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T-762-15

2018 CF 822

Clifford Ray Cardinal (demandeur)

c.

Nation des Cris de Bigstone, Conseil de la Nation Crie de Bigstone, chef Gordon T. Auger, conseillère Clara Moberly, conseiller Bert Alook, conseiller Edward Bigstone, conseillère Josie Auger, conseillère Stella Noskiye, conseiller Art Bigstone, conseillère Freda Alook, conseiller Ivan Alook (défendeurs)

Répertorié : Cardinal c. Nation des Cris de Bigstone

Cour fédérale, juge Roussel—Edmonton, 13 mars; Vancouver, 9 août 2018.

Peuples autochtones — Élections — Contrôle judiciaire d’une décision rendue par le chef et le conseil de la Première Nation des Cris de Bigstone (NCB), destituant le demandeur de sa charge de conseiller de la NCB pour avoir omis de respecter les exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB — Selon les modalités de ce code, le chef et les conseillers doivent établir leur résidence dans la réserve où ils ont été élus dans les trois mois suivant leur élection et demeurer « résidents permanents » pendant toute la durée de leur mandat — Le demandeur a soutenu que le processus par lequel il a été destitué de sa charge était inéquitable sur le plan procédural et contrevenait aux principes de justice naturelle. — Il a soutenu également que les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contrevenaient aux droits à l’égalité qui lui sont reconnus en application de l’art. 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés — Le demandeur est membre de la NCB et affilié à la réserve de Calling Lake — Il ne vivait pas dans la réserve lorsqu’il a été réélu membre du conseil de la NCB — Le demandeur a par la suite été informé de sa destitution pour manquement aux exigences en matière de résidence du code électoral de la NCB — Il s’agissait de savoir si la décision du conseil de la NCB de destituer le demandeur de sa charge a fait en sorte que le demandeur a été privé de son droit d’équité procédurale et a contrevenu aux principes de justice naturelle; si les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contrevenaient à ses droits à l’égalité en application de l’art. 15 de la Charte; quelle était la mesure de réparation qui convenait dans la présente affaire — Le demandeur avait droit à l’équité procédurale dans le cadre de la procédure visant à le destituer de sa charge de conseiller, mais ses droits à l’équité procédurale n’ont pas été enfreints par les défendeurs dans la présente affaire — En ce qui concerne les droits énoncés à l’art. 15 de la Charte, l’exigence en matière de résidence prescrite par le code électoral de la NCB établit une distinction au motif analogue de l’autochtonitélieu de résidence — La distinction impose un fardeau aux membres hors réserve et les prive d’un avantage ayant pour effet de perpétuer la notion erronée que les membres de la bande qui vivent hors réserve n’ont pas d’intérêt et ont une capacité réduite à participer à la gouvernance de la bande — Par conséquent, l’exigence en matière de résidence énoncée dans le code électoral de la NCB est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande en raison de leur statut de membre hors réserve — Même si certaines des réparations demandées par le demandeur ne pouvaient être accordées, la décision du conseil de la NCB de destituer le demandeur du Conseil a été annulée — Demande accueillie.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Le chef et le conseil de la Première Nation des Cris de Bigstone (NCB) ont destitué le demandeur de sa charge de conseiller de la NCB pour avoir omis de respecter les exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB — Le demandeur a soutenu notamment que les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contrevenaient aux droits à l’égalité qui lui sont reconnus en application de l’art. 15(1) de la Charte — Le demandeur ne vivait pas dans la réserve lorsqu’il a été réélu membre du conseil de la NCB — Il a été par la suite destitué de sa charge pour manquement aux exigences en matière de résidence du code électoral de la NCB — Il s’agissait de savoir si les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contrevenaient aux droits à l’égalité du demandeur en application de l’art. 15 de la Charte; dans l’affirmative, si les dispositions des exigences en matière de résidence étaient justifiées en application de l’article premier de la Charte — L’exigence en matière de résidence prescrite par le code électoral de la NCB établit une distinction au motif analogue de l’autochtonitélieu de résidence — La distinction impose un fardeau aux membres hors réserve et les prive d’un avantage ayant pour effet de perpétuer la notion erronée que les membres de la bande qui vivent hors réserve n’ont pas d’intérêt et ont une capacité réduite à participer à la gouvernance de la bande — Par conséquent, l’exigence en matière de résidence énoncée dans le code électoral de la NCB est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande en raison de leur statut de membre hors réserve — Les défendeurs n’ont pas réussi à convaincre la Cour qu’il existait un lien rationnel entre les objectifs avancés et la capacité limitée des membres de la bande vivant hors de réserve à participer aux décisions de leur conseil de bande; que l’exigence en matière de résidence porte une atteinte minimale — En conséquence, les défendeurs n’ont pas démontré que l’exigence en matière de résidence était justifiée comme une limite raisonnable en application de l’article premier de la Charte — La décision du conseil de la NCB de destituer le demandeur du Conseil a été annulée — La Cour a également déclaré l’art. 17b) du code électoral de la NCB inopérant puisqu’il était contraire à l’art. 15 de la Charte et ne pouvait être justifié par l’article premier de la Charte.

  Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le chef et le conseil de la Première Nation des Cris de Bigstone (NCB), destituant le demandeur de sa charge de conseiller de la NCB pour avoir omis de respecter les exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB. Selon les modalités de ce code, le chef et les conseillers doivent établir leur résidence dans la réserve où ils ont été élus dans les trois mois suivant leur élection et demeurer [traduction] « résidents permanents » pendant toute la durée de leur mandat. Le demandeur a soutenu que le processus par lequel il a été destitué de sa charge était inéquitable sur le plan procédural et contrevenait aux principes de justice naturelle. Il a soutenu également que les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contrevenaient aux droits à l’égalité qui lui sont reconnus en application du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés. Les défendeurs ont soutenu que le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale puisqu’il a été informé suffisamment à l’avance et qu’il a eu une réelle possibilité de se conformer aux exigences en matière de résidence prescrites par le code électoral de la NCB. Ils ont soutenu également que les exigences en matière de résidence ne contrevenaient pas au paragraphe 15(1) de la Charte et que, le cas échéant, elles étaient justifiées par l’article premier de la Charte.

  La NCB est une Première Nation membre du Traité 8, située dans le nord de l’Alberta. Le demandeur est membre de la NCB et affilié à la réserve de Calling Lake. Depuis trois décennies, il est propriétaire d’une maison située environ 150 mètres hors de la frontière de la réserve de Calling Lake. Le demandeur a d’abord été élu au conseil de la NCB en 2010 pour représenter la communauté de Calling Lake, il a habité dans la réserve et a siégé au conseil de la NCB jusqu’à la fin de son mandat de quatre ans. En 2014, le demandeur a été défait aux élections générales et est déménagé à l’extérieur de la réserve. Après que les résultats des élections ont été invalidés en appel, le demandeur a été réélu. En février 2015, le demandeur s’est fait rappeler l’obligation de résidence pour les conseillers élus et a été appelé à soumettre sa vérification du lieu de résidence au plus tard à une date donnée. Les éléments de preuve fournis par le demandeur n’ont pas été considérés comme étant suffisants pour démontrer son lieu de résidence dans la réserve. Le conseil de la NCB a ensuite informé le demandeur par écrit de sa destitution pour manquement aux exigences en matière de résidence du code électoral de la NCB.

  Il s’agissait de savoir si la décision du conseil de la NCB de destituer le demandeur de sa charge a fait en sorte que le demandeur a été privé de son droit d’équité procédurale et a contrevenu aux principes de justice naturelle; si les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contrevenaient à ses droits à l’égalité en application de l’article 15 de la Charte; dans l’affirmative, si les dispositions des exigences en matière de résidence étaient justifiées en application de l’article premier de la Charte; et quelle était la mesure de réparation qui convenait dans la présente affaire.

Jugement : La demande doit être accueillie.

  Le demandeur avait droit à l’équité procédurale dans le cadre de la procédure visant à le destituer de sa charge de conseiller. La question fondamentale à trancher était celle de savoir si le demandeur connaissait la défense à présenter et s’il a eu une occasion totale et équitable de répondre. Après avoir examiné le dossier, la Cour n’était pas convaincue que les droits du demandeur à l’équité procédurale ont été enfreints par les défendeurs. L’importance de la décision concernant la destitution, tant pour le demandeur que pour les membres de la communauté de Calling Lake qui ont voté pour lui, a été prise en considération. Le demandeur connaissait la défense à présenter et il a eu la possibilité de répondre. Il a été avisé, à l’oral et à l’écrit, du fait que ses collègues au sein du conseil s’inquiétaient de son manquement à établir sa résidence dans la réserve dans laquelle il a été élu. Il a également été informé au préalable des conséquences de ne pas se conformer aux exigences en matière de résidence et a eu l’occasion de répondre en soumettant des documents démontrant qu’il se conformait à ces exigences. Les documents soumis par le demandeur n’étaient pas conformes aux attentes du conseil de la NCB. Aucun élément de preuve en l’espèce n’a démontré qu’il y avait eu, de la part du demandeur, « des efforts continus et légitimes » pour établir sa résidence qui auraient permis de satisfaire aux exigences énoncées dans le code électoral de la NCB pour la demande d’« établir sa résidence » dans la réserve de Calling Lake. Enfin, il était raisonnable que le conseil de la NCB exclue le demandeur de la réunion pour encourager une discussion franche et ouverte entre les membres du conseil.

  En ce qui concerne les droits énoncés à l’article 15 de la Charte, le cadre analytique en deux volets établi par la Cour suprême a été utilisé pour déterminer si une loi porte atteinte à la garantie d’égalité en application du paragraphe 15(1) de la Charte. Il fallait d’abord déterminer si l’exigence en matière de résidence prescrite par le code électoral de la NCB établit une distinction. À première vue, l’exigence en matière de résidence est neutre et n’établit aucune distinction au motif analogue de l’autochtonitélieu de résidence. Toutefois, la distinction découle de ses répercussions, puisqu’elle impose un traitement différentiel et exerce un effet disproportionné sur les membres de la bande au motif de leur statut de membre hors réserve. Contrairement aux candidats qui habitent déjà sur la réserve, les candidats hors réserve doivent établir leur résidence dans la réserve dans les trois mois suivant leur élection. Par conséquent, les dispositions de l’exigence en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB créent une distinction au motif analogue de l’autochtonitélieu de résidence. En ce qui concerne la deuxième partie de l’analyse, la distinction créée par la résidence impose un fardeau aux membres hors réserve et les prive d’un avantage ayant pour effet de perpétuer la notion erronée que les membres de la bande qui vivent hors réserve n’ont pas d’intérêt et ont une capacité réduite à participer à la gouvernance de la bande. Cette distinction renforce également le stéréotype historique selon lequel les membres hors réserve sont moins dignes de reconnaissance et n’ont pas droit aux mêmes avantages, non pas sur le mérite, mais parce qu’ils vivent hors de la réserve. Par conséquent, l’exigence en matière de résidence énoncée dans le code électoral de la NCB est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande en raison de leur statut de membre hors réserve.

  En ce qui concerne la question de savoir si l’exigence en matière de résidence est justifiée en application de l’article premier de la Charte, les défendeurs ont soutenu que l’objectif de l’exigence en matière de résidence de favoriser des liens réels, étroits et actuels avec la communauté était un objectif légitime qui est inextricablement lié à la restriction imposée. Ils n’ont toutefois pas réussi à convaincre la Cour qu’il existait un lien rationnel entre les objectifs avancés par les défendeurs et la capacité limitée des membres de la bande vivant hors de réserve à participer aux décisions de leur conseil de bande. En outre, leur argument selon lequel l’exigence en matière de résidence porte une atteinte minimale puisqu’elle ne prive pas les membres de leur droit de voter, d’être candidat à une élection ou participer à la gouvernance de leur bande n’a pas été retenu. En conséquence, les défendeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que l’exigence en matière de résidence était justifiée comme une limite raisonnable en application de l’article premier de la Charte.

  Relativement à la question de la réparation, certaines des réparations demandées par le demandeur ne pouvaient être accordées en raison plus particulièrement de l’insuffisance des éléments de preuve. Néanmoins, la décision du conseil de la NCB de destituer le demandeur du Conseil a été annulée. La Cour a déclaré l’alinéa 17b) du code électoral de la NCB inopérant puisqu’il était contraire à l’article 15 de la Charte et ne pouvait être justifié par l’article premier de la Charte.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 15.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, art. 77(1).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, tarif B, colonne III.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Erasmo c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 129; Joseph c. Première nation Dzawada’enuxw (Tsawataineuk), 2013 CF 974; Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203; Esquega c. Canada (Procureur général), 2007 CF 878, [2008] 1 R.C.F. 795 infirmée pour d’autres motifs par 2008 CAF 182, [2009] 1 R.C.F. 448; Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4, [2016] 1 R.C.S. 13; R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103.

décisions différenciées :

Lavallee c. Ferguson, 2016 CAF 11; Orr c. Première Nation de Peerless Trout, 2015 CF 1053, conf. par 2016 CAF 146.

décisions examinées :

Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548; Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464; Thompson c. Première Nation Leq’á  :mel, 2007 CF 707.

décisions citées :

Sparvier c. Bande indienne Cowessess, [1993] 3 C.F. 142 (1re inst.); Établissement de Mission c. Khela, 2004 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 122; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 774; Prince c. Première Nation de Sucker Creek, 2008 CF 1268; Parenteau c. Badger, 2016 CF 535; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Canada c. Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175; Parker c. Conseil de la bande indienne d’Okanagan, 2010 CF 1218; Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61; Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396; R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483; Cockerill c. Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2010 CF 337; Clifton c. Bande indienne de Hartley Bay, 2005 CF 1030, [2006] 2 R.C.F. 24.

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision rendue par le chef et le conseil de la Première Nation des Cris de Bigstone (NCB), destituant le demandeur de sa charge de conseiller de la NCB pour avoir omis de respecter les exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Allyson F. Jeffs pour le demandeur.

Françoise H. Belzil pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Emery Jamieson LLP, Edmonton, pour le demandeur.

Biamonte LLP, Edmonton, pour les défendeurs.

            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

La juge Roussel :

I.          Aperçu

[1]        Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 24 mars 2015 par le chef et le conseil de la Première Nation des Cris de Bigstone (NCB), le destituant de sa charge de conseiller de la NCB pour avoir omis de respecter les exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB. Selon les modalités de ce code, le chef et les conseillers doivent établir leur résidence dans la réserve où ils ont été élus dans les trois mois suivant leur élection et demeurer [traduction] « résidents permanents » pendant toute la durée de leur mandat.

[2]        Le demandeur soutient que le processus par lequel il a été destitué de sa charge était inéquitable sur le plan procédural et contrevenait aux principes de justice naturelle. Il soutient également que les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contreviennent aux droits à l’égalité qui lui sont reconnus en application du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la Charte).

[3]        Les défendeurs soutiennent que le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale puisqu’il a été informé suffisamment à l’avance et qu’il a eu une réelle possibilité de se conformer aux exigences en matière de résidence prescrites par le code électoral de la NCB. Ils soutiennent également que les exigences en matière de résidence ne contreviennent pas au paragraphe 15(1) de la Charte et que, le cas échéant, elles sont justifiées par l’article 1 de la Charte.

[4]        La demande de contrôle judiciaire est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.         Énoncé des faits

[5]        La NCB est une Première Nation membre du Traité 8, située dans le nord de l’Alberta. Elle est formée de trois communautés : Wabasca/Desmarais, Chipewyan Lake et Calling Lake. La communauté de Wabasca est la plus importante. Les deux autres communautés sont plus petites et plus isolées.

[6]        Le demandeur est membre de la NCB et affilié à la réserve de Calling Lake. Depuis trois décennies, il est propriétaire d’une maison située environ 150 mètres hors de la frontière de la réserve de Calling Lake.

[7]        Le demandeur a d’abord été élu au conseil de la NCB en 2010 pour représenter la communauté de Calling Lake. Pour se conformer à l’obligation de résidence du code électoral de la NCB, le demandeur est déménagé chez son fils, qui habite la réserve de Calling Lake. Cet arrangement a été approuvé par le chef et le conseil de la NCB.

[8]        Le demandeur a siégé au conseil de la NCB jusqu’à la fin de son mandat de quatre ans. En septembre 2014, le demandeur a été défait aux élections générales et est déménagé à l’extérieur de la réserve. Après que les résultats des élections ont été invalidés en appel, le demandeur a été réélu dans une élection partielle, le 20 novembre 2014.

[9]        Le 10 février 2015, le chef de la NCB a fait parvenir au demandeur une lettre lui rappelant l’obligation de résidence pour les conseillers élus. Dans cette lettre, on informait le demandeur qu’il avait jusqu’à la fin du mois de février 2015 pour devenir résident permanent de la réserve de Calling Lake, à défaut de quoi il contreviendrait au code électoral de la NCB et la disposition sur la révocation pour avoir omis de se conformer à l’obligation de résidence serait appliquée immédiatement. La lettre indiquait également que le demandeur aurait à démontrer et à prouver qu’il était résident de la réserve de Calling Lake avant la fin de février 2015. Pour ce faire, il aurait à fournir son lieu de résidence ainsi qu’une confirmation du service du logement ou de plusieurs résidents de Calling Lake attestant son lieu de résidence. Le chef de la BCN a conclu en indiquant qu’il attendait une réponse de la part du demandeur très rapidement.

[10]      Le 20 février 2015, le chef de la NCB a fait parvenir une lettre aux conseillers de la NCB, dont le demandeur, pour les aviser qu’il avait reçu des appels de membres de la communauté de Calling Lake. Il recommandait que les problèmes et les préoccupations persistantes concernant des questions comme le logement fassent l’objet de discussions avec [traduction] « nos collègues de Calling Lake ». Il a ajouté que [traduction] « nos collègues font partie du problème » et a demandé que la question soit résolue à huis clos.

[11]      Lors d’une réunion tenue le 24 février 2015, le chef et les conseillers de la NCB ont déterminé que le demandeur aurait à soumettre sa vérification du lieu de résidence au plus tard le 2 mars 2015.

[12]      Le 2 mars 2015, le demandeur a obtenu un formulaire de transfert d’occupation auprès du directeur de la régie du logement d’Opasikoniwew (régie du logement) et l’a soumise au secrétaire administratif du conseil de la NCB afin qu’elle soit transmise au chef et au conseil.

[13]      Le 16 mars 2015, le chef de la NCB a écrit une fois de plus au demandeur. Il a félicité le demandeur pour son expérience de leadership et lui a rappelé l’obligation du conseil d’appliquer le code électoral de la NCB. Il a informé le demandeur qu’à son avis, les éléments de preuve fournis n’étaient pas suffisants pour démontrer son lieu de résidence dans la réserve et seraient donc considérés comme des renseignements invalides. Il a avisé le demandeur qu’à moins qu’il fournisse 20 signatures d’électeurs admissibles résidant dans la réserve de Calling Lake et attestant qu’il était résident de cette réserve, lui et les membres du conseil n’auraient d’autre choix que de mettre en œuvre la procédure de destitution.

[14]      Le demandeur a fourni au total 16 signatures, qu’il a transmises au chef de la NCB le 24 mars 2015, le deuxième jour d’une réunion régulière du conseil de la NCB. Environ une heure après le début de la réunion, le chef a demandé que la réunion se poursuive en l’absence du demandeur afin de discuter des questions le concernant.

[15]      Au cours de la partie à huis clos de la réunion, une motion a été adoptée pour rejeter le formulaire de transfert d’occupation du demandeur. Une autre motion a été adoptée pour expulser le demandeur du conseil. Le demandeur a ensuite été réinvité à prendre part à la réunion et on l’a avisé de la décision.

[16]      La destitution du demandeur a été ensuite confirmée par écrit le 8 avril 2015 dans une lettre signée par le chef et les huit conseillers qui étaient présents lors de la réunion. La lettre informait le demandeur de sa destitution pour manquement aux exigences en matière de résidence du code électoral de la NCB, prenant effet le 24 mars 2015.

[17]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de le destituer de sa charge rendue le 24 mars 2015.

III.        Le code électoral de la NCB

[18]      À l’origine, la NCB était formée de cinq communautés : Wabasca, Calling Lake, Chipewyan Lake, Peerless Lake et Trout Lake. En décembre 2009, Sa Majesté la Reine du chef du Canada et la NCB ont signé un accord de règlement territorial qui comprenait, entre autres, la création de la Première Nation de Peerless Trout et de nouvelles terres de réserve ainsi que l’octroi d’indemnités financières. L’accord reconnaissait également le droit ancestral inhérent de la NCB et le droit issu de traités à la gouvernance des relations entre les membres et à l’autonomie gouvernementale.

[19]      Conformément audit accord territorial et aux dispositions modificatives du Règlement électoral coutumier de la NCB, le conseil de la NCB et les électeurs ont adopté le code électoral de la NCB, qui modifiait la façon d’élire le chef et les membres du conseil. Alors que le chef et les conseillers étaient auparavant élus par l’ensemble des membres de la NCB, chaque communauté serait maintenant représentée directement au sein du conseil.

[20]      En l’espèce, les dispositions pertinentes du code électoral de la NCB sont rédigées ainsi :

[traduction]

2. DÉFINITIONS

Aux fins du présent code électoral, y compris les annexes ci-jointes :

[…]

2.2        « Affilié » ou « Affiliation » désignent le lien d’un membre avec une communauté aux fins électorales, tel que cela est déterminé conformément à l’article 6 de ce code électoral et tel que cela est précisé dans la liste des électeurs.

2.3        « Communauté affiliée » ou « Affiliation communautaire » désignent la communauté au sein de laquelle un membre réside, ou si le membre ne réside pas au sein de l’une des communautés, la communauté à laquelle le membre est affilié, tel que déterminé conformément à l’article 6 de ce code électoral à des fins électorales et tel que précisé dans la liste des électeurs.

[…]

2.7        « Candidat » désigne un électeur nommé lors d’une élection, conformément à l’article 8 du présent code électoral.

[…]

2.9        « Communauté » et « Communautés » désignent, individuellement et collectivement, les établissements de réserve qui composent la NCB, soit les communautés de Wabasca/Desmarais, de Calling Lake et de Chipewyan Lake.

[…]

2.14        « Conseiller de Calling Lake » désigne un conseiller élu par les électeurs affiliés à la communauté de Calling Lake.

[…]

2.23      « Électeur » désigne une personne :

a)     dont le nom apparaît sur la liste de membres;

b)    âgée d’au moins dix-huit (18) ans au jour de l’élection;

c)     affiliée à l’une des communautés.

[…]

3.         COMPOSITION, QUORUM ET DURÉE DU MANDAT DU CONSEIL

3.1        Composition

a)     La NCB sera gouvernée par un conseil formé des personnes suivantes :

i)     un (1) chef, élu par les électeurs de la NCB;

ii)     six (6) conseillers de la communauté de Wabasca/Desmarais;

iii)    deux (2) conseillers de la communauté de Calling Lake;

iv)    deux (2) conseillers de la communauté de Chipewyan Lake.

[…]

8.         MISES EN CANDIDATURE

[…]

8.3        Électeurs admissibles à une mise en candidature

a)    Sous réserve des limites énoncées aux paragraphes (b) à (i), tout électeur est admissible à présenter sa candidature.

[…]

17.        OBLIGATION DE RÉSIDENCE POUR LE CHEF ET LES CONSEILLERS

Dans les trois (3) mois suivant leur élection et pendant toute la durée de leur mandat :

a)     le Chef deviendra résident de l’une des réserves et y demeurera de façon permanente;

b)    les conseillers de Calling Lake établiront leur résidence et demeureront de façon permanente dans la réserve de Calling Lake;

c)     les conseillers de Chipewyan Lake établiront leur résidence et demeureront de façon permanente dans la réserve de Chipewyan Lake;

d)    les conseillers de Wabasca/Desmarais établiront leur résidence et demeureront de façon permanente dans la réserve de Wabasca/Desmarais.

18.        SUSPENSION DU CHEF OU D’UN CONSEILLER

18.1        Par résolution du conseil, le chef ou un conseiller peut être suspendu sans solde pour les raisons suivantes :

[…]

b)    tout motif énoncé à l’article 19.1.

[…]

19.        DESTITUTION

19.1      La destitution du chef ou d’un conseiller sera déterminée par le conseil pour les motifs suivants :

[…]

g)    en contravention de l’article 17, ne pas devenir résident ou continuer à ne pas résider de façon permanente dans une réserve applicable de la NCB pendant son mandat;

[…]

19.2      après la confirmation des raisons de la destitution, le conseil peut, par résolution, destituer le chef ou un conseiller de sa charge.

20.        ÉLECTIONS PARTIELLES

[…]

20.3      Candidat admissible

[…]

b)    La personne dont la destitution par le conseil conformément à l’article 19 entraîne la tenue d’élections partielles n’est pas admissible à se présenter comme candidat à ces élections partielles ou à tout poste lors des prochaines élections générales.

IV.       Questions en litige et norme de contrôle

[21]      Le demandeur soutient que la décision du conseil de la NCB de le destituer de sa charge était inéquitable sur le plan procédural et contrevenait aux principes de justice naturelle. Il soutient également que les dispositions des exigences en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB contreviennent à ses droits à l’égalité et ne sont pas justifiées aux termes de l’article 1 de la Charte.

[22]      Bien que le demandeur fasse référence à la justice naturelle et à l’équité procédurale en tant que concepts distincts dans ses plaidoiries, il n’est pas nécessaire que je fasse cette distinction aux fins de la présente procédure (décision Sparvier c. Bande indienne Cowessess, [1993] 3 C.F. 142 (1re inst.) (décision Sparvier), aux paragraphes 59 à 61 [pages 165 et 166]). Ma décision sera axée uniquement sur le principe d’équité procédurale.

[23]      Il est depuis longtemps établi que les questions d’équité procédurale doivent être examinées en regard de la norme de la décision correcte (arrêt Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79; arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43). Cependant, la Cour d’appel fédérale a récemment conclu que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de notre Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (arrêt Chemin de fer Canadien Pacifique c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, [2019] 1 R.C.F. 122 (arrêt Canadien Pacifique), au paragraphe 54; voir également l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (arrêt Dunsmuir), au paragraphe 79).

[24]      De même, il est tout aussi déroutant de définir une norme de contrôle applicable à une question constitutionnelle soulevée pour la première fois devant la Cour. Quoi qu’il en soit, les questions constitutionnelles sont généralement susceptibles d’un contrôle selon la norme de la décision correcte (arrêt Erasmo c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 129 (Erasmo), aux paragraphes 29 et 30; décision Atawnah c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 774, au paragraphe 47; décision Joseph c. Première nation Dzawada’enuxw (Tsawataineuk), 2013 CF 974 (décision Joseph), au paragraphe 39; arrêt Dunsmuir, au paragraphe 58).

[25]      Les défendeurs font valoir, dans leurs mémoires des faits, que l’interprétation et l’application de lois électorales coutumières par un conseil de bande, y compris la décision de destituer un conseiller de sa charge, sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable puisque l’interprétation doit être éclairée par les coutumes sur lesquelles elles sont fondées, ce dont les corps électoraux, le chef et le conseil possèdent une meilleure compréhension que la Cour. Bien que je sois d’accord que la norme de contrôle de la décision raisonnable soit aussi présumée s’appliquer à la décision d’un conseil de bande dans son interprétation de la réglementation électorale coutumière, les arguments du demandeur ne sont pas axés sur l’application strictement technique des dispositions des exigences en matière de résidence du code électoral de la NCB par les défendeurs. Le demandeur soutient plutôt que le conseil de bande l’a privé de son droit d’équité procédurale et que les dispositions des exigences en matière de résidence sont inopérantes puisqu’elles contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte.

A.    Équité procédurale et justice naturelle

[26]      Le demandeur soutient qu’on l’a privé de son droit d’équité procédurale pour les motifs suivants : 1) il s’attendait légitimement à ce que la procédure par laquelle il a établi sa résidence dans la réserve après l’élection de 2010 serait appliquée à nouveau après son élection en novembre 2014; 2) le formulaire de transfert d’occupation et la liste des signatures démontrant son lieu de résidence n’ont pas été soumis au conseil, si bien que le conseil disposait d’un dossier incomplet lorsqu’il a pris la décision de le destituer du conseil; 3) il ignorait qu’il y aurait une audience visant à le destituer de sa charge le 24 mars 2015; 4) on ne lui a pas donné l’occasion de s’exprimer lors de l’audience ou de soumettre des documents écrits; 5) aucune information ne lui a été fournie quant à la réponse attendue de sa part; 6) il a été exclu de l’audience à huis clos; et 7) aucune raison ne lui a été fournie quant au processus décisionnel ayant mené à sa destitution.

[27]      Outre l’obligation pour le conseil de la NCB de confirmer les motifs de la destitution et de procéder par voie de résolution, le code électoral de la NCB ne prévoit aucun processus particulier pour destituer un conseiller de sa charge s’il ne répond pas aux exigences en matière de résidence.

[28]      Quoi qu’il en soit, les conseils de bande doivent néanmoins agir conformément à la primauté du droit et sont tenus de s’acquitter de l’obligation d’équité procédurale dans l’exercice de leurs pouvoirs et dans la prise de décisions dans l’intérêt de ceux qu’ils représentent (décision Prince c. Première Nation de Sucker Creek, 2008 CF 1268, au paragraphe 39; arrêt Sparvier, aux paragraphes 57 et 58). Ainsi, le demandeur avait droit à l’équité procédurale dans le cadre de la procédure visant à le destituer de sa charge de conseiller (décision Parenteau c. Badger, 2016 CF 535 (décision Parenteau), au paragraphe 49).

[29]      Il est également bien établi que la notion d’équité procédurale est variable et que son contenu doit être décidé dans le contexte précis de chaque affaire (arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (arrêt Baker), au paragraphe 21; arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 40; arrêt Canada c. Première Nation d’Akisq’nuk, 2017 CAF 175, au paragraphe 20). Bien que la Cour suprême du Canada ait établi une liste non exhaustive de cinq facteurs à prendre en compte au moment de déterminer ce qui est exigé en matière d’équité procédurale dans des circonstances données (arrêt Baker, aux paragraphes 23 à 28), la question fondamentale demeure, à mon avis, de savoir si le demandeur connaissait la défense à présenter et s’il a eu une occasion totale et équitable de répondre (arrêt Canadien Pacifique, au paragraphe 56; décision Parenteau, au paragraphe 49).

[30]      Après avoir examiné le dossier, je ne suis pas convaincue que les droits du demandeur à l’équité procédurale ont été enfreints par les défendeurs.

[31]      Le demandeur savait qu’il était tenu de devenir résident permanent de la réserve dans les trois mois suivant son élection. Le demandeur a été avisé dans une lettre datée du 10 février 2015 qu’il avait jusqu’à la fin de février 2015 pour devenir résident permanent de la réserve de Calling Lake et pour prouver qu’il répondait aux exigences en matière de résidence, à défaut de quoi la procédure de destitution serait appliquée immédiatement, conformément à l’article 19.1 du code électoral de la NCB. On lui a également indiqué les renseignements qu’il devait fournir.

[32]      Il ne s’agissait pas d’une question nouvelle pour le demandeur. Lorsque le demandeur a été initialement nommé au poste de conseiller, en 2010, ses obligations lui ont été rappelées dans deux notes de service internes datées du 8 novembre 2010 et du 9 décembre 2010 (dossier du demandeur, vol. 1, aux pages 152 et 153). Pour se conformer à l’obligation de résidence du code électoral de la NCB, le demandeur a déménagé chez son fils, qui habitait la réserve. Ses obligations lui ont ensuite été rappelées en mars 2014, lorsque le chef de la NCB a écrit au demandeur pour lui demander de confirmer qu’il était résident de la réserve de Calling Lake, conformément à l’article 17 du Code électoral de la NCB. La question du lieu de résidence du demandeur a de nouveau été soulevée après sa réélection, en novembre 2014. Au cours de son contre-interrogatoire au sujet de son affidavit, le demandeur a indiqué que ses collègues au sein du conseil avaient amorcé, à la blague, un décompte non officiel jusqu’à la date à laquelle il serait obligé de résider dans la réserve (dossier du demandeur, vol. 3, aux pages 598 et 599).

[33]      Outre le fait qu’il savait qu’il devait se soumettre à l’obligation de résidence dans un délai précis et que le conseil de la NCB prévoyait appliquer immédiatement les procédures de destitution prévues dans le code électoral de la NCB s’il omettait de le faire, le demandeur savait également que la réunion aurait lieu sans égard à son lieu de résidence. Le demandeur a déclaré, au cours de son contre-interrogatoire, que lorsqu’il a obtenu le formulaire de transfert d’occupation, le 2 mars 2015, il a avisé le directeur de la régie du logement qu’il avait besoin du formulaire puisque le chef et le conseil avaient prévu une réunion et qu’il souhaitait leur soumettre (dossier du demandeur, vol. 3, aux pages 154 et 155).

[34]      Le demandeur fait valoir qu’il s’attendait légitimement à satisfaire aux exigences en matière de résidence de la même façon qu’il l’avait fait au cours de son premier mandat, mais que cela lui a été refusé.

[35]      Cet argument ne peut être retenu puisque le demandeur n’a pas procédé de la même manière. En 2011, le demandeur et son fils ont signé une convention de bail avec la régie du logement. Le demandeur apparaît comme l’un des occupants et l’unité occupée est indiquée dans la convention. Le demandeur a également fourni une lettre de son fils indiquant que le demandeur habitait avec lui. Par contre, en mars 2015, le demandeur a soumis un formulaire de transfert d’occupation incomplet. Bien que le formulaire soit signé par le directeur de la régie du logement et qu’il désigne le demandeur comme étant le nouvel occupant, les parties du formulaire indiquant le nom, l’adresse, le numéro de téléphone et le numéro de bande de l’occupant précédent, y compris le numéro de lot et le nom de la rue où se trouvait le lot transféré, ne sont pas remplies. Le formulaire n’est pas non plus attesté par un témoin. Plus important encore, le demandeur n’a pas fourni de document de son fils confirmant qu’il résidait ou résiderait avec lui.

[36]      Le demandeur soutient également que les documents qui confirmaient son lieu de résidence n’ont pas été soumis au Conseil. Une fois de plus, l’argument du demandeur n’est pas étayé par le dossier. Le procès-verbal de la réunion du conseil tenue le 24 mars 2015 indique qu’une motion a été présentée pour rejeter le formulaire de transfert d’occupation et a été adoptée par sept voix contre une (dossier du demandeur, vol. 5, à la page 1067).

[37]      Bien qu’il ne soit pas clair, à la lumière du dossier, si la liste de 16 signatures recueillies par le demandeur a été soumise au conseil de la NCB, le défaut de le faire n’aurait pas eu d’effet déterminant. Rien dans le document n’indique pourquoi les signatures ont été recueillies et à quel moment les personnes ont signé. Le demandeur a également admis, lors de son contre-interrogatoire, qu’il n’a pas recueilli lui-même les signatures et qu’il n’y a pas d’élément de preuve quant à l’explication fournie aux signataires au moment où on leur a demandé de signer. Le directeur général et le chef de la NCB soutiennent également, dans leurs affidavits, qu’ils n’ont reconnu aucune des signatures figurant dans le document. Dans ce contexte, il n’aurait pas été déraisonnable pour le conseil de la NCB de rejeter la liste de signatures fournie par le demandeur. En outre, j’estime qu’il est difficile de faire le lien entre la liste de signatures fournie par le demandeur pour démontrer son lieu de résidence dans la réserve et l’argument du demandeur selon lequel il n’a pu démontrer qu’il avait établi sa résidence dans la réserve.

[38]      Le demandeur se plaint également qu’il a été exclu de la réunion à huis clos et qu’il n’a pu s’adresser au chef et conseil avant ou après qu’ils aient pris leur décision sans lui.

[39]      La plainte du demandeur est sans fondement.

[40]      L’équité procédurale ne nécessite pas toujours que la personne ait droit à une audience (arrêt Baker, aux paragraphes 33 et 34; décision Parker c. Conseil de la bande indienne d’Okanagan, 2010 CF 1218, au paragraphe 62). C’est l’occasion de répondre qui importe. Bien que le demandeur n’ait pas eu la possibilité de s’adresser au chef et au conseil de manière officielle avant la réunion, le dossier démontre que le demandeur était présent lors de la réunion du conseil, lorsque le chef de la NCB a indiqué qu’il désirait procéder à huis clos. Comme le demandeur l’a lui-même déclaré lors de son contre-interrogatoire, toutes les personnes présentes savaient que l’objectif de la réunion à huis clos était de régler la question liée au lieu de résidence du demandeur (dossier du demandeur, vol. 3, aux pages 181 et 182). Le dossier montre également que la question a fait l’objet d’une discussion informelle avant la partie de la réunion s’étant tenue à huis clos (dossier du demandeur, vol. 2, à la page 428). Bien qu’il ne soit pas clair en quoi consistaient ces discussions, aucun élément de preuve ne démontre que le demandeur s’est opposé à son exclusion du conseil ou qu’il a tenté de s’adresser officiellement à ses collègues avant qu’ils ne poursuivent la réunion à huis clos. On ne peut que présumer que cela est dû au fait que le demandeur avait déjà fait part de ses opinions au conseil. Des éléments de preuve démontrent également que le demandeur avait demandé au conseil de recourir à la sanction la moins sévère, à savoir la suspension sans solde prévue à l’article 18 du code électoral de la NCB.

[41]      Finalement, l’observation du demandeur selon laquelle les exigences en matière de résidence ont été appliquées de façon incohérente était également non fondée. Le demandeur n’a présenté aucun élément de preuve clair et convaincant pour me persuader que le chef et le conseil de la NCB ont appliqué un processus différent pour imposer le respect de la réglementation lorsqu’ils ont été avisés du manquement aux exigences en matière de résidence.

[42]      Pour conclure, j’ai pris en considération l’importance de la décision concernant la destitution, tant pour le demandeur que pour les membres de la communauté de Calling Lake qui ont voté pour lui. Toutefois, je ne suis pas persuadée, à la lumière des éléments de preuve dont je dispose, que les droits du demandeur à l’équité procédurale ont été violés. Le demandeur connaissait la défense à présenter et il a eu la possibilité de répondre. Il a été avisé, à l’oral et à l’écrit, du fait que ses collègues au sein du conseil s’inquiétaient de son manquement à établir sa résidence dans la réserve dans laquelle il a été élu. Il a également été informé au préalable des conséquences de ne pas se conformer aux exigences en matière de résidence et a eu l’occasion de répondre en soumettant des documents démontrant qu’il se conformait à ces exigences. Les documents soumis par le demandeur n’étaient pas conformes aux attentes du conseil de la NCB. En outre, contrairement à l’arrêt Lavallee c. Ferguson, 2016 CAF 11 (arrêt Lavallee), aucun élément de preuve en l’espèce ne démontre qu’il y a eu, de la part du demandeur, « des efforts continus et légitimes » pour établir sa résidence qui auraient permis de satisfaire aux exigences énoncées dans le code électoral de la NCB pour la demande d’« établir sa résidence » dans la réserve de Calling Lake (arrêt Lavallee, au paragraphe 29). Enfin, il était raisonnable que le conseil de la NCB exclue le demandeur de la réunion pour encourager une discussion franche et ouverte entre les membres du conseil.

B.    Droits à l’égalité en application de l’article 15 de la Charte

[43]      En premier lieu, les défendeurs font valoir, dans leur mémoire des faits que les éléments de preuve présentés à la Cour étaient insuffisants pour trancher la question constitutionnelle. Ils demandent que la réparation constitutionnelle du demandeur soit instruite.

[44]      Les défendeurs n’ont pas développé la question et n’ont pas défini le type d’élément de preuve qui serait le mieux adapté aux procédures par voie d’action. Bien que je constate des lacunes dans les éléments de preuve fournis par les deux parties, je ne suis pas convaincue qu’elles résultent de la nature de la procédure. Les deux parties ont déposé des éléments de preuve par affidavit à l’appui de leur position et les principaux déclarants ont été contre-interrogés sur leurs déclarations assermentées. Elles ont également fourni des éléments de preuve supplémentaire en réponse à un certain nombre d’engagements. À mon avis, les deux parties ont eu amplement l’occasion et le temps de présenter des éléments de preuve relativement à l’argument constitutionnel compte tenu du fait que la demande de contrôle judiciaire a été déposée le 8 mai 2015 et n’a été entendue qu’en mars 2018. En outre, je ne suis pas convaincue que la conversion de cette demande en action soit justifiée puisque la principale réparation demandée par le demandeur dans cette demande de contrôle judiciaire consiste à faire annuler la décision de le destituer de sa charge au sein du conseil.

[45]      Je reconnais également qu’en général, les questions constitutionnelles ne peuvent être soulevées pour la première fois devant la cour de révision si elles n’ont pas d’abord été soumises au décideur administratif. Les défendeurs n’ont pas soulevé d’objection pour ce motif. Dans l’affaire Erasmo, la Cour d’appel fédérale a conclu que la question constitutionnelle dans cette cause pouvait être soulevée pour la première fois devant la Cour puisque, dans les circonstances de l’affaire, le gestionnaire des peines de l’Établissement de Stony Mountain ne représenta pas un tribunal compétent et adéquat devant lequel l’appelant pouvait soulever ses préoccupations d’ordre constitutionnel (arrêt Erasmo, aux paragraphes 31 à 38). Le raisonnement est le même en l’espèce. Par conséquent, je vais maintenant m’attarder sur l’argument constitutionnel du demandeur.

[46]      Le paragraphe 15(1) de la Charte est rédigé ainsi :

Égalité devant la loi, égalité de bénéfice et protection égale de la loi

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.   

[47]      La Cour suprême du Canada a récemment réitéré le cadre analytique en deux volets utilisé pour déterminer si une loi porte atteinte à la garantie d’égalité en application du paragraphe 15(1) de la Charte. Le premier volet de l’analyse consiste donc « à se demander si, à première vue ou de par son effet, une loi crée une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue [...] Le second volet de l’analyse est axé sur les désavantages arbitraires — ou discriminatoires —, c’est-à-dire sur la question de savoir si la loi contestée ne répond pas aux capacités et aux besoins concrets des membres du groupe et leur impose plutôt un fardeau ou leur nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage dont ils sont victimes » (arrêt Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat, 2015 CSC 30, [2015] 2 R.C.S. 548, aux paragraphes 19 et 20; voir également l’arrêt Québec (Procureure générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, 2018 CSC 17, [2018] 1 R.C.S. 464, au paragraphe 25; arrêt Québec (Procureur général) c. A, 2013 CSC 5, [2013] 1 R.C.S. 61, aux paragraphes 323 à 325; arrêt Withler c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 12, [2011] 1 R.C.S. 396, au paragraphe 30; arrêt R. c. Kapp, 2008 CSC 41, [2008] 2 R.C.S. 483, au paragraphe 17).

[48]      Concernant la première partie de l’analyse, la Cour suprême du Canada a déjà conclu que l’autochtonitélieu de résidence appliqué aux membres hors réserve d’une bande indienne constitue un motif de discrimination analogue aux motifs énumérés au paragraphe 15(1) de la Charte (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203 (arrêt Corbiere), aux paragraphes 6 et 62). Bien que la question dans l’arrêt Corbiere portait sur l’exclusion de membres hors réserve du régime de droit de vote aux élections de la bande conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (Loi sur les Indiens), l’analyse dans l’affaire Corbiere a été appliquée par la Cour aux cas où le conseil est choisi selon la coutume de la bande (décision Cockerill c. Première nation no 468 de Fort McMurray, 2010 CF 337 (décision Cockerill), aux paragraphes 28 et 29; décision Thompson c. Première Nation Leq’á:mel, 2007 CF 707 (décision Thompson), au paragraphe 8; décision Clifton c. Bande indienne de Hartley Bay, 2005 CF 1030 (décision Clifton), aux paragraphes 44 et 45).

[49]      La question en l’espèce consiste à déterminer si l’exigence en matière de résidence prescrite par le code électoral de la NCB établit une distinction. Les défendeurs affirment que ce n’est pas le cas puisque l’exigence en matière de résidence s’applique au chef et aux conseillers élus.

[50]      Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire qu’à première vue, l’exigence en matière de résidence est neutre et n’établit aucune distinction au motif analogue de l’autochtonitélieu de résidence. Toutefois, la distinction ne découle pas du libellé, mais de ses répercussions, puisqu’elle impose un traitement différentiel et exerce un effet disproportionné sur les membres de la bande au motif de leur statut de membre hors réserve. Contrairement aux candidats qui habitent déjà sur la réserve, les candidats hors réserve doivent établir leur résidence dans la réserve dans les trois mois suivant leur élection.

[51]      Pour ces motifs, je suis d’avis que les dispositions de l’exigence en matière de résidence énoncées dans le code électoral de la NCB crée une distinction au motif analogue de l’autochtonitélieu de résidence.

[52]      En ce qui concerne la deuxième partie de l’analyse, je suis d’avis que la distinction créée par la résidence impose un fardeau aux membres hors réserve et les prive d’un avantage ayant pour effet de perpétuer la notion erronée que les membres de la bande qui vivent hors réserve n’ont pas d’intérêt et ont une capacité réduite à participer à la gouvernance de la bande. Cette distinction renforce également le stéréotype historique selon lequel les membres hors réserve sont moins dignes de reconnaissance et n’ont pas droit aux mêmes avantages, non pas sur le mérite, mais parce qu’ils vivent hors de la réserve.

[53]      À ce stade de mon analyse, il est utile de revoir ce que la Cour suprême du Canada a dit dans l’arrêt Corbiere [aux paragraphes 17 et 18] :

Appliquant les facteurs énoncés dans Law qui sont pertinents en l’espèce — la préexistence d’un désavantage ainsi que la correspondance du droit touché et son importance —, nous concluons que la réponse à cette question est affirmative. La distinction reprochée perpétue le désavantage historique vécu par les membres hors réserve des bandes indiennes en les privant de leur droit de voter et de participer à l’administration de leur bande. Ces personnes ont des intérêts importants à faire valoir en ce qui concerne l’administration de la bande, ce que la distinction les empêche de faire. Ils sont copropriétaires de l’actif de la bande. Qu’ils y vivent ou non, la réserve est leur territoire et celui de leurs enfants. En tant que membres de la bande ils sont représentés par le conseil de la bande auprès de la communauté en général, tant au sein des organisations autochtones que dans des négociations avec le gouvernement. Bien qu’il existe des sujets d’intérêt purement local qui ne touchent pas aussi directement les intérêts des membres hors réserve des bandes indiennes, la privation complète de leur droit de voter et de participer à l’administration de leur bande a pour effet de les traiter comme des individus moins dignes de reconnaissance et n’ayant pas droit aux mêmes avantages et ce, non pas parce que leur situation justifie ce traitement, mais uniquement parce qu’ils vivent à l’extérieur de la réserve. L’importance du droit touché ressort des conclusions de la Commission royale sur les peuples autochtones, Rapport de la Commission royale sur les peuples autochtones (1996), vol. 1, Un passé, un avenir, aux pp. 147 à 206. La Commission royale écrit ceci dans le vol. 4, Perspectives et réalités, à la p. 586 :

Tout au long des audiences, les autochtones ont rappelé à la Commission qu’il est essentiel pour eux de préserver et d’enrichir leur identité culturelle quand ils vivent en milieu urbain. L’identité autochtone est l’essence de l’existence des peuples autochtones. La préservation de cette identité est donc un objectif fondamental et valorisant pour les autochtones citadins.

Et elle ajoute ce qui suit, aux pp. 589 et 590 :

De plus, les autochtones citadins associent l’identité culturelle à la notion d’assise territoriale ou de territoire ancestral. Pour nombre d’entre eux, ces deux concepts sont indissociables. [...] Il est important pour les autochtones citadins de pouvoir s’identifier à un lieu ancestral, en raison des rituels, des cérémonies et des traditions qui y sont associés, des gens qui y vivent, du sentiment d’appartenance, du lien avec une communauté ancestrale et de la possibilité d’accéder à la famille, à la communauté et aux anciens.

Compte tenu de tout ce qui précède, il est clair que la privation du droit de vote découlant du par. 77(1) est discriminatoire. Cette privation refuse aux membres hors réserve des bandes indiennes, sur le fondement arbitraire d’une caractéristique personnelle, le droit de participer pleinement à l’administration de leur bande respective. Elle touche à l’identité culturelle des Autochtones hors réserve par l’effet de stéréotypes. Elle présume que les Autochtones hors réserve ne sont pas intéressés à participer concrètement à la vie de leur bande ou à préserver leur identité culturelle, et qu’ils ne sont donc pas des membres de leur bande aussi méritants que les autres. L’effet, comme le message, est clair : les membres hors réserve des bandes indiennes ne sont pas aussi méritants que les membres qui vivent dans les réserves. Cette situation soulève l’application de l’aspect dignité de l’analyse fondée sur l’art. 15 et entraîne le déni du droit à l’égalité réelle.

[54]      Dans sa discussion portant sur la préexistence d’un désavantage, les stéréotypes et la vulnérabilité dans l’arrêt Corbiere, la Cour suprême du Canada a également indiqué que « les membres hors réserve des bandes indiennes font partie d’une "minorité discrète et isolée », qui est définie tant par sa race que par son lieu de résidence, qui est vulnérable et qui, à l’occasion, ne s’est pas vu accorder l’égalité de respect ou de considération par le gouvernement ou par d’autres personnes au sein des sociétés canadienne et autochtone ». Elle a également souligné l’existence de stéréotypes généraux dans la société à l’égard des membres hors réserve, notamment celui selon lequel seuls les Autochtones vivant dans des réserves peuvent être considérés comme des « vrais Autochtones » (arrêt Corbiere, au paragraphe 71).

[55]      Dans la décision Esquega c. Canada (Procureur général), 2007 CF 878, [2008] 1 R.C.F. 795 (décision Esquega) (infirmée pour d’autres motifs par l’arrêt 2008 CAF 182, [2009] 1 R.C.F. 448), la Cour a conclu que l’exigence en matière de résidence énoncée au paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens contrevenait à l’article 15 de la Charte. Aux termes de cette disposition, « [s]eul un électeur résidant dans une section électorale peut être présenté au poste de conseiller pour représenter cette section au conseil de la bande ». Se fondant sur l’arrêt Corbiere, la Cour a conclu que « les membres de bande vivant hors réserve ont subi un désavantage historique à cause de lois et de politiques conçues pour les priver du droit de participer à l’administration de leur bande » et que « [c]es lois perpétuent l’idée erronée que les membres d’une bande qui vivent hors réserve n’ont aucun intérêt à prendre part à l’administration de leur bande et qu’ils sont donc moins dignes de le faire » (décision Esquega, au paragraphe 88). La Cour a également jugé que la participation aux activités du conseil de bande et la prise de décisions au nom de la bande revêtent une importance fondamentale pour les membres de la bande qui vivent hors réserve (décision Esquega, au paragraphe 91). La Cour a conclu que le paragraphe 75(1) de la Loi sur les Indiens est discriminatoire « envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande par l’intermédiaire du conseil de bande, en raison de leur statut sur le plan de l’ “autochtonité-lieu de résidence” » (décision Esquega, au paragraphe 92).

[56]      La Cour est parvenue à une conclusion semblable dans l’affaire Jospeh. Dans cette affaire, le code électoral de 2011 de la Première nation Dzawada’enuxw (Tsawataineuk) permettait aux résidents et non-résidents d’occuper des postes au conseil de bande. Toutefois, comme les trois quarts des membres de la bande étaient non résidents, trois des quatre postes de conseiller étaient inaccessibles pour eux, sans parler du poste de président. La Cour a souligné que même si les membres non résidents étaient représentés par le conseiller non résident au cours des délibérations du conseil, « ce conseiller peut facilement être battu par les conseillers résidents lorsque les choses se corsent ». La Cour a conclu que la distinction établie dans le code de 2011 créait « un désavantage en perpétuant le stéréotype selon lequel les membres non résidents des bandes indiennes sont moins capables de participer à la gouvernance de cellesci ou sont moins intéressés à le faire » et concluait que la restriction constituait une violation de l’article 15 de la Charte (décision Joseph, aux paragraphes 57 et 58).

[57]      On est arrivé à un résultat semblable dans l’affaire Thompson, dans laquelle la Cour a conclu que l’alinéa 3.1b) du Règlement électoral de la Première nation Leq’á:mel était invalide puisqu’il était contraire au paragraphe 15(1) de la Charte. Cette disposition prévoyait que pour être admissible aux postes de chef ou de conseiller de la Première nation Lakahahmen, une personne devait résider sur le territoire traditionnel canadien du peuple Stó:lo (décision Thompson, au paragraphe 25).

[58]      Dans cette affaire, l’exigence en matière de résidence énoncée dans le code électoral de la NCB ne semble pas discriminatoire à première vue. Toutefois, en réalité, elle impose aux membres hors réserve qui décident de se porter candidat au conseil un fardeau dont l’effet est clairement discriminatoire, ce qui perpétue le désavantage préexistant du groupe qui devait en tirer des avantages. Pour pouvoir desservir la communauté à laquelle le membre de la bande est affilié, celui-ci doit, une fois réélu, déménager dans la réserve. Ce déménagement n’entraîne que des coûts élevés, tant sur le plan personnel que financier (arrêt Corbiere, aux paragraphes 14 et 62).

[59]      Par exemple, le chef de la NBC indique dans son affidavit qu’il a demandé au demandeur si son épouse déménagerait avec lui dans la réserve de Calling Lake. Le demandeur a répondu que son épouse continuerait à habiter leur domicile situé hors réserve (dossier du demandeur, vol. 2, à la page 190, paragraphe 37). L’obligation d’élire résidence dans la réserve une fois élu a eu pour effet de forcer le demandeur à modifier sa situation familiale. Elle a également obligé le fils et l’épouse du demandeur à modifier la leur lorsque le demandeur a déménagé avec eux au cours de son premier mandat (dossier du demandeur, vol. 5, à la page 989).

[60]      Un autre exemple des répercussions de l’exigence en matière de résidence sur les membres de la bande hors réserve qui désirent se porter candidat au poste de conseiller est décrit dans une lettre datée du 3 mars 2016. La conseillère de la NCB indique que bien qu’elle ait bénéficié du soutien de son mari pour déménager dans la réserve si elle était élue, ses enfants étaient mécontents de la situation. Elle a également indiqué qu’elle et son mari ont dû effectuer des rénovations majeures à la maison dans laquelle ils déménageaient, dépensant plus de 10 000 $ [traduction] « simplement pour rendre l’endroit vivable », et que sa famille a rencontré beaucoup de difficultés pour pouvoir vivre dans la réserve (dossier du demandeur, vol. 2, à la page 316).

[61]      Outre le fardeau personnel et financier, le déménagement du candidat nouvellement élu dans la réserve est subordonné à la disponibilité d’un logement et à l’approbation du conseil. Il semble, à la lumière des éléments de preuve au dossier, qu’en date d’avril 2017, la population totale inscrite au sein de la NCB était de 7 944 membres, dont 4 560 résidaient hors réserve. Les deux parties sont également d’accord quant à l’existence d’une pénurie de logements fournis par la bande dans la réserve de Calling Lake de la NCB. Cette situation peut obliger un candidat élu résidant hors de réserve à se soumettre à des décisions arbitraires et politiques, contrairement à un candidat élu vivant dans la réserve.

[62]      En outre, même si le candidat élu se voit accorder un lot dans la réserve par l’entremise d’une entente d’occupation temporaire du territoire, comme ce fût le cas pour le demandeur et un autre conseiller élu, l’entente oblige l’occupant à apporter des améliorations au territoire avant la fin du premier anniversaire de l’entente, à défaut de quoi la propriété sera mise à la disposition d’autres membres de la NCB (dossier du demandeur, vol. 5, à la page 1080).

[63]      Je reconnais l’argument des défendeurs selon lequel le demandeur aurait pu établir sa résidence en déménageant dans une roulotte ou une maison mobile sur le territoire qui lui a été assigné en juin 2010. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la question à savoir si le demandeur aurait pu procéder de cette façon pour établir sa résidence. Même si cela constituait une option pour le demandeur, il reste qu’il aurait été obligé d’assumer les coûts personnels et les désagréments associés au maintien de deux résidences advenant qu’il ait souhaité ne pas vendre sa résidence hors de la réserve. Dans son affidavit, le demandeur a indiqué qu’il habite au même endroit depuis 1980. Il aurait été déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur vende sa résidence et déménage dans la réserve avant d’être élu puisqu’il n’avait aucune garantie qu’il serait élu au sein du conseil. De même, il serait déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur vende sa résidence après avoir été élu puisque le mandat est de quatre ans et qu’il n’y a aucune garantie qu’il sera réélu à la fin de ce mandat.

[64]      Dans le contexte de leur argument à la section 1, les demandeurs font valoir que le fondement de l’exigence en matière de résidence est la coutume de la NCB. Ils soutiennent que pour être accepté comme chef dans la communauté, il faut vivre parmi la population de la réserve que les chefs représentent. À mon avis, cet argument est problématique puisqu’il s’apparente au stéréotype souligné par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Corbiere, à savoir que pour être considéré comme un « vrai Autochtone », il faut vivre dans la réserve (arrêt Corbiere, au paragraphe 71).

[65]      Le fait est que bien que les membres hors réserve puissent maintenant voter et être élus comme conseillers de la NCB, l’exigence les obligeant à établir leur résidence dans la réserve au cours de leur mandat leur impose un fardeau dont les membres résidant dans la réserve n’ont pas à s’acquitter. Cette pratique perpétue également le stéréotype selon lequel seuls les membres résidant dans la réserve sont habilités à se prononcer sur les affaires de la bande.

[66]      Par conséquent, je conclus que l’exigence en matière de résidence énoncée dans le code électoral de la NCB est discriminatoire envers les membres vivant hors réserve en leur interdisant de participer à l’administration représentative de leur bande par l’intermédiaire du conseil de bande, en raison de leur statut de membre hors réserve.

C.   L’exigence en matière de résidence est-elle justifiée en application de l’article 1 de la Charte?

[67]      Pour établir que la violation est justifiée, il incombe aux défendeurs de démontrer que les dispositions de l’exigence en matière de résidence visent un objectif urgent et important et que les moyens choisis pour l’atteindre sont proportionnels (arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103, aux paragraphes 69 et 70 [pages 138 et 139]).

[68]      Les défendeurs soutiennent que les objectifs de l’exigence en matière de résidence sont : 1) de respecter une coutume de longue date; 2) d’offrir aux représentants élus l’occasion de tisser des liens plus étroits avec la communauté qu’ils représentent dans la réserve et de favoriser un meilleur niveau de participation à la gouvernance locale; 3) de répondre aux exigences des électeurs de la NCB et 4) d’encourager les membres hors réserve à revenir pour mettre à profit les compétences acquises hors de réserve. Ils soutiennent que l’objectif de l’exigence en matière de résidence de favoriser des liens réels, étroits et actuels avec la communauté est un objectif légitime qui est inextricablement lié à la restriction imposée.

[69]      Bien que je reconnaisse que l’objectif peut être légitime, je ne suis pas convaincue qu’il existe un lien rationnel entre les objectifs avancés par les défendeurs et la capacité limitée des membres de la bande vivant hors de réserve à participer aux décisions de leur conseil de bande.

[70]      Je reconnais que les personnes les plus touchées par les décisions de la bande sont celles vivant dans la réserve. Toutefois, la Cour suprême du Canada a également conclu que les membres de la bande vivant hors de réserve ont également des intérêts importants à faire valoir en ce qui concerne l’administration de la bande. Ils ont des intérêts financiers importants dans les affaires de la bande. Ils sont copropriétaires des actifs de la bande et sont représentés par le conseil de la bande au sein des organisations autochtones et dans des négociations avec le gouvernement. La disponibilité des services dans la réserve est tout aussi importante pour les membres hors de la réserve, particulièrement ceux qui, comme le demandeur, habitent à proximité de la réserve (arrêt Corbiere, aux paragraphes 17, 78 et 80). Compte tenu du fait qu’environ la moitié des membres de la NCB résidant hors de la réserve, il est difficile de rationaliser pourquoi les conseillers dans la réserve auraient des liens plus étroits avec les gens et la communauté qu’ils représentent. On n’a pas démontré pourquoi un conseiller résidant dans la réserve peut représenter les intérêts des membres vivant hors de réserve, et pourtant, un conseiller vivant hors de réserve ne peut représenter les intérêts des membres vivant dans la réserve.

[71]      Hormis des énoncés généraux dans les témoignages sous affidavit des répondants, par exemple [traduction] « depuis la signature du Traité 8, en 1899, les chefs et les conseillers de la Nation des Cris de Bigstone ont toujours habité dans les territoires de la nation et jamais hors de la réserve » ou « les gens veulent que leurs leaders vivent parmi eux », les défendeurs n’ont présenté aucune preuve du lien entre la volonté ou la capacité des membres de la bande qui vivent hors de la réserve à participer au conseil de la bande et leur statut en matière de résidence. Au contraire, les défendeurs ont présenté des éléments de preuve qui indiquent que le statut de résidence est fondé sur des stéréotypes qui ont été rejetés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Corbiere. L’énoncé suivant figure dans l’un des affidavits des défendeurs : [traduction] « [n]otre peuple croit que le meilleur leadership est celui assuré par les personnes qui vivent dans la réserve. Ce n’est pas tant une question de savoir si la personne peut ou non faire le travail, mais plutôt de savoir si la personne est acceptée par la population à titre de chef » (dossier du demandeur, vol. 2, à la page 318).

[72]      Même si je retenais que la restriction imposée en matière de résidence soit rationnellement liée aux objectifs avancés par les défendeurs, je ne peux retenir leur argument selon lequel l’exigence en matière de résidence porte une atteinte minimale puisqu’elle ne prive pas les membres de leur droit de voter, d’être candidat à une élection ou participer à la gouvernance de leur bande.

[73]      Pour soutenir leur argument, les défendeurs s’appuient sur une décision de la Cour dans l’affaire Orr c. Première Nation de Peerless Trout, 2015 CF 1053, confirmée en appel par 2016 CAF 146. À mon avis, cette décision est différente. La question dans cette affaire concernait un membre d’une bande qui ne pouvait se porter candidat à une élection puisque ce membre était demandeur dans une action civile intentée contre la bande. Contrairement au code électoral de la NCB, la restriction imposée dans la réglementation électorale coutumière de la Première Nation de Peerless Trout n’établissait pas de distinction fondée sur un motif analogue et ne perpétuait pas de désavantage dont l’effet est de violer le droit à l’égalité d’un membre en application du paragraphe 15(1) de la Charte.

[74]      Les éléments de preuve montrent que la question de l’exigence en matière de résidence a fait l’objet de débats entre les membres de la NCB pendant un certain nombre d’années (dossier du demandeur, vol. 5, aux pages 1026, 1027 et 1176). Le procès-verbal de la réunion tenue en avril 2014 avec les membres du conseil de Chipewyan Lake montre que trois options en matière de résidence ont été envisagées : 1) que le membre élu réside dans la réserve; 2) que le membre élu réside à une certaine distance de la communauté affiliée; et 3) que l’exigence en matière de résidence soit éliminée (dossier du demandeur, vol. 5, à la page 1027). La question de l’exigence en matière de résidence a également été examinée en 2017. Le dossier montre que l’une des options envisagées était que le conseiller élu devait résider dans n’importe laquelle des réserves de la NCB ou dans un rayon de 30 kilomètres de la réserve de la NCB représentée par le conseiller. Les défendeurs n’ont pas présenté d’éléments de preuve et n’ont soumis aucune observation démontrant pourquoi ces autres options ne seraient pas conformes aux objectifs de la NCB.

[75]      Les défendeurs soutiennent que les restrictions en matière de résidence ne sont pas exclusives aux Premières Nations et citent les députés et les membres des assemblées législatives provinciales, qui doivent assumer les coûts sociaux et économiques qu’entraîne l’établissement de deux résidences. À mon avis, la comparaison des défendeurs ne tient pas compte du fait que la discrimination est fondée sur le statut de membre hors réserve du demandeur. Dans l’arrêt Corbiere, la Cour suprême du Canada a fait remarquer ce qui suit au paragraphe 15 :

[...] [i]l ne faut pas confondre qualité de membre hors réserve et lieu de résidence. Les décisions que sont appelés à prendre les Canadiens en général relativement à leur « lieu de résidence » ne sauraient être comparées aux décisions lourdes de conséquences que prennent les membres des bandes autochtones lorsqu’ils choisissent de vivre dans les réserves ou à l’extérieur de cellesci, à supposer que ce choix soit possible. La réalité de ces personnes est unique et complexe. Par conséquent, rien de nouveau n’a été établi, en ce sens qu’il n’a pas été jugé que le lieu de résidence constituait, de façon générale, un motif analogue.

[76]      Les défendeurs soutiennent également que les changements qui ont découlé de l’adoption du code électoral de 2009 de la NCB ont entraîné un changement profond dans la manière de tenir les élections. En prévoyant que deux candidats doivent résider dans l’une des deux communautés plus petites, le code électoral de la NCB a introduit le concept de représentation directe. Les défendeurs soutiennent que ce changement reflète l’avis de ses membres et fait valoir que la Cour devrait faire preuve de déférence à l’endroit du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale de la NCB.

[77]      Bien que je reconnaisse l’importance du droit inhérent à l’autonomie gouvernementale des défendeurs, la Cour a affirmé à maintes reprises que ce droit doit être exercé de manière conforme à la Charte (décisions Thompson, au paragraphe 8; Cockerill, aux paragraphes 28 et 29 et Clifton, au paragraphe 45). Le droit de décider qui sont les personnes qui représentent le mieux les intérêts des membres de la bande est entre les mains de chaque membre de la bande au moment des élections.

[78]      Par conséquent, je conclus que les défendeurs ne se sont pas acquittés du fardeau de démontrer que l’exigence en matière de résidence est justifiée comme une limite raisonnable en application de l’article 1 de la Charte.

D.   Réparation

[79]      Le demandeur sollicite les réparations suivantes :

a.         une déclaration précisant qu’il a été destitué à tort de sa charge de conseiller de la NCB et l’annulation de la décision rendue par le chef et le conseil de la NCB le 24 mars 2015;

b.         une déclaration selon laquelle le demandeur a, en tout temps depuis le 24 mars 2015, exercé la fonction de conseiller de la NCB;

c.         une déclaration selon laquelle il était et demeure admissible à recevoir les avantages et les émoluments associés à la charge de conseiller de la NCB;

d.         une déclaration selon laquelle les dispositions des alinéas 17b) et 19.1g) du code électoral sont inconstitutionnels et donc inopérants;

e.         une déclaration selon laquelle le demandeur est admissible à présenter sa candidature à la prochaine élection du chef et du conseil de la NCB;

f.          une ordonnance quant aux dépens fondée sur une indemnité complète ou que la Cour jugera approprié.

[80]      Les défendeurs font valoir que la Cour n’a pas compétence relativement aux réparations demandées aux points b, c et e, ci-dessus. Ils soutiennent également que les réparations demandées par le demandeur constituent, essentiellement des dommages qui ne peuvent être accordés dans une demande de contrôle judiciaire. Subsidiairement, les défendeurs demandent qu’advenant que la Cour déclare les alinéas 17b) et 19.1g) de code électoral de la NCB comme invalides et contraires au paragraphe 15(1) de la Charte et non justifiables en application de l’article 1 de la Charte, cette déclaration doit être suspendue pendant une période d’un an après la publication du jugement pour permettre à la NCB de modifier les sections en amorçant une démarche de consultation au moyen de son propre processus démocratique.

[81]      Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que les réparations demandées par le demandeur aux points b, c et e ne peuvent être accordées par la Cour, mais pour une autre raison. Le code électoral de la NCB établit plusieurs motifs qui peuvent mener à la destitution d’un conseiller. Compte tenu du temps écoulé, je ne dispose tout simplement pas des éléments de preuve qui me permettraient de déclarer que le demandeur a continué de répondre aux exigences prescrites par le code électoral de la NCB pour être élu conseiller depuis sa destitution de sa charge. Je ne peux non plus déclarer qu’il répond à toutes les exigences du code électoral de la NCB pour se porter candidat aux prochaines élections qui, selon les parties, devraient se tenir en septembre 2018. Toutefois, le fait qu’il a été destitué de sa charge par le conseil et que sa destitution a nécessité la tenue d’une élection partielle ne devrait pas empêcher le demandeur de soumettre sa candidature lors de la prochaine élection générale malgré le libellé de l’alinéa 20.3b) du code électoral de la NCB.

[82]      Concernant les autres réparations demandées par le demandeur, je souligne qu’il ne cherche pas à obtenir une déclaration d’invalidité relativement aux alinéas 17c) et 17d) du code électoral de la NCB, qui impose une exigence en matière de résidence aux conseillers des réserves de Chipewyan Lake et de Wabasca/Desmarais. Ces deux dispositions sont libellées de la même façon que l’alinéa 17b), qui est applicable aux conseillers de la réserve de Calling Lake. La seule conclusion logique serait que les alinéas 17c) et 17d) du code électoral de la NCB soient également déclarés inopérants au motif qu’ils contreviennent au paragraphe 15(1) de la Charte. Toutefois, comme la question n’a pas été expressément abordée par les parties lors de l’audience et en l’absence d’une requête pour les déclarer invalides sur le plan constitutionnel, je ne rendrai aucun jugement à cet effet. Par conséquent, l’alinéa 19.1g) du code électoral de la NCB doit être maintenu puisqu’il renvoie à l’article 17 dans son ensemble.

[83]      Par conséquent, la seule réparation possible pour le demandeur est que la Cour annule la décision du conseil de la NCB de le destituer du Conseil et déclare l’alinéa 17b) du code électoral de la NCB inopérant puisqu’il est contraire à l’article 15 de la Charte et ne peut être justifié par l’article 1 de la Charte.

[84]      Les défendeurs demandent que cette déclaration soit suspendue pour une période d’un an après la délivrance du jugement si la Cour accorde une déclaration d’invalidité.

[85]      La demande des défendeurs ne sera pas accueillie.

[86]      Dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), 2016 CSC 4, [2016] 1 R.C.S. 13, la Cour suprême du Canada a écrit ceci au paragraphe 2 :

[...] Suspendre la prise d’effet de la déclaration d’invalidité constitutionnelle d’une loi est une mesure extraordinaire, car elle a pour effet de maintenir en vigueur une loi inconstitutionnelle, en violation des droits constitutionnels des membres de la société canadienne. [...] C’est donc un lourd fardeau qui incombe au procureur général sollicitant la prorogation de la suspension de la prise d’effet d’une déclaration d’invalidité constitutionnelle.

[87]      En l’espèce, la prochaine élection générale se tiendra en septembre 2018. Si je devais suspendre ma déclaration, cela aurait pour effet de perpétuer la même violation. Les candidats qui souhaitent devenir conseillers, mais ne sont pas disposés à établir leur résidence dans la réserve continueront à se voir refuser la possibilité de soumettre leur candidature au poste de conseiller et, par conséquent, seront privés de la protection de leur droit à l’égalité en application de la Charte pendant les quatre prochaines années.

E.    Dépens

[88]      Lors de l’audience, le demandeur a demandé à recevoir une indemnisation importante pour avoir soumis sa demande à la Cour. Il a fait valoir que les questions soulevées étaient importantes et a fait valoir des dépens de 20 000 $.

[89]      Les défendeurs, quant à eux, ont fait valoir que les arguments du demandeur étaient principalement axés sur des questions d’équité procédurale et non sur des questions constitutionnelles. Les défendeurs soutiennent également que le demandeur est responsable des délais écoulés avant de demander une audience en l’espèce. Ils proposent que chacune des parties s’acquitte de ses dépens. Subsidiairement, ils me demandent que les dépens versés au demandeur soient compensés par le montant que le demandeur doit rembourser aux défendeurs.

[90]      Dans l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire, j’ai décidé de ne pas adjuger de dépens supplémentaires aux défendeurs. Le demandeur n’a eu que partiellement gain de cause relativement à ses arguments et il est également partiellement responsable du long délai survenu avant de demander une audience en l’espèce. Par conséquent, des dépens établis conformément la colonne III du tarif B [des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106] seront adjugés au demandeur. En outre, les dépens adjugés au demandeur ne seront pas compensés par les montants qu’il pourrait devoir aux défendeurs puisqu’il serait inapproprié pour moi de le faire dans la présente demande de contrôle judiciaire.


 

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