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T-2590-91
Le procureur général du Canada et le ministre des Transports du Canada (requérants)
c.
Peter Gill et le Tribunal de l'aviation civile (intimés)
et
Les docteurs C. Hale, T. M. Boylan, R. P. Knipping, J. W. Moore et F. W. (alias R. A.) Evans, et l'Association canadienne des pilotes de ligne (intervenants)
RÉPERTORIE.' CANADA (PROCUREUR GENERAL) C. GILL (Ire INST.)
Section de première instance, juge Strayer—Ottawa, 29 janvier et 13 février 1992.
Droit aérien L'art. 6.5(1) de la Lai sur l'aéronautique oblige le médecin à faire part de l'état du pilote au conseiller médical si cet état est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne L'art. 6.5(5) prévoit que les renseigne- ments ainsi fournis sont protégés et ne peuvent être utilisés «dans des procédures judiciaires, disciplinaires ou autres» Le ministre a avisé le pilote que son certificat de validation de licence avait été suspendu parce qu'il n'avait pas fourni les renseignements médicaux demandés À l'audition, le conseil- ler a ordonné au Ministère de fournir tous les rapports médi- caux que celui-ci avait en sa possession Le conseiller a commis une erreur en concluant que le privilège conféré par l'art. 6.5(5) s'applique uniquement aux procédures engagées contre le médecin visé par l'art. 6.5(4) L'art. 6.5(5) empê- che la délivrance d'une ordonnance de communication des rapports visés par l'art. 6.5(1) Le conseiller a implicitement compétence pour rendre une décision préliminaire sur une question liée à la Charte, mais il devrait refuser de trancher pareille question lorsque, compte tenu des faits, il est inutile de le faire Les tribunaux administratifs devraient agir confor- mément à la lai et se faire une opinion au sujet de ce qu'est la loi, et notamment du sens de la Charte.
Droit constitutionnel Charte des droits Vie, liberté et sécurité À la suite de la révision de la décision par laquelle le ministre des Transports avait suspendu la licence d'un pilote qui avait refusé de fournir des renseignements médicaux, le conseiller a ordonné la communication de tous les rapports médicaux concernant le pilote que le Ministère avait en sa pos session, conformément à l'art. 7 de la Charte, qui garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne, droit auquel on ne peut porter atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale Il s'agit uniquement de savoir si le pilote est tenu de fournir des renseignements médi-
eaux La question ne vise pas les droits garantis par l'art. 7 En général, le genre de liberté et de sécurité de la personne garanties par l'art. 7 sont celles qui sont touchées par le régime judiciaire Étant donné que le refus de communiquer des renseignements médicaux ne constitue pas un déni de jus tice naturelle, il n'y a pas eu déni de justice fondamentale Le conseiller était autorisé à réviser la décision par laquelle le ministre avait suspendu la licence, et non à déterminer si la décision de demander d'autres renseignements était raisonna- ble Subsidiairement, il existe des motifs raisonnables d'exi- ger les renseignements.
Il s'agissait d'une demande d'ordonnance de prohibition et de certiorari visant à faire annuler une ordonnance par laquelle le membre du Tribunal de l'aviation civile (le conseiller) enjoi- gnait au ministre des Transports de fournir tout rapport médi- cal établi à l'égard de Peter Gill en vertu du paragraphe 6.5(1) de la Loi sur l'aéronautique. Le paragraphe 6.5(1) oblige le médecin à faire part de l'état du pilote au conseiller médical si cet état est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne. Le paragraphe 6.5(5) prévoit que les renseignements ainsi fournis sont protégés et ne peuvent être utilisés «dans des procédures judiciaires, disciplinaires ou autres», et que nul n'est tenu de les communiquer ou de témoigner à leur sujet. Le paragraphe 7.1(3) prévoit la révision de la décision de suspen- dre ou d'annuler un document d'aviation canadien prise par le ministre.
Gill était titulaire d'une licence privée de pilote. Il a subi un examen médical en vue du renouvellement de son certificat de validation de licence (le CVL). Le médecin a fait savoir que Gill avait peut-être des problèmes psychiatriques. Le ministère des Transports a demandé à Gill de remettre un historique psy- chiatrique complet et une évaluation de son état de santé exis- tant, ce que celui-ci a refusé de faire. Le ministre a avisé Gill que son CVL était suspendu parce qu'il n'avait pas fourni les renseignements. Avant de réviser la décision, le conseiller a ordonné la communication de tous les rapports médicaux que le Ministère avait en sa possession. À l'audition, il a conclu que le privilège conféré par le paragraphe 6.5(5) s'applique uniquement aux procédures qui pourraient être engagées contre le médecin visé par le paragraphe 6.5(4). Subsidiairement, il a conclu que l'article 7 de la Charte conférait le droit constitu- tionnel général à la communication entière et complète.
Il s'agissait de trancher les questions suivantes: (1) Le para- graphe 6.5(5) empêchait-il le Tribunal de l'aviation civile d'exiger la production des rapports visés par le paragraphe 6.5(1)? (2) Le Tribunal avait-il compétence pour décider que l'article 6.5 allait à l'encontre de la Charte? (3) Le conseiller a- t-il eu raison de décider que le paragraphe 6.5(5) allait à l'en- contre de l'article 7 de la Charte?
Jugement: la demande devrait être accueillie.
(1) Le paragraphe 6.5(5) empêche la délivrance d'une ordonnance de communication des rapports visés par le para- graphe 6.5(1). Le paragraphe 6.5(4) porte sur la responsabilité du médecin qui rédige le rapport et exonère celui-ci de toute responsabilité. Le paragraphe 6.5(5) porte sur la contraignabi- lité et sur l'utilisation de la preuve et non sur la responsabilité.
Il n'est pas limité à une «procédure judiciaire, disciplinaire ou autre contre un médecin ou optométriste», mais s'applique aux «procédures judiciaires, disciplinaires ou autres». Si le législa- teur avait voulu limiter l'application du paragraphe 6.5(5) aux procédures visées par le paragraphe 6.5(4), il aurait pu le faire. Cependant, l'expression «procédures judiciaires, disciplinaires ou autres», au paragraphe 6.5(5), montre que le rapport visé par le paragraphe 6.5(1) ne peut pas être «utilisé» dans pareille procédure et que sa communication ne peut pas être exigée.
(2) Le conseiller était compétent pour rendre une décision initiale au sujet d'une question liée à la Charte dont il était à bon droit saisi. Dans des décisions récentes, la Cour suprême du Canada a confirmé que le tribunal administratif qui est expressément autorisé à interpréter et appliquer les lois ou encore à trancher des questions de droit peut appliquer la Charte pour déterminer la validité des lois qu'il applique. Il a également été jugé qu'il peut s'agir d'un pouvoir implicite. La Loi sur l'aéronautique ne dit rien au sujet de la question de savoir si les conseillers ou le Tribunal de l'aviation civile lui- même peuvent trancher des questions de droit, mais elle con- fère des fonctions importantes au Tribunal et l'oblige, ainsi que ses membres, à donner au ministre et au titulaire de la licence toute possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations sur la mesure attaquée, conformément aux prin- cipes de l'équité procédurale et de la justice naturelle. Il ne faudrait pas conclure à la légère qu'un tribunal administratif n'est pas autorisé à trancher des questions de droit et de consti- tutionnalité: généralement parlant, les tribunaux devraient ten- ter d'agir conformément à la loi et doivent se faire une opinion au sujet de ce qu'est la loi, et notamment du sens de la Charte qui est, en tant que partie intégrante de la constitution, «la loi suprême du Canada».
Les tribunaux devraient s'imposer des contraintes lorsqu'ils examinent des questions liées à la Charte. En l'espèce, une par- tie n'était pas représentée par un avocat, et les avocats du ministre et des médecins intervenants n'avaient pas été informés que la question liée à la Charte serait examinée. Étant donné qu'aucune partie n'avait invoqué l'article 7 et qu'il ne s'agissait pas d'une question fondamentale de compétence qui devait être tranchée pour que le Tribunal puisse procéder, ce dernier n'aurait pas examiner la question, ou du moins il aurait aviser les parties et leur donner le temps de préparer leur argumentation.
(3) L'article 7 de la Charte ne s'applique pas. L'article 7 garantit «le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la per- sonne», qui n'est pas ici en jeu. Il s'agit uniquement de savoir si Gill était tenu de fournir une autre évaluation psychiatrique, ce qui n'a rien à voir avec «le droit à la vie». En général, le genre de «liberté» et de «sécurité de la personne» garanties par l'article 7 sont celles qui sont touchées par le régime judiciaire. Même si le droit en jeu est la perte de la licence, ce qui prive- rait Gill de la capacité de travailler, il s'agirait d'une perte financière d'un genre qui n'est pas normalement protégé par la Charte. Il n'y a pas eu non plus déni de «justice fondamen- tale». Si l'exigence la plus stricte de common law, soit celle concernant la justice naturelle, est appliquée, le refus du minis- tre de communiquer quelque autre rapport visé par le para-
graphe 6.5(1) n'équivalait pas à un déni de justice naturelle. Le conseiller a considéré cette affaire comme une poursuite, en supposant que la révision visait à déterminer si le Ministère avait avant tout des motifs raisonnables de demander des ren- seignements à Gill. Il a mal compris la procédure de révision autorisée par le paragraphe 7.1(3). Cette disposition ne l'auto- risait qu'à réviser la décision par laquelle le ministre avait sus- pendu le CVL par suite de l'omission de fournir les rapports médicaux. Les seules questions pertinentes à cet égard étaient celles de savoir si un avis avait été envoyé à Gill par la per- sonne compétente, si Gill avait omis de fournir les renseigne- ments additionnels demandés, et, dans l'affirmative si la per- sonne compétente avait décidé de suspendre le CVL. Le conseiller n'avait pas le droit de déterminer si la décision de demander d'autres renseignements était raisonnable, compte tenu également du fait qu'il existe un autre droit d'appel si le pilote fournit les renseignements et que sa licence est suspen- due pour des raisons de santé en vertu de l'alinéa 7.1(1)a). Subsidiairement, la justice fondamentale n'exigeait pas que tous les rapports visés par le paragraphe 6.5(1) soient fournis. Il existait des motifs raisonnables de demander que d'autres renseignements soient fournis. Le conseiller aurait uniquement se demander si la demande avait été faite en toute bonne foi.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44], art. 7.
Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appen- dice II, 44], art. 52.
Loi sur l'accès à l'information, L.R.C. (1985), ch. A-1. Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57 (mod. par L.C. 1990, eh. 8, art. 19).
Loi sur l'aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2, art. 6.5 (édicté par L.R.C. (1985) (1° , suppl.), ch. 33, art. 1), 7.1 (édicté, idem), 37(4) (édicté, idem, art. 5).
Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. (1985), ch. P-21, art. 22(1).
Règlement de l'Air, C.R.C., ch. 2, art. 406.
Règles du Tribunal de l'aviation civile, DORS/86-594, art. 12.
JURISPRUDENCE
DÉCISIONS APPLIQUÉES:
Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22; (1991), 91 CLLC 14,023; Renvoi relatifà l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123.
DÉCISION EXAMINÉE:
R. v. Schmiemann (1991), 83 Alta. L.R. (2d) 282 (C. prov.).
DÉCISIONS CITÉES:
R. v. Bourget (1987), 41 D.L.R. (4th) 756; 54 Sask. R. 178; 35 C.C.0 (3d) 371; 56 C.R. (3d) 97; 29 C.R.R. 25; 46 M.V.R. 246 (C.A.); R. v. Bahinipaty (1987), 56 Sask. R. 7 (C.A.); Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570; (1990), 77 D.L.R. (4th) 94; [1991] 1 W.W.R. 643; 52 B.C.L.R. (2d) 68; 91 CLLC 17,002; Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5; (1991), 81 D.L.R. (4th) 121; 91 CLLC 14,024; 122 N.R. 361; [1991] OLRB Rep. 790; Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242; (1991), 83 D.L.R. (4th) 440; 14 Imm. L.R. (2d) 13; 127 N.R. 342 (C.A.); Weyer c. Canada (1988), 83 N.R. 272 (C.A.F.); Re Bas- sett and Government of Canada et al. (1987), 35 D.L.R. (4th) 537; 53 Sask. R. 81 (C.A.).
DEMANDE visant à faire annuler une ordonnance par laquelle un membre du Tribunal de l'aviation civile enjoignait au ministre des Transports de fournir tout rapport médical établi à l'égard de Peter Gill en vertu du paragraphe 6.5(1) de la Loi sur l'aéronau- tique. Demande accueillie.
AVOCATS:
Dogan D. Akman et Sanderson Graham pour les
requérants.
Michael G. Weissenborn pour Peter Gill, intimé.
James H. Smellie pour le Tribunal de l'aviation civile, intimé.
William G. Scott pour les docteurs C. Hale, T. M. Boylan, R. P. Knipping, J. W. Moore et F. W. (alias R. A.) Evans, intervenants.
Lila Stermer pour l'Association canadienne des pilotes de ligne, intervenante.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les requérants.
Michael G. Weissenborn, Etobicoke, Ontario pour Peter Gill, intimé.
Osier Hoskin & Harcourt, Ottawa, pour le Tri bunal de l'aviation civile, intimé.
McCarthy Tetrault, Toronto, pour les docteurs C. Hale, T. M. Boylan, R. P. Knipping, J. W. Moore et F. W. (alias R. A.) Evans, interve- nants.
Gravenor Keenan, Montréal, pour l'Association canadienne des pilotes de ligne, intervenante.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE STRAYER:
Redressement demandé
Les requérants demandent des ordonnances de pro hibition et de certiorari en vue de faire annuler une ordonnance rendue par un membre du Tribunal de l'aviation civile (ci-après appelé «le conseiller») le 11 septembre 1991, laquelle enjoignait au ministre des Transports de fournir et de communiquer à M. Gill tout rapport médical le concernant, établi en vertu du paragraphe 6.5(1) de la Loi sur l'aéronau- tiques, et d'empêcher l'exécution de ladite ordon- nance. Les motifs invoqués sont essentiellement que le conseiller a outrepassé sa compétence, a interprété la loi d'une manière erronée, a en partie fondé sa décision sur des considérations non pertinentes et a violé la justice naturelle en omettant de donner un avis de son intention d'examiner une question consti- tutionnelle, à savoir si l'article 7 de la Charte cana- dienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, 44]] s'appliquait à l'affaire dont il était saisi.
Cadre réglementaire
Pour comprendre les faits, il faut tenir compte de certaines dispositions législatives et réglementaires pertinentes.
Dans le Règlement de l'Air [C.R.C., ch. 2], qui a été pris en vertu de la Loi sur l'aéronautique, figure la disposition suivante:
406. Une licence ou un permis délivré en vertu de la pré- sente partie, une annotation faite sur cette licence ou ce permis aux termes de ladite partie ou un document qui valide ladite licence ou ledit permis, peut contenir toutes conditions édictées par le Ministre qui peut les modifier à tout moment.
1 L.R.C. (1985), ch. A-2 (édicté par L.R.C. (1985) (1cr suppl.), ch. 33, art. 1).
Il n'est pas contesté que les dispositions suivantes du Manuel de licences du personnels font partie des con ditions auxquelles sont assujetties les licences de pilotes, lesquelles sont édictées par le ministre:
1.8.2 L'Agent médical régional ou le Chef de l'Évaluation cli- nique peut demander au candidat de fournir des rensei- gnements ou rapports médicaux additionnels afin d'éta- blir l'aptitude physique du candidat.
1.8.3 La communication de renseignements additionnels, lors- qu'ils sont demandés, est une condition du maintien en état de validité de la validation médicale. Le refus de se soumettre à la demande en 1.8.2 avant la date spécifiée entraînera la suspension du certificat de validation de licence. (C'est moi qui souligne.)
L'article 6.5 de la Loi sur l'aéronautique prévoit ce qui suit:
6.5 (1) Le médecin ou optométriste qui a des motifs raison- nables de croire que son patient est titulaire d'un document d'aviation canadien assorti de normes médicales ou optomé- triques doit, s'il estime que l'état de l'intéressé est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne, faire part sans délai de son avis motivé au conseiller médical désigné par le ministre.
(2) Quiconque est titulaire d'un document d'aviation cana- dien visé au paragraphe (1) est tenu de dévoiler ce fait avant l'examen au médecin ou à l'optométriste.
(3) Le ministre peut faire de ces renseignements l'usage qu'il estime nécessaire à la sécurité aérienne.
(4) II ne peut être intenté de procédure judiciaire, discipli- naire ou autre contre un médecin ou optométriste pour l'acte accompli de bonne foi en application du présent article.
(5) Par dérogation au paragraphe (3), les renseignements sont protégés et ne peuvent être utilisés dans des procédures judiciaires, disciplinaires ou autres. Nul n'est tenu de les y communiquer ou de témoigner à leur sujet.
(6) Quiconque est titulaire d'un document d'aviation cana- dien visé au paragraphe (1) est présumé avoir consenti à la communication au conseiller médical désigné par le ministre des renseignements portant sur son état dans les circonstances qui y sont mentionnées.
Comme nous le verrons, l'article 6.5 prévoit que les médecins et optométristes sont tenus de signaler aux conseillers médicaux du ministre des Transports tout problème médical ou optométrique constaté chez un
2 2e éd., avril 1990, vol. 3.
patient qui est, entre autres, titulaire d'une licence de pilote, lorsque l'état de l'intéressé est susceptible de constituer un risque pour la sécurité aérienne. Le reste de la disposition porte sur l'utilisation qui peut être faite de ces renseignements. La preuve incontes- tée présentée au Tribunal était que cette disposition ne s'applique pas aux renseignements médicaux four- nis au ministère des Transports par un médecin désigné à titre d'examinateur médical de l'aviation civile à la suite de l'examen médical qui doit être fait en vertu de la Loi sur l'aéronautique pour permettre au pilote d'obtenir ou de conserver le certificat de validation de licence (le «CVL») requis pour que sa licence de pilote demeure valide. Cette interprétation, appliquée par le ministère des Transports, semble être tout à fait compatible avec la Loi et le Règlement. La preuve présentée au Tribunal montrait également que les rapports établis en vertu de l'article 6.5 ne sont pas versés au dossier du pilote, mais qu'ils sont con- servés séparément et en sûreté et ne sont pas directe- ment utilisés lorsqu'on fait une évaluation médicale afin de déterminer si le CVL du pilote doit être sus- pendu ou refusé.
L'article 7.1 prévoit la procédure à suivre en vue de la suspension ou de l'annulation, entre autres, d'un CVL par le ministre des Transports et en vue de la révision de la décision y afférente par le Tribunal. Cette disposition est en partie ainsi libellée:
7.1 (1) Lorsque le ministre décide ... de suspendre ou d'an- nuler un document parce que le titulaire ... ne répond plus aux conditions de délivrance ou de maintien en état de validité du document, il expédie avis de la mesure par signification à personne ou par courrier recommandé à la dernière adresse connue du titulaire ou du propriétaire, exploitant ou utilisateur en cause.
(2) L'avis est établi en la forme que peut fixer le gouverneur en conseil par règlement. Y sont en outre indiqués:
a) ... les conditions—de délivrance ou maintien en état de validité—auxquelles, selon le ministre, le titulaire ou l'aéro- nef, l'aéroport ou autre installation ne répond plus;
b) le lieu et la date limite, à savoir trente jours après l'expé- dition ou la signification de l'avis, du dépôt d'une éventuelle requête en révision.
(3) L'intéressé qui désire faire réviser la décision du minis- tre dépose une requête à cet effet auprès du Tribunal à l'adresse et pour la date limite indiquées dans l'avis, ou dans le délai supérieur éventuellement accordé à sa demande par le Tribu nal.
(6) À l'audition, le conseiller commis à l'affaire donne au ministre et à l'intéressé toute possibilité de lui présenter leurs éléments de preuve et leurs observations sur la mesure atta- quée, conformément aux principes de l'équité procédurale et de la justice naturelle.
(8) Le conseiller peut confirmer la mesure ou renvoyer le dossier au ministre pour réexamen.
Les faits
La décision du conseiller dont il est ici question a été rendue le 11 septembre 1991, mais il faut exami ner brièvement la suite des événements qui se sont produits depuis le début de 1990.
À ce moment-là, M. Gill était titulaire d'une licence privée de pilote. Son CVL devait expirer vers le 18 mars 1990 et en vue du renouvellement, le doc- teur J. W. Moore, de Mississauga, un examinateur médical de l'aviation civile autorisé, lui a fait subir un examen médical. Le docteur Moore a signé un rapport d'examen médical qui avait pour effet de pro- longer de 180 jours le CVL de M. Gill, mais le 5 juin 1990, il a envoyé une lettre au docteur F. W. Evans, agent médical de la région de l'Ontario du ministère fédéral de la Santé et du Bien-être social, qui effectue des évaluations médicales pour le ministère des Transports. Dans cette lettre, il parlait de l'examen qu'il avait fait subir à M. Gill le 12 mars 1990, et, avec motifs à l'appui, il a déclaré s'inquiéter de ce que M. Gill avait peut-être des problèmes psychia-
triques. Il a également mentionné que M. Gill lui avait dit qu'il avait été assujetti à une évaluation psy- chiatrique par le passé. Le docteur Moore a fait savoir qu'il avait renvoyé M. Gill à un psychiatre, le docteur T. M. Boylan, qui avait vu celui-ci le 30 avril et qui lui avait rendu compte de l'évaluation. (Le docteur Moore n'a apparemment pas remis une copie de cette lettre à M. Gill à ce moment-là, mais il est clair que ce dernier en avait obtenu une copie au moment le Tribunal a tenu l'audience, le 13 février 1991. Une autre copie a été remise à M. Gill avant l'audition de la présente affaire, qui a eu lieu le 11 septembre 1991.) Le 21 août 1990, le docteur Evans a envoyé à M. Gill une lettre qui dit ceci:
[TRADUCTION] Nous croyons comprendre que par le passé vous avez eu certains problèmes émotionnels qui ont nécessité une évaluation psychiatrique. Nous croyons également comprendre que le docteur T.M. Boylan vous a vu récemment et nous vous demandons de faire en sorte que celui-ci nous remette un histo- rique complet de vos problèmes passés et de votre état de santé actuel.
Il semble que cette lettre a été reçue par M. Gill; en effet, celui-ci ne conteste pas que le 24 août 1990, il a discuté par téléphone de l'objet de cette lettre avec le docteur Evans. Ce jour-là, ce dernier lui a envoyé une lettre au sujet de cette conversation téléphonique. Dans la lettre, il confirmait que le Ministère avait besoin du rapport du docteur Boylan et voulait obte- nir des renseignements du psychiatre que M. Gill avait consulté plusieurs années auparavant. Cette let- tre fait également savoir que M. Gill avait jusque-là refusé de fournir ces renseignements.
Dans l'intervalle, le 30 avril 1990, le psychiatre, le docteur Boylan, avait vu M. Gill et avait envoyé au médecin traitant, le docteur J. W. Moore, une lettre dans laquelle il faisait savoir que [TRADUCTION] «la teneur générale du contenu de ses pensées était de nature paranoïde». (On ne sait pas exactement quand et comment cette lettre est parvenue au Ministère ou à M. Gill, mais ce dernier l'a produite en preuve à l'audience tenue par le Tribunal le 13 février 1991 et le Ministère l'a remise à M. Gill avant l'audience de la présente affaire, le 11 septembre 1991.)
Après les communications entre le docteur Evans et M. Gill en août 1990, le ministère de Transports a tenté à plusieurs reprises d'obtenir de M. Gill
d'autres renseignements médicaux au sujet des éva- luations psychiatriques passées. On a finalement réussi à l'aviser, en novembre 1990, qu'il devait four- nir les renseignements demandés au plus tard le 28 décembre 1990. Les renseignements n'ayant pas été fournis, on lui a envoyé un avis le 24 janvier 1991 pour l'informer que puisqu'il avait omis de fournir les renseignements demandés conformément au para- graphe 1.8.3 du Manuel de licences du personnel, il avait violé une condition de la validation médicale et que son CVL était donc suspendu, apparemment con- formément à l'alinéa 7.1(1)b) de la Loi sur l'aéro- nautique, précitée. M. Gill a alors demandé la révi- sion de cette décision en vertu du paragraphe 7.1(3); la révision a été effectuée par un conseiller. Après l'audience, qui a été tenue le 13 février 1991, le con- seiller a de fait annulé la suspension en renvoyant l'affaire au ministre pour un réexamen conformément au paragraphe 7.1(8). Le motif invoqué à cet égard était que l'avis envoyé par le ministère de la. Santé et du Bien-être social, selon lequel d'autres renseigne- ments médicaux étaient exigés, n'avait pas été envoyé par le fonctionnaire compétent: Le renvoi de l'affaire au ministre a eu pour effet de mettre fin à la suspension; M. Gill a donc obtenu un CVL tempo- raire qui devait expirer le ler avril 1991.
À cause de l'expiration imminente du CVL tempo- raire, M. Gill a consulté deux examinateurs médicaux de l'aviation, soit le docteur C. Hale le 18 mars 1991 et le docteur R. P. Knipping le 19 mars 1991. Le doc- teur Hale a recommandé de reporter le renouvelle- ment. Au rapport d'examen médical du docteur Hale était jointe une lettre dans laquelle il était question de la façon dont M. Gill avait réagi au refus du doc- teur Hale de recommander le renouvellement. Le docteur Knipping, qui l'a vu le 19 mars, a recom- mandé le renouvellement. Les deux rapports déposés montrent qu'en réponse à la question de savoir si M. Gill avait [TRADUCTION] «des problèmes psychia- triques ou neurologiques», figurant sur le formulaire, celui-ci avait répondu [TRADUCTION] «Non». Par la suite, après l'expiration du CVL, M. Gill a vu, le 18 avril 1991, un certain docteur Jovey qui a recom- mandé le renouvellement du CVL. Le 27 mai 1991, le docteur J. M. Wallace, agent médical régional inté- rimaire, Médecine aéronautique civile, région de l'Ontario, a écrit à M. Gill au sujet du rapport du doc- teur Jovey et a déclaré ceci:
[TRADUCTION] Avant que votre évaluation puisse être complé- tée, nous avons besoin du rapport complet d'évaluation psy- chiatrique.
Il a ajouté qu'aucun CVL ne serait renouvelé à moins que ces renseignements ne soient fournis au plus tard le 30 juin 1991. Selon la déposition qu'il a faite à l'audience postérieure du 11 septembre 1991, le doc- teur Wallace a tiré cette conclusion après avoir exa- miné tout le dossier médical de M. Gill se trouvant à la Division médicale aéronautique civile. Pendant le contre-interrogatoire, il a affirmé que les seuls rensei- gnements dont il disposait se trouvaient dans les dos siers auxquels M. Gill a eu accès 3 , ce qui inclurait les rapports médicaux dont j'ai ci-dessus fait mention. Étant donné que M. Gill n'a pas fourni les renseigne- ments demandés par le docteur Wallace, un avis lui a été envoyé le 10 juillet 1991 par Richard Schobesber- ger, directeur régional intérimaire, Licences d'avia- tion, région de l'Ontario, pour le ministère des Trans ports. Cet avis visait à informer M. Gill que conformément au paragraphe 1.8.3 du Manuel de licences du personnel et à l'alinéa 7.1(1)b) de la Loi sur l'aéronautique, le CVL était suspendu à compter du 10 juillet 1991, par suite de son omission de four- nir les renseignements médicaux demandés.
M. Gill a ensuite demandé la révision de cette décision conformément au paragraphe 7.1(3) de la Loi sur l'aéronautique. Le conseiller chargé de la révision a tenu une audience par conférence télépho- nique le ler août 1991 pour traiter la demande que M. Gill avait présentée en vue d'obtenir une ordon- nance enjoignant au Ministère de communiquer les renseignements avant l'audience. Le conseiller a ordonné au ministère des Transports de fournir au requérant les renseignements suivants au moins qua- torze jours francs avant la date de l'audience:
[TRADUCTION] 1. Le nom et l'adresse de tous les témoins qui doivent être cités à l'audience, y compris des personnes qui seront citées à titre d'«experts».
2. Un résumé de la preuve que doit fournir chaque témoin avec suffisamment de détails pour que le requérant ait la possibilité de préparer une défense complète et entière.
3. Des copies de tous les rapports médicaux en la possession de Transports Canada ou de ses conseillers médicaux.
3 Dossier des requérants, aux p. 243 et 244.
Il a fondé cette ordonnance sur l'article 12 des Règles du Tribunal [Règles du Tribunal de l'aviation civile, DORS/86-594] et sur la déclaration suivante:
[TRADUCTION] Quoi qu'il en soit, l'article 7 de la Charte con- fère au Tribunal le pouvoir général de promouvoir l'adminis- tration de la justice en ordonnant la production de documents et d'objets.
Il a ensuite cité deux décisions que la Cour d'appel de la Saskatchewan avait rendues en 1987 dans des poursuites engagées à la suite de la perpétration d'in- fractions 4 . Conformément à cette ordonnance, le ministère des Transports a produit les noms et adres- ses de cinq témoins possibles, dont trois témoins qu'il avait l'intention de citer et deux qu'il citerait peut-être. Un résumé de la preuve que chacun d'eux fournirait a été donné. Les rapports des docteurs Boy- lan, Moore, Hale, Knipping et Jovey, dont il a ci-des- sus été fait mention, ont notamment été fournis. (Les trois témoins que le Ministère devait citer, soit les docteurs Wallace et Haskell, et M. Schobesberger, ont de fait été cités à titre de témoins à l'audience du 11 septembre.)
À l'audience du 11 septembre, M. Gill a affirmé avec insistance que tous les rapports fournis au Ministère en vertu du paragraphe 6.5(1) auraient être communiqués par celui-ci conformément à l'or- donnance rendue par le conseiller le ler août, selon laquelle [TRADUCTION] «des copies de tous les rap ports médicaux en la possession de Transports Canada» devaient être fournies. L'examen de la preuve ne montre pas clairement qu'en fait, certains rapports n'ont pas été produits. De toute évidence, le docteur Wallace a clairement fait savoir que sa déci- sion d'exiger un [TRADUCTION] «rapport complet d'évaluation psychiatrique» comme il en est fait men tion dans la lettre envoyée le 27 mai 1991 M. Gill était uniquement fondée sur la documentation mise à la disposition de M. Gill. Néanmoins, le représentant du ministre a soutenu que le Ministère ne pouvait pas être contraint à communiquer un rapport fourni en vertu du paragraphe 6.5(1) et que la contestation était liée sur ce point. M. Gill a affirmé avec insistance qu'il devrait obtenir ces rapports et le conseiller a souscrit à son avis. Dans des motifs écrits qu'il a par la suite prononcés, le conseiller a déclaré ceci:
4 R. v. Bourget (1987), 41 D.L.R. (4th) 756 (C.A. Sask.); R. v. Bahinipaty (1987), 56 Sask. R. 7 (C.A.).
[TRADUCTION] Il ressort de la preuve que le requérant n'avait pas obtenu les renseignements médicaux fournis à Transports Canada en vertu des dispositions de l'article 6.5 de la Loi sur l'aéronautique.
Il s'agit de savoir si le privilège conféré par le para- graphe 6.5(5) a une portée générale, ou s'il s'applique unique- ment aux procédures judiciaires, disciplinaires ou autres enga gées contre le médecin ou l'optométriste qui a communiqué des renseignements au sujet du pilote. Si l'article 6.5 de la Loi sur l'aéronautique n'avait pas été adopté, le médecin ou l'op- tométriste pourrait être cité au civil ou au criminel et le rensei- gnement ne serait pas privilégié en vertu de la common law.
L'article 6.5 oblige le médecin, le chirurgien ou l'optométriste à communiquer à Transports Canada des renseignements qu'il ne serait normalement pas tenu de communiquer sauf en vertu d'un subpoena. Je conclus donc que le privilège conféré par le paragraphe 6.5(5) s'applique uniquement aux procédures qui pourraient être engagées contre le médecin ou l'optométriste visé par le paragraphe 6.5(4) et que le privilège a une portée restreinte plutôt que générale.
Si je me trompe à cet égard, je suis d'avis que l'article 7 de la Charte confère un droit constitutionnel général à la communi cation entière et complète, à moins qu'il n'existe une raison valable de ne pas le faire, et que Transports Canada doit mettre à la disposition des détenteurs de documents les renseigne- ments médicaux qui lui ont été fournis en vertu de l'article 6.5 de la Loi sur l'aéronautique.
J'estime que pour qu'un titulaire de document ait droit à l'équité procédurale et à la justice naturelle, la communication plutôt que la suppression doit être la règle.
À la demande du représentant du ministre, le conseil- ler a ajourné l'audience du 11 septembre afin de per- mettre au ministre de demander la révision de la déci- sion qu'il avait rendue relativement à la nécessité de communiquer tous les rapports rédigés en vertu du paragraphe 6.5(1). Le procureur général et le ministre des Transports demandent ici cette révision.
Les questions litigieuses
Les questions essentielles sont les suivantes:
(1) Le paragraphe 6.5(5) de la Loi sur l'aéronautique empêche-t-il, ou est-il réputé empêcher, le Tribunal de l'aviation civile intimé d'exiger la production des rapports visés par le paragraphe 6.5(1)?
(2) Dans l'affirmative, le Tribunal, ou un membre du Tribunal, a-t-il compétence pour décider que le para- graphe 6.5(5) va à l'encontre de la Charte?
(3) Dans l'affirmative, le conseiller a-t-il eu raison de décider que le paragraphe 6.5(5) irait à l'encontre de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, si on lui donnait pareil effet?
Conclusions
Dès le début, je tiens à faire remarquer que le savant conseiller n'a pas, comme moi, eu l'avantage d'examiner toute la transcription de la preuve qu'il avait entendue ainsi que la longue argumentation des avocats, qui ont notamment cité une multitude d'ar- rêts. En fait, M. Gill n'était pas représenté par un avocat à l'audience du 11 septembre, et le conseiller croyait sans aucun doute à juste titre que toute ques tion de droit susceptible d'être soulevée en faveur de M. Gill devait être prise en considération. En ce qui concerne l'article 6.5 et les pouvoirs du Tribunal, les questions de droit qui se posent sont également nou- velles puisque les dispositions légales pertinentes ne sont entrées en vigueur qu'en 1985. Je les examinerai donc passablement en détail.
Sens de l'article 6.5
Je suis convaincu que le paragraphe 6.5(5) empê- che le Tribunal de l'aviation civile d'ordonner la communication des rapports visés par le para- graphe 6.5(1). Les paragraphes (1) et (2) de cette dis position exigent notamment que le pilote informe son médecin qu'il possède une licence et que ce dernier signale à un conseiller médical désigné tout problème médical ou optométrique qui, à son avis, est suscepti ble de constituer un risque pour la sécurité aérienne. Ces paragraphes imposent respectivement au pilote et au médecin l'obligation de communiquer des rensei- gnements, à laquelle ils ne seraient pas normalement assujettis. Le paragraphe (3) permet au ministre d'utiliser les renseignements fournis par un médecin, mais il doit estimer la chose nécessaire à la sécurité aérienne. Cela veut dire que le ministre peut utiliser les renseignements et les fournir à diverses per- sonnes, dont le pilote lui-même, s'il l'estime néces- saire à la sécurité aérienne. Le médecin qui signale le problème peut également fournir une copie du rap port à son patient s'il le juge opportun. Rien dans l'article 6.5 n'empêche cela. À mon avis, le para- graphe (4) parle de la question de la responsabilité du médecin ou de l'optométriste qui rédige ce rapport, et
exonère ceux-ci de toute responsabilité. Cela veut dire que même si l'établissement du rapport ou son contenu étaient par ailleurs prouvés par un patient- pilote, aucun tribunal ne pourrait entendre une plainte contre le médecin ou l'optométriste. D'autre part, le paragraphe (5) porte sur la contraignabilité et sur l'utilisation de la preuve et non sur la responsabilité. De toute évidence, il n'est pas limité à une «procé- dure judiciaire, disciplinaire ou autre contre un méde- cin ou optométriste», mais s'applique aux «procé- dures judiciaires, disciplinaires ou autres». Respectueusement, à mon avis, le conseiller a com- mis une erreur en établissant un parallèle entre les paragraphes (4) et (5), lorsqu'il a déclaré que:
le privilège conféré par le paragraphe 6.5(5) s'applique unique- ment aux procédures qui pourraient être engagées contre le médecin ou l'optométriste visé par le paragraphe 6.5(4)
Je ne puis comprendre comment il a tiré cette conclu sion. Il est peut-être possible de soutenir que puisque l'exonération de responsabilité prévue par le para- graphe 6.5(4) est limitée aux cas dans lesquels le médecin ou l'optométriste a établi un rapport «de bonne foi», si ce n'était du paragraphe 6.5(5), la pro duction de ce rapport pourrait être exigée à titre de preuve ou celui-ci pourrait par ailleurs être utilisé dans des poursuites contre le médecin qui l'a établi de mauvaise foi. Toutefois, si le législateur avait voulu limiter l'application du paragraphe 6.5(5) aux procédures visées par le paragraphe 6.5(4), il aurait facilement pu le faire. Cependant, il a employé l'ex- pression «dans des procédures judiciaires, discipli- naires ou autres» 5 . Or, la procédure devant le Tribu nal dont il est ici question peut être considérée comme une «procédure judiciaire ... ou autre», et le paragraphe 6.5(5) montre clairement que le rapport visé par le paragraphe 6.5(1) ne peut pas être «uti- lisé» dans pareille procédure et que sa communica tion ne peut pas être exigée.
Puisque j'ai tiré ces conclusions, je n'ai pas à ten- ter de définir d'une manière plus précise le «privi- lège» dont ces rapports font l'objet en vertu du para- graphe 6.5(5), ou d'identifier les personnes qui ont le droit de bénéficier de ce privilège ou d'y renoncer. À
s Ainsi, dans des poursuites engagées contre un pilote en vertu du Règlement de l'Air: R. v. Schmiemnnn (1991), 83 Alta. L.R. (2d) 282 (C. prov.), il a été jugé que l'art. 6.5(5) empêche la production forcée du rapport visé par l'art. 6.5(1), ou son utilisation à titre de preuve.
l'appui du point de vue des requérants, il a également été soutenu que, indépendamment du privilège con- féré au paragraphe 6.5(5), les renseignements confi- dentiels fournis au ministère des Transports par le médecin seraient protégés contre la communication par un privilège de common law. Étant donné qu'à mon avis, le paragraphe 6.5(5) est clair, je n'ai pas non plus à examiner cette question.
Pour interpréter cette disposition, je n'ai pas à me demander si les renseignements pourraient être com- muniqués à l'intimé Gill en vertu de quelque autre disposition législative. I1 semble être reconnu que les renseignements ne pourraient pas être obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information 6 . Ils pour- raient peut-être l'être en vertu de la Loi sur la protec tion des renseignements personnels 7 , mais il semble- rait également exister des motifs permettant au ministre de refuser de les communiquer 8 . Je ne suis pas convaincu que la Loi sur la protection des rensei- gnements personnels et la Loi sur l'aéronautique soient incompatibles, et même si c'était le cas, il fau- drait se demander quelle loi doit l'emporter, question qui n'a pas été débattue devant moi. Toutefois, il est à noter que les dispositions en question de la Loi sur l'aéronautique semblent avoir été adoptées après l'adoption de la Loi sur la protection des renseigne- ments personnels.
Le Tribunal peut-il trancher des questions liées à la
Charte?
Il faut maintenant examiner cette question car, si le Tribunal n'a pas compétence pour trancher les ques
tions liées à la Charte, il se peut également que cette Cour n'ait pas compétence pour examiner la décision de celui-ci 9 .
En l'espèce, le conseiller a en fait appliqué le para- graphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]], qui pré- voit ceci:
6 L.R.C. (1985), ch. A-1.
7 L.R.C. (1985), ch. P-21.
H Voir, par exemple, l'art. 22(1)a)(ii) et b)(ii).
9 Tétreault-Gadoury e. Canada (Commission de l'emploi et
de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, aux p. 37 et 38.
52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
En fait, le conseiller a dit que le paragraphe 6.5(5) est inopérant s'il vise à protéger les documents en ques tion contre la communication, et ce, pour le motif qu'il va à l'encontre de l'article 7 de la Charte.
La Cour suprême du Canada a récemment con firmé que le tribunal administratif qui est expressé- ment autorisé à interpréter et appliquer les lois'° ou encore à trancher des questions de droit'' peut appli- quer la Charte pour déterminer la validité des lois qu'il applique. Dans l'arrêt Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigra- tion) 12 , la Cour suprême a également jugé qu'il peut s'agir d'un pouvoir implicite. Dans cette affaire-là, la Cour tentait de déterminer si le conseil arbitral visé par la Loi sur l'assurance-chômage était autorisé à trancher des questions liées à la Charte dans les appels interjetés par les prestataires. La Loi ne dit pas si les conseils arbitraux sont habilités à trancher les questions de droit, mais elle prévoit expressément que les juges-arbitres qui entendent des appels de conseils arbitraux ont compétence pour déterminer si ces derniers ont commis une erreur de droit. La Cour suprême a déduit que le législateur n'avait pas l'in- tention d'autoriser les conseils arbitraux à trancher des questions de droit, cette fonction relevant expres- sément des juges-arbitres, et que les conseils arbi- traux ne peuvent donc pas statuer sur les questions liées à la Charte. En l'espèce, il est reconnu que la Loi sur l'aéronautique ne dit rien au sujet de la ques tion de savoir si les conseillers ou le Tribunal de l'aviation civile lui-même peuvent trancher des ques tions de droit. La Loi confère des fonctions impor- tantes au Tribunal et l'oblige, ainsi que ses membres, à donner au ministre et au titulaire de la licence
7.1...
(6) ... toute possibilité de lui présenter leurs éléments de preuve et leurs observations sur la mesure attaquée, conformé-
10 Douglas/Kwantlen Faculty Assn. c. Douglas College,
[ 1990] 3 R.C.S. 570.
Cuddy Chicks Ltd. c. Ontario (Commission des relations
de travail), [1991] 2 R.C.S. 5.
12 Précité, note 9.
ment aux principes de l'équité procédurale et de la justice natu- relle 1 3 .
Les conseillers possèdent les pouvoirs d'un commis- saire nommé en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes 14 . La Loi sur l'aéronautique ne contient aucune disposition implicite négative semblable à celle qui figure dans la Loi sur l'assurance-chômage où, dans la hiérarchie des appels, les juges-arbitres se voient expressément conférer le pouvoir de trancher des questions de droit, contrairement aux conseils arbitraux. À mon avis, il ne faudrait pas conclure à la légère qu'un tribunal administratif n'est pas autorisé à trancher des questions de droit et de constitutionna- lité: généralement parlant, les tribunaux devraient tenter d'agir conformément à la loi et doivent se for mer une opinion au sujet de ce qu'est la loi, et notam- ment du sens de la Charte qui est, en tant que partie intégrante de la constitution, la «loi suprême du Canada». Le fait que pareil pouvoir n'a pas été con- féré au Tribunal de l'aviation civile pourrait égale- ment vouloir dire que cette Cour ne pourrait pas tran- cher des questions liées à la Charte lorsqu'elle révise les décisions de celle-ci 15 . Je conclus donc qu'en l'espèce, le conseiller avait le pouvoir de rendre une décision initiale au sujet de toute question liée à la Charte dont il était à bon droit saisi.
Toutefois, ce qui est arrivé en l'espèce montre la nécessité pour les tribunaux de s'imposer des con- traintes lorsqu'ils examinent des questions liées à la Charte. Cette affaire est un exemple des inconvé- nients que comporte souvent en pratique pour les tri- bunaux l'examen des questions liées à la Charte: une partie n'était pas représentée par un avocat; de plus, les avocats du ministre et des médecins intervenants n'avaient apparemment pas été informés que cette question serait examinée. Dans ces conditions, étant donné qu'aucune partie n'avait invoqué l'article 7 et qu'il ne s'agissait pas d'une question fondamentale de compétence devant être tranchée avant que le Tri bunal puisse procéder, il aurait été préférable que ce dernier ne l'examine pas. Le Tribunal aurait tout au
13 Art. 7.1(6).
14 Loi sur l'aéronautique, précitée, note 1, art. 37(4) [édicté, idem, art. 5].
15 Voir Tétreault-Gadoury, précité, note 9; et Armadale Communications Ltd. c. Arbitre (Loi sur l'immigration), [1991] 3 C.F. 242 (C.A.), à la p. 246.
moins aviser les parties et leur donner le temps de préparer leur argumentation sur ce point' 6 . En outre, même si l'article 7 était à bon droit invoqué devant le Tribunal, les tribunaux administratifs, comme les cours de justice, devraient refuser de trancher des questions liées à la Charte lorsque, compte tenu des faits de l'affaire, il n'est pas nécessaire de le faire. Comme je le montrerai ci-après, les faits de cette affaire n'équivalaient pas à quelque déni de justice fondamentale entraînant l'application de l'article 7 de la Charte.
Le Tribunal a-t-il correctement appliqué l'article 7 de la Charte?
J'ai conclu que pour plusieurs raisons, l'article 7 n'entre pas en ligne de compte en l'espèce.
L'article 7 de la Charte est ainsi libellé:
7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en confor- mité avec les principes de justice fondamentale.
Nous verrons que pour que cette disposition soit vio- lée, il faut conclure qu'on porte atteinte à un droit garanti par l'article 7 (soit «le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne») et que cela n'est pas «en conformité avec les principes de justice fondamentale».
Il n'a été soutenu ni devant le conseiller ni devant moi que quelque droit garanti par l'article 7 était ici en jeu. L'intimé Gill s'est tout au plus vu refuser, du moins temporairement, la validation de sa licence de pilote. Plus précisément, à ce stade, il s'agissait de savoir s'il était tenu de fournir une autre évaluation psychiatrique pour qu'une décision réfléchie puisse être prise au sujet du renouvellement du CVL. Je suis convaincu que ces droits n'ont rien à voir avec les droits garantis par l'article 7, à savoir le droit «à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne». Le droit à la vie n'est pas ici en jeu. En général, le genre de «liberté» et de «sécurité de la personne» garanties par l'article 7 sont celles qui sont normalement tou chées par le régime judiciaire. Comme le juge Lamer
16 Depuis le 1" février 1992, pareil tribunal est tenu de signifier un préavis d'au moins dix jours au procureur général du Canada avant de déclarer une loi fédérale invalide, inappli cable ou sans effet: Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 57, modifié par L.C. 1990, ch. 8, art. 19.
[tel était alors son titre] l'a déclaré dans l'avis distinct qu'il a exprimé dans le Renvoi relatif à l'art. 193 et à l'al. 195.1(1)c) du Code criminel (Man.):
... les restrictions à la liberté et à la sécurité de la personne dont il est question à l'art. 7 sont celles qui découlent des rap ports entre un individu, le système judiciaire et l'administra- tion de la justice ... Les intérêts protégés par l'art. 7 sont ceux qui relèvent traditionnellement et à proprement parler du pou- voir judiciaire' 7 .
Il a également fait remarquer que l'article 7 figure sous la rubrique des «Garanties juridiques» de la Charte, lesquelles, compte tenu des articles 8 à 14, doivent être considérées comme se rapportant au genre de droits procéduraux et substantifs garantis par ces dispositions, principalement en ce qui con- cerne les poursuites au criminel. Cela n'empêche pas la protection de la sécurité physique de la personne contre d'autres types de mesures officielles. Cepen- dant, même s'il est considéré que le droit de M. Gill ici en jeu est la perte possible de sa licence (plutôt que ce qui est, à mon avis, une simple obligation de fournir une autre évaluation psychiatrique), et à sup- poser que cela priverait M. Gill de la capacité de tra- vailler (ce qui n'a pas été prouvé), il s'agirait d'une perte financière d'un genre qui n'est pas normale- ment protégé par la Charte 18 .
En outre, à supposer que certains droits reconnus par l'article 7 soient en jeu, il n'y a pas eu déni de «justice fondamentale». En tirant cette conclusion, je suppose à nos fins que les exigences de la garantie constitutionnelle de «justice fondamentale» ne sont pas plus strictes que les exigences d'équité ou de jus tice naturelle en common law, l'importance constitu- tionnelle étant que même si le législateur tente d'abo- lir les droits d'équité ou de justice naturelle reconnus en common law, l'article 7 peut, dans les circons- tances appropriées, maintenir ces droits. Si l'exigence plus stricte de common law, soit celle concernant la justice naturelle, est appliquée, le refus du ministre, en principe, de communiquer quelque autre rapport visé par le paragraphe 6.5(1) non déjà communiqué n'équivalait pas, dans ce contexte, à un déni de jus tice naturelle.
' 7 [1990] 1 R.C.S. 1123, à la p. 1173.
18 Voir, par exemple, Weyer c. Canada (1988), 83 N.R. 272 (C.A.F.), à la p. 276; Re Bassett and Government of Canada et al. (1987), 35 D.L.R. (4th) 537 (C.A. Sask.), à la p. 567.
En appliquant les critères de justice naturelle, il faut d'abord comprendre la nature de la procédure dans le cadre de laquelle le ministre a refusé de pro- duire les rapports. Respectueusement, je crois que le conseiller a présumé dès le début qu'il s'agissait de poursuites contre l'intimé Gill. C'est ce qui ressort de la première décision qu'il a rendue le ler août après la conférence téléphonique qui a eu lieu au sujet de la procédure, lorsqu'il a invoqué l'article 7 pour justi- fier son ordonnance de communication et a cité à l'appui deux décisions rendues à la suite de pour- suites. Pendant l'audience principale, le 1l septem- bre, il a parlé du fait que M. Gill avait besoin de cer- tains renseignements pour [TRADUCTION] «préparer une défense complète et entière» 19 . Dans la décision qu'il a rendue après l'audience dont il a ci-dessus été question, il fait ensuite mention de l'article 7 et du [TRADUCTION] «droit constitutionnel général, à la com munication entière et complète» que possède M. Gill.
Cette façon d'aborder la question découle, à mon avis, de la supposition que le conseiller a faite, à savoir que la révision qu'il effectuait visait à détermi- ner si le Ministère avait avant tout des motifs raison- nables de demander des renseignements à M. Gill. Respectueusement, je crois que le conseiller a mal compris la procédure de révision autorisée par le paragraphe 7.1(3) de la Loi sur l'aéronautique préci- tée. C'est la décision du ministre mentionnée au para- graphe (1) qui peut donner lieu à une révision confor- mément au paragraphe (3). En l'espèce, il s'agissait de la décision, fondée sur l'alinéa 7.1(1)b), de sus- pendre la licence de M. Gill pour le motif qu'il n'avait pas respecté une condition de la licence, à savoir qu'il n'avait pas fourni un autre rapport médi- cal lorsqu'on le lui avait demandé. Le para- graphe 7.1(1) ne parle pas de la décision du ministre de demander d'autres rapports médicaux. La seule «décision» pertinente autorisée par ce paragraphe est la décision, entre autres, de suspendre le CVL par suite de l'omission de fournir les rapports, et c'est la «décision» que le conseiller est autorisé à réviser en vertu du paragraphe 7.1(3). Les seules questions per- tinentes à cet égard sont celles de savoir si une demande a été envoyée à M. Gill par la personne compétente, si M. Gill a omis de fournir les rensei- gnements additionnels demandés et, dans l'affirma-
19 Dossier du requérant, à la p. 270.
tive, si la personne compétente a décidé de suspendre le CVL. Le fait que M. Gill avait déjà contesté avec succès la suspension de son CVL parce que le fonc- tionnaire compétent n'avait pas signé la demande de renseignements médicaux supplémentaires montre que cette révision n'est pas inutile.
Toutefois, à l'audience du 11 septembre 1991, le conseiller s'est clairement fondé sur le fait qu'il avait le droit de déterminer si la décision de demander d'autres renseignements que l'agent médical régional intérimaire avait prise le 27 mai 1991 était raisonna- ble. Conformément à ce point de vue, il a de toute évidence estimé que M. Gill ne pouvait pas adéquate- ment contester le caractère raisonnable de la décision de demander d'autres renseignements médicaux sans avoir tous les rapports médicaux, et notamment les rapports privilégiés visés par le paragraphe 6.5(1). Rien dans le Manuel de licences du personnel, dans le Règlement ou dans la Loi n'exige à ce stade pareille détermination. Ces textes n'appuient pas le point de vue selon lequel le conseiller qui révise, en vertu du paragraphe 7.1(3), une décision visée par l'alinéa 7.1(1)b) doit tirer une conclusion au sujet de la question de savoir si l'agent médical régional avait de bons motifs, sur le plan médical, de demander des renseignements médicaux additionnels au titulaire de la licence avant qu'une évaluation ne soit effectuée au sujet de l'état de santé de ce dernier en vue du renouvellement de son CVL. Il faut se rappeler que si le conseiller devait conclure, à ce stade, que toutes les mesures nécessaires ont été prises avant qu'une licence soit suspendue par suite de l'omission de fournir d'autres renseignements médicaux, si le pilote avait alors fourni ces renseignements, et si le Minis- tère avait alors conclu que celui-ci n'était pas apte à posséder une licence, il existerait un autre droit d'ap- pel de la décision, fondée sur l'alinéa 7.1(1)a), de suspendre ou d'annuler la licence pour des motifs médicaux et qu'à ce moment-là, ces motifs pourraient être examinés à fond. Il est difficile de croire que le législateur voulait plutôt que deux audiences de révi- sion soient tenues à l'égard des motifs médicaux, en particulier lorsque la première audience se rapporte- rait simplement à la demande visant à l'obtention d'un autre rapport médical du pilote.
Même si les exigences de l'article 7 de la Charte s'appliquent- en l'espèce, et si la révision prévue par
le paragraphe 7.1(3) vise de fait à déterminer si la demande de renseignements médicaux supplémen- taires est raisonnable, je ne souscris pas à l'avis du conseiller, à savoir que la justice fondamentale exige la production de tous les rapports visés par le para- graphe 6.5(1), réels ou hypothétiques. Premièrement, il n'existait aucune preuve claire de l'existence de ces rapports. Deuxièmement, selon la déposition que le docteur Haskell, agent médical régional, a faite à l'audience, laquelle portait sur la procédure suivie par les conseillers médicaux à Transports Canada, les rapports reçus en vertu de l'article 6.5 ne sont pas directement utilisés dans l'évaluation médicale du pilote 20 . Troisièmement, le docteur Wallace, soit l'agent médical régional intérimaire en mai 1991, qui a décidé de demander d'autres renseignements médi- caux à M. Gill et qui a envoyé la demande à ce der- nier le 27 mai 1991, a témoigné n'avoir à sa disposi tion que les documents qui avaient déjà été communiqués à M. Gill au moment de l'audition. Cette preuve n'a pas été contestée. Quatrièmement, le bon sens même montre clairement que M. Gill con- naissait parfaitement l'existence de motifs suffisants pour que le docteur Wallace demande ces renseigne- ments. Au moment de l'audience, le 11 septembre 1991, il avait eu accès à la lettre du 21 août 1990 dans laquelle le docteur Evans demandait un rapport au docteur Boylan parce que le Ministère s'inquiétait des [TRADUCTION] «problèmes émotionnels qui ont nécessité une évaluation psychiatrique» de M. Gill; à des renseignements similaires obtenus au cours d'une conversation téléphonique avec le docteur Evans le 24 août 1990, lesquels ont été confirmés dans la lettre que ce dernier a envoyée le même jour; à la lettre que le docteur Moore avait envoyée au docteur Evans le 5 juin 1990; au compte rendu donné au docteur Moore par le docteur Boylan le 30 avril 1990 et aux rapports médicaux des docteurs Hale, Knipping et Jovey. Quiconque examine cette documentation d'une manière objective se rendra compte de la source et de la nature des préoccupations du Minis- tère. Parmi les faits qui pourraient être notés, il y aurait les réponses négatives de M. Gill à la question de savoir s'il avait eu [TRADUCTION] «des problèmes psychiatriques ou neurologiques» alors qu'il y avait, dans les déclarations qu'il avait lui-même faites aux docteurs Moore et Boylan, d'autres renseignements
20 Dossier des requérants, à la p. 236.
qui pourraient laisser entendre le contraire. Consi- dérés dans leur ensemble, ces renseignements per- mettraient certainement à M. Gill et à ses conseillers médicaux de fournir d'autres rapports se rapportant aux préoccupations du Ministère. Même si le conseil- ler était tenu de déterminer s'il existait des motifs rai- sonnables de demander d'autres renseignements (ce que je n'accepte pas), ces renseignements le mon- traient certainement amplement. Je ne crois pas que les analogies établies avec les poursuites au criminel et les renseignements non communiqués fournis par les indicateurs soient pertinentes en l'espèce. À mon avis, même si le conseiller avait le droit et était tenu de déterminer si la demande de renseignements était raisonnable, il devrait tout au plus se convaincre que la demande avait été faite de bonne foi et il n'avait pas à décider que la nécessité d'obtenir d'autres ren- seignements était démontrée selon la prépondérance des probabilités ou au-delà de tout doute raisonnable.
Je conclus donc que la justice fondamentale n'exi- gerait pas la communication des renseignements figu- rant dans les rapports non communiqués (réels ou hypothétiques) établis en vertu du paragraphe 6.5(1). Par conséquent, il était inutile d'examiner la question liée à la Charte.
Dispositif
Je rendrai donc une ordonnance annulant la déci- sion du conseiller, rendue le 11 septembre, et expli- quée dans les motifs qu'il a prononcés le 18 septem- bre 1991, à savoir que le ministre des Transports doit communiquer tout renseignement médical concernant l'intimé Gill que le ministère des Transports a obtenu en vertu des dispositions de l'article 6.5 de la Loi sur l'aéronautique.
Je vais ordonner que les dépens soient adjugés contre l'intimé Gill. Ce n'est pas par hasard qu'il s'est trouvé devant cette Cour pour défendre la déci- sion d'ordonner la communication de tous les rap ports visés par l'article 6.5 que le conseiller avait prise. Il ressort clairement du dossier qu'il a cherché à soulever toutes les objections procédurales pos sibles, au lieu de fournir les renseignements médi- caux qui lui ont d'abord été demandés il y a environ dix-huit mois. Il a expressément demandé avec insis- tance la communication des rapports visés par l'ar- ticle 6.5 à l'audience tenue par le Tribunal, malgré le
témoignage du docteur Wallace, qui avait décidé de demander des renseignements médicaux additionnels, ce qui a entraîné la suspension par le Tribunal, celui- ci ayant déclaré qu'en prenant cette décision, il n'avait pas tenu compte des renseignements non déjà communiqués à M. Gill. Étant donné que les objec tions de M. Gill ont été jugées non fondées en droit et dans les faits, celui-ci devrait payer les frais de cette requête.
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