également que le taux horaire pour ces heures supplé- mentaires serait celui de temps et demi ou temps double.
8. Mlle Ménard a aussi témoigné durant son interrogatoire principal qu'elle travaillait à Cowansville depuis le mois de février 1983 et que la pratique sur les procédures de rappel de même que l'indemnisation pour temps supplémentaire exis- taient à ce moment-là, et qu'elle croyait en fait qu'elles exis- taient avant qu'elle occupe cet emploi.
9. Mlle Ménard a aussi temoigné[sic] durant son interrogatoire principal qu'elle n'aurait pas accepté un rappel au travail de l'employeur si on lui avait dit qu'elle devrait travailler au taux régulier, et non à ceux du temps supplémentaire.
10. Mlle Ménard a aussi témoigné durant son interrogatoire principal qu'elle se fiait sur la promesse de l'employeur de payer pour le temps supplémentaire, promesse qui a été faite durant les appels téléphoniques lui demandant un rappel au tra vail. Elle a indiqué qu'elle ne serait autrement pas retourné tra- vailler.
11. Durant son contre-interrogatoire, Mlle Ménard a témoigné qu'elle ne contestait pas l'interprétation que faisait l'em- ployeur des dispositions d'indemnisation pour temps supplé- mentaire contenues dans la convention collective. Plutôt, elle s'objectait à l'application rétroactive de cette interprétation quand on lui avait spécifiquement dit, au moment du rappel, qu'elle serait payée aux taux de temps supplémentaire, et qu'elle avait accepté de travailler sous cette condition. [Dossier d'appel, Appendice, à la page 2.]
L'intimée n'a pas prétendu devant nous que la con vention collective lui donnait le droit d'exiger qu'un employé travaille contre son gré en dehors de ses heures régulières de travail. La convention collective elle-même ne contient pas de disposition expresse à cet effet. Le travail supplémentaire était donc volon- taire et c'est ce fait qui distingue nettement les cas des deux requérants.
On se rappellera que M. Ouellette voulait faire du temps supplémentaire et que c'est la promesse de l'employeur à l'effet qu'il ne serait pas privé de la possibilité d'en faire qui lui a fait accepter son nou- veau poste. Dans le cas de Mme Ménard, toutefois, elle a été rappelée au travail durant ses périodes de congés ou de vacances et n'aurait pas accepté de ren- trer n'eût été la promesse de l'employeur qu'elle
serait rémunérée au taux de temps et demi ou temps double. Voilà donc l'élément de détriment qui, comme je l'ai déjà dit, est de l'essence même de la doctrine de l'estoppel.
Ce n'est pas le fait que Mme Ménard a rendu une prestation de travail pour laquelle elle n'avait droit d'être rémunérée autrement que selon les termes mêmes de la convention collective, termes qu'on sait maintenant différents de ce que les parties les croyaient être à l'époque, qui lui a causé du tort. Plu- tôt, c'est que cette employée a rendu une prestation qu'elle n'était pas obligée de rendre et qu'elle n'au- rait pas normalement voulu rendre. Si elle a accepté de la rendre malgré sa volonté, c'est sur la seule foi de la promesse de l'employeur qu'elle serait rémuné- rée aux taux majorés.
J'en conclus donc que sur la base de la réclamation telle qu'elle a été plaidée devant lui et devant notre Cour, l'arbitre a commis une erreur de droit et qu'il aurait accueillir le grief de Mme Ménard et lui faire bénéficier de la doctrine de l'estoppel.
L'applicabilité de la doctrine de l'estoppel au Québec
Ici, toutefois, surgit une question de droit d'une importance capitale qui, pourtant, semble avoir échappé complètement aux parties, à leurs avocats et à l'arbitre.
Toute la dispute entre les parties est née au Qué- bec. Dans la mesure les relations entre les parties ne sont pas régies par la convention collective ou par la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, elles sont assujetties au droit civil du Qué- bec. Or, la doctrine de l'estoppel provient de la com mon law.
Qu'en est-il donc de la base même de la réclama- tion des requérants?
À cette question, il y a, à mon avis, deux réponses possibles.
La fin de non-recevoir
Dans un premier temps, bien que la doctrine de l'estoppel soit étrangère à notre droit civil, elle s'ap- parente étroitement à plusieurs aspects de la notion
civiliste de la fin de non-recevoir. Voici ce qu'en a déclaré le juge Beetz, au nom de la Cour suprême:
Il n'en demeure pas moins indiscutable qu'il y a dans le droit civil québécois des fins de non-recevoir que l'on a parfois confondues avec l'estoppel malgré l'admonition du juge Mignault dans Grace and Company c. Perras [(1921, 62 R.C.S. 166], à la p. 172:
[1RADucrIoN] ... Je me permets de faire remarquer que la théorie de l'estoppel qui existe en Angleterre et dans les pro vinces de common law au Canada n'existe pas dans le droit de la province de Québec. Cela ne signifie pas cependant que dans bien des cas oh, en Angleterre, une personne peut se voir opposer une fin de non-recevoir, elle ne serait pas tenue responsable dans la province de Québec. L'article 1730 du Code civil est un exemple de ce qu'on appelle, en Angleterre, le principe de l'estoppel, et lorsqu'une personne, par ses démarches, a amené une autre personne à modifier sa position à son préjudice, la responsabilité au Québec peut être retenue en vertu des art. 1053 et suivants du Code civil. Savoir si cette responsabilité peut être invoquée en défense à une action, en vue d'éviter ce qu'on a appelé un «circuit d'actions», est une question qui, s'il était nécessaire de l'examiner ici, pourrait certes s'appuyer sur l'autorité de Pothier. Avec égards, j'ajouterais simplement que l'emploi du mot «estoppel», qui vient d'un autre système de droit, devrait être évité dans les affaires qui viennent du Québec puisqu'il pourrait signifier la reconnaissance d'une doctrine qui, comme elle existe aujourd'hui, ne fait pas partie du droit applicable dans la province de Québec 2 .
À l'instar de la Cour suprême, la Cour d'appel du Québec 3 et les tribunaux d'arbitrage siégeant en vertu du Code du travail [S.R.Q. 1977, ch. C-27] du Qué- bec 4 ont souvent adopté et appliqué la doctrine de l'estoppel en guise d'une fin de non-recevoir.
Il n'est donc pas impossible de maintenir que le comportement de l'employeur, en promettant une rémunération supplémentaire à Mme Ménard si celle- ci acceptait de sacrifier ses vacances et ses congés, constitue, en droit québécois, une fin de non-recevoir dont l'effet serait d'empêcher que l'employeur tente maintenant de récupérer le bénéfice qu'il a donné à
2 Banque Nationale du Canada (Banque Canadienne Natio- nale) c. Soucisse et autres, [1981] 2 R.C.S. 339 aux p. 360 et 361.
3 Voir Sinyor Spinners of Canada Ltd. c. Leesona Corp., [1976] C.A. 395 (Qué.); Cerundolo c. Val-Barette (Corp. mun. de), [1986] R.D.I. 796 (C.A. Qué.); Syndicat national des tra- vailleurs des pâtes et papiers de Port-Alfred c. Lippé, [1990] R.D.J. 124 (C.A. Qué.).
4 Voir Claude D'Aoust et Louise Dubé, L'estoppel et les taches en jurisprudence arbitrale, École de relations indus- trielles, Université de Montréal, 1990; notamment aux p. 155 à 166.
l'employé (le taux de rémunération majoré) tout en gardant pour lui la contrepartie qu'il a reçue (le tra vail non obligatoire durant les périodes de vacances).
L'enrichissement sans cause
Il y a toutefois une seconde manière d'aborder le problème que je trouve nettement préférable parce que de nature purement civiliste.
Les faits de l'espèce se prêtent extraordinairement bien à l'application de la notion de l'enrichissement sans cause ou de l'action de in rem verso. Cette notion est maintenant solidement ancrée tant dans la doctrine que dans la jurisprudence québécoisess.
Cinq conditions sont généralement reconnues comme étant essentielles au maintien de l'action: l'enrichissement du débiteur, l'appauvrissement du créancier, un lien de connexité entre les deux, une absence de justification légale et l'absence d'un autre recours prévu par la Loi.
Toutes ces conditions sont remplies dans les faits de l'espèce pour ce qui est de la réclamation de Mme Ménard. Elle a été appauvrie parce qu'elle a perdu le bénéfice de ses journées de congés et de vacances alors qu'elle n'était aucunement obligée de rentrer au travail. Pour sa part, l'employeur a été enrichi parce qu'il a reçu le bénéfice de la prestation de son employée, prestation qu'il n'était pas en droit d'exi- ger d'elle. La connexité entre les deux est évidente.
Pour ce qui est de l'absence de justification, l'on sait maintenant que le taux de rémunération promis par l'employeur à l'employée n'était pas conforme à celui prévu dans la convention collective; les deux parties ont agi sous l'effet d'une erreur de droit mutuelle. Cette erreur, qui par définition constitue la négation ou l'absence d'une cause juridique, est à la source même tant de l'enrichissement de l'une que de l'appauvrissement de l'autre. L'erreur, en tant que telle, ne peut pas évidemment être créatrice de droit: les employés qui ont fait du temps supplémentaire n'ont droit d'être rémunérés à un taux autre que celui prévu dans la convention. Cette même erreur, toute- fois, peut démontrer de façon indéniable l'absence de toute justification légale pour Mme Ménard d'avoir
5 Voir généralement à ce sujet Jean-Louis Baudouin, Les obligations, nos. 410 à 436.
sacrifié ses journées libres et pour l'employeur d'en avoir tiré profit.
Finalement il n'y a aucun autre recours possible en l'espèce.
Conclusion
J'en conclus donc que la réclamation de Mme Ménard, qu'elle soit vue sous l'optique de l'estoppel de la common law ou bien sous celle de l'enrichisse- ment sans cause du droit civil, est, dans les deux cas, bien fondée. L'arbitre a erré en la rejetant.
Je ferais droit à la demande faite en vertu de l'ar- ticle 28, je casserais la décision de l'arbitre en ce qui concerne la réclamation de Mme Ménard et je renver- rais l'affaire à l'arbitre pour qu'il la décide à nouveau en tenant pour acquis que cette réclamation est bien fondée.
Desjardins, J.C.A.: J'y souscris.
* * *
Voici les motifs du jugement rendus en français par
LE JUGE PRATTE, J.C.A. (dissident): Les requérants demandent l'annulation en vertu de l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale d'une décision d'un arbitre en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique qui a rejeté les griefs qu'ils avaient formulés.
Le requérant Ouellette est infirmier; la requérante Ménard est infirmière. Ils font tous deux partie de la fonction publique et travaillent à Cowansville, pro vince de Québec, dans un établissement du Service correctionnel du Canada. À l'époque qui nous inté- resse, leurs conditions de travail étaient régies par la convention collective intervenue le 9 juillet 1986 entre le Conseil du Trésor et l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada.
Il semble que les autorités du Service correctionnel se soient rendu compte à la fin de 1987 que les infir- miers travaillant à l'établissement de Cowansville avaient été rémunérés plus généreusement que ne le prévoyait la convention collective pour les heures de travail accomplies pendant leurs vacances ou leurs jours de congé. Suite à une erreur d'interprétation de
la convention, toutes ces heures de travail avaient apparemment été considérées comme des heures sup- plémentaires alors qu'elles ne l'étaient pas. Après vérification, on calcula les montants que chaque employé avait reçus, du mois de juin 1986 au mois de septembre 1987, en sus de ce à quoi la convention collective lui donnait droit et on fit parvenir des réclamations à ceux qui avaient été trop payés. C'est ainsi que, le 9 novembre 1988, Michel Ouellette reçut un avis le prévenant qu'on lui avait payé en trop l'équivalent de 128 heures de travail à temps simple qu'il devrait rembourser à l'employeur; le même jour, on réclamait d'Andrée Ménard le rembourse- ment de l'équivalent de 35 heures de travail. Après avoir reçu ces avis, les requérants, comme l'exi- geaient les avis qu'on leur avait donnés, firent les arrangements nécessaires avec leur supérieur pour assurer le remboursement de ces montants et, le 14 décembre 1988, chacun d'eux déposait un grief s'en prenant à la décision de l'employeur d'exiger le rem- boursement des sommes qu'on leur avait payées par erreur.
L'affaire fut renvoyée à l'arbitrage et, devant l'ar- bitre, la preuve révéla apparemment ce qui suit:
1. Depuis 1982, la pratique à Cowansville était de rémunérer le travail des infirmiers fait pendant leurs jours de congé ou leurs vacances à temps et demi pour le premier jour et à temps double par la suite; le travail pendant les jours de congé et les vacances était considéré comme volontaire pour les infirmiers (bien qu'il semble que, aux termes de la convention, il ait été obligatoire); quand on rappelait un infirmier au travail, la pratique voulait qu'on lui dise, par télé- phone, s'il serait rémunéré à temps et demi ou à temps double.
2. Le requérant Ouellette a toujours fait beaucoup de travail supplémentaire pendant ses vacances et ses jours de congé; en 1986, on lui demanda d'accepter d'occuper, à titre intérimaire, le poste de «chef- santé»; comme, ordinairement, le titulaire de ce poste ne fait pas de temps supplémentaire, Ouellette n'a accepté de remplir cette tâche qu'après avoir obtenu de son chef de service l'assurance qu'il continuerait à faire des heures supplémentaires comme auparavant.
3. Chaque fois que l'on a rappelé la requérante Ménard au travail pendant ses congés ou ses vacances, on lui a indiqué le montant de la rémunéra- tion qu'elle recevrait et elle n'aurait pas accepté d'être rappelée au travail si elle avait su qu'elle serait rémunérée au taux régulier.
Devant l'arbitre, les requérants invoquèrent le principe du «promissory estoppel», prétendant que l'employeur, après les avoir incités à travailler pen dant leurs vacances et leurs congés en leur représen- tant qu'ils seraient rémunérés à temps et demi ou à temps double, ne pouvait plus prétendre qu'ils n'avaient pas droit à cette rémunération. L'avocat de l'employeur, lui, se serait contenté d'invoquer le paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques [R.S.C., 1985, ch. F-11] qui auto- rise le receveur général à «recouvrer les paiements en trop faits sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d'allocations en retenant un montant égal sur toute somme due à cette personne par Sa Majesté du chef du Canada».
L'arbitre rejeta les griefs pour des motifs qu'il exprime succinctement dans les termes suivants:
Le paragraphe 155(3) de la Loi sur la gestion des finances publiques dit que le receveur général, c'est-à-dire l'employeur, peut recouvrer les paiements faits en trop sur le Trésor à une personne à titre de salaire, de traitements ou d'allocations. L'employeur a discrétion d'exercer ou non son autorité de recouvrement. Ce choix étant fait, on ne peut l'empêcher de le faire, à moins de prouver que l'employeur a accepté spécifi- quement de réduire son autorité par le biais de la convention collective. Ce qui n'est pas le cas.
En ce qui a trait à l'estoppel, il n'y a aucune preuve que l'employeur a fait une promesse ou un engagement en ce qui a trait au montant à être payé. L'engagement était simplement que M. Ouellette pourrait faire du surtemps.
L'employeur avait donc droit de procéder au recouvrement et en conséquence les griefs sont rejetés.
Il est constant que, suivant la jurisprudence récente de la Cour suprême, 6 la décision de l'arbitre ne peut être révisée que s'il a excédé sa compétence ou l'a exercée erronément d'une façon manifestement dérai- sonnable. Les requérants ne prétendent pas que l'ar- bitre ait violé une règle déterminant la limite de ses pouvoirs; ils prétendent plutôt qu'il a commis des erreurs manifestement déraisonnables, d'une part, en
6 Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1991] 1 R.C.S. 614.
supposant qu'il ne pouvait y avoir de «promissory estoppel» en l'absence d'un engagement exprès, ver bal ou écrit, de l'employeur et, d'autre part, en ne tenant aucun compte de la preuve non contredite sui- vant laquelle on indiquait toujours aux infirmiers qui étaient rappelés au travail pendant leurs jours de congé ou leurs vacances quelle rémunération leur serait payée s'ils acceptaient de revenir au travail.
Ces prétentions des requérants doivent, à mon avis, être rejetées parce que même si l'arbitre n'avait pas commis les erreurs qu'on lui reproche, il aurait dû, quand même, rejeter les griefs des requérants au motif qu'il n'avait pas la compétence pour statuer sur les moyens que les requérants faisaient valoir.
Je veux ici rappeler que, suivant l'article 2 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, une convention collective est une «Conven- tion écrite» et que, suivant le paragraphe 92(1) de la même Loi, un grief ne peut être renvoyé à l'arbitrage que s'il s'agit du grief d'un employé qui porte sur
92....
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une dis position d'une convention collective ou d'une décision arbi- trale;
b) une mesure disciplinaire entraînant le congédiement, la suspension ou une sanction pécuniaire.
Les griefs des requérants ne se rapportaient évi- demment pas à une mesure disciplinaire, ils devaient donc porter sur l'interprétation ou l'application de la convention collective qui régissait leurs conditions de travail. Un grief porte sur l'interprétation de la con vention lorsque l'employé reproche à l'employeur de donner à une clause de la convention un sens qu'elle n'a pas; il porte sur l'application de la convention lorsque l'employé prétend que l'employeur a eu tort de croire à l'existence de faits qui, s'ils avaient existé, auraient justifié l'application d'une clause de la convention dont tous admettent le sens. Dans les deux cas, l'employé reproche à l'employeur d'avoir violé la convention. La compétence d'un arbitre est donc limitée à déterminer si, comme le prétend l'em- ployé, l'employeur a violé la convention collective.
En l'espèce, quel était le grief des requérants? Ils se plaignaient de ce que l'intimée ait exigé le rem- boursement des sommes qui, par erreur, leur avait été
payées en sus des montants prévus à la convention collective. En faisant cette réclamation, l'intimée n'appliquait pas la convention collective; elle invo- quait plutôt les règles du droit commun relativement au remboursement d'un paiement qu'elle disait avoir fait par erreur. Le seul cas cette réclamation aurait pu constituer une violation de la convention est celui où, en fait, les sommes réclamées auraient été payées conformément à la convention; en ce cas, en effet, l'intimée aurait utilisé les règles du droit commun pour priver les requérants d'un avantage que la con vention collective leur accordait. Mais telle n'était pas la position des requérants qui admettaient que la convention collective ne leur donnait pas le droit de recevoir les sommes en litige. Leur seule prétention était que l'intimée ne pouvait leur réclamer le rem- boursement de ces montants à cause des représenta- tions et promesses qu'on leur avait faites pour les inciter à travailler pendant leurs vacances et leurs jours de congé. Or, même si l'on suppose, comme l'affirment les requérants, que ces promesses et représentations aient eu pour effet ou bien d'obliger l'intimée à payer plus que ne le prévoyait la conven tion ou bien de l'empêcher de réclamer le rembourse- ment de ce qu'elle avait indûment payé, il reste qu'il s'agit de prétentions qui n'ont rien à voir avec la convention collective que l'arbitre était chargé d'in- terpréter et d'appliquer. L'arbitre, même s'il jugeait ces prétentions fondées, ne pouvait conclure que la convention collective avait été mal interprétée ou mal appliquée; il ne pouvait donc faire droit aux griefs.
Je rejetterais la demande.
J'ajoute un mot pour expliquer pourquoi je n'ai pas jugé bon de discuter de la théorie du «promissory estoppel». Ce litige est dans la province de Qué- bec dont le droit civil, contrairement à la common law, reconnaît la validité d'une simple promesse con- tractuelle sans qu'il soit nécessaire que son bénéfi- ciaire fournisse une «considération». Or, le «promis- sory estoppel» n'étant qu'une atténuation qu'a apportée la jurisprudence à la règle traditionnelle de common law relative à la «considération», il n'y a pas lieu d'en parler à l'occasion d'un litige l'on invoque des promesses faites et acceptées au Québec.
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