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T-619-92
Michael J. Martinoff (requérant)
c.
Sa Majesté la Reine et N. D. Inkster (intimés)
RÉPERTORIA' MARTINOFF C. CANADA (Ire INST.)
Section de première instance, juge Reed—Vancouver, 3 septembre; Toronto, 23 septembre 1992.
Justice criminelle et pénale Armes à feu Demande d'un bref de mandamus pour ordonner la délivrance d'un per- mis d'exploitation d'entreprise de vente au détail d'armes à autorisation restreinte à l'extérieur de la province L'art. 110(10) du Code criminel prévoit que seul le commissaire de la GRC peut délivrer un permis valide à l'extérieur de la pro vince Le commissaire refuse d'étudier la demande étant donné la politique voulant que tous les permis d'exploitation d'entreprise de vente d'armes à feu soient délivrés par les autorités provinciales A-t-il omis d'exercer son pouvoir dis- crétionnaire? Examen de la jurisprudence sur les permis de port d'armes et les permis d'exploitation d'entreprise La délivrance des permis de port d'armes en vertu de l'art. 110(1) est obligatoire lorsqu'il y a respect des conditions de l'art. 110(2) Aucune analogie avec l'art. 112(4) La décision portant sur les permis d'exploitation d'entreprise ne se limite pas aux facteurs afférents à la sécurité L'économie du Code laisse à entendre que l'intention du législateur est de soumettre la vente au détail des armes à feu à un étroit contrôle local.
Contrôle judiciaire Brefs de prérogative Mandamus Demande de contrôle judiciaire de la décision du commissaire de la GRC de ne pas étudier la demande de permis de vente au détail d'armes à autorisation restreinte valide partout au Canada Le commissaire est le seul fonctionnaire habilité à délivrer des permis valides à l'extérieur de la province La décision est explicitement fondée sur la politique voulant que les permis ne soient délivrés que par les autorités provinciales et valides dans la province La Cour n'ordonne pas généra- lement à celui qui prend une décision d'en prendre une parti- culière à l'égard du bien-fondé de la décision contestée Il y a exception lorsque la décision n'est pas discrétionnaire mais obligatoire Le commissaire est-il tenu de délivrer un permis lorsqu'il est satisfait aux exigences de la sécurité? La déci- sion à l'égard des permis d'exploitation d'entreprise, contrai- rement à celle relative aux permis de port d'armes, ne se limite pas aux motifs prévus par la loi Le commissaire ne refuse pas d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la loi de délivrer des permis valides partout au Canada en respectant la pratique voulant que de tels permis ne soient pas délivrés.
Il s'agit d'une demande de bref de mandamus enjoignant au commissaire de la GRC de délivrer un permis de vente
d'armes à autorisation restreinte valide partout au Canada en vertu du paragraphe 110(5) du Code criminel.
Le requérant se livre à la vente au détail des armes à feu à Vancouver en vertu d'un permis délivré par le chef provincial des préposés aux armes à feu (CPPAF) de la Colombie-Britan- nique. Il a demandé au commissaire un permis de vente d'armes à feu valide partout au Canada. Le paragraphe 110(5) du Code permet au commissaire, au procureur général provin cial et au CPPAF de délivrer des permis d'exploitation d'entre- prise, mais le paragraphe 110(10) prévoit que de tels permis ne sont pas valides en dehors de la province sauf si le commis- saire les délivre. Ce fonctionnaire a refusé d'étudier le bien- fondé de la demande en raison de la politique invariable de laisser la délivrance des permis d'exploitation d'entreprise aux autorités provinciales. Le requérant cite la jurisprudence sur les permis de port d'armes à autorisation restreinte délivrés en application du paragraphe 110(1) et il soutient, par analogie, que le commissaire n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refu- ser de délivrer le permis valide partout au Canada sauf en vertu du paragraphe 112(4), qui permet à un fonctionnaire de refuser un permis pour des raisons de sécurité.
Jugement: la demande doit être rejetée.
En général, la Cour saisie d'une demande de contrôle judi- ciaire n'ordonnera pas à celui qui doit prendre une décision d'en prendre une particulière à l'égard du bien-fondé de la décision contestée. Il y a exception lorsque la décision n'est pas véritablement discrétionnaire mais plutôt obligatoire. Le paragraphe 110(2) prévoit que le permis de port d'armes à autorisation restreinte ne «peut» être délivré que lorsque la personne autorisée à le faire est convaincue que l'arme est nécessaire pour l'une des fins exposées au paragraphe, par exemple pour une occupation légitime; et le paragraphe 110(1) dit que le commissaire, le procureur général d'une province ou le CPPAF «peuvent» délivrer un permis de port d'armes. On a statué que ce libellé désigne les fonctionnaires tenus de traiter les demandes, et qu'il n'accorde aucun pouvoir discrétionnaire au destinataire de la demande: dès lors que le fonctionnaire compétent est convaincu que le requérant a besoin du permis pour un objet reconnu par la loi, il doit le délivrer. Contraire- ment au paragraphe 110(2) cependant, le paragraphe 112(4) n'établit pas de critères dont le respect entraîne la délivrance d'un permis; il fournit plutôt des motifs de refus des permis. En outre, le fait que celui qui délivre les permis peut en déli- vrer un malgré l'existence de ces facteurs souligne l'étendue du pouvoir discrétionnaire conféré. Les considérations affé- rentes à la sécurité mentionnées au paragraphe 112(4) ne sont pas les seuls facteurs que peut considérer celui qui délivre les permis. Le paragraphe 105(5), qui prévoit que chaque endroit est exploitée une entreprise est présumé constituer une entreprise distincte, montre que le législateur envisage un con- trôle local étroit de la vente au détail des armes à feu. Le com- missaire n'a pas refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis valides partout au Canada en appliquant la pratique établie voulant que de tels permis ne soient pas délivrés.
LOIS ET RÈGLEMENTS
Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 105 (mod. par L.C. 1991, ch. 28, art. 10), 106 (mod. par L.R.C. (1985) (ler suppl.), ch. 27, art. 203), 110, 111, 112(4), (8).
JURISPRUDENCE DÉCISION APPLIQUÉE:
Kahlon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigra- tion), [1986] 3 C.F. 386; (1986), 30 D.L.R. (4th) 157; 26 C.R.R. 152 (C.A.).
DÉCISIONS EXAMINÉES:
Re Jackson et al. and Beaudry (1969), 7 D.L.R. (3d) 737; 70 W.W.R. 572 (B.R. Sask.); Hurley v. Dawson, numéro de greffe CA006486, juge Taggart, J.C.A., jugement en date du 8 mai 1987, C.A.C.-B., inédit, confirmant Re Hurley, numéro de greffe CC861283, juge Gibbs; juge- ment en date du 21 août 1986, C.S.C.-B., inédit; Clare v. Thomson, numéro de greffe 18913 (greffe de Prince George), juge Perry, jugement en date du 6 mai 1991, C.S.C.-B., encore inédit; Martinoff c. Gossen, [1979] 1 C.F. 652; (1978), 46 C.C.C. (2d) 368 (ire inst.).
DISTINCTION FAITE AVEC:
Lawrence v. Jones (1977), 36 C.C.C. (2d) 452 (C.P. Ont.); R. v. Wilke (No. 2) (1981), 60 C.C.C. (2d) 108 (Cour dist. Ont.).
DEMANDE de contrôle judiciaire d'une décision refusant la délivrance d'un permis de vente d'armes à autorisation restreinte valide partout au Canada. Demande rejetée.
COMPARUTION:
Michael J. Martinoff pour son propre compte.
AVOCATS:
P. F. Partridge pour les intimés.
LE REQUÉRANT POUR SON PROPRE COMPTE:
Michael J. Martinoff, Vancouver.
PROCUREURS:
Le sous-procureur général du Canada pour les intimés.
Ce qui suit est la version française des motifs de l'ordonnance rendus par
LE JUGE REED: Le requérant demande une ordon- nance enjoignant au commissaire de la GRC de lui délivrer un permis d'exploitation d'entreprise confor- mément au paragraphe 110(5) du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46:
110....
(5) Le commissaire, le procureur général de la province est située ou prévue l'entreprise, le chef provincial des prépo- sés aux armes à feu de cette province ou toute personne que le commissaire ou le procureur général de la province nomme par écrit à cette fin peuvent délivrer des permis pour l'exploitation des entreprises visées au paragraphe 105(1) ou au sous-alinéa 105(2)b)(i); ces permis demeurent valides, sauf révocation, jusqu'au terme de la période maximale d'un an pour laquelle ils sont déclarés avoir été délivrés.
Les entreprises décrites au paragraphe 105(1) [mod. par L.C. 1991, ch. 28, art. 10] et au sous-alinéa 105(2)b)(1) sont les suivantes: «la fabrication, l'achat ou la vente, en gros ou au détail, l'importation, la réparation, la modification ou la prise en gage d'armes à autorisation restreinte ou d'armes à feu» et «la fabrication, l'achat, la vente, en gros ou au détail, ou l'importation de munitions».
Le requérant est détenteur d'un permis d'exploita- tion d'entreprise qui lui a été délivré par le chef pro vincial des préposés aux armes à feu de la Colombie- Britannique et il fait la vente au détail des armes à feu, à partir de locaux à Vancouver. Il préférerait tou- tefois avoir un permis d'exploitation d'entreprise qui lui permettrait de faire affaire partout au Canada sans avoir à ouvrir un établissement en dehors de Vancou- ver. Seul, le commissaire de la GRC peut délivrer un permis d'exploitation d'entreprise valide partout au Canada. Le paragraphe 110(10) du Code criminel prévoit ce qui suit:
110....
(10) Aucun permis n'est valide à l'extérieur de la province dans laquelle il est délivré à moins, d'une part, qu'il ne le soit par le commissaire ou par la personne qu'il a nommée et auto- risée par écrit à cet effet et, d'autre part, que la personne qui le délivre appose, pour l'application du présent paragraphe, un visa indiquant les provinces il est valide ou à moins, enfin, qu'il ne s'agisse des permis suivants:
a) le permis de possession d'une arme à autorisation res- treinte, devant être utilisée comme l'indique l'alinéa (2)c);
b) le permis, mentionné au paragraphe (3), de transport d'une arme à autorisation restreinte d'un endroit à un autre endroit indiqués dans le permis;
c) le permis visé au paragraphe (4) autorisant la personne qui demande un certificat d'enregistrement à apporter pour fins d'examen l'arme visée par la demande à un registraire local d'armes à feu. [C'est moi qui souligne.]
Le requérant a demandé au commissaire, le 22 jan- vier 1992, un permis valide partout au Canada pour son entreprise, et il a reçu la réponse suivante:
[TRADUCTION] Je dois convenir que, conformément à ce que vous avez souligné, j'ai l'autorité nécessaire pour délivrer le permis que vous demandez. Toutefois, en vertu du paragraphe 110(5) du Code criminel, les procureurs généraux des pro vinces ou les chefs provinciaux des préposés aux armes à feu (CPPAF) ont le même pouvoir, mais dans leurs territoires res- pectifs. L'article 111 du Code criminel prévoit des accords fédéraux/provinciaux relatifs à l'application du paragraphe 110(5). La délivrance de permis par les CPPAF/CTPAF est une pratique et même une politique de longue date dans toutes les provinces et dans les deux Territoires. Je ne tiens pas à empié- ter sur le rôle des CPPAF/CTPAF en commençant à délivrer des permis d'exploitation d'entreprise à partir de mon bureau.
Conséquemment, je ne peux pas étudier votre demande au fond, mais je vous incite à vous adresser aux autorités provin- ciales ou territoriales dans la province ou le territoire oh vous voulez exercer votre entreprise.
La réponse du commissaire au requérant reflète le fait que le présent système de délivrance des permis d'exploitation d'entreprise en application du para- graphe 110(5) laisse leur délivrance à chaque préposé provincial aux armes à feu, et que les permis d'ex- ploitation d'entreprise valides à l'échelle nationale ne sont pas délivrés. Le commissaire délivre des permis valides partout au Canada à l'égard de la possession ou du port des armes à autorisation restreinte et des armes à feu, mais non pas à l'égard de la vente de ces armes.
Le requérant demande une ordonnance enjoignant au commissaire de lui délivrer le permis d'exploita- tion d'entreprise sollicité ou, subsidiairement, enjoi- gnant au commissaire d'étudier sa demande de per- mis valide partout au Canada.
C'est une règle de droit bien établie qu'en général la Cour, lorsqu'elle est saisie d'une demande de con- trôle judiciaire, n'a pas compétence pour ordonner que le fonctionnaire à qui il appartient de prendre une décision en prenne une particulière à l'égard du bien- fondé de la décision contestée. Voir par exemple l'ar- rêt Kahlon c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 386 (C.A.): «Ce bref ordonne l'exécution d'un devoir; il ne peut cependant pas dicter le résultat à atteindre».
Il existe naturellement certaines exceptions. Ainsi, lorsque le preneur de décision a donné gain de cause au requérant sur le fond et que le seul point litigieux tient à ce que dans la décision, il a tenu compte d'une considération supplémentaire ou étrangère, un bref de mandamus peut alors être décerné quant au fond de la décision. De plus, si la décision que doit prendre le fonctionnaire compétent n'est pas, de fait, de nature discrétionnaire mais obligatoire, et si les conditions exigées ont été respectées, il peut être rendu une ordonnance de mandamus exigeant une décision positive quant au fond.
À l'appui de l'argument voulant que la Cour ait compétence en l'espèce pour rendre une ordonnance enjoignant au commissaire de délivrer au requérant un permis valide partout au pays, ce dernier a cité les arrêts suivants: Re Jackson et al. and Beaudry (1969), 7 D.L.R. (3d) 737 (B.R. Sask.); Hurley v. Dawson (le 8 mai 1987, dossier CA006486, C.A.C.-B. et le 21 août 1986, CC861283, C.S.C.-B.); Clare v. Thomson (le 6 mai 1991, greffe de Prince George, dossier 18913, C.S.C.-B.). L'arrêt Jackson and Beaudry n'étaye pas la thèse du requé- rant. Dans cette affaire, les dispositions en vertu des- quelles la Cour contrôlait le refus d'accorder un permis d'exploitation d'entreprise permettaient expressément à la Cour, après avoir entendu l'affaire, de rendre une ordonnance relativement à la déli- vrance du permis. On discutera plus bas des arrêts Hurley v. Dawson et Clare v. Thomson.
Le requérant soutient qu'en l'espèce, le pouvoir de décision du commissaire n'est pas discrétionnaire. Il fait valoir que celui qui demande un permis d'exploi- tation d'entreprise doit en recevoir un s'il répond aux conditions exposées au paragraphe 112(4) du Code. Voici le libellé de cette disposition:
112... .
(4) Les personnes autorisées à délivrer un permis en vertu des paragraphes 110(3) (7), selon le cas, peuvent refuser de le faire lorsqu'elles ont connaissance de quelque cause suscepti ble de rendre souhaitable pour la sécurité du requérant, ou pour celle d'autrui, que le permis ne lui soit pas délivré.
Le requérant affirme qu'il est évident qu'il a rempli les conditions exposées au paragraphe 112(4) parce qu'il est déjà titulaire d'un permis lui permettant d'exploiter une concession d'armes à feu à Vancou-
ver: En effet, les conditions visées au paragraphe 112(4) doivent avoir été remplies avant qu'un permis puisse être délivré.
La thèse voulant que le Commissaire n'ait pas le pouvoir discrétionnaire de refuser un permis lorsque les exigences du paragraphe 112(4) sont respectées se fonde sur la jurisprudence qui s'est établie relative- ment aux paragraphes 110(1) et 110(2) du Code:
110. (1) Le commissaire, le procureur général d'une pro vince, le chef provincial des préposés aux armes à feu ou les personnes d'une catégorie désignée par écrit à cette fin par le commissaire ou le procureur général d'une province peuvent délivrer un permis autorisant une personne à avoir en sa pos session une arme à autorisation restreinte en un lieu autre que celui où, en vertu du certificat délivré pour cette arme, elle est en droit de la posséder; le permis demeure valide, sauf révoca- tion, jusqu'au terme de la période pour laquelle il est déclaré avoir été délivré.
(2) Le permis visé au paragraphe (1) ne peut être délivré que lorsque la personne autorisée à le faire est convaincue que celui qui le sollicite requiert l'arme à autorisation restreinte visée par la demande pour l'une ou l'autre des raisons sui- vantes:
a) pour protéger les vies;
b) pour son travail ou occupation légitime;
c) pour le tir à la cible, sous les auspices d'un club de tir approuvé pour l'application du présent article par le procu- reur général de la province les locaux du club sont situés;
d) pour s'en servir dans le tir à la cible conformément aux conditions annexées au permis. [C'est moi qui souligne.]
On a statué à l'égard de ces dispositions que les mots au paragraphe 110(1) selon lesquels «Le com- missaire, le procureur général d'une province, [ou] le chef provincial des préposés aux armes à feu ... peuvent délivrer un permis ... » n' accordent pas à celle de ces personnes qui délivre le permis le moin- dre pouvoir discrétionnaire relativement au bien- fondé de la demande de permis. On a conclu que le verbe «peuvent» dans ce contexte ne fait que dési- gner ceux qui sont autorisés à délivrer un permis de port d'armes. Voir par exemple l'arrêt Hurley v. Dawson (le 21 août 1986) CC861283 (greffe de Vancouver), C.S.C.-B., confirmé (le 8 mai 1987) CA006486, C.A.C.-B.
De plus, on a statué que le commissaire, le procu- reur général ou le chef provincial des préposés aux armes à feu qui étudie une demande de port d'arme
n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de déli- vrer un permis s'il est convaincu que le requérant le demande pour l'un des objets exposés au paragraphe 110(2): pour protéger des vies; pour son travail ou occupation légitime; pour le tir à la cible ... On a conclu que le libellé «Le permis ... ne peut être déli- vré que lorsque la personne autorisée à le faire est convaincue que celui qui le sollicite requiert l'arme ... » n'accorde pas à celui qui délivre le per- mis le pouvoir discrétionnaire de prendre en considé- ration d' autres facteurs que ceux qui sont pertinents aux objets énumérés au paragraphe 110(2).
Admettons que ce n'est pas une interprétation évidente du paragraphe 110(2). A première lecture de l'article, on pourrait croire que l'adverbe «ne» indique que même si celui qui délivre le permis doit être convaincu que l'une des conditions énumérées plus loin aux alinéas a) à d) doit être respectée pour que le permis soit délivré, cela ne signifie pas qu'il ne peut tenir compte d'autres facteurs.
En tout état de cause, dans l'arrêt Martinoff c. Gos- sen, [1979] 1 C.F. 652 (l C e inst.), on lit à la page 660 la remarque incidente suivante:
A mon avis, le commissaire n'a pas le pouvoir absolu ou arbitraire de délivrer ou de refuser un permis. Si un requérant satisfait aux conditions prévues au paragraphe 97(2), le com- missaire est tenu à l'obligation, susceptible d'exécution forcée, de lui délivrer le permis.
Le raisonnement a été adopté dans l'arrêt Hurley v. Dawson, précité. Dans cette affaire le demandeur était une vigile de Loomis tenue de porter une arme à autorisation restreinte aux fins de son travail. On lui a refusé un permis au motif qu'il avait été reconnu cou- pable d'un acte criminel (culture de la marijuana). La Cour a statué qu'il s'agissait d'une considération sans rapport avec l'affaire dont l'intimé n'était pas autorisé à tenir compte en décidant de délivrer ou non le permis sollicité. Un an avant d'avoir été déclaré coupable d'un acte criminel, le demandeur avait détenu un permis, qui n'avait pas été révoqué immé- diatement après sa déclaration de culpabilité. Ce n'est que lors d'une demande de renouvellement que la condamnation avait été invoquée pour motiver le refus de lui délivrer un permis.
Dans l'arrêt Hurley v. Dawson, précité, le juge Gibbs a adopté la remarque incidente de l'arrêt Mar- tinoff c. Gossen citée plus haut, à l'égard du para- graphe 110(2), et il a expliqué comme suit pourquoi il ne concluait pas à l'existence d'aucun autre pou- voir discrétionnaire en vertu du paragraphe 110(1):
[TRADUCTION] ... L'avocat des intimés a avancé qu'une telle interprétation serait illogique car elle mènerait à la consé- quence singulière qu'«un "tueur à gages" connu de la pègre recevrait automatiquement un permis de port d'armes s'il pou- vait démontrer qu'il lui était nécessaire pour protéger sa vie». Cette crainte est mal fondée. En effet, il faudrait d'abord que le «tueur à gages» connu réussisse à triompher de toutes les autres garanties minutieuses de la Partie II.I du Code.
Le permis visé au paragraphe 106.2(1) [aujourd'hui le para- graphe 110(1)] ne faisait qu'autoriser le titulaire de permis «à avoir en sa possession une arme à autorisation restreinte en un lieu autre que celui ob, en vertu du certificat délivré pour cette arme, elle est en droit de la posséder». La possession d'un cer- tificat d'enregistrement est donc une condition préalable à la demande visée au paragraphe 106.2(1) [aujourd'hui le para- graphe 110(1)]. Le pouvoir de délivrer un certificat d'enregis- trement d'une arme à autorisation restreinte se trouve à l'ar- ticle 106.1 [aujourd'hui l'article 109]. C'est une condition préalable à toute demande de certificat d'enregistrement que celui qui la fait soit titulaire d'une autorisation d'acquisition d'armes à feu et qu'il soit âgé d'au moins dix-huit ans. Le requérant doit démontrer qu'il a besoin de l'arme à autorisa- tion restreinte essentiellement pour les mômes fins énumérées au paragraphe 106.2(2) [aujourd'hui 110(2)]. Et en vertu du paragraphe (6) [aujourd'hui 109(6)], le registraire local d'armes à feu est tenu de faire rapport de «quelque cause sus ceptible de rendre souhaitable, pour la sécurité du requérant, ou pour celle d'autrui, de ne pas l'autoriser à posséder une arme à autorisation restreinte». Mais les garanties très minutieuses contre le tueur à gages se trouvent à l'article 104 [aujourd'hui l'article 106], l'article qui traite de l'autorisation d'acquisition d'armes à feu.
La tendance au contrôle est évidente. Elle débute avec la demande d'autorisation d'acquisition d'arme à feu en vertu de l'article 104 [aujourd'hui l'article 106]. Le requérant doit répondre à de stricts critères et celui qui délivre le permis pos- sède un large pouvoir discrétionnaire. Si le requérant surmonte les obstacles qui se trouvent à l'article 104 [aujourd'hui l'ar- ticle 106], il se heurte à d'autres critères et pouvoirs discrétion- naires lorsqu'il fait une demande de certificat d'enregistrement pour armes à autorisation restreinte en vertu de l'article 106.1 [aujourd'hui l'article 109]. Une fois respectées toutes ces con ditions, le législateur semble avoir voulu que la délivrance du permis de port d'armes à autorisation restreinte ne soit plus qu'une simple mesure administrative, si le requérant convainc celui qui délivre les permis qu'il a besoin de l'arme à autorisa- tion restreinte pour l'une des fins énumérées au paragraphe 106.2(2) [aujourd'hui le paragraphe 110(2)].
Si j'ai bien compris la tendance, le législateur a entendre que le verbe «peuvent» au paragraphe 106.2(1) [aujourd'hui le paragraphe 110(1)] désigne simplement l'identité de ceux qui sont autorisés à délivrer des permis de port d'arme.
La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a adopté ce raisonnement aussi bien à l'égard du para- graphe 110(1) qu'à l'égard du paragraphe 110(2). Ce raisonnement a aussi été suivi dans l'arrêt Clare v. Thomson, précité. Ainsi, dans le cas des paragraphes 110(1) et 110(2), une jurisprudence considérable dit que si celui qui délivre le permis est convaincu que le requérant répond à l'un des critères énumérés au paragraphe 110(2), c'est-à-dire s'il a besoin d'une arme «pour protéger des vies, pour son travail ou occupation légitime ou pour le tir à la cible ... » le fonctionnaire compétent doit alors lui délivrer un per- mis.
De la même façon, le requérant avance que lors- qu' il s'agit d'une demande de permis d'exploitation d'une entreprise de vente au détail d'armes à feu, le permis doit être délivré si le requérant répond aux conditions du paragraphe 112(4). Pour que le lecteur s'y reporte plus facilement, les paragraphes 110(5) et 112(4) sont cités de nouveau:
110....
(5) Le commissaire, le procureur général de la province est située ou prévue l'entreprise, le chef provincial des prépo- sés aux armes à feu de cette province ou toute personne que le commissaire ou le procureur général de la province nomme par écrit à cette fin peuvent délivrer des permis pour l'exploitation des entreprises visées au paragraphe 105(1) ou au sous-alinéa 105(2)b)(i); ces permis demeurent valides, sauf révocation, jusqu'au terme de la période maximale d'un an pour laquelle ils sont déclarés avoir été délivrés.
112... .
(4) Les personnes autorisées à délivrer un permis en vertu des paragraphes 110(3) à (7), selon le cas, peuvent refuser de le faire lorsqu'elles ont connaissance de quelque cause suscepti ble de rendre souhaitable pour la sécurité du requérant, ou pour celle d'autrui, que le permis ne lui soit pas délivré.
Le paragraphe 110(5) autorise le commissaire, le pro- cureur général de la province ou le chef provincial des préposés aux armes à feu à délivrer un permis. Le requérant soutient que, conformément à l'arrêt Hur- ley v. Dawson, le verbe «peuvent» au paragraphe 110(5) ne fait rien de plus que d'identifier les trois personnes seules habilitées à délivrer un permis d'ex- ploitation d'entreprise. Il n'établit pas un pouvoir dis-
crétionnaire (pouvoir résiduel) qui s'ajoute à ceux qui peuvent se trouver ailleurs dans le Code et qui visent les critères dont on doit tenir compte dans la détermi- nation du bien-fondé de la demande.
Les critères applicables, dit-il, se trouvent au para- graphe 112(4). Par analogie à l'interprétation donnée au paragraphe 110(2), il affirme que celui qui délivre les permis n'a pas le pouvoir discrétionnaire d'en refuser un au requérant, sauf s'il détermine que celui- ci ne remplit pas les conditions énoncées au para- graphe 112(4), c'est-à-dire qu'il n'existe aucun motif relié à la sécurité du requérant ou à celle d'autrui qui devrait justifier le refus du permis. Comme on l'a noté, il est clair qu'il n'existe aucun motif «relié à la sécurité» pour refuser au requérant un permis d'ex- ploitation d'entreprise dans la province. Il est déjà titulaire d'un permis à cette fin.
L'avocat de l'intimé soutient qu'il existe une dis tinction entre le cadre législatif exposé aux para- graphes 110(1) et 110(2) et celui des paragraphes 110(5) et 112(4). Tout d'abord, les permis délivrés en vertu du paragraphe 110(1) sont des permis de «port» d'armes et ceux qui les sollicitent doivent avoir déjà respecté les conditions nécessaires à l'acquisition et à l'enregistrement d'une arme (ainsi que les stricts cri- tères applicables). Cette question a été débattue, comme on l'a noté plus haut, dans l'affaire Hurley v. Dawson. Ensuite, la structure du libellé des para- graphes comparés est différente. Dans le cas des paragraphes 110(1) et 110(2), il y a un lien direct qui, soutient-on, peut donner lieu au «droit» à la déli- vrance d'un permis s'il y a respect de l'un des cri- tères énoncés aux alinéas a) à d) du paragraphe 110(2). Pour ce qui est des paragraphes 110(5) et 112(4), toutefois, on n'y trouve pas ce lien étroit. En effet, le paragraphe 112(4) se rapporte aux para- graphes 110(3) à 110(7) et non seulement à une seule disposition. Il énonce aussi une situation dans laquelle il ne peut y avoir délivrance d'un permis. Il n'établit pas des critères positifs qui, s'ils sont res pectés, sont susceptibles de mener à la conclusion qu'un permis doit être délivré.
Si l'interprétation du requérant est bonne, tous ceux qui demandent un permis d'exploitation d'entre- prise doivent en obtenir un, sauf si on peut le leur refuser au motif que le refus d'un permis à ces per-
sonnes se justifie pour des raisons de sécurité: aucune source ne permet de tenir compte d'autres considéra- tions. On reconnaît que «la sécurité du requérant .. . ou celle d'autrui» est un concept général et qu'il comprend plusieurs des facteurs dont il faut tenir compte pour obtenir des autorisations d'acquisition et des permis d'enregistrement.
L'essentiel de l'affaire consiste donc à savoir si le commissaire peut refuser d'étudier une demande de permis d'exploitation d'entreprise partout au Canada parce que le préposé provincial aux armes à feu exerce un pouvoir en la matière et que, question de principe, on a décidé de ne pas délivrer de permis d'exploitation d'entreprise valides à l'échelle natio- nale.
L'avocat de l'intimé soutient lorsque l'une des trois personnes habilitées à prendre une décision par- ticulière refuse d'étudier une demande parce qu'une des deux autres personnes remplit cette fonction, son refus est légitime et ne peut être contesté au motif qu'elle refuse d'exercer sa compétence. Cet argument ne me convainc pas. Je pourrais le trouver convain- cant si le préposé provincial aux armes à feu pouvait délivrer des permis valides partout au Canada. Dans ce cas, on pourrait hésiter à étudier une demande de contrôle judiciaire à l'encontre du commissaire. Mais en l'espèce, le préposé provincial aux armes à feu ne peut délivrer le genre de permis sollicité par le requé- rant (un permis valide partout au Canada). Ainsi, la compétence du préposé provincial aux armes à feu pour délivrer des permis d'exploitation d'entreprise dans la province n'apporte pas de solution.
Je ne suis cependant pas convaincue que je doive interpréter les paragraphes 110(5) et 112(4) comme le prétend le requérant. Tout d'abord, le paragraphe 112(4) n'établit pas de critères dont le respect entraîne la délivrance d'un permis. En effet, il semble clair que même si le fonctionnaire qui délivre les per- mis a connaissance de facteurs susceptibles de rendre «souhaitable pour la sécurité ... que le permis ne .. . soit pas délivré», le permis peut tout de même être délivré. C'est-à-dire que selon le libellé du para- graphe 112(4), celui qui délivre les permis n'est pas tenu de refuser de le faire lorsqu'il a connaissance de tels facteurs. Cela souligne l'étendue du pouvoir dis- crétionnaire conféré à celui qui délivre les permis.
Deux décisions semblent indiquer qu'il doit déli- vrer un permis d'exploitation d'entreprise s'il est satisfait aux considérations relatives à la sécurité. Dans l'arrêt Lawrence v. Jones (1977), 36 C.C.C. (2d) 452 (C.P. Ont.), le tribunal était saisi du refus d'un préposé provincial aux armes à feu de délivrer un permis d'exploitation d'entreprise [aux pages 457 et 458]:
[TRADUCTION] Les conditions régissant la délivrance des per- mis ne sont pas aussi explicites qu'elles pourraient l'être. Cel- les qui ont trait aux permis autorisant la possession d'une arme à autorisation restreinte sont énoncées à l'alinéa 97(1)a) et aux paragraphes (5), (6) et (9); il n'en est pas ainsi cepen- dant pour celles qui visent les permis autorisant l'exploitation d'une entreprise qui comprend la vente au détail d'armes à autorisation restreinte. Les seules conditions applicables à la délivrance de permis à cette fin se trouvent au paragraphe 99(3) [aujourd'hui le paragraphe 112(4)]. Les personnes auto- risées à délivrer les permis peuvent, et non pas doivent, refuser de le faire «lorsqu'elles ont connaissance de quelque cause susceptible de rendre souhaitable pour la sécurité ... d'autrui, que le permis ne ... soit pas délivré». L'article 99 (para- graphes 5 à 11) prévoit la façon dont le refus de délivrer un permis doit être communiqué au requérant, et la façon dont la personne «lésée» par ce refus peut interjeter appel.
De façon générale, les mesures législatives portant sur la délivrance de permis devraient énoncer expressément tous les pouvoirs reliés à l'octroi et au refus des permis. Il est impor tant que les critères soient clairs et que les dispositions législa- tives énoncent clairement l'objet et la politique que la mesure législative poursuit. La loi en l'espèce ne répond pas à cette norme en ce qui concerne les critères applicables à l'octroi et au refus des permis.
La Cour a ensuite répété que les dispositions du Code ayant trait à l'exploitation d'une entreprise de vente au détail d'armes à feu visaient la sécurité. La Cour a dit qu'elle ne voyait pas comment le fait que l'entreprise soit exploitée à temps partiel ou que le requérant habite le Toronto métropolitain alors que son entreprise se trouverait à Lindsay pouvait se rap- porter à la sécurité. La Cour a conclu que la princi- pale raison pour laquelle la personne autorisée à déli- vrer des permis avait refusé de le faire tenait à l'argument relatif aux «avalanches», c'est-à-dire le fait que plusieurs autres personnes qui, à l'instar du requérant, collectionnaient les armes à feu recherche- raient un permis d'exploitation d'entreprise. La Cour n'était pas convaincue que cette raison avait trait à la sécurité. Elle a ajouté à la page 461:
[TRADUCTION] Rien dans la preuve ne me semble respecter l'unique critère de «la sécurité d'autrui», qui est la seule ligne directrice énoncée dans la loi. Les lignes directrices du procu- reur général n'ont aucune autorité statutaire ni autre, et je refuse de les accepter comme des critères dont M. Jones ou moi-même aurions tenir compte. Il se peut que dans un sens très général, la sécurité de toute la population soit visée lorsque l'on permet à une seule personne, et à plus forte raison à plus d'une personne, de vendre des armes à autorisation restreinte, mais je ne crois pas que le paragraphe 99(3) puisse être inter- prété de façon aussi large; une telle interprétation laisserait à M. Jones un pouvoir discrétionnaire si vaste qu'il en serait pro- bablement irrégulier, car il pourrait sans aucun motif et unique- ment à son gré décider qui devrait avoir et ne pas avoir des permis de ce genre.
Les parties conviennent que M. Lawrence répond à tous les critères personnels d'intégrité et que ses locaux commerciaux éventuels satisfont à toutes les exigences raisonnables en matière de sécurité. Ce sont des facteurs qui ont trait à «la sécurité d'autrui», et l'appelant y répond d'une façon qui ne compromet pas cette sécurité.
Par conséquent, j'accueille l'appel et j'ordonne qu'un per- mis soit délivré au requérant pour lui permettre d'exploiter, au 12 Russell St. West, à Lindsay (Ontario) une entreprise qui comprend notamment la vente au détail d'armes à autorisation restreinte.
Je ne saurais mettre le point final à la question, cependant, sans déplorer que le législateur n'ait pas jugé bon de définir clairement les critères qui devraient régir la délivrance de ces permis. A mon avis, la loi visant ce qu'on appelle communé- ment le «contrôle des armes à feu» n'est pas claire.
Dans l'arrêt R. v. Wilke (No 2) (1981), 60 C.C.C. (2d) 108 (Cour dist. Ont.), la décision d'un juge d'une cour provinciale qui ordonnait la délivrance d'un permis d'exploitation d'entreprise était portée en appel. Dans le contexte de cet appel, on a dit ce qui suit [aux pages 116 et 117]:
[TRADUCTION] Curieusement, le Code ne donne aucun critère pour guider le chef provincial des préposés aux armes à feu dans la délivrance des permis [d'exploitation d'entreprise] ni la Cour lorsqu'elle doit décider si la décision de ce dernier est appropriée.
Le paragraphe 104(3) [aujourd'hui l'article 106] expose cer- tains critères pour guider le magistrat saisi du refus d'un pré- posé aux armes à feu de délivrer une autorisation d'acquisition d'armes à feu. Il est habilité à confirmer la décision du préposé aux armes à feu voulant qu'il soit souhaitable pour la sécurité du requérant, ou pour celle d'autrui, que le permis ne lui soit pas délivré, lorsqu'il appert que:
(1) dans les cinq ans précédant la date de la demande, le requérant a été déclaré coupable, sur mise en accusation,
d'une infraction commise avec emploi de violence con- tre autrui ou d'une infraction à la partie II.1 du Code;
(2) dans les cinq ans précédant la date de la demande, le requérant a été traité pour déséquilibre mental associé à des emplois ou menaces d'emploi de sa part de violence contre lui-même ou contre autrui; ou
(3) dans les cinq ans précédant la date de la demande, le requérant a eu un comportement associé à des emplois de sa part de violence contre lui-même ou contre autrui.
Bien que ces critères ne soient pas énumérés à titre de lignes directrices applicables à la délivrance des permis d'exploita- tion d'entreprise, je suis tout de même d'avis qu'ils comptent au nombre des facteurs dont il faut tenir compte pour détermi- ner s'il y a lieu de délivrer un permis d'exploitation d'entre- prise. L'esprit et l'objet de la législation semble être l'adop- tion, par ceux qui possèdent et vendent des armes à autorisation restreinte, d'une conduite sérieuse qui garantira que ces armes seront manipulées avec prudence et rangées dans un endroit sûr, et qu'elles ne tomberont pas entre les mains des criminels, que ce soit par leur vente ou par négli- gence. Ce critère doit s'appliquer non seulement au requérant mais à toute autre personne qui pourrait être associée à l'entre- prise de ce dernier, même en qualité d'employé.
Dans cette affaire, la Cour a statué que la décision par laquelle le juge d'une cour provinciale avait ordonné la délivrance d'un permis, bien que l'époux de la requérante ait eu un casier judiciaire, n'était pas entachée d'erreur. Ce casier judiciaire n'avait pas trait à la vente à des criminels ou à des ventes sans discernement, et la police était convaincue que les aires d'entreposage de la requérante étaient adé- quates.
Les arrêts Lawrence et Wilke ont trait à des appels interjetés contre des décisions par lesquelles des pré- posés aux armes à feu rejetaient des demandes de permis d'exploitation d'entreprise. Il peut être inter- jeté appel de ces décisions devant les tribunaux con- formément au paragraphe 112(8) du Code criminel. En l'espèce, puisque la contestation porte sur le défaut du commissaire de rendre une décision au fond (d'exercer sa compétence), on m'a demandé de décerner un bref de mandamus enjoignant au com- missaire de délivrer un permis ou au moins d'exercer sa compétence etde juger la demande au fond.
La distinction entre la question de savoir si le com- missaire, en l'espèce, a refusé d'exercer sa compé- tence (si tel est le cas) ou s'il a pris une décision dans le cadre de cette compétence mais en s'appuyant sur une considération étrangère (le cas échéant) revient à
exposer la même question de deux façons différentes. Si le commissaire, en refusant de délivrer le permis, avait le droit de prendre en considération la politique voulant qu'aucun permis valide partout au Canada devait être délivré, on peut alors avancer qu'il a rendu une décision au fond, mais dans le cadre de sa compétence. Si, d'autre part, sa compétence ne s'étend pas au rejet d'une demande de permis pour ce motif, il est alors loisible de soutenir qu'il a refusé d'exercer sa compétence.
En tout état de cause, je ne suis pas convaincue que le commissaire a rendu en l'espèce une décision qui dépassait sa compétence ou qu'il a refusé d'exercer celle-ci. Comme on l'a dit dans les décisions citées, pratiquement aucun critère explicite n'a été exposé permettant de décider si un permis doit ou non être délivré. La sécurité du requérant et d'autrui est assu- rément une considération applicable, mais elle n'est pas déterminante selon les dispositions de la loi.
La question de savoir si le paragraphe 110(5) pour- rait être abrogé parce qu'il est trop vague, soit pour des motifs constitutionnels soit en raison de principes de la common law antérieurs à la Charte, n'a pas été débattue. Si effectivement cette disposition ne peut subsister parce qu'elle ne contient pas des critères suffisants, c'est-à-dire parce qu'un pouvoir décision- nel arbitraire et sans retenue est conféré à celui qui délivre les permis, le requérant ne se trouve alors pas en meilleure posture que maintenant. L'exploitation d'une entreprise de vente au détail des armes à feu en cause sans permis resterait un acte criminel, mais il n'existerait aucun mécanisme prévoyant la délivrance de ces permis.
J'en reviens à la décision prise par le commissaire en l'espèce. Je ne suis pas convaincue que le com- missaire, en rendant sa décision, a soit refusé d'exer- cer, soit outrepassé sa compétence. Tout d'abord, il est abondamment clair que les considérations rela tives à la sécurité ne sont pas les seuls facteurs dont peut tenir compte celui qui délivre les permis. Je dois ajouter, en ce qui concerne la décision Lawrence, que je ne vois pas bien pourquoi plusieurs des considéra- tions mentionnées dans cet arrêt ne sont pas perti- nentes à la délivrance d'un permis d'exploitation d'entreprise. Chose plus importante, toutefois, il res- sort clairement de la jurisprudence qu'en l'absence de
critères précis, le preneur de décision a le droit de se guider sur les autres dispositions du Code. Les tribu- naux se sont penchés sur d'autres dispositions du Code, par exemple dans l'arrêt Hurley v. Dawson. On a pris en considération les critères à respecter pour obtenir des autorisations d'acquisition et des permis d'enregistrement. Dans l'arrêt Wilke, on s'est encore reporté à ces dispositions.
De la même façon en l'espèce, je crois pertinent de renvoyer au paragraphe 105(5), qui prévoit ce qui suit:
105....
(5) Lorsqu'une personne exploite une entreprise visée au paragraphe (1) ou au sous-alinéa (2)b)(i) à plusieurs endroits, chaque endroit est présumé, pour l'application du présent arti cle et des règlements d'application des alinéas 116a) à c), constituer une entreprise distincte.
À mon avis, cette disposition formule une politique législative qui envisage un contrôle local étroit des entreprises qui font la vente au détail des armes à feu. Le paragraphe 105(6) prévoit la réglementation de la vente postale. Le paragraphe 105(1) prévoit la tenue de registres et le contrôle des stocks. L'article 111 prévoit le remboursement aux gouvernements provin- ciaux des dépenses entraînées par l'administration des articles 105, 106 [mod. par L.R.C. (1985) (ler
suppl.), ch. 27, art. 203] et 110(5).
J'estime que le commissaire n'a pas refusé d'exer- cer sa compétence ni pris en considération un facteur non pertinent lorsqu'il a décidé de ne pas délivrer au requérant un permis valide partout au Canada parce que le système de contrôle adopté en pratique n'envi- sageait pas la délivrance de ces permis.
Je souligne aussi que même si ma conclusion sus- mentionnée est erronée, je ne saurais convenir qu'il y ait lieu de décerner un bref de mandamus qui ordon- nerait la délivrance d'un permis au requérant. Le fait que le requérant a satisfait aux normes de sécurité applicables aux permis provinciaux ne signifie pas que ces mêmes normes de sécurité s' appliqueraient aux permis valides partout au Canada.
Pour les motifs donnés, cette demande sera rejetée.
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