Jugements

Informations sur la décision

Contenu de la décision

A-59-17

2018 CAF 133

 

Daniel Turp (appelant)

c.

Le ministre des Affaires étrangères (intimé)

Répertorié : Turp c. Canada (Affaires étrangères)

Cour d’appel fédérale, juges Nadon, Boivin et Gleason, J.C.A.—Montréal, 6 décembre 2017; Ottawa, 6 juillet 2018.

Commerce extérieur –– Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant qui s’opposait à la décision de l’intimé d’accorder des licences d’exportation vers le Royaume de l’Arabie saoudite pour des véhicules blindés légers (VBL) –– Plus particulièrement, la Cour concluait que l’appelant ne pouvait s’opposer à la décision de l’intimé d’accorder des licences d’exportation vers le Royaume de l’Arabie saoudite pour des VBL, lesquels se retrouvent sur la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée (Liste), établie par le Gouverneur en conseil en vertu de l’art. 3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (la LLEI) –– L’appelant soutenait qu’en raison de la LLEI, du Manuel des contrôles à l’exportation (Manuel) et des obligations internationales du Canada, l’intimé se devait de refuser l’octroi desdites licences d’exportation puisqu’il existait un risque raisonnable que les VBL soient utilisés par l’Arabie saoudite contre des populations civiles, en particulier au Yémen –– La décision de l’intimé d’approuver l’octroi de licences d’exportation fut prise sur la recommandation du sous-ministre des Affaires étrangères –– La Cour fédérale a conclu en particulier que l’intimé n’a commis aucune erreur révisable en prenant sa décision et a estimé que la discrétion de l’intimé était large –– Elle a décidé que la portée de son contrôle se limitait à s’assurer que le pouvoir discrétionnaire de l’intimé a été exercé de bonne foi en fonction des considérations pertinentes, ce qui était le cas –– Il s’agissait principalement de savoir si la Cour fédérale a erré en concluant que l’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable; et en refusant de considérer l’argument de l’appelant selon lequel l’intimé avait l’esprit fermé au moment de prendre sa décision –– L’appelant a prétendu que la Cour a commis plusieurs erreurs en concluant comme elle l’a fait mais les arguments de l’appelant ne pouvaient réussir –– Il ne faisait pas de doute que l’intimé a considéré tous les facteurs pertinents qu’il lui incombait de considérer selon le cadre législatif –– L’intimé a considéré non seulement les facteurs économiques et commerciaux mais les questions de droit humanitaire et de droits de la personne –– Compte tenu du libellé de la LLEI, la Cour doit exercer une grande retenue lorsqu’elle est appelée à réviser une décision de l’intimé –– Dans l’exercice de sa discrétion en vertu de l’art. 7 de la LLEI, l’intimé a considéré les facteurs portant sur le droit humanitaire et plus particulièrement, il a considéré le conflit au Yémen et s’est interrogé sur les violations possibles des droits de la personne dans ce pays –– Donc, l’intimé n’a pas exercé sa discrétion de manière déraisonnable et, par conséquent, la Cour avait raison de conclure comme elle l’a fait –– En ce qui concerne l’esprit de l’intimé au moment de prendre sa décision, dans la mesure où l’intimé a considéré ce qu’il devait considérer en raison du régime législatif applicable, ce qui était le cas en l’espèce, la question d’impartialité et d’équité procédurale n’était d’aucune pertinence à moins que la décision prise par l’intimé résultait de considérations non-pertinentes ou de sa mauvaise foi –– Appel rejeté –– La juge Gleason, J.C.A. (motifs concourants) : Il n’était pas nécessaire d’émettre des commentaires sur le caractère raisonnable ou non de la décision de l’intimé d’autoriser l’exportation de véhicules blindés légers dans le cas où, selon l’intimé, il existait un risque raisonnable que ces véhicules soient utilisés en contravention des règles internationales des droits de la personne ou dans le cas où c’était la seule conclusion que l’intimé aurait raisonnablement pu tirer –– Il n’était pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce car elle ne se posait pas.

Droit international –– Dans un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant qui s’opposait à la décision de l’intimé d’accorder des licences d’exportation vers le Royaume de l’Arabie saoudite pour des véhicules blindés légers, la question des conventions de Genève a été soulevée –– Il s’agissait de savoir si la Cour fédérale a erré en rejetant les arguments de l’appelant fondés sur l’article premier commun des conventions de Genève –– La Cour avait raison de conclure que l’appelant n’avait pas l’intérêt nécessaire pour soulever une violation des conventions de Genève –– Seuls les États signataires des conventions de Genève peuvent se plaindre d’une violation des conventions et plus particulièrement d’une violation de l’article premier commun –– Enfin, concernant l’utilisation d’experts pour prouver le droit international, dans une affaire comme celle-ci, il n’était pas nécessaire pour les parties d’avoir recours à des expertises portant sur le droit international, qui est une question de droit et qui est donc de l’apanage des tribunaux.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant. Plus particulièrement, la Cour concluait que l’appelant ne pouvait s’opposer à la décision de l’intimé du mois d’avril 2016 d’accorder des licences d’exportation vers le Royaume de l’Arabie saoudite pour des véhicules blindés légers (VBL). Les VBL se retrouvent sur la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée (Liste), établie par le Gouverneur en conseil en vertu de l’article 3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation (la LLEI). L’appelant soutenait qu’en raison de la LLEI, du Manuel des contrôles à l’exportation (Manuel) et des obligations internationales du Canada, l’intimé se devait de refuser l’octroi desdites licences d’exportation puisqu’il existait un risque raisonnable que les VBL soient utilisés par l’Arabie saoudite contre des populations civiles, en particulier au Yémen.

General Dynamics Land Systems — Canada Corporation (GDLS) est une compagnie basée dans la province de l’Ontario, qui fabrique de l’équipement militaire dont les produits les plus recherchés sont les VBL. En 2014, une entente intervient entre l’Arabie saoudite et la Corporation commerciale canadienne, mandataire de la Couronne fédérale, laquelle prévoyait l’achat par l’Arabie saoudite d’une certaine quantité de VBL devant être fabriqués par GDLS. En avril 2016, l’intimé a approuvé l’octroi de six licences pour l’exportation de VBL produits par GDLS vers l’Arabie saoudite. La décision de l’intimé fut prise sur la recommandation du sous-ministre des Affaires étrangères.

  En ce qui concerne la décision en appel, la Cour fédérale a rendu plusieurs conclusions. En particulier, elle a reconnu à l’appelant la qualité d’agir dans l’intérêt public mais a conclut qu’il ne pouvait pas soulever des questions d’équité procédurale étant donné qu’il n’était pas directement touché par la décision. La Cour s’est penchée ensuite sur la décision de l’intimé d’octroyer des licences d’exportation pour les VBL vers l’Arabie saoudite et a conclu que l’intimé n’a commis aucune erreur révisable. La Cour a examiné le cadre réglementaire établi par la LLEI entourant la décision de l’intimé, estimant que la discrétion de l’intimé est large. Enfin elle a décidé que la portée de son contrôle se limitait à s’assurer que le pouvoir discrétionnaire de l’intimé a été exercé de bonne foi en fonction des considérations pertinentes. Ce seuil étant atteint, il n’y avait pas motif à intervention.

Il s’agissait principalement de savoir si la décision de la Cour fédérale était raisonnable. Plus particulièrement si la Cour a erré en concluant que l’intimé a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable; en refusant de considérer l’argument de l’appelant selon lequel l’intimé avait l’esprit fermé au moment de prendre sa décision : et en rejetant les arguments de l’appelant fondés sur l’article premier commun des Conventions en cause.

Arrêt : L’appel doit être rejeté.

   Afin de déterminer si la décision de la Cour fédérale était raisonnable, le mémorandum soumis à l’intimé par le sous-ministre des Affaires étrangères et portant sur l’exportation des VBL de GDLS vers l’Arabie saoudite a été examiné. Celui-ci recommandait à l’intimé l’approbation et l’octroi des licences pour les VBL de GDLS vers l’Arabie saoudite. L’appelant a prétendu que la Cour a commis plusieurs erreurs en concluant comme elle l’a fait mais les arguments de l’appelant ne pouvaient réussir. Il ne faisait pas de doute que l’intimé a considéré tous les facteurs pertinents qu’il lui incombait de considérer selon le cadre législatif, dont ceux énoncés au Manuel et aux Lignes directrices concernant les exportations de matériel militaire et stratégique. Non seulement l’intimé a-t-il considéré les facteurs économiques et commerciaux, mais il a considéré les questions de droit humanitaire et de droits de la personne. Il était incontestable que les facteurs énumérés dans le Manuel, facteurs qui reprennent les facteurs mentionnés dans les Lignes Directrices, ont été considérés dans le mémorandum soumis à l’intimé. Les facteurs énoncés au Manuel et aux Lignes Directrices ne constituent que des sujets devant être considérés par l’intimé en décidant si oui ou non il doit accorder une licence. Contrairement à ce que prétendait l’appelant, les Lignes Directrices ne sont pas de nature contraignante et ne peuvent être considérées comme des exigences légales dont le non-respect entacherait la validité de la décision de l’intimé. Compte tenu du libellé de la LLEI, la Cour doit exercer une grande retenue lorsqu’elle est appelée à réviser une décision de l’intimé, à savoir s’il doit ou non accorder des licences d’exportation telles que celles demandées en l’instance. En ce qui concerne l’affirmation de l’appelant que l’intimé n’a offert aucune analyse concernant les obligations lui incombant en vertu des conventions de Genève, qui furent incorporées au Canada via la Loi sur les conventions de Genève (LCG), la position de l’appelant était erronée. Dans l’exercice de sa discrétion en vertu de l’article 7 de la LLEI, l’intimé a considéré les facteurs portant sur le droit humanitaire et plus particulièrement, il a considéré le conflit au Yémen et s’est interrogé sur les violations possibles des droits de la personne dans ce pays. Donc, l’intimé n’a pas exercé sa discrétion de manière déraisonnable et, par conséquent, la Cour avait raison de conclure comme elle l’a fait.

  En ce qui concerne l’esprit de l’intimé au moment de prendre sa décision, dans la mesure où l’intimé a considéré ce qu’il devait considérer en raison du régime législatif applicable, ce qui était le cas en l’espèce, la question d’impartialité et d’équité procédurale n’était d’aucune pertinence à moins que la décision prise par l’intimé résultât de considérations non pertinentes ou de sa mauvaise foi. Dans la mesure où les agissements de l’intimé étaient en accord avec le régime législatif en place, à savoir de considérer tous les facteurs pertinents, sa décision rencontrait le test de la légalité.

  Pour ce qui est des arguments de l’appelant fondés sur l’article premier commun des conventions, incorporé en droit canadien par la LCG, la Cour avait raison de conclure que l’appelant n’avait pas l’intérêt nécessaire pour soulever une violation des conventions de Genève. Seuls les États signataires des conventions de Genève peuvent se plaindre d’une violation des conventions et plus particulièrement d’une violation de l’article premier commun. Une lecture du texte de l’article premier commun ne laisse aucun doute à ce sujet. Par conséquent, il n’était pas loisible à des individus comme l’appelant de soulever des violations aux conventions de Genève et d’en demander le respect devant les tribunaux.

  Quoique les parties n’ont soumis aucun argument à cet effet, la Cour a fait un commentaire concernant l’utilisation d’experts pour prouver le droit international. Elle a estimé que dans une affaire comme celle-ci, il n’était pas nécessaire pour les parties d’avoir recours à des expertises portant sur le droit international. Le droit international, étant une question de droit, est de l’apanage des tribunaux qui peuvent prendre connaissance judiciaire de ce droit avec l’aide des procureurs plaidant la cause.

  La juge Gleason, J.C.A. (motifs concourants) : Il n’était pas nécessaire d’émettre des commentaires sur le caractère raisonnable ou non de la décision de l’intimé d’autoriser l’exportation de véhicules blindés légers dans le cas où, selon l’intimé, il existait un risque raisonnable que ces véhicules soient utilisés en contravention des règles internationales des droits de la personne ou dans le cas où, au vu des faits, c’était la seule conclusion que l’intimé aurait raisonnablement pu tirer. Il n’était pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce, car elle ne se posait pas.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée, DORS/89-202, art. 1 « Accord de Wassenaar ».

Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, art. 2, 3.

Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19, art. 3, 7, 13.

Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663, Règle 419(1).

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949, art. 1, 3, constituant l’annexe II de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 85.

Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, art. 1, 3, constituant l’annexe I de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 31. 

Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, art. 1, 3, constituant l’annexe IV de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 287.

Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, art. 1, 3, constituant l’annexe III de la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G-3, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 135.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3.

DÉCISIONS EXAMINÉES  :

Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; The Ship “North” v. The King (The) (1906), 37 R.C.S. 385; Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 84 (1re inst.); Lords Advocate’s Reference No. 1, [2001] ScotHC 15 (BAILII), [2001] S.L.T. 507.

DÉCISIONS CITÉES :

Halifax (Regional Municipality) c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29, [2012] 2 R.C.S. 108; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2; Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.); Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44; Proc. Gén. du Can. c. Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 R.C.S. 735; Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1992] A.C.F. no 950 (QL) (C.A.); Première Nation Waycobah c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 191.

DOCTRINE CITÉE

Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada. Manuel des contrôles à l’exportation, Ministre des Affaires étrangères, modifié en août 2017.

Affaires mondiales Canada. Guide de la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée du Canada, décembre 2015.

Affaires mondiales Canada. Rapport sur les exportations de marchandises militaires du Canada 2012-2013.

Parlett, Kate. The Individual in the International Legal System  : Continuity and Change in International Law, Cambridge : Cambridge University Press, 2011.

Wassenaar Arrangement. « Elements for Objective Analysis and Advice Concerning Potentially Destabilising Accumulations of Conventional Weapons », amendé à la réunion plénière en 2011.

  APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2017 CF 84, [2017] 4 R.C.F. 216 rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant et dans laquelle la Cour concluait que l’appelant ne pouvait s’opposer à la décision du ministre des Affaires étrangères d’accorder des licences d’exportation vers le Royaume de l’Arabie saoudite pour des véhicules blindés légers. Appel rejeté.

ONT COMPARU

André Lespérance et Anne-Julie Asselin pour l’appelant.

Bernard Letarte et Vincent Veilleux pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Trudel Johnston & Lespérance, Montréal, pour l’appelant.

La sous-procureure générale du Canada pour l’intimé.

 

Voici les motifs du jugement rendus en français par

Le juge Nadon, J.C.A. :

I.          Introduction

[1]        Il s’agit d’un appel d’une décision de la Cour fédérale, rendue par la juge Tremblay-Lamer (la juge) en date du 24 janvier 2017 (2017 CF 84, [2017] 4 R.C.F. 216 [motifs]) rejetant la demande de contrôle judiciaire de l’appelant. Plus particulièrement, la juge concluait que l’appelant ne pouvait s’opposer à la décision du Ministre des Affaires étrangères (le ministre) en date du 8 avril 2016 d’accorder des licences d’exportation vers le Royaume de l’Arabie saoudite (l’Arabie saoudite) pour des véhicules blindés légers (VBL). Les VBL se retrouvent sur la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée, DORS/89-202 (la Liste), établie par le Gouverneur en conseil en vertu de l’article 3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation, L.R.C. (1985), ch. E-19 (la LLEI). Il est important de souligner qu’en vertu de l’article 13 de la LLEI, l’exportation des VBL ne peut se faire sans l’obtention d’une licence du ministre.

[2]        L’appelant soutient qu’en raison de la LLEI, du Manuel des contrôles à l’exportation (Affaires mondiales Canada, août 2017) (le Manuel) et des obligations internationales du Canada, le ministre se devait de refuser l’octroi desdites licences d’exportation puisqu’il existait un risque raisonnable que les VBL soient utilisés par l’Arabie saoudite contre des populations civiles, en particulier au Yémen.

[3]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel devrait être rejeté. Plus particulièrement, je suis d’avis que la juge n’a commis aucune erreur justifiant notre intervention et je partage entièrement les motifs qu’elle énonce au soutien de sa conclusion de rejeter la demande de contrôle judiciaire de l’appelant.

II.         Contexte factuel

[4]        General Dynamics Land Systems — Canada Corporation (GDLS) est une compagnie basée à London, dans la province de l’Ontario, qui fabrique de l’équipement militaire dont les produits les plus recherchés sont les VBL. En 2014, une entente intervient entre l’Arabie saoudite et la Corporation commerciale canadienne, mandataire de la Couronne fédérale. L’entente prévoit l’achat par l’Arabie saoudite d’une certaine quantité de VBL devant être fabriqués par GDLS.

[5]        Le 8 avril 2016, le ministre approuve l’octroi de six licences pour l’exportation de VBL produits par GDLS vers l’Arabie saoudite. La décision du ministre fut prise sur la recommandation du sous-ministre des Affaires étrangères émise le 21 mars 2016.

[6]        La décision du ministre approuvant l’exportation des VBL vers l’Arabie saoudite a fait couler beaucoup d’encre dans certains milieux de la communauté canadienne en raison d’allégués concernant des violations du droit international humanitaire et des droits de la personne par l’Arabie saoudite dans le cadre de conflits dans lesquels elle est impliquée.

[7]        Le 21 mars 2016, l’appelant a déposé une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Cette demande, par la suite, fut amendée le 21 avril 2016 en raison de la décision du ministre rendue le 8 avril 2016.

III.        Cadre législatif

[8]        La structure dans laquelle s’insère la décision du ministre regroupe à la fois des instruments législatifs et réglementaires ainsi que des outils moins formels dont le rôle est de guider le processus décisionnel. Étant donné la complexité du régime, je passerai ici en revue les documents qui font partie du cadre législatif en l’instance avant d’aborder la décision de la Cour fédérale et mon analyse.

[9]        En bref, l’autorité d’émettre des licences d’exportation est prévue à la LLEI (Loi sur les licences d’exportation et d’importation), qui renvoie à la Liste (Liste des marchandises et de technologies d’exportation contrôlée), dont le contenu est énuméré au Guide de la Liste des marchandises et technologies d’exportation contrôlée du Canada (Affaires mondiales Canada, décembre 2015). Le tout est guidé par le Manuel (Manuel des contrôles à l’exportation), qui oriente la mise en branle du régime législatif par le ministre. S’ajoutent à ces instruments diverses conventions internationales auxquelles le Canada est partie et qui sont d’une pertinence en l’instance.

[10]      Le régime de la LLEI a pour but de permettre au gouvernement fédéral de réglementer et de contrôler l’exportation et l’importation de certaines marchandises et technologies en fonction des intérêts économiques, politiques et militaires du Canada. L’objet de ce régime appert des articles 3 et 7 de la LLEI, lesquels accordent une large discrétion au ministre relativement à l’octroi de licences :

Liste : exportation contrôlée

3 (1) Le gouverneur en conseil peut dresser une liste des marchandises et des technologies dont, à son avis, il est nécessaire de contrôler l’exportation ou le transfert à l’une ou plusieurs des fins suivantes :

a) s’assurer que des armes, des munitions, du matériel ou des armements de guerre, des approvisionnements navals, des approvisionnements de l’armée ou des approvisionnements de l’aviation, ou des articles jugés susceptibles d’être transformés en l’un de ceux-ci ou de pouvoir servir à leur production ou ayant d’autre part une nature ou valeur stratégiques, ne seront pas rendus disponibles à une destination où leur emploi pourrait être préjudiciable à la sécurité du Canada ;

b) s’assurer que les mesures prises pour favoriser la transformation au Canada d’une ressource naturelle d’origine canadienne ne deviennent pas inopérantes du fait de son exportation incontrôlée ;

c) limiter, en période de surproduction et de chute des cours, les exportations de matières premières ou transformées d’origine canadienne, sauf les produits agricoles, ou en conserver le contrôle ;

c.1) [Abrogé, 1999, ch. 31, art. 88]

d) mettre en œuvre un accord ou un engagement intergouvernemental ;

e) s’assurer d’un approvisionnement et d’une distribution de cet article en quantité suffisante pour répondre aux besoins canadiens, notamment en matière de défense ;

f) assurer la commercialisation ordonnée à l’exportation de toute marchandise soumise à une limitation de la quantité de marchandise pouvant être importée dans un pays ou un territoire douanier qui, au moment de son importation dans ce pays ou territoire douanier dans une période donnée, est susceptible de bénéficier du régime préférentiel prévu dans le cadre de cette limitation.

[…]

Licences d’exportation

7 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le ministre peut délivrer à tout résident du Canada qui en fait la demande une licence autorisant, sous réserve des conditions prévues dans la licence ou les règlements, notamment quant à la quantité, à la qualité, aux personnes et aux endroits visés, l’exportation ou le transfert des marchandises ou des technologies inscrites sur la liste des marchandises d’exportation contrôlée ou destinées à un pays inscrit sur la liste des pays visés.

 

Prise en considération de certains facteurs

(1.01) Pour décider s’il délivre la licence, le ministre peut prendre en considération, notamment, le fait que les marchandises ou les technologies mentionnées dans la demande peuvent être utilisées dans le dessein :

a) de nuire à la sécurité ou aux intérêts de l’État par l’utilisation qui peut en être faite pour accomplir l’une ou l’autre des actions visées aux alinéas 3(1)a) à n) de la Loi sur la protection de l’information ;

b) de nuire à la paix, à la sécurité ou à la stabilité dans n’importe quelle région du monde ou à l’intérieur des frontières de n’importe quel pays. [Mon soulignement.]

 

[11]      La Liste, quant à elle, prévoit ce qui suit :

2 Les marchandises et technologies ci-après, lorsqu’elles sont destinées à l’exportation vers les destinations précisées, sont assujetties à un contrôle d’exportation aux fins visées à l’article 3 de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation :

 

a) les marchandises et technologies des groupes 1, 2, 6 et 7 de l’annexe, sauf celles visées à l’article 2-1, aux alinéas 2-2.a. et 2-2.b., à l’article 2-3, à l’alinéa 2-4.a. et aux articles 6-1, 6-2, 7-2, 7-3, 7-12 et 7-13 du Guide, qui sont destinées à l’exportation vers toute destination autre que les États-Unis ;

 

[12]      Le Guide, mentionné à l’alinéa 2a) de la Liste, établit plusieurs catégories de marchandises et de technologies dont l’exportation est contrôlée en vertu de la Liste. Les VBL sont donc compris dans la catégorie 2-6, soit les « Véhicules terrestres et leurs composants » que l’on retrouve au groupe 2 du Guide, soit la « Liste de matériel de guerre ». Les VBL apparaissent sur la Liste depuis au moins 1954.

[13]      Le Guide précise à son introduction qu’il « comprend les marchandises et technologies militaires […] contrôlées en vertu des engagements pris par le Canada dans le cadre de régimes multilatéraux de contrôle des exportations, d’accords bilatéraux, ainsi que de certains contrôles unilatéraux ». Par conséquent, les équipements militaires, tels les VBL, peuvent être inscrits sur la Liste en vertu de l’alinéa 3(1)a) de la LLEI afin que le gouvernement puisse s’assurer que ces marchandises ne seront pas exportées vers un pays ou une région où leur emploi pourrait être préjudiciable à la sécurité du Canada. En outre, ces marchandises pourront apparaître sur la Liste afin de mettre en œuvre un accord ou un engagement intergouvernemental en vertu de l’alinéa 3(1)d) de la LLEI. Parmi ces accords, on retrouve notamment l’Accord de Wassenaar (Wassenaar Arrangement on Export Controls for Conventional Arms and Dual-Use Goods and Technologies, conclu à la réunion plénière tenue à Vienne en Autriche, les 11 et 12 juillet 1996 et modifié à la réunion plénière tenue au même endroit, les 2 et 3 décembre 2015, par le document WA-LIST (15) 1 Corr. 1) [article 1 de la Liste]. Cet accord a notamment pour but d’encourager la transparence et la responsabilisation dans le cadre de transferts d’armes.

[14]      L’outil qui encadre la mise en pratique de la LLEI, la Liste et son Guide est le Manuel. Ce dernier concerne l’exportation de produits militaires vers les pays qui constituent une menace pour le Canada ou ses alliés, qui participent à des hostilités, qui font l’objet d’une sanction du Conseil de sécurité de l’ONU [Organisation des Nations Unies], ou dont les gouvernements commettent des violations aux droits de la personne (Manuel, aux pages 72 et 73). En effet, le Manuel prévoit que les contrôles à l’exportation ont pour but d’assurer que l’exportation de certaines marchandises soit conforme à la politique étrangère et à la politique canadienne en matière de défense (Manuel, à la page 10). Au paragraphe 35 de ses motifs, la juge discute le Manuel dans les termes suivants :

La loi est complétée par un principal outil administratif, soit le Manuel des contrôles à l’exportation (Affaires étrangères, Commerce et Développement Canada, révisé en juin 2015) (le Manuel). Quant aux facteurs à considérer avant l’octroi d’une licence d’exportation, le Manuel énonce [à la section F.5] :

En ce qui a trait aux produits et aux technologies militaires, la politique canadienne des contrôles à l’exportation est restrictive depuis longtemps. En vertu des lignes directrices actuelles établies par le Cabinet en 1986, le Canada contrôle étroitement l’exportation de produits militaires vers les pays :

·        qui constituent une menace pour le Canada et ses alliés ;

·        qui participent à des hostilités ou qui sont sous la menace d’hostilités ;

·        qui sont frappés d’une sanction du Conseil de sécurité des Nations Unies ;

·        dont les gouvernements commettent constamment de graves violations des droits de la personne contre leurs citoyens, à moins que l’on ne puisse prouver que les produits ne risquent pas d’être utilisés contre la population civile. [Mon soulignement; notes omises.]

 

[15]      Je reproduis aussi l’extrait du Manuel cité par l’appelant à la page 8 de son mémoire des faits et du droit, qui se lit comme suit :

Ce manuel contient des renseignements quant à la façon d’obtenir les licences nécessaires pour exporter ou transférer des marchandises contrôlées et quant à la façon de satisfaire aux exigences de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et aux règlements qui s’y rattachent (page 3).

Les contrôles à l’exportation visent principalement à faire en sorte que l’exportation de certaines marchandises et technologies soit conforme à la politique étrangère et à la politique en matière de défense du Canada. Ces contrôles ont notamment pour objectifs stratégiques d’assurer que les exportations depuis le Canada :

·           ne nuisent pas au Canada et à ses alliés;

·           ne portent pas atteinte à la sécurité nationale ou internationale;

·           n’engendrent pas d’instabilité ou des conflits nationaux ou régionaux;

·           ne contribuent pas au développement d’armes chimiques, biologiques ou nucléaires de destruction massive ou de leurs vecteurs;

·           ne sont pas utilisées pour commettre des violations des droits de la personne;

·           sont compatibles avec les dispositions en vigueur imposant des sanctions économiques (page 10). [Soulignement dans l’original.]

 

[16]      Par ailleurs, il est important de souligner que le Manuel, tel que l’indique l’intimée au paragraphe 40 de son mémoire des faits et du droit, reproduit essentiellement la « Politique du contrôle des exportations » émise par le gouvernement en 1986 (dossier d’appel, vol. 1, à la page 118), laquelle est aussi connue sous le nom de Lignes directrices concernant les exportations de matériel militaire et stratégique (les Lignes Directrices). Je reproduis les extraits des Lignes Directrices cités par l’appelant aux pages 7 et 8 de son mémoire des faits et du droit :

Le ministre a souligné que le gouvernement n’émettra plus de licence pour l’exportation d’équipement militaire à destination de pays où les droits des citoyens font l’objet de violations sérieuses et répétées de la part du gouvernement ; à moins qu’il puisse être démontré qu’il n’y a aucun risque raisonnable que l’équipement militaire soit utilisé contre la population civile. Suivant la nouvelle politique au sujet des pays sujets à de graves difficultés sur le plan des droits de la personne, il est clair que c’est l’exportateur qui aura la tâche de prouver « qu’il n’y a aucun risque raisonnable. »

[…]

Le ministre a indiqué que le gouvernement exercera un contrôle rigoureux sur les exportations de matériel et de technologie militaires à destination :

1)         des pays qui constituent une menace pour le Canada et ses alliés ;

2)         des pays engagés dans des hostilités ou sur qui pèse un danger imminent de conflit ;

3)         des pays faisant l’objet de sanctions du Conseil de sécurité des Nations Unies ; et

4)         des pays où les droits des citoyens font l’objet de violations sérieuses et répétées de la part du gouvernement, à moins qu’il ne puisse être démontré qu’il n’y a aucun risque raisonnable que le matériel soit utilisé contre la population civile. [Soulignement dans l’original.]

 

[17]      Tant les Lignes Directrices que le Manuel visent à encadrer le contrôle de l’exportation de marchandises inscrites à la Liste, sans pour autant interdire leur exportation. Il est aussi important de souligner que les Lignes Directrices ainsi que le Rapport sur les exportations de marchandises militaires du Canada (Canada, Affaires mondiales, 2012–2013) (le Rapport) font état de l’importance économique de l’industrie canadienne de la défense et des exportations qui en résultent. À la page 2 du Rapport, reproduit au dossier d’appel, vol. 1, à la page 158, on peut lire ce qui suit :

L’industrie canadienne de la défense contribue de façon appréciable à la prospérité du pays et emploie des dizaines de milliers de Canadiens. Elle fabrique des produits de haute technologie et entretient des liens étroits avec ses homologues de pays alliés. Les contrôles à l’exportation ne visent pas à entraver inutilement le commerce international, mais plutôt à appliquer une réglementation et à imposer certaines restrictions aux exportations en fonction des objectifs politiques clairs décrits ci-dessus. L’industrie canadienne de la défense fournit aux Forces armées du Canada ainsi qu’aux forces armées de nos alliés le matériel, les munitions et les pièces de rechange dont elles ont besoin pour répondre à leurs besoins opérationnels, y compris, pour les missions de combat et de maintien de la paix. Comme l’indique la Charte des Nations Unies, tous les États ont le droit légitime de se défendre. [Mon soulignement.]

 

[18]      Je reproduis aussi l’extrait du Rapport cité par l’appelant à la page 9 de son mémoire des faits et du droit :

Les contrôles à l’exportation mis en place par le Canada sont parmi les plus rigoureux au monde. Le maintien de la paix et de la sécurité sont des objectifs prioritaires de la politique étrangère du Canada. Ainsi, le gouvernement du Canada s’efforce de veiller à ce que les exportations de marchandises militaires du Canada ne nuisent pas à la paix, à la sécurité ou à la stabilité dans n’importe quelle région du monde ou à l’intérieur de n’importe quel pays. (page 1)

Au moment où un exportateur soumet une demande d’exportation de marchandises ou de technologies, des consultations vastes et approfondies sont menées auprès de spécialistes des droits de la personne, de la sécurité internationale et de l’industrie de la défense au MAECD (y compris ceux qui sont affectés dans les missions diplomatiques du Canada à l’étranger), au ministère de la Défense nationale et, au besoin, dans d’autres ministères et organismes. Dans le cadre de ces consultations, on vérifie la conformité de la demande de licence d’exportation avec les principes du Canada en matière de politique étrangère et de défense. On étudie attentivement les considérations relatives à la paix et à la sécurité régionales, notamment les conflits civils et les droits de la personne (page 2). [Soulignement dans l’original.]

 

[19]      Enfin, selon l’appelant, outre l’Accord de Wassenaar mentionné plus haut, d’autres obligations internationales pèsent sur le Canada dans sa décision d’émettre des licences, y compris les conventions de Genève de 1949 (Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés et des malades dans les forces armées en campagne du 12 août 1949, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 31 ; Convention de Genève pour l’amélioration du sort des blessés, des malades et des naufragés des forces armées sur mer du 12 août 1949, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 85; Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre du 12 août 1949, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 135 ; Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre du 12 août 1949, 75 R.T.N.U. 287, [1965] R.T. Can. no 20, 75 R.T.N.U. 287) (conventions de Genève). Elles prévoient ce qui suit :

Article 1

Les Hautes Parties contractantes s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances.

[…]

Article 3

En cas de conflit armé ne présentant pas un caractère international et surgissant sur le territoire de l’une des Hautes Parties contractantes, chacune des Parties au conflit sera tenue d’appliquer au moins les dispositions suivantes :

[…]

Les Parties au conflit s’efforceront, d’autre part, de mettre en vigueur par voie d’accords spéciaux tout ou partie des autres dispositions de la présente Convention.

 

[20]      Les conventions de Genève sont approuvées en droit canadien par la Loi sur les conventions de Genève, L.R.C. (1985), ch. G -3 (LCG) en ces termes :

Approbation des conventions

2 (1) Sont approuvées les conventions de Genève pour la protection des victimes de guerre, signées à Genève le 12 août 1949 et reproduites aux annexes I à IV.

 

[21]      Voilà donc le régime législatif en place lorsque le ministre rend sa décision le 8 avril 2016.

IV.       Décision de la Cour fédérale

[22]      En premier lieu, la juge conclut que la norme de contrôle applicable à la décision du ministre est celle de la décision raisonnable, adaptée au contexte particulier dans lequel la discrétion du ministre fut exercée. Elle est d’avis que ce contexte inclut les objectifs de la LLEI, les intérêts nationaux et internationaux du Canada, l’expertise du ministre en matière de relations internationales ainsi que les droits de la personne (motifs, au paragraphe 25).

[23]      La juge reconnaît ensuite à l’appelant la qualité d’agir dans l’intérêt public, mais conclut qu’il ne peut soulever des questions d’équité procédurale étant donné qu’il n’est pas directement touché par la décision (motifs, au paragraphe 32).

[24]      La juge se penche ensuite sur la décision du ministre d’octroyer des licences d’exportation pour les VBL vers l’Arabie saoudite. Elle conclut que le ministre n’a commis aucune erreur révisable.

[25]      D’abord, la juge examine le cadre réglementaire établi par la LLEI entourant la décision du ministre. La juge estime que la discrétion du ministre est large : «  le ministre reste libre d’accorder une licence d’exportation s’il conclut qu’il est dans l’intérêt du Canada de le faire en considérant les facteurs pertinents  » (motifs, au paragraphe 40). D’emblée, elle remarque qu’il n’existe aucune interdiction d’exportation à la LLEI ni au Manuel (motifs, au paragraphe 41). Après avoir passé en revue la décision du ministre, la juge estime qu’il a considéré les facteurs pertinents à sa décision et qu’il détient l’expertise nécessaire pour évaluer le risque que le matériel en question soit employé contre des civils (motifs, aux paragraphes 42 et 45). À ce titre, les Lignes Directrices ne sauraient, selon la juge, restreindre le pouvoir discrétionnaire du ministre puisqu’elles n’ont pas force de loi (motifs, aux paragraphes 46 à 49). La juge en conclut que le ministre s’est fondé sur les intérêts du Canada en matière de sécurité et ses intérêts commerciaux, que ces facteurs ne constituent pas des considérations inappropriées, et qu’il a dûment considéré le conflit au Yémen (motifs, aux paragraphes 51, 54).

[26]      La juge conclut cette partie de son analyse en énonçant que la portée de son contrôle se limite à s’assurer que le pouvoir discrétionnaire du ministre a été exercé de bonne foi en fonction des considérations pertinentes. Ce seuil étant atteint, il n’y a pas motif à intervention (motifs, au paragraphe 55).

[27]      La juge se tourne ensuite vers les obligations internationales du Canada. D’abord, elle adopte la position de l’intimée selon laquelle un traité qui ne confère pas de droits aux individus, comme c’est le cas de l’article premier commun des conventions de Genève, ne saurait s’appliquer même lorsqu’il est incorporé au droit interne (motifs, au paragraphe 58).

[28]      En ce qui concerne le statut des conventions de Genève en droit canadien, la juge note que de tels accords doivent normalement recevoir « l’aval du Parlement et être expressément intégré[s] au droit canadien pour avoir force de loi » (motifs, au paragraphe 60). Ainsi, l’approbation des conventions de Genève à l’article 2 de la LCG ne constitue pas forcément une incorporation au droit canadien (motifs, au paragraphe 63). Même si le Parlement a incorporé les dispositions des conventions de Genève relatives aux infractions graves (article 3 LCG), le fait d’avoir annexé les conventions ne signifie pas forcément que le législateur avait l’intention de mettre en œuvre le document en entier (motifs, au paragraphe 62).

[29]      Sans se prononcer sur la question, la juge note cependant que si une règle internationale n’exige pas une modification du droit interne, il est possible que les obligations conventionnelles du Canada — notamment l’article premier commun des conventions de Genève — soient incorporées au droit canadien par voie administrative (motifs, au paragraphe 63).

[30]      Cela étant, la juge détermine néanmoins que le seul conflit invoqué, soit celui au Yémen, n’est pas un conflit international, et que ce n’est donc pas l’article premier commun des conventions de Genève qui trouve application, mais bien l’article commun 3 (motifs, au paragraphe 67). Elle reprend la doctrine affirmant que puisque le Canada n’est pas directement impliqué dans le conflit au Yémen, les limites au commerce des armes ne le concernent pas puisqu’elles ne s’appliquent qu’aux États déjà impliqués dans un conflit armé. En reprenant les témoignages des experts en droit international mis de l’avant par les parties, notamment le professeur Éric David pour l’appelant et le professeur Michael Schmitt pour l’intimée, la juge se dit d’avis que l’article premier commun des conventions de Genève n’impose pas d’obligations aux États signataires dans le cadre de conflits non-internationaux (motifs, au paragraphe 74). Ainsi, la juge est d’avis qu’il appartient au pouvoir exécutif, plutôt qu’aux tribunaux, de prendre les décisions relatives aux relations internationales et que son intervention ne serait pas justifiée, même si l’article premier commun trouvait application (motifs, au paragraphe 75).

[31]      Au paragraphe 76 de ses motifs, la juge conclut comme suit :

Les dispositions de la LLEI accordent un large pouvoir discrétionnaire au ministre dans l’évaluation des facteurs pertinents liés à l’octroi de licences d’exportation pour des marchandises contrôlées. Dans la décision contestée, le ministre a tenu compte de l’impact économique de l’exportation proposée, les intérêts du Canada en matière de sécurité nationale et internationale, les antécédents de l’Arabie saoudite en matière de droits fondamentaux, ainsi que le conflit au Yémen avant d’octroyer les licences d’exportation, respectant ainsi les valeurs sous-jacentes aux Conventions. Le rôle de la Cour n’est pas de jeter un regard moral sur la décision du ministre d’émettre les licences d’exportation mais uniquement de s’assurer de la légalité d’une telle décision. Bien sûr, la large discrétion dont il dispose lui aurait permis d’en refuser l’émission. Néanmoins, la Cour est d’avis que le ministre a tenu compte des facteurs pertinents. Dans un tel cas, il ne lui est pas loisible de casser la décision.

 

[32]      Par conséquent, la juge a rejeté la demande de contrôle judiciaire de l’appelant sans dépens.

V.        Questions en litige

1.         Quelle est la norme de contrôle ?

2.         La décision de la Cour fédérale est-elle raisonnable ?

i)          La juge a-t-elle erré en concluant que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable ?

ii)         La juge a-t-elle erré en refusant de considérer l’argument de l’appelant selon lequel le ministre avait l’esprit fermé au moment de prendre sa décision ?

iii)        La juge a-t-elle erré en rejetant les arguments de l’appelant fondés sur l’article premier commun des Conventions ?

VI.       Analyse

1.    Norme de contrôle

[33]      Quant à la norme de contrôle qui s’impose à la décision de la Cour fédérale, notre Cour doit déterminer si la juge a correctement identifié la norme de contrôle applicable (en l’occurrence, la norme raisonnable) et ensuite déterminer si elle l’a appliquée correctement (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559 (Agraira), aux paragraphes 46 et 47). En termes pratiques, il s’agit pour notre Cour de se placer dans les souliers de la juge de la Cour fédérale (Agraira, au paragraphe 46). Je suis entièrement d’accord avec les parties que la norme de contrôle qui s’impose à l’évaluation de la décision du ministre est celle de la décision raisonnable.

2.    La décision de la Cour fédérale est-elle raisonnable ?

[34]      Avant de poursuivre mon analyse, il m’apparaît utile, vu son importance au débat que soulève l’appel, de résumer de façon plus détaillée le mémorandum soumis au ministre le 21 mars 2016 par le sous-ministre des Affaires étrangères, M. Daniel Jean, et portant sur l’exportation des VBL de GDLS vers l’Arabie saoudite.

[35]      En résumé, le mémorandum analyse trois considérations principales, soit le rôle militaire de l’Arabie saoudite dans la région du Moyen-Orient, les préoccupations du Canada à l’égard du respect des droits de la personne par l’Arabie saoudite et les avantages économiques directs et indirects que procurera le contrat entre GDLS et l’Arabie saoudite au Canada.

[36]      Le mémorandum note d’abord que l’approbation des licences d’exportation se fait généralement, à toutes fins pratiques, par les fonctionnaires du Ministère au nom du ministre. Le mémorandum note aussi qu’une décision du ministre n’est qu’exceptionnellement sollicitée, sauf lorsqu’il n’y a pas de consensus parmi les fonctionnaires ou lorsque la recommandation est négative. Dans certaines situations, comme en l’instance, l’intervention du ministre fut demandée malgré l’existence d’un consensus parmi les fonctionnaires (mémorandum, au paragraphe 7).

[37]      Le mémorandum note la stature de GDLS en tant que leader mondial spécialisé dans la production des VBL utilisés par les forces canadiennes et exportés à travers le monde. GDLS est un employeur important dans le sud de l’Ontario (GDLS emploie environ 2 100 employés au Canada, dont la majorité travaille dans le sud de l’Ontario) et supporte une chaîne d’approvisionnement constituée de près de 500 petites et moyennes entreprises canadiennes (mémorandum, au paragraphe 2).

[38]      Depuis les années 1990, suite à l’invasion du Koweït par l’Iraq, le Canada participe à la défense de l’Arabie saoudite en lui donnant accès à de l’équipement militaire pour contrer les menaces représentées par l’Iraq, l’Iran, et plus récemment, l’État islamique. Depuis 1993, le Canada octroie des licences d’exportation à GDLS, qui figure parmi les fournisseurs de choix d’équipement militaire, particulièrement de VBL. Plus de 2 900 VBL ont été exportés vers l’Arabie saoudite entre 1993 et 2015, ce qui représente près de 90 p. 100 de la valeur des exportations militaires canadiennes vers ce pays, se chiffrant à environ 2.5 milliards de dollars (mémorandum, au paragraphe 3). Le contrat en l’espèce, signé en 2014, s’inscrit dans cette tradition militaire canado-saoudienne et est d’une valeur estimée à 11 milliards de dollars (mémorandum, au paragraphe 5).

[39]      Les parties suivantes ont revu la demande de licences, dont les commentaires sont répertoriés à l’annexe A du mémorandum : plus particulièrement, au sein d’Affaires mondiales Canada, le département de l’Europe et du Moyen-Orient, la branche de Sécurité internationale et la branche de Développement commercial international ; le Ministère de la Défense nationale, et; Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Tous recommandent l’approbation des licences. Je note qu’un Memorandum for Action distinct, mais semblable, en date du 21 décembre 2015, avait été soumis au ministre du Commerce international pour ses commentaires et recommandations. Aucune des entités consultées n’a soulevé de préoccupation résultant de l’exportation des VBL (mémorandum, au paragraphe 8).

[40]      Par ailleurs, le mémorandum aborde la question des droits de la personne en Arabie saoudite étant donné la violation de droits démocratiques et humains et la discrimination rapportée dans le pays. Le mémorandum note que le Canada maintient un dialogue à cet effet avec l’Arabie saoudite et communique ses préoccupations lorsque nécessaire (mémorandum, au paragraphe 9).

[41]      Le Canada, ainsi que ses alliés américains et européens, maintiennent une relation militaire avec l’Arabie saoudite depuis un quart de siècle, laquelle se manifeste sous la forme d’accès à de l’équipement militaire. D’un point de vue défensif et commercial, GDLS est un fournisseur important des forces canadiennes, lesquelles bénéficieront des économies d’échelle résultant du contrat envisagé. Le mémorandum considère également l’importance que représentent le contrat et les VBL dans l’effort de contrer l’instabilité régnant au Yémen. Selon une perspective économique, le contrat supportera des milliers d’emplois manufacturiers au Canada ainsi que la chaine d’approvisionnement canadienne et l’industrie canadienne.

[42]      Le mémorandum conclut que les exportations considérées cadrent avec les priorités du Canada en matière d’affaires étrangères ainsi que les objectifs pour le pays et la région concernés. L’Arabie saoudite ne représente pas une menace à la sécurité du Canada ou celle de nos alliés, et fait face à des menaces légitimes à sa propre sécurité (au paragraphe 14).

[43]      Plus particulièrement, aux paragraphes 15 à 18 du mémorandum, on peut lire ce qui suit :

[ma traduction]

15. Cependant, tel que noté plus haut, le Canada a eu et continue d’avoir des préoccupations relatives aux antécédents de l’Arabie saoudite en ce qui concerne les droits de la personne. Une détermination clé dans l’évaluation des demandes de licences d’exportation est de savoir si la nature des marchandises ou de la technologie dont l’exportation est demandée se prête à des violations des droits de la personne, et s’il existe un risque raisonnable que les marchandises soient utilisées contre la population civile. Le ministère n’a pas connaissance de liens entre les marchandises militaires faisant l’objet de la demande et la violation de droits de la personne et de droits politiques. Selon l’information fournie, nous ne croyons pas que les exportations proposées seraient utilisées pour violer les droits de la personne en Arabie saoudite. Le Canada a vendu des milliers de VBL à l’Arabie saoudite depuis les années 1990, et au meilleur de la connaissance du ministère, il n’existe pas d’incident où ces véhicules ont été utilisés dans la perpétration de violations des droits de la personne.

16. Au cours des derniers mois, plusieurs articles sont parus dans les médias populaires au sujet de la vente par le Canada de VBL à l’Arabie saoudite. Une des questions posées par les journalistes concerne le rôle des VBL fabriqués au Canada dans les perturbations au Bahreïn en 2011. L’Arabie saoudite a soutenu le Bahreïn lors de ces événements sous l’égide du « Peninsula Shield » du Conseil de Coopération du Golfe. Au meilleur de la connaissance du ministère, les troupes saoudiennes furent postées pour protéger des édifices clés et de l’infrastructure clés, et n’ont pas été impliquées dans la suppression de manifestations pacifiques.

17. Au cours des derniers mois, certaines ONG comme Amnistie Internationale et Human Rights Watch ont critiqué les frappes aériennes entreprises par la coalition menée par l’Arabie saoudite et, à moindre mesure, ont critiqué certaines actions des forces Houthi/Saleh au Yémen. Plus récemment, l’ONU a mêlé sa voix aux critiques en raison du haut taux de pertes civiles. Le Rapport final du Groupe d’experts des Nations-Unies sur le Yémen, publié le 23 février 2016, note que tous les participants au conflit au Yémen, y compris l’Arabie saoudite, ont commis des violations du droit international humanitaire, notamment en visant intentionnellement la population civile et en se livrant à des attaques envers des organisations humanitaires. Les allégations que porte le Rapport à l’égard de l’Arabie saoudite concernent l’utilisation de bombardement aérien, de pilonnage d’artillerie sans distinction (« shelling ») et l’utilisation de fusées d’artillerie dans des régions occupées par la population civile. Le Groupe a également observé que la coalition a fourni des armes à des forces de résistance sans adopter les mesures nécessaires pour assurer la transparence ou la responsabilisation des troupes. Il n’est pas suggéré que l’équipement d’origine canadienne, y compris les VBL, pourrait avoir été utilisé dans la perpétration d’actes contraires au droit international humanitaire. Les membres du Groupe ont connu des défis en rédigeant le Rapport et n’ont pas été en mesure de se rendre au Yémen afin d’obtenir de l’information de sources directes. Pour sa part, la coalition menée par l’Arabie saoudite a émis un communiqué affirmant son respect pour les règles du droit international humanitaire et les lois sur les droits de la personne, ainsi que le dévouement de son personnel militaire envers ces règles. De plus, le 31 janvier 2016, la coalition menée par l’Arabie saoudite a annoncé la création d’une équipe indépendante de spécialistes afin d’évaluer et de vérifier les incidents de pertes civiles, de produire des rapports clairs et objectifs de tels incidents, d’en tirer les conclusions nécessaires et d’émettre leurs recommandations au sujet des procédures à prendre à l’avenir afin d’éviter de telles pertes.

18.            Les médias ont aussi rapporté qu’une arme de fabrication canadienne (le fusil à longue portée LRT-3 [« sniper rifle »]) a été photographiée entre les mains d’un soldat Houthi au Yémen. Plus de 1300 fusils à longue portée — y compris quelques centaines de ce modèle — ont été exportés du Canada à destination des forces saoudiennes militaires et de sécurité, et ce, en vertu de licences valides. L’ambassade canadienne à Riyad a établi que ce fusil, ainsi que d’autres équipements militaires saoudiens, a probablement été capturé par des combattants Houthi lors d’opérations militaires le long de la frontière que partage l’Arabie saoudite avec le Yémen. Les rapports tirés de sources ouvertes indiquent que des raids par les forces Houthi/Saleh le long de la frontière saoudienne ont mené à plus de 370 décès, la plupart des pertes ayant été subies par les forces terrestres royales de l’Arabie saoudite et les gardes de la frontière, entraînant aussi la capture d’équipement, d’armes et de munitions. Ce type de perte d’équipement sur le champ de bataille est prévisible en raison des opérations militaires de l’Arabie saoudite. L’ambassade canadienne à Riyad demeure en contact avec les autorités saoudiennes afin de faciliter l’échange d’information sur de telles pertes. [Mon soulignement.]

 

[44]      Compte tenu de toutes ces circonstances, le mémorandum recommande au ministre l’approbation et l’octroi des licences pour les VBL de GDLS vers l’Arabie saoudite (mémorandum, au paragraphe 19).

i)     La juge a-t-elle erré en concluant que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière raisonnable ?

[45]      Selon l’appelant, la juge a commis plusieurs erreurs en concluant comme elle l’a fait. En premier lieu, s’appuyant sur les décisions de la Cour suprême dans  les arrêts Halifax (Regional Municipality) c. Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2012 CSC 29, [2012] 2 R.C.S. 108; Németh c. Canada (Justice), 2010 CSC 56, [2010] 3 R.C.S. 281; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 (Baker avec renvois aux R.C.S.); et Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909 (Kanthasamy), l’appelant prétend que le ministre ne pouvait se limiter à une simple considération des facteurs pertinents énoncés au Manuel. Plutôt, compte tenu des objectifs législatifs que l’on retrouve au Manuel et aux Lignes Directrices ainsi que des obligations du Canada résultant de la LCG, le ministre devait accorder un poids important aux facteurs étayés dans le Manuel. Ayant omis de donner l’importance requise à ces facteurs en prenant sa décision, le ministre aurait rendu une décision déraisonnable et la juge aurait erré en entérinant cette décision.

[46]      En second lieu, l’appelant propose une distinction entre les motifs qui justifient un refus d’accorder une licence et ceux qui justifient l’octroi d’une licence. À son avis, les premiers doivent primer sur les seconds et les considérations économiques et commerciales ne sont pertinentes « que dans la mesure où une exportation ou un transfert nuirait au commerce ou à l’économie canadienne » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 24). Par conséquent, puisque la juge n’a pas tenu compte de cette distinction, elle a commis une erreur révisable.

[47]      En troisième lieu, l’appelant prétend que, compte tenu du fait que les VBL sont inclus dans la Liste, la juge devait s’interroger quant aux fins énoncées à l’article 3 de la LLEI. L’appelant répond à cette interrogation en affirmant que l’objectif prévu à l’alinéa 3(1)d) de la LLEI devait s’appliquer en l’instance, à savoir la mise en œuvre d’un accord ou d’un engagement intergouvernemental, soit l’Accord de Wassenaar, qui prévoit le facteur suivant :

1. […]

[…]

e. Is there a clearly identifiable risk that the weapons might be used to commit or facilitate the violation and suppression of human rights and fundamental freedoms or the laws of armed conflict? [Caractères gras dans l’original.]

(Accord de Wassenaar, « Elements for Objective Analysis and Advice Concerning Potentially Destabilising Accumulations of Conventional Weapons » amendé à la réunion plénière de 2011, article. 1(e)).

[48]      L’appelant poursuit son raisonnement en rappelant à la Cour que le Canada a ratifié les conventions de Genève « par lesquelles il s’engage à “faire respecter les conventions et les protocoles additionnels en toutes circonstances” (article. 1 commun) » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 30). Selon l’appelant, en rendant sa décision du 8 avril 2016, le ministre n’a offert aucune analyse concernant les obligations qui lui incombaient en raison des conventions de Genève et de la LCG. Au paragraphe 31 de son mémoire des faits et du droit, l’appelant énonce ce qui suit :

Ces engagements internationaux reflètent celui fait aux Canadiens que « le gouvernement n’émettra plus de licence pour l’exportation d’équipement militaire à destination de pays où les droits des citoyens font l’objet de violations sérieuses et répétées de la part du gouvernement; à moins qu’il ne puisse être démontré qu’il n’y a aucun risque raisonnable que l’équipement militaire soit utilisé contre la population civile ». [Notes omises.]

 

[49]      En quatrième lieu, l’appelant s’adresse au concept du risque raisonnable que l’on retrouve au Manuel, aux Lignes Directrices et dans l’Accord de Wassenaar. L’appelant se dit d’avis que même si la juge a reconnu l’importance de ce concept, elle a erré en lui imposant le fardeau de démontrer que les VBL seraient utilisés en violation du droit humanitaire. En raison de ce renversement du fardeau de la preuve, la juge a conclu à l’absence de preuve démontrant que les VBL avaient été utilisés en violation du droit humanitaire au Yémen. Conclusion déraisonnable, selon l’appelant, puisqu’il ne pouvait y avoir de doute que l’achat et l’exportation des VBL vers l’Arabie saoudite avaient pour but leur utilisation au Yémen, « où des violations du droit international humanitaire ont été commises à grande échelle » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 50). Ce qui amène l’appelant à constater que le Canada encourageait l’utilisation des VBL au Yémen. Aux paragraphes 52 et 53 de son mémoire des faits et du droit, l’appelant s’explique dans les termes suivants :

52. Des inférences raisonnables devaient être tirées des faits énoncés au mémorandum. Sachant que l’Arabie saoudite a jusqu’à maintenant fait fi du droit international humanitaire dans ses interventions militaires au Yémen, et sachant que les VLB [sic] dont l’exportation a été autorisée seront utilisés au Yémen dans le cadre du conflit armé actuel, il est extrêmement probable que ces VLB [sic] servent dans la commission de violations du droit international humanitaire. Pourtant, cette question n’est aucunement abordée dans le mémorandum constituant l’entièreté du dossier de l’office fédéral. La notion de risque raisonnable est même exclue du passage sur le Yémen.

53. De plus, la preuve présentée en demande, non contredite en défense et totalement ignorée par la juge de première instance, montre que des VBL fabriqués au Canada ont été envoyés par l’Arabie saoudite à Najran, une ville à la frontière yéménite qui se trouve au cœur du conflit. Plutôt que de conduire une enquête ou d’opter en faveur du principe de précaution vu les conclusions très sévères du comité d’experts de l’ONU, l’intimé a préféré s’en remettre à l’engagement de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite de respecter les règles du droit international humanitaire et des droits fondamentaux, règles qu’elle ne respectait pas au moment même où elle a pris cet engagement. En cela, l’intimé a fait preuve d’aveuglement volontaire, ce qui viciait d’autant sa décision. [Notes omises.]

 

[50]      Finalement, l’appelant avance qu’en raison de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), la mesure du caractère raisonnable d’une décision se retrouve dans la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel.

[51]      Selon l’appelant, il est impossible, à la lumière du mémorandum, de connaître la nature et l’étendue de l’examen conduit par les fonctionnaires responsables des questions relatives aux droits de la personne. En outre, l’appelant nous indique que la division d’Affaires mondiales Canada chargée de ces questions, soit « Human Rights and Indigenous Affairs Division » ne semble pas avoir été consultée. L’appelant note de surcroit que le ministre, en rendant sa décision, n’a considéré que le mémorandum et aucun autre document. Selon l’appelant, le ministre n’a pu prendre une décision éclairée dans les circonstances puisqu’il n’a nullement considéré les méthodes d’enquêtes et les documents examinés par les fonctionnaires ayant participé à la rédaction du mémorandum. Par conséquent, l’appelant nous invite à conclure que le processus décisionnel manque de transparence vu « la maigre assise factuelle dont bénéficiait le ministre pour décider d’accorder ou non les licences » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 58).

[52]      À mon avis, les arguments de l’appelant ne peuvent réussir pour les motifs suivants.

[53]      Ma première remarque est qu’il ne peut faire de doute que le ministre a considéré tous les facteurs pertinents qu’il lui incombait de considérer selon le cadre législatif, dont ceux énoncés au Manuel et aux Lignes Directrices. Plus particulièrement, comme le font ressortir les paragraphes 35 à 43 de mes motifs, le ministre a considéré les facteurs suivants :

         L’Arabie saoudite est un partenaire militaire clé pour le Canada dans sa région (paragraphes 9, 12 du mémorandum) ;

         L’importance des relations commerciales entre le Canada et l’Arabie saoudite (paragraphes 9, 12) ;

         L’absence de sanctions contre l’Arabie saoudite (Annexe A, page 8) ;

         Les préoccupations du Canada relativement aux droits des personnes (paragraphes 10, 15) ;

         La relation en matière de défense entre le Canada et l’Arabie saoudite (paragraphe 11) ;

         L’importance des exportations pour l’industrie militaire canadienne (paragraphes 12 et 13) ;

         L’implication de l’Arabie saoudite dans le conflit au Yémen (paragraphes 17 et 18) ;

         Le fait que, depuis 1993, plus de 2900 VBL ont déjà été exportés vers l’Arabie saoudite (paragraphes 15 et 16).

[54]      Non seulement le ministre a-t-il considéré les facteurs économiques et commerciaux, mais il a considéré les questions de droit humanitaire et de droits de la personne. Une lecture des paragraphes 15 à 18 du mémorandum ne laisse, à mon avis, aucun doute à ce sujet. Dans ce sens, il vaut la peine de reproduire le paragraphe 54 des motifs de la juge qui se lit comme suit :

Contrairement à la prétention du demandeur, le ministre a considéré le conflit au Yémen au paragraphe 17 de sa décision, cité précédemment. La décision rapporte les commentaires du panel d’experts des Nations Unies sur la situation au Yémen et indique qu’il n’y avait pas de preuves que de l’équipement militaire canadien, dont des VBL, avait été utilisé pour commettre les violations du droit international humanitaire alléguées. La décision tient également compte des rapports des médias sur l’apparition d’équipement militaire de provenance canadienne chez les forces rebelles, mais note que l’ambassade canadienne à Riyad a conclu que ces armes avaient été capturées lors d’opérations militaires et qu’il s’agissait d’un type de perte inévitable en temps de guerre. Que l’on soit d’accord ou non avec le résultat de son analyse, les conclusions du Ministre étaient appuyées sur les éléments de preuve au dossier. [Mon soulignement.]

 

[55]      À mon avis, il est incontestable que les facteurs énumérés dans le Manuel, facteurs qui reprennent, à toutes fins pratiques, les facteurs mentionnés dans les Lignes Directrices, ont été considérés dans le mémorandum soumis au ministre. Plus particulièrement, le mémorandum discute de façon détaillée la question des droits de la personne impliquant l’Arabie saoudite et l’on y pose la question de savoir s’il existe un risque raisonnable que les VBL soient utilisés pour commettre des violations des droits de la personne en Arabie saoudite ou au Yémen (mémorandum, au paragraphe 15).

[56]      L’appelant, s’appuyant sur la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Baker, soumet que le ministre devait donner un poids important, sinon déterminant, aux considérations humanitaires et nous invite à tirer une conclusion différente de celle du ministre. À mon avis, la proposition de l’appelant est erronée. Aux paragraphes 37 et 38 de sa décision dans l’arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté de l’Immigration), 2002 CSC 1, [2002] 1 R.C.S. 3 (Suresh), la Cour suprême s’exprimait comme suit :

C’est dans ce contexte qu’il faut interpréter les passages de Baker où il est question de l’« importance accordée » à certains facteurs (par. 68 et 73–75). Il n’incombait à personne d’autre qu’au ministre d’accorder l’importance voulue aux facteurs pertinents. Cet arrêt n’a pas pour effet d’autoriser les tribunaux siégeant en révision de décisions de nature discrétionnaire à utiliser un nouveau processus d’évaluation, mais il repose plutôt sur une jurisprudence établie concernant l’omission d’un délégataire du ministre de prendre en considération et d’évaluer des restrictions tacites ou des facteurs manifestement pertinents […]

Cette norme tient dûment compte des diverses obligations du Parlement, du ministre et du tribunal de révision. Le Parlement a pour tâche d’établir, conformément aux limites fixées par la Constitution, les critères et procédures applicables en matière d’expulsion. Le ministre doit rendre une décision conforme à la fois à la Constitution et aux critères et procédures établis par le Parlement. Enfin, le rôle du tribunal appelé à contrôler la décision du ministre consiste à déterminer si celui-ci a exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux limites imposées par les lois du Parlement et la Constitution. Si le ministre a tenu compte des facteurs pertinents et respecté ces limites, le tribunal doit confirmer sa décision. Il ne peut l’annuler, même s’il aurait évalué les facteurs différemment et serait arrivé à une autre conclusion. [Mon soulignement; notes omises.]

 

[57]      À mon avis, l’interprétation de l’arrêt Baker que nous propose l’appelant n’est pas en accord avec l’interprétation de cet arrêt par la Cour suprême dans l’arrêt Suresh, où la Cour indique clairement qu’il appartient au ministre, et non aux tribunaux, de déterminer l’importance des facteurs sous considération. Récemment, dans sa décision dans l’arrêt Agraira, la Cour suprême réitérait ces mêmes propos (Agraira, au paragraphe 91).

[58]      Dans cette perspective, il est important de souligner que l’article 7 de la LLEI, qui confère au ministre son pouvoir discrétionnaire d’accorder ou non une licence, n’impose aucune hiérarchie en ce qui a trait aux facteurs devant être considérés. Plus particulièrement, le paragraphe 7(1.01) énonce que le ministre peut considérer tout facteur qu’il juge pertinent eu égard à l’objet de la LLEI et en outre, les deux facteurs énoncés aux alinéas 7(1.01)a) et b).

[59]      Il est aussi important de souligner que les facteurs énoncés au Manuel et aux Lignes Directrices ne constituent que des sujets devant être considérés par le ministre en décidant si oui ou non il doit accorder une licence. Je suis d’avis que, contrairement à ce que prétend l’appelant, les Lignes Directrices ne sont pas de nature contraignante et ne peuvent être considérées comme des exigences légales dont le non-respect entacherait la validité de la décision du ministre (Maple Lodge Farms c. Gouvernement du Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 6 et 7); Agraira, au paragraphe 60 ; Kanthasamy, au paragraphe 32 ; Assoc. canadienne des importateurs réglementés c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 247 (C.A.), aux pages 8 et 9).

[60]      En outre, compte tenu du libellé de la LLEI, je suis d’avis que la Cour doit exercer une grande retenue lorsqu’elle est appelée à réviser une décision du ministre, à savoir s’il doit ou non accorder des licences d’exportation telles que celles demandées en l’instance. Comme je l’ai déjà indiqué, la Cour suprême dans les arrêts Suresh et Agraira a émis une directive sans équivoque à l’effet que les tribunaux ne sont nullement autorisés à s’ingérer dans le processus d’évaluation conduit par le ministre dans la mesure où le ministre a considéré tous les facteurs pertinents eu égard à la législation applicable et à ses objets. Il ne s’agit donc pas pour la Cour de déterminer le poids devant être accordé à un facteur ou à un autre, mais plutôt de s’assurer que les facteurs qui devaient être considérés l’ont été. En outre, considérant que les questions portant sur la conduite des relations internationales et les décisions relatives aux intérêts du Canada en matière de défense et d’économie sont de l’apanage du cabinet fédéral, les tribunaux doivent agir avec beaucoup de prudence et de retenue à l’égard de ces questions (Canada (Premier ministre) c. Khadr, 2010 CSC 3, [2010] 1 R.C.S. 44, aux paragraphes 37 et 38).

[61]      Par conséquent, en l’absence d’une contestation fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ni la Cour fédérale ni notre Cour ne peuvent intervenir en révisant une décision discrétionnaire telle que la présente décision, sauf si elle a « été prise arbitrairement ou de mauvaise foi, qu’elle n’est pas étayée par la preuve ou que [le] ministre a omis de tenir compte des facteurs pertinents » (Suresh, au paragraphe 29). L’appelant ne prétend nullement que le ministre a agi de mauvaise foi et, tel que je l’ai discuté, le ministre a selon moi pris compte de tous les facteurs pertinents au regard de la preuve devant lui.

[62]      Une remarque additionnelle s’impose. Au paragraphe 76 de ses motifs, que j’ai reproduit au paragraphe 31 de mes motifs, la juge indique que son rôle « n’est pas de jeter un regard moral sur la décision du ministre d’émettre les licences d’exportation mais uniquement de s’assurer de la légalité d’une telle décision. Bien sûr, la large discrétion dont il dispose lui aurait permis d’en refuser l’émission. » En d’autres mots, si je comprends bien la portée des propos de la juge, la question devant elle n’était pas de savoir si en raison de considérations morales ou humanitaires le ministre aurait dû refuser l’approbation des licences. Selon elle, bien que de telles considérations auraient permis au ministre de refuser d’accorder les licences, le régime législatif lui permettait de conclure autrement. Comme la juge le souligne au paragraphe 50 de ses motifs, l’article 7 de la LLEI « ne prévoit aucune limite expresse ou implicite [à la discrétion du ministre], autre que le devoir d’être exercé de bonne foi, conformément aux principes de justice naturelle et en tenant compte des considérations pertinentes ».

[63]      Avant de conclure sur cette question, il m’incombe de répondre à l’argument de l’appelant selon lequel la décision du ministre manquait de transparence parce que le ministre n’a considéré que le mémorandum pour rendre sa décision. Plus particulièrement, l’appelant prétend que le ministre ne pouvait rendre une décision éclairée en l’instance sans avoir considéré tous les documents et analyses sur lesquels était fondé le mémorandum. À mon avis, cet argument de l’appelant est aussi sans fondement.

[64]      Il est bon de rappeler que le régime législatif en place n’impose au ministre aucune méthodologie relativement à la décision qu’il doit prendre. En d’autres mots, tout ce que le régime législatif impose au ministre est de considérer tous les facteurs pertinents à la demande d’exportation des VBL vers l’Arabie saoudite. La jurisprudence est claire que le ministre pouvait, s’il le voulait, fonder sa décision uniquement sur la recommandation des fonctionnaires ayant l’expertise et l’expérience en la matière (Proc. Gén. du Can. c. Inuit Tapirisat et autre, [1980] 2 R.C.S. 735, à la page 763; Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), [1992] A.C.F. no 950 (QL) (C.A.), au paragraphe 21 ; Première Nation Waycobah c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 191, aux paragraphes 30 à 33). Il va sans dire que le ministre pouvait, s’il le voulait, demander aux fonctionnaires de lui faire parvenir tous les documents ayant servi à la confection du mémorandum. En l’instance, il appert que le ministre n’a pas cru nécessaire de faire cette demande, et il a rendu sa décision uniquement sur la base du mémorandum qui lui a été soumis.

[65]      À mon avis, à savoir si le ministre aurait dû considérer autre chose que le mémorandum est une question à laquelle nous n’avons pas besoin de répondre. La responsabilité du ministre en fonction du régime législatif était de considérer tous les facteurs pertinents à l’octroi des licences et, à mon avis, le ministre a considéré tous ces facteurs. L’appelant prétend qu’une décision plus éclairée nécessitait la considération de documents autres que le mémorandum. Peut-être faut-il répondre à cette question par l’affirmative, mais considérant la législation en vigueur, c’est au ministre que revenait la décision de considérer soit uniquement le mémorandum, ou tout autre document qu’il jugeait nécessaire de considérer dans les circonstances.

[66]      Il ne peut faire de doute que l’appelant est en désaccord avec la décision du ministre d’accorder les licences d’exportation vers l’Arabie saoudite. Selon lui, la preuve démontre que les VBL seront sans doute utilisés à des fins constituant une violation des droits de la personne en Arabie saoudite et au Yémen. Cette conclusion résulte de son appréciation de la preuve. Malheureusement pour l’appelant, l’appréciation de la preuve aux fins d’accorder ou non des licences d’exportation a été confiée au ministre par le Parlement. Dans la mesure où le ministre a considéré tous les facteurs pertinents dictés par le régime législatif, il pouvait accorder ou non les licences d’exportation. La Cour n’a pas à se demander, puisque ce n’est pas son rôle, si la décision du ministre est la décision correcte dans les circonstances. La Cour n’a qu’à se demander si le ministre a considéré tous les facteurs pertinents. Si oui, la Cour ne peut s’ingérer dans le processus décisionnel — exception faite, bien sûr, des cas où des questions d’équité procédurale sont en jeu. Le ministre pouvait, nonobstant le risque raisonnable que le matériel exporté soit utilisé contre une population civile, décider d’accorder les licences parce que, selon lui, l’exportation des VBL était dans l’intérêt du Canada conformément à la LLEI.

[67]      Un dernier commentaire concernant l’exercice de la discrétion du ministre d’accorder les licences est nécessaire. L’appelant prétend que le ministre a erré, en outre, parce qu’il n’a pas tenu compte de ses obligations résultant de la LCG. En d’autres mots, selon l’appelant, le ministre a fait fi de la valeur interprétative de la LCG. Plus particulièrement, l’appelant affirme que le ministre n’a offert aucune analyse concernant les obligations lui incombant en vertu des conventions de Genève qui furent incorporées au Canada via la LCG. Selon l’appelant, les engagements internationaux du Canada reflètent l’engagement pris envers les Canadiens que, citant le texte d’un communiqué de presse du 10 septembre 1996 :

[…] le gouvernement n’émettra plus de licence d’exportation d’équipement militaire à destination de pays où les droits des citoyens font l’objet de violations sérieuses et répétées de la part du gouvernement ; à moins qu’il ne puisse démontrer qu’il n’y a aucun risque raisonnable que l’équipement militaire soit utilisé contre la population civile.

 

(mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 31 référant au dossier d’appel, vol. 1, page 118).

[68]      La position de l’appelant est erronée. À mon avis, dans l’exercice de sa discrétion en vertu de l’article 7 de la LLEI, le ministre a considéré les facteurs portant sur le droit humanitaire et plus particulièrement, il a considéré le conflit au Yémen et s’est interrogé sur les violations possibles des droits de la personne dans ce pays. Par conséquent, je ne peux accepter la proposition de l’appelant voulant que le ministre ne se soit pas penché sur les questions liées au respect du droit humanitaire et des droits de la personne qui sous-tendent les conventions de Genève.

[69]      Il est évident que la position de l’appelant en ce qui a trait aux licences accordées par le ministre est celle que reflète le premier paragraphe de son mémoire des faits et du droit où il énonce : « [f]aire le choix de l’économie et du commerce plutôt que celui de la protection de vies innocentes, c’est non seulement déraisonnable, c’est inhumain ». À son avis, dans l’exercice de sa discrétion, le ministre ne devrait que considérer les impacts possibles sur les vies humaines résultant de l’exportation d’armes militaires. Comme j’ai tenté de l’expliquer plus haut, le régime législatif n’est pas en accord avec la vision de l’appelant puisque c’est au ministre de décider, après considération de tous les facteurs pertinents, si une ou plusieurs licences doivent être accordées. Il va sans dire qu’il pourrait y avoir des conséquences ou répercussions politiques résultant de la décision du ministre d’accorder les licences mais il ne peut faire de doute que le débat qui pourrait s’ensuivre n’est pas du ressort de notre Cour.

[70]      Pour ces motifs, je suis d’avis que le ministre n’a pas exercé sa discrétion de manière déraisonnable et, par conséquent, la juge avait raison de conclure comme elle l’a fait. Comme je l’ai indiqué au paragraphe 3 de mes motifs, je souscris entièrement aux motifs énoncés par la juge au soutien de sa conclusion.

ii)    La juge a-t-elle erré en refusant de considérer l’argument de l’appelant selon lequel le ministre avait l’esprit fermé au moment de prendre sa décision ?

[71]      L’appelant soutient que la juge s’est trompée en concluant qu’il ne pouvait soulever le fait que le ministre avait conclu en faveur de l’exportation des VBL avant même de rendre sa décision. Selon l’appelant, les obligations d’impartialité et d’équité procédurale s’appliquaient en l’instance même si la décision du ministre avait une composante politique.

[72]      À mon avis, cet argument n’a aucun mérite. Même en acceptant que l’appelant soit justifié de prétendre que le ministre était prédisposé quant à l’octroi des licences demandées, la question que devait résoudre la Cour fédérale était celle à savoir si le ministre a considéré tous les facteurs pertinents à l’exportation des VBL vers l’Arabie saoudite, et notamment le fait que les VBL pourraient être utilisés à des fins constituant des violations des droits de la personne et du droit humanitaire.

[73]      Dans la mesure où le ministre a considéré ce qu’il devait considérer en raison du régime législatif applicable, ce qui à mon avis est le cas en l’espèce, la question d’impartialité et d’équité procédurale n’est d’aucune pertinence à moins que la décision prise par le ministre résulte de considérations non pertinentes ou de sa mauvaise foi. Par conséquent, il ne nous est pas nécessaire de déterminer, en l’espèce, si la juge a commis une erreur en refusant de considérer l’argument de l’appelant à l’effet que le ministre avait l’esprit fermé au moment de prendre sa décision. À mon avis, dans la mesure où les agissements du ministre sont en accord avec le régime législatif en place, à savoir de considérer tous les facteurs pertinents, sa décision rencontre le test de la légalité.

iii)   La juge a-t-elle erré en rejetant les arguments de l’appelant fondés sur l’article premier commun des Conventions ?

[74]      L’appelant avance plusieurs arguments fondés sur la LCG, loi qui « lie le Canada et l’empêche d’exporter des armes lorsqu’elles sont susceptibles d’être utilisées en violation du droit international humanitaire » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 65). Plus particulièrement, l’appelant soumet que la décision du ministre contrevient à l’article premier commun des conventions de Genève, reproduit ci-haut au paragraphe 19 de mes motifs, incorporé en droit canadien par la LCG, et selon lequel les pays signataires « s’engagent à respecter et à faire respecter la présente Convention en toutes circonstances. »

[75]      L’appelant prétend que la juge a commis trois erreurs, dont celle d’avoir conclu qu’il n’avait pas l’intérêt voulu pour se plaindre d’une violation des conventions de Genève, même si celles-ci ont été incorporées en droit canadien.

[76]      Selon l’appelant, en raison de la primauté du droit et du fait qu’il ne recherche que l’application d’une loi canadienne, la juge aurait dû intervenir parce que la décision du ministre d’octroyer les licences contrevenait à la LCG et, par conséquent, la décision du ministre « ne faisait pas partie des issues possibles au sens de Dunsmuir » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 68).

[77]      Puisque je suis d’avis que la juge avait raison de conclure que l’appelant n’avait pas l’intérêt nécessaire pour soulever une violation des conventions de Genève, il ne sera pas nécessaire de s’attarder aux autres arguments de l’appelant sur cette question.

[78]      À mon avis, seuls les États signataires des conventions de Genève peuvent se plaindre d’une violation des conventions et plus particulièrement d’une violation de l’article premier commun. Une lecture du texte de l’article premier commun ne laisse aucun doute à ce sujet. C’est aux parties contractantes que les conventions de Genève confient le droit, et puis-je dire, la responsabilité de « faire respecter la présente Convention en toutes circonstances » (article premier commun des conventions). Par conséquent, il n’est pas loisible à des individus comme l’appelant de soulever des violations aux conventions de Genève et d’en demander le respect devant les tribunaux. Évidemment, tout individu peut soulever ces questions dans le cadre de débats politiques et démocratiques et demander à son gouvernement d’agir. Cependant, il n’est pas possible pour un individu de le faire, comme l’appelant tente de le faire, par voie de demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision du ministre d’octroyer des licences sous le régime de la LLEI que j’ai décrit plus haut.

[79]      À cet égard, je souscris entièrement aux propos de l’expert de l’intimée, le professeur Schmitt, que l’on retrouve aux paragraphes 20 à 22 de son affidavit en date du 29 juin 2016 où il se dit d’avis qu’une violation des conventions de Genève par un État signataire constitue un « internationally wrongful act » à l’égard des États non responsables de la violation. Par ailleurs, selon le professeur Schmitt, la violation ne donne aucunement ouverture à un recours par des individus affectés par la violation.

[80]      Autrement dit, les individus ou personnes affectées par la violation ne peuvent exercer aucun recours contre l’État responsable de la violation des conventions de Genève. Ce droit appartient uniquement à un État signataire non responsable. Par conséquent, selon le professeur Schmitt, un individu tel l’appelant en l’instance ne peut soulever devant les tribunaux une violation des conventions. Cette conclusion est partagée par l’auteure Kate Parlett dans son ouvrage The Individual in the International Legal System : Continuity and Change in International Law, Cambridge : Cambridge University Press, 2011. Plus particulièrement, à la page 182 de son ouvrage, sous la rubrique The Individual in International Humanitarian Law, l’auteure énonce ce qui suit, sous le titre The 1949 Geneva Convention :

The substantive provisions of the four Geneva Conventions generally express the protection of individuals as protective obligations on state parties to a conflict, rather than as specific rights conferred directly on individuals. Common Article 1 of each of the Geneva Conventions states that the High Contracting Parties “undertake to respect and to ensure respect for the present Convention in all circumstances”. Additionally, the first and second Geneva Conventions provide that “[e] ach Party to the conflict … shall ensure the detailed execution” of the provisions of those conventions. The provisions relating to execution in all four conventions refer exclusively to obligations incumbent upon states.

The vast majority of the provisions of the conventions which provide for the protection of various categories of individuals are expressed in terms which indicate that obligations are imposed on states parties to a conflict, rather than rights directly conferred on the relevant individuals.

 

[81]      Par conséquent, comme l’a conclu la juge, l’appelant n’a pas l’intérêt voulu pour soulever la violation de l’article premier commun des conventions de Genève, même si ce dernier était incorporé en droit interne.

3.    La preuve du droit international par expertise

[82]      Avant de conclure, j’aimerais faire un commentaire concernant l’utilisation d’experts pour prouver le droit international. Il m’apparaît utile d’indiquer, sans décider la question puisque les parties n’ont soumis aucun argument à cet effet, qu’à mon avis il n’est pas nécessaire pour les parties de déposer des rapports d’expertises pour faire la preuve du droit international puisque la Cour peut prendre connaissance judiciaire de ce droit.

[83]      Dans l’arrêt The Ship “North” v. The King (The) (1906), 37 R.C.S. 385, l’une des questions devant être décidées par la Cour suprême du Canada était celle de savoir si la Cour pouvait prendre connaissance judiciaire de la doctrine du droit de poursuite immédiate (hot pursuit) et d’interpréter la législation pertinente à la lumière de cette doctrine. Il s’agissait d’une affaire de droit maritime concernant un navire étranger ayant violé les lois canadiennes sur les pêcheries à l’intérieur des trois-milles-marins constituant, à cette époque, la limite territoriale du Canada et le droit de le poursuivre et de le saisir en haute-mer.

[84]      L’un des arguments de l’appelant devant la Cour suprême était à l’effet que le juge d’amirauté, siégeant en première instance, avait pris connaissance judiciaire de la doctrine de hot pursuit et par conséquent, qu’il avait erré. Le juge Davies, avec la concurrence du juge Maclennan, a conclu que le juge d’amirauté n’avait commis aucune erreur. À la page 394, le juge Davies s’exprimait comme suit :

[…] I think the Admiralty Court when exercising its jurisdiction is bound to take notice of the law of nations, and that by that law when a vessel within foreign territory commits an infraction of its laws either for the protection of its fisheries or its revenues or coasts she may be immediately pursued into the open seas beyond the territorial limits and there taken […]

[…]

[…] The right of hot pursuit of a vessel found illegally fishing within the territorial waters of another nation being part of the law of nations was properly judicially taken notice of and acted upon by the learned judge in this prosecution. [Mon soulignement.]

 

[85]      Plus récemment, dans la décision Jose Pereira E Hijos, S.A. c. Canada (Procureur général), [1997] 2 C.F. 84 (1re inst.), une affaire portant sur la saisie d’un navire espagnol en brèche des lois canadiennes sur les pêcheries, le juge MacKay de la Cour fédérale concluait qu’il pouvait prendre connaissance judiciaire du droit international. Plus particulièrement, le juge MacKay avait à décider si des allégués se retrouvant dans la déclaration des demandeurs portant sur le droit international devaient être radiés en raison du paragraphe 419(1) des Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663. Aux paragraphes 20 à 22 de ses motifs, le juge MacKay s’exprimait comme suit :

Les principes régissant l’application des règles de droit international par nos tribunaux sont bien reconnus et les demandeurs ne les contestent pas en l’espèce. Ces principes peuvent être résumés comme suit : les principes reconnus du droit international coutumier sont acceptés et considérés par les tribunaux canadiens comme des principes faisant partie des règles de droit interne, sauf, bien entendu, s’ils vont à l’encontre de celles-ci […]

Les demandeurs soutiennent qu’ils reconnaissent les principes régissant les liens entre les règles de droit international et les règles de droit interne. Ils ne contestent pas le fait qu’en cas de contradiction, les tribunaux appliqueront les règles de droit interne. Ils allèguent cependant que le Règlement modifié est illégal pour plusieurs raisons et demandent la possibilité de faire cette preuve à l’instruction […]

Cette question, qui est fondamentale pour l’action en l’espèce, peut être soulevée sans qu’il soit nécessaire de mentionner dans la déclaration ou dans les précisions des traités ou des conventions internationaux spécifiques qui, dans la mesure où ils sont considérés comme une source de droit, seront appliqués dans l’action uniquement s’ils sont intégrés dans les règles de droit interne du Canada aux termes d’une disposition législative explicite. Dans la mesure où les conventions ou traités internationaux sont considérés comme une source des principes de droit international, il n’est pas nécessaire de les plaider de façon spécifique, de la même façon qu’il n’est pas nécessaire d’invoquer d’autres sources, p. ex., des jugements ou des lois, et cette allégation ne concerne pas des faits, mais des points de droit, qui ne doivent pas être plaidés. À mon avis, il y a lieu de radier du dossier les phrases, mots ou expressions renvoyant à des conventions particulières au paragraphe 8 de la déclaration et aux alinéas 3a), b), c) et d) de la réponse à la demande de précisions. [Mon soulignement.]

 

[86]      Au paragraphe 25 de ses motifs, le juge MacKay concluait sur cette question comme suit :

J’en arrive à cette conclusion au sujet des parties susmentionnées à radier parce qu’à mon avis, elles ne sont pas essentielles et sont redondantes. Elles ne portent pas sur des faits essentiels, mais plutôt sur des points de droit, questions qui ne doivent pas être alléguées, parce que ce n’est pas nécessaire. En conséquence, il y a lieu de radier ces parties conformément à l’alinéa 419(1)b) des Règles.

 

[87]      Finalement, j’aimerais référer à une décision de la Scottish High Court of Justiciary dans l’affaire Lords Advocate’s Reference No. 1, [2001] ScotHC 15 (BAILII), [2001] S.L.T. 507. Dans cette affaire, quatre individus avaient été accusés de crimes résultant d’événements s’étant produits à bord du navire Maytime alors à l’ancre dans le port de Loch Goil en Écosse. L’une des questions devant être déterminée par la Cour était celle de savoir s’il était nécessaire de faire la preuve du contenu du droit coutumier international. Plus particulièrement, tel qu’indiqué au paragraphe 21 des motifs de la Cour, la question devant être résolue était la suivante : « In a trial under Scottish criminal procedure, is it competent to lead evidence as to the content of customary international law as it applies to the United Kingdom? » Les passages suivants, que l’on retrouve aux paragraphes 23, 24 et 27, sont pertinents :

We are in no doubt that in relation to evidence in the trial itself this Question must be answered in the negative. A rule of customary international law is a rule of Scots law. As such, in solemn proceedings it is a matter for the judge and not for the jury. The jury must be directed by the judge upon such a matter, and must accept any such direction. There can thus be no question of the jury requiring to hear or consider the evidence of a witness, however expert, as to what the law is.

It was pointed out to us that evidence as to foreign law may competently be led in Scottish proceedings. This is because the law in question is foreign, and in Scottish proceedings is a question of fact and not of law. Any analogy between such foreign law and customary international law is false […]

[…]

We can see some initial attraction in the suggestion that if a court is willing to read what a particular expert has written in a general context, it might on occasion be sensible to hear what he has to say, in the particular context of the case in hand. We do not feel it appropriate to rule out that possibility, as a matter of law. Such argument as was addressed to us in relation to Question 1 was of course directed primarily to the question of evidence in causa, before the jury; and while the possible usefulness of such material to a judge was touched upon, having regard to what the sheriff had said, the point was not fully argued. At that level, we are inclined to think that the matter would be one for the judge’s discretion, although we would wish to reserve our opinion on that point. We would, however, add that if in any particular situation it were thought necessary by those representing a party to have recourse to some specialist source of advice, the appropriate course would of course normally be to seek that advice, whether in writing or by consultation or both, so that the appropriate submissions could be made, by that party’s representative, at the appropriate time. In matters of customary international law, we can appreciate that the question of whether an opinio juris has emerged, and won the general acceptance which is necessary to constitute a rule of customary international law, might well make recourse to expertise appropriate. But having regard to the different skills and expertise of an advocate on the one hand, and some other kind of specialist on the other hand, we find it very hard to imagine any situation in which the appropriate material should be presented to the court in the form of evidence with examination and cross-examination, and perhaps counter-evidence for the other party. [Mon soulignement.]

 

[88]      Je suis en accord complet avec ces décisions. Par conséquent, j’estime que dans une affaire comme celle devant nous, il n’est pas nécessaire pour les parties d’avoir recours à des expertises portant sur le droit international. Le droit international, étant une question de droit, est de l’apanage des tribunaux qui peuvent prendre connaissance judiciaire de ce droit avec l’aide des procureurs plaidant la cause.

[89]      Il va sans dire que mes propos n’ont pas pour but d’empêcher que cette question soit débattue lorsqu’elle se présentera à nouveau devant la Cour fédérale et notre Cour.

VII.      Conclusion

[90]      Pour ces motifs, je rejetterais l’appel avec dépens.

Le juge Boivin, J.C.A. : Je suis d’accord.

***


            Voici les motifs du jugement rendus en français par

 

[91]      La juge Gleason, J.C.A. (motifs concourants) : Je souscris au résultat auquel arrive mon collègue, le juge Nadon. Or, je ne souscris pas complètement à son raisonnement. Plus particulièrement, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’émettre des commentaires sur le caractère raisonnable ou non de la décision du ministre d’autoriser l’exportation de véhicules blindés légers (VBL) dans le cas où, selon le ministre, il existe un risque raisonnable que ces véhicules soient utilisés en contravention des règles internationales des droits de la personne ou dans le cas où, au vu des faits, c’est la seule conclusion que le ministre aurait raisonnablement pu tirer.

[92]      À mon avis, il n’est pas nécessaire de trancher cette question en l’espèce, car elle ne se pose pas. La présente affaire est plutôt tributaire des faits, qui ne permettent pas d’établir que le ministre avait conclu — ou devait conclure — à l’existence d’un risque raisonnable que l’Arabie saoudite utiliserait les VBL pour s’en prendre à la population du Yémen, en contravention des règles internationales des droits de la personne.

[93]      Comme la Cour fédérale l’indique aux paragraphes 44, 53 et 54 de ses motifs, au moment où il a pris la décision en litige, le ministre avait des motifs raisonnables de conclure à l’absence de risque raisonnable. En effet, rien ne démontrait que l’Arabie saoudite avait déjà utilisé des VBL exportés du Canada à des fins qui contrevenaient aux règles internationales des droits de la personne. De telles exportations ont commencé en 1990.

[94]      À la lumière de ce qui précède et vu la déférence considérable que nous sommes tenus d’accorder aux décisions ministérielles de cette nature, je souscris à la conclusion selon laquelle la décision en question est raisonnable. Par conséquent, je suis d’accord pour conclure que le présent appel devrait être rejeté avec dépens.


 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.