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[1970] R.C.É. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA 513 [TRADUCTION] Caloil Inc. (Demanderesse) v. Le Procureur Général du Canada (Défendeur) N° 1 Le Président Jackett, Ottawa le 31 juillet et le ler août 1970. Droit constitutionnelTrafic et Commerce Loi sur l'Office national de l'énergie, 1959, ch. 46, Partie VI Règlement 20 en date du 5 mai 1970Licence d'importation d'essenceA condition qui ni l'importateur ni l'acheteur ne transportent d'essence d'une partie d l'autre de l'OntarioUltra vires. Le règlement 20, adopté le 5 mai 1970, conformément à la Partie VI de la Loi sur l'Office national de l'énergie, autorisait l'Office à accorder une licence d'importation d'essence au Canada à l'est d'une ligne tracée dans la Province d'Ontario à condition que l'importateur (paragraphe 4) ne transporte pas d'essence de l'est de cette ligne à une autre partie de l'Ontario ou ne vende ou ne livre de l'essence à moins que cette essence soit destinée à la consomma-tion à l'est de cette ligne. Jugé: La Partie VI de la Loi et le règlement 20, lois réglementant le commerce international, sont ultra vires des pouvoirs du Parlement lorsqu'il attribue à un office le pouvoir de régir dans une province particulière les mouvements de marchandises importées après leur importation. En outre, le règlement 20 est inconstitutionnel parce qu'il réglemente des problèmes autres que les mouvements d'essence importée. Renvoi:—Murphy v. C.P.R. [1958] S.C.R. 626, Re Farm Products Marketing Act (Ontario) [1957] S.C.R. 198; Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board [1938] A.C. 708; Home Oil Distributors Ltd v. A.G. of B.C. [1940] S.C.R. 444; Canadian Federation of Agriculture v. A.G. Que. [1951] A.C. 179. ACTION en vue de faire déclarer que la Partie VI de la Loi sur l'Office nationale de l'énergie et ses règlements d'application sont inconstitutionnels et que la demanderesse a le droit d'importer des produits pétroliers sans aucune restriction quant à la manière dont ils sont écoulés sur le marché. Hon. L. Langlois, c.r., pour la demanderesse. R. Bédard, c.r., pour le défendeur. Le PRÉSIDENT JACKETT-11 s'agit en l'espèce d'une action intentée contre le Procureur général du Canada en vue de faire déclarer que la partie VI de la Loi sur l'Office national de l'énergies et ses règlements d'application sont inconstitutionnels et que, sous réserve de l'application d'une autre lé-gislation, la demanderesse a le droit, et a toujours eu le droit, d'importer des produits pétroliers sans aucune restriction quant à la manière dont ils sont écoulés sur le marché. La demanderesse importe et vend au Canada des produits pétroliers depuis le 28 août 1963. 2 Aux fins de son entreprise, elle possède, dans le port de Montréal et dans celui de Toronto, un ensemble de réservoirs pour produits pétroliers pouvant contenir respectivement 45,675,000 gallons et 5,600,000 gallons. Ces installations sont reliées par un réseau de distribution 1 S. du C. 1959, ch. 46. ° Pour les faits que je relate dans ces motifs, je me réfère aux faits reconnus par le défendeur uniquement aux fins de cette action et pour aucun autre motif.
[1970] R.C.É. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 515 aux marchands de gros et aux détaillants desservant les provinces de Québec et d'Ontario. La demanderesse a un patrimoine d'au moins $12,000,000 et emploie plus de 1,200 personnes. La demanderesse se procure les produits pétroliers sur le marché international et les importe, par mer, grâce aux installations de Montréal au taux annuel de 178,500,000 gallons environ dont 63,000,000 sont écoulés sur le marché ontarien. En mai 1970 (l'importance de cette date apparaîtra par la suite), la demanderesse s'était engagée, pour répondre à ses besoins de 1970, à acheter sur le marché international près de 126,000,000 gallons d'essence qui de-vaient être livrés par bateaux-citernes à raison de 5,600,000 gallons environ par voyage. En même temps, la demanderesse s'était engagée à livrer 63,000,000 gallons d'essence à écouler sur le marché de la région ouest de la vallée de l'Outaouais. Après avoir fait état de la situation de la demanderesse, j'en viens à la partie VI de la Loi sur l'Office national de l'énergie. Comme elle constitue la question essentielle de ces poursuites, je citerai, en entier, les extraits que je considère importants: PARTIE VI Gaz et force motrice 81. Sauf ce que prévoient les règlements, une personne ne doit exporter du gaz ou de la force motrice, ou importer du gaz, que sous l'autorité et conformément d une (1) licence délivrée selon la présente Partie. 82. (1) Sous réserve des règlements, l'Office peut délivrer des licences, aux conditions que prescrivent les règlements, a) pour l'exportation de la force motrice ou du gaz, et b) pour l'importation du gaz. (2) Une licence délivrée selon la présente Partie peut être restreinte ou limitée à l'égard de la région, de la quantité ou de l'époque ou relativement à la catégorie ou nature des produits. 85. Le gouverneur en conseil peut édicter des règlements pour l'accomplisse-ment des fins et dispositions de la présente Partie et, sans restreindre la portée générale de ce qui précède, il peut en établir en ce qui regarde b) la durée des licences, d'au plus vingt-cinq ans à compter d'une date qui sera fixée dans la licence, les quantités exportables ou importables en vertu de licences et toutes autres modalités ou conditions auxquelles elles peuvent être assujetties;* 87. (1) Le gouverneur en conseil peut, par proclamation, étendre l'application de la présente Partie au pétrole. (2) Dès l'émission d'une proclamation aux termes du paragraphe (1), l'expression «hydrocarbures» est censée remplacer l'expression «gaz», chaque fois qu'elle apparaît dans la présente Partie et dans l'article 88. (3) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, exempter de l'application de la totalité ou de l'une quelconque des dispositions de la présente Partie toute catégorie de pétrole ou de produits du pétrole ou toute région. Comme on l'aura remarqué, à l'exception des dispositions de l'article 87 envisageant une extention par proclamation, la Partie VI s'applique uniquement à l'exportation ou à l'importation de gaz ou de force motrice. * J'ai souligné moi-même le texte de la loi.
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 517 Or, en l'espèce, aucune question concernant la Partie VI, ne se pose actuelle-ment du moins quant à son application à ces matières. Cependant, le 7 mai 1970, par proclamation du gouverneur en conseil conformément à l'article 87, la Partie VI de la Loi sur l'Office national de l'énergie a été étendue au «pétrole». Entre-temps, le 5 mai 1970, le gouverneur en conseil a amendé les règlements d'application de la Partie VI sur l'Office national de l'énergie. Il faut noter tout d'abord qu'un alinéa, l'alinéa ra), a été ajouté à l'article 2 (1) de ces règlements; il définit le terme «Région», aux fins des règlements, comme étant «une Région définie par l'Annexe A», et cette annexe A a été jointe aux règlements: ANNEXE A Région 1 La province de Terre-Neuve La province de Nouvelle-Écosse La province de l'Île-du-Prince-Édouard La province du Nouveau-Brunswick. Région II La province de Québec ainsi que les comtés et cantons ci-après de la province d'Ontario: Comté de Carleton Comté de Dundas Comté de Glengarry Comté de Grenville Comté de Lanark Comté de Prescott Comté de Renfrew Comté de Russell Comté de Stormont Canton de l'Elizabethtown dans le comté de Leeds Canton de Kitley dans le comté de Leeds Canton d'Elmsley-Sud dans le comté de Leeds. Région III La province d'Ontario, sauf les comtés et cantons nommément inclus dans la Région II. Région W La province du Manitoba La province de la Saskatchewan La province d'Alberta. Région V La province de la Colombie-Britannique. Région VI Les Territoires du Nord-Ouest Le Territoire du Yukon. En second lieu, il faut noter qu'un article 20 a été ajouté aux règlements; il précise: 20 (1) Sous réserve du paragraphe (2), nul ne peut exporter ni importer du pétrole ni des dérivés du pétrole autrement que sous l'autorité de l'Office et aux termes d'une licence délivrée par l'Office. (2) Les dispositions du paragraphe (1) ne s'appliquent pas a) aux Régions IV, V et VI, b) à l'importation de pétrole autre que l'essence à moteur, c) à l'exportation de pétrole, ou d) à l'importation d'essence à moteur dans les Régions I, II et III en quantité de plus de 200 gallons. 92623-9
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA 519 (3) Aux fins du présent article, l'expression «essence à moteur» désigne les carburants du genre essence, destinés aux moteurs à combustion interne, autre que les moteurs d'aéronefs, et comprend le pétrole devant servir de composant dans le mélange de ces carburants. (4) L'Office peut délivrer des licences pour l'importation d'essence à moteur à travers les bureaux de douane situés dans les Régions I et II et peut délivrer l'une, plusieurs ou la totalité de ces licences à la condition seulement que (1) sans le consentement de l'Office*, l'importateur a) ne transporte ni ne fasse transporter de l'essence d moteur des Régions I et II à la Région III, ni b) ne vende ou ne livre de l'essence à moteur pour consommation dans les Régions I ou II. Toutefois, le consentement de l'Office n'est pas nécessaire dans les cas prévus à l'alinéa b) lorsqu'il s'agit d'une quantité d'essence à moteur vendue ou devant être vendue par l'importateur, dans les Régions I et II, à des détaillants qui font exclusivement le commerce de détail dans les Régions I et II ou directement à des consommateurs qui achètent leur essence à moteur dans les Régions I ou II. (5) L'Office peut insérer dans toute licence délivrée aux termes du présent article les conditions qu'il juge nécessaires pour assurer que soient observés les présents règlements. D'autres dispositions de caractère secondaire ont été aussi ajoutées aux règlements mais elles ne sont pas pertinentes en l'espèce. A la première lecture des amendements aux règlements, deux faits im-portants apparaissent: a) alors que la proclamation étendait l'application de la Partie VI au «pétrole», les règlements, en vertu de l'article 87 (3), restreignaient la portée de cette Partie de manière à ne l'étendre en fait qu'aux importations dessence à moteur», et b) les règlements autorisent l'Office national de l'énergie à délivrer, par l'inter-médiaire des bureaux de douane, des licences d'importation d'essence à moteur dans toute zone du Canada située à l'est d'une ligne dont une partie traverse l'Ontario et l'autre est constituée par la frontière entre l'Ontario et le Québec; les règlements l'autorisent également à délivrer une ou plusieurs licences à condition que, sans le consentement de l'Office, l'importateur ne transporte ou ne fasse transporter «de l'essence à moteur} d'un point situé à l'est de cette ligne à un point de l'Ontario situé à l'ouest de cette ligne, ni ne vende ou ne livre, sans le consentement de l'Office, de l'essence à moteur à une tierce partie à moins qu'elle ne soit vendue ou livrée pour être consommée à l'est de cette ligne. En d'autres termes, l'Office a été autorisé à délivrer une licence d'importation d'essence à un point situé à l'est de la ligne précitée sous réserve des conditions destinées à garantir à l'Office le contrôle absolu de tout mouvement vers la partie de l'Ontario située à l'ouest de cette ligne, et concernant non seulement toute quantité d'essence importée conformément à la licence, mais aussi toute autre essence que le détenteur de la licence pourrait posséder dans la partie du Canada située à l'est de cette ligne. Pour en revenir aux faits, l'Office a accordé à la demanderesse deux licences devant se conformer aux conditions précédentes et a rejeté la de-mande d'une nouvelle licence faite par la demanderesse. Bien que cela ne * J'ai souligné moi-même le texte de la loi. 92623-91
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 521 soit pas strictement pertinent en l'espèce, il est intéressant de voir pourquoi cette dernière demande a été refusée. Voici un extrait des motifs du refus: Pendant l'audience, l'Office a fait la déclaration suivante: Je pense qu'il est important de dire que l'Office s'est tracé une politique à l'égard de toute personne cherchant à obtenir une licence l'autorisant à importer de l'essence dans les Régions I et II; or, lorsqu'on s'aperçoit que cette personne, à différentes reprises, a transféré de l'essence à moteur de la Région II à la Région III, en dépit de la condition inscrite dans la précédente licence interdisant un tel transfert sans le consentement de l'Office, il est certain, et encore une fois sans refuser d'entendre la personne ayant demandé la licence, que l'Office ne sera pas disposé à émettre une licence sauf cas exceptionnel. L'Office a examiné avec beaucoup d'attention l'ensemble des témoignages déposés devant lui et a conclu que la demande devait être rejetée. Pour parvenir à cette décision, il a tout particulièrement considéré les faits suivants: (I) Il sait qu'à l'heure actuelle des réserves de produits pétroliers sont à la disposition des distributeurs de la Région HI et que les raffineurs rivalisent d'efforts pour faire face à la demande. (2) La demanderesse ne s'est pas approvisionnée, en Ontario, en essence à moteur raffinée depuis le 7 mai 1970, date réelle d'émission de la licence d'essence. (3) L'émission d'une licence aurait habilité Caloil à effectuer des transferts, affaire de quelqu'importance étant donné que la compagnie était incapable de garantir à l'Office qu'elle se conformerait aux conditions d'une licence, dans le cas celle-ci lui serait accordée. (4) La demanderesse n'a pas fait à l'Office la preuve de circonstances spé-ciales pouvant constituer pour elle une difficulté injustifiable. L'Office considère qu'il est bon et souhaitable pour lui de joindre à cette décision un état de la politique suivie dans le domaine de l'émission des licences d'importation d'essence. Il est prêt à cette heure à émettre des licences d'importation d'essence dans la Région I (les Provinces maritimes) et la Région II (Québec et la partie est de l'Ontariodont la ligne de démarcation se trouve sur la carte ci-jointe). La seule restriction que l'Office attachera à de telles licences est l'interdiction faite à l'importateur ou à toute autre personne à qui l'importateur peut vendre, de transférer de l'essence en Ontario à l'ouest de la ligne de la vallée de l'Outaouais, sans le consentement de l'Office. L'Office a donc soumis à cette condition toutes les licences d'importation qu'il a émises et entend, en l'absence de circonstances spéciales dans un cas particulier, continuer cette pratique jusqu'à ce qu'il ait amélioré la manière d'exercer ses responsabilités concernant les réserves d'essence en Ontario, à l'ouest de la vallée de l'Outaouais. L'Office entend sa responsabilité, quant aux mouvements d'importation d'essence en Ontario, à l'ouest de la vallée de l'Outaouais, qu'il s'agisse de mouve-ments directs ou de transferts postérieurs, comme se limitant aux quantités nécessaires pour assurer un ravitaillement convenable; il tend à freiner toute augmentation des prix pour les consommateurs et à s'occuper des circonstances particulièrement dures que traversent les compagnies dont les intérêts légitimes pourraient être sévèrement affectés par la politique de l'Office. En pareil cas, l'Office considérera avec beaucoup d'attention le fait que les raffineurs ontariens ont pour une raison de politique, été appelés à approvisionner la partie de l'Ontario située à l'ouest de la vallée de l'Outaouais en produits pétroliers raffinés d'origine canadienne. C'est un fait que les raffineurs ontariens ne peuvent concurrencer les importations saisonnières d'essence, en particulier celles associées aux achats locaux d'essence, et aux services des pétroliers des marchés interna-tionaux. Pour considérer les demandes faites par les importateurs cherchant à obtenir le consentement de l'Office au transfert de l'essence dans la partie de
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 523 l'Ontario située à l'ouest de la vallée de l'Outaouais, l'Office apprécie cependant soigneusement les données concernant les possibilités d'approvisionnement dont bénéficient les raffineurs ontariens. Ceci étant, la demanderesse cherche à obtenir du tribunal une déclaration d'inconstitutionnalité de la Partie VI et des règlements d'application pour autant qu'ils concernent l'importation d'essence 3 et une déclaration, toujours eu égard à la Partie VI et à ses règlements d'application, lui reconnaissant le droit d'importer de l'essence sans aucune restriction de marché après son importation. Je devrais, maintenant mentionner que, grâce à la coopération de l'avocat du Procureur général du Canada, l'action a été plaidée sur une déclaration conjointe des faits deux jours après avoir été engagée de manière à ce que la demanderesse puisse obtenir réparation avant que ses activités ne soient injustement entravées et à condition que la Cour estime toutefois qu'il existe vraiment un grief en droit. L'exposé conjoint des faits, en plus de l'accord sur les données men-tionnées, comporte les paragraphes suivants: 2. Il est admis de part et d'autre que les faits ci-après décrits étaient à la connaissance du législateur lorsque la législation attaquée a été adoptée: (a) le marché domestique canadien du pétrole s'alimente à trois sources: (i) le pétrole provenant des produits raffinés des puits d'huile de l'Ouest canadien; (ii) le pétrole provenant du raffinage au Canada, dans les régions connues comme les régions I et II, de l'huile brute importée des marchés internationaux; et (iii) le pétrole raffiné à l'étranger et importé des marchés internationaux; (b) une concurrence existait entre les pétroles provenant des puits d'huile cana-diens et ceux provenant des marchés internationaux, dans leur mise en marché aux fins d'alimenter le marché domestique. Il faut bien comprendre qu'il ne s'agit en aucune façon, dans ce procès, de faire appel de la décision de l'Office d'accorder une licence sous réserve des conditions mentionnées ou de la décision de l'Office de rejeter une demande de licence supplémentaire. Compte tenu des articles 18 et 19 de la Loi sur l'Office national de l'énergie, il faut interjeter un tel appel devant la Cour suprême du Canada. En l'espèce, l'action vise à proclamer l'inconstitutionnalité de la Partie VI de la Loi sur l'Office national de l'énergie et de l'article 20, des règlements et à déclarer ensuite les droits en découlant pour la demanderesse. En étudiant la constitutionnalité de la Partie VI et du règlement 20, il est important de se souvenir qu'il n'existe aux frontières entre les provinces aucune interdiction en tant que telle des mouvements d'essence. Aux fins d'un plan général, le Canada a été divisé en régions distinctes des provinces et il existe un règlement régissant les mouvements d'une région à l'autre pour a) l'essence importée, et b) toute autre essence appartenant à l'importateur. En particulier, il existe de même un règlement des mouvements d'une partie de l'Ontario à l'autre. 3 L'avocat de la demanderesse a ainsi limité dans sa plaidoirie la réparation recherchée.
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 525 L'avocat du défendeur a suggéré de ne pas tenir compte de ce dernier aspect du problème puisque ce que la demanderesse désire c'est de pouvoir faire circuler de l'essence d'un point du Québec à un point de l'Ontario. Cependant, je rejette cette suggestion puisque, à mon avis, le règlement ne peut être morcelé. Ou il est bon dans la mesure il vient interdire les mouvements entre la vallée de l'Outaouais et le reste de l'Ontario, ou il est mauvais dans son ensemble. Ni la partie VI, ni le règlement, ni les deux ensemble n'ont la prétention d'être un règlement pris par le Parlement sur le commerce interprovincial en tant que tel et ne peuvent se réclamer de la compétence législative du Parlement comme pouvaient le faire certaines parties de la Loi sur la Commission canadienne du blé dans l'arrêt Murphy v. C.P.R.4 Il est clair que la Partie VI est une loi sur la réglementation du commerce international, c'est-à-dire qu'elle vise les importations au Canada et les exportations du Canada; à mon avis, elle doit, ou être maintenue ou être supprimée telle qu'elle est parce que c'est ainsi qu'on l'entendait. Pour être valable, l'article 20 des règlements doit, puisque adopté pour faire appli-quer le but et les dispositions de la Partie VI, faire partie intégrante d'un système législatif réglementant les importations au Canada sinon il est mauvais. Depuis l'avis consultatif re Alberta Statutes5, il est peu recommandé de vouloir définir les pouvoirs du Parlement de légiférer en vertu de l'article 91 (2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique (1867) au sujet des matières tombant dans la catégorie arèglementation du trafic et du commerce» ou d'attacher trop d'importance à des essais antérieurs tendant à définir certains pouvoirs de façon exhaustive même lorsque ces essais découlent de paroles prononcées par les juges lors de jugements rendus devant les plus hautes cours. Cependant, on n'a jamais mis en cause le pouvoir du Parlement qu'il détient en vertu de l'article 91 (2), de réglementer le flux des marchandises à destination ou en provenance du Canada. Dans l'exercice de son pouvoir de réglementation du flux des marchan-dises exportées du Canada, le Parlement peut en outre réglementer ce flux une fois que les marchandises ont atteint les voies commerciales interna-tionales. Comparez: l'arrêt Murphy v. C.P.R.6; l'avis consultatif re Farm Products Marketing Act (Ontario)7; et l'arrêt Regina v. Klassen 8. D'autre part, une assemblée législative provinciale peut réglementer le flux des marchandises à l'intérieur de la province lorsqu'elles sont destinées à la consommation ou à l'utilisation dans cette province. Voir: l'arrêt Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Boards; l'arrêt Home Oil Distributors Ltd v. Attorney-General of British Columbia10 ; et l'avis consultatif re Farm Products Marketing Act (Ontario) (voir ci-dessus). Ni le Parlement ni 4 [1958] S.C.R. 626. 6 [1938] S.C.R. 100 donné par le juge en chef Duff, aux pages 121 et 122. 8 [1958] S.C.R. 626. 7 [1957] S.C.R. 198. 8 (1959) 29 W.W.R. 369. ' [ 1938] A.C. 708. 1° [1940] S.C.R. 444.
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 527 l'assemblée législative provinciale ne peuvent valablement promulguer une loi réglementant le flux des marchandises dans les voies commerciales ou dans des circonstances qui relèvent de l'autorité législative de l'autre. Com-parez: l'avis consultatif re la Loi sur les produits naturels (organisation du marché), 193411 et l'arrêt The King v. Eastern Terminal Elevator Co. 12 avec l'arrêt Lawson v. Interior Tree Fruit and Vegetable Committee of Direction. 18 On ne peut pas toujours facilement déterminer exactement se trouve la ligne de partage entre ces deux compétences législatives; cela ressort des diffé-rents points de vue donnés au gouverneur en conseil dans l'avis consultatif Re Farm Products Marketing Act (Ontario)14 sur le point de savoir si la vente d'un porc élevé en Ontario à un centre d'élevage de l'Ontario (i) est néces-sairement une transaction «infra-provinciale» pouvant être réglementée du point de vue du trafic ou du commerce par la législation provinciale, (ii) constitue seulement une transaction intra-provinciale en ce sens que les produits finis sont consommés dans la province, ou (iii) n'est pas du tout une transaction infra-provinciale, en ce sens, si certains des produits du centre sont vendus ou produits pour la vente en dehors des limites provinciales. Bien qu'il existe, comme je l'ai indiqué, une divergence d'opinion sur le point de savoir si le produit d'une province vendu à un fabricant de la province tombe, du point de vue du trafic, sous la compétence législative du Parlement ou de l'assemblée législative provinciale, je ne trouve pas la même divergence d'opinion en ce qui concerne la compétence législative sur l'organisation du marché dans la province, des marchandises importées. Dans l'arrêt Shannon v. Lower Mainland Dairy Products Board15, après avoir soutenu que le plan d'organisation du marché provincial attaqué en l'espèce n'empiétait pas sur l'article 91 (2) de l'Acte de l'Amérique du Nord britannique parce que la législation «se limitait aux transactions de réglemen-tation entièrement conclues à l'intérieur de la province et qui tombent donc sous l'autorité souveraine reconnue à l'assemblée législative». Lord Atkin a déclaré aux pages 718 et 719: ... Les Lords n'acceptent pas l'idée que les produits naturels, tels que définis dans la loi, se limitent aux produits naturels de la Colombie-Britannique. . . . Mais la loi se limite clairement aux transactions sur certains produits qui se trouvent dans la province. Dans l'arrêt Home Oil Distributors Ltd v. Attorney -General of British Columbia16, un système provincial de réglementation et de contrôle des industries du charbon et du pétrole en Colombie-Britannique qui autorisait expressément une commission à fixer les prix du charbon ou des produits pétroliers de gros ou de détail, a été jugé bon en application de l'arrêt Shannon (voir ci-dessus), bien qu'il ait été attaqué pour tentative, de la part de la Province, d'intervention dans le commerce international des pro-duits pétroliers et que, sans aucun doute, une partie, si ce n'est l'ensemble du produit réglementé en cause, était importée. u [1937] A.C. 377. 'a [1925] S.C.R. 434. 18 [1931] S.C.R. 357. 16 [1957] S.C.R. 198. u [1938] A.C. 708. 16 [1940] S.C.R. 444.
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 529 D'après la jurisprudence ayant retenu mon attention, je conclus donc qu'une fois que les marchandises sont importées au Canada, elles tombent habituellement, du point de vue de la réglementation du trafic, dans la même catégorie que les marchandises produites au Canada et doivent donc être réglementées du point de vue du trafic, par le Parlement ou les assemblées législatives selon qu'elles empruntent des voies les menant à des destinations situées soit à l'intérieur soit à l'extérieur de la province elles se trouvent. Ceci ne signifie pas qu'il ne puisse pas y avoir de lois, promulguées par le Parlement dans l'exercice de ses pouvoirs de réglementation des importations au Canada, dont la nature même apporterait des restrictions au produit importé. Les lois autorisant l'introduction au Canada de marchandises dans le seul but de leur faire traverser le pays ou les lois interdisant l'importation de marchandises dangereuses sauf à des fins expérimentales sont les exemples qui me viennent à l'esprit. Cependant, normalement, d'après la jurisprudence que j'ai citée, lorsque les marchandises sont introduites au Canada pour répondre à une partie des besoins de consommation du pays, une fois im-portées, elles se mélangent aux autres marchandises du pays et ne conservent pas de statut distinct du point de vue de l'autorité compétente qui réglemente leur trafic à l'intérieur du Canada. Les marchandises importées ne sont pas différentes, en ce qui concerne l'autorité compétente, des autres marchandises, une fois qu'elles sont importées. Il me semble donc que ce n'est pas un aspect particulier de cette catégorie du droit réglementant le trafic international que la Partie VI représente lorsqu'elle confère à l'Office les pouvoirs de régir à l'intérieur d'une province déterminée les mouvements de marchandises importées après leur importation. Cependant, l'article 20 des règlements pris en vertu de la Partie VI ne pourrait pas être maintenu même s'il représentait la partie d'un système autorisant le Parlement à réglementer tout particulièrement en tant que tel le mouvement des marchandises importées. L'article 20 n'a pas pour objet de conférer à l'Office national de l'énergie le pouvoir de régir les mouvements d'essence importée. Il a pour objet l'autorisation d'interdire à un détenteur de licence, comme condition d'obtention d'une licence, de transporter sans le consentement de l'Office, «de l'essence à moteur» de l'est de la ligne précitée dans le reste de l'Ontario. En d'autres termes, cette condition s'ap-plique à toute essence à moteur que possède le détenteur de la licence même si elle est produite au Cana ds. Ceci ne constitue certainement pas une loi qui a pour objet de réglementer les marchandises importées. Une fois qu'il est clair que la réglementation des mouvements d'essence effectués en vertu de la condition autorisée par l'article 20 (4) n'est pas partie intégrante d'une loi réglementant le commerce international ou inter-provincial en tant que tel, vouloir réglementer ces mouvements ne peut conduire qu'à un échec en vertu de la jurisprudence Canadian Federation of Agriculture v. Attorney -General for Quebec and Others 17 la tentative de maintenir une interdiction législative contre la margarine en vertu de l'article 91 (2) a été rejetée par le Comité judiciaire à la suite de l'analyse de la jurisprudence faite par Lord Morton aux pages 192 à 195: . Les Lords font bon accueil à cette analyse, et sans la reprendre, procèdent à l'examen du premier argument présenté par l'avocat de l'appelante selon lequel l'interdiction est une mesure législative sur la réglementation du trafic et du 17 [1951] A.C. 179. J
[1970] R.C.E. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 531 commerce. En examinant cet argument, les Lords doivent affronter encore une fois la tâche difficile de trancher entre les droits en litige de l'assemblée législative fédérale fondés sur l'article 91 paragraphe 2 de l'Acte et des assemblées législa-tives provinciales, fondés sur l'article 92 paragraphe 13. D'une part, on déclare qu'une disposition législative qui cherche à encourager une industrie importante dans le pays en interdisant à tous les citoyens de ce pays d'entreprendre une autre industrie concurrente peut être décrite avec exactitude comme une mesure législative de réglementation du trafic et du commerce. D'autre part, on déclare que l'interdiction couvre la fabrication et la vente des marchandises en cause par exemple à l'intérieur de la province du Québec et que le droit d'un citoyen de cette province d'entreprendre cette fabrication et vente est un droit civil important dans la province et tombe directement sous le coup du paragraphe 13 de l'article 92; c'est donc l'un des chefs de compétence conférés exclusivement par l'Acte aux assemblées législatives des provinces. Si ces droits en litige n'avaient jamais été examinés auparavant par l'Office, les Lords auraient eu à affronter une tâche très difficile, mais des conflits semblables, sur des situations différentes ont déjà été résolus plusieurs fois dans le passé. Les Lords pensent que les décisions favorables à la validité de cette interdiction seraient contraires à la jurisprudence courante et, en particulier à certaines décisions récentes de l'Office. Ils estiment qu'il n'est pas nécessaire de passer en revue les décisions prises avant l'année 1936 qui portent sur ce point. Elles sont résumées avec clarté et justesse par le jugement magistral du juge en chef, Duff, dans l'arrêt Natural Products Marketing [1936] S.C.R. (Can.) 398. La décision de la Cour suprême dans cette affaire a été confirmée et le juge-ment du juge en chef Duff approuvé par l'Office [1937] A.C. 377; les Lords considèrent que l'arrêt Natural Products Marketing [1937] A.C. 377 a une influence très grande sur le présent appel. La loi, alors examinée, prévoyait la création d'un Office fédéral d'organisation du marché dont les pouvoirs com-prenaient ceux de réglementer l'agence par l'intermédiaire de laquelle il faudrait organiser le marché des produits naturels auxquels on appliquerait un plan approuvé, et de déterminer les temps et lieu d'organisation des marchés, le mode de distribution, la quantité, la qualité, la catégorie ou classe des produits que toute personne pourrait commercialiser à tout moment. En rendant le jugement de l'Office, Lord Atkin a déclaré (ibid. 386-7): Il ne fait aucun doute que les dispositions de la loi couvrent les transactions de tout produit naturel conclues dans la province et n'a aucun rapport avec le trafic inter-provincial ou d'exportation. Il est donc clair que la loi a pour objet d'affecter la propriété et les droits civils dans la province et que, si elle n'est pas prise en vertu de l'un des chefs de compétence de l'article 91, elle dépasse la compétence de l'assemblée législative fédérale. On avait cherché à classer la loi dans le cadre du paragraphe (2) de l'article 91soit, celui de la réglementation du trafic et du commerce. On avait insisté sur ces parties de la loi qui traitent du trafic inter-provincial et d'exportation. Mais la réglementation du trafic et du commerce ne permet pas la réglementation des formes individuelles de trafic ou de commerce limitées à la province. Dans son jugement [1936] S.C.R. (Can.) 412, le juge en chef déclare: «Les mesures législatives en cause, dans la mesure od elles touchent des problèmes qui sont fondamentalement locaux et pro-vinciaux, outrepassent donc la compétence du Parlement. Le Parlement ne peut avoir la compétence de légiférer de manière générale comme lorsque ces mesures législatives régissent les problèmes locaux et provinciaux, en légiférant en même temps sur le commerce extérieur et inter-provincial et la réglementation du commerce qui est exclusivement local ainsi que celui des commerçants et producteurs-commerçants. The King v. Eastern Terminal Elevator Co. [1925] S.C.R. (Can.) 434 Les Lords sont d'accord sur ce point et estiment qu'il n'est pas nécessaire d'ajouter d'autres commentaires. Comme cela ressort de ce passage, la réglementation du trafic et du com- merce qui est attribuée à l'assemblée législative du pays par le paragraphe 2 de l'article 91 ne permet pas la réglementation des formes individuelles de trafic et de commerce limitées à la province. Si cette réglementation n'est pas permise,
[1970] R.C.É. CALOIL INC. v. LE PROCUREUR GENERAL DU CANADA 533 il semble aux Lords qu'à fortiori, l'interdiction de formes individuelles de trafic et de commerce limitées à la province ne soit pas permise. En vertu de l'interdiction en cause en l'espèce, il est interdit à tout citoyen de (e.g.) la province de Québec de fabriquer et de vendre certaines substances dénommées, même s'il les fabrique seulement dans cette province et les vend seulement dans cette province. II est vrai que l'interdiction s'applique également aux transactions inter-provinciales, mais l'extrait du jugement du juge en chef Duff cité et approuvé par l'Office dans l'arrêt Natural Products Marketing, semble porter un coup fatal à tout argument fondé sur ce fait. II en est de même des observations faites par Lord Haldane en rendant le jugement de l'Office dans l'arrêt Dominion Insurance [1916] 1 A.C. 588, 595: On fera remarquer que l'article 4 prive le particulier de sa liberté de diriger une affaire d'assurance même lorsque cette dernière se limite aux frontières d'une province. On observera également que même une com-pagnie provinciale fonctionnant à l'intérieur des frontières de la province elle a été constituée en compagnie ne peut pas, sauf si elle peut obtenir une autorisation des autorités compétentes d'une autre province, fonctionner dans cette autre province sans la licence du ministre fédéral.... Il semble aux Lords qu'une telle ingérence dans son statut semble interférer avec ses droits civils à l'intérieur de la province elle a été constituée, ainsi qu'avec les pouvoirs de l'assemblée législative de toute autre province de lui accorder des droits civils. Les individus sont également privés de leurs droits civils dans leur propre province. La vérité est que l'affaire présente est typique de nombreux cas l'Office s'est senti obligé d'imposer certaines limites à la portée de termes généraux utilisés au paragraphe 2 de l'article 91 «pour empêcher de graves restrictions, si ce n'est une suppression totale, de l'autonomie que, comme cela ressort de l'ensemble de l'Acte, les provinces sont supposées posséder.—Voir l'arrêt du juge Duff, dans Lawson v. Interior Tree Fruit & Vegetable Committee of Direction [1931] S.C.R. (Can.) 357, 366. Le besoin de placer une telle limite conduit au rejet du premier argument de l'avocat. Il me semble donc que le système législatif de la Partie VI de la Loi sur l'O f ice national de l'énergie et de l'article 20 des règlements de la Partie VI sur l'Office national de l'énergie outrepasse les pouvoirs du Parlement dans la mesure il autorise l'interdiction d'importer de l'essence à moteur sous réserve de la condition énoncée à l'article 20 (4). La situation est donc la suivante: en raison de ce système législatif, la demanderesse n'a pas pu importer de l'essence à moteur au Canada si ce n'est conformément à un système réglementaire qui outrepasse les pouvoirs du Parlement, elle est donc en droit de faire proclamer ce système inconsti-tutionnel et en ce qui concerne ce système d'obtenir la déclaration lui donnant le droit d'importer de l'essence à moteur sans aucune restriction quant à l'organisation du marché après son importation. Cela ne signifie pas qu'il n'y aura aucune déclaration quant à la validité des articles 81 et 82 de la Loi sur l'Of ice national de l'énergie lorsqu'ils seront invoqués et appliqués autrement que pour un règlement invalide. 92623-10
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