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Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 333 Québec ENTRE: 1965 SAGUENAY PEAT MOSS COMPANY mai 17-20 REQUÉRANTE ; juin 16,17 LIMITED - Ottawa ET novembre 12 SA MAJESTÉ LA REINE INTIMÉE. CouronnePétition de droitRéclamation en indemnité, à titre de dommage-intérêts, par la requérante pour la perte de ses biens meubles et immeublesFardeau de la preuve incombe à la requérante Action rejetée. La requérante exploite une tourbière à Bagotville dont les usines sont situées à environ deux milles et demi (2i) de la piste d'une base aérienne utilisée par le Ministère de la Défense nationale. La requérante allègue que des avions du type turbo-réacteur (jets), conduits par des membres du Corps d'Aviation Royale Canadienne, auraient survolé ses bâtiments à une altitude excessivement basse alors qu'ils se trouvaient au-dessus de sa tourbière. En effectuant une montée très rapide, ces avions échappèrent de leurs moteurs de longs jets de flamme qui atteignirent le sol et allumèrent ainsi, le 8 juillet 1957, vers 10 heures p m., un incendie des bâtiments de la requérante. Que, de plus, un desdits avions en trouble, après avoir mis le feu aux usines de la tourbière de la requérante, alla s'écraser 500 à 1,000 pieds plus loin. La preuve soumise par l'intimée révèle qu'aucun de ses avions n'a pu ce soir-là mettre le feu aux propriétés de la requérante de la fa-çon qu'ils décollèrent de la piste, de la manière qu'ils circulèrent,
334 R.C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1965 i.e., à une très haute altitude, et enfin, par le vol qu'ils effectuèrent SAGUENAY à leur retour à leur base aérienne de Bagotville. PEAT Moss Le dossier du Ministère de la Défense nationale, relatif à l'enquête qui eut Co. LTD. lieu en 1956 au sujet de la chute d'un avion à la base aérienne de v. Bagotville, confirme bien que, le 19 juin 1956, un avion, soit un CF-100, LA REINE numéro 18459, est tombé à cet endroit et les débris trouvés correspon- dent à ceux trouvés en 1965. II appert que les CF-100, en service à Bagotville en 1956, étaient des Mark IV et en 1957 des Mark V. Les débris en question étaient d'un Mark IV. Les archives du Ministère de la Défense nationale, division du Corps d'Aviation Royale Canadienne, renferment au complet tous les accidents qui surviennent au Canada. Et, quant aux années 1956 et 1957, et plus particulièrement le 8 juillet 1957, date de l'incendie des usines de la requérante, aucune mention d'accident n'est relatée dans les livres et dossiers de ce département, non seulement pour la date du 8 juillet 1957, mais aussi pour les dates des 8 et 9 juillet 1957. Jugé: Vu l'invraisemblance des témoignages apportés du côté de la requérante et en face de la preuve établie par l'intimée, la Cour en vient à la conclusion qu'aucun des avions de l'intimée n'a pu, ce soir-là, mettre le feu aux propriétés de la requérante. 2. La Cour, en présence de la preuve experte offerte par l'intimée, est convaincue de l'impossibilité pour un avion du type CF-100 d'incen-dier, en plein vol, un bâtiment même comportant une toiture en toile goudronnée. 3. Les avions de l'intimée n'ont eu rien à faire avec cet incendie. 4. Il semble donc, que les avions de l'intimée, qui circulaient ce soir-là au-dessus de Bagotville, n'ont pas volé au-dessus des établissements de la requérante et, s'ils l'ont fait, ils étaient sûrement à une altitude telle qu'ils n'ont pu y mettre le feu. 5. La pétition de droit ainsi que la demande incidente sont rejetées. PÉTITION DE DROIT en réclamation de dommages subis à la suite d'un incendie de propriétés. Louis M. Laroche et Maurice L. Duplessis pour la requé-rante. Jules Landry, c.r., et Raymond Roger pour l'intimée. NOËL J. :—Par sa pétition de droit produite le 16 juin 1959, la Requérante réclame de l'Intimée la somme de $141,355 avec intérêts depuis l'assignation et les dépens à titre de dommages subis le 8 juillet 1957, vers 10 heures p.m., par l'incendie de sa tourbière, y compris l'usine, l'outil-lage, les aménagements et tous les biens meubles et immeu-bles. Le montant réclamé se compose des sommes suivantes: Valeur des usines et équipement $78,355.00 Perte de revenu $22,500.00 Installation de sa tourbière à un autre endroit $40,500.00 TOTAL $141,355.00
Ex C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [19667 335 Dans sa pétition la Requérante allègue que l'incendie de 1965 ses bâtiments fut causé par des avions du type turbo-réac- SAGUENAY teur conduits par des membres du Corps d'Aviation Royale PCo LTDSS Canadienne qui, le soir du 8 juillet 1957, s'envolèrent de la LA RVE. INE piste d'une base aérienne utilisée par le ministère de la Défense nationale, à Bagotville, et située à environ 22 Noel J. milles des bâtiments incendiés, et survolèrent ces derniers pour effectuer des manoeuvres aériennes. Ces avions au-raient volé au-dessus de la tourbière à une altitude exces-sivement basse et (suivant le paragraphe 7 de la pétition de droit) «alors qu'ils se trouvaient encore au-dessus de la tourbière, ils effectuèrent une montée très rapide en intensi-fiant subitement le feu de leur moteur et en échappant derrière eux de longs jets de flamme qui atteignirent le sol pour y allumer un incendie;». La Requérante précise davantage la faute, négligence, imprudence ou inhabileté des pilotes des avions de l'Intimée aux paragraphes 14 et 15 de la pétition, qui se lisent comme suit : 14. Ledit incendie et les dommages qui en résultent ont été causés par les faute, négligence, imprudence ou inhabileté des pilotes desdits avions qui ont allumé l'incendie sur la tourbière de la requérante et plus particulière-ment en ce que: a) Alors qu'ils savaient ou devaient savoir que les avions qu'ils conduisaient dégageaient une longue traînée de feu et une chaleur très intense, ils effectuèrent un vol à trop basse altitude au-dessus d'une propriété qu'ils connaissaient ou devaient connaître comme étant très inflammable; b) Alors qu'ils savaient ou devaient savoir que leur manoeuvre était susceptible d'allumer un encendie sur la propriété de la requérante, ils changèrent subitement de direction pour effectuer une remontée en vol presque vertical ce qui eut pour effet de diriger le jet de leurs turbo-réacteurs directement vers la tourbière de la requé-rante; c) Ils ont allumé ledit incendie sans excuse possible ou valable; d) Ils ont négligé de se conformer aux règles les plus élémentaires de la prudence; e) Ils étaient des pilotes imprudents, néghgents ou inexpérimentés; 15. De plus, le Gouvernement canadien est responsable desdits dom-mages qui ont été causés par les officiers qui avaient le devoir de contrôler, de surveiller et de donner des ordres auxdits pilotes et qui ont causé lesdits dommages par leurs faute, négligence, imprudence ou inhabilité et plus particulièrement en ce que: a) Ils ont négligé de surveiller lesdits pilotes; b) Ils n'ont pris aucune mesure pour s'assurer que lesdits pilotes ne causeraient un incendie à la propriété de la requérante; e) Ils ont confié lesdits avions à des pilotes imprudents, incompétents et inexpérimentés sans s'assurer qu'il pouvaient le faire sans
336 R.C. de l'É. COUR DE L'ÉCFIIQUIER DU CANADA [1966] 1965 danger pour la propriété d'autrui et plus particulièrement pour celle de la requérante; SAGUENAY PEAT Moss d) Alors qu'ils savaient ou devaient savoir que les manoeuvres desdits Co. LTD. pilotes étaient susceptibles d'allumer un incendie sur la tourbière V. de la requérante, ils n'ont rien fait pour empêcher lesdits pilotes LA REINE d'exécuter lesdites manoeuvres; Noël J. Le 19 novembre 1964, la Requérante obtint la permission d'amender sa pétition en y ajoutant l'art. 7A ainsi conçu: De plus, un desdits avions, qui était en trouble, après avoir mis le feu aux usines de la Tourbière, alla s'écraser 500 à 1000 pieds plus loin; Le 4 mai 1965, soit quelques jours avant l'audition de la présente cause, qui débuta le 17 mai 1965, la Requérante produisit une demande incidente réclamant une somme additionnelle de $50,000 parce qu'elle aurait, dit-elle, subi à la suite de l'incendie de ses bâtiments une perte de profit de $20,000 pour chacune des années 1958 et 1959 et $10,000 pour l'année 1960. La Requérante, qui avait le fardeau d'établir les allégués de sa demande, présenta à l'enquête de nombreux témoins, des résidents de l'endroit pour la plupart, qui vinrent témoigner de ce qu'ils avaient vu ou entendu le soir les bâtiments de la Requérante furent incendiés. L'ingénieur Pierre Paul Vinet, spécialisé en génie mécanique, ainsi que le professeur Rémi Chénier, docteur en génie mécanique et qui donne des cours sur les turbo-réacteurs à l'Ecole Poly-technique de Montréal, furent aussi tous deux entendus au soutien de la Requérante. Je n'ai pas l'intention d'examiner chacun des témoigna-ges présentés par les nombreux témoins entendus dans cette cause, et il suffira de dire pour l'instant qu'un certain nombre, tels M. Philippe Perron, Dame Robert Belley, Dame Jeanne d'Arc Soucy Tremblay et ses deux filles, déclarèrent que le soir de l'incendie, ils entendirent une espèce d'explosion précédée par une pétarade d'un avion qui était en difficulté (certains déclarant qu'ils avaient vu une boule de feu) et que quelques minutes plus tard les usines de la Requérante étaient en feu, et qu'un autre, Gilles Tremblay, déclara que le soir de l'incendie, s'étant rendu à un certain endroit situé à environ trois quarts de mille au sud de la tourbière, il y vit des débris d'un avion qui était en feu que certains aviateurs tentaient d'éteindre. Quant à ses deux cousins, Robert et Claude Tremblay, ceux-ci déclarèrent qu'ils se rendirent (avec deux autres) le lendemain soir au même endroit, mais furent arrêtés par
Ex C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 337 des aviateurs qui leur défendirent d'avancer et ils durent 1965 rebrousser chemin, tout en ayant constaté cependant qu'il y SAGUENAY avait à terre des morceaux ou débris d'avion. PEAT Moss CO. LTD. Ces témoignages furent ensuite suivis par celui du con-V. LA REINE tremaître de la Requérante, Fernand Desgagné, qui déclare Noël J. s'être rendu, en 1965, avec un photographe, à un certain endroit, que sur les instances de M. Jean Julien Fortin, le propriétaire de la compagnie requérante, il avait découvert auparavant, situé au sud des usines de la Requérante près d'un certain chemin de fer, et il y avait des débris d'avion et produisit comme exhibits R-5 à R-22 les photo-graphies prises à cette occasion. Ces photographies permettent de s'assurer par les nu-méros qui apparaissent sur les débris photographiés, qu'il s'agit bien d'un avion CF-100 portant le numéro 18459, et jusqu'à ce moment, il semble bien que l'incendie des propriétés de la Requérante a fort bien pu avoir été causé par cet avion dont les débris, découverts presque providen-tiellement sept ans après la date de l'incendie et allégués quelques jours avant le procès, viennent corroborer la version de certains témoins de la Requérante si ce n'était ide la preuve irréfutable apportée par l'Intimée en défense qu'en fait cet avion était tombé en 1956 et, par conséquent, ne pourrait avoir été la cause de l'incendie survenu en 1957. Cette preuve fut établie par Philip de Lacey Markham, commandant d'escadre, qui identifia les débris de l'avion sur lesquels il avait d'ailleurs enquêté dans le temps et qui, se basant sur les archives du Ministère devant lui, déclara que le 19 juin 1956, à 12.25 heures, cet avion, piloté par le chef d'escadrille Bolin, accompagné du lieutenant McKenzie, à Bagotville, P.Q., s'écrasa dans la tourbière à un endroit (précisément à l'endroit les jeunes gens avaient vu un avion en feu) situé près du chemin de fer, dans une direction nord-est de la base aérienne de Bagot-ville détruisant l'appareil et tuant l'équipage. Ce témoin déclara en transquestion qu'il ne pouvait jurer que tous les débris qui apparaissent sur la photo R-23 étaient de l'appareil 18459, certains, en effet, ne portant aucune inscription, mais il jure qu'il ne peut s'agir, quant à ces débris, que de ceux d'un seul avion, soit un CF-100, et que les débris ne peuvent être des débris d'avion T-33 ou C-45 dont quelques-uns étaient stationnés à la base de
338 R.C. de l'É. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19661 1965 Bagotville en 1956 et 1957. D'ailleurs, il appert que les SAGUENAY CF-100 en service à Bagotville en 1956 étaient des Mark IV PEAT ss Co LT D. et en 1957 des Mark V. Les débris de l'avion en question étaient d'un Mark IV. LA RV E . INE Le témoignage de Markham fut suivi de celui de Roland Noël I. Emond qui travaille à Ottawa pour la sécurité aérienne et qui est détenteur du dossier relatif à l'enquête qui eut lieu en 1956 au sujet de la chute de cet avion. Par le moyen de ce dossier il confirme que c'est bien le 19 juin 1956 que cet avion est tombé, qu'il s'agit bien du CF-100 18459 et détermine même la trajectoire qu'il a suivie avant de tom-ber ainsi que l'endroit il vint s'écraser au sol, qui correspond à celui le contremaître de la Requérante trouva les débris en 1965. Ce monsieur, en plus, déclare que son département possède des archives complètes concernant tous les accidents qui surviennent au Canada et quant aux années 1956 et 1957, et plus particulièrement le 8 juillet 1957, date de l'incendie des usines de la Requérante, il déclare n'avoir dans les livres ou dossiers de son département aucune mention d'accident non seulement pour la date du 8 juillet 1957, mais aussi pour les dates des 8 et 9 juillet 1957. Il ne voit non plus aucune mention même d'incident (qui serait un manquement mineur ou majeur mais sans que l'avion s'écroule, tel que par exemple mauvais fonctionnement d'un engin, du système hydraulique ou électrique ou du système d'atterrissage) pour ces dates tel qu'il appert au rapport produit comme pièce D-14. Ce témoin déclare qu'il n'est pas possible qu'un accident survienne sans qu'il soit rapporté, non seulement à son département, mais à diffé-rents autres départements. Quant aux incidents, tel que mauvais fonctionnement d'un moteur, qui pour les avions auraient une importance primordiale tant pour la sécurité des membres de l'équipage que pour l'efficacité du service des avions en général, il ne semble pas non plus qu'on en ait rapporté le 8 juillet 1957 ou même le 9 juillet 1957. Nous devons, par conséquent, conclure que l'allégué de la Requérante au paragraphe 7A de la pétition à l'effet que l'un desdits avions qui était en trouble, après avoir mis le feu aux usines de la tourbière, se serait écrasé un peu plus loin, n'a pu être établi par la Requérante et doit être rejeté.
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [19661 339 Il ne reste par conséquent que l'allégué 7 de la pétition à 1965 l'effet que les avions de l'Intimée alors qu'ils effectuaient SAGUENAY des montées très rapides, en intensifiant subitement le feu PEAT Moss CO. LTD. de leur moteur, auraient échappé derrière eux de longs jets V. LA REINE de flamme, allumant ainsi l'incendie des propriétés de la Requérante. Noël J. La confusion engendrée par les déclarations des témoins de la Requérante à l'effet que l'avion tombé en 1956 serait tombé à la date même de l'incendie du 8 juillet 1957 des usines de la Requérante, et qui s'explique probablement par le fait que l'enquête eut lieu 8 ans après cet incendie, nous laisse tout de même sceptique aussi sur la véracité de ces mêmes témoignages relatant ce qu'ils déclarent avoir vu quant aux manoeuvres des avions ce soir-là, et plus par-ticulièrement quant au prétendu vol en rase-mottes de certains avions de l'Intimée à cette occasion. Notre scepticisme cependant se transforme en une certitude qu'aucun des avions de l'Intimée n'a pu ce soir-là mettre le feu aux propriétés de la Requérante en présence de la preuve irréfutable apportée par l'Intimée des avions en mouvement dans la soirée du 8 juillet 1957 au-dessus de Bagotville, de la façon qu'ils décollèrent de la piste, comment ils circulèrent à une très haute altitude et, enfin, comment ils revinrent à la base. Cette certitude cependant devient finalement une conviction en présence de la preuve experte offerte par l'Intimée de l'impossibilité pour un avion du type CF-100 d'incendier en plein vol un bâtiment, même comportant une toiture de toile goudronnée. Il n'est pas possible en effet, en présence de cette preuve, de con-clure que les avions de l'Intimée aient eu quelque chose à faire avec cet incendie, et la présence sur les lieux des aviateurs de la base peu de temps après le début de l'incen-die et leurs efforts pour l'éteindre et pour le circonvenir, ne peuvent en aucune façon être interprétés comme une reconnaissance de responsabilité, ce geste de leur part, tel qu'expliqué par l'un des aviateurs en charge des sapeurs de la base, Stanley Steppings, n'étant qu'une autre manifestation (car ils avaient été en plusieurs autres occasions au secours de la population en d'autres endroits, à Chicoutimi par exemple) du désir des aviateurs de maintenir avec la population civile des environs des relations de bon voi-sinage.
340 R.C. de 1'E. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1965 Quant aux manoeuvres des avions le 8 juillet 1957, le chef SAGUENAY d'escadrille Norman Cairns, de l'escadrille 432, qui était à PE cco ss ce moment accompagné de l'officier Mahon dans un avion v CF-100, nous parle d'un exercice à haute altitude qui eut Ln REINE li eu à cette date impliquant un autre avion CF-100 conduit, Noël J . celui-là, par le chef d'escadrille Shore, et le navigateur Barry Thompson nous relate aussi un deuxième exercice à haute altitude ce soir-là de l'escadrille 413 dans un avion portant le numéro 634. Cet exercice comportait le vol de trois avions, son avion étant piloté par l'officier Thomson et les deux autres respectivement par les officiers Farley et Copeland. Ces envolées, comme toutes celles qui ont lieu à la base, sont enregistrées dans un livre de vol qui indique le genre d'avion, son numéro, la durée de l'envolée et la date. Il fut établi que le soir du 8 juillet il n'y eut que ces deux exercices. Quant au chef d'escadrille Norman Cairns, il déclare qu'il s'envola le 8 juillet 1957 de la base de Bagotville vers les 9 heures et que l'exercice dura environ 1 heure et 45 minutes, qu'à 45,000 pieds les deux avions CF-100, dont le sien et un autre CF-100, exécutèrent des exercices d'interception, que la vitesse moyenne des avions durant cet exercice fut d'en-viron 400 milles à l'heure et qu'il est probable que ce fut la piste 1-1 qui fut utilisée ce soir-là pour décoller et rentrer car il y avait à ce moment un vent sud-est de 11 milles à l'heure. Il déclare qu'à 45,000 pieds d'altitude les deux avions pouvaient être jusqu'à 100 milles sud, est ou ouest de la base. Il déclare aussi qu'au décollage, après s'être rendu à 3,000 pieds d'alitude, il était à environ 22 milles de la piste et nullement dans la direction des usines de la Requérante, puisqu'il lui fallait aller à l'encontre du vent. Quant au retour, qui s'est effectué probablement aussi sur la piste 1-1, il déclare qu'à 25,000 pieds d'altitude son avion était à 30 milles de la base et qu'à 5,000 piedssoit à 10 milles de cette baseil descendit vers cette dernière dans une pente d'environ 22 degrés et ici encore, déclare-t-il, sa descente ne s'est pas effectuée au-dessus des installations de la Requé-rante. Barry Thompson, qui était dans un des avions de l'exer-cice comprenant 3 avions CF-100 de l'escadrille 413, déclare de son côté qu'il quitta la base de Bagotville à 9.20 heures,
Ex. C R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 341 s'éleva à 45,000 pieds, participa avec deux autres avions à 1965 des exercices à cette altitude et revint ensuite à la base SAGUENAY guidé par un centre de contrôle radar situé au sol, qui l'a MDss r conduit d'une altitude de 20,000 pieds, soit à 30 milles de la Ry. LA EINE base, jusqu'à la piste 1-1 sans par conséquent ici encore passer au-dessus des bâtiments de la Requérante. Il atterrit Noël J. à 11.05 heures sans encombre et sans incident et rencontra à sa descente de l'avion l'équipage des deux autres avions afin de discuter les exercices effectués pendant le vol et à cette occasion le témoin déclare qu'il ne fut aucunement question, soit d'un accident, soit même d'un incident pendant les manoeuvres. Il semble donc que les avions qui circulaient ce soir-là au-dessus de Bagotville n'ont pas volé au-dessus des éta-blissements de la Requérante et s'ils l'ont fait, ils étaient sûrement à une altitude telle qu'ils n'ont pu y mettre le feu. La proximité d'ailleurs de pylônes portant des fils de haute tension d'une hauteur d'environ 90 pieds du sol et le danger que cela constituait pour les avions les auraient sûrement empêchés de «raser» les bâtiments. Rémi Chénier, docteur en génie mécanique chargé de cours sur les turbo-réacteurs à l'École Polytechnique de Montréal, déclare que le gaz à sa sortie des avions atteint une température de 1,000° Fahrenheit. Il ajoute cependant que certains avions militaires sont construits de façon à pouvoir en plus, par ce qu'on appelle un post-brûleur, obtenir une poussée additionnelle et quand ce post-brûleur est utilisé la température du gaz à sa sortie peut aller jusqu'à 2,500° Fahrenheit. Cette chaleur, cependant, dimi-nue évidemment au fur et à mesure que le gaz s'échappe dans l'atmosphère. Il faudrait d'après ce témoin, 525°F pour mettre le feu à la toiture goudronnée d'un bâtiment. Pierre Paul Vinet, ingénieur professionnel, fut ensuite entendu au soutien de la demande. Il est chef du départe-ment de génie mécanique de l'École Polytechnique depuis 1932. Il n'a pas fait d'expériences avec des avions, mais puisant dans un livre intitulé «Aircraft Engines of the World» par Wilkinson, il déclare que la température des gaz à la sortie de la queue d'un avion dépend des types de moteurs, que pour les «jets» cela peut varier entre 1100° et 1600° et que pour le CF-100 Mark V sa température d'échappement est de 1300° Fahrenheit. Il admet que cette 92715-2
342 R.C. de l'E. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [19661 1965 température baisse dès que le gaz sort à l'air et que pour y SAGUENAY mettre le feu il faudrait qu'il s'agisse de combustible qui se PEAT Miss Co serait échappé sans avoir brûlé et qui serait encore v. suffisamment chaud pour incendier l'objet sur lequel il LA REINE serait tombé. Il prétend que cela a pu se produire dans le Noël J. présent cas et que le feu des bâtiments de la Requérante a pu commencer par l'incendie de la toiture goudronnée des bâtisses. Il produit comme pièce R-26 la photographie d'un F-86 Sabre prise la nuit et qui représente un gaz incandescent qui sort de l'arrière d'un avion au sol. Il admet cependant en transquestion qu'il s'agit d'un essai de nuit en vue de vérifier le moteur au sol et qu'en vol normal on ne pourrait voir cette incandescence. Il ne connaît pas la vitesse minimum d'un CF-100 et ne peut dire pendant combien de temps un objet donné pourrait être en contact avec les gaz provenant d'un tel avion en plein vol. Les explications données et les théories présentées par les experts de la Requérante relativement à l'origine possible de ce feu ne peuvent cependant être acceptées en face de la preuve produite par l'Intimée. H. S. Fowler, officier sénior du Conseil National des Recherches, Ottawa, un spécialiste des avions «jets» de grande expérience, ayant écrit 40 à 50 articles sur ce sujet, et qui a même fait des expériences sur la possibilité pour ces avions avec moteur Orenda tels que les CF-100 Mark V de mettre le feu à des bâtiments en volant bas, ayant aussi au mois de janvier 1964 conduit au sol une expérience afin de découvrir la température des gaz à la sortie de ces avions, expérience d'ailleurs qui fut publiée par le Conseil National des Recherches et dont une copie fut produite comme pièce D-25, déclara qu'il n'est pas possible qu'un avion en plein vol puisse incendier un bâti-ment. Il affirme tout d'abord que la théorie du post-brûleur ne peut s'appliquer aux avions CF-100 car ces derniers ne comportent pas ce dispositif de mécanisme et la chaleur des gaz à la sortie ne peut par conséquent d'après lui dépasser 1300° Fahrenheit. Il relate que la chaleur peut être com-muniquée de l'avion au sol de trois façons, soit par radiation, convection ou conduction. Quant à la radiation, la chaleur peut se transmettre par rayons comme la lumière par exemple; quant à la convection (la seule façon pour un
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 343 avion en plein vol d'incendier un objet si la chose est 1965 possible) il faut que l'objet visé puisse voir l'objet qui émet SAGUENAY la chaleur, qu'il n'y ait pas d'écran entre les deux, qu'il soit PEAT mD s suffisamment près et que la chaleur soit appliquée assez LA RV E . INE longuement pour l'incendier. Il déclare que si l'on se place derrière un jet dont les moteurs fonctionnent l'on ne peut Noël J. rien voir et que les expériences qu'il a conduites indiquent que les températures accrues, obtenues à l'arrière d'un avion jet dont les moteurs fonctionnent sont pour 100 pieds, 150 pieds, 200 pieds et 300 pieds, respectivement de 54°F, 45°F, 27°F et 18°F, bien inférieur par conséquent à la chaleur requise, soit 523°F, pour incendier un objet comme le toit goudronné d'un bâtiment. Ce témoin en effet, reprenant les données précitées et les intégrant dans une température du mois de juillet qu'il fixe pour les fins de son calcul à 70°F, arrive aux conclusions suivantes: àà 100 pieds à l'arrière avec une élévation de tempé-rature de 59° et 3 pieds en bas de l'horizontal de l'avion, le maximum ne peut dépasser 59 + 70, soit 129° F; à 200 pieds à l'arrière avec une élévation de tempé-rature de 27° et 3 pieds en bas de l'horizontal de l'avion, le maximum ne peut dépasser 70 + 27, soit 97°F. Dans les deux cas précités, ce témoin déclare que si l'avion n'est qu'à 25 pieds au-dessus 'du sol la température maximum d'émanation au sol ne pourrait s'élever au-des-sus de 100° F et aura cette intensité pour 3 de seconde seulement et que même si l'avion n'était qu'à 11 pieds du sol la température maximum momentanée de l'air ne pourrait s'élever au-dessus de 130° F et durerait moins qu'une demi-seconde. Il appert aussi du témoignage de Fowler que quelle que soit la proximité qu'aurait pu atteindre un des avions CF-100 des bâtiments de la Requérante, il est sûr que les orifices du «jet» n'ont pu à aucun moment pendant le vol être directement en ligne avec le toit des bâtiments, car il existe un maximum d'angle de montée pour ces avions qui, dépassé, comporte pour l'avion une tension qui aurait pour effet de le briser et qui, pour les membres de l'équipage, les rendrait inconscients. Ces avions n'ont pu, par conséquent, tel qu'allégué par la Requérante, effectuer au-dessus des 92715-2
344 R C. de l' E . COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1965 bâtiments «une montée très rapide en intensifiant subite-SAGUENAY ment le feu de leur moteur et en échappant derrière eux de PEAT MOSS Co. LTD. longs jets de flamme qui atteignirent le sol pour y allumer v. un incendie». LA REINE D'ailleurs, cette possibilité que ces avions aient pu Noël J. échapper des flammes ou une incandescence telle que repré-sentée par la pièce R-26 produite par M. Vinet, est égale-ment prise à partie par Fowler qui déclare que la photogra-phie en question a été prise à un moment le moteur fut mis en mouvement au sol et qu'il est possible, si l'on est négligent et si l'on permet à l'air de s'infiltrer, que l'on puisse avoir pour une ou deux secondes une telle incandescence. Cependant si cela durait le moindrement les lames seraient éjectées et la turbine serait endommagée. Il ajoute qu'au début avec les CF-100 Mark III il était possible pour un pilote négligent de trop ouvrir l'obturateur d'air, ce qui avait pour effet de donner trop de pétrole et de provoquer une incandescence suivie de la destruction de la turbine et de l'écrasement de l'avion. Cependant dans les CF-100 mark V (tels que ceux employés à Bagotville en 1957) les turbines sont maintenant alimentées mécaniquement et cette alimentation est contrôlée par un dispositif spécial. Il faudrait que ce contrôle fasse défaut pour obtenir mainte-nant cette incandescence avec les CF-100 Mark V et avec ce dispositif de contrôle le pilote pourrait quand même, en fermant le moteur défectueux, revenir au sol. Si la chose s'était produite le soir du 8 juillet 1957, il déclare qu'une réparation majeure aurait été requise et cette réparation aurait été rapportée. Ce témoin, enfin, s'adressant à la théorie émise comme possibilité par Vinet que du pétrole qui n'aurait pas été transformé en gaz dans les turbines ait pu s'échapper à une température suffisamment chaude pour mettre le feu ou aurait, après s'être ainsi échappé, pris feu sur le toit des bâtiments, déclare d'abord qu'il est très difficile d'allumer du pétrole dans l'atmosphère qui, d'ailleurs, le refroidit très rapidement, et qu'il n'est pas possible qu'il en fut ainsi et il étaye son opinion par une expérience dont il a été témoin en Angleterre, soit à Farmborough en 1949, lorsque le pilote d'un avion semblable au CF-100 (qui avait été photographié dans le temps et dont la photographie fut produite comme partie de la pièce D-26) volant à une
Ex. C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA [1966] 345 hauteur de 6,000 pieds au-dessus de l'aéroport, plongea 1965 soudainement, ferma ses deux moteurs, fit marcher ses SAGUENAY pompes de combustible, le pétrole s'échappant à l'arrière en S PCo I/I D. gouttelettes, et vint passer au-dessus de lui à environ 50 LA RV E . INE pieds. Il constata en cette occasion que toutes ces gout- telettes de pétrole s'évaporaient avant d'atteindre le sol et Noël J ne pouvaient par conséquent incendier quoi que ce soit, et cette expérience fut répétée plusieurs fois. La preuve révèle aussi que si du pétrole s'était ainsi échappé d'un avion en plein vol, cela aurait pour le moins créé un incident ou peut-être même un écrasement qui aurait été sûrement rapporté. Fowler établit d'ailleurs d'une façon décisive qu'un toit en toile goudronnée ne prend feu , à 523°F que s'il est exposé à une chaleur de cette intensité pendant quelques secondes, or il appert que quant au dit toit, s'il avait été exposé à une telle intensité de chaleur par un avion en marche, n'aurait pu l'être, étant donné le mouvement ou la vitesse de l'avion, que pendant une fraction de seconde, soit pendant une période trop courte pour l'incendier. Le témoin en effet fit une démonstration devant la Cour avec une torche acétylène dont il mesura l'intensité de chaleur à 1300° F soit celle du gaz à sa sortie de l'avion et à cette intensité, qui serait bien supérieure à celle du gaz qui pourrait toucher au toit à cause de son refroidissement par l'air, il a pris plus qu'une seconde pour incendier une toile goudronnée qu'il avait d'ailleurs attachée par le coin et en dessous, ce qui comportait des conditions beaucoup plus favorables à l'incendie de la pièce que si le feu y avait tout simplement été déposé par une substance provenant de l'avion tombée sur le toit. L'incendie d'ailleurs semble s'expliquer plutôt par la combustion probablement spontanée d'un matériel fort inflammable qui se trouvait dans les bâtiments de la Requérante à ce moment-là, soit la tourbe, matériel tel qu'au témoignage du propriétaire de la Requérante, M. Fortin lui-même, aucune compagnie d'assurance ne veut assurer. Aylmer Swinnerton, un expert en matières combustibles tel que tourbe, pétrole, huile, charbon, etc., employé au département des mines à Ottawa et qui, en 1958, publia un volume intitulé «La Tourbe de Mousse au Canada», déclare
346 R C. de l'E. COUR DE L'ÉCHIQUIER DU CANADA [1966] 1965 à la page 356 des témoignages, relativement au danger SAGUENAY d'incendie des tourbières, ce qui suit : PEAT Moss Co. LTD. A. Well that was given considerable thought to that matter, our V. investigations, and discussions with different people, and I am quite LA REINE sure that a lot of these fires that take place in peat are due to Noël J. spontaneous combustion. These fires take place in the middle of the night, suddenly the buildings get filled with smoke, and then the fire gradually develops. I would like to just amplify that. Anybody who is a gardener and who has a mulch pile which develops quite a bit of heat, and especially if there is very much grass, a big pile of grass cutting, wet, after two (2) weeks will develop considerable heat; you would be surprised how much heat it develops. Il appert en effet d'après son témoignage que cette cha-leur est développée par la fermentation et la décomposition des matières organiques et le fait que la mousse contienne un peu d'humidité tel que la Requérante a voulu l'établir, loin de rendre cette mousse moins inflammable, l'aide précisément à prendre feu. Ceci appert également à la page 367 des notes sténographiques du témoignage de ce même témoin, questionné par la Cour: Q. And in the storage shed it would consist of forty percent (40%) humidity and what? A. It would dry a little more...not very much. Q. Then there would be sixty percent (60%) material? A. It would still have thirty (30) to forty percent (40%) when it is still in the bale. Q. It would still be humid? A. Oh yes. Q. And would that humidity prevent it from taking fire? A. No because it needs a certain amount of humidity for the fermentation; if it is too dry it would overheat and if it is too wet...it is somewhere in-between. Q. There is a fermentation? A. The danger of stacking hay when it is damp, it will quite often...the stack will catch fire going into the heat of the fermentation, that is why the farmers dry their hay on the field well before they put into the stack It is the same thing with the peat, perhaps at fifty percent (50%) it could develop fermentation and eventual fire. Q. So it is more dangerous if it is relatively humid? A. No. Q. Do you say no or yes? A. Oh yes, yes. Q. Than when it is completely dry?
Ex C.R. EXCHEQUER COURT OF CANADA A. Yes. Q. Because of the fermentation process? A. Oh yes, yes. La pétition de droit ainsi que la demande incidente sont par conséquent rejetées. L'intimée pourra, mais quant au renvoi de la pétition de droit seulement, recouvrer de la pétitionnaire déboutée tous ses frais et honoraires taxables. [19661 347 1965 SAGUENAY PEAT Moss Co. LTD. LA REINE Noël J.
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