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T-219-17

2018 CF 64

Rakuten Kobo Inc. (demanderesse)

c.

Le commissaire de la concurrence, Hachette Book Group Canada Ltd., Hachette Book Group Inc., Hachette Digital, Inc., Holtzbrinck Publishers, LLC et Simon & Schuster Canada, une division de CBS Canada Holdings Co. (défendeurs)

Répertorié : Rakuten Kobo Inc. c. Canada (Commissaire de la concurrence)

Cour fédérale, le juge en chef Crampton—Toronto, 23 octobre 2017; Ottawa, 1er février 2018.

Note de l’arrêtiste : Les parties caviardés par la Cour sont indiquées par [***].

Concurrence — Demande visant à obtenir divers types de mesures de redressement en lien avec des consentements (consentements) intervenus entre le commissaire de la concurrence et les autres défendeurs (les éditeurs défendeurs) et déposés au Tribunal de la concurrence — Les consentements traitaient des restrictions à la concurrence sur les prix dans la vente de livres numériques au Canada qui découlaient d’un passage par les éditeurs défendeurs d’un modèle de vente en gros à un modèle de distribution d’agence — Le commissaire a conclu que les arrangements avaient pour effet d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans le marché des livres numériques — Les consentements interdisaient aux éditeurs défendeurs de restreindre, limiter ou empêcher un détaillant de livres numériques dans sa capacité de fixer, modifier ou réduire le prix de détail d’un livre numérique — La demanderesse a soutenu qu’elle subirait des torts financiers considérables si les consentements étaient mis en œuvre — Il s’agissait de savoir si le commissaire a outrepassé sa compétence en signant des consentements visant à remédier 1) à un complot formé aux États-Unis, qui a depuis été réglé par les tribunaux américains et les autorités antitrust; 2) à un accord qui, selon la portée de l’art. 90.1 de la Loi sur la concurrence, n’a jamais existé; 3) à un arrangement qui n’était pas conclu ou proposé au moment de la conclusion des consentements — La Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’entendre la présente demande sur le fond — Les facteurs énumérés dans l’arrêt Strickland c. Canada (Procureur général) penchaient en faveur du refus d’entendre la demande — Les demandes de contrôle judiciaire de consentements déposées par des tiers devraient seulement être entendues dans des cas exceptionnels — Bien que la première question de compétence soulevée par la demanderesse était une véritable question de compétence, il serait plus approprié de la présenter au Tribunal — Les autres questions étaient de nature factuelle — Néanmoins, la Cour a analysé la demande au fond — Le commissaire avait la compétence territoriale en vertu de l’art. 90.1 de la Loi pour signer les consentements — L’art. 90.1 de la Loi s’applique à tous les accords et arrangements qui ont pour effet d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché, nonobstant qu’ils eurent été conclus au Canada ou à l’étranger — Les art. 90.1a) et b) permettent au Tribunal de rendre les ordonnances qui y sont décrites à l’encontre de « toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement » — Le fait que l’accord emportait des répercussions négatives sur la concurrence au Canada constituait un fondement solide pour conclure qu’il y avait un « lien réel et substantiel » entre l’arrangement et le Canada — Il n’était pas nécessaire que l’élément d’actus reus de la disposition législative se produise entièrement ou partiellement au Canada afin qu’on établisse un lien réel et substantiel — Il n’y a pas eu d’entorse au principe de la courtoisie internationale — Il n’était pas déraisonnable que le commissaire limite son examen quant aux documents fournis par la demanderesse — Le commissaire avait le droit de s’en remettre au personnel et à la direction du Bureau de la concurrence afin qu’ils lui remettent un sommaire ou une synthèse des documents soumis par la demanderesse — Le commissaire n’a pas ignoré les renseignements — Il était raisonnablement loisible au commissaire de conclure que l’arrangement était toujours en vigueur (c.-à-d. qu’il était « existant ») au moment de la signature des consentements — La conclusion d’un règlement par les éditeurs défendeurs aux États-Unis n’a pas mis fin à l’arrangement au Canada — Les jugements américains n’ont pas eu des répercussions sur la mise en œuvre de l’arrangement au Canada — Demande rejetée.

Il s’agissait d’une demande visant à obtenir divers types de mesures de redressement en lien avec trois consentements (consentements) intervenus entre le commissaire de la concurrence et les autres défendeurs (les éditeurs défendeurs) et déposés au Tribunal de la concurrence.

Les consentements traitaient des restrictions à la concurrence sur les prix dans la vente de livres numériques au Canada qui, selon le commissaire, découlaient d’un passage par les éditeurs défendeurs d’un modèle de vente en gros à un modèle de distribution d’agence. Les attendus de chacun des consentements disposaient que le commissaire avait conclu que les arrangements comprenaient des stipulations qui limitaient la capacité des détaillants de livres numériques de réduire les prix de ceux-ci; et avaient pour effet d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans le marché des livres numériques au Canada, en violation de l’article 90.1 de la Loi. Les consentements interdisaient aux éditeurs défendeurs de restreindre, limiter ou empêcher un détaillant de livres numériques dans sa capacité de fixer, modifier ou réduire le prix de détail d’un livre numérique pour vente aux consommateurs au Canada, ou d’offrir des rabais ou faire de la promotion commerciale pour encourager les consommateurs au Canada à acheter un ou plusieurs livres numériques. Les consentements interdisaient également aux éditeurs défendeurs de conclure avec un détaillant de livres numériques un accord ayant l’un de ces effets. La demanderesse a soutenu qu’elle subirait des torts financiers considérables si les consentements étaient mis en œuvre, car ses relations contractuelles avec les éditeurs défendeurs seraient profondément modifiées. Le commissaire a rétorqué que la demanderesse souhaitait simplement éviter de réduire ses prix de vente de détail afin de concurrencer. Le commissaire a soutenu aussi que la Cour devrait refuser d’entendre cette demande, car la demanderesse disposait d’une mesure de réparation alternative appropriée en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi.

Il s’agissait principalement de savoir si le commissaire a outrepassé sa compétence en signant des consentements visant à remédier à un complot formé aux États-Unis, qui a depuis été réglé par les tribunaux américains et les autorités antitrust; si le commissaire a outrepassé sa compétence en signant des consentements pour remédier à « un accord » qui, selon la portée de l’article 90.1 de la Loi, n’a jamais existé; et si le commissaire a outrepassé sa compétence en signant des consentements pour remédier à un arrangement qui n’était pas « conclu ou proposé » au moment de la conclusion de ceux-ci.

Jugement : la demande doit être rejetée.

La Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’entendre la présente demande sur le fond. Dans l’arrêt Strickland c. Canada (Procureur général), la Cour suprême a dressé une liste de facteurs pertinents à la décision d’une cour d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire. Les facteurs penchant en faveur du refus d’entendre la présente demande étaient notamment les objectifs et les considérations de principes sous-tendant le modèle législatif en cause, le degré d’expertise de l’autre décideur, la nature de l’erreur alléguée, et les coûts associés à une procédure de contrôle judiciaire devant la Cour. Les demandes de contrôle judiciaire de consentement enregistré auprès du Tribunal et déposées par des tiers devraient seulement être entendues dans des cas exceptionnels. Bien que la première question des trois questions de compétence soulevées par la demanderesse dans cette demande puisse véritablement se qualifier comme étant une véritable question de compétence, il serait plus approprié de la présenter au Tribunal. Les deux autres questions étaient largement de nature factuelle. Étant donné le choix clair du Parlement visant à imposer des limites rigoureuses à la capacité des tiers à contester les consentements en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire et contrôler les conclusions du commissaire quant à de telles questions. Néanmoins, advenant que l’on détermine qu’elle a commis une erreur en concluant qu’elle ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire, la Cour a analysé la demande de la demanderesse au fond.

Le commissaire avait la compétence territoriale en vertu de l’article 90.1 pour signer les consentements. On peut déduire de l’esprit de la Loi dans son ensemble que l’article 90.1 s’applique à tous les accords et arrangements qui ont, ou risquent d’avoir, l’effet décrit à cette disposition, nommément, d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché. Ceci, nonobstant qu’ils eurent été conclus au Canada ou à l’étranger. Le libellé explicite de l’article 90.1 se situe aux alinéas a) et b), qui permettent au Tribunal de rendre les ordonnances qui y sont décrites à l’encontre de « toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement ». Étant donné un tel libellé, il n’était pas nécessaire d’en ajouter pour élargir la portée de l’article 90.1 aux tiers qui mettent en œuvre un accord ou un arrangement convenu à l’étranger. Considérant cette conclusion, il n’était pas nécessaire d’évaluer le lien réel et substantiel entre le Canada et l’arrangement attaqué. Cependant, advenant qu’elle ait commis une erreur en parvenant à cette conclusion, la Cour a effectué cette analyse. Dans le contexte de l’article 90.1, il existera un lien réel et substantiel entre le Canada et l’accord ou l’arrangement convenu à l’étranger si « un élément constitutif [de l’article 90.1] se produit » au Canada. Le fait que l’accord emportait des répercussions négatives sur la concurrence au Canada constituait un fondement solide pour conclure qu’il y avait un « lien réel et substantiel » entre l’arrangement et le Canada. Il n’est pas nécessaire que l’élément d’actus reus de la disposition législative se produise entièrement ou partiellement au Canada afin qu’on établisse un lien réel et substantiel entre notre pays et l’activité visée par la disposition. Dans la présente affaire, il n’y a pas eu d’entorse au principe de la courtoisie internationale. Il s’agirait d’un constat navrant si les lois canadiennes, comme la Loi, ne pouvaient pas être appliquées pour protéger l’économie domestique et ses participants des arrangements anticoncurrentiels ou d’autres activités entreprises à l’étranger.

En ce qui concerne la question de savoir si le commissaire a outrepassé sa compétence en signant des consentements pour remédier à « un accord » qui, selon la portée de l’article 90.1 de la Loi, n’a jamais existé, il n’était pas déraisonnable que le commissaire limite son examen quant aux documents fournis par la demanderesse. Il n’incombait pas au personnel du Bureau de la concurrence de résumer la preuve de la demanderesse d’une façon semblable au résumé de la preuve sur laquelle reposaient leurs conclusions et leurs recommandations au commissaire. Le commissaire a été informé de l’essentiel de la position de la demanderesse. Il avait le droit de s’en remettre au personnel et à la direction du Bureau de la concurrence afin qu’ils examinent l’imposant volume de documents soumis par la demanderesse et les autres membres de l’industrie au cours de son enquête approfondie sur l’arrangement et sa mise en œuvre alléguée au Canada et lui remettent un sommaire ou une synthèse de ceux-ci. Le commissaire n’a pas ignoré les renseignements qui, selon la demanderesse, contredisaient les conclusions et les recommandations du Bureau de la concurrence.

Il était raisonnablement loisible au commissaire de conclure que l’arrangement était toujours en vigueur (c.-à-d. qu’il était « existant ») au moment de la signature des consentements avec les éditeurs défendeurs. La conclusion d’un règlement par les éditeurs défendeurs avec le ministère de la Justice des États-Unis et leur consentement à des jugements définitifs n’ont pas eu pour effet de mettre fin à l’arrangement dans la mesure où il s’appliquait au Canada. La demanderesse n’a pas démontré que les jugements américains avaient eu des répercussions sur la mise en œuvre de l’arrangement au Canada. En fait, la transition au modèle d’agence au Canada laissait entendre le contraire. Il était loisible au commissaire de conclure que cette transition était le résultat de la mise en œuvre de l’arrangement au Canada.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 12.

Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34, art. 1.1, 9, 45, 46, 48(2), 76(1), 82, 83, 90.1, 105, 106.

Loi sur le divorce, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 3, art. 8(2).

Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 8(2).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.

Municipal Government Act, R.S.A. 2000, ch. M-26.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 317.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant l’exercice des principes de courtoisie active dans l’application de leurs lois sur la concurrence, 5 octobre 2014, en ligne : <www.justice.gov> et <www.bureaudelaconcurrence.gc.ca>.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Kobo Inc. v. The Commissioner of Competition, 2014 Comp. Trib. 14, 2014 CACT 14 (CanLII), conf. par 2015 CAF 149, autorisation de pourvoi a la C.S.C. refusée, [2016] 1 R.C.S. xvi; Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713; 797175 Alberta Ltd. (Agent of) v. Calgary (City), 2017 ABQB 18, 49 Alta. L.R. (6th) 114; Real Estate Council of Alberta v. Henderson, 2007 ABCA 303, 80 Alta. L.R. (4th) 1; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178; Lapointe Rosenstein Marchand Melançon S.E.N.C.R.L. c. Cassels Brock & Blackwell LLP, 2016 CSC 30, [2016] 1 R.C.S. 851; Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.S. 27.

décisions examinées :

Rakuten Kobo Inc. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2017 CF 382; Canada (Commissioner of Competition) v. HarperCollins Publishers LLC, 2017 Comp. Trib. 10, [2017] C.C.T.D. no 10 (QL); Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748; Canada (Commissaire de la concurrence) c. Supérieur Propane Inc., 2001 CAF 104, [2001] 3 C.F. 185; Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427; A.T. c. Globe24h.com, 2017 CF 114, [2017] 4 R.C.F. 310; Moran c. Pyle National (Canada) Ltd., [1975] 1 R.C.S. 393; Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077; Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 278; Gencor Ltd. c. Commission des Communautés européennes, dossier T-102/96, [1999] E.C.R. II-00753; Intel Corporation Inc. c. Commission européenne, dossier C-413/14 P (2017) (C.J.E.).

décisions citées :

Rakuten Kobo Inc. v. Canada (Commissioner of Competition), 2016 Comp. Trib. 11, [2016] C.C.T.D. no 11 (QL); Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2010 CAF 198, [2011] 3 R.C.F. 223, inf. pour d’autres motifs par 2012 CSC 37, [2012] 2 R.C.S. 345; Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58, [2013] 3 R.C.S. 545; Airia Brands Inc. v. Air Canada, 2017 ONCA 792, 417 D.L.R. (4th) 467; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Fairhurst v. De Beers Canada Inc., 2012 BCCA 257, 351 D.L.R. (4th) 168; VitaPharm Canada Ltd. v. F. Hoffman-La Roche Ltd., 2002 CarswellOnt 235, 20 C.P.C. (5th) 351, [2002] O.J. no 298 (QL) (C. sup.); Bouchard c. Ventes de véhicules Mitsubishi du Canada Inc., 2010 CF 56; Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572; R. v. Stucky, 2009 ONCA 151, 303 D.L.R. (4th) 1; R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686; Shah v. LG Chem Ltd., 2015 ONSC 2628, 125 O.R. (3d) 773; R. c. BASF Aktiengesellschaft, 1999 CarswellNat 6381 (C.F. 1re inst.); R. c. Daicel Chemical Industries, Ltd., T-1686-00; Motorola Mobility LLC v. Au Optronics Corp., 775 F.3d 816 (7th Cir. 2014); Lotes Co., Ltd. v. Hon Hai Precision Industry Co., Ltd., 753 F.3d 395 (2nd Cir. 2014); Minn-Chem, Inc. v. Agrium, Inc., 683 F.3d 845 (7th Cir. 2012); Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; La Reine c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238.

DOCTRINE CITÉE

Bureau de la concurrence Canada. Communiqué de presse. Une entreprise japonaise plaidera coupable et payera une amende de 130 millions de dollars américains pour sa participation à un complot de truquage des offres, Ottawa : 20 juillet 2016.

Côté, Pierre-André. The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. Toronto : Carswell, 2011.

United States Department of Justice and Federal Trade Commission, Antitrust Guidelines for International Enforcement Cooperation (13 janvier 2017), en ligne : <https ://www.justice.gov>.

DEMANDE visant à obtenir divers types de mesures de redressement en lien avec trois consentements intervenus entre le commissaire de la concurrence et les autres défendeurs et déposés au Tribunal de la concurrence. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Nikiforos Iatrou et Scott McGrath pour la demanderesse Rakuten Kobo Inc.

John Syme et Katherine Johnson pour le défendeur le commissaire de la concurrence.

Linda M. Plumpton et James Gotowiec pour les défenderesses Hachette Book Group Canada Ltd., Hachette Book Group Inc., Hachette Digital, Inc.

Randal T. Hughes et Emrys Davis pour le défendeur Holtzbrinck Publishers, LLC.

Peter Franklyn pour la défenderesse Simon & Schuster Canada, une division de CBS Canada Holdings Co.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

WeirFoulds LLP pour la demanderesse Rakuten Kobo Inc.

Ministère de la Justice du Canada – Services juridiques du Bureau de la concurrence, Gatineau (Québec), pour le défendeur le commissaire de la concurrence.

Torys LLP, Toronto, pour les défenderesses Hachette Book Group Canada Ltd., Hachette Book Group Inc., Hachette Digital, Inc.

Bennett Jones LLP, Toronto, pour la défenderesse Holtzbrinck Publishers, LLC.

Osler, Hoskin & Harcourt LLP et Goodmans LLP, Toronto, pour la défenderesse Simon & Schuster Canada, une division de CBS Canada Holdings Co.

 

Ce qui suit est la version française des motifs publics du jugement et du jugement rendus par

Le juge en chef Crampton :

I.          Introduction

[1]        Dans l’espèce, Rakuten Kobo Inc. (Kobo) cherche à obtenir divers types de mesures de redressement en lien avec trois consentements (consentements) intervenus entre le commissaire de la concurrence et les autres défendeurs nommés dans l’intitulé de la cause susmentionné (les éditeurs défendeurs) et déposé au Tribunal de la concurrence en janvier 2017. Entre autres, Kobo a demandé une déclaration selon laquelle les consentements sont illégaux et invalides, et une ordonnance les annulant.

[2]        La demande de Kobo repose sur trois motifs de contrôle judiciaire. D’abord, elle affirme que le commissaire a agi sans compétence en concluant les consentements afin de remédier à un complot en place aux États-Unis, et non au Canada. Selon Kobo, ce complot a été réglé par les tribunaux américains et les autorités chargées de faire appliquer les règles antitrust en 2012–2013. Deuxièmement, Kobo soutient que le commissaire a agi sans compétence en concluant des consentements visant à remédier à « un arrangement » qui n’a jamais existé. Troisièmement, Kobo maintient que même si un tel accord avait déjà existé, il n’était pas « conclu ou proposé » au moment des consentements, comme l’exige l’article 90.1 de la Loi sur la concurrence, L.R.C. (1985), ch. C-34 (la Loi).

[3]        Le commissaire s’oppose à la contestation de sa compétence par Kobo et ajoute de plus que notre Cour devrait d’abord refuser cette demande, car Kobo dispose d’une mesure de réparation alternative appropriée en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi. Cette disposition permet aux tiers directement touchés par un consentement de demander au Tribunal de la concurrence (le Tribunal) d’en annuler ou d’en modifier une ou plusieurs modalités. Le commissaire maintient que Kobo ne devrait pas être autorisée à utiliser le processus de contrôle judiciaire de notre Cour pour contourner l’intention très claire du Parlement d’accorder un droit limité de révision de consentements en regard des motifs qu’une tierce partie pourrait soulever.

[4]        Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.          Les parties

[5]        Kobo est un détaillant de livres numériques. La société est établie à Toronto et détient des accords avec des auteurs, des éditeurs, et des distributeurs qui lui accordent le droit de vendre des livres numériques au Canada.

[6]        Le commissaire est l’autorité habilitée et chargée de l’administration et de l’exécution de la Loi. Dans le cadre de son mandat, le commissaire bénéficie du soutien du personnel du Bureau de la concurrence.

[7]        Les éditeurs défendeurs représentent trois des cinq plus grands éditeurs de livres et de livres numériques de non-fiction et de fiction pour le grand public.

III.         Les consentements

[8]        Le commissaire a signé des consentements séparés, mais pratiquement identiques, avec i) Hachette Book Group Canada Ltd et les deux filiales Hachette nommées précédemment (collectivement ci-après, Hachette), ii) Holtzbrinck Publishers, LLC (faisant affaire sous le nom Macmillan) (Macmillan), et iii) Simon & Schuster Canada, une division de CBS Canada Holdings Co. (Simon & Schuster).

[9]        De façon générale, les consentements traitent des restrictions à la concurrence sur les prix dans la vente de livres numérique au Canada qui, selon le commissaire, découlent d’un passage coordonné par les éditeurs défendeurs d’un modèle de vente en gros à un modèle de distribution d’agence.

[10]      Suivant le modèle de vente en gros, les éditeurs défendeurs établissaient un prix de détail suggéré pour leurs livres numériques, puis ils recevaient un pourcentage prédéterminé (habituellement 50 p. 100) du prix de détail suggéré pour chaque livre vendu, sans égard au prix véritablement facturé au consommateur par le détaillant. En contrepartie, dans un modèle d’agence, les détaillants sont nommés à titre d’agents non exclusifs pour la mise en marché et la vente de livres numériques au nom des éditeurs, lesquels établissent le prix de vente des livres. Les détaillants se font ensuite verser une commission (habituellement 30 p. 100) pour chaque livre vendu.

[11]      Les attendus de chacun des consentements disposent que le commissaire a conclu que les éditeurs défendeurs avaient mis en œuvre au Canada un arrangement conclu aux États-Unis avec au moins un autre concurrent quant à la vente de livres numériques dans ces deux pays (l’arrangement). Ces attendus mentionnent également que le commissaire a conclu que l’arrangement comprend des stipulations qui limite la capacité des détaillants de livres numériques de réduire les prix de ceux-ci. En outre, l’arrangement a aussi pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence dans le marché des livres numériques au Canada, en violation de l’article 90.1 de la Loi.

[12]      Par conséquent, et afin de contrer les effets anticoncurrentiels allégués de cette transition collective vers des accords d’agences, le consentement interdit aux éditeurs défendeurs de restreindre, limiter ou empêcher un détaillant de livres numériques dans sa capacité de fixer, modifier ou réduire le prix de détail d’un livre numérique pour vente aux consommateurs au Canada, ou d’offrir des rabais ou faire de la promotion commerciale pour encourager les consommateurs au Canada à acheter un ou plusieurs livres numériques. Le consentement interdit également aux éditeurs défendeurs de conclure avec un détaillant de livres numériques un accord ayant l’un de ces effets. Ces interdictions ont une durée de neuf mois et entrent en vigueur au plus tard à compter du 120e jour suivant l’enregistrement des consentements. Au cours de l’audience de cette demande, le commissaire a décrit ces interdictions comme étant la [traduction] « pièce maîtresse » des consentements, lesquels visaient à [traduction] « mettre le feu aux poudres de la concurrence » sur le marché du livre numérique au Canada. Kobo et les autres membres de l’industrie soutiennent que ces prohibitions viennent créer une version diluée du modèle d’agence.

[13]      D’autres dispositions des consentements interdisent aux éditeurs défendeurs de conclure avec des détaillants de livres numériques un accord, relativement à la vente de livres numériques aux consommateurs au Canada, contenant des genres particuliers de clauses de la nation la plus favorisée (clauses de prix NPF), et cela pour une période de trois ans à compter de la date d’enregistrement des consentements.

[14]      En outre, les consentements obligent les éditeurs défendeurs à prendre des mesures pour que soient résiliés, sans qu’ils soient renouvelés ou prolongés, les accords conclus avec des détaillants de livres numériques qui les empêchent d’offrir des rabais ou qui contiennent une clause de prix NPF. En lieu et place d’une résiliation, les consentements autorisent les éditeurs défendeurs à prendre certaines autres mesures pour répondre aux préoccupations du commissaire.

[15]      En mars 2017, j’ai rendu une ordonnance, sur consentement, suspendant l’exécution des consentements jusqu’au cinquième jour ouvrable suivant la décision de notre Cour quant à l’espèce (Rakuten Kobo Inc. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2017 CF 382 (Kobo 2017), au paragraphe 8).

[16]      Kobo soutient qu’elle subira des torts financiers considérables si les consentements sont mis en œuvre, car ses relations contractuelles avec les éditeurs défendeurs seront profondément modifiées. Le commissaire rétorque que Kobo souhaite simplement éviter de réduire ses prix de vente de détail afin de concurrencer.

IV.        Faits

[17]      Les interdictions prévues dans les consentements sont essentiellement les mêmes que celles contenues dans un consentement antérieur conclu entre le commissaire et les éditeurs défendeurs et HarperCollins Canada Limited (HarperCollins) en 2014 (le consentement initial), exception faite que celles-ci sont d’une durée plus limitée. Ces interdictions sont également semblables à celles prévues aux jugements définitifs rendus aux États-Unis en 2012.

[18]      Le consentement initial a été annulé par le Tribunal après qu’il eut conclu qu’il était insuffisant à certains chapitres (Rakuten Kobo Inc. v. Canada (Commissioner of Competition, 2016 Comp. Trib. 11, [2016] C.C.T.D. no 11 (QL) (Kobo 2016)). À première vue, les consentements comblent ces lacunes.

[19]      La résiliation par le Tribunal du consentement initial ne portait pas atteinte à la capacité du commissaire de conclure un nouveau consentement avec les éditeurs en question, fondé sur les conclusions qu’il pouvait tirer concernant les éléments du comportement susceptible de révision décrit au paragraphe 90.1(1) de la Loi.

[20]      Toutefois, alors que HarperCollins était partie au consentement initial, elle a apparemment refusé de conclure un consentement révisé. En conséquence, le commissaire a déposé une demande contestée devant le Tribunal contre HarperCollins. HarperCollins a ensuite déposé une requête en rejet sommaire de cette demande fondée sur les premier et troisième motifs de compétence soulevés par Kobo dans l’espèce.

[21]      Dans la décision Kobo 2017, précitée, j’ai suspendu l’audition de cette demande jusqu’à ce que le Tribunal rende sa décision à l’égard de ladite requête d’HarperCollins. J’ai conclu qu’il était préférable que la Cour puisse profiter des décisions du Tribunal concernant les questions de compétence soulevées dans les deux instances avant de se pencher elles-mêmes sur ces questions (Kobo 2017, précitée, au paragraphe 39).

[22]      Quelque temps plus tard, dans une décision de la main du juge Gascon, le Tribunal a rejeté la requête d’HarperCollins, concluant qu’il n’était pas évident et manifeste que i) le Tribunal n’avait pas compétence pour accorder la réparation demandée par le commissaire à l’égard de l’arrangement; et que ii) l’arrangement n’était plus « conclu ou proposé » (Canada (Commissioner of Competition) v. HarperCollins Publishers LLC, 2017 Comp. Trib. 10, [2017] C.C.T.D. no 10 (QL) (HarperCollins)). Par la suite, HarperCollins a signé un consentement avec le commissaire et déposé un avis de désistement de son appel de la décision du juge Gascon. Ce consentement n’a pas été contesté par Kobo dans le cadre de la présente demande.

[23]      Dans le cadre de la demande contestée à l’encontre d’elle, HarperCollins a soutenu que c’était le Tribunal qui n’avait pas compétence pour accorder la réparation demandée par le commissaire. En l’espèce, Kobo soutient que c’est le commissaire qui n’a pas la compétence de signer ces consentements. Or, cette distinction importe peu en l’espèce car j’estime que la compétence du commissaire en vertu de l’article 90.1 découle de la compétence du Tribunal. Par conséquent, si le Tribunal n’a pas compétence concernant une conduite en particulier, il en va de même pour le commissaire (Kobo 2017, précitée, au paragraphe 41).

[24]      Au même moment de l’enregistrement des trois consentements auprès du Tribunal, le commissaire a également déposé un quatrième consentement intervenu avec Apple Inc. et Apple Canada Inc. (ensemble, Apple). Ce consentement n’a pas été contesté par Kobo; il ne sera donc pas abordé davantage dans les présents motifs.

[25]      Bien que Kobo soit parvenue à convaincre le Tribunal d’annuler le consentement initial; il en fut autrement dans le cadre d’une procédure antérieure portant sur la portée des questions pouvant être soulevées par un tiers contestant un consentement en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi (Kobo Inc. v. The Commissioner of Competition, 2014 Comp. Trib. 14, 2014 CACT 14 (CanLII) (Kobo 2014)). Plus particulièrement, le Tribunal a conclu qu’il n’était pas loisible à Kobo de tenter d’établir, que ce soit par la voie d’une preuve factuelle ou autrement, qu’un ou plusieurs des éléments importants établis dans l’article 90.1 de la Loi n’était pas respecté, y inclus s’il y a présence d’un accord ou d’un arrangement ― soit conclu ou proposé ― entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents. Le Tribunal a statué que les litiges quant à la présence de ces éléments importants, ou d’autres ― notamment à savoir si l’accord avait pour effet d’empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence ― outrepassaient la portée du paragraphe 106(2). La Cour d’appel fédérale a maintenu cette décision dans l’arrêt Rakuten Kobo Inc. c. Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CAF 149 (Kobo CAF), autorisation d’interjeter appel à la C.S.C. refusée, 36554 (le 14 janvier 2016) [[2016] 1 R.C.S. xvi].

[26]      Hormis le fait que le Tribunal eut rejeté le point de vue de Kobo quant à la portée des questions pouvant être soulevées par des tiers dans des procédures intentées en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi, il a également observé que [traduction] « il pourrait être loisible à une partie de les soulever devant la Cour fédérale dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 » (Kobo 2014, précitée, au paragraphe 73 (citations omises)). La Cour d’appel fédérale a effectué un commentaire semblable (Kobo CAF, précité, au paragraphe 10).

V.        Dispositions législatives pertinentes

[27]      L’article 105 de la Loi prévoit la procédure entourant les consentements ainsi que l’enregistrement de ceux-ci auprès du Tribunal. Elle dispose :

Consentement

105 (1) Le commissaire et la personne à l’égard de laquelle il a demandé ou peut demander une ordonnance en vertu de la présente partie — exception faite de l’ordonnance provisoire prévue à l’article 103.3 — peuvent signer un consentement.

Contenu du consentement

(2) Le consentement porte sur le contenu de toute ordonnance qui pourrait éventuellement être rendue contre la personne en question par le Tribunal.

Dépôt et enregistrement

(3) Le consentement est déposé auprès du Tribunal qui est tenu de l’enregistrer immédiatement.

Effet de l’enregistrement

(4) Une fois enregistré, le consentement met fin aux procédures qui ont pu être engagées, et il a la même valeur et produit les mêmes effets qu’une ordonnance du Tribunal, notamment quant à l’engagement des procédures.

[28]      En vertu du paragraphe 106(2), les tiers peuvent demander au Tribunal d’annuler ou de modifier un consentement. Cette disposition prévoit :

106 […]

Personnes directement touchées

(2) Toute personne directement touchée par le consentement — à l’exclusion d’une partie à celui-ci — peut, dans les soixante jours suivant l’enregistrement, demander au Tribunal d’en annuler ou d’en modifier une ou plusieurs modalités. Le Tribunal peut accueillir la demande s’il conclut que la personne a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal.

[29]      L’article 90.1 accorde au Tribunal la compétence d’émettre deux types d’ordonnance concernant certains accords ou arrangements entre concurrents. Cette disposition prévoit :

Ordonnance

90.1 (1) Dans le cas où, à la suite d’une demande du commissaire, il conclut qu’un accord ou un arrangement — conclu ou proposé — entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents empêche ou diminue sensiblement la concurrence dans un marché, ou aura vraisemblablement cet effet, le Tribunal peut rendre une ordonnance :

a) interdisant à toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement — d’accomplir tout acte au titre de l’accord ou de l’arrangement;

b) enjoignant à toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement — de prendre toute autre mesure, si le commissaire et elle y consentent.

VI.        Question préliminaire

[30]      Le commissaire soutient que notre Cour devrait refuser cette demande, car Kobo dispose d’une mesure de réparation alternative appropriée en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi. Le commissaire soutient que Kobo ne devrait pas être autorisée à utiliser le mécanisme de contrôle judiciaire de notre Cour pour [traduction] « escamoter » le droit limité que le Parlement a permis aux tiers de demander au Tribunal d’examiner un consentement en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi.

[31]      Je suis d’accord. Cependant, je souscris à ce point de vue pour des motifs autres que le caractère approprié des réparations offertes à Kobo en vertu de cette disposition.

[32]      Dans l’affaire Strickland c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 37, [2015] 2 R.C.S. 713 (Strickland), la Cour suprême du Canada a modifié le cadre applicable à la décision d’une cour d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire d’entendre une demande de contrôle judiciaire. Cette décision a été rendue peu de temps après que la Cour d’appel fédérale ait reconnu le point de vue du Tribunal voulant que le contrôle judiciaire puisse être une avenue potentiellement ouverte aux tiers tels que Kobo, souhaitant contester un consentement intervenu avec le commissaire (Kobo CAF, précité).

[33]      La question centrale dans l’arrêt Strickland était à savoir si la Cour fédérale avait commis une erreur en exerçant son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’entendre une demande de jugement déclaratoire rendant illégales les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, DORS/97-175. La juge Gleason (tel était son titre à l’époque), dans sa conclusion, a souligné le rôle mineur que jouait notre Cour en ce qui concerne les questions relevant de la Loi sur le divorce, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 3, ainsi que l’étendue de la compétence et de l’expertise des cours supérieures provinciales quant aux questions de divorce et de pensions alimentaires pour enfants.

[34]      La Cour suprême a dressé une liste de facteurs pertinents à la décision d’une cour d’exercer ou non son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’entendre une demande de contrôle judiciaire. Ces facteurs sont les suivants :

i.     les objectifs et les considérations de principe qui sous-tendent le régime législatif en cause;

ii.    la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation;

iii.   l’expertise relative de l’autre décideur;

iv.    la nature de l’erreur alléguée;

v.     l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige;

vi.    la célérité;

vii.   la commodité de l’autre recours;

viii.  l’utilisation économique des ressources judiciaires; et

ix.    les coûts.

(Strickland, précité, au paragraphe 42.)

[35]      La Cour a souligné que ces catégories de facteurs pertinents n’étaient pas limitatives, et qu’il revenait aux cours de cerner et de pondérer les facteurs pertinents en regard du contexte du dossier. La Cour, abordant sur ce point, a dit :

[…] La cour doit tenir compte non seulement de l’autre recours disponible, mais aussi de la pertinence et du caractère opportun du contrôle judiciaire dans les circonstances. Bref, la question ne consiste pas simplement à décider si quelque autre recours est adéquat, mais également s’il convient de recourir au contrôle judiciaire. En définitive, cela requiert une analyse du type de la prépondérance des inconvénients.

(Strickland, précité, au paragraphe 43.)

[36]      Finalement, la Cour s’en est remise à des considérations qui « touchent davantage au caractère inopportun d’un contrôle judiciaire en Cour fédérale dans la présente affaire qu’à la simple question de savoir s’il est possible pour les appelants d’obtenir ailleurs une réparation comparable à celle qu’ils demandent » (Strickland, précité, au paragraphe 46). À cet égard, la Cour a conclu que la procédure de contrôle judiciaire des appelants devant la Cour fédérale était « profondément incompatible avec les choix fondamentaux du législateur quant à la juridiction compétente pour instruire les questions importantes de droit de la famille » (Strickland, précité, au paragraphe 51).

[37]      La Cour du banc de la Reine de l’Alberta est parvenue à une conclusion semblable dans le dossier subséquent 797175 Alberta Ltd. (Agent of) v. Calgary (City), 2017 ABQB 18, 49 Alta. L.R. (6th) 114 (797175). Dans cette affaire, la question était à savoir si la Cour devrait entendre une demande de contrôle judiciaire d’une décision du Calgary Composite Assessment Review Board quant à une évaluation foncière. Les parties s’entendaient sur le fait que cette demande portait sur des questions mixtes de fait et de droit lesquelles sont sans appel en vertu de la disposition pertinente de la Municipal Government Act, R.S.A. 2000, ch. M-26. Refusant la demande sans examiner ces questions, la Cour a tenu les propos suivants [aux paragraphes 35–37] :

[traduction] Il existe de solides motifs politiques enjoignant à la Cour de s’abstenir d’usurper l’intention du législateur en examinant le fond factuel des décisions des comités d’évaluation. L’article 470 joue un rôle important de gardien en réglementant l’accès au processus d’appel, en partie pour des raisons d’efficacité et d’économie des ressources judiciaires. La Ville et la Commission ont souligné qu’à défaut de cette disposition, il y aurait un véritable risque « d’avalanche » en raison du nombre de plaintes en lien avec les évaluations chaque année; du volume imposant d’éléments de preuve et de documents souvent produits dans le cadre de telles audiences; et du fait que les contribuables pourraient contester les évaluations tous les ans.

Eu égard à ce qui précède, la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire pour refuser d’accueillir le contrôle judiciaire d’une décision portant sur des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, sauf dans des circonstances extraordinaires, lesquelles n’ont pas été avancées dans l’espèce et ne sont pas devant notre Cour.

À mon avis, le droit à une révision garantie par la Constitution des décisions administratives relève d’un exercice discrétionnaire; il n’est pas absolu et il doit absolument être pondéré en regard des objectifs et des considérations de principes, comme statué dans Strickland.

[38]      La Cour, rendant la conclusion précédente, a été guidée par la Cour d’appel de l’Alberta dans l’arrêt Real Estate Council of Alberta v. Henderson, 2007 ABCA 303, 80 Alta. L.R. (4th) 1 (Henderson) [au paragraphe 26] :

[traduction] [...] Les demandes en contrôle judiciaire ne devraient pas servir à escamoter les restrictions législatives aux droits d’appel. Par conséquent, nous serions peu disposés à accueillir une demande en contrôle judiciaire, même s’il nous semblait que le comité était parvenu à la mauvaise conclusion, mais qu’il avait suivi un processus conforme à la loi. Autrement, les demandes de contrôle judiciaire pourraient servir à accomplir indirectement ce qui ne peut l’être directement; soit obtenir un appel à l’encontre de l’intention du législateur.

[39]      À mon avis, le raisonnement adopté dans les décisions Strickland, 797175 et Henderson mène à un résultat semblable dans l’espèce. En d’autres mots, l’évaluation des facteurs identifiés ainsi que l’importance de ceux-ci dans ces dossiers me mènent à conclure que je devrais exercer mon pouvoir discrétionnaire pour rejeter la présente demande sur le fond.

[40]      Étant donné les circonstances particulières de l’espèce, les trois premiers facteurs énoncés dans l’arrêt Strickland sont les plus pertinents de la liste figurant au paragraphe 34 ci-haut. Toutefois, j’analyserai brièvement chacun d’entre eux dans les paragraphes suivants. Les parties n’ont pas identifié de facteurs supplémentaires devant être considérés. Cependant, j’estime que le pouvoir discrétionnaire élargi du commissaire lui permettant de régler des dossiers par la voie de consentements pourrait constituer un tel facteur (Kobo 2014, précitée, aux paragraphes 3, 32 et 95). À mon avis, ce facteur peut être pris en compte dans l’analyse des buts et des objectifs qui sous-tendent les articles 105 et 106 de la Loi.

i.     Les objectifs et les considérations de principe qui sous-tendent le régime législatif en cause

[41]      Ce facteur a été examiné de façon exhaustive dans la décision Kobo 2014, précitée, aux paragraphes 35–79. Aux fins de l’espèce, les renseignements les plus pertinents se retrouvent dans les passages suivants [aux paragraphes 50, 51, 70, 71, 74, 75 et 76] :

[traduction] Les parties s’entendent que le « méfait » que le Parlement souhaitait contrer en 2002 en établissant le processus de consentement, désormais incarné par les articles 105 et 106, tenait compte des coûts, du délai et de l’incertitude importants de l’ancien processus de consentement. Ces problèmes provenaient souvent du fait que le processus « générait trop d’incitatifs, trop de façons dont les tiers pouvaient s’immiscer au processus et le rallonger [...] » (observations verbales de Kobo, Transcription, aux pages 101-102 et 166).

Il est incontesté que ces problèmes décourageaient les entreprises de prendre part au processus de consentement et a donné naissance à une pratique de négociation « d’engagements » avec le commissaire, lesquels n’étaient peut-être pas exécutoire. Il y avait un consensus répandu voulant que le processus de consentement était [traduction] « dysfonctionnel et il devait être réparé ».

[...]

À mon avis, il est très clair, en regard de l’historique législatif, y compris du témoignage de M. von Finckenstein, que le Parlement n’avait pas l’intention de confier au Tribunal la compétence d’entendre et d’arbitrer des litiges factuels quant aux motifs des conclusions du commissaire, que ce soit quant aux éléments de fond des pratiques commerciales susceptibles d’examen, ou quant aux moyens de défense et aux exceptions prévues à la Loi en regard de celles-ci.

Comme Kobo le reconnaît, les modifications de 2002 aux articles 105 et 106 visaient, entre autres, à simplifier le processus de règlement et à le rendre plus rapide et prévisible (Rona Inc. v Commissioner of Competition, 2005 Comp. Trib. 18, au para 77).

[...]

Les deux modifications proposées par M. von Finckenstein, et acceptées par le Comité, avaient pour effet de retirer au commissaire la capacité d’inclure des modalités aux consentements qui ne pourraient pas être imposées par le Tribunal, ainsi que d’accorder une capacité très limitée aux tiers de s’adresser au Tribunal pour obtenir l’annulation ou la modification d’une ou de plusieurs modalités d’un consentement. La compétence du Tribunal en vertu du paragraphe 106(2) pour accueillir la demande est limitée aux circonstances où le demandeur « a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal ».

La meilleure preuve qui soit de l’intention sous-tendant ce vocabulaire est le témoignage de M. von Finckenstein : c’est lui qui a proposé cette formule et le texte pour les articles 105 et 106 lors de la présentation à la première lecture du projet de loi C-23.

À mon avis, il est clair du témoignage de M. von Finckenstein que l’expression « a établi que les modalités ne pourraient faire l’objet d’une ordonnance du Tribunal » visait à signifier que le demandeur [traduction] « a établi que les modalités du consentement ne correspondent pas au type d’ordonnance(s) que peut rendre le Tribunal en regard de la pratique commerciale susceptible de révision visée ». En d’autres termes, le Parlement, en édictant la proposition de M. von Finckenstein, mot pour mot, après avoir entendu son témoignage très pointu, semble avoir simplement eu l’intention d’exclure les modalités qui ne relevaient pas du type d’ordonnance que peut rendre le Tribunal en regard d’une pratique commerciale susceptible de révision, selon la définition du paragraphe 106(2). De plus, le dossier législatif ne vient pas appuyer l’interprétation plus généreuse que soutient Kobo. [Souligné dans l’original.]

[42]      En résumé, les objectifs et les considérations de principes sous-tendant le modèle des consentements figurant maintenant aux articles 105 et 106 sont de [traduction] « à simplifier le processus de règlement et à le rendre plus rapide et prévisible ». Cet objectif a été atteint en élimant la capacité antérieure du Tribunal à entendre et à arbitrer des litiges factuels soulevés par des tiers, tels que ceux soulevés par les deuxième et troisième contestations de la « compétence » avancées par Kobo dans l’espèce. Le Parlement a finalement décidé de limiter les droits des tiers aux questions liées aux modalités d’un consentement qui [traduction] « ne correspondent pas au type d’ordonnance(s) que peut rendre le Tribunal en regard de la pratique commerciale susceptible de révision visée ».

[43]      À mon avis, l’intention et les considérations de principe susmentionnées penchent fortement en faveur du rejet de la présente demande.

ii.    La nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation

[44]      Le Tribunal est une instance administrative spécialisée reconnue comme « [étant] particulièrement bien placé[e] pour surveiller un régime législatif complexe, dont les objectifs sont singulièrement économiques » (Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 49; Canada (Commissaire de la Concurrence) c. Supérieur Propane Inc., 2001 CAF 104 (Supérieur Propane), au paragraphe 57 [au paragraphe 77 dans [2001] 3 C.F. 185]).

[45]      En vertu du paragraphe 8(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, le Tribunal « a, pour la comparution, la prestation de serment et l’interrogatoire des témoins, ainsi que pour la production et l’examen des pièces, l’exécution de ses ordonnances et toutes autres questions relevant de sa compétence, les attributions d’une cour supérieure d’archives ».

[46]      Le Tribunal dispose également d’une capacité de réparation en vertu de paragraphe 106(2) de la Loi lui permettant d’annuler ou de modifier des consentements. Or, Kobo a soutenu au cours de l’audience en l’espèce que le Tribunal ne peut pas agir ainsi, conformément aux deuxième et troisième « contestations de la compétence » qu’elle avance désormais. En dépit du fait que Kobo et le commissaire interprètent tous deux ma décision dans l’affaire Kobo 2014 comme empêchant Kobo de déposer la première question de compétence avancée dans l’espèce, je ne suis pas d’accord. À mon avis, la question à savoir si les accords anticoncurrentiels conclus à l’extérieur du Canada sont visés par l’article 90.1 importe la question de savoir si le consentement est [traduction] « une mesure que le Tribunal n’aurait pas pu prendre » ou s’il se situe [traduction] « à l’extérieur du pouvoir du Tribunal » (Kobo 2014, précitée, au paragraphe 77). Conséquemment, il s’agit d’une question qui pourrait être légitimement soulevée devant le Tribunal par un tiers en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi. Cependant, ce n’est pas la voie qu’a suivie Kobo ni quant au consentement initial ni quant aux consentements visés par l’espèce.

[47]      Néanmoins, étant donné que Kobo ne peut pas, en vertu du paragraphe 106(2), tel qu’interprété dans la décison Kobo 2014 et dans l’arrêt Kobo CAF, précités, soulever les deux autres questions de « compétence » figurant dans sa demande, j’estime que ce facteur pèse en faveur d’entendre celle-ci sur le fond.

iii.      L’expertise relative de l’autre décideur

[48]      Kobo avance que ce facteur devrait avoir un effet plutôt neutre, car les juges de notre Cour affectés aux dossiers liés à la Loi sont souvent également membres du Tribunal. Bien que ce puisse être exact à l’heure actuelle, ce ne fut pas toujours le cas, et ce ne sera peut-être pas ainsi à l’avenir.

[49]      Les juges de notre Cour qui sont également membres du Tribunal sont censés « avoir un degré d’expertise ou d’expérience dans ce domaine du droit supérieur à celui qu’a acquis un juge dans le cours normal de ses fonctions judiciaires » (Supérieur Propane, précité, au paragraphe 56 [au paragraphe 76 dans [2001] 3 C.F. 185]). Ceci s’explique en partie par le fait qu’ils bénéficient de l’assistance des membres non juges lorsqu’ils siègent comme juges dans une formation du Tribunal.

[50]      Eu égard à ce qui précède, j’estime que ce facteur pèse à l’encontre de l’audition de la présente demande.

iv.      La nature de l’erreur alléguée

[51]      Les trois motifs avancés par Kobo dans la présente demande sont dits des « contestations de la compétence ». Cependant, comme je l’aborderai dans la partie VIII des présents motifs, j’estime que seule la première de ces contestations soulève une véritable question de compétence. À l’instar de mes commentaires susmentionnés, la question vise à savoir si l’article 90.1 de la Loi s’applique à un accord anticoncurrentiel conclu à l’extérieur du pays. Les deux autres « contestations de la compétence » avancées par Kobo sont fondées en grande partie sur les litiges factuels à savoir si i) le passage d’un modèle de vente en gros des livres numériques à un modèle d’agence au Canada découle de l’entente convenue aux États-Unis et décrite dans les attendus des consentements; et si ii) l’arrangement était « conclu ou proposé » au moment de l’exécution et de l’enregistrement des consentements auprès du Tribunal.

[52]      J’estime que le fait qu’une des questions soulevées par Kobo soit véritablement une question de compétence devrait habituellement peser en faveur d’une décision discrétionnaire de la Cour permettant d’entendre l’espèce. Or, je considère également que cette question pourrait être soulevée devant le Tribunal; ainsi, j’estime que ce facteur ne pèse pas en faveur d’une décision discrétionnaire menant à entendre l’espèce (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654 (Alberta Teachers), aux paragraphes 24 et 25; Alberta (Éducation) c. Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2010 CAF 198, [2011] 3 R.C.F. 223 (Access Copyright), au paragraphe 70, infirmé pour d’autres motifs par 2012 CSC 37, [2012] 2 R.C.S. 345, aux paragraphes 10–11 et 59–60). Étant donné que cette question a été le sujet d’un débat actif depuis de nombreuses années, tant ici qu’à l’étranger, il serait particulièrement intéressant de bénéficier de l’expertise reconnue du Tribunal sur celle-ci.

[53]      Le fait que les deux autres « contestations de la compétence » soient largement fondées sur un litige factuel ne pèse également pas en faveur d’un exercice discrétionnaire permettant à la Cour d’entendre l’espèce.

v.     L’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige

[54]      Comme je l’ai mentionné plus tôt, la première et la troisième question soulevée par Kobo dans l’espèce ont déjà été examinées par le Tribunal dans la décision HarperCollins, précitée. Cependant, les consentements ne sont pas attaqués dans cette procédure ou dans toute autre procédure à ma connaissance. Conséquemment, ce facteur pèse en faveur d’une décision discrétionnaire permettant d’entendre l’espèce sur le fond.

vi.    La célérité

[55]      À mon avis, ce facteur n’a aucune pertinence indépendante dans l’espèce, car l’incapacité de Kobo à soulever deux des trois « contestations de la compétence » avancées dans sa demande a déjà été examinée et pondérée plus haut. Il n’y a aucune question séparée à savoir si la réparation demandée par Kobo pourrait être traitée plus rapidement devant notre Cour, par rapport à une autre instance. Le fait qu’une procédure de contrôle judiciaire puisse être plus expéditive qu’une procédure intentée en vertu du paragraphe 106(2) devant le Tribunal est analysé séparément plus bas.

vii.   La commodité de l’autre recours

[56]      Kobo soutient que ce facteur pèse en faveur d’un exercice discrétionnaire de notre Cour permettant d’entendre sa demande. En outre, elle avance qu’il est peu probable qu’elle parvienne à soulever les trois questions devant le Tribunal, et le commissaire a déjà affirmé qu’il s’opposerait à toute tentative de Kobo en ce sens devant cette instance. Je suis d’accord. Or, étant donné que j’ai déjà statué que Kobo ne pouvait pas soulever deux des trois « contestations de la compétence » dans l’espèce, ce facteur ne devrait pas peser davantage dans l’analyse.

viii.  L’utilisation économique des ressources judiciaires

[57]      La nature des procédures de contrôle judiciaire est telle qu’elles peuvent souvent être tranchées plus rapidement et avec moins de ressources judiciaires que les procédures devant le Tribunal, lesquelles nécessitent souvent la présence de deux juges. À tout événement, étant donné que les procédures de contrôle judiciaire de notre Cour sont entendues par un seul juge, contrairement aux procédures en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi, lesquelles nécessitent la présence de trois membres du Tribunal, j’estime que ce facteur pèse en faveur de l’audition de la demande sur le fond.

ix.    Les coûts

[58]      Tel que mentionné précédemment dans la décision Kobo 2014, précitée, au paragraphe 50, le « méfait » que souhaitait contrer le Parlement lorsqu’il a établi le modèle de consentement actuel figurant aux articles 105 et 106 de la Loi tenait compte des coûts importants découlant de l’ancien processus de consentement. (Voir la citation reproduite au paragraphe 41 ci-haut.) Le Tribunal, dans la décision Kobo 2014, abonde dans le même sens au paragraphe 42 [traduction] : « si une ou plusieurs des conclusions du commissaire quant aux éléments des pratiques pertinentes restreignant le commerce pouvaient être contestées en vertu du paragraphe 106(2), il serait alors possible de soulever, au sein d’une procédure typique, une gamme de questions complexes beaucoup plus vaste que prévu par cette disposition, et qui n’avaient jamais été soulevées dans l’ancien processus ». Il pourrait en être de même si ces mêmes types de questions pouvaient être contestés dans le cadre d’une procédure de contrôle judiciaire devant notre Cour, tel comme le demande Kobo dans l’espèce. En d’autres mots, les coûts publics et privés associés aux procédures judiciaires devant notre Cour pourraient être très importants, y compris pour les parties privées qui ont convenu d’un règlement avec le commissaire par la voie de consentement.

[59]      Conséquemment, j’estime que ce facteur pèse à l’encontre de l’audition de la présente demande.

x.     Sommaire

[60]      En résumé, les facteurs qui pèse en faveur du rejet de l’espèce sont les suivants : i) les objectifs et les considérations de principes sous-tendant le modèle des consentements, ii) l’expertise du Tribunal relativement à celle de notre Cour, iii) la nature des erreurs alléguées comme ayant été commises par le commissaire, et iv) les coûts privés et publics qui seraient probablement associés au fait de permettre à des tiers de demander le contrôle judiciaire de conclusions rendues par le commissaire quant aux éléments de fond de pratiques commerciales susceptibles de révision ou des moyens de défense et d’opposition établis dans la Loi en regard de ces pratiques commerciales.

[61]      En contrepartie, les facteurs qui pèsent en faveur d’entendre la présente demande sur le fond sont i) la nature de l’autre tribunal qui pourrait statuer sur la question et sa faculté d’accorder une réparation; ii) l’existence d’un recours adéquat et efficace devant le tribunal déjà saisi du litige; et iii) l’utilisation économique des ressources judiciaires.

[62]      Afin d’éviter un double calcul, les facteurs qui ne méritent aucun poids supplémentaire dans les circonstances particulières de l’espèce sont la commodité de l’autre recours et la célérité.

[63]      Ayant pondéré les différentes considérations susmentionnées, j’estime qu’il ne serait pas approprié que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande de Kobo sur le fond. Cette conclusion est particulièrement à propos étant donné que le contraire serait « profondément incompatible avec les choix fondamentaux du législateur » à propos de la portée des droits des tiers en regard des consentements enregistrés par le commissaire auprès du Tribunal (Strickland, précité, au paragraphe 51; voir également 797175, précité, aux paragraphes 35–37, et Henderson, précité, au paragraphe 26).

[64]      Étant donné l’analyse qui précède, j’estime que les demandes de contrôle judiciaire de consentement enregistré auprès du Tribunal et déposées par des tiers devraient seulement être entendues dans des cas exceptionnels. Bien qu’il est toujours difficile d’identifier de tels dossiers à l’avance, ils comprendraient les dossiers fondés sur i) des questions constitutionnelles ii) des questions d’importance centrale au système judiciaire dans son ensemble et outrepassant la compétence spécialisée du Tribunal (comme les allégations de partialité ou de mauvaise foi de la part du commissaire), iii) les véritables questions de compétence, ou iv) les questions portant sur les limites de la compétence du commissaire (ou du Tribunal) et un autre tribunal spécialisé. Je remarque que ces motifs sont si importants qu’ils s’évaluent selon la norme de la décision correcte lorsque les décisions afférentes sont rendues par un tribunal administratif ou d’autres décideurs (Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, [2016] 2 R.C.S. 293 (Edmonton East), au paragraphe 24).

[65]      Pour les motifs susmentionnés, bien que la première question des trois questions de compétence soulevées par Kobo dans cette demande puisse véritablement se qualifier comme ainsi, j’estime qu’il serait plus approprié de la présenter au Tribunal (Alberta Teachers, précité; Access Copyright, précité).

[66]      En outre, les deux autres questions soulevées par Kobo, quoique qualifiées de « contestations de la compétence », sont plutôt de nature factuelle. Étant donné le choix clair du Parlement visant à imposer des limites rigoureuses à la capacité des tiers à contester les consentements en vertu du paragraphe 106(2) de la Loi, j’estime que notre Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire et contrôler les conclusions du commissaire quant à de telles questions. En effet, exception faite de circonstances exceptionnelles, la même logique s’appliquerait aux questions mixtes de fait et de droit.

[67]      Néanmoins, advenant qu’on détermine que j’ai commis une erreur en concluant ainsi, j’analyserai le fond de la demande de Kobo, plutôt que de la soumettre, ainsi que le commissaire et les éditeurs défendeurs, à la possibilité d’avoir à les traiter éventuellement à l’avenir. Par ailleurs, ayant entendu la demande et étant très bien informé des questions précises avancées par Kobo, j’estime qu’il est judicieux que je les aborde dans un intérêt d’économie des ressources judiciaires. Je suis également conscient du fait que le commissaire et les éditeurs défendeurs essaient de régler ces dossiers depuis le consentement initial enregistré en début 2014 et que Kobo a depuis réussi à les en empêcher, alors qu’ils visaient à faire bénéficier les Canadiens de prix plus concurrentiels sur les livres numériques.

VII.       Questions en litige

[68]      Les questions soulevées par Kobo et restantes à trancher dans l’espèce sont les suivantes :

i.     Le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence en signant des consentements visant à remédier à un complot formé aux États-Unis, et non au Canada, et qui a depuis été réglé par les tribunaux américains et les autorités antitrust?

ii.    Le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence en signant des consentements pour remédier à « un accord » qui, selon la portée de l’article 90.1 de la Loi, n’a jamais existé?

iii.   Le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence en signant des consentements pour remédier à un arrangement qui n’était pas « conclu ou proposé » au moment de la conclusion de ceux-ci?

[69]      Dans son avis de demande et ses observations écrites, Kobo semble également soulever une quatrième question en alléguant que le commissaire a commis une erreur en concluant que les consentements pouvaient remédier à ses préoccupations quant à la concurrence. Cependant, durant l’audition de la demande, Kobo a confirmé qu’elle ne soulevait pas cette allégation en qualité de motif supplémentaire pour demander un contrôle judiciaire.

VIII.      Norme de contrôle

[70]      Comme je l’ai mentionné, nonobstant la caractérisation de Kobo des trois questions soulevées comme portant sur la « compétence », j’estime que seule la première répond à cette définition.

[71]      Le commissaire a qualifié la première de question d’interprétation des lois, laquelle s’apprécie en regard de la norme de la décision raisonnable (Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 34 et 39; Edmonton East, précité, aux paragraphes 22 et 26).

[72]      Toutefois, la question de savoir si une autorité chargée d’exécuter la loi ou un organisme d’arbitrage est à même de traiter une conduite qui s’est déroulée dans un pays a depuis longtemps été considérée comme une question de compétence (nommément « d’objet » ou de compétence « fondamentale »).

[73]      Comme l’a remarqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape), au paragraphe 57 : « [d]e façon générale, la compétence renvoie au pouvoir de l’État d’exercer son autorité et ses attributions publiques à l’égard de personnes, d’actes et d’événements » (je souligne). Au paragraphe 59 de sa décision, la Cour a remarqué que « [l]a première assise de sa compétence est la territorialité » (citant Libman c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 178 (Libman), à la page 183 (je souligne)).

[74]      Dans l’arrêt Libman, précité, le juge La Forest a passé en revue la démarche historique du Canada en matière pénale et a conclu « à mesure que le temps passait, les tribunaux ont commencé à interpréter leur compétence territoriale de façon plus libérale », y compris « lorsque les conséquences d’un crime étaient ressenties au Canada » (à la page 206 (je souligne)). Plus tard dans cette décision, il a remarqué que « les tribunaux canadiens (tout comme ceux d’Angleterre et d’autres pays à ce sujet) ont fréquemment assumé compétence relativement à des infractions comportant un élément d’extranéité, commises en partie au Canada, lorsqu’ils ont estimé que le pays avait un intérêt légitime à le faire » (à la page 209 (je souligne)). Finalement, il a conclu « il suffit, pour soumettre une infraction à la compétence de nos tribunaux, qu’une partie importante des activités qui la constituent se soit déroulée au Canada » et « qu’il y ait un “lien réel et important” entre l’infraction et notre pays » (aux pages 212 et 213 (je souligne)).

[75]      De façon similaire, dans l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427 (SOCAN), au paragraphe 63, la Cour suprême a statué : « [n]otre Cour a généralement reconnu l’existence d’un “lien” justifiant l’exercice de la compétence lorsque le Canada était le pays de transmission [...] ou de réception » (citations omises, je souligne [italiques dans l’original]).

[76]      Puis, dans l’arrêt Lapointe Rosenstein Marchand Melançon LLP c. Cassels Brock & Blackwell LLP, 2016 CSC 30, [2016] 1 R.C.S. 851 (Lapointe), au paragraph 25, la Cour suprême a soutenu : « [a]vant qu’une cour puisse se déclarer compétente à l’égard d’une demande, il faut lui démontrer l’existence d’un “lien réel et substantiel” entre les circonstances à l’origine de la demande et le ressort où la demande est présentée » (citations omises, je souligne). La Cour a fait une remarque semblable dans l’arrêt Sun-Rype Products Ltd. c. Archer Daniels Midland Company, 2013 CSC 58, [2013] 3 R.C.S. 545 (Sun-Rype), au paragraphe 45 (voir également Airia Brands Inc. v. Air Canada, 2017 ONCA 792, 417 D.L.R. (4th) 467, au paragraphe 52).

[77]      Je reconnais que la Cour suprême a statué que les véritables questions de compétence sont rares (Edmonton East, précité, au paragraphe 26; Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 33 et 34). Cependant, j’estime que l’espèce constitue l’une de ces rares occasions. En outre, si la capacité d’un agent de l’État tel que le commissaire à agir en regard d’une conduite survenue à l’extérieur du Canada ayant des effets à l’intérieur de ses frontières n’emporte pas une véritable question de compétence, il m’est difficile de concevoir ce qui pourrait l’être. Comme l’a mentionné l’avocat du commissaire, à propos d’un autre point, la question porte sur [traduction] « la compétence fondamentale ou la portée de la Loi sur la concurrence ».

[78]      En tant que véritable question de compétence, la définition de la portée territoriale de l’article 90.1 s’apprécie selon la norme de la décision correcte (Alberta Teachers, précité, au paragraphe 30; Edmonton East, précité, au paragraphe 24).

[79]      Par contre, les deuxième et troisième questions soulevées par Kobo sont majoritairement de nature factuelle, en dépit d’être qualifiée comme étant relative à la « compétence ». Il ne s’agit pas de véritables questions de compétence. Kobo ne s’oppose pas à l’interprétation des mots « arrangement » ou « conclu ou proposé » énoncés dans l’article 90.1 de la Loi par le commissaire. Kobo conteste plutôt les conclusions factuelles du commissaire ainsi que son omission alléguée de tenir compte de certains renseignements qu’elle avait fourni au Bureau de la concurrence dans ses conclusions.

[80]      Étant majoritairement des questions de fait, les deuxième et troisième questions soulevées par Kobo s’apprécient selon la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 53 et 54). Cette conclusion s’applique même aux questions dites d’interprétation des lois (Alberta Teachers, précité, aux paragraphes 33–34 et 39; Edmonton East, précité, aux paragraphes 22 à 26), et même s’il est allégué que le décideur administratif a commis une erreur en rendant sa décision sans tenir compte des éléments dont il disposait (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 45 et 46).

IX.        Discussion

A.   Le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence en signant des consentements visant à remédier à un complot survenu aux États-Unis, et non au Canada, et qui a depuis été réglé par les tribunaux américains et les autorités antitrust?

1)    Les observations des parties

[81]      Kobo soutient que le commissaire a outrepassé sa compétence en signant des consentements visant à remédier à un accord conclu aux États-Unis, conformément à ceux-ci et de l’admission de celui-ci.

[82]      Kobo avance que la compétence du commissaire est limitée aux paramètres de la Loi et que le libellé de l’article 90.1 ne lui confère pas la compétence en regard d’accords ou d’arrangements convenus à l’extérieur du Canada.

[83]      Kobo avance de plus que la présomption à l’encontre de l’application extraterritoriale des lois fédérales, telles que la Loi, peut également être renversée par un libellé exprès ou l’implication nécessaire; or, ces deux éléments sont absents et ne peuvent pas être déduits (SOCAN, précité, au paragraphe 54). À cet égard, Kobo estime que le libellé des articles 46 et 83 de la Loi démontre que le Parlement utilise un libellé exprès lorsqu’il vise à ce qu’une disposition soit applicable de façon extraterritoriale. De l’avis de Kobo, l’absence de libellé exprès de l’article 90.1 signifie que le Parlement n’entrevoyait pas que cette disposition s’applique aux accords conclus à l’extérieur du Canada.

[84]      Kobo affirme également que le critère du « lien réel et substantiel » ne s’applique pas dans ce contexte, car il vise uniquement les circonstances où le Parlement n’a pas manifesté une intention claire de donner une portée extraterritoriale à une loi ou lorsqu’il n’est pas clair que les faits se situent à l’intérieur du champ d’application territorial d’une loi. Kobo soutient que ni l’une ni l’autre de ces conditions préalables ne s’appliquent, car l’intention du Parlement est manifeste en regard de la portée territoriale de l’article 90.1 et le commissaire a reconnu que l’arrangement attaqué avait été conclu à l’extérieur du Canada.

[85]      Finalement, Kobo maintient que le dossier des débats législatif indique que le Parlement était conscient, avant d’édicter l’article 90.1, que les dispositions dites « civiles » de la Loi n’emportaient pas de compétence extraterritoriale.

[86]      Je m’arrêterai un instant pour aborder ce dernier point maintenant, car il peut être tranché plutôt rapidement. En résumé, les dossiers auxquels fait référence Kobo ne sont pas particulièrement utiles dans le contexte de l’espèce. En outre, ils portent sur des préoccupations liées à la coopération internationale quant à leur exécution et aux difficultés qui peuvent subvenir dans l’obtention d’éléments de preuve à l’étranger dans le contexte où les traités d’entraide juridique ne portent pas sur les matières civiles. Ces dossiers ne font aucunement mention de l’article 90.1 ou de toute autre disposition de la Loi. (Au surplus, ils sont antérieurs à l’ajout de la disposition à la Loi de plusieurs années.) Conséquemment, je n’aborderai pas davantage cet élément en particulier.

[87]      En réponse, le commissaire soutient que l’interprétation de l’article 90.1 suggérée par Kobo ne serait pas conforme à l’esprit de la Loi et aurait un résultat absurde ou à l’antithèse de la celle-ci. Ainsi, le commissaire maintient que la règle d’exclusion implicite d’interprétation des lois, sur laquelle semble s’appuyer Kobo lorsqu’elle tire des déductions du libellé des articles 46 et 83 de la Loi, n’a aucune application.

[88]      De plus, le commissaire affirme que le fait que l’arrangement attaqué eut été conclu aux États-Unis n’équivaut pas, en soi, à une application extraterritoriale de l’article 90.1. En outre, il soutient que bien que l’arrangement fut formulé à l’étranger, il visait précisément, et a été mis en œuvre comme tel, à avoir des répercussions sur la concurrence au Canada. Le commissaire remarque que la Loi a régulièrement été appliquée de cette façon dans des circonstances semblables par le passé.

[89]      De plus, le commissaire soutient que même si l’article 90.1 avait été appliqué de façon extraterritoriale dans les circonstances en l’espèce, la présomption à l’encontre de cette application est renversée par implication nécessaire. L’implication nécessaire se retrouve dans la réalité pratique des échanges commerciaux et des marchés antitrust qui ne respectent pas les frontières nationales. De plus, le commissaire soutient que, dans la mesure où la question territoriale est visée, l’article 90.1 ne se distingue pas des fusionnements et des autres dispositions de la Loi qui ont été appliquées, depuis longtemps, à des acteurs et à des conduites économiques dont les origines se situent à l’extérieur des frontières canadiennes, mais qui visent, et ont été mises en œuvre, de façon à avoir des répercussions au Canada.

2)    Discussion

a)    Cadre analytique

[90]      La question soulevée par Kobo quant à la compétence du commissaire en regard des arrangements convenus à l’extérieur du Canada est essentiellement la même que celle soulevée dans la décision HarperCollins, précitée, quant à la compétence du Tribunal par rapport à de tels arrangements. Puisque la compétence du commissaire en vertu de l’article 90.1 découle de la compétence du Tribunal quant aux accords et aux arrangements entrevus par cette disposition, j’estime que l’analyse rigoureuse du juge Gascon dans cet affaire constitue un point de départ utile dans l’espèce. Ceci, malgré le fait que l’interprétation correcte de l’article 90.1 ne fût pas le point central de l’analyse du juge Gascon. En outre, il s’est plutôt penché sur la question à savoir s’il était évident et manifeste que l’article 90.1 n’accordait aucune compétence au Tribunal en regard des accords ou des arrangements conclus à l’étranger.

[91]      Dès le début de son analyse, le juge Gascon a souligné l’importance de distinguer les concepts de la portée territoriale et extraterritoriale qui peuvent être prévus par une loi (HarperCollins, précitée, aux paragraphes 68 à 70).

[92]      Sauf mention implicite ou explicite dans une loi, la compétence territoriale est présumée à l’égard [traduction] « des personnes, des biens, des actes et des événements juridiques survenant à l’intérieur des frontières territoriales » de la juridiction de l’organisme législatif pertinent (Pierre-André Côté, The Interpretation of Legislation in Canada, 4e éd. (Toronto : Carswell, 2013) (Côté), à la page 212).

[93]      Par exemple, en vertu du principe objectif de la territorialité, un État peut invoquer sa compétence à l’égard d’une conduite qui débute ou qui se produit à l’intérieur de ses frontières dans deux situations générales. La première est lorsque la conduite est complétée à l’intérieur de ces frontières. La seconde est lorsqu’un élément constitutif d’une disposition législative à l’égard de la conduite se déroule à l’intérieur de ces frontières. Dans chacune de ces situations, l’État est en droit d’invoquer sa compétence territoriale, car celles-ci « rattach[ent] ainsi suffisamment » la conduite en question à son territoire (Hape, précité, au paragraphe 59).

[94]      Malgré ces remarques, le libellé d’une loi fédérale peut réduire sa portée territoriale ou l’élargir outre-frontière implicitement ou explicitement. Lorsqu’une loi est ambiguë, les cours ont appliqué le critère dit du « lien réel et substantiel » (Libman, précité, aux pages 212 et 213; SOCAN, précité, aux paragraphes 58 à 60; A.T. c. Globe24h.com, 2017 CF 114, [2017] 4 R.C.F. 310 (Globe24h), au paragraphe 50). De façon générale, c’est uniquement en l’absence d’un tel lien qu’une loi peut être dite de portée extraterritoriale :

[traduction] […] En somme, et au risque de trop simplifier la chose, une loi d’un État donné aura une portée dite extraterritoriale si elle régit des personnes, des biens, des actes ou des faits juridiques qui n’ont pas de « lien réel et substantiel » avec cet État.

(Côté, précité, à la page 216.)

[95]      Le critère du « lien réel et substantiel » a été élaboré dans l’arrêt Libman, précité, à la page 213, après que la Cour suprême eut observé que « [n]otre pays a un intérêt légitime à poursuivre des personnes pour des activités qui se sont déroulées à l’étranger, mais qui ont des conséquences illégales ici » (à la page 209).

[96]      Cette conclusion s’inscrivait dans la foulée de la reconnaissance par la Cour suprême dans l’arrêt Moran c. Pyle National (Canada) Ltd., [1975] 1 R.C.S. 393, à la page 409, du « grand intérêt qu’un État porte aux blessures subies par ceux qui se trouvent sur son territoire ». Au cours des années qui se sont écoulées dans l’intervalle, il est devenu de plus en plus établi que les cours au Canada pourraient avoir la compétence d’entendre des actions en responsabilité délictuelle déposée par des personnes alléguant ayant subi un préjudice dans ce pays suite à la conclusion d’accords anticoncurrentiels à l’étranger entre des défendeurs vendant leurs produits au Canada, directement ou par l’entremise de filiales (Sun-Rype, précité, au paragraphe 46; Fairhurst v. De Beers Canada Inc., 2012 BCCA 257, 351 D.L.R. (4th) 168 (Fairhurst), aux paragraphes 32 et 43 à 45; VitaPharm Canada Ltd. v. F Hoffman-La Roche Ltd., 2002 CarswellOnt 235, [2002] O.J. no 298 (QL) (C. sup.) (VitaPharm), aux paragraphes 58–62 et 96–97; Bouchard c. Ventes de véhicules Mitsubishi du Canada Inc., 2010 CF 56 (Bouchard), aux paragraphes 69 et 70). La question de savoir si une telle compétence existe dépendra du cadre particulier élaboré en responsabilité délictuelle permettant de reconnaître le « lien réel et substantiel » entre le litige et l’instance (Club Resorts Ltd. c. Van Breda, 2012 CSC 17, [2012] 1 R.C.S. 572 (Van Breda), aux paragraphes 80 à 90).

[97]      Il n’est pas nécessaire d’analyser la présomption à l’encontre d’un effet extraterritorial lorsqu’il est établi qu’une loi confère implicitement ou explicitement une compétence territoriale à une cour, à un tribunal ou à un organisme de réglementation, ou lorsque cette compétence est établie à la suite d’une analyse du « lien réel et substantiel ». En d’autres mots, lorsqu’à l’issue d’une analyse du critère du lien réel et substantiel, il est établi qu’une loi s’applique aux personnes ou à une conduite à l’extérieur du Canada, il n’y a aucune violation à la présomption à l’encontre de l’extraterritorialité (R. v. Stucky, 2009 ONCA 151, 303 D.L.R. (4th) 1 (Stucky), aux paragraphes 27 et 32). Le cas échéant, c’est que la compétence découle de l’existence d’un lien réel et substantiel avec le territoire canadien.

[98]      À la lumière de ce qui précède, et contrairement à ce que soutient Kobo, il est nécessaire de suivre trois étapes principes pour déterminer si l’article 90.1 de la Loi prévoit une compétence à l’égard des accords et des arrangements conclus à l’extérieur du Canada :

i.     Déterminer si l’article 90.1 prévoit explicitement ou implicitement que le commissaire ait compétence par rapport aux arrangements conclus à l’extérieur du Canada.

ii.    Dans le cas contraire, déterminer s’il existe un « lien réel et substantiel » entre l’arrangement attaqué et le Canada.

iii.   Dans le cas contraire, déterminer s’il est possible de renverser la présomption à l’encontre d’une application extraterritoriale de l’article 90.1.

(b)  L’article 90.1 prévoit-il explicitement ou implicitement que le commissaire ait compétence par rapport aux arrangements conclus à l’extérieur du Canada?

[99]      Le libellé de l’article 90.1 fait simplement référence à « un accord ou un arrangement — conclu ou proposé — entre des personnes dont au moins deux sont des concurrents ». Contrairement à certaines dispositions de la Loi (p. ex. les articles 1.1, 9, 45(5), 46(1), 76(1), 82 et 83(1)), il n’y a aucune mention au « Canada ». Il n’y a également aucune mention voulant que cet article ne s’applique pas à l’égard de certaines personnes ou conduites commises à l’extérieur du Canada, comme c’est le cas du paragraphe 48(2). Conséquemment, à première vue, il est manifeste que l’article 90.1 ne prévoit pas explicitement que le commissaire ait compétence sur les arrangements conclus à l’extérieur du Canada.

[100]   Par conséquent, il est nécessaire de chercher à savoir si l’article 90.1 porte implicitement sur les accords ou les arrangements conclus à l’extérieur du Canada.

[101]   Malheureusement, il ne semble y avoir aucun débat parlementaire potentiellement utile pour éclairer la Cour sur cette question (HarperCollins, précitée, aux paragraphes 115 et 117).

i)     L’objet de la Loi

[102]   L’article 12 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 prévoit : « [t]out texte est censé apporter une solution de droit et s’interprète de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet ».

[103]   L’objet, ou l’intention, de la Loi sur la concurrence sont énoncés à l’article 1.1 :

Objet

1.1 La présente loi a pour objet de préserver et de favoriser la concurrence au Canada dans le but de stimuler l’adaptabilité et l’efficience de l’économie canadienne, d’améliorer les chances de participation canadienne aux marchés mondiaux tout en tenant simultanément compte du rôle de la concurrence étrangère au Canada, d’assurer à la petite et à la moyenne entreprise une chance honnête de participer à l’économie canadienne, de même que dans le but d’assurer aux consommateurs des prix compétitifs et un choix dans les produits.

[104]   À mon avis, l’interprétation des mots « accord ou arrangement » de l’article 90.1 doit se faire d’une façon large et libérale pour inclure tout accord ou arrangement allant à l’encontre de l’objet de la Loi (qu’il soit conclu au Canada ou à l’étranger). Une telle interprétation permettrait le mieux d’atteindre l’objet de la Loi.

[105]   L’objet énoncé à l’article 1.1 est également utile dans l’application du principe moderne d’interprétation législative voulant qu’il « faille lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, son objet et l’intention du législateur » (Tran c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CSC 50, [2017] 2 R.C.S. 289 (Tran), au paragraphe 23; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 (Rizzo), au paragraphe 21).

[106]   Plus particulièrement, l’interprétation des mots « accord ou arrangement » de la façon décrite précédemment donnerait un résultat plus conforme à l’esprit de la Loi tel qu’énoncé à l’article 1.1, plutôt que de les interpréter comme voulant exclure les accords ou les arrangements conclus à l’extérieur du Canada. En outre, la première interprétation permettrait au commissaire de remédier, en vertu de l’article 90.1, aux accords ou aux arrangements anticoncurrentiels étrangers qui contreviennent à l’objet de la Loi énoncé à l’article 1.1, tandis que la seconde l’en empêcherait. Dans la mesure où cette dernière interprétation ferait en sorte que les entreprises et les consommateurs canadiens paieraient des prix plus élevés pour une gamme potentiellement vaste d’entrants et de produits finaux que dans le cas contraire, ceci irait à l’encontre d’un objet important de la Loi, voire le contrecarrait.

[107]   Une telle interprétation donnerait un résultat absurde que nous devons éviter (R. c. McIntosh, [1995] 1 R.C.S. 686, au paragraphe 36; Tran, précité, au paragraphe 31; Rizzo, précité, au paragraphe 27). Par ailleurs, de tels effets anticoncurrentiels peuvent également sérieusement aller à l’encontre de la réalisation des autres objets énoncés à l’article 1.1; il est d’autant plus important d’éviter de contrecarrer l’objet de la Loi ainsi que ce déroulement absurde (Stucky, précité, aux paragraphes 37 et 48). Ces problèmes seraient d’autant plus aggravés si la Loi était interprétée comme le soutien Kobo : les parties souhaitant conclure des accords ou des arrangements visés par l’article 90.1 n’auraient qu’à se rendre de l’autre côté de la frontière aux États-Unis pour y conclure leur accord et ainsi, se soustraire à cette disposition.

ii)    Modèles d’expression dans la Loi

[108]   Malgré ces remarques, Kobo soutient que les autres dispositions de la Loi vont à l’encontre d’une interprétation large des mots « accord ou arrangement » dans l’article 90.1 comme incluant les accords ou les arrangements convenus à l’extérieur du Canada. Plus particulièrement, elle avance que le libellé du paragraphe 46(1) et de l’alinéa 83(1)(b) indique que le législateur n’a pas voulu que les mots « accord ou arrangement » de l’article 90.1 englobent les accords ou les arrangements conclus à l’étranger. En d’autres termes, Kobo soutient que le paragraphe 46(1) et l’alinéa 83(1)(b) démontrent que le Parlement avait suivi un modèle de libellé exprès dans la Loi lorsqu’il avait l’intention d’inclure une compétence extraterritoriale quant aux arrangements conclus à l’extérieur du Canada. Kobo estime que l’absence d’un tel vocabulaire à l’article 90.1 illustre manifestement que le Parlement n’avait pas l’intention d’accorder une telle compétence en vertu de cette disposition.

[109]   Le paragraphe 46(1) dispose des suivantes :

Directives étrangères

46 (1) Toute personne morale, où qu’elle ait été constituée, qui exploite une entreprise au Canada et qui applique, en totalité ou en partie au Canada, une directive ou instruction ou un énoncé de politique ou autre communication à la personne morale ou à quelque autre personne, provenant d’une personne se trouvant dans un pays étranger qui est en mesure de diriger ou d’influencer les principes suivis par la personne morale, lorsque la communication a pour objet de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l’étranger qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une infraction visée à l’article 45, commet, qu’un administrateur ou dirigeant de la personne morale au Canada soit ou non au courant du complot, de l’association d’intérêts, de l’accord ou de l’arrangement, un acte criminel et encourt, sur déclaration de culpabilité, une amende à la discrétion du tribunal. [Je souligne.]

[110]   Kobo soutient que les mots soulignés témoignent du point de vue du Parlement voulant que les complots engendrés à l’extérieur du Canada ne contreviennent pas à l’article 45, donc il fût nécessaire d’ajouter l’article 46 pour traiter de la mise en œuvre de ces complots au Canada. Kobo estime que la décision implicite du Parlement de ne pas inclure un tel vocabulaire à l’article 90.1 démontre qu’il n’avait pas l’intention de voir appliquer cette disposition aux arrangements convenus à l’extérieur du Canada.

[111]   Kobo soutient le même point de vue à l’égard de l’alinéa 83(1)(b), lequel prévoit :

Législation et directives étrangères

83 (1) Lorsque à la suite d’une demande du commissaire, le Tribunal conclut qu’une décision a été ou est sur le point d’être prise par une personne qui se trouve au Canada ou par une personne morale constituée aux termes ou en application d’une loi fédérale ou provinciale :

[...]

b) par suite d’une directive, d’une instruction, d’un énoncé de politique ou d’une autre communication à cette personne, à cette personne morale ou à toute autre personne, provenant d’une personne se trouvant dans un pays étranger qui est en mesure de diriger ou d’influencer les principes suivis par cette personne ou cette personne morale, lorsque la communication a pour objet de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l’extérieur du Canada qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une contravention à l’article 45,

le Tribunal peut rendre une ordonnance qui :

c) dans un cas visé à l’alinéa a) ou b), interdit à cette personne ou à cette personne morale de prendre au Canada des mesures d’application de la règle de droit, de la directive, de l’instruction, de l’énoncé de politique ou de l’autre communication. [Je souligne.]

[112]   À première vue, on remarque que le libellé souligné dans l’alinéa 83(1)(b) est semblable à celui souligné dans le paragraphe 46(1).

[113]   Il y a deux interprétations possibles de l’intention du Parlement en incluant les articles 46 et 83 à la Loi. La première, soutenue par Kobo, est que le Parlement souhaitait élargir la portée de la Loi pour inclure les accords ou les arrangements conclus à l’extérieur du Canada dans les circonstances décrites à ces deux articles. Ce faisant, il a utilisé le libellé suivant pour révéler son point de vue voulant que l’article 45 ne s’applique pas aux accords ou aux arrangements conclus à l’étranger : « a pour objet de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement intervenu à l’extérieur du Canada qui, s’il était intervenu au Canada, aurait constitué une contravention à l’article 45 » (je souligne). Selon cette interprétation, les parties aux accords ou aux arrangements décrits à l’article 45, mais conclus à l’étranger, ne seraient pas tenus criminellement responsables en vertu de l’article 45 pour avoir directement ou indirectement mis en œuvre leurs accords au Canada. Cependant, les tiers décrits à l’article 46 risqueraient d’être tenus criminellement responsables, dans les circonstances décrites à celui-ci.

[114]   La deuxième interprétation de l’intention du Parlement en incluant les articles 46 et 83 de la Loi est qu’il souhaitait simplement élargir la Loi de la façon dont je viens de la décrire, sans pour autant laisser entendre quoi que ce soit de plus à propos de sa compréhension de la portée de l’article 45. C’est-à-dire que le Parlement a simplement voulu créer une nouvelle infraction à l’article 46 pour les personnes qui ne sont pas partie à l’accord ou à l’arrangement en question et qui mettent en œuvre les communications issues de personnes à l’étranger, dans le but de donner effet à un complot, une association d’intérêts, un accord ou un arrangement qui n’aurait pas encore été mis en œuvre au Canada, du moins pas par l’une ou plusieurs partie à celui-ci. De façon similaire, le Parlement souhaitait simplement créer de nouveaux pouvoirs à l’article 83 afin de permettre au Tribunal d’ordonner ou de diriger qu’aucune mesure ne soit prise par une personne ou une société visée afin de mettre en œuvre les communications issues de personnes à l’étranger de la nature décrite précédemment. Selon cette interprétation, les parties aux accords ou aux arrangements décrits à l’article 45, mais conclus à l’étranger, pourraient être tenues criminellement responsables en vertu de celui-ci pour avoir directement ou indirectement mis en œuvre leurs accords au Canada. Les tiers seraient également criminellement responsables dans les circonstances décrites à l’article 46.

[115]   Il n’est pas nécessaire que je tranche la question à savoir laquelle de ces deux interprétations des articles 46 et 83, et par le truchement de celles-ci, de l’article 45, est exacte. Aux fins de l’espèce, il me suffira de conclure que ces articles ne devraient aucunement être interprétés comme le suggère Kobo. En d’autres mots, il n’est nullement clair que i) l’article 45 ne s’applique pas aux accords ou aux arrangements conclus à l’extérieur du Canada et mis en œuvre au Canada par les parties à ceux-ci, et que ii) le Parlement a établi un modèle de libellé exprès dans la Loi (au paragraphe 46(1) et à l’alinéa 83(1)(b)) lorsqu’il entrevoyait d’accorder une compétence extraterritoriale à l’égard d’accords ou d’arrangements convenus à l’étranger.

[116]   En outre, il a été établi à plusieurs reprises que l’article 45 s’applique, ou peut s’appliquer, aux accords étrangers mis en œuvre au Canada (VitaPharm, précitée; Shah v. L.G. Chem Ltd., 2015 ONSC 2628, 125 O.R. (3d) 773, aux paragraphes 106–121; Fairhurst, précité, au paragraphe 32; Bouchard, précitée, au paragraphe 69). Dans d’autres cas, impliquant des ententes de plaidoyer de culpabilité, les cours ont présumé de leur compétence à l’égard d’infractions alléguées de l’article 45 par des parties à des complots de fixation des prix à l’étranger (voir par exemple, R. c. BASF Aktiengesellschaft, 1999 CarswellNat 6381 (C.F. 1re inst.); R. v. Daicel Chemical Industries, Ltd, T-1686-00 (entente sur les faits (14 septembre 2000) et certificat (21 septembre 2000)); voir également Bureau de la concurrence, Communiqué de presse, Une entreprise japonaise plaidera coupable et payera une amende de 130 millions de dollars américains pour sa participation à un complot de truquage des offres (20 juillet 2016), en ligne : <www.bureaudelaconcurrence.gc.ca>).

[117]   Je m’arrête un instante pour ajouter que le Tribunal a également émis de nombreuses ordonnances, sur consentement, quant à des activités économiques issues de l’étranger qui visaient précisément à avoir, et avaient, des répercussions sur la concurrence au Canada (voir les dossiers cités dans la décision HarperCollins, précitée, au paragraphe 155).

[118]   Entre autres, l’interprétation par Kobo de l’article 45 est essentiellement grevée des mêmes lacunes que son interprétation de l’article 90.1, que j’ai décrites aux paragraphes 106 et 107 précédents. En résumé, cette interprétation contreviendrait à l’objet de la Loi, tel qu’établi à l’article 1.1, et elle mènerait à un résultat absurde qu’il faut éviter. En outre, une telle interprétation ferait en sorte que les sociétés et les consommateurs canadiens paieraient des prix plus élevés pour une gamme potentiellement plus vaste d’entrants et de produits finaux que le serait le cas si l’article 45 était interprété comme étant applicable aux accords ou aux arrangements mis en œuvre au Canada par les parties à ceux-ci.

[119]   À défaut d’un modèle clair, voire raisonnablement clair, témoignant d’un libellé exprès par le Parlement dans la Loi lorsqu’il avait l’intention qu’une disposition s’applique aux accords ou aux arrangements conclus à l’extérieur du Canada, la position de Kobo voulant que le législateur ne souhaite pas appliquer l’article 90.1 à ceux-ci devient qu’une simple assertion.

[120]   Je remarquerai simplement au passage qu’il y a une explication tout à fait raisonnable à cette absence à l’article 90.1 d’un libellé semblable à celui du paragraphe 46(1) et de l’alinéa 83(1)b), abordés précédemment. En effet, le libellé explicite de l’article 90.1 se situe aux alinéas a) et b) qui permettent au Tribunal de rendre les ordonnances qui y sont décrites à l’encontre de « toute personne — qu’elle soit ou non partie à l’accord ou à l’arrangement ». Étant donné un tel libellé, il n’était pas nécessaire d’en ajouter pour élargir la portée de l’article 90.1 aux tiers qui mettent en œuvre un accord ou un arrangement convenu à l’étranger.

[121]   De plus, comme l’a expliqué le juge Gascon dans la décision HarperCollins, précitée, aux paragraphes 103 et 105, les articles 90.1 et 45 se distinguent grandement. Étant donné ma conclusion quant à l’argument du modèle d’expression avancé par Kobo, il est inutile que j’aborde ces différences dans l’espèce.

iii)   Sommaire

[122]   Étant donné mes conclusions aux parties IX.A(2)b)(i) et (ii) ci-haut, j’ai conclu qu’on peut déduire de l’esprit de la Loi dans son ensemble que l’article 90.1 s’applique à tous les accords et arrangements qui ont, ou risquent d’avoir, l’effet décrit à cette disposition, nommément, d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché. Ceci, nonobstant qu’ils eurent été conclus au Canada ou à l’étranger.

[123]   Considérant cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’évaluer le lien réel et substantiel entre l’arrangement attaqué et le Canada. Cependant, advenant que j’aie commis une erreur en parvenant à cette conclusion, j’effectuerai l’analyse pour déterminer s’il existe un lien réel et substantiel entre l’arrangement et le Canada.

c)    Existe-il un « lien réel et substantiel » entre l’arrangement et le Canada?

[124]   De façon générale, un lien réel et substantiel entre le Canada et les activités se déroulant à l’étranger en est un qui n’est ni faible, ni hypothétique, ni ténu (Van Breda, précité, aux paragraphes 26 et 32). À l’autre bout de l’échelle, il n’est pas nécessaire d’établir l’existence des liens « les plus déterminants » possibles entre le Canada et lesdites activités (Lapointe, précité, au paragraphe 34).

[125]   Dans le contexte de l’article 90.1, il importe de démontrer l’existence d’un lien réel et substantiel entre le Canada et l’accord ou l’arrangement convenu à l’étranger. Ce sera le cas si « un élément constitutif [de l’article 90.1] se produit » au Canada (Hape, précité, au paragraphe 59). Si l’arrangement satisfait à cette exigence, alors il peut être dit que le commissaire a la compétence territoriale de signer des consentements avec les éditeurs défendeurs et d’enregistrer ceux-ci au Tribunal. À mon avis, c’est particulièrement le cas lorsque l’élément constitutif vise à nuire de façon considérable à la concurrence au Canada.

[126]   Les éléments constitutifs de l’article 90.1 sont les suivants :

i.     un accord ou un arrangement;

ii.    conclu ou proposé;

iii.   entre deux ou plusieurs personnes qui sont en concurrence; et

iv.    visant à empêcher ou à diminuer, ou étant susceptible d’empêcher ou de diminuer, la concurrence de façon considérable dans un marché.

[127]   Le commissaire a conclu que la réunion de ces éléments constituait un fondement suffisant pour exercer sa compétence à l’égard de l’arrangement, puis de signer des consentements avec les éditeurs défendeurs. Selon le commissaire, en l’occurrence c’est en raison de la [traduction] « survenance » au Canada d’un élément constitutif de l’article 90.1, soit le dernier de la liste ci-haut. En effet, cet élément emporte un objectif de répercussions négatives sur la concurrence au Canada et constitue un fondement solide pour conclure qu’il y a là un « lien réel et substantiel » entre l’arrangement et le Canada.

[128]   C’est particulièrement le cas pour trois raisons. D’abord, comme l’a mentionné le juge Gascon dans la décision HarperCollins, précitée, au paragraphe 152, cet élément [traduction] « touche le cœur de l’article 90.1 ». Deuxièmement, un tel effet négatif sur la concurrence au pays est présumé emporter un préjudice matériel aux consommateurs ou aux sociétés au Canada. Troisièmement, on peut présumer que de telles répercussions négatives sur la concurrence iraient à l’encontre de la capacité du Canada à atteindre les différents objectifs édictés à l’article 1.1 de la Loi.

[129]   Kobo tente de distinguer les faits de l’espèce des faits de l’arrêt SOCAN et de la décision Globe24h précités, au motif que l’activité en cause dans ces affaires s’est produite tant au Canada qu’à l’étranger. Plus particulièrement, dans l’arrêt SOCAN, précité, au paragraphe 59, la Cour a statué qu’une communication entre le Canada et un État étranger « se situe à la fois ici et à l’autre endroit » et dans Globe24h, précitée, au paragraphe 54, la Cour a statué que « le lieu d’origine de l’exploitant du site Web ou du serveur hôte n’est pas un facteur déterminant parce que les télécommunications se situent “à la fois ici et à l’autre endroit” ».

[130]   Cependant, il n’est pas nécessaire que l’élément d’actus reus de la disposition législative se produise entièrement ou partiellement au Canada afin qu’on établisse un lien réel et substantiel entre notre pays et l’activité visée par la disposition. Comme je l’ai mentionné précédemment, il suffit qu’un autre « élément constitutif » se déroule ici. Si, comme l’a reconnu la Cour suprême, la survenance d’une conséquence illégale au Canada ou d’un préjudice au Canada suffit pour établir l’existence d’un lien réel et substantiel (voir les paragraphes 95 et 96 précédents), il est logique que d’autres formes d’effets négatifs au Canada puissent également suffire à cette fin.

[131]   Si les « transmissions [électroniques] en provenance de l’étranger qui sont reçues et ont des répercussions au pays » peuvent établir un lien suffisant au Canada pour permettre l’exercice d’une compétence dans notre pays (SOCAN), précité, aux paragraphes 62 et 63; Globe24h, précitée, aux paragraphes 54 à 56), il en va de même pour les accords ou les arrangements étrangers qui ont des conséquences négatives considérables sur la concurrence dans notre pays.

[132]   En de telles circonstances, il n’y a pas d’entorse au principe de la courtoisie internationale (Libman, précité, aux pages 211 à 214; HarperCollins, précitée, au paragraphe 170; Globe24h, précitée, au paragraphe 56).

[133]   La courtoisie est un concept souple, qui « doit donc s’ajuster aux changements de l’ordre mondial » (Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077 (Morguard), à la page 1097; voir également Van Breda, précité, au paragraphe 74). Elle est généralement comprise comme étant « la reconnaissance qu’une nation accorde sur son territoire aux actes législatifs, exécutifs ou judiciaires d’une autre nation, compte tenu à la fois des obligations et des convenances internationales et des droits de ses propres citoyens ou des autres personnes qui sont sous la protection de ses lois » (Morguard, précité, à la page 1096, citant Spencer c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 278, à la page 283 (je souligne)).

[134]   Dans un tel cadre, une autre nation ne peut pas facilement soutenir que la protection du public canadien vient contrevenir aux dictats de la courtoisie (Libman, précité, à la page 209). En outre, non seulement la confiance du public en pâtirait, il s’agirait d’un constat navrant pour notre droit si les lois canadiennes, comme la Loi, ne pouvaient pas être appliquées pour protéger l’économique domestique et ses participants des arrangements anticoncurrentiels ou d’autres activités entreprises à l’étranger (Libman, précité, à la page 212). C’est particulièrement vrai à notre ère, alors que le commerce international est en croissance. À mon avis, le fait de permettre à des parties membres de complots étrangers ayant des effets anticoncurrentiels au Canada d’éviter la loi de notre pays irait à l’encontre des « principes d’ordre et d’équité » (SOCAN, précité, au paragraphe 57), tout en ébranlant la confiance du public dans le droit.

[135]   Je m’avancerai à dire que ce sont pour ces raisons que les autres juridictions, comme les États-Unis et l’Union européenne, ont élargi la portée de leurs lois antitrust ou sur la concurrence aux activités anticoncurrentielles se déroulant à l’extérieur de leurs territoires respectifs, mais ayant un effet particulier en leur sein. Aux États-Unis, cet effet a été défini comme étant [traduction] « une répercussion directe, substantielle et raisonnablement prévisible sur le commerce domestique » de nature à être visée par les lois antitrust américaines (voir, par exemple, Motorola Mobility LLC v. Au Optronics Corp., 775 F.3d 816 (7th Cir. 2014), à la page 818; Lotes Co., Ltd. v. Hon Hai Precision Industry Co., Ltd., 753 F.3d 395 (2nd Cir. 2014), aux pages 398, 404 et 411; Minn-Chem, Inc. v. Agrium Inc., 683 F.3d 845 (7th Cir. 2012), aux pages 854 à 861; et la « Section 3.1 » dans United States Department of Justice and Federal Trade Commission, Antitrust Guidelines for International Enforcement Cooperation (13 janvier 2017), aux pages 19 à 21, en ligne : <www.justice.gov>). Au sein de l’Union européenne, cet effet a été décrit comme étant [traduction] « immédiat, substantiel et prévisible » (Gencor Ltd. c. Commission des Communautés européennes, dossier T-102/96, [1999] E.C.R. II-00753, au paragraphe 92; Intel Corporation Inc. c. Commission européenne, dossier C-413/14 P (2017) (C.J.U.E.), aux paragraphes 49–50 et 56).

[136]   Autre indice que les « principes d’ordre et équité » entre les nations ne seraient pas endigués par l’application des lois d’un pays à l’égard d’une conduite anticoncurrentielle se produisant dans un autre pays : l’Accord entre le gouvernement du Canada et le gouvernement des États-Unis d’Amérique concernant l’exercice des principes de courtoisie active dans l’application de leurs lois sur la concurrence (5 octobre 2014, en ligne : <www.justice.gov> et <www.bureaudelaconcurrence.gc.ca>). L’un des objets importants de cet Accord est :

[…] de contribuer à ce que les courants d’échange et d’investissement entre les Parties, ainsi que la concurrence et le bien-être des consommateurs sur les territoires des Parties, ne soient pas entravés par des agissements anticoncurrentiels auxquels les lois sur la concurrence de l’une ou l’autre des Parties ou des deux Parties permettent de prendre des mesures correctives.

[137]   En vertu de celui-ci, les autorités de la concurrence de la partie requise peuvent, à la demande de l’autre partie, enquêter sur des agissements anticoncurrentiels et, au besoin, y apporter des mesures correctives en regard des activités ayant lieu dans l’État de la partie requise, dans certaines circonstances. Parmi ces circonstances figurent celles où les activités en question se déroulent principalement ou sont principalement dirigées vers l’État de la partie requise, mais ont des effets négatifs sur les intérêts importants de la partie requérante. Entre autres, l’Accord stipule explicitement à l’article IV que le Canada et les États-Unis reconnaissent « qu’il peut être opportun d’entreprendre des activités de mise en application indépendantes lorsque des agissements anticoncurrentiels affectant les deux territoires justifient l’imposition de sanctions dans les deux juridictions ».

[138]   À tout événement, je suis convaincu que le commissaire avait la compétence territoriale en vertu de l’article 90.1 pour signer les consentements avec les éditeurs défendeurs, étant donné sa conclusion voulant que l’arrangement empêchât ou réduisît, ou était susceptible d’empêcher ou de réduire, substantiellement la concurrence dans le marché de détail des livres numériques au Canada. Ma conclusion a cet égard est renforcée par le fait que le commissaire a également conclu que : i) l’arrangement avait été mis en œuvre au Canada par Macmillan, Simon & Schuster ainsi qu’une ou plusieurs des filiales Hachette; ii) Macmillan vend des livres numériques des États-Unis au Canada, tandis que Simon & Schuster vendent ces livres par l’entremise d’une filiale canadienne (la situation est moins claire quant à Hachette); et iii) l’arrangement devait être mis en œuvre au Canada. Ainsi réunis, ces faits démontrent un lien réel et substantiel entre l’arrangement et le Canada.

[139]   Je remarquerai simplement au passage que chacun des consentements énoncent que « les défenderesses n’admettent pas les conclusions du commissaire, mais que pour les seules fins du présent consentement [...] elles ne les contesteront pas ». Il importe également de souligner dans l’espèce que la transition du modèle de vente en gros à un modèle d’agence pour la distribution des livres numériques a eu lieu ici suite à celle aux États-Unis, quoiqu’il y a eu un retard, que j’aborderai plus loin dans les présents motifs.

d)    La présomption à l’encontre d’une application extraterritoriale de l’article 90.1

[140]   Étant donnée ma conclusion voulant qu’il existe un lien réel et substantiel entre l’arrangement contesté et le Canada, il n’est pas nécessaire d’analyser la présomption à l’encontre d’une application extraterritoriale de l’article 90.1. En résumé, le lien réel et substantiel est un fondement suffisant pour conclure que l’article 90.1 confère une compétence territoriale au commissaire lui permettant de conclure des consentements en réponse à l’accord contesté. Par conséquent, la présomption l’encontre d’une application extraterritoriale des lois édictées par le Parlement est respectée (Stucky, précité, au paragraphe 32).

[141]   À tout événement, j’estime qu’un tel lien réel et substantiel serait suffisant pour renverser la présomption à l’encontre d’une application extraterritoriale.

B.   Le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence en signant des consentements pour remédier à « un arrangement » qui, selon la portée de l’article 90.1 de la Loi, n’a jamais existé?

[142]   Kobo soutient que le commissaire a outrepassé sa compétence en signant les consentements pour remédier à « un accord » qui, selon la portée de l’article 90.1 de la Loi, n’a jamais existé. Kobo soutient que les documents qu’elle a fournis au commissaire démontrent que :

i.     Aux États-Unis, le passage collectif d’un modèle de vente en gros des livres numériques à un modèle d’agence s’est effectué en début 2010, à la suite de discussions survenues en décembre 2009. Or, cette transition s’est effectuée au Canada au cours d’une période d’environ 23 mois, débutant le 31 mars 2010 et se terminant le 28 février 2012.

ii.    Le principal facteur à l’origine de cette transition aux États-Unis était Amazon : les livres numériques s’y vendaient à environ 9,99 $. Cependant, Amazon n’avait toujours pas commencé à vendre des livres numériques au Canada au moment de la transition ici.

iii.   Le lancement du iPad le 27 janvier 2010 a été un événement unificateur dans le cadre de cette transition vers le modèle d’agence aux États-Unis. En outre, ceci s’est produit au Canada plusieurs mois avant que Kobo effectue la transition avec certains des éditeurs.

iv.    Kobo souhaitait convenir des arrangements de distribution par agence au Canada et a entrepris des démarches avec les éditeurs individuellement, ceux-ci étant plus réticents à passer à ce modèle que le souhaitait Kobo. En outre, Kobo était intéressée à passer un modèle d’agence, car il comporte un flux de revenus fiable et prévisible, ce qui lui permet de concentrer ses investissements sur la recherche et le développement, particulièrement sur ses appareils de lecture de livres numériques.

[143]   Compte tenu de ce qui précède, Kobo soutient que la transition vers le modèle d’agence au Canada ne s’est pas effectuée en lien avec l’arrangement.

[144]   Kobo ajoute que les documents les plus pertinents qu’elle a soumis au personnel du Bureau de la concurrence n’ont pas été transmis au commissaire ou inclus dans le dossier qu’on lui a remis en vertu de la règle 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. À ce titre, Kobo souligne que, des documents figurant à l’annexe du dossier, un seul provenait d’elle. Hormis une exception, ni le commissaire ni le personnel n’a communiqué avec Kobo en lien avec les quelques 160 000 documents qu’elle leur a remis dans le cadre de cet examen. Seule exception : M. Micheal Tamblyn, le déposant de Kobo, a été contre-interrogé sur son affidavit déposé dans la présente demande. Entre autres, M. Tamblyn a confirmé au paragraphe 55 de cet affidavit que [traduction] « Kobo a dû encourager plusieurs éditeurs (séparément) à passer au modèle d’agence ou à accélérer la transition » au Canada.

[145]   Un certain appui à la position de Kobo voulant qu’elle a dû inciter les principaux éditeurs à passer du modèle de vente en gros au modèle de distribution par agence de leurs livres numériques, se glane du dossier. Par exemple, un courriel interne rédigé à l’automne de 2010, illustre le fait qu’un de ses éditeurs voulait effectuer la transition rapidement, tandis que l’autre [traduction] « est moins rapide, mais va faire le saut si nous insistons ». Dans un autre courriel écrit autour de la même période, M. Tamblyn a encouragé un représentant de [***] à [traduction] « aller de l’avant aussi rapidement que possible au Canada ». Un autre courriel, rédigé le même jour par M. Tamblyn à un autre grand éditeur, témoigne du même sentiment. D’autres documents de janvier 2011 indiquent que Kobo a souligné à [***] l’importance pour elle de passer à un modèle d’agence au Canada. De plus, la correspondance de Kobo à Indigo Books and Music Inc. (Indigo) de mars 2011 mentionne que [traduction] « leur objectif commun devrait être de faire passer les éditeurs à un modèle d’agence ». Le directeur général d’Indigo Books écrivant au président de HarperCollins plus tard ce même mois avance que [traduction] : « nous avons engagé des discussions avec vous depuis des mois quant à la nécessité de passer rapidement à un modèle d’agence ».

[146]   Le commissaire remarque que la mise en œuvre tardive du modèle d’agence au Canada par rapport aux États-Unis figure au dossier, qui comprend un mémoire interne du Bureau de la concurrence à son intention. Entre autres, ce mémoire fait référence à plusieurs documents obtenus par le Bureau au cours de son enquête, lesquels démontrent que l’arrangement prévu aux États-Unis portait également sur d’autres pays, dont le Canada. Dans un document, daté du 17 décembre 2009, un vice-président de HarperCollins au Royaume-Uni a écrit au [***] des opérations de HarperCollins en [***] pour lui expliquer que [traduction] « la première phase sera lancée aux États-Unis et au Canada, puis au Royaume-Uni et en Australie/Nouvelle-Zélande à la deuxième phase. [***] ».

[147]   De façon similaire, on retrouve des références précises au Canada dans un procès-verbal d’une réunion du conseil de direction de HarperCollins daté du 21 décembre 2009. Entre autres, le procès-verbal mentionne :

[traduction]

NOUVEAUX DÉVELOPPEMENTS • Apple a rencontré tous les éditeurs en secret. Quant au commerce de livres numériques [...]

 [...] Immédiatement aux États-Unis et au Canada. Europe un peu plus tard.

Le modèle est prêt, il ne s’agit qu’à le mettre en œuvre. [Soulignement ajouté par le commissaire.]

[148]   Dans le même mémoire comprenant ces renseignements, il est mentionné que les accords d’agence proposés par Apple et transmis aux éditeurs le 11 janvier 2010 nommaient expressément le Canada dans le territoire visé. Le mémoire ajoute que, en réponse à une ordonnance de production et d’états écrits rendue par notre Cour en vertu de l’article 11 de la Loi :

[traduction]

[...] Apple a confirmé qu’elle avait conclu des accords d’agence avec certains éditeurs de livres numériques aux États-Unis dont la définition de « territoire » comprenait les États-Unis et le Canada. [***]

[149]   Le mémoire mentionne également que Apple a confirmé dans ses états écrits qu’elle :

[traduction]

[***]

[Soulignement ajouté par le commissaire.]

 

[150]   Un autre document cité dans le mémoire était un courriel du directeur d’Apple Canada à quelqu’un chez Apple U.S., ce dernier lui expliquant sa compréhension de l’ébauche d’arrangement d’agence comme suit :

[traduction]

[***]

[151]   Selon ce mémoire, les accords d’agence définitifs avaient été signés par Apple et [traduction] « Hachette, HarperCollins, Macmillan et Simon & Schuster, et faisaient tous référence au Canada [***] ».

[152]   Quant au retard dans la transition au modèle d’agence au Canada, le mémoire indique la tenue de discussions internes chez Apple quant aux questions pratiques de mise en œuvre de ce modèle, laquelle [traduction] « semble avoir retardé le lancement du iBookstore au Canada de plusieurs mois par rapport aux États-Unis ». Toutefois, vers la fin de mars 2010, un cadre supérieur d’Apple aux États-Unis a envoyé un courriel à plusieurs éditeurs indiquant [traduction] : « Je veux être en mesure d’agir rapidement au Canada après le lancement [du iBookstore] aux États-Unis ».

[153]   Puis, le mémoire mentionne [traduction] : « les ébauches d’accords d’agence d’Apple au Canada ont été ajoutées comme des modifications [aux accords d’origine aux États-Unis]; les modalités des accords d’origine y figurent à titre de référence ».

[154]   Finalement, ce mémoire fait état des retards avec [***], un autre facteur ayant nuit à la transition au Canada, et remarque que [traduction] « l’équipe dispose de preuve portant à croire qu’au cours de cette période, Kobo était pressée de passer à un modèle d’agence et tentait d’encourager la transition de [EXPURGÉ] ». À la lumière des observations de Kobo devant notre Cour, j’estime qu’il est raisonnable de présumer que le document expurgé comprenait les noms d’au moins quelques grands éditeurs de livres numériques au Canada.

[155]   Je m’arrêterai pour faire remarquer que le mémoire en question résumait également ce qui semblait être les principales sources des renseignements obtenus par le personnel du Bureau de la concurrence au cours de son enquête. La liste pointée remise au commissaire mentionnait, entre autres, qu’il s’agissait de [traduction] « renseignements fournis par [Kobo, Indigo, Apple Canada et Apple Inc.] ». Ultérieurement dans le mémoire, on fait référence à l’analyse interne de Kobo quant à l’augmentation des prix qu’elle a observée depuis la transition à un modèle d’agence au Canada, puis à certaines observations connexes formulées par Kobo à l’intention, à ce qu’il semble, du Bureau de la concurrence. D’autres documents, préparés par l’équipe chargée du dossier, mentionnent également les renseignements obtenus de Kobo, y compris dans le cadre de l’ordonnance en vertu de l’article 11 de la Loi, ainsi que le fait que certains participants au marché avait soutenu que même si l’accord quant au Canada avait existé par le passé, il ne pouvait plus [traduction] « exister » au Canada en raison des règlements conclus aux États-Unis. En outre, ces documents mentionnent :

[traduction] Malgré ces arguments, l’équipe remarque que les éditeurs visés par l’enquête continuent d’exécuter des accords d’agence qui empêchent la réduction des prix au Canada, bon nombre comprenant des clauses de prix NPF. En d’autres termes, aucun des éditeurs n’a adopté les conditions de fond des jugements définitifs des tribunaux américains au Canada. [Souligné dans l’original.]

[156]   Kobo soutient que les quelques références très générales susmentionnées aux renseignements qu’elle a soumis ainsi qu’à ses tentatives d’encourager la transition vers un modèle d’agence au Canada ne constituent pas un résumé raisonnable de toute la preuve qu’elle a remise au Bureau. Kobo soutient qu’il incombait au personnel du Bureau de la concurrence, à tout le moins, de résumer la preuve d’une façon semblable au résumé de la preuve sur laquelle reposent les conclusions et les recommandations du commissaire.

[157]   Je ne suis pas d’accord.

[158]   Entre autres, le mémoire préparé par le personnel du Bureau de la concurrence informait le commissaire de faits importants ainsi que du fait que Kobo avait été l’une des principales sources de renseignements au cours de leur enquête. Il mentionne également que certains éléments de preuve indiquent que :

i.     Au cours de la période visée, Kobo était pressée de passer à un modèle d’agence et tentait d’encourager une transition en ce sens;

ii.    Le Canada était visé par l’arrangement;

iii.   Apple avait des motifs commerciaux solides pour souhaiter l’inclusion du Canada à l’arrangement;

iv.    Apple et [***] étaient au moins en partie responsable du retard dans la mise en œuvre de l’arrangement au Canada, par rapport aux États-Unis;

v.     À la fin de 2011, tous les principaux détaillants canadiens de livres numériques fonctionnaient selon un modèle d’agence.

[159]   De plus, le commissaire a été informé d’observations voulant que même si un tel arrangement avait déjà existé, il n’existait plus à l’heure actuelle comme l’exige l’article 90.1.

[160]   En résumé, le commissaire était informé de l’essentiel de la position de Kobo. Plus particulièrement, il a été informé du fait que Kobo avait encouragé la transition vers un modèle d’agence au Canada, sous-entendant que cette transition n’est peut-être pas attribuable à l’arrangement. Il était également informé des observations en ce sens, que même si un tel arrangement avait existé, ce n’était plus le cas.

[161]   À mon avis, le commissaire avait le droit de s’en remettre au personnel et à la direction du Bureau de la concurrence afin qu’ils examinent l’imposant volume de documents soumis par Kobo et les autres membres de l’industrie au cours de son enquête approfondie sur l’arrangement et sa mise en œuvre alléguée au Canada et lui remettent un sommaire ou une synthèse de ceux-ci (Procureur général du Canada c. Inuit Tapirisat of Canada et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 753; La Reine c. Harrison, [1977] 1 R.C.S. 238, aux pages 245 et 246).

[162]   En outre, l’équipe du dossier et la direction du Bureau de la concurrence n’étaient nullement tenues de remettre au commissaire un rapport plus détaillé des renseignements fournis par Kobo au cours de l’enquête. Je remarque que l’un des principaux mémoires d’information remis au commissaire et figurant dans le dossier certifié du tribunal (DCT) amendé comportait 14 pages et semblait comprendre les renseignements que le sous-commissaire principal à la concurrence estimait être les plus importants pour le commissaire. Ces renseignements comprenaient une synthèse de la preuve issue de différentes sources, certaines, à l’instar de Kobo, ayant remis une somme considérable de documents à la suite d’une ordonnance rendue par notre Cour en vertu de l’article 11 de la Loi.

[163]   Étant donné les renseignements figurant dans ce mémoire de 14 pages, ainsi que dans les autres documents figurant au DCT, je ne suis pas d’accord que le commissaire ait commis une erreur comme le soutient Kobo. En somme, je ne suis pas convaincu que le commissaire a ignoré les renseignements qui, selon Kobo, contredisent les conclusions et les recommandations de l’équipe chargée du dossier et de la direction du Bureau de la concurrence. Comme je l’ai mentionné au paragraphe 160 précédent, le commissaire était informé de la position de Kobo. Kobo n’a pas produit d’éléments de preuve indiquant ou portant à croire que le commissaire n’a pas tenu compte de ces renseignements lorsqu’il a décidé de signer les consentements.

[164]   À la lumière de ce qui précède, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable que le commissaire limite son examen quant aux documents fournis par Kobo à ceux énoncés précédemment. La façon dont le commissaire et le personnel du Bureau de la concurrence traitent la preuve dans une enquête, particulièrement lorsque celle-ci, comme dans l’espèce, comporte des centaines de milliers de documents, sinon plus, commande un degré élevé de déférence. Quant à l’espèce, j’estime qu’il ne serait pas approprié que notre Cour exige du commissaire qu’il accorde davantage d’importance que ce fut le cas aux renseignements soumis par un participant en particulier, comme Kobo, au Bureau de la concurrence dans le cadre d’une de ses enquêtes.

[165]   Pour plus de précision, étant donné l’information qui était devant le commissaire concernant la mise en œuvre de l’arrangement au Canada, je conclus qu’il n’était pas déraisonnable pour le commissaire de déterminer que l’arrangement envisageait le Canada et que celui-ci avait été mis en œuvre au Canada.

C.   Le commissaire a-t-il outrepassé sa compétence en signant des consentements pour remédier à un arrangement qui n’était pas « conclu ou proposé » au moment de la conclusion de ceux-ci?

[166]   Kobo soutient que le commissaire a signé des consentements alors qu’il n’y avait plus d’arrangement, conclu ou proposé, même s’il eut déjà existé au Canada.

[167]   Kobo appuie sa position sur le fait que les éditeurs défendeurs ont conclu un règlement avec le ministère de la Justice des États-Unis et consenti à des jugements définitifs [les jugements américains] en 2012. Kobo soutient que les jugements américains ont eu pour effet de mettre fin à l’arrangement. Kobo soutient que dès l’entrée en vigueur des jugements américains, il était expressément interdit aux éditeurs défendeurs de coordonner leurs activités quant à la vente de livres numériques. Kobo rajoute que, conformément aux jugements américains, les éditeurs défendeurs ont mis fin aux accords d’agence qu’ils détenaient à l’époque avec les détaillants de livres numériques.

[168]   Par ailleurs, Kobo avance que [***] Quant à [***], Kobo remarque que [***]

[169]   Le commissaire rétorque qu’aucun des éditeurs défendeurs n’a adopté les modalités de fond des jugements américains au Canada et qu’ils continuent leurs opérations en vertu des accords d’agence prévus par l’arrangement. Il ajoute que ces accords d’agence continuent à empêcher la réduction des prix de vente de détail.

[170]   À mon avis, la conclusion du commissaire à ce titre n’est pas déraisonnable.

[171]   Comme l’a reconnu Kobo à l’audience de la présente demande, rien dans les jugements américains ne prévoit la résiliation de l’arrangement dans la mesure où il s’appliquait au Canada.

[172]   La plainte déposée contre les grands éditeurs aux États-Unis cherchait à obtenir [traduction] « une mesure d’injonction visant à prévenir d’autres préjudices aux consommateurs des États-Unis » (je souligne).

[173]   Ainsi, les jugements américains exigeaient des éditeurs ayant réglé qu’ils prennent certaines mesures par rapport à leurs accords avec les [traduction] « détaillants de livres numériques » et imposaient certaines interdictions à ces éditeurs quant à leurs interactions avec les détaillants de livres numériques et les autres éditeurs de livres numériques. Ainsi, l’expression [traduction] « détaillant de livres numériques » a été définie pour signifier [traduction] « toute personne vendant légalement (ou cherchant à vendre légalement) des livres numériques aux consommateurs des États-Unis ou agissant en intermédiaire pour l’un des éditeurs défendeurs aux fins de vendre des livres numériques aux consommateurs » (je souligne). L’expression [traduction] « éditeur de livres numériques » a également été définie en faisant référence à la propriété ou au contrôle des droits d’auteurs ou à une autre autorisation [traduction] « suffisante pour la distribution de livres numériques aux détaillants de livres numériques au sein des États-Unis et permettre la vente de livres numériques par ces derniers aux consommateurs des États-Unis » (je souligne).

[174]   De plus, conformément à la section IV.C des jugements américains, les éditeurs ayant réglé étaient tenus de remettre au ministère de la Justice un avis préalable quant à la formation ou à la modification importante de certains types de transaction quant à la vente, le développement ou la promotion des livres numériques aux États-Unis.

[175]   Il ne semble y avoir aucune mesure dans les jugements américains visant les opérations des éditeurs au Canada ou ayant pour objet de mettre fin à l’arrangement au Canada. Je remarque que le juge Gascon est parvenu à essentiellement la même conclusion quant au jugement américain auquel intervient HarperCollins Publishers LLC (HarperCollins, précitée, aux paragraphes 179 et 187 à 190).

[176]   De plus, Kobo n’a pas démontré que les jugements américains avaient eu des répercussions sur la mise en œuvre de l’arrangement au Canada.

[177]   En outre, la transition au modèle d’agence au Canada au cours de 2010 et de 2011 laisse entendre le contraire. Compte tenu de la preuve remise au commissaire et à notre Cour, il était raisonnablement loisible au commissaire de conclure que cette transition était le résultat de la mise en œuvre de l’arrangement au Canada (HarperCollins, précitée, aux paragraphes 195 à 204).

[178]   Finalement, à mon avis, aucune clause des ententes contractuelles de Kobo avec [***] ou tout autre éditeur défendeur n’empêche la mise en œuvre éventuelle de l’arrangement au Canada.

[179]   Durant le contre-interrogatoire de M. Tamblyn par l’avocat du commissaire, il lui a été demandé si des modifications avaient été apportées, quant au marché canadien du livre numérique, aux contrats de Kobo avec les grands éditeurs dans la foulée des règlements aux États-Unis. Il a répondu qu’à l’exception du contrat entre Kobo et [***], il ne croyait pas que les règlements américains avaient entraîné de telles modifications.

[180]   À la suite du jugement américain définitif contre la société mère de [***] aux États-Unis et certains autres grands éditeurs, Kobo et [***] ont conclu un bref accord. En résumé, l’accord prévoyait que i) le territoire américain serait retiré de l’accord existant daté du 31 mars 2010; ii) que les parties signeraient un accord séparé quant à la vente de livres numériques aux États-Unis; et iii) que Kobo continuerait d’agir en qualité d’agent canadien pour [***], conformément aux modalités de l’entente de 2010 susmentionnée.

[181]   À mon avis, ce bref accord témoigne du fait que l’arrangement n’était pas résilié au Canada. Au contraire, il stipule que l’arrangement était maintenu au Canada, mais qu’un nouvel accord serait convenu quant à la vente de livres numériques aux États-Unis.

[182]   [***] Rien n’indique clairement que ceci venait résilier l’arrangement au Canada, du point de vue de [***].

[183]   En résumé et à la lumière de ce qui précède, j’estime qu’il était raisonnablement loisible au commissaire de conclure que l’arrangement était toujours en vigueur (c.-à-d. qu’il était « existant ») au moment de la signature des consentements avec les éditeurs défendeurs. En d’autres termes, il était raisonnablement loisible au commissaire de conclure, en regard de la preuve devant lui, que l’arrangement visait le Canada et que les jugements américains n’y mettaient pas fin en ce qui concerne notre pays. Il était également raisonnablement loisible au commissaire de conclure que les stipulations contractuelles abordées précédemment ne résiliaient pas l’arrangement au Canada.

X.        Conclusion

[184]   Pour les motifs mentionnés à la partie VI ci-haut, j’estime qu’il ne serait pas approprié que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour entendre la demande de Kobo sur le fond.

[185]   Toutefois, advenant que j’aie commis une erreur en parvenant à cette conclusion, j’ai analysé cette demande sur le fond et conclu qu’elle devrait être rejetée.

[186]   Quant à la première question soulevée par Kobo, j’ai conclu que le commissaire avait la compétence territoriale à l’égard de l’arrangement. Étant donné les motifs figurant aux parties IX.A(2)(b)(i) et (ii) ci-haut, on peut déduire de l’esprit de la Loi dans son ensemble que l’article 90.1 s’applique à tous les accords et arrangements qui ont, ou risquent d’avoir, l’effet décrit à cette disposition, nommément, d’empêcher ou de diminuer la concurrence dans un marché. À tout événement, pour les motifs énoncés à la partie IX.A(2)(c), il existe un lien réel et substantiel entre l’arrangement et le Canada, ainsi, le commissaire avait la compétence territoriale de signer les consentements. Étant donné ces conclusions, il n’est pas nécessaire de chercher à savoir s’il est possible de renverser la présomption à l’encontre d’une application extraterritoriale d’une loi.

[187]   Quant à la deuxième question soulevée par Kobo, pour les motifs énoncés à la partie IX.B ci-dessus, j’ai conclu que le commissaire n’avait pas commis d’erreur en omettant d’accorder plus d’importance aux renseignements fournis par Kobo. Le commissaire a été informé de l’essentiel de ces renseignements et Kobo n’a pas produit d’éléments de preuve portant à croire qu’il n’a pas tenu compte de ces renseignements dans sa décision de signer les consentements.

[188]   Quant à la troisième question, j’estime qu’il était raisonnablement loisible au commissaire de conclure que l’arrangement était toujours en vigueur (c.-à-d. qu’il était « existant ») au moment de la signature des consentements avec les éditeurs défendeurs.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.    La demande est rejetée avec dépens en faveur du commissaire.

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