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[2019] 1 R.C.F. 404

T-733-15

T-2110-15

T-423-17

T-409-18

2018 CF 865

L’honorable Michel Girouard (demandeur) (intimé)

c.

La procureure générale du Canada (défenderesse) (intimée)

et

Le Conseil canadien de la magistrature (partie requérante)

et

La procureure générale du Québec (mise en cause)

Répertorié : Girouard c. Canada (Procureure générale)

Cour fédérale, juge Noël—Montréal, 27 juin; Ottawa, 29 août 2018.

Juges et Tribunaux — Requêtes en radiation par la partie requérante, le Conseil canadien de la magistrature (CCM), à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées par le demandeur — Les demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes visaient la recommandation de révoquer le demandeur, un juge de la Cour supérieure du Québec, à la suite d’une enquête sur sa conduite — Le comité d’enquête (CE) du CCM a rejeté toutes les allégations portées contre le demandeur, mais la fiabilité et la crédibilité de ce dernier ont été remises en question — La ministre a déposé une plainte au CCM visant le manque de crédibilité du demandeur — Un nouveau comité d’enquête créé par suite de cette plainte a conclu que le demandeur était inapte à remplir utilement ses fonctions de juge en raison de son inconduite — Le demandeur a déposé des demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale — Le CCM a prétendu ne pas être assujetti à la compétence de la Cour fédérale, car il serait exclu de la définition d’« office fédéral » telle qu’énoncée à l’art. 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales — Le CCM était d’avis que la source de sa compétence découle de l’art. 99 de la Loi constitutionnelle de 1867; l’inclusion du CCM dans la définition d’office fédéral aurait l’effet inacceptable d’assujettir un groupe de juges des cours supérieures aux procédures de contrôle judiciaire de la Cour fédérale — Le CCM a soumis également qu’en vertu de l’art. 63(4) de la Loi sur les juges, le CCM est réputé être une juridiction supérieure — Il s’agissait de savoir si le CCM et le CE sont des offices fédéraux selon la définition de la Loi sur les Cours fédérales; si les art. 63(4)a) et b) de la Loi sur les juges accordent au CCM et au CE le statut de cour supérieure; si les rapports et conclusions du CCM et du CE sont assujettis au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale — Nulle part dans la législation y a-t-il de lien, de référence ou de mention indiquant que le CCM n’est pas un office fédéral — C’est le CCM qui rend un rapport à la ministre, non pas ses membres (les juges) — Le pouvoir d’enquête du CCM est le même que celui prévu par la Loi sur les enquêtes — Au même titre qu’un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les enquêtes, le CCM et ses membres constituent un « office fédéral » — Le rôle des juges qui siègent au CCM est de nature administrative — La Loi sur les Cours fédérales s’appliquait en l’espèce — Le CCM ne fait pas partie de l’exception prévue à l’art. 2 de la Loi sur les Cours fédérales — La définition « d’office fédéral » est large de façon à inclure tous les institutions et organismes fédéraux non exclus par l’art. 28 de la Loi sur les Cours fédérales — Le pouvoir du CCM est de nature inquisitoire — Le législateur voulait qu’un juge de la Cour fédérale puisse réviser des rapports et des recommandations du CCM — La Loi sur les juges n’est pas la codification d’un pouvoir constitutionnel établissant l’organe judiciaire en conformité avec le principe de la séparation des pouvoirs — Le principe de l’indépendance judiciaire n’a pas l’effet d’écarter la possibilité de contrôle judiciaire — La séparation permanente des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire n’est pas affectée — En ce qui concerne la question de savoir si le CCM est une véritable cour supérieure, si on avait voulu donner au CCM et au CE le statut de cour supérieure, on l’aurait fait expressément par l’entremise de l’art. 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 — Le processus d’examen de la conduite des juges est de nature inquisitoire — Le CCM et le CE ne jouissent que d’une compétence législative leur permettant d’enquêter sur la conduite d’un juge lors d’un processus inquisitoire — L’expérience des membres du CCM ne fait pas du CCM une cour supérieure — La mention « réputé constituer une juridiction supérieure » à l’art. 63(4) de la Loi sur les juges accorde aux juges la protection judiciaire dont ils ont besoin, elle ne fait pas du CCM et du CE une cour supérieure — Enfin, le rapport du CCM et ses recommandations sont un élément essentiel à la procédure de révocation parce qu’ils ont un impact majeur sur les droits et les intérêts du juge — Ils sont donc susceptibles d’un contrôle judiciaire — Requêtes rejetées.

Compétence de la Cour fédérale — Le Conseil canadien de la magistrature (CCM) a présenté des requêtes en radiation des demandes de contrôle judiciaire déposées par le demandeur — Les demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes visaient la recommandation de révoquer le demandeur, un juge de la Cour supérieure du Québec, à la suite d’une enquête sur sa conduite — Le CCM a prétendu ne pas être assujetti à la compétence de la Cour fédérale, car il serait exclu de la définition d’« office fédéral » telle qu’énoncée à l’art. 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales — Le CCM était d’avis que la source de sa compétence découle de l’art. 99 de la Loi constitutionnelle de 1867; l’inclusion du CCM dans la définition d’office fédéral aurait l’effet inacceptable d’assujettir un groupe de juges des cours supérieures aux procédures de contrôle judiciaire de la Cour fédérale — Le CCM et ses membres sont des « offices fédéraux » — Le rôle des juges qui siègent au CCM est de nature administrative — Le CCM ne fait pas partie des exceptions prévues à l’art. 2 de la Loi sur les Cours fédérales — La définition « d’office fédéral » se veut large de façon à y inclure tous les institutions et organismes fédéraux non exclus par l’art. 28 de la Loi sur les Cours fédérales — Le pouvoir du CCM est de nature inquisitoire — Le législateur voulait que la Cour fédérale puisse réviser des rapports et des recommandations du CCM — La Loi sur les juges n’est pas la codification d’un pouvoir constitutionnel établissant l’organe judiciaire en conformité avec le principe de la séparation des pouvoirs — Le principe de l’indépendance judiciaire n’a pas l’effet d’écarter la possibilité de contrôle judiciaire à l’égard du CCM.

Il s’agissait de requêtes en radiation par la partie requérante, le Conseil canadien de la magistrature (CCM), à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées par le demandeur. Les demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes visaient un rapport rendu par le CCM à la suite d’une enquête sur la conduite du demandeur qui recommandait sa révocation à la ministre de la Justice (ministre), ainsi qu’un premier rapport d’un comité d’enquête (CE) du CCM, et d’autres décisions prises lors d’enquêtes sur la conduite du demandeur.

Le demandeur, un juge de la Cour supérieure du Québec, a été identifié par un trafiquant de drogue devenu divulgateur comme ayant été son client. Quelques semaines avant sa nomination à la magistrature, le demandeur aurait été capté sur vidéo en train d’acheter une substance illicite. Le CCM a constitué un comité d’examen pour se pencher sur la plainte et faire effectuer une enquête préliminaire par un avocat externe. Le Premier comité d’enquête du CCM a écarté toutes les allégations portées contre le demandeur, étant incapable de conclure que la vidéo faisait preuve d’une transaction impliquant une substance illicite. Toutefois, une majorité des membres de ce comité a remis en question la fiabilité et la crédibilité de la version des faits relatée par le demandeur. Le rapport a été remis à la ministre, qui a subséquemment déposé une plainte au CCM visant le manque de crédibilité du demandeur lors de l’enquête. Cette plainte a déclenché une enquête obligatoire en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi sur les juges, et un nouveau comité d’enquête (Deuxième comité d’enquête) a été créé. Le Deuxième comité d’enquête a conclu que le demandeur était inapte à remplir utilement ses fonctions de juge en raison de l’inconduite dont il avait été trouvé coupable durant l’enquête du Premier comité, à savoir qu’il a fait défaut de collaborer et de témoigner avec transparence, d’une manière franche et avec intégrité et qu’il a tenté d’induire le Premier comité d’enquête en erreur. Le CCM a adopté ces constatations voulant que l’inconduite du demandeur ait porté atteinte à l’intégrité du système de justice et ait frappé au cœur de la confiance du public envers la magistrature. Le demandeur a déposé des demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale demandant l’annulation des décisions du Premier ou du Deuxième comité d’enquête, du CCM et de la ministre.

  Le CCM a prétendu ne pas être assujetti à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, car, selon lui, il serait exclu de la définition d’« office fédéral » telle qu’énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Le CCM était d’avis que la source de sa compétence, en ce qui a trait au contrôle qu’il exerce en matière de conduite des juges et de la discipline judiciaire, ne découle pas d’une loi adoptée par le Parlement, mais bien de l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867. De surcroît, le CCM a affirmé qu’il est composé de personnes nommées aux termes de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Pour le CCM, son inclusion dans la définition d’office fédéral aurait l’effet inacceptable d’assujettir un groupe de juges des cours supérieures aux procédures de contrôle judiciaire de la Cour fédérale; le CCM a allégué que ceci irait à l’encontre de l’exclusion qui est prévue à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Le CCM a soumis que la disposition déterminative retrouvée au paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges crée une fiction juridique selon laquelle le CCM est réputé être une juridiction supérieure lors des enquêtes qu’il mène sur la conduite des juges.

Il s’agissait de savoir si le CCM et le CE sont des offices fédéraux selon la définition de la Loi sur les Cours fédérales; si les alinéas 63(4)a) et b) de la Loi sur les juges accordent au CCM et au CE le statut de cour supérieure et en conséquence rendent inapplicable à ces organismes le recours en demande de contrôle judiciaire; et si les rapports et conclusions du CCM et du CE sont assujettis au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale.

Jugement : Les requêtes doivent être rejetées.

Nulle part dans la législation y a-t-il de lien, de référence ou de mention indiquant que le CCM n’est pas un office fédéral puisque qu’il est partiellement constitué d’un groupe de personnes (c.-à-d. les juges en chef) nommées aux termes de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. C’est le CCM, en tant qu’organisme ou institution, qui rend un rapport à la ministre; les juges qui en font partie n’en sont que des membres. Rien ne peut permettre d’afficher le pouvoir d’enquête du CCM comme étant un attribut des pouvoirs des juges de cour supérieure nommés selon la Loi constitutionnelle de 1867. Au contraire, le pouvoir d’enquête du CCM est le même que celui prévu par la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11. Au même titre qu’un commissaire nommé en vertu de la Loi sur les enquêtes, le CCM et ses membres constituent un « office fédéral ». Ce n’est pas en leur qualité de juge que les membres du CCM siègent. C’est la loi habilitante du CCM qui lui permet de rendre un rapport et de déposer une recommandation au ministre. Les juges siègent au CCM en leur qualité de juge en chef, un rôle qui est de nature administrative, et non en tant que juge tirant son pouvoir de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les juges en chef se voient confiés leur rôle en matière de déontologie judiciaire par la législation et non pas par les textes constitutionnels. Dans la présente affaire, ce ne sont pas les juges en chef qui enquêtent, mais bel et bien le CCM et son CE en tant qu’organisme. Le CCM a une identité séparée de ses parties composantes. La Loi sur les Cours fédérales s’appliquait en l’espèce. Si le Parlement avait voulu exclure le CCM de la définition d’office fédéral, il l’aurait fait comme il l’a fait avec la Cour canadienne de l’impôt. Le CCM ne fait pas partie de l’exception prévue à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. La définition « d’office fédéral » se veut large de façon à y inclure tous les institutions et organismes fédéraux non exclus par l’article 28 de la Loi sur les Cours fédérales. Pour être visé par la définition d’« office fédéral », un organisme n’a qu’à exercer ou à être censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale. Le pouvoir que le CCM exerce sur la conduite des juges et de certains fonctionnaires nommés à titre inamovible est de nature inquisitoire; c’est un pouvoir d’enquête. La source de ce pouvoir d’enquête se retrouve aux alinéas 60(2)c) et d), et aux paragraphes 63(1) et 63(4) de la Loi sur les juges. Le législateur voulait qu’un juge de la Cour fédérale puisse réviser des rapports et des recommandations du CCM. Sauf exception de la Cour suprême, il n’y a pas d’institution judiciaire ou quasi judiciaire qui a le mot final sans appel et sans la possibilité d’autre recours. Si le Parlement avait eu l’intention d’accorder au comité d’enquête le statut de juridiction supérieure, il n’en aurait pas énuméré les pouvoirs. Le comité d’enquête ne se prononce pas sur un litige entre des parties, ni ne rend de décision exécutoires en droit; il tient simplement une enquête. La Loi sur les juges n’est pas la codification d’un pouvoir constitutionnel établissant l’organe judiciaire en conformité avec le principe de la séparation des pouvoirs. Le principe de l’indépendance judiciaire, lui-même ancré dans la Constitution, n’a pas l’effet d’écarter la possibilité de contrôle judiciaire par d’autres membres de l’organe judiciaire, soit la Cour fédérale. La possibilité de révision par un juge ne peut qu’accroître l’indépendance judiciaire, puisque l’ingérence des autres branches du gouvernement serait en fait contrecarrée. Le recours au contrôle judiciaire par le juge enquêté n’est pas incompatible avec le principe de l’indépendance judiciaire. En assujettissant le rapport et la recommandation du CCM au contrôle judiciaire de la Cour fédérale, on n’affecte pas la séparation permanente des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, mais on garde l’enjeu carrément dans le champ des juges.

Si on avait voulu donner au CCM et au CE le statut de cour supérieure, on l’aurait fait expressément en créant ce statut par l’entremise de l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. Le processus d’examen de la conduite des juges est de nature inquisitoire et fait appel à des pouvoirs semblables à ceux d’une commission d’enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes. Le CCM et le CE ne jouissent que d’une compétence législative leur permettant d’enquêter sur la conduite d’un juge lors d’un processus inquisitoire, le juge enquêté ayant l’opportunité de se défendre en ripostant par représentations écrites. L’expérience des membres du CCM, pour la plupart des juges en chef, ne fait pas du CCM une cour supérieure. La version actuelle de la Loi sur les juges a son origine dans le projet de loi C-243. Le but d’insérer la mention « réputé constituer une juridiction supérieure » au paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges était « d’accorder aux juges […] la protection judiciaire normale dont ils auraient besoin ». De prétendre que l’ajout avait comme objectif de rendre le CCM et le CE une cour supérieure en titre fait fi de ce qui découle des débats parlementaires. On voulait simplement assurer que l’organisme d’enquête protègerait les juges. Si on avait voulu rendre cet organisme d’enquête une cour supérieure, on l’aurait dit expressément. L’amendement du paragraphe 63(4) fut fait pour accorder l’immunité aux juges enquêteurs pour les décisions rendues, ainsi que protéger les juges enquêtés lors de déclarations faites en cours d’instance.

Le rapport avec ses conclusions et recommandations de révocation à la ministre équivaut à une « peine capitale ». Un rapport ayant un effet si dévastateur sur la carrière du juge est révisable par une demande de contrôle judiciaire. Le CCM a lui-même expliqué dans un rapport de 2014 qu’une conclusion voulant qu’un juge soit inapte à remplir utilement ses fonctions équivalait à une « peine capitale » pour sa carrière. Il a ajouté dans ce même rapport que les conséquences d’un rapport d’enquête sur la réputation d’une personne pourraient être « considérable[s] », et que ceci nécessitait l’application d’un degré élevé d’équité procédurale. La décision ultime de révocation d’un juge appartient au Parlement. Cependant, une telle possibilité ne peut avoir lieu sans que le CCM remette un rapport d’enquête et sa recommandation. Sans l’enquête du CCM et de son CE, la ministre ne peut demander au Parlement de révoquer un juge. Cela étant, le rapport et ses conclusions ont un impact majeur sur les droits et les intérêts du juge. Ce n’est pas parce que la décision prend la forme d’une « recommandation » qu’elle n’est pas révisable. Tout en tenant compte du principe d’inamovibilité des juges, du processus d’enquête sur la conduite des juges confié par législation au CCM, ainsi que de l’importance du rapport et de la recommandation pour la ministre, le cabinet et le Parlement, on ne peut que conclure que le rapport et la recommandation sont un élément essentiel à la procédure de révocation des juges. Le contrôle judiciaire prévu à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales ne se limite pas strictement à une décision ou une ordonnance. Il inclut aussi un rapport d’un office fédéral.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Act of Settlement, 1700 (R.-U.), 12 & 13 Will. III, ch. 2, art. III.

Acte concernant les juges des cours provinciales, S.R.C. 1886, ch. 138.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 96, 99, 101.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1) « juridiction supérieure ou cour supérieure ».

Loi modifiant la Loi sur les juges, S.C.R. 1970 (2e suppl.), ch. 16, art. 10.

Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, art. 3.

Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral », 3, 4, 5, 5.1, 10(1.1), 18, 18.1, 28.

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11, art. 4, 5.

Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1952, ch. 154.

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 9(4).

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, art. 9–24, 26, 42–48, 59, 60, 62, 63–65, 69–71, 72, 73, 74.

Loi sur les juges, S.R.C. 1970, ch. J-1, art. 30(1)

Loi sur les lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40, art. 4.

Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, ch. T-16, art. 6, 22.

Projet de loi C-243, Loi modifiant la Loi sur les juges et la Loi sur l’administration financière, 28e lég., 3e sess., 1971, art. 31.

Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015-203, art. 2–13.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 221, 317, 318(2).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Douglas c. Canada (Procureur général), 2014 CF 299, [2015] 2 R.C.F. 911 Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267; Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385; Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.).

décision différenciée :

Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518.

décisions examinées :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132; Girouard c. Canada (Procureur général), 2017 CF 449; Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C.F. 91, conf. par 2003 CAF 55, [2003] 3 C.F. 3; Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769 (1re inst.); Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provincial de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale et de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3; Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248; Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890; Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207; MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725; Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626; Renvoi sur la Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714; X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684; Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433; Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, (1959), 16 D.L.R. (2d) 689; Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 981, conf. par 2011 CAF 217.

décisions citées :

Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; Crowe c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 298; Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342; Gagliano c. Gomery, 2011 CAF 217; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585; Howarth c. Commission Nationale des Libérations Conditionnelles, [1976] 1 R.C.S. 453; Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 1 C.F. 911 (1re inst.), inf. par [1997] 2 C.F. 527 (C.A.); Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2005 CF 1454, [2006] 1 R.C.F. 327, inf. par 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714; Cosgrove c. Canada (Procureur général), 2008 CF 941; Akladyous c. Conseil canadien de la magistrature, 2008 CF 50; Slansky c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1467, [2013] 3 R.C.F. 558, conf. par 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81; Ell c. Alberta, 2003 CSC 35, [2003] 1 R.C.S. 857; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220; Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750; Colombie-Britannique c. Philip Morris International, Inc., 2018 CSC 36, [2018] 2 R.C.S. 595; Landreville c. La Reine, [1977] 2 C.F. 726 (1re inst.); Landreville c. La Reine, [1981] 1 C.F. 15 (1re inst.); Corbett c. Canada, [1997] 1 C.F. 386 (C.A.); Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada; Inco ltée c. Canada, 2006 CSC 46, [2006] 2 R.C.S. 447; R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764; Chrétien c. Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 802, [2009] 2 R.C.F. 417, conf. par 2010 CAF 283; Pelletier c. Canada (Procureur général), 2008 CF 803, conf. par 2010 CAF 189.

DOCTRINE CITÉE

Bescherelle  : L’orthographe pour tous, Montréal  : Éditions Hurtubise, 1998.

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Conseil canadien de la magistrature. Modèles d’administration des tribunaux judiciaires, Ottawa  : Conseil canadien de la magistrature, 2006.

Conseil canadien de la magistrature. Décision du Comité d’enquête constitué par le Conseil canadien de la magistrature pour mener une enquête publique relativement à M. le juge Robert Flahiff, Montréal  : Conseil canadien de la magistrature, 9 avril 1999.

Conseil canadien de la magistrature. Décision du Comité d’enquête en vertu des paragraphes 63(2) et 63(3) de la Loi sur les juges relativement à M. le juge F.L. Gratton de la Cour de l’Ontario (Division générale), Ottawa  : Conseil canadien de la magistrature, 26 janvier 1994.

Conseil canadien de la magistrature. Enquête concernant l’honorable Michel Girouard  : Rapport à la ministre de la justice, Ottawa  : Conseil canadien de la magistrature, 20 février 2018.

Conseil canadien de la magistrature. Enquête sur la conduite de l’honorable Robin Camp  : Rapport à la ministre de la Justice, Ottawa  : Conseil canadien de la magistrature, 8 mars 2017.

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Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ont. : LexisNexis, 2014.

REQUÊTES en radiation par le Conseil canadien de la magistrature à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées par le demandeur, visant la recommandation de révoquer le demandeur comme juge à la suite d’une enquête sur sa conduite. Requêtes rejetées.

ONT COMPARU :

Gérald R. Tremblay, Louis Masson et Guillaume Renauld, pour le demandeur (intimé).

Claude Joyal, c.r. et Pascale-Catherine Guay, pour la défenderesse (intimée).

Ronald F. Caza, Gabriel Poliquin et Alyssa Tomkins, pour la partie requérante.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

McCarthy Tétrault LLP, Montréal, et Joli-Cœur Lacasse, Avocats, Québec, pour le demandeur (intimé).

La sous-procureure générale du Canada, pour la défenderesse (intimée).

CazaSaikaley, Ottawa, pour la partie requérante.

Bernard, Roy (Justice-Québec), Montréal, pour la partie mise en cause.

 

            Voici les motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

            Le juge Noël :

 

 

PLAN

I.          Survol

1

II.         Remarques préliminaires

5

III.        Faits

8

IV.       Historique du dossier

18

V.        Arguments des parties

27

A.        Le CCM et le CE sont-ils des offices fédéraux selon la définition de la LCF ?

28

B.        Les alinéas 63(4)a) et b) de la LJ accordent-ils au CCM et au CE le statut de cour supérieure et en conséquence rendent inapplicable à eux le recours en demande de contrôle judiciaire ?

35

1)         L’historique législatif et l’intention du législateur

39

2)         Le CCM est-il une institution d’appel des rapports et conclusions du CE ?

43

C.        Les rapports et conclusions du CCM et du CE sont-ils assujettis au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale ?

47

VI.       Décision Douglas (2014)

49

VII.      Dispositions législatives

54

VIII.     Questions de droit

58

IX.       Analyse

60

A.        Le CCM et le CE sont-ils des offices fédéraux selon la définition de la LCF ?

61

1)         Survol de la législation pertinente

62

2)         Est-ce que la composition du CCM exclut celui-ci de la définition d’office fédéral?

79

3)         Quels sont les critères jurisprudentiels de l’office fédéral et en quoi s’appliquent-ils au CCM et au CE ?

93

4)         Le CCM a-t-il une source de pouvoir constitutionnel codifiée par une loi fédérale ?

105

B.        Les alinéas 63(4)a) et b) de la LJ accordent-ils au CCM et au CE le statut de cour supérieure et en conséquence rendent-ils inapplicable à ces organismes le recours en demande de contrôle judiciaire ?

112

1)         Le pouvoir judiciaire et la juridiction supérieure

114

2)         Analyse des articles traitant « des enquêtes sur les juges » dans la LJ

125

a)         Principes d’interprétation

126

b)         Historique législatif et intention du législateur

130

c)         Interprétation littérale des articles en question

146

d)         Le pouvoir d’enquête sur les juges inclut-il un mécanisme d’appel interne des rapports et des conclusions du CE analogue à un appel de novo ?

157

C.        Les rapports et les conclusions du CCM et du CE sont-ils assujettis au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale ?

165

X.        Commentaires et conclusion

173

A.        Commentaires

173

B.        Conclusion

184

 

I.          SURVOL

[1]        En vertu de la règle 221 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (Règles), la Cour est saisie de requêtes en radiation à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (LCF) par le demandeur, l’honorable juge Michel Girouard de la Cour supérieure du Québec. Les demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes visent un rapport rendu par le Conseil canadien de la magistrature (CCM) à la suite d’une enquête sur la conduite du juge Girouard qui recommande sa révocation à la ministre de la Justice Canada (ministre), ainsi qu’un premier rapport d’un Comité d’enquête (CE) du CCM, et d’autres décisions prises lors d’enquêtes sur la conduite du juge Girouard. La partie requérante en l’espèce, le CCM, soutient que la Cour devrait accueillir les requêtes en radiation à l’égard des demandes de contrôle judiciaire aux motifs que la Cour fédérale n’aurait pas la compétence nécessaire pour octroyer un remède à l’encontre du CCM ou de son CE. Selon le CCM, ce dernier et ses composantes ne constitueraient pas un « office fédéral » susceptible de révision en vertu de l’article 2 de la LCF. De plus, le CCM allègue que la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1 (LJ) confierait au CCM le statut de juridiction supérieure.

[2]        Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que les requêtes en radiation doivent être rejetées. En effet, le CCM, duquel fait partie le CE, est un « office fédéral » selon la définition contenue à l’article 2 de la LCF. Ceci a pour conséquence d’assujettir les rapports avec conclusions et les recommandations du CCM, ainsi que les décisions prises dans le cours d’une enquête par le CE, aux mécanismes de contrôle judiciaire prévus à l’article 18.1 de la LCF. De surcroît, les alinéas 63(4)a) et b) de la LJ n’accordent pas un statut de cour supérieure au CCM et ne prévoient pas un CCM à l’abri de contrôle judiciaire par la Cour fédérale. Précisons que, bien que le rapport rendu par le CCM ne soit qu’une recommandation de révocation du juge soumise à la ministre, j’estime que celui-ci demeure révisable par la Cour fédérale.

[3]        Enfin, pour les fins du litige, je tiens à noter qu’il y a des absents notoires, notamment l’Association canadienne des juges des cours supérieures, un représentant pour les personnes nommées à titre inamovible (le dossier ne révèle pas si de telles nominations existent encore), et le ou la plaignant(e). J’aurai apprécié avoir leurs points de vue respectifs sur la problématique en cause car les arguments soulevés ont des conséquences importantes sur eux.

[4]        Dès le début de ces contrôles judiciaires, le juge en chef, l’honorable Paul Crampton me demanda de prendre charge de ceux-ci étant donné son implication à titre de membre du premier CE sur la conduite du juge Girouard. En plus, depuis le début à titre de gestionnaire des instances, je m’occupe de toutes questions de procédure impliquant la bonne marche de ces dossiers. J’ai aussi pris la décision en informant les parties que les demandes de contrôle judiciaire quant au fond seront déterminées à titre de juge suppléant selon l’article 10(1.1) de LCF par l’honorable juge Paul Rouleau de la Cour d’appel de l’Ontario.

II.         REMARQUES PRÉLIMINAIRES

[5]        D’entrée de jeu, soulignons la thèse assez singulière du CCM voulant que ce dernier et son CE, constitué pour enquêter sur la conduite du juge, soient réputés être de juridiction supérieure, les mettant ainsi « à l’abri de tout contrôle judiciaire ». Soulignons également le fait que le CCM prétend être doté d’un « mécanisme d’appel interne [qui] assure le respect de l’équité procédurale de façon plus robuste que les appels ultimes à la Cour suprême, composée de neuf juges; le Conseil est composé d’au moins dix-sept juges, tous des juges en chef ou juges en chef adjoints qui possèdent une expertise indéniable en matière d’administration de la justice » (mémoire du CCM, au paragraphe 102). Selon ses prétentions, le CCM se veut donc non seulement enquêteur sur la conduite du juge, mais aussi l’organisme pouvant entendre l’appel de son propre rapport, le transformant ainsi en tribunal à la fois de première et de dernière instance. Toujours selon les arguments mis de l’avant par le CCM, le rapport et la recommandation du CCM concernant le juge Girouard seraient finaux : le juge Girouard ne saurait porter de décision en appel ou en faire une demande de contrôle judiciaire. Cela voudrait aussi dire que le rapport et la recommandation du CCM soient immunisés contre tout recours entrepris pour remédier à un bris à l’équité procédurale. Il est à noter que le plus récent rapport sur la conduite du juge Girouard (en date de février 2018 [Conseil canadien de la magistrature, Enquête concernant l’honorable Michel Girouard : Rapport à la ministre de la Justice]) inclut la dissidence de trois juges en chef qui prétendent que la décision majoritaire contient un bris à l’équité procédurale (voir paragraphe 16 [du mémoire du CCM]).

[6]        Je ne peux souscrire aux thèses du CCM. Il est indéniable qu’un rapport recommandant la révocation d’un juge a un effet grave sur la carrière du juge, sa personne et sa famille. Il est inconcevable qu’un seul organisme sans supervision indépendante et à l’abri de tout recours judiciaire puisse, à lui seul, décider de la destinée d’une personne. Certes, il est vrai que la position de juge dans notre société exige une conduite exemplaire, mais est-ce une raison de la rendre redevable qu’à un seul organisme d’enquête et d’éliminer la possibilité de se pourvoir d’un recours à l’encontre de la décision de l’enquête ? Je suis d’avis que non. Aussi prestigieux et chevronné qu’un organisme puisse être, celui-ci n’est pas à l’abri de l’erreur humaine et peut commettre une violation importante aux principes d’équité procédurale à laquelle seul un tribunal externe, comme la Cour fédérale en l’espèce, puisse remédier. Comme le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale l’a tout récemment rappelé, un tel pouvoir absolu n’a pas sa place à l’intérieur de notre démocratie :

[…] Dans notre système de gouvernance, la loi s’applique à tous les titulaires de charge publique, même les plus puissants (le gouverneur général, le premier ministre, les ministres, les membres du Cabinet, les juges en chef, les juges puînés, les sous-ministres, et ainsi de suite) […] Ainsi, deux corollaires s’ensuivent tout naturellement. Premièrement, il faut un arbitre en mesure de vérifier si la loi a été respectée et, s’il y a lieu, de prendre les mesures de réparation indiquées. Deuxièmement, l’arbitre, qui ne doit avoir aucun lien de dépendance avec l’organisme faisant l’objet du contrôle, doit procéder à un examen indépendant.

(Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, au paragraphe 23; voir aussi Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, au paragraphe 78.)

[7]        Ainsi, comme le veulent ces principes fondamentaux de notre démocratie, tous ceux qui exercent un pouvoir de nature publique, peu importe leur statut ou l’importance de leur titre, doivent faire l’objet d’un examen indépendant et être tenus responsables, le cas échéant. Ceci vaut pareillement pour le CCM et les juges en chef qui y siègent.

III.        FAITS

[8]        Le juge Girouard a été nommé à la Cour supérieure du Québec en 2010 et a siégé dans les districts d’Abitibi, Rouyn-Noranda et Témiscamingue. Il est suspendu avec solde depuis janvier 2013. Depuis déjà plus de cinq ans (la première plainte fut déposée en novembre 2012 et le CCM rendit son rapport sur la deuxième plainte qu’en février 2018), alors que cette affaire suit son cours à travers deux enquêtes complètes ainsi que deux rapports soumis à la ministre (dont le premier rapport remonte à avril 2016) et de nombreux recours devant les tribunaux, les effectifs judiciaires de ces districts sont considérablement amoindris.

[9]        L’élément déclencheur de cette saga est survenu à l’automne 2012, quand le Directeur des poursuites criminelles et pénales a avisé l’honorable juge en chef de la Cour supérieure du Québec de l’époque, l’honorable François Rolland, que le demandeur avait été identifié par un trafiquant de drogue désormais devenu divulgateur comme ayant été son client. En septembre 2010, soit quelques semaines avant sa nomination à la magistrature, le juge Girouard aurait été capté sur vidéo en train d’acheter une substance illicite. Subséquemment, le 30 novembre 2012, le juge en chef Rolland a demandé au CCM qu’il entreprenne un examen sur la conduite du juge Girouard.

[10]      En octobre 2013, le CCM a d’abord constitué un comité d’examen pour se pencher sur la plainte et faire effectuer une enquête préliminaire par un avocat externe. C’est ensuite en février 2014 que le CCM a constitué un comité d’enquête (le Premier comité d’enquête) conformément au paragraphe 63(4) de la LJ afin de mener une pleine enquête sur la plainte reçue.

[11]      Le Premier comité d’enquête a écarté toutes les allégations portées contre le juge Girouard, étant incapable de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que la vidéo faisait preuve d’une transaction impliquant une substance illicite. Toutefois, une majorité des membres du Premier comité d’enquête a remis en question la fiabilité et la crédibilité de la version des faits relatée par le juge Girouard. En effet, la majorité avait relevé dans la preuve plusieurs contradictions, incohérences et invraisemblances relativement à la transaction captée sur vidéo.

[12]      Le CCM a accepté la conclusion du Premier comité d’enquête concernant la vidéo. Cependant, le CCM n’a pas pris en compte les observations du Premier comité d’enquête quant à la crédibilité du juge Girouard. Le rapport fut remis à la ministre en avril 2016. Plus de trois ans s’étaient désormais écoulés depuis la première plainte.

[13]      En juin 2016, la ministre et la ministre de la Justice du Québec ont déposé une plainte conjointe au CCM visant la conduite du juge Girouard lors du déroulement de ce dernier processus disciplinaire. Plus précisément, cette nouvelle plainte visait la crédibilité, ou le manque de crédibilité, dont le juge Girouard aurait fait preuve lors de l’enquête. Cette plainte a alors déclenché une enquête obligatoire en vertu du paragraphe 63(1) de la LJ, et un nouveau comité d’enquête (Deuxième comité d’enquête) a été créé.

[14]      Le Deuxième comité d’enquête a pris connaissance des notes sténographiques de l’audience devant le Premier comité d’enquête, tout en entendant à nouveau des témoignages au cours de huit jours d’audience. Le Deuxième comité d’enquête a considéré qu’il y avait lieu d’accepter les constatations formulées par la majorité du Premier comité d’enquête seulement s’il était démontré qu’elles étaient à la fois exemptes d’erreur et raisonnables, et uniquement dans la mesure où elles subsistaient à la suite de son appréciation de la preuve jugée digne de foi.

[15]      Dans son rapport en date du 6 novembre 2017, le Deuxième comité d’enquête a conclu que le juge Girouard est inapte à remplir utilement ses fonctions de juge en raison de l’inconduite dont il avait été trouvé coupable durant l’enquête du Premier comité, à savoir que :

1)         Il a fait défaut de collaborer avec transparence et sans réticence à l’enquête du Premier comité d’enquête;

2)         Il a fait défaut de témoigner d’une manière franche et intègre dans le cadre de cette enquête;

3)         Il a tenté d’induire le Premier comité d’enquête en erreur, en dissimulant la vérité.

[16]      Dans son rapport à la ministre en date du 20 février 2018, le CCM a adopté les constatations du Deuxième comité d’enquête voulant que l’inconduite du juge ait porté atteinte à l’intégrité du système de justice et ait frappé au cœur de la confiance du public envers la magistrature. Il a conclu sur cette base que le juge Girouard était inapte à remplir utilement ses fonctions. Toutefois, trois membres dissidents s’opposaient à la révocation du juge Girouard. Ils estimaient que ce dernier n’avait pas bénéficié d’une audience équitable, car certains membres unilingues anglophones du CCM n’auraient pas été en mesure d’évaluer l’ensemble du dossier qui était partiellement composé de documents uniquement accessibles en français.

[17]      Un fait saute aux yeux : on parle ici de plus de 20 mois d’enquête pour le deuxième rapport. Au total, le CCM a enquêté sur le juge Girouard pendant plus de cinq ans, soit de novembre 2012 à février 2018.

IV.       HISTORIQUE DU DOSSIER

[18]      Certains pourraient prétendre que les délais mentionnés ci-haut peuvent être en partie expliqués par le fait que le juge Girouard a déposé pas moins de 24 demandes de contrôle judiciaire à la Cour fédérale demandant, entre autres, l’annulation des décisions du Premier ou du Deuxième comité d’enquête, du CCM et de la ministre. Toutefois, il est à noter que les procédures judiciaires par ordonnance n’ont pas interrompu les enquêtes du CCM.

[19]      En effet, le 4 mai 2017, dans la décision Girouard c. Canada (Procureur général), 2017 CF 449 (Girouard), cette Cour a refusé d’accueillir la demande de surseoir au processus d’enquête concernant le juge Girouard, le requérant dans le cadre de cette procédure. La Cour a aussi refusé la demande d’amender les demandes de contrôle judiciaire et a suspendu les procédures dans 20 des dossiers de demande de contrôle judiciaire. Au paragraphe 65 des motifs de la décision Girouard, la Cour a d’ailleurs noté que tout recours devant la Cour fédérale demeurait disponible tant au juge Girouard qu’au CCM. Or, lors des représentations devant cette Cour dans le cadre de la requête en sursis, le CCM et le CE, dûment représentés, ne se sont pas opposés à la compétence de la Cour. Le CCM et le CE voulaient que l’examen sur la conduite du juge Girouard continue. Maintenant qu’il est temps de poursuivre les contrôles judiciaires, le CCM décide de soulever la question de compétence de la Cour. Il me semble qu’en tant qu’institution responsable de promouvoir l’efficacité, l’uniformité et la responsabilité dans les cours supérieures du Canada, le CCM ne devrait pas choisir ce que bon lui semble au gré du temps.

[20]      Le 3 mai 2018, la Cour a rendu une ordonnance prenant note de plusieurs désistements de la part du juge Girouard. Il s’était premièrement désisté de 16 de ses demandes dont les moyens étaient couverts par ceux invoqués à l’appui de la demande subséquente portant le numéro de dossier T-409-18. Il s’était également désisté de trois autres demandes devenues sans objet. La Cour a aussi ordonné la réunion des dossiers T-733-15, T-2110-15, T-423-17 et T-409-18. Dans ce même esprit de consolidation, la Cour fut informée dans le cours des procédures et lors de l’audition que le juge Girouard se désistait de la procédure en Cour supérieure du Québec soulevant une question constitutionnelle pour soumettre celle-ci à la Cour fédérale. Dans le cadre du dossier T-409-18, le CCM a reçu une demande en date du 2 mars 2018 de la part du juge Girouard en vertu de la règle 317 des Règles demandant la transmission de son dossier d’enquête le ou avant le 22 mars 2018.

[21]      À l’aube d’une conférence de gestion de l’instance qui a lieu le 19 avril 2018, le greffe a reçu un courriel de la part de Me Normand Sabourin, directeur et avocat général principal du CCM, adressé à la greffière chargée du dossier, l’informant pour la première fois que le CCM ne prévoyait pas déposer le dossier du décideur auprès de la Cour. Par voie de ce même courriel, le CCM a également informé la Cour qu’il ne reconnaissait pas sa compétence pour entendre les demandes de contrôle judiciaire de ses décisions et que, en conséquence, il n’allait pas se conformer aux Règles. Le CCM a aussi demandé que toute communication future soit dorénavant dirigée au très honorable Richard Wagner, président du CCM.

[22]      Le 19 avril 2018, la Cour a rendu une directive ordonnant au CCM de se conformer aux Règles et de déposer son dossier de décideur, ce qu’il devait faire initialement au plus tard le 22 mars 2018.

[23]      Le 30 avril 2018, conformément au paragraphe 318(2) des Règles, le CCM par l’entremise de ses avocats a informé l’administrateur en chef de la Cour fédérale et les autres parties qu’il s’opposait à la demande de transmission du dossier au motif qu’il ne constitue pas un « office fédéral » au sens de la LCF et que, par conséquent, cette Cour n’aurait pas la compétence nécessaire pour énoncer à son endroit les remèdes prévus au paragraphe 18(1) de cette même loi.

[24]      Dans une ordonnance en date du 9 mai 2018, la Cour a reconnu au CCM le statut de partie aux seules fins de débattre la question de la compétence, et a ordonné à ce dernier de déposer la présente requête pour faire radier les demandes de contrôle judiciaire restantes ainsi qu’une requête pour déterminer la contestation du CCM quant au dépôt de l’intégralité des dossiers du CCM ayant trait au juge Girouard.

[25]      Le 15 mai 2018, cette Cour a ordonné que soit rayée de l’intitulé des demandes en contrôle judiciaire les noms du « Comité d’enquête à l’égard de l’honorable Michel Girouard » et du « Conseil canadien de la magistrature », quoique le statut de partie leur demeure reconnu aux fins de la présente requête en radiation. Il est à noter que, dû à l’inaction du CCM à saisir la Cour de la question de compétence en temps opportun, environ deux mois se sont écoulés depuis la date à laquelle le CCM devait déposer son dossier initialement, le ou avant le 22 mars 2018.

[26]      Comme nous le verrons plus loin, la question de la compétence de la Cour fédérale a déjà fait l’objet d’une analyse et d’une conclusion complètes dans la décision Douglas c. Canada (Procureur général), 2014 CF 299, [2015] 2 R.C.F. 911 (Douglas), rendu par le juge Mosley le 28 mars 2014. Le CCM a porté la décision du juge Mosley en appel, et, bien que le dossier d’appel fût presque prêt à être entendu par la Cour d’appel fédérale, le CCM s’en est désisté. Le CCM est donc de nouveau revenu à la charge muni d’essentiellement les mêmes arguments qu’il a tenté de faire valoir devant le juge Mosley il y a quatre ans.

V.        ARGUMENTS DES PARTIES

[27]      Résumons donc les principaux arguments soumis par les parties.

A.    Le CCM et le CE sont-ils des offices fédéraux selon la définition de la LCF ?

[28]      Le CCM prétend ne pas être assujetti à la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire, car, selon lui, il serait exclu de la définition d’« office fédéral » telle qu’énoncée au paragraphe 2(1) de LCF. La procureure générale du Canada (PGC) ainsi que le juge Girouard s’opposent à cette prétention.

[29]      Le CCM prétend que la Cour dans la décision Douglas n’a pas considéré l’interprétation des articles 2 et 18 de la LCF à la lumière du rôle unique que joue le CCM dans l’ordre constitutionnel canadien. Le CCM est d’avis que la source de sa compétence, en ce qui a trait au contrôle qu’il exerce en matière de conduite des juges et de la discipline judiciaire, ne découle pas d’une loi adoptée par le Parlement du Canada (Parlement) ― la LJ ―, mais bien de l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5] (LC 1867). Pour le CCM, sa compétence serait inhérente au principe de l’indépendance judiciaire. Ainsi, soutient le CCM, la LJ serait une codification d’un pouvoir constitutionnel établissant l’organe judiciaire en conformité avec la doctrine de la séparation des pouvoirs. D’après le CCM, le fait qu’une loi fédérale régissant l’exercice de ce pouvoir existe n’a pas pour effet de transformer la nature de cette compétence qui se voudrait constitutionnelle.

[30]      De surcroît, le CCM affirme qu’il est composé de personnes nommées aux termes de l’article 96 de la LC 1867. Pour le CCM, son inclusion dans la définition d’office fédéral aurait l’effet inacceptable d’assujettir un groupe de juges des cours supérieures aux procédures de contrôle judiciaire de la Cour fédérale; le CCM allègue que ceci irait à l’encontre de l’exclusion qui est prévue à l’article 2 de la LCF. Le CCM soutient que si le Parlement avait eu l’intention de donner à la Cour fédérale la compétence pour superviser des juges des cours supérieures, ce pouvoir aurait été expressément prévu dans la LCF, sa loi habilitante. Le CCM ajoute que la définition d’office fédéral doit être interprétée de façon à exclure les juges nommés en vertu de l’article 96 ainsi que ceux nommés en vertu de l’article 101 de la LC 1867 lorsque ceux-ci agissent à titre de juges ayant les mêmes pouvoirs que ceux des cours supérieures.

[31]      En réponse aux thèses promues par le CCM, le juge Girouard souligne que la Cour d’appel fédérale ainsi que la Cour fédérale se sont déjà prononcées sur la question du statut du CCM dans les arrêts Crowe c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 298 et Douglas. Effectivement, écrit le juge Girouard, on a déjà conclu que le CCM est un « office fédéral » et que cette Cour jouît de la compétence pour entendre les demandes de contrôle judiciaire qui découlent des décisions du CCM. De ce fait, le juge Girouard avance qu’en vertu du principe du stare decisis et de la courtoisie judiciaire, cette Cour devrait respecter les décisions rendues à cet égard. Toujours d’après les thèses du juge Girouard, le statu quo de la LJ suite à la décision Douglas serait d’autant plus indicatif de l’intention du législateur de ne pas conférer au CCM un statut autre que celui d’office fédéral.

[32]      De plus, la PGC et le juge Girouard soutiennent que le CCM est créé par sa loi habilitante, soit la LJ adoptée par le Parlement, et il en tire son entière compétence. Pour la PGC et le juge Girouard, il s’ensuit que le CCM n’existe pas en vertu de la LC 1867; ses seuls pouvoirs seraient ceux dont le Parlement lui a confiés par voie de la LJ. La PGC et le juge Girouard prétendent donc que le Parlement pourrait abroger ou modifier le rôle et la composition du CCM, ou encore même le processus d’enquête déontologique, conformément aux mécanismes législatifs ordinaires.

[33]      La PGC soutient que le fait que les organismes du CCM soient composés de personnes qui sont en grande partie des juges nommés en vertu de l’article 96 de la LC 1867 ne change rien au statut de ces organismes. Pour la PGC, les organismes du CCM existent en tant qu’organismes d’origine législative uniquement, et non pas en raison de quelconque compétence inhérente liée au statut judiciaire de ses membres. La PGC rappelle qu’un juge œuvrant au sein ou pour le compte du CCM à titre d’enquêteur est comparable à un juge nommé comme commissaire en vertu de la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11 (LE), auquel le législateur attribue d’ailleurs les « pouvoirs d’une cour d’archives en matière civile » (article 5). Or, les juges du CCM n’agissent pas comme juges, souligne la PGC, mais bien comme membres d’un organisme habileté par législation ayant, entre autres, la charge d’enquêter sur la conduite des juges et de déposer un rapport ainsi qu’une recommandation, le cas échéant.

[34]      Quant à lui, le juge Girouard fait valoir que les juges siègent au CCM en leur qualité de juge en chef, un rôle de nature administrative, et non pas en tant que juge en vertu de l’article 96 de la LC 1867. De ce fait, un juge qui exercerait de véritables fonctions judiciaires n’agirait pas à titre de « membre » comme il le fait selon la LJ, ni pourrait-il nommer de « remplaçant » comme il le peut en l’espèce, en raison du caractère personnel de la charge de juge. À cela le CCM réplique que les juges chargés d’une enquête sur la conduite d’un juge exercent une compétence judiciaire : si une loi confère un pouvoir à un juge, le juge doit être présumé exercer une compétence judiciaire, à moins d’une disposition contraire.

B.    Les alinéas 63(4)a) et b) de la LJ accordent-ils au CCM et au CE le statut de cour supérieure et en conséquence rendent inapplicable à eux le recours en demande de contrôle judiciaire ?

[35]      Le CCM soumet que la disposition déterminative (en anglais : « deeming provision ») retrouvée au paragraphe 63(4) de la LJ crée une fiction juridique selon laquelle le CCM est réputé être une juridiction supérieure lors des enquêtes qu’il mène sur la conduite des juges. Bien que le législateur ait souvent attribué à des tribunaux administratifs certains pouvoirs d’une cour supérieure, les dispositions pertinentes indiquent rarement que le tribunal est réputé constituer une cour supérieure, contrairement à ce qui est indiqué au paragraphe 63(4). D’après le CCM, ses décisions, étant réputées être celles d’une cour supérieure, ne peuvent être contestées que s’il existe expressément un droit d’appel à une cour d’appel, car la validité de décisions contradictoires de deux cours supérieures serait impossible à déterminer.

[36]      En réponse, la PGC et le juge Girouard avancent tous deux que si le Parlement avait voulu créer une cour supérieure, il l’aurait fait explicitement en vertu de l’article 101 de la LC 1867, comme il l’a d’ailleurs fait pour la Cour canadienne de l’impôt (voir notamment l’article 3 de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2 (LCCI)). Pour la PGC et le juge Girouard, le paragraphe 63(4) de la LJ ne confère donc au CCM et à ses comités d’enquête que les pouvoirs d’une juridiction supérieure afin de faciliter leurs enquêtes; toutefois, cette disposition n’a pas pour effet de créer une juridiction supérieure ni d’évincer la possibilité de contrôle judiciaire par la Cour fédérale. À cela le CCM répond que le projet de loi initial de la LJ atteignait déjà l’objectif de lui donner les pouvoirs d’une cour supérieure aux fins de mener à bien ses enquêtes. Le CCM met l’accent sur le fait que le Parlement aurait amendé ce projet de loi initial pour y ajouter la disposition déterminative d’une portée plus générale.

[37]      Mais le juge Girouard est d’avis que le CCM ne peut être qualifié de cour supérieure puisqu’il ne possède aucun des attributs constitutionnels propres aux cours supérieures provinciales. En effet, poursuit le juge Girouard, aucune des cours supérieures créées en vertu d’une loi adoptée par le Parlement ne possède la compétence inhérente qu’ont seules les cours supérieures provinciales ni ne possède les pouvoirs de surveillance et de contrôle des actes du gouvernement et des décisions de tribunaux inférieurs.

[38]      La PGC avance que le législateur n’a pas choisi d’adopter une disposition ayant pour effet de constituer une cour supérieure. Pour la PGC, une disposition attribuant les pouvoirs d’une cour supérieure à un tribunal administratif doit recevoir une interprétation de portée limitée : seule l’interprétation nécessaire pour atteindre l’objectif de la loi devrait prévaloir. Or, selon le juge Girouard, le paragraphe 63(4) de la LJ doit être interprété comme le chapeau d’un article qui énumère tout simplement les pouvoirs et les fonctions qui ont été conférés au CCM et à son CE afin qu’ils puissent être en mesure d’accomplir une partie de ses pouvoirs : enquêter sur les juges (voir article 60 de la LJ).

1)    L’historique législatif et l’intention du législateur

[39]      Le CCM prétend que l’historique législatif démontre que l’intention du Parlement est que le CCM soit réputé constituer une juridiction supérieure afin de lui permettre de remplir ses fonctions lors du processus d’enquête sur la conduite judiciaire de façon indépendante, sans l’ingérence des branches exécutives ou législatives. Toutefois, selon le juge Girouard, l’historique de la LJ démontrerait plutôt que les membres du CCM n’exercent pas leurs fonctions en leur qualité de juge. Le juge Girouard rappelle que les juges avaient auparavant le statut de commissaire doté de pouvoirs d’enquête sur la conduite d’autres juges; pour le juge Girouard, l’ajout de la disposition déterminative ne pourrait avoir eu pour effet de substantiellement modifier le rôle prévu pour les « commissaires ». En réplique à cet argument, le CCM soutient que le législateur a éliminé de la partie II de la LJ — où se retrouve le paragraphe 63(4) énonçant les pouvoirs d’enquête dont jouît le CCM — toute mention des mots « commissaire » ou « commission ». Le CCM convient qu’il faudrait donner effet à cet amendement.

[40]      Cela étant, la PGC avance que le Parlement souhaitait simplement accorder au CCM et à ses comités d’enquête l’immunité de poursuite par l’entremise de la disposition déterminative. Pour le CCM, cet argument aurait comme implication que le CCM et ses comités d’enquête n’auraient aucune immunité en ce qui a trait aux conclusions contenues dans leur rapport, car ces conclusions sont rendues après l’enquête. Le CCM est d’avis qu’il bénéficie déjà des protections constitutionnelles garanties par l’indépendance judiciaire, ce qui inclut la liberté de s’exprimer et de rendre jugement sans pression et influence extérieure. De plus, le CCM soumet que si l’on accepte que la disposition déterminative accorde au CCM et à ses comités d’enquête l’immunité judiciaire, l’on accepte que la disposition puisse aussi accorder à ces derniers les attributs d’une juridiction supérieure.

[41]      Le CCM soutient également que la compétence de la Cour fédérale en est une d’exception. Selon le CCM, parce que la Cour fédérale n’a aucune compétence inhérente comme celle des cours supérieures des provinces, c’est donc la LCF qui détermine exhaustivement l’étendue de sa compétence. Le CCM souligne que l’article 18 de la LCF établit le contrôle judiciaire de tribunaux inférieurs; cependant, écrit le CCM, quand le Parlement statue qu’un tribunal n’est pas un tribunal inférieur parce qu’il est réputé être une juridiction supérieure, il est nécessaire de tenir compte de cet énoncé dans l’interprétation de la compétence prévue à l’article 18 en matière de contrôle judiciaire.

[42]      Avec documents à l’appui, la PGC a précisé lors des plaidoiries que jusqu’en 1971, il n’y avait aucune loi spécifique applicable à l’enquête sur la conduite des juges d’une cour supérieure. L’Acte concernant les juges des cours provinciales, S.R.C. 1886, ch. 138 et les lois subséquentes ne concernaient pas les juges de cours supérieures. Donc, la première loi traitant des enquêtes sur la conduite des juges de la Cour supérieure était la première version de la LJ, adoptée en 1971. Comme nous le verrons, le gouverneur en conseil invoquait la LE pour enquêter sur la conduite des juges et nommait l’enquêteur.

2)    Le CCM est-il une institution d’appel des rapports et conclusions du CE ?

[43]      Le CCM soumet que le contrôle judiciaire n’est pas nécessaire, car il existe déjà un mécanisme prévu aux procédures internes du CCM qui est analogue à un appel de novo. Le CCM avance que, puisque le contrôle judiciaire existe afin d’assurer l’équilibre entre l’intention du législateur et la primauté du droit, l’intention du Parlement dans le cas de la révocation des juges était de conserver l’autorité ultime du CCM en matière de révocation des juges tout en respectant le principe de séparation des pouvoirs qui dictent que le législateur ne peut, malgré son autorité ultime, révoquer un juge de façon unilatérale.

[44]      Le juge Girouard n’est pas d’accord avec les prétentions du CCM à cet égard. Au titre de la possibilité d’un appel interne, il avance qu’en common law, les appels n’existaient pas et que tous les appels sont une création du législateur. En l’espèce, soutient le juge Girouard, le régime d’appel que le CCM propose n’a pas été adopté par le Parlement. Le juge Girouard précise que le paragraphe 63(3) de la LJ prévoit que le CE est formé à la demande du CCM; le rôle du CCM, avance le juge Girouard, ne serait pas d’exercer un appel, mais de procéder à un examen du rapport soumis par le CE.

[45]      Tant la PGC que le juge Girouard soutiennent que, sans le contrôle judiciaire, le juge faisant l’objet d’une enquête par le CCM serait privé de son droit de contester l’équité des procédures. La PGC et le juge Girouard sont d’avis que le contrôle judiciaire d’une recommandation du CCM permet à la ministre et au Parlement d’avoir l’assurance que le processus suivi par le CCM est équitable et mené dans le respect de la primauté du droit. Ils rappellent que, si les procédures suivies par le CCM n’étaient pas assujetties au pouvoir de surveillance de la Cour fédérale, la ministre et le Parlement seraient forcés d’évaluer ces éléments; or, soutiennent la PGC et le juge Girouard, ceux-ci n’ont pas le mandat ni l’expertise en matière de révision d’une recommandation portée par le CCM, et ce, tant pour les questions de compétence et d’équité que de droit. La PGC et le juge Girouard ajoutent qu’on ne peut pas conclure que le Parlement aurait souhaité retirer la possibilité de tout recours, surtout compte tenu de l’importance des conséquences qu’une recommandation de révocation pourrait occasionner pour le juge enquêté.

[46]      Toujours selon le juge Girouard, pour que la ministre puisse remplir son rôle constitutionnel et décider s’il y a lieu de renvoyer la question de la révocation d’un juge au Parlement, elle doit se fonder sur une enquête qui fut menée conformément à la LJ et en respect des principes d’équité procédurale.

C.   Les rapports et conclusions du CCM et du CE sont-ils assujettis au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale ?

[47]      Finalement, le CCM est d’avis que la recommandation qu’il doit déposer dans le cadre d’une enquête et du rapport qui s’en suit n’est pas assujettie au contrôle judiciaire. Le CCM soutient que, bien que le CCM puisse former un CE pour mener une enquête, le CCM ne peut que recommander à la ministre la révocation. Pour le CCM, ce dernier n’aurait donc aucun pouvoir de rendre une décision ayant force obligatoire d’ordonner la destitution du juge, car ce pouvoir constitutionnel relève exclusivement du Parlement.

[48]      La PGC et le juge Girouard soutiennent que ce qui importe aux fins de savoir si une décision peut faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire est de déterminer si les droits d’une personne sont directement touchés par celle-ci. Le juge Girouard ajoute qu’on ne peut réduire les activités du CCM qu’à un simple dépôt de recommandation faisant ainsi fi de l’ensemble du long processus d’enquête qui le précède. Le juge Girouard soulève que l’enquête qui mène au rapport doit respecter l’équité procédurale étant donné l’impact direct sur les droits et les intérêts du juge. De plus, selon le juge Girouard, le respect des principes de justice naturelle ou d’équité procédurale entre expressément dans le champ de compétence du pouvoir de contrôle de la Cour fédérale en vertu de l’alinéa 18.1(4)b) de la LCF.

VI.       DÉCISION DOUGLAS (2014)

[49]      Il importe de mentionner : presque l’entièreté des questions que la Cour abordera dans la présente décision ont été analysées et déterminées par le juge Mosley en 2014 dans l’affaire Douglas. Comme intervenant au même titre que l’Association canadienne des juges des cours supérieures, le CCM a contesté la compétence de la Cour fédérale lui permettant d’entendre des demandes de contrôle judiciaire en lien avec les rapports et les décisions du CCM ou de ses composantes. Comme mentionné dans la section précédente portant sur l’historique du présent dossier, le CCM avait porté en appel le jugement Douglas, mais s’en était désisté. Bien que le dossier entre la juge Douglas, le PGC et le CCM fut réglé, il en demeure que le CCM aurait pu demander à la Cour d’appel fédérale d’entendre ses arguments et de trancher la question de la compétence, qui est, pourtant, si déterminante d’après les thèses du CCM. En effet, il y avait toujours un litige réel entre le CCM et le PGC (voir Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, aux pages 353–363). Le juge Mosley avait soigneusement étudié le fond des arguments du CCM et de la PGC; en fait, environ 120 des plus de 200 paragraphes de l’arrêt traitent de la question de la compétence. De surcroît, il y a eu trois journées d’audition; inutile de préciser que beaucoup de ressources judiciaires ainsi que celles d’avocats furent amplement utilisées.

[50]      Relatons simplement quelques conclusions saillantes qu’a faites le juge Mosley. Au sujet du CCM et de ses composantes, le juge Mosley constate ceci :

1)         Les critères jurisprudentiels pour la qualification d’un office fédéral s’appliquent au CCM (paragraphe 80 et suivants);

2)         Le CCM inclut non seulement des juges en chef nommés en vertu de l’article 96 de la LC 1867, mais aussi un nombre important de juges en chef nommés en vertu de l’article 101 de cette même loi (paragraphe 83);

3)         Les juges en chef, lorsqu’ils assument un rôle au sein du CCM, n’exercent pas leur fonction de juge de juridiction supérieure (paragraphes 84–86);

4)         Le législateur a modifié à plusieurs reprises la définition « d’office fédéral » en y incluant des exceptions (paragraphe 78);

5)         La présence de représentants du barreau, tous avocats, sur le CE indiquerait que ce dernier n’est pas une composante du CCM ayant une juridiction supérieure (paragraphe 110);

6)         Le législateur avait l’option de faire du CCM un tribunal selon l’article 101 de la LC 1867, mais il ne l’a pas fait (paragraphe 99);

7)         L’indépendance judiciaire n’exige pas que les décisions du CCM et du CE échappent au contrôle judiciaire de la Cour fédérale (paragraphe 114).

[51]      Sur l’interprétation du paragraphe 63(4) de la LJ et de ses alinéas a) et b), le juge Mosley conclut ainsi :

1)         Les débats parlementaires démontrent que les pouvoirs d’enquête accordés au CCM et au CE dans la LJ, y compris toute mention d’une « juridiction supérieure », avaient pour but d’accorder une immunité aux décisions rendues ou aux déclarations formulées au cours de l’enquête (paragraphe 103);

2)         Le contexte législatif du paragraphe 63(4), soit les notes marginales et leur emplacement, est indicatif de sa portée limitée (paragraphe 105 et suivants);

3)         Le législateur a choisi de conférer au CCM les pouvoirs d’une juridiction supérieure sans le transformer en un tribunal puisque, s’il avait eu l’intention de faire du CCM et de son CE une juridiction supérieure, il l’aurait dit directement, sans utiliser le terme « réputé » (paragraphe 115).

[52]      Au sujet de l’ensemble du processus d’enquête, le juge Mosley fait les observations suivantes :

1)         C’est au CE qu’il incombe d’entreprendre l’étape de l’enquête sur la conduite des juges; c’est alors le CCM qui entérine ou non les conclusions de ce dernier. Si le CCM a raison que son rapport et ses recommandations demeureraient assujettis à un contrôle, mais non le processus ayant donné lieu à leur adoption, nous nous retrouverions devant la « situation anormale » où ni le début ni la fin de la procédure ne seraient exclus d’un contrôle, mais seulement les parties à l’égard desquelles l’équité procédurale suscite la plus grande préoccupation (paragraphes 108–109);

2)         Enquêter n’est pas un attribut du champ de compétence d’une cour supérieure, car il s’agit d’une procédure de nature inquisitoire. Enquêter sur la conduite d’un juge ne relève pas d’une fonction judiciaire (paragraphe 118 et suivants);

3)         Le CCM, en enquêtant sur la conduite d’un juge, assume une responsabilité en tant que titulaire d’un pouvoir public. Il doit donc rendre compte et, de ce fait, il n’est pas immunisé contre un bris à l’équité procédurale. Il est ainsi assujetti à une supervision. Un juge enquêté a le droit à une instance équitable (paragraphes 119–120);

4)         Le pouvoir de surveillance que peut exercer la Cour fédérale est essentiel au respect de l’inamovibilité des juges. Le Parlement n’est pas une institution qui peut être appelée à réexaminer les revendications que le juge puisse avoir à l’égard de l’enquête entreprise par le CCM (paragraphes 121–123).

[53]      Ceci ne constitue qu’un résumé. La décision Douglas présente une étude approfondie de la question de la compétence de la Cour fédérale en matière de contrôle judiciaire du processus ainsi que des décisions du CCM. C’est avec justesse que le juge Mosley a conclu comme il l’a fait. Dans les sections suivantes, je me référerai aux motifs du juge Mosley et j’ajouterai mes propres propos.

VII.      DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[54]      Je me référerai au premier paragraphe de l’article 99 de la LC 1867 à plusieurs reprises. Il se lit ainsi :

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.)        

Durée des fonctions des juges              

99. (1) Sous réserve du paragraphe (2) du présent article, les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes.

 

[55]      De même, les articles 2, 18 et 18.1 de la LCF figureront de façon importante tout au long de cette décision. Les voici :

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7       

Définitions 

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.    

[…]

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. (federal board, commission or other tribunal)     

[…]

Recours extraordinaires : offices fédéraux     

18 (1) Sous réserve de l’article 28, la Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, pour :       

a) décerner une injonction, un bref de certiorari, de mandamus, de prohibition ou de quo warranto, ou pour rendre un jugement déclaratoire contre tout office fédéral;

b) connaître de toute demande de réparation de la nature visée par l’alinéa a), et notamment de toute procédure engagée contre le procureur général du Canada afin d’obtenir réparation de la part d’un office fédéral.           

[…]

Demande de contrôle judiciaire          

18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l’objet de la demande.     

[…]

Pouvoirs de la Cour fédérale

(3) Sur présentation d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale peut :         

a) ordonner à l’office fédéral en cause d’accomplir tout acte qu’il a illégalement omis ou refusé d’accomplir ou dont il a retardé l’exécution de manière déraisonnable;         

b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu’elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l’office fédéral.          

Motifs     

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l’office fédéral, selon le cas :        

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l’exercer;         

b) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’il était légalement tenu de respecter;       

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;  

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;       

e) a agi ou omis d’agir en raison d’une fraude ou de faux témoignages;      

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.           

[56]      La disposition la plus importante en l’espèce s’avère être le paragraphe 63(4) de la LJ. Elle se lit de même :

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1  

63 […]

Pouvoirs d’enquête 

(4) Le Conseil ou le comité formé pour l’enquête est réputé constituer une juridiction supérieure; il a le pouvoir de :

 

a) citer devant lui des témoins, les obliger à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment — ou de l’affirmation solennelle dans les cas où elle est autorisée en matière civile — et à produire les documents et éléments de preuve qu’il estime nécessaires à une enquête approfondie;           

b) contraindre les témoins à comparaître et à déposer, étant investi à cet égard des pouvoirs d’une juridiction supérieure de la province où l’enquête se déroule.          

[57]      Le lecteur pourra également trouver en annexe les articles 96 et 101 de la LC 1867, l’article 28 de la LCF, les articles 59–60, 63–65 et 69–71 de la LJ, ainsi que les articles 2 à 13 du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015-203 (Règlement). Contrairement à ce qu’il avait fait dans l’affaire Douglas, le CCM n’a pas déposé d’autres documents, politiques ou autres sauf le règlement administratif antérieur à celui de 2015.

VIII.     QUESTIONS DE DROIT

[58]      Dans le cadre de la présente affaire, la Cour doit trancher trois questions principales  :

1)         Le CCM et le CE sont-ils des offices fédéraux selon la définition de la LCF ?

2)         Les alinéas 63(4)a) et b) de la LJ accordent-ils au CCM et au CE le statut de cour supérieure et en conséquence rendent-ils inapplicable à ces organismes le recours en demande de contrôle judiciaire ?

3)         Les rapports et conclusions du CCM et du CE sont-ils assujettis au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale ?

[59]      Je passe donc à l’analyse des questions au fond.

IX.       ANALYSE

[60]      Dans cette section, j’aborderai chaque question séparément. Je commence alors avec celle ayant trait au statut du CCM en tant qu’office fédéral pour les fins de la LCF.

A.    Le CCM et le CE sont-ils des offices fédéraux selon la définition de la LCF ?

[61]      Pour traiter de cette question, je vais aborder quatre volets. En premier, je ferai un survol de la législation en jeu afin de bien cerner le cadre législatif dans lequel cette affaire assez singulière se place. En deuxième, j’aborderai la question à savoir si la composition du CCM ferait en sorte qu’il soit exclu de la définition d’office fédéral. En troisième, j’évaluerai les critères jurisprudentiels qui appuient la définition d’office fédéral afin de voir s’ils s’appliquent au CCM. En dernier, je me poserai la question à savoir si le CCM découlerait d’une source de pouvoir constitutionnelle codifiée par une loi fédérale.

1)    Survol de la législation pertinente

[62]      Pour bien répondre à la question dont la cour est saisie, il est premièrement important de faire un survol de la LJ et du Règlement, en particulier les dispositions traitant du CCM et de l’administration des affaires judiciaires fédérales. Ce survol nous permettra ainsi d’évaluer en partie l’argument du CCM voulant qu’il soit de juridiction supérieure et, en conséquence, non assujetti à la procédure de contrôle judiciaire prévue à l’article 18 de la LCF.

[63]      La LJ aborde en première partie plusieurs sujets, tous reliés à la position de juges au Canada. On y retrouve des dispositions concernant les salaires (articles 9–24) et les pensions (articles 42–48) ainsi que la description d’une procédure d’examen quadriennal par la Commission d’examen de la rémunération des juges fédéraux des traitements que peuvent recevoir tant les juges des cours supérieures que les protonotaires de la Cour fédérale (voir l’article 26).

[64]      On y retrouve aussi dans cette première partie de la LJ l’énumération des cours constituées par une loi fédérale en vertu de l’article 101 de la LC 1867, soit la Cour suprême du Canada (Cour suprême), la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale, la Cour d’appel de la cour martiale du Canada et la Cour canadienne de l’impôt (articles 9-11). De plus, on y ajoute les cours d’appel et les cours supérieures de chaque province et territoire canadien créées en vertu de l’article 96 de la LC 1867 (articles 12–22).

[65]      La deuxième partie de la LJ a pour titre le « Conseil canadien de la magistrature », où on y retrouve une description de sa constitution et son fonctionnement. Le CCM est constitué de membres, dont un président, le juge en chef du Canada ou son remplaçant, ainsi que les juges en chef, juges en chef associés, et juges en chef adjoints des juridictions supérieures ou de leurs sections ou de leurs chambres (alinéas 59(1)a) et b)). On y inclut également les juges principaux des cours suprêmes du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest et de la Cour de Justice du Nunavut (alinéa 59(1)c)), ainsi que le juge en chef de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada (alinéa 59(1)d)). De ce fait, le CCM est constitué non seulement de juges en chef nommés conformément à l’article 96 de la LC 1867, mais aussi de tous les juges en chef nommés selon l’article 101 de cette même loi.

[66]      Il est aussi prévu dans la LJ que chaque membre du CCM peut nommer un suppléant choisi parmi les juges du tribunal dont il fait partie (paragraphe 59(4)). Dans le cas du juge en chef du Canada, on prévoit qu’il peut aussi choisir un suppléant non seulement parmi les juges de la Cour suprême actuels, mais aussi parmi les juges à la retraite. Il est donc possible qu’un ancien juge devienne membre du CCM afin de le présider en l’absence du juge en chef du Canada.

[67]      Notons aussi que le législateur a donné deux missions au CCM : 1) améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures ainsi que la qualité de leurs services judiciaires; et 2) favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux (paragraphe 60(1) de la LJ). La responsabilité d’enquêter sur la conduite des juges s’inscrit alors dans le cadre de cette mission à deux niveaux, et s’accomplit par l’entremise d’un pouvoir d’enquête énoncé sous le titre des « Pouvoirs » (paragraphe 60(2)). Par ailleurs, soulignons qu’on n’y retrouve pas expressément mentionnée dans la mission du CCM au paragraphe 60(1) de la LJ celle de réglementer ou de surveiller la conduite des juges ni de s’occuper de la déontologie judiciaire.

[68]      Le pouvoir d’enquête ne se limite pas simplement qu’aux juges des cours supérieures, mais s’applique aussi aux titulaires de postes nommés à titre inamovible aux termes d’une loi fédérale (voir paragraphe 69(1) de la LJ). Le CCM a ainsi le pouvoir d’enquête non seulement sur les juges des cours supérieures, mais aussi sur les titulaires nommés à titre inamovible, s’il y en a de nos jours. De toute façon, force est de constater qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’un pouvoir qui s’applique exclusivement aux juges comme la LJ le prévoit.

[69]      De surcroît, le pouvoir d’enquête sur les juges est décrit dans la loi. Il est initié par le dépôt d’une plainte ou d’une demande d’enquête dirigée contre un juge d’une cour supérieure. La ministre ou le procureur général d’une province peut aussi faire une telle demande de révocation pour tout motif : l’âge ou l’invalidité, manquement à l’honneur et à la dignité, manquement aux devoirs de sa charge ou encore situation d’incompatibilité imputable au juge ou à toute autre cause (paragraphes 63(1) et 65(2) de la LJ). Cette demande d’enquête oblige le CCM à instiguer une enquête. Le CCM peut aussi enquêter sur la conduite d’un juge suite au dépôt d’une plainte ou d’une accusation pourvue qu’elle soit justifiée (paragraphe 63(2)).

[70]      Si l’on choisit d’enquêter, le CCM sélectionne alors les membres qui feront partie du CE. Le CCM recrute parmi ses membres décrits ci-haut; toutefois, la ministre peut y adjoindre des avocats ayant été membres du barreau d’une province pendant au moins dix ans (voir paragraphe 63(3) de la LJ). Il est commun pour le CCM de constituer un CE composé de deux ou trois juges en chef et d’un à deux avocats. Le Règlement indique que la majorité des membres doivent provenir du CCM (voir le paragraphe 3(1) du Règlement).

[71]      Pour les fins de l’enquête, le CCM ou le CE est réputé constituer une juridiction supérieure qui a le pouvoir de citer des témoins, les obliger à déposer sous la foi du serment ou de l’affirmation solennelle, et à produire des documents. Notamment, la LJ stipule que le CCM ou le CE a les pouvoirs de la juridiction supérieure de la province où l’enquête se déroule (paragraphe 63(4) de la LJ). Le paragraphe 63(4) de la LJ sera analysé plus en aval dans les présents motifs, car il s’agit de l’une des pierres angulaires de la thèse du CCM.

[72]      Qui plus est, les auditions peuvent se tenir à huis clos. Toutefois, la ministre peut obliger que les auditions aient lieu publiquement par moyen d’un « ordre » (paragraphe 63(6) de la LJ).

[73]      Le CE a l’obligation d’informer le juge enquêté de l’objet de l’enquête, de la date et du lieu des auditions, et de la possibilité de se faire entendre, de contre-interroger les témoins et de présenter tous les éléments de preuve utiles à sa décharge, personnellement ou par procureur (article 64 de la LJ). Le CCM peut aussi, pour les fins de l’enquête, retenir des services d’avocats pour l’assister (article 62 de la LJ).

[74]      La LJ ne reconnaît aucun statut au ministre de la Justice ou au procureur général qui dépose la plainte ou encore au plaignant signataire de la plainte ou de l’accusation. Ce sont le CE ainsi que le comité d’examen initial qui définissent des accusations faites et qui procèdent en menant l’enquête de façon indépendante. Plus précisément, c’est le CE qui choisit les témoins et qui détermine et produit les documents et les éléments de preuve qu’il estime « nécessaires à une enquête approfondie » (voir l’alinéa 63(4)a) de la LJ). Par la suite, le juge enquêté peut contre-interroger, présenter sa preuve et faire les représentations appropriées. L’avocat du CE pourra aussi faire les représentations qu’il croit bon.

[75]      Par la suite, le CE fait rapport au CCM et une copie est remise au juge enquêté afin d’obtenir ses commentaires (voir l’article 8 du Règlement). Le juge peut présenter des observations écrites au CCM au sujet du rapport (paragraphe 9(1) du Règlement). Le CCM étudie ensuite le rapport et les soumissions du juge enquêté (article 11 du Règlement). Le CCM peut aussi exiger du CE des éclaircissements ou encore un complément d’enquête (article 12 du Règlement). Finalement, pourvu que la majorité des membres du CCM se prononce, le CCM présente au ministre un rapport de ses conclusions quant à la recommandation de révocation du juge (article 65 de la LJ; article 13 du Règlement).

[76]      En outre, je précise que la LJ et le Règlement ne prévoient pas de disposition d’appel du rapport du CCM ni de clause privative. Par ailleurs, notons aussi que le rapport remis à la ministre étaye les conclusions du CCM. Cependant, il ne s’agit pas d’un jugement. La décision finale en matière de révocation d’un juge appartient à la Chambre des communes, au Sénat et au gouverneur en conseil (article 71 de la LJ).

[77]      La troisième partie de la LJ traite de l’administration des affaires judiciaires fédérales. On y crée le poste de commissaire à la magistrature fédérale (commissaire) qui est nommé par le gouverneur en conseil sur recommandation de la ministre après consultation avec le CCM ou encore après consultation du comité du CCM constitué pour évaluer les candidats. Le commissaire a rang et statut d’administrateur général du ministère de la Justice, et il agit sous l’autorité de la ministre. Toutefois, le commissaire et son bureau sont distincts du ministère de la Justice (articles 72, 73 et 74 de la LJ). Le commissaire, sous l’autorité de la ministre, s’occupe des tâches dévolues dans la première partie : les salaires, les pensions, les ajustements, l’assurance, les indemnités de déplacement, les faux frais, etc. En plus, le commissaire a la responsabilité d’établir le budget du CCM ainsi que de prendre les mesures d’ordre administratif pour doter le CCM en personnel, services, locaux et matériel. Il doit le faire en tenant compte que ces attributions déléguées ne font pas partie de celles octroyées à la ministre par la Loi sur le ministère de la Justice, L.R.C. (1985), ch. J-2 (paragraphe 74(2) de la LJ). Comme il fut mentionné lors des plaidoiries par le CCM, il existerait des politiques et procédures internes pour assurer que le tout se fasse de façon indépendante du ministère de la Justice.

[78]      Ce survol de la LJ et du Règlement me permet de formuler les observations suivantes  : 1) on trouve une liste des juridictions supérieures dans la première partie de la Loi (le CCM n’y figure pas); 2) le CCM et son CE sont constitués de juges de cours relevant des articles 96 et 101 de la LC 1867, ainsi que d’avocats d’un barreau canadien; 3) le président du CCM peut, en fait, être un juge à la retraite nommé à titre de suppléant pour le juge en chef du Canada; 4) la mission du CCM est d’améliorer le fonctionnement de l’appareil judiciaire et de faire promouvoir la justice; et 5) le CCM peut enquêter sur la conduite des juges et des pouvoirs spéciaux lui sont dévolus à cette fin. Ces observations seront d’un intérêt particulier dans l’analyse qui suivra.

2)    Est-ce que la composition du CCM exclut celui-ci de la définition d’office fédéral?

[79]      De prime abord, je ne retrouve nulle part dans la législation, y inclus dans la LC 1867, de lien, de référence ou de mention pouvant me permettre de donner gain de cause à l’argument du CCM voulant qu’il soit exclu de la définition d’office fédéral puisque qu’il est partiellement constitué d’un groupe de personnes nommées aux termes de l’article 96 de la LC 1867. En effet, malgré l’inclusion de la phrase « réputé constituer une juridiction supérieure » au paragraphe 63(4) de la LJ ― sur quoi le CCM met un très fort accent ―, le survol de la législation et les constatations que j’en fais démontreront clairement l’opposé.

[80]      D’emblée, regardons ce que dit la loi. Selon la LCF, un « office fédéral » est défini en tant que « [c]onseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale […] à l’exclusion […] d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 » (je souligne). En effet, le mot « conseil » ne fait pas uniquement partie intégrante de la définition d’office fédéral stipulée par la LCF, mais en est le tout premier mot. Toutefois, la version anglaise ne fait pas référence à « council ».

[81]      Quant au CCM, il est formé de juges en chef nommés soit par l’entremise de l’article 96 ou de l’article 101 de la LC 1867 par le gouverneur en conseil. En outre, le CCM se voit attribuer le pouvoir d’enquête sur la conduite des juges par la LJ qui, rappelons-le, n’est pas une loi constitutionnelle. Force est de constater que ce pouvoir appartient au CCM an tant qu’institution, non aux juges en chef individuellement à même leur statut de juge. Ceci s’accorde bien avec ce que le CCM a lui-même décrit à l’égard de ses pouvoirs d’enquête. Dans un rapport déposé par le CCM en mars 2014, on lit que la LJ confère les pouvoirs d’enquête « à l’ensemble du CCM lui-même » et, plus en amont, que « l’ensemble du CCM présente au ministre de la Justice un rapport sur ses conclusions et il peut recommander la révocation du juge » (je souligne [note en bas de page omise]) (Canada, Examen du processus de la conduite judiciaire par le Conseil canadien de la magistrature : document de travail, Ottawa, Conseil canadien de la magistrature, 2014 (Rapport du CCM), à la page 51). C’est alors le CCM, en tant qu’organisme ou institution, qui rend un rapport à la ministre; les juges qui en font partie n’en sont que des membres (voir le paragraphe 63(4) de la LJ).

[82]      Enfin, rien d’autre ne pourrait me permettre d’afficher ce pouvoir d’enquête comme étant un attribut des pouvoirs des juges de cour supérieure nommés selon l’article 96 de la LC 1867. Ce n’est tout simplement pas le cas. Au contraire, le pouvoir d’enquête duquel le CCM jouît est le même que celui prévu par la LE. Au même titre qu’un commissaire nommé en vertu de la LE, le CCM et ses membres constituent un « office fédéral ». Cela me paraît pourtant évident : ce n’est pas en leur qualité de juge que les membres du CCM siègent. C’est la loi habilitante du CCM qui lui permet de rendre un rapport et de déposer une recommandation au ministre. Personne ne rend ici de jugement comme le font les cours supérieures.

[83]      La thèse du CCM voulant qu’il soit non seulement de juridiction supérieure, mais une cour supérieure (comme l’indique leur mémoire des faits et du droit au paragraphe 7) est d’autant plus surprenante à la lumière d’une analyse qu’on trouve dans le Rapport du CCM. Effectivement, le CCM écrit que les pouvoirs d’enquête attribués au CCM « sont semblables à ceux dont dispose une commission d’enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes » (Rapport du CCM, à la page 51; [note en bas de page omise]; voir aussi les articles 4 et 5 de la LE). Il en découle aussi d’une lecture du Rapport du CCM que le « processus d’examen de la conduite des juges du CCM est de nature inquisitoire » et « de nature investigatrice » (je souligne) (Rapport du CCM, aux pages 15 et 50). À l’instar de ce que la Cour d’appel fédérale a conclu dans l’affaire Gagliano c. Gomery, 2011 CAF 217 (Gagliano), le Rapport du CCM décrit les membres du CCM, les « acteurs du processus d’examen de la conduite des juges », comme des « enquêteurs [qui] peuvent participer plus activement à la présentation de la preuve qu’ils ne le pourraient dans un contexte judiciaire ou quasi judiciaire » (Rapport du CCM, à la page 18; voir aussi Gagliano, au paragraphe 22). Comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné, un tel rôle d’enquêteur est différent de celui d’adjudicateur (Gagliano, au paragraphe 21). Ce pouvoir d’enquête dont les membres du CCM bénéficient ne relève aucunement de l’article 96 de la LC 1867 ni ne s’apparente au rôle que le juge peut jouer dans une cour de justice, où il préside un processus contradictoire.

[84]      Rappelons aussi que les juges siègent au CCM en leur qualité de juge en chef, un rôle qui est de nature administrative, et non en tant que juge tirant son pouvoir de l’article 96 de la LC 1867. Comme l’explique le juge Gonthier de la Cour suprême dans l’arrêt Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267 (Ruffo), les juges en chef se voient confiés leur rôle en matière de déontologie judiciaire par la législation, tant à l’échelle provinciale et territoriale, et non pas par les textes constitutionnels (Ruffo, au paragraphe 52). C’est donc ce devoir de faire promouvoir le respect de la déontologie judiciaire qui leur permet de siéger au CCM. Cette même constatation du juge Gonthier peut aussi s’appliquer à la LJ lorsqu’elle octroie au CCM le pouvoir d’enquêter sur la conduite des juges.

[85]      De surcroît, le caractère administratif du rôle des juges en chef siégeant au CCM est démontré par leur statut de « membre » que leur confère le paragraphe 59(4) de la LJ et par leur faculté à nommer un remplaçant. Or, la nomination administrative qu’est l’office du « juge en chef » n’équivaut pas à la nomination à titre de juge d’une cour supérieure, laquelle se fait par le gouverneur général en vertu de l’article 96 de la LC 1867. La nomination à titre de juge en chef se fait généralement par le gouverneur général en conseil (voir Loi sur les tribunaux judiciaires, RLRQ, ch. T-16, articles 6 et 22; LCF, articles 5 et 5.1). Nous savons déjà que chaque membre du CCM peut y nommer un suppléant, le juge en chef du Canada pouvant même en choisir un parmi les anciens juges de la Cour suprême.

[86]      Un contraste important s’impose ici : un juge exerçant de véritables fonctions judiciaires ne peut nommer de « remplaçant », comme il est possible de le faire lorsqu’il ou elle siège comme membre du CCM, en raison du caractère personnel de la charge de juge. Comme l’a écrit Luc Huppé, maintenant juge de la Cour du Québec, « [l]a charge dont le juge est investi est attachée à sa personne, elle est intuitu personae. C’est en fonction de ses caractéristiques personnelles que le juge est choisi » (Luc Huppé, Le régime juridique du pouvoir judiciaire, Montréal : Wilson & Lafleur, 2000, à la page 84). Or, le « caractère personnel de la charge de juge fait en sorte que celui-ci ne peut en déléguer l’exercice » (je souligne) (Huppé, à la page 84).

[87]      Cette conclusion se heurte contre les prétentions du CCM voulant que l’affaire Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518 (Ranville), vienne appuyer la thèse que son pouvoir d’enquête équivaut à celui du juge nommé conformément à l’article 96 de la LC 1867. Évidemment, je ne partage pas l’avis du CCM quant aux principes que nous pouvons tirer de l’arrêt Ranville. La disposition en jeu dans cette décision, en l’occurrence le paragraphe 9(4) la Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, prévoyait que « [l]e juge de la Cour suprême, de la Cour supérieure, de la Cour de comté ou de district, selon le cas, doit enquêter sur la justesse de la décision du registraire, et, à ces fins, peut exercer tous les pouvoirs d’un commissaire en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes » (Ranville, à la page 522). Ainsi, les juges nommés étaient là appelés à enquêter et rendre leurs décisions en leur personne. Cependant, dans l’affaire qui nous occupe en l’instance, ce ne sont pas les juges en chef qui enquêtent, mais bel et bien le CCM et son CE en tant qu’organisme. De fait, le juge Dickson, alors juge puîné et écrivant pour la majorité du banc, s’exprimait ainsi aux pages 524 et 525 de l’arrêt Ranville :

     L’introduction du concept de persona designata a eu pour effet d’apporter une restriction à l’exclusion que contient le par. 2g) de la Loi sur la Cour fédérale et, comme l’a fait remarquer le Juge en chef dans l’arrêt Herman, elle est à l’origine des « exercices d’interprétation » futiles que les cours se sont vu imposer. Par leur tentative d’appliquer la première partie de la définition qui se trouve au par. 2g) aux juges visés à l’art. 96 en les qualifiant de persona designata, les avocats déforment le sens manifeste de l’article et le détournent de son objet. Je répète ce que j’ai dit dans l’arrêt Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495 (à la p. 509) :

Un juge ne devient pas persona designata du simple fait qu’il exerce des pouvoirs conférés par une loi autre que la loi provinciale régissant la magistrature ou son équivalent. Si l’on donnait à l’art. 28 la portée la plus large, les décisions ou ordonnances de juges provinciaux nommés par le fédéral, rendues conformément à des lois fédérales comme le Code criminel, la Loi sur le divorce ou la Loi sur les lettres de change, seraient soumises à l’examen de la Cour d’appel fédérale. Ce ne peut être le but de cet article.

          Il semble qu’en édictant les derniers mots de l’alinéa pertinent de l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, le Parlement ait voulu qu’ordinairement, les actes des juges provinciaux nommés par le fédéral, conformément aux pouvoirs qui leur sont conférés par des lois fédérales, soient soustraits au pouvoir de surveillance de la Cour d’appel fédérale. [Je souligne.]

[88]      Certes, pour l’affaire qui nous occupe, les juges en chef ne deviennent pas persona designata pour accomplir leur devoir lorsqu’ils participent au pouvoir d’enquête sur la conduite des juges, une circonstance que la Cour suprême a par ailleurs qualifiée « [d]es plus exceptionnelles » (Ranville, à la page 525). Mais, de toute façon, soulever le concept de persona designata par le biais de l’arrêt Ranville invite une fausse qualification de l’enjeu dont la Cour est à présent saisie : on ne parle pas en l’instance de juges présidant une procédure quelconque en tant que personnes assumant un rôle quelque peu judiciaire ou en tant que personae designatae. On a plutôt affaire à des membres solidaires d’une collectivité qui, à titre d’organisme, rendent un rapport et une conclusion. Au sein du CCM, les juges et autres membres se confondent à cette identité collective en entreprenant une enquête. Le CCM a une identité séparée de ses parties composantes.

[89]      Dit autrement, c’est le CCM et le CE en particulier qui ont le pouvoir d’enquête, et non les juges en chef individuellement. Il doit y avoir quorum de dix-sept juges en chef et les décisions se prennent à la majorité. Qui plus est, le pouvoir d’enquête outrepasse les fonctions reconnues d’une cour supérieure. Et, répétons, le CE enquête sur la conduite d’un juge : avec le Comité d’examen, il décide sur les allégations, les témoins et les documents à produire, et il entend le juge enquêté, reçoit sa preuve et reçoit ses représentations. Le ministre de la Justice du Canada et le procureur général de la province du plaignant ne sont pas des parties reconnues à l’enquête selon la loi. Suite à l’étude du rapport du CE, le CCM rend ensuite un rapport expliquant ses conclusions et, de ce fait, dépose une recommandation; aucune décision n’est prise ni rendue par le CCM sur le sort du juge enquêté. Ayant égard à ces faits, je ne peux que constater que le pouvoir d’enquête et le pouvoir de rendre un rapport appartient au CCM et non aux juges en chef individuellement. Ceci est contraire à la situation qui prévalait dans l’affaire Ranville.

[90]      Tous les éléments de l’analyse ci-haut appellent incontestablement à une conclusion : les juges en chef et leur suppléant (incluant d’anciens juges), ainsi que des juges nommés en vertu de l’article 101 de la LC 1867 et des membres du barreau ayant dix ans de pratique, siègent au CCM et CE en tant que membres d’un conseil, une institution fédérale, où ils entreprennent des fonctions d’enquêteurs. Dans le Rapport du CCM en 2014, le CCM lui-même décrit les membres du CCM et du CE comme étant « des acteurs du processus d’examen de la conduite des juges » et comme des « enquêteurs ». Dans un tel cas, l’article 96 de la LC 1867 ne s’applique pas.

[91]      Inversement, la LCF s’applique en l’espèce, et ce, malgré les prétentions du CCM voulant qu’il fasse partie des exceptions prévues à la définition d’office fédéral. Parmi les exceptions à l’article 2 de la LCF, on y retrouve l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et de ses juges, un organisme créé par une loi provinciale, ou encore une personne ou un groupe nommé aux termes d’une loi d’une province ou de l’article 96 de la LC 1867. Si le Parlement avait voulu exclure le CCM de la définition d’office fédéral, il l’aurait fait comme il l’a fait avec la Cour canadienne de l’impôt. Je ne peux que souscrire entièrement aux motifs du juge Mosley, comme ils sont exprimés dans la décision Douglas, où il dit [au paragraphe 82]  :

[…] Ni le Conseil ni ses comités d’enquête ne font partie des personnes ou des organismes expressément exclus de la portée de la définition qui figure à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Les membres du Conseil et du comité ne remplissent pas les fonctions qui leur ont été dévolues à titre de juges nommés en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 […] et ils ne sont donc pas visés par l’exclusion expresse des juges nommés en vertu de l’article 96 qui est prévue dans la définition. Le fait que les organismes du Conseil soient composés de personnes qui, pour la plupart, sont des juges nommés en vertu de l’article 96 ne change rien au statut de ces organismes. Les organismes du Conseil existent en tant qu’organismes d’origine législative uniquement parce qu’ils ont été créés par la Loi sur les juges, et non pas en raison de quelque compétence inhérente liée au statut judiciaire de ses membres. [Je souligne.]

[92]      Comme l’a exprimé le juge Mosley, je conclus que le CCM, le CE et leurs membres ne constituent pas un groupe dont le pouvoir ou la compétence relèvent de l’article 96 de la LC 1867. Le CCM ne fait donc pas partie de l’exception prévue à l’article 2 de la LCF.

3)    Quels sont les critères jurisprudentiels de l’office fédéral et en quoi s’appliquent-ils au CCM et au CE ?

[93]      Une brève revue de l’historique législatif et jurisprudentiel de la LCF appuie également ma conclusion à savoir que le CCM n’est pas exclu de la liste des institutions fédérales pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire de cette Cour.

[94]      Depuis le début des années 1970, l’article 18 de la LCF accorde à la Cour fédérale la compétence exclusive en matière de surveillance et de contrôle des organismes fédéraux. Historiquement, cette compétence appartenait aux cours supérieures des provinces. Avant l’adoption de cette loi, les tribunaux administratifs à l’échelle du Canada se retrouvaient assujettis à une surveillance multiple, en l’absence d’uniformité dans la jurisprudence et dans son application. Le ministre de la Justice Canada de l’époque, le très honorable John Turner (qui est plus tard devenu premier ministre), a parrainé cette loi. Il a centralisé dans cette nouvelle cour, en l’occurrence la « Cour fédérale du Canada » créée sous l’égide de l’article 101 de la LC 1867 et composée des sections de première instance et d’appel, la juridiction du contrôle judiciaire des institutions fédérales. La LCF voulait éviter les contradictions jurisprudentielles dans ce domaine, accroître la responsabilité de l’administration publique fédérale et promouvoir l’accès à la justice. Comme l’a énoncé le ministre Turner lors des débats parlementaires sur le projet de loi C-192 sur la Loi concernant la Cour fédérale du Canada :

[…] Le bill C-192 concernant la cour fédérale du Canada […] propose des changements considérables en ce qui concerne l’administration de la justice à l’échelon fédéral. Pour ce qui est de la réorganisation des tribunaux, le projet de loi constitue la première importante révision du tribunal de première instance fédéral depuis sa création en 1875.

[…]

 

     En plus du changement fondamental apporté à l’appareil judiciaire que j’ai mentionné, le bill propose ce qui est, à mes yeux, un important changement dans le droit administratif pour ce qui est de la surveillance exercée sur les offices, commissions et tribunaux fédéraux. Depuis de nombreuses années, ces derniers sont assujettis aux diverses juridictions et pratiques des différentes cours supérieures des provinces. Ils font en conséquence l’objet d’une surveillance beaucoup plus rigoureuse que leurs contreparties provinciales, car les offices, commissions et tribunaux provinciaux de nature semblable ne sont assujettis qu’à la surveillance des cours provinciales.

     Cette surveillance multiple, en l’absence d’uniformité dans la jurisprudence et son application, peut nuire sérieusement non seulement aux offices et commissions eux-mêmes, mais aussi à ceux qui comparaissent devant eux […] Le bill est donc destiné à établir sur une base unique et uniforme le pouvoir de surveillance exercé sur les commissions et offices fédéraux et à les placer sur le même pied sous ce rapport que les commissions et offices provinciaux.

[…]

[…] En tant que législateurs, nous devons nous assurer, en établissant tout organisme statutaire, que nous appliquons les subtils principes légaux conformément aux procédures établies ou à la règle du droit et de la justice naturelle, comme l’interprètent les tribunaux. La compétence créée et conférée sera exercée comme il se doit et pour le plus grand bien de ceux pour qui elle a été établie.

[…]

 

[…] Les recours que prévoit ce bill sont assez étendus pour aller au-delà d’une clause d’obligation de ce genre. Le bill précise bien les pouvoirs de révision. Si l’on n’observe pas les principes de la justice naturelle, si l’on n’accorde pas d’audience, toute partie aurait la possibilité de présenter sa cause. Lorsque la commission outrepasse sa compétence et la portée du statut créant la Cour et son champ d’administration, lorsque la commission se refuse à exercer ses fonctions, lorsqu’elle interprète mal la loi, que l’erreur juridique soit manifeste ou non dans le texte de la décision celle-ci pourra être cassée. La commission ne pourra s’abstenir de donner ses motifs. Les commissions seront tenues de déclarer leurs motifs. Si elles ne le font pas, cela n’empêchera pas la Cour d’examiner les raisons qui ont motivé la décision.

 

[…]

     Le bill va également faire en sorte d’accroître la juridiction exercée depuis toujours par la Cour de l’Échiquier du Canada […]

[…]

[…] C’est une mesure législative compliquée, comportant des modifications de structures profondes, prévoyant l’élargissement fondamental de diverses compétences et marquant, à mon avis, un progrès sensible, dans la loi sur l’administration publique du pays.

[…]

     Je crois que c’est un autre cas vers un équilibre entre les droits du citoyen et ceux de l’État, qui permet un recours contre le pouvoir décisionnel, si énorme, si loin et si distant des citoyens. Je pense que cela permettra au citoyen ordinaire d’affirmer ses droits vis-à-vis du gouvernement et des structures édifiées par celui-ci. [Je souligne.]

(Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 2e sess., vol. 5 (25 mars 1970), aux pages 5469–5474 (John Turner); Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585 (TeleZone), aux paragraphes 49–50.)

[95]      Les débats entourant le projet de loi sur la Cour fédérale ont eu lieu dans l’année précédente de celle concernant le projet de loi sur les juges en 1971 (Loi sur les juges, S.R.C. 1970, ch. J-1; Loi modifiant la Loi sur les juges, S.C.R. 1970 (2e suppl.), ch. 16, article 10 instituant le nouveau paragraphe 30(1) de la Loi sur les juges). La première version de la Loi sur la Cour fédérale [S.R.C. 1970 (2e suppl.), ch. 10] est rentrée en vigueur le 1er juin 1971. Il en fut de même avec la mise en vigueur de l’article 28 de la LCF qui confiait à la section d’appel, désormais devenue la Cour d’appel fédérale, la responsabilité de revoir par contrôle judiciaire une liste expresse d’institutions et d’organismes fédéraux. Le législateur a choisi par législation les organismes assujettis à l’article 28 de la LCF. Ce choix du législateur perdure. Notons aussi que l’article 28 contient une liste exhaustive d’offices fédéraux, tandis que l’article 18 englobe, à moins d’exceptions, tous les institutions et organismes fédéraux qui se retrouvent autrement dans la définition de l’office fédéral à l’article 2 de la LCF.

[96]      Or, la définition « d’office fédéral » se veut large de façon à y inclure tous les institutions et organismes fédéraux non exclus par l’article 28 de la LCF (voir Howarth c. Commission Nationale des Libérations Conditionnelles, [1976] 1 R.C.S. 453, aux pages 471–472; TeleZone, aux paragraphes 3 et 50). Comme le rappelle à juste titre le juge Mosley dans la décision Douglas, pour être visé par la définition d’« office fédéral », un organisme n’a qu’à exercer ou à être censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale (Douglas, au paragraphe 80). De plus, la Cour d’appel fédérale a établi un cadre d’analyse à deux étapes pour établir si un organisme est un office fédéral pour les fins de la LCF (Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52 (Anisman), aux paragraphes 29–31). Au dire du juge Nadon, il est d’abord nécessaire de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer, pour ensuite en déterminer la source, ce dernier étant le facteur déterminant pour savoir si l’organisme fait partie de la définition (Anisman, aux paragraphes 29–30).

[97]      En l’espèce, selon une application du test établi dans l’arrêt Anisman, le pouvoir que le CCM exerce sur la conduite des juges et de certains fonctionnaires nommés à titre inamovible est de nature inquisitoire; c’est un pouvoir d’enquête. Et la source de ce pouvoir d’enquête se retrouve aux alinéas 60(2)c) et d), et aux paragraphes 63(1) et 63(4) de la LJ, une loi adoptée par le Parlement. Notons aussi que ce pouvoir est détenu par le CCM, un organisme créé par le paragraphe 59(1) de cette même loi fédérale. Or, le CCM prétend que le fait qu’il ne soit pas expressément mentionné à l’article 2 de la LCF démontre qu’il en est exclu. Mais, cet argument ne tient pas compte de l’interaction entre les articles 2, 18 et 28 de la LCF. L’article 28 énumère les institutions assujetties à la compétence de la Cour d’appel fédérale, tandis que l’article 18 inclut toutes les autres institutions, sauf celles exceptionnellement mentionnées à l’article 2. Le juge Mosley l’a d’ailleurs fermement affirmé  : « [i]l ne fait aucun doute que le Conseil et ses comités d’enquête sont la création d’une loi fédérale, la Loi sur les juges, et que c’est de cette loi fédérale qu’ils tirent leur compétence » (je souligne) (Douglas, au paragraphe 82). Il serait difficile sinon impossible d’en tirer une autre conclusion. La LJ est claire à ce sujet.

[98]      Le CCM prétend qu’il est impossible qu’un simple juge de la Cour fédérale puisse réviser des rapports et des recommandations du CCM, celui-ci étant formé des juges en chef. Avec égard aux honorables juges en chef, ainsi le veut le législateur. Nul n’est au-dessus de la loi et de l’erreur, et, sauf exception de la Cour suprême, il n’y a pas d’institution judiciaire ou quasi judiciaire qui a le mot final sans appel et sans la possibilité d’autre recours.

[99]      D’ailleurs, il arrive que des juges de juridictions supérieures voient leurs décisions assujetties à une demande de contrôle judiciaire. Ce fut le cas du juge Létourneau, ancien juge de la Cour d’appel fédérale, qui a vu certains des propos qu’il a tenus dans le cadre de son rôle comme commissaire de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire par un juge de la Cour fédérale en première instance (voir Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d'enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 1 C.F. 911 (1re inst.), inf. par [1997] 2 C.F. 527 (C.A.)). L’ancien juge de la Cour d’appel fédéral a donc vu un juge de la Cour fédérale réviser et décider de ses propos.

[100]   Même s’il est possible pour un juge de la Cour fédérale d’entreprendre un contrôle judiciaire de décisions prises par le CCM, présidé par le juge en chef du Canada, il est néanmoins important de se rappeler que lors d’un tel examen, la Cour fédérale doit accorder au décideur une déférence selon la situation en jeu. Le juge Blanchard dans l’affaire Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C.F. 91 (Taylor), conf. par 2003 CAF 55, [2003] 3 C.F. 3, constatait que les rapports du CCM font appel à une déférence tenant compte de ses particularités lors de contrôle judiciaire [au paragraphe 24] :

     La Loi sur les juges ne renferme pas une clause privative intégrale et ne traite pas directement de la norme de contrôle à appliquer, mais le fait que la Loi ne prévoit aucune procédure d’appel étaye l’argument selon lequel le législateur voulait que la décision en question, c’est-à-dire la décision de « faire une recommandation » au sujet de la révocation d’un juge, relève exclusivement et d’une façon définitive du Conseil. Les articles 63 et 65 […] de la Loi énoncent le cadre du mandat qui est conféré au Conseil lorsqu’il s’agit de mener des enquêtes et de faire des recommandations au ministre. L’article 71 de la Loi préserve le pouvoir du législateur de prendre une décision au sujet de la révocation d’un juge. Cette restriction apportée aux pouvoirs conférés au Conseil par la Loi sur les juges est nécessairement conforme à la reconnaissance et à l’enchâssement dans la Constitution de l’indépendance judiciaire telle qu’elle est prévue à l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 […] Les régimes constitutionnels et légaux sont organisés de façon à reconnaître l’importance fondamentale de l’indépendance du pouvoir judiciaire en tant que partie intégrante d’un système social libre et démocratique. [Je souligne.]

[101]   Le juge siégeant lors d’une demande de contrôle judiciaire se doit d’accorder au CCM et à ses membres une déférence appropriée étant donné ses particularités. De cette manière, la Cour fédérale a à de nombreuses reprises eu à trancher de nombreux litiges entre le CCM, ses composantes et les juges enquêtés : Taylor; Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769 (1re inst.) (Gratton); Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2005 CF 1454, [2006] 1 R.C.F. 327, inf. par 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714; Cosgrove c. Canada (Procureur général), 2008 CF 941; Akladyous c. Conseil canadien de la magistrature, 2008 CF 50; Slansky c. Canada (Procureur général), 2011 CF 1467, [2013] 3 R.C.F. 558, conf. par 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81.

[102]   La plus récente prise de position du CCM à laquelle la Cour est actuellement confrontée ― en très grande partie la même que celle dont elle était aux prises dans la décision Douglas ― ne fut pas toujours partagée par les divers CE du CCM. Comme l’a rappelé récemment le juge Mosley, dans l’affaire Gratton en 1994, le CE a conclu qu’il n’était pas un tribunal et que les dispositions de l’article 63 de la LJ n’avaient pas comme conséquence de transformer le CCM ou son CE en une juridiction supérieure (Douglas, au paragraphe 116; Décision du Comité d’enquête en vertu des paragraphes 63(2) et 63(3) de la Loi sur les juges relativement à M. le juge F.L. Gratton de la Cour de l’Ontario (Division générale) (Février 1994), Ottawa : CCM (Gratton CCM) aux pages 22–42). Je laisse les mots du CE à la page 23 de la décision Gratton CCM parler pour eux-mêmes :

     Nous ne pouvons convenir que le paragraphe 63(4) de la Loi sur les juges constitue en cour supérieure notre comité d’enquête. S’il peut être « réputé » constituer une juridiction supérieure […] le comité d’enquête ne réunit toutefois pas les caractéristiques essentielles d’une cour supérieure. Le Parlement n’a pas affirmé qu’un comité d’enquête est un tribunal. L’utilisation du mot « réputé » donne à entendre qu’il a eu recours à une fiction légale pour investir le comité de certains pouvoirs ou caractéristiques. Celui-ci ne s’en trouve pas transformé en une juridiction supérieure.

     Si le Parlement avait eu l’intention d’accorder au comité d’enquête le statut de juridiction supérieure, il n’en aurait pas énuméré les pouvoirs (citer des témoins, les obliger à témoigner sous la foi du serment ou de l’affirmation solennelle à produire des documents, les contraindre à comparaître) car une juridiction supérieure les possède tous.

     Le comité d’enquête ne se prononce pas sur un litige entre des parties, ni ne rend de décision exécutoires en droit; il tient simplement une enquête. Il ne possède pas la compétence d’une juridiction supérieure, et il est autorisé à se pencher uniquement sur la question dont il est saisi. Dans toutes les situations, il n’est pas une juridiction supérieure. […] [Je souligne.]

[103]   Il en fut de même dans l’affaire Flahiff, où le CE s’est déclaré d’accord avec les propos du CE dans l’affaire Gratton, tout en précisant que l’article 63 ne faisait qu’accorder au CCM ou au CE les pouvoirs nécessaires pour enquêter (voir Douglas, aux paragraphes 116–118; Décision du Comité d’enquête constitué par le Conseil canadien de la magistrature pour mener une enquête publique relativement à M. le juge Robert Flahiff (9 avril 1999), Montréal : CCM, à la page 9)).

[104]   Avant de procéder au dernier volet, nous constatons à nouveau que, sur la base du survol législatif, de la composition du CCM et des critères jurisprudentiels de la définition d’office fédéral, le CCM et le CE sont bel et bien des offices fédéraux selon la définition de la LCF.

(4)   Le CCM a-t-il une source de pouvoir constitutionnel codifiée par une loi fédérale ?

[105]   Je ne suis pas d’accord avec les thèses du CCM voulant que la LJ soit la codification d’un pouvoir constitutionnel établissant l’organe judiciaire en conformité avec le principe de la séparation des pouvoirs. Or, selon l’argument du CCM, le principe de l’indépendance judiciaire, lui-même ancré dans la Constitution, aurait l’effet d’écarter la possibilité de contrôle judiciaire par d’autres membres de l’organe judiciaire, soit la Cour fédérale. Bien au contraire, je suis d’avis que la possibilité de révision par un juge ne peut qu’accroître l’indépendance judiciaire, puisque l’ingérence des autres branches du gouvernement serait en fait contrecarrée. C’est le pouvoir judiciaire et non l’exécutif qui assume pleinement le rôle en matière de contrôle judiciaire. Il en sera ainsi lorsque la question du bris à l’équité procédurale soulevée par les trois juges en chef dissidents dans le dernier rapport du CCM sera étudiée lors de l’audition des contrôles judiciaires.

[106]   Il en vaut la peine d’éclairer la toile de fond. Avant le 18e siècle, les monarques anglais pouvaient nommer les juges durante bene placito regis, « selon le bon plaisir du Roi », puisque le Roi pouvait révoquer un juge à sa guise, sans encombrement (voir Canada, Modèles d’administration des tribunaux judiciaires, Ottawa, Conseil canadien de la magistrature, 2006, à la page 33). Afin d’entre autres retirer ce vaste pouvoir de la Couronne, le Parlement du Royaume-Uni, connu avant l’an 1707 comme le Parlement d’Angleterre, a aboli la nomination des juges à titre amovible par l’Act of Settlement, 1700 (R.-U.), 12 & 13 Will III, ch. 2 (Loi d’Établissement) (voir aussi Ell c. Alberta, 2003 CSC 35, [2003] 1 R.C.S. 857, au paragraphe 19). Depuis la Loi d’Établissement, les juges ne peuvent être révoqués que sur une adresse des deux chambres du Parlement et seulement s’ils n’exercent pas leur charge selon le principe quamdiu se bene gesserint, expression latine signifiant « tant qu’il se conduira correctement ». Donc, le principe de l’inamovibilité des juges est un précepte fondamental de leur indépendance et de leur responsabilité en tant que magistrat (voir Michael Birks, Gentlemen of the Law, Londres, Stevens & Sons, 1960, à la page 5; Loi d’Établissement, article III, paragraphe 7; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673, aux paragraphes 29–32 [pages 695–699]). Ainsi, l’article 99 de LC 1867 constitutionnalise le principe de l’inamovibilité des juges tel qu’énoncé dans la Loi d’Établissement. Comme se lit l’article 99 de la LC 1867 : « les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais ils pourront être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes ».

[107]   Il importe de souligner ici : nul ne conteste que le concept de l’indépendance judiciaire puise sa source dans la Constitution. Dans le Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale et de l’Ïle-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 83, la Cour suprême est sans équivoque quant aux sources de ce principe :

[…] Malgré la présence de l’al. 11d) de la Charte et des art. 96 à 100 de la Loi constitutionnelle de 1867, je suis d’avis que l’indépendance de la magistrature est à l’origine un principe constitutionnel non écrit, en ce sens qu’il est extérieur aux articles particuliers des Lois constitutionnelles. L’existence de ce principe, dont les origines remontent à l’Act of Settlement de 1701, est reconnue et confirmée par le préambule de la Loi constitutionnelle de 1867. Les dispositions précises des Lois constitutionnelles de 1867 à 1982 ne font [traduction] « qu’établir ce principe dans l’appareil institutionnel qu’elles créent ou envisagent » : Switzman c. Elbling, [1957] R.C.S. 285, à la p. 306, le juge Rand. [Souligné dans l’original.]

[108]   De plus, les principes non écrits comme celui de l’indépendance judiciaire peuvent, dans certaines situations, donner lieu à des obligations juridiques de fond qui ont « plein effet juridique ». Par exemple, ils pourraient être utilisés par un tribunal compétent pour annuler un texte de loi. Comme l’explique la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217 (Renvoi relatif à la sécession), au paragraphe 54 :

     Des principes constitutionnels sous-jacents peuvent, dans certaines circonstances, donner lieu à des obligations juridiques substantielles (ils ont « plein effet juridique » selon les termes du Renvoi relatif au rapatriement, précité, à la p. 845) qui posent des limites substantielles à l’action gouvernementale. Ces principes peuvent donner naissance à des obligations très abstraites et générales, ou à des obligations plus spécifiques et précises. Les principes ne sont pas simplement descriptifs; ils sont aussi investis d’une force normative puissante et lient à la fois les tribunaux et les gouvernements. « En d’autres termes », comme l’affirme notre Cour dans le Renvoi relatif aux droits linguistiques au Manitoba, « dans les décisions constitutionnelles, la Cour peut tenir compte des postulats non écrits qui constituent le fondement même de la Constitution du Canada » (p. 752).

[109]   Dans le cas peu probable où le Parlement adopterait des dispositions qui rendraient les enquêtes sur les juges partiales, injustes ou biaisées, il serait possible que ces principes constitutionnels importants soient invoqués afin d’invalider les dispositions visées. Demeure que la question devant cette Cour n’est pas de savoir si le mécanisme mis en place par le Parlement pour enquêter sur la déontologie judiciaire viole le principe fondamental de l’indépendance judiciaire. C’est plutôt de savoir si la révision judiciaire pourrait enfreindre l’indépendance des juges siégeant au CCM.

[110]   La thèse du CCM disant ainsi ne tient pas la route. Quoique l’indépendance judiciaire est décrite comme « la pierre d’assise de l’obligation d’équité procédurale reconnue par la common law » (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, [2007] 1 R.C.S. 350, au paragraphe 32; Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), 2004 CSC 42, [2004] 2 R.C.S. 248, au paragraphe 81; R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, à la page 139), le recours au contrôle judiciaire par le juge enquêté n’est pas incompatible avec le principe de l’indépendance judiciaire. Je ne peux imaginer une situation dans laquelle une demande de contrôle judiciaire présentée par un juge risquant une révocation pourrait enfreindre l’indépendance judiciaire. Le recours au contrôle judiciaire devant une cour de justice indépendante pour faire réviser une recommandation de révocation ne peut qu’augmenter l’indépendance judiciaire, car la cour de révision pourrait s’assurer que la recommandation de révocation n’est pas entachée de vice et est prise selon les normes de la justice naturelle et de l’équité procédurale. Comme nous le verrons dans les parties subséquentes, le ministre Turner a dit qu’il souhaitait s’assurer de la séparation permanente des pouvoirs entre l’exécutif et la magistrature lorsque fut discuté le projet de la LJ créant le CCM. En assujettissant le rapport et recommandation du CCM au contrôle judiciaire de la Cour fédérale, nous n’affectons pas la séparation permanente des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire, mais nous gardons l’enjeu carrément dans le champ des juges.

[111]   Tenant compte de l’analyse des quatre volets de cette section, le CCM et le CE sont des offices fédéraux qui sont assujettis à la l’article 18 de la LCF.

B.    Les alinéas 63(4)a) et b) de la LJ accordent-ils au CCM et au CE le statut de cour supérieure et en conséquence rendent-ils inapplicable à ces organismes le recours en demande de contrôle judiciaire ?

[112]   Dans cette partie, je porterai une attention toute particulière à l’article 63 la LJ en me référant aux débats parlementaires de juin 1971 entourant son adoption, mais aussi en étudiant son libellé. Ceci nous permettra de cerner la portée de cet article et de savoir si le CCM a raison de se prétendre une cour de juridiction supérieure.

[113]   Avant tout, rappelons que le CCM prétend que les juges chargés d’une enquête sur la conduite d’un juge exercent une compétence judiciaire. Toujours selon le CCM, ses décisions sont réputées être celles d’une cour supérieure et ne peuvent être contestées que s’il existe un droit d’appel, car il serait impossible de déterminer laquelle des deux décisions contradictoires (en l’espèce, la décision de la CCM et une décision contradictoire de la Cour fédérale) prendrait préséance sur l’autre, ayant toutes deux été rendues par des cours supérieures avec statuts égaux.

1)    Le pouvoir judiciaire et la juridiction supérieure

[114]   Avant de procéder à l’analyse de l’argument ci-haut, je note un principe général à savoir que le législateur ne peut pas complètement soustraire un tribunal au pouvoir de surveillance des cours supérieures; effectivement, cela « reviendrait à tenter de faire du tribunal en cause une cour supérieure » (Pasiechnyk c. Saskatchewan (Workers’ Compensation Board), [1997] 2 R.C.S. 890, au paragraphe 16; Crevier c. Procureur général du Québec et autres, [1981] 2 R.C.S. 220).

[115]   La question qui se pose est alors la suivante : le CCM est-il un véritable tribunal supérieur ou s’agit-il d’une instance inférieure ayant certains pouvoirs d’une cour supérieure pour des fins d’enquête ? Encore une fois, j’attire l’attention au fait que la LJ énumère dans sa première partie les cours constituées par une loi fédérale aux termes de l’article 101 de la LC 1867 ainsi que les cours d’appel et supérieures de chaque province et territoire canadien en vertu de l’article 96 de la LC 1867. J’ajoute également ici que tous les tribunaux mentionnés à la LJ sont reconnus comme ayant le statut de juridiction supérieure (voir par exemple la LCCI, article 3; LCF, articles 3, 4). De plus, la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 définit les termes « juridiction supérieure » et « cour supérieure » à l’article 35(1) comme suit :

Définitions d’application générale

35 (1) […]

juridiction supérieure ou cour supérieure  Outre la Cour suprême du Canada, la Cour d’appel fédérale, la Cour fédérale et la Cour canadienne de l’impôt :

a) la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador;

a.1) la Cour d’appel de l’Ontario et la Cour supérieure de justice de l’Ontario;

b) la Cour d’appel et la Cour supérieure du Québec;

c) la Cour d’appel et la Cour du Banc de la Reine du Nouveau-Brunswick, du Manitoba, de la Saskatchewan ou de l’Alberta;

d) la Cour d’appel et la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse, de la Colombie-Britannique et de l’Île-du-Prince-Édouard;

e) la Cour suprême du Yukon, la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest ou la Cour de justice du Nunavut. (superior court)

[116]   Une absence se veut évidente en l’espèce. Nulle part ne trouve-t-on une mention du CCM à titre de juridiction ou de cour supérieure.

[117]   Or, puisque les énumérations ci-dessus ne se veulent pas nécessairement exhaustives, faisons état des attributs et des qualités rattachés à une cour supérieure. D’abord, une cour supérieure constituée en vertu de l’article 96 de la LC 1867 est « l’assise fondamentale du système judiciaire canadien » (Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39, [2001] 2 R.C.S. 207 (Noël), au paragraphe 27); ses pouvoirs ne peuvent être enlevés dans leur totalité ni transférés à un autre organisme. Comme l’a expliqué la Cour suprême dans l’arrêt MacMillan Bloedel Ltd. c. Simpson, [1995] 4 R.C.S. 725 (MacMillan Bloedel), aucune des cours créées par une loi en vertu de l’article 101 de la LC 1867 « ne possède la même compétence fondamentale que la cour supérieure et, en conséquence, aucune d’elles n’est aussi importante pour le maintien de la primauté du droit » (MacMillan Bloedel, aux paragraphes 29 et 37). Aussi, les cours supérieures possèdent une très large compétence de surveillance sur les tribunaux inférieurs afin d’assurer la primauté du droit et la légalité des décisions prises par l’État (Highwood Congregation of Jehovah’s Witnesses (Judicial Committee) c. Wall, 2018 CSC 26, [2018] 1 R.C.S. 750, au paragraphe 13). Finalement, ces dernières détiennent la juridiction résiduelle de droit commun. Sous la plume du juge Bastarache, la Cour suprême a statué ainsi à ce sujet :

     À mon avis, la théorie de la compétence inhérente a pour effet de garantir que, une fois analysées les diverses attributions législatives de compétence, il y aura toujours un tribunal habilité à statuer sur un droit, indépendamment de toute attribution législative de compétence. Le tribunal qui jouit de cette compétence inhérente est la juridiction de droit commun, c’est-à-dire la cour supérieure de la province. Cette théorie n’a pas pour effet de limiter restrictivement une attribution législative de compétence; de fait, elle ne prévoit rien quant à la façon dont une telle attribution doit être interprétée. Comme l’a souligné le juge McLachlin dans l’arrêt Fraternité, précité, au par. 7, il s’agit d’une « compétence résiduelle ». Dans un système fédéral, la théorie de la compétence inhérente ne justifie pas d’interpréter restrictivement les lois fédérales conférant compétence à la Cour fédérale.

(Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626, au paragraphe 35, je souligne.)

[118]   À l’égard de la compétence inhérente que détiennent les cours supérieures, la Cour suprême nous enseigne davantage dans l’arrêt MacMillan Bloedel au paragraphe 30 (citant I. H. Jacob, « The Inherent Jurisdiction of the Court » (1970) 23 :1 Current Legal Problems 23, à la page 25), en précisant que les cours supérieures exercent ce pouvoir « [traduction] […] en punissant pour outrage au tribunal et à sa procédure, et en réglementant la pratique de la cour » et en empêchant que l’on abuse de sa procédure. Notamment, parmi ses pouvoirs se trouve celui de mettre à exécution ses ordonnances par le pouvoir d’outrage au tribunal. De tels pouvoirs sont intrinsèques à l’existence même d’une cour supérieure; autrement, elle ne pourrait se réaliser en tant que cour de justice. Cela étant, le pouvoir de punir pour outrage peut être exercé par un tribunal inférieur. Toutefois, ce pouvoir doit lui être conféré explicitement (MacMillan Bloedel, au paragraphe 31). De manière importante, le pouvoir du contrôle judiciaire des tribunaux inférieurs et des organismes administratifs figure parmi ceux considérés essentiels (Noël, au paragraphe 27; MacMillan Bloedel, au paragraphe 34).

[119]   Ayant établi en quoi consiste une juridiction supérieure et les pouvoirs enchâssés qui lui sont dévolus, la question demeure : comment qualifier le pouvoir judiciaire plus généralement ? La Cour suprême nous offre une réponse à cela aussi. Dans le Renvoi sur la Loi de 1979 sur la location résidentielle, [1981] 1 R.C.S. 714 (Renvoi sur la Loi de 1979), le juge Dickson, alors juge puîné, écrit que « la marque d’un pouvoir judiciaire est l’existence d’un litige entre des parties dans lequel un tribunal est appelé à appliquer un ensemble reconnu de règles d’une manière conforme à l’équité et à l’impartialité » (Renvoi sur la Loi de 1979, à la page 743). Ainsi, pour le juge Dickson, la décision émanant de l’organe judiciaire qui tranche le litige « porte d’abord sur les droits des parties au litige plutôt que sur l’examen du bien-être de la collectivité » (Renvoi sur la Loi de 1979, à la page 743). Dit autrement, une cour est un endroit où l’on administre la justice. Plus particulièrement, c’est où un juge ou un quorum de juges impartial fait une détermination judiciaire sur une question qui lui est présentée. Habituellement, une cour décide d’un litige existant entre deux parties; elle reçoit la preuve testimoniale et documentaire présentée par celles-ci. Occupant des rôles contradictoires, les parties peuvent tester la preuve soumise et contre-interroger au besoin les témoins de la partie adverse. De plus, le juge agit comme maître impartial de l’audience en offrant aux parties l’équité requise pour assumer une procédure juste et équitable. Par la suite, il tranchera les objections soumises et entendra les représentations des parties pour ensuite prendre en délibéré la cause. Finalement, il rendra des motifs décidant du litige et signera un jugement. Une cour d’appel pourrait être subséquemment saisie du jugement rendu, recevrait les représentations écrites de chacune des parties et entendrait les parties pour finalement faire les déterminations nécessaires dans les circonstances.

[120]   Ce système de procédure contradictoire est hérité des cours britanniques, où le juge joue le rôle d’arbitre impartial, voire parfois passif, entre le demandeur et le défendeur. Le juge de la common law anglo-canadienne existe en opposition au magistrat du système de procédure inquisitoire propre aux juridictions civilistes, où le juge joue un rôle actif d’enquêteur indépendant des faits. À cet égard, la juge en chef McLachlin a déjà fait valoir un contraste marquant entre le rôle de l’enquêteur et celui du décideur qui préside un processus contradictoire dans notre système judiciaire. Elle écrit dans l’arrêt Charkaoui [aux paragraphes 43 et 50] :

[…] on craint que le juge soit perçu davantage comme un enquêteur que comme un arbitre indépendant et impartial. Il est clair en droit qu’il serait contraire aux principes de justice fondamentale que le juge exerce une fonction purement exécutive, qui se limite à une enquête. Par contre, le simple fait qu’un juge soit appelé à participer à une activité d’enquête ne le prive pas de l’indépendance requise.

[…]

     Il existe deux types de systèmes de justice, qui garantissent de deux manières différentes que le juge dispose d’une preuve complète. Dans un système de type inquisitoire, comme on en retrouve notamment sur le continent européen, le juge dirige la collecte des éléments de preuve de façon impartiale et indépendante. Par contraste, un système contradictoire, qui constitue la norme au Canada, compte sur les parties — qui ont le droit de connaître les allégations formulées contre elles et de participer pleinement à une procédure publique — pour qu’elles produisent les éléments de preuve pertinents. Sous le régime de la LIPR, le juge désigné n’est pas investi de tous les pouvoirs indépendants de colliger les éléments de preuve que lui conférerait le processus inquisitoire. Par contre, la personne désignée ne bénéficie ni de la divulgation de la preuve ni du droit de participer à la procédure qui caractérise le processus contradictoire. En conséquence, on craint que le juge désigné, en dépit des efforts qu’il déploie pour obtenir toute la preuve pertinente, puisse être obligé — peut-être sans le savoir — de rendre la décision requise sur le fondement d’une partie seulement de la preuve pertinente. Comme l’a noté le juge Hugessen, le système contradictoire [traduction] « garantit réellement que l’issue de notre travail sera équitable et juste » (p. 385); sans lui, le juge pourrait avoir « un peu le sentiment d’être une feuille de vigne » (Actes de la conférence de mars 2002, p. 386).

[121]   Encore, la question se pose à ce stade : en quoi le pouvoir d’enquêter sur la conduite d’un juge, comme le font le CCM et le CE, peut-il s’apparenter aux pouvoirs d’une cour supérieure, voire à ceux du pouvoir judiciaire plus largement ? Gardant les propos de la juge en chef McLachlin dans l’arrêt Charkaoui à l’esprit, rappelons que, d’après le Rapport du CCM, le processus d’examen de la conduite des juges du CCM est de nature inquisitoire et ce dernier possède des pouvoirs semblables à ceux d’une commission d’enquête en vertu de la LE. Ces commissions sont chargées de rechercher la vérité en examinant et en testant sérieusement les éléments de preuve pertinents à son mandat. Force est de conclure en l’espèce que, selon les propres dires du CCM dans son étude de 2014, le CCM et le CE ne jouissent que d’une compétence législative leur permettant d’enquêter sur la conduite d’un juge lors d’un processus que l’on saurait qualifier d’inquisitoire, le juge enquêté ayant l’opportunité de se défendre en ripostant par représentations écrites à deux reprises, soit : 1) lors de l’examen de la plainte par le CE (Règlement, paragraphe 5(2)); et 2) après la réception par le CCM du rapport du CE avant la délibération (Règlement, paragraphe 9(1)).

[122]   Sous peine de me répéter, il est alors impossible de confondre la fonction d’enquêteur du CCM à celle d’une cour supérieure. Certes, l’expérience des membres du CCM, pour la plupart des juges en chef, est un critère nécessaire pouvant contribuer à leur expertise en matière de déontologie judiciaire, mais cela ne fait pas du CCM une cour supérieure. Plusieurs autres faits m’amènent à la même conclusion. D’abord, le fait que la ministre puisse par voie d’ordre en vertu du paragraphe 63(6) de la LJ obliger le CE à tenir une audition publique plutôt qu’à huis clos indique que le CE n’est pas maître de ses propres procédures, mais est subordonné aux ordres de la ministre à ce sujet. Un tel scénario serait inconcevable pour une cour supérieure. En outre, on ne retrouve pas dans la législation de dispositif d’appel ou encore de clause privative. Or, sachant que la LCF prévoyait un recours en demande de contrôle judiciaire, on doit présumer que le législateur savait que ce recours existait. De surcroît, l’observation que la recommandation du CCM n’est pas en soi une ordonnance ou une décision ― malgré de potentiellement lourdes conséquences pour le juge enquêté ― est saillante; est d’autant plus déterminante l’observation voulant que le CCM ne soit pas en mesure de la faire reconnaître ou exécuter.

[123]   Le CCM et son CE se veulent comparables à une cour supérieure, mais ils n’ont pourtant aucune des fonctions d’une cour supérieure. En conclusion, on ne peut comparer la juridiction d’enquête du CCM et du CE à la juridiction et aux fonctions d’une cour supérieure. Ce sont des institutions qui assument des rôles différents. Comme nous le verrons plus bas, il est difficile de penser qu’en 1971, le législateur aurait voulu institutionnaliser le CCM et le CE comme cour supérieure en ajoutant à la LJ la référence à la juridiction supérieure.

[124]   Passons alors à une analyse plus littérale de l’article en question.

2)    Analyse des articles traitant « des enquêtes sur les juges » dans la LJ

[125]   Dans cette partie, je mettrai d’abord en plan quelques principes d’interprétation juridique pour ensuite procéder à un survol de l’historique législatif des dispositions et des indices que l’on peut repérer eu égard à l’intention du législateur. Une fois cette toile de fond dessinée, j’entreprendrai une analyse littérale des dispositions en jeu. Enfin, je m’attaquerai à la question auxiliaire à savoir si le pouvoir d’enquête sur les juges inclut un mécanisme d’appel interne des rapports du CE qui pourrait s’apparenter à un appel de novo.

a)    Principes d’interprétation

[126]   D’entrée de jeu, établissons quelques principes d’interprétation juridique qui guideront notre analyse des dispositions en cause. Dans son ouvrage, Sullivan on the Construction of Statutes, la professeure Sullivan expose la méthode classique d’interprétation en trois volets : 1) l’analyse fondée sur le sens ordinaire, qui utilise le texte de la loi comme source principale; 2) l’analyse fondée sur le contexte tel qu’elle avait initialement été décrite par Elmer A. Driedger et telle que précisée par la Cour suprême dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21 (voir aussi Colombie-Britannique c. Philip Morris International, Inc., 2018 CSC 36, [2018] 2 R.C.S. 595, au paragraphe 17); et 3) l’analyse téléologique qui prend en compte l’idée pratique derrière l’adoption de l’article dont il est question, de la loi dans son ensemble ainsi que les effets réels d’une pareille interprétation par la cour (Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd, Markham (Ont.) : LexisNexis, 2014, au paragraphe 2.1).

[127]   Parallèlement, aux paragraphes 68 à 71 de l’arrêt X (Re), 2014 CAF 249, [2015] 1 R.C.F. 684, la Cour d’appel fédérale résume la manière dont une loi devrait être interprétée :

     La méthode privilégiée en ce qui a trait à l’interprétation des lois a été ainsi définie par la Cour suprême du Canada (voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Voir aussi R. c. Ulybel Enterprises Ltd., 2001 CSC 56, [2001] 2 R.C.S. 867, au paragraphe 29) :

          [traduction] Aujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution  : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

     La Cour suprême a réaffirmé ce principe par l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 :

          Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur »  : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative au sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux.

     Cet enseignement quant à la bonne méthode à retenir en matière d’interprétation des lois a été rappelé par les arrêts Celgene Corp. c. Canada (procureur général), 2011 CSC 1, [2011] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 21, et Canada (Commissaire à l’information) c. Canada (Ministre de la Défense nationale), 2011 CSC 25, [2011] 2 R.C.S. 306, au paragraphe 27.

     L’approche contextuelle de l’interprétation des lois est fondée sur l’idée que le sens grammatical et ordinaire d’une disposition n’est pas déterminant quant à son sens. Il faut tenir compte du contexte global de la disposition à interpréter, « même si, à première vue, le sens de son libellé peut paraître évident » (ATCO Gas and Pipelines Ltd. c. Alberta (Energy and Utilities Board), 2006 CSC 4, [2006] 1 R.C.S. 140, au paragraphe 48). C’est à partir du libellé et du contexte global que le juge appelé à interpréter le texte recherche l’intention du législateur, qui est « [l]’élément le plus important de cette analyse » (R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 26).

[128]   Or, comme l’ont exprimé la Cour d’appel fédérale, la professeure Sullivan et le professeur Pierre-André Côté dans son ouvrage Interprétation des lois, l’analyse fondée sur le sens ordinaire ― à elle seule ― ne suffit plus. Côté et Sullivan s’entendent plutôt pour dire que le contexte est primordial et que l’interprétation est légitime même si le sens ordinaire semble clair. Le professeur Côté affirme que :

     969. […] il convient toutefois de marquer mon profond désaccord avec l’idée que l’interprétation n’est légitime ou opportune qu’en présence d’une obscurité textuelle.

     970. Cette idée repose sur une fausse assimilation du sens de la règle de droit au sens littéral de l’énoncé législatif. La tâche de l’interprète ne consiste pas, à mon avis, à établir le sens des textes : c’est le sens des règles qui l’intéresse, le sens du texte constituant tout au plus le point de départ d’une démarche qui implique toujours la prise en compte d’éléments étrangers au texte. Le sens obvie du texte doit être confronté aux indications fournies par les autres facteurs pertinents à l’interprétation. L’interprète compétent se demandera si la règle construite à partir de ce sens se concilie avec les autres règles et principes du système juridique; si ce sens est de nature à promouvoir les objectifs de la loi et de la disposition interprétée; si ce sens est cohérent avec l’histoire du texte; si les conséquences auxquelles conduit la règle construite à partir du seul sens littéral ne justifient pas d’envisager une autre interprétation, et ainsi de suite.

(Pierre-André Côté, Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2009, à la page 291 [note en bas de page omise].)

[129]   Sont ainsi les principes directeurs d’une interprétation juridique. Regardons alors l’historique législatif afin de déceler les indices pouvant éclairer l’intention du législateur.

b)    Historique législatif et intention du législateur

[130]   La version actuelle de la LJ a son origine dans le projet de loi C-243 présenté par le ministre Turner en première lecture le 28 avril 1971 [Loi modifiant la Loi sur les juges et la Loi sur l’administration financière, 28e lég., 3e sess., 1971]. Le projet de loi C-243 contenait entre autres des dispositions concernant les salaires, les pensions des juges et la création du poste de juge surnuméraire. Notamment, il proposait la création du tout nouveau CCM.

[131]   Le contexte historique et politique de la LJ est intéressant pour l’interprétation de la disposition déterminative. À cette époque, le Parlement venait de passer la Loi sur la Cour fédérale en 1970 et elle fut mise en vigueur le 12 juin 1971. Le 26 avril 1971, le premier ministre Pierre E. Trudeau a annoncé que le gouvernement allait soumettre des modifications à la LJ pour « relever sensiblement les traitements du corps judiciaire » dans le but, entre autres, « de faciliter l’accès de la magistrature à de jeunes candidats qui peuvent avoir des familles à leur charge » (Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess, vol. 5 (26 avril 1971), à la page 5211 (Pierre E. Trudeau)). Le 3 mai 1971, en réponse à une question au ministre de la Justice soulevant une préoccupation quant à l’indépendance des juges et la possibilité qu’un juge puisse être démis de ses fonctions sur « suggestion » du CCM, le ministre Turner a précisé que « la raison d’être du Conseil canadien de la magistrature c’est d’assurer comme il convient la séparation permanente des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire » (Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess., vol. 5 (3 mai 1971), à la page 5433 (John Turner)).

[132]   Le projet de loi C-243 est venu changer la donne. En 1886, la responsabilité concernant la conduite des juges de comté fut confiée par législation à un ou plusieurs juges de la Cour suprême, ou à un ou plusieurs juges d’une cour supérieure dans toute province du Canada. On les appelait « commissaire », et ils avaient les mêmes pouvoirs de citer et contraindre à comparaître que toute cour supérieure de la province où l’enquête avait lieu. Ces pouvoirs s’apparentent à ceux aux alinéas 63(4)a) et b) de la LJ actuellement en vigueur. Or, avant les amendements apportés par le projet de loi C-243, on utilisait la LE pour faire enquête sur les juges de cour supérieure.

[133]   L’enquête sur la conduite de l’honorable Leo Landreville, juge à l’époque de la Cour suprême de l’Ontario, en est un bel exemple. C’est d’ailleurs l’affaire Landreville qui a en partie déclenché les modifications à la nouvelle loi. En 1966, le gouverneur en conseil avait nommé, selon la Loi sur les enquêtes, S.R.C. 1952, ch. 154, le juge Ivan Rand, ancien juge de la Cour suprême, pour enquêter sur les transactions douteuses de valeurs mobilières du juge Landreville. Le juge Rand a recommandé dans son rapport la révocation du juge Landreville. Toutefois, le rapport fut contesté et des procédures judiciaires sur la base de violation à l’équité procédurale furent entreprises (voir William Kaplan, Bad Judgment : The Case of Mr. Justice Leo A. Landreville, Toronto : University of Toronto Press, 1996; Landreville c. La Reine, [1977] 2 C.F. 726 (1re inst.); Landreville c. La Reine, [1981] 1 C.F. 15 (1re inst.)). En juin 1967, le premier ministre Lester B. Pearson a présenté aux deux chambres une adresse demandant la révocation du juge Landreville, mais ce dernier a démissionné avant que les deux chambres puissent se prononcer.

[134]   C’est suite à l’expérience du dossier d’enquête du juge Landreville et aux procédures judiciaires qui en suivirent que le ministre Turner et le cabinet ont décidé de repenser la procédure d’enquête sur la conduite des juges. Après consultations auprès de la Conférence des juges en chef (le prédécesseur du CCM) et des dix procureurs généraux des provinces, ainsi que du barreau canadien, le projet de loi C-243 fut soumis à la Chambre des communes en avril 1971 (voir Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess., vol. 5 (3 mai 1971), à la page 5433 (John Turner)).

[135]   Le 14 juin 1971, les débats qui ont eu lieu à la Chambre des communes lors de la deuxième lecture du projet de loi C-243, et en particulier les propos du secrétaire parlementaire du ministre de la Justice, Albert Béchard (qui remplaçait à ce temps le ministre de la Justice accaparé par la Conférence constitutionnelle de Victoria), ainsi que les préoccupations des députés, éclairent beaucoup sur les fondements de la LJ et de son paragraphe 63(4) (Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess., vol. 7 (14 juin 1971), à la page 6665 et suivantes (Albert Béchard, Eldon M. Woolliams, Stanley Knowles, et al)). De façon générale, on peut en tirer ce qui suit :

1)         Le projet avait pour but principal d’augmenter les salaires des juges des cours supérieures de façon à intéresser les meilleurs candidats et candidates;

2)         On se préoccupait aussi d’assurer la sécurité des juges et de leurs familles en modifiant le régime de pensions des juges;

3)         On voulait reconnaître l’expérience judiciaire en créant le poste de juge surnuméraire tout en diminuant la tâche judiciaire;

4)         On proposait la création du CCM dans le but d’officialiser l’existence non officielle de la conférence des 22 juges en chef du pays, et on lui attribuait entre autres la fonction d’assurer la formation des juges et le pouvoir d’enquêter sur la conduite des juges;

5)         On voulait aussi assurer l’indépendance judiciaire en précisant que la conduite des juges et les enquêtes qui en découleront feront partie des pouvoirs du CCM et non de l’exécutif tout en s’assurant que le pouvoir ultime de révocation appartient toujours aux deux chambres;

6)         Dans le but de préserver le pouvoir ultime de révocation, on n’a donné au CCM et au CE que le pouvoir d’enquête résultant dans un rapport et conclusions (recommandation) à être présenté au ministre de la Justice, qui aurait la responsabilité finale avec le cabinet de présenter aux chambres une adresse demandant la révocation, le cas échéant.

[136]   De surcroît, dans son allocution principale (Débats de la Chambre des communes, 28lég., 3e sess., vol. 7 (14 juin 1971), aux pages 6664–6667 (Albert Béchard)), le secrétaire parlementaire s’est référé à « la nouvelle Loi sur la Cour fédérale » et a noté qu’elle était la démonstration de « l’évolution des anciennes institutions » devenue nécessaire « pour garder notre système judiciaire aux pas avec les changements de notre société et le rôle changeant de la loi dans notre société ». Il a précisé que le CCM était désormais créé comme le « forum national » pour les juges dans le but « [d’]uniformiser les services judiciaires et à en améliorer la qualité et l’efficacité ». Le CCM aurait entre autres le pouvoir d’enquêter sur la conduite des juges pour assurer l’indépendance judiciaire et pour que « la magistrature devienne, dans une certaine mesure, un corps assurant sa propre discipline ». Il a ajouté que ni le législatif ni l’exécutif « ne devrait […] normalement intervenir dans l’administration ou le contrôle du pouvoir judiciaire », sauf pour l’implication du Parlement lors de la présentation d’une adresse.

[137]   Les députés appelés à commenter et proposer des amendements étaient unanimes quant à leur appui des objectifs visant à assurer l’indépendance judiciaire et l’importance de confier au CCM le pouvoir d’enquête sur la conduite des juges, et aussi ceux visant à garder entre les mains des deux chambres le pouvoir constitutionnel de révoquer un juge. Toutefois, il est suggéré que des non-juges puissent être appelés à participer aux enquêtes sur la conduite des juges (Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess., vol. 7 (14 juin 1971), à la page 6674 (John Gilbert)). Il est même proposé que le système d’enquête et d’ultimes révocations contiennent un processus d’appel, car il n’existait dans le projet de loi « aucun remède à l’injustice dont pourrait souffrir un juge » (Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess., vol. 7 (14 juin 1971), à la page 6686 (Robert McCleave)).

[138]   Le projet de loi fut transmis au Comité permanent de la justice et des questions juridiques pour considération lors de deux séances les 16 et 22 juin 1971. L’un des amendements duquel le Comité a discuté est celui de l’article 31 du projet de loi C-243 (le paragraphe 63(4) de la présente loi) où on ajoute que le CCM et le CE sont « sensées être des cours supérieures et ont » (en anglais : « shall be deemed to be a superior court and shall have » (voir Chambre des communes, Comité permanent de la Justice et questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, 28e parl, 3e sess (16 juin 1971), à la page 27 :27 (M. Marceau)). L’explication offerte pour cet amendement gouvernemental est communiquée par un fonctionnaire au sein du ministère de la Justice, un dénommé M. McIntosh, suite à une question lancée par un député : l’amendement est-il fait « pour l’enregistrement, est-ce exact? » (en anglais : « That is just for the record. Is that it? »). Auquel M. McIntosh répond, la page 27:27 :

D’accorder aux juges lors d’une audience concernant une enquête en effectuant une investigation, la protection judiciaire normale dont il aurait besoin. To give the judges in the case of hearing of an inquiry or having an investigation the usual judicial protection that they would need.

[139]   Le CCM soumet que l’amendement fait suite à des « inquiétudes » exprimées par des députés voulant que le CCM et le CE devraient être réputés des juridictions supérieures (voir mémoire du CCM, au paragraphe 96). Cependant, ayant lu les débats tant devant la Chambre des communes que devant le Comité permanent de la justice et des questions juridiques, je n’ai pas retracé ces « inquiétudes ». Néanmoins, j’ai pu cibler certaines préoccupations concernant le fait que le juge enquêté n’aurait pas à sa disposition de « droit d’appel » et, qu’en conséquence, le juge n’aurait aucun remède contre l’injustice qu’il pourrait subir (voir Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess., vol. 7 (14 juin 1971), à la page 6686 (Robert McCleave); Chambre des communes, Comité permanent de la Justice et questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, 28e lég., 3e sess. (16 juin 1971), à la page 27:25 (M. McCleave)).

[140]   Tel que vu ci-haut, le fonctionnaire au sein du ministère de la Justice a expliqué que le but d’amender le projet de loi pour y insérer la mention « réputé constituer une juridiction supérieure » était « d’accorder aux juges […] la protection judiciaire normale dont ils auraient besoin » lors des discussions entourant cet amendement. Or, de prétendre que l’ajout avait comme objectif de rendre le CCM et le CE une cour supérieure en titre fait fi de ce qui découle des débats parlementaires. On voulait simplement assurer que l’organisme d’enquête protègerait les juges. Si on avait voulu rendre cet organisme d’enquête une cour supérieure, on l’aurait dit expressément.

[141]   De plus, même en tenant pour acquis que le CCM est un organisme d’enquête sur la conduite des juges qui est non assujetti à quelque forme de recours que ce soit et que ses rapports et conclusions sont finaux (lire non appelables), comme le prétend le CCM, il demeure apparent que l’objectif de vouloir accorder aux juges « la protection judiciaire normale » ne serait carrément pas atteint. Est-il pensable que le législateur ait voulu créer un organisme d’enquête comme cour supérieure tout en sachant que « la protection judiciaire » n’inclurait aucun recours ? On ne peut pas d’un côté offrir la protection judiciaire aux juges enquêtés et, en contrepartie, ne pas offrir de moyen de remettre en question les rapports et conclusions. Ceci n’est certes pas accorder « la protection judiciaire » tel que l’a voulu le législateur.

[142]   Je suis aussi d’accord avec le juge Mosley lorsqu’il mentionne dans ses motifs que l’amendement fut fait pour accorder l’immunité aux juges enquêteurs pour les décisions rendues, ainsi que protéger les juges enquêtés lors de déclarations faites en cours d’instance. Ce dernier point est conforme avec l’intention de vouloir donner au juge concerné « la protection judiciaire » nécessaire. J’attire également l’attention à un autre élément important de sa décision, soit l’observation qu’il s’agissait d’un amendement usuel voulant clarifier une disposition législative en vigueur (voir Douglas, aux paragraphes 101 et 103).

[143]   Le principe de l’indépendance figure également de manière manifeste comme fondement des amendements. En effet, le ministre Turner et son secrétaire parlementaire, en confiant le rôle d’enquêteur au CCM et au CE, voulaient que ce soit majoritairement des représentants de la magistrature qui s’occuperaient de la conduite des juges, et non des membres des branches exécutives ou législatives du gouvernement. On voulait ainsi consolider l’indépendance judiciaire en s’assurant que ce soit la branche judiciaire qui s’occupe de la discipline des juges, tout en assurant la participation de non-juge, pourvu que la majorité des membres provienne du domaine judiciaire.

[144]   Le dossier dont la Cour est actuellement saisie en l’instance en est le parfait exemple. Lors de la première enquête, le CE a recommandé la révocation du juge, mais le rapport n’était pas unanime. Après étude du rapport et des observations du juge, le CCM a décidé de ne pas recommander la révocation du juge à la ministre, préférant de se ranger à la décision minoritaire dans le rapport, et c’est cette décision que la ministre a acceptée. De concert avec la ministre de la Justice du Québec, elle a tout de même demandé au CCM d’enquêter à nouveau sur la conduite du juge Girouard sur la base des commentaires majoritaires dans ce même rapport. Ainsi, la magistrature a elle-même la responsabilité complète d’enquêter sur la conduite des juges. L’exécutif ne prend aucune décision de lui-même d’enquêter. Il peut demander d’enquêter et par la suite recevoir le rapport d’enquête avec conclusion et décider s’il y a lieu de demander au Parlement de se prononcer. Cette affaire fait justement état de ce que le ministre Turner affirmait eu égard à la raison d’être du CCM, soit celle « d’assurer comme il convient la séparation permanente des pouvoirs entre l’exécutif et le judiciaire » (Débats de la Chambre des communes, 28e lég., 3e sess., vol. 5 (3 mai 1971), à la page 5433 (John Turner)).

[145]   Cela nous amène alors à l’étape de l’analyse littérale des dispositions.

c)    Interprétation littérale des articles en question

[146]   On a vu précédemment que l’expression « réputé constituer une juridiction supérieure » (en anglais : « shall be deemed to be a superior court and shall have ») a été insérée pour accorder aux juges enquêteurs l’immunité habituelle en semblable circonstance. Il a aussi été mentionné que « la protection judiciaire » protégerait les juges enquêtés lors de leur témoignage. Ceci reflète bien l’intention du législateur.

[147]   Cependant, tout en considérant ce qu’il qualifie comme « ambiguïtés » ressortant tant de la structure interne du paragraphe 63(4) de la LJ que d’une comparaison des versions française et anglaise du texte, le CCM soumet que la disposition doit être interprétée comme créant une juridiction supérieure en titre ayant les pouvoirs de cour supérieure, notamment ceux de citer et contraindre des témoins à témoigner. En contrepartie, la PGC et le juge Girouard suggèrent ― tel que le juge Mosley le conclut au paragraphe 107 de la décision Douglas ― qu’il s’agit d’une disposition ayant une portée limitée, soit celle d’énumérer les pouvoirs et fonctions précis du CCM et du CE.

[148]   À titre de rappel, pour bien donner à ce paragraphe de la LJ son vrai sens, on doit considérer le texte dans son ensemble en tenant compte du contexte de la loi, son objet, et son sens grammatical et ordinaire. Inutile de préciser que la méthode moderne d’interprétation législative est l’approche à suivre en l’espèce : « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 26).

[149]   Nous savons déjà que le CCM et le CE sont des enquêteurs ayant comme pouvoir de vérifier, par enquêtes, une plainte ou une accusation dirigée contre un juge. Ce pouvoir de nature investigatrice n’est pas synonyme de celui d’une cour supérieure. Or, pour assumer la tâche d’enquêteur, la LJ accorde au CCM et au CE un statut s’apparentant à une juridiction supérieure, non pas pour faire de ceux-ci une cour supérieure, mais plutôt pour assurer que dans ce rôle d’enquêteur, ils auront les pouvoirs d’enquête nécessaires.

[150]   Je m’arrête un instant pour souligner que, dans sa décision, le juge Mosley remarque que les pouvoirs d’enquête semblent beaucoup plus reliés au CE qu’au CCM. Je suis d’accord. Il note d’ailleurs que le paragraphe 63(4) de la LJ ne s’applique pas à l’étape finale de la procédure relative à la conduite des juges. Il ajoute que l’article 65 confie au CCM la responsabilité de présenter un rapport avec conclusions à la ministre (Douglas, au paragraphe 108). Le Règlement indique de même à l’article 12 que le CCM peut demander au CE des éclaircissements ou encore plus un complément d’enquête.

[151]   Regardons donc le vocabulaire du paragraphe 63(4) de la LJ. Le verbe « réputé » dans son sens littéral veut dire « tenir pour, considérer comme », et le mot « deemed » en anglais signifie [traduction] « juger, estimer, considérer » (voir Nouveau Petit Robert de la langue française 2009, Paris : Le Robert, 2008, sub verbo « réputer »; Larousse Chambers, Grand dictionnaire français-anglais / anglais-français, Paris : Larousse, 2003, sub verbo « deem »). Ceci étant, je suis d’avis que si le législateur avait voulu donner au CCM et au CE le statut en titre de juridiction supérieure, il aurait utilisé la reconnaissance expresse en utilisant le verbe « avoir ». Une telle formulation pourrait, par exemple, ressembler à : « le CCM ou le CE formé pour l’enquête est une cour de juridiction supérieure et il a tous les pouvoirs d’une telle cour ». Inversement, il n’aurait pas eu à énumérer les pouvoirs spécifiques prévus aux alinéas 63(4)a) et b) de la LJ. Le législateur a alors choisi l’ajout de « réputé être » (en anglais : « deemed »), car il ne voulait pas qu’accorder des pouvoirs d’enquête associés à une juridiction supérieure, mais aussi assurer aux juges concernés et juges enquêteurs une protection judiciaire. Le juge Mosley en arrive à la même conclusion dans l’affaire Douglas; encore une fois, je suis entièrement d’accord avec ses motifs aux paragraphes 102 et 103.

[152]   Le CCM suggère qu’il y a une différente interprétation à donner aux textes français et anglais du paragraphe 63(4) de la LJ. Le CCM prétend que le point-virgule au paragraphe 63(4) « met fin à une clause qui se lit comme une proposition générale et claire », ce qui ne se retrouve pas au texte anglais. Le CCM utilise le point-virgule comme point final dans le but de faire davantage valoir l’énoncé : « Le Conseil ou le Comité formé pour l’enquête est réputé constituer une juridiction supérieure ».

[153]   Avec égards, je ne peux être d’accord avec cet argument. D’abord, tel que l’a noté la PGC, les lois révisées ne sont pas de droit nouveau, car elles constituent simplement une refonte selon l’article 4 de la Loi sur les lois révisées du Canada (1985), L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 40. Ainsi, on pourrait ― voire devrait ― regarder le libellé du paragraphe 63(4) de la LJ avant la refonte et non après l’ajout du point-virgule. Cependant, j’entends prendre en compte le point-virgule, car, de toute façon, il ne change rien à l’interprétation que je donne à l’article. En effet, il n’est pas juste de dire qu’un point-virgule « met fin à une clause ». Un point-virgule dans une phrase ne met pas fin à celle-ci. Il ne s’agit que d’une pause qui se situe entre un point et une virgule (voir Bescherelle : L’orthographe pour tous, Montréal : Éditions Hurtubise, 1998, au paragraphe 240). En conséquence, le point-virgule ajouté lors de la refonte des années 1985 ne change en rien l’interprétation à donner au paragraphe 63(4) de la LJ. La disposition n’a pas de partie générale; elle n’a qu’une portée bien spécifique, soit celle d’accorder au CE les pouvoirs nécessaires pour enquêter sur la conduite d’un juge de cour supérieure.

[154]   En conséquence, les propos du CCM concernant le libellé anglais gagnent en importance, mais pas dans le sens voulant donner au paragraphe 63(4) de la LJ une portée générale. Le texte anglais de l’article n’a pas de ponctuation et il est présenté par le biais de la conjonction de coordination « and shall have ». Il se lit ainsi : « shall be deemed to be a superior court and shall have (a) power to summon …; and (b) the same power to enforce the attendance ». En effet, tel que proposé par le CCM, l’expression « shall have » pourrait avoir le sens d’un « notamment », ce qui implique en soi un effet limitatif (mémoire du CCM, au paragraphe 88). Je suis d’accord.

[155]   Je constate aussi que les notes marginales du paragraphe 63(4), « Pouvoirs d’enquête » (en anglais  : « Powers of Council or Inquiry Committee »), se limitent à annoncer ce que grosso modo le texte du paragraphe dit. Le titre utilisé n’appuie pas la thèse du CCM. Ces notes marginales faisaient partie intégrante du projet de loi à l’étude en 1971 (voir Corbett c. Canada, [1997] 1 C.F. 386 (C.A.), au paragraphe 13). Toutefois, je conviens que ces notes n’ont pas un effet déterminant (Cie pétrolière Impériale ltée c. Canada; Inco ltée c. Canada, 2006 CSC 46, [2006] 2 R.C.S. 447, au paragraphe 57), et je leur attribue donc une importance secondaire. Mais en demeure qu’elles sont utiles dans la mesure où, comme le juge Mosley l’a statué au paragraphe 106 de la décision Douglas, elles confirment d’autant plus la conclusion à laquelle j’arrive.

[156]   Je conclus donc à l’absence d’ambiguïté entre les textes français et anglais. De plus, je précise à nouveau que la référence à une juridiction supérieure fut insérée pour : 1) reconnaître l’immunité des juges enquêteurs et du CCM; 2) accorder aux juges enquêtés toute la protection requise lors de leurs témoignages; et 3) accorder spécifiquement pour les enquêtes les pouvoirs de Cour supérieure pour citer à comparaître, contraindre à témoigner, déposer les documents, etc.

d)    Le pouvoir d’enquête sur les juges inclut-il un mécanisme d’appel interne des rapports et des conclusions du CE analogue à un appel de novo ?

[157]   Rappelons que la thèse du CCM est que les contrôles judiciaires ne sont pas nécessaires, car il existe dans la procédure établie par le Règlement un mécanisme interne au CCM qui est analogue à un appel de novo (mémoire du CCM, aux paragraphes 100–110). Le CCM soumet que celui-ci aurait mis sur pied un « processus spécifique » accordant ainsi au juge « une protection procédurale » lui permettant « de faire une soumission au Comité appuyé par de la preuve ». Le CCM prétend que cette procédure est en fait plus robuste que les appels ultimes à la Cour suprême. Cette suprématie judiciaire serait pour le CCM l’ultime qui puisse être offert à un juge enquêté.

[158]   Je ne suis pas d’accord. La Cour suprême est le tribunal de dernier ressort et joue un rôle primordial dans l’architecture constitutionnelle de notre pays. Personne ne peut se soustraire à sa compétence absolue. Comme l’explique la Cour suprême dans le Renvoi relatif à la Loi sur la Cour suprême, art 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433 [aux paragraphes 84 et 87] :

     En outre, le statut de tribunal de dernier ressort désormais reconnu à la Cour l’autorisait à exercer une « “juridiction unificatrice” sur les tribunaux des provinces »  : Hunt c. T&N plc, [1993] 4 R.C.S. 289, p. 318; Banque de Montréal c. Metropolitan Investigation & Security (Canada) Ltd., [1975] 2 R.C.S. 546, p. 556. La Cour suprême du Canada est devenue la clé de voûte du système judiciaire unifié du Canada. Elle « exerce le rôle de juridiction d’appel suprême et exclusive au pays » (Renvoi sur la sécession, par. 9). Dans ce rôle, les pouvoirs de la Cour ne se limitent pas à ceux des tribunaux inférieurs dont elle révise les décisions en appel. Elle possède tous les pouvoirs nécessaires pour lui permettre « de remplir son rôle au sommet du système judiciaire canadien en tant que cour de dernier ressort pour tous les Canadiens » : R. c. Gardiner, [1982] 2 R.C.S. 368, p. 404, le juge Dickson; Hunt, p. 319.

[…]

     Cette évolution historique a fait de la Cour suprême une institution constitutionnellement essentielle qui affecte les intérêts à la fois du fédéral et des provinces. De plus en plus, les personnes que préoccupaient les réformes constitutionnelles ont accepté que les réformes à venir devraient reconnaître le rôle de la Cour suprême dans l’architecture de la Constitution. [Je souligne.]

[159]   Contrairement aux dires du CCM, je ne peux trouver nulle part dans la LJ ou le Règlement l’option de soumettre une nouvelle preuve ou encore pour le juge de se faire entendre oralement. Or, en théorie ainsi qu’en pratique, un appel de novo prévoit qu’un dossier puisse être représenté à nouveau avec de la preuve par témoins ou autrement et à l’aide de nouvelles soumissions. Qui plus est, ce type d’appel se fait dans le cadre d’un système à deux parties sous forme accusatoire ou contradictoire, ce qui n’est tout simplement pas le cas ici. Le CCM a l’obligation législative de rendre le rapport d’enquête après l’avoir examiné tout en tenant compte des observations écrites du juge concerné. Mais, il n’y a aucune place à se faire entendre à nouveau avec de la nouvelle preuve. Il ne s’agit donc pas d’une « procédure spécifique » d’appel de novo. Par ailleurs, comme le note le juge Girouard, les appels dans le régime de la common law n’existent pas; tout appel est une création du législateur (R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764, à la page 1773). En l’espèce, le régime d’appel que le CCM propose n’a clairement pas été adopté par le Parlement. Le rôle du CCM n’est pas d’exercer un appel, mais de procéder à un examen du rapport du CE.

[160]   Dans notre ordre juridique, où la primauté du droit joue un rôle fondamental, l’absence de contrôle judiciaire ou de droit d’appel porterait atteinte à l’équité procédurale. Comme l’a fait observer la PGC en l’instance, sans le contrôle judiciaire, le juge qui fait l’objet de l’enquête du CCM serait privé de son droit de contester l’équité et la légalité des procédures. Je réfère le lecteur à la décision du juge Mosley dans la décision Douglas, où il écrit [aux paragraphes 121 à 123] :

     Avant qu’un juge ne puisse être révoqué, il a droit à une instance équitable : arrêt Valente c. La Reine et autres, [1985] 2 R.C.S. 673, à la page 696. Cette instance équitable est essentielle non seulement parce qu’elle relève du droit administratif, mais parce qu’elle est une composante de l’exigence constitutionnelle relative à l’inamovibilité des juges. Le pouvoir de surveillance que la Cour exerce sur le Conseil et sur ses comités d’enquête joue un rôle important dans l’intérêt du public, à savoir celui de voir à ce que la procédure relative à la conduite des juges soit équitable et conforme au droit. Ce rôle est entièrement compatible avec l’intention du législateur telle qu’elle ressort de la loi.

     Comme l’a fait observer le procureur général, l’efficacité du régime conçu par le législateur en 1971 serait compromise si le contrôle judiciaire n’existait pas. Le résultat du travail effectué par le Conseil et par le comité d’enquête est un rapport qui formule des recommandations au ministre de la Justice. En l’absence de contrôle judiciaire, le ministre, et finalement le législateur, serait tenu d’examiner si le processus ayant conduit à l’élaboration du rapport avait été mené dans le cadre du pouvoir légal du Conseil, s’il était équitable sur le plan procédural et s’il n’était pas entaché d’erreurs de droit. Il s’agit de questions qui sont distinctes du bien-fondé de toute recommandation visant à démettre un juge de ses fonctions, car ce rôle est réservé au gouverneur général et au Parlement par l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867 en ce qui a trait aux juges nommés en vertu de l’article 96, et par la Loi sur la Cour suprême, L.R.C. (1985), ch. S-26, la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F 7 et la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, L.R.C. (1985), ch. T-2, en ce qui a trait aux juges nommés en vertu de l’article 101.

     La position du Conseil est que, si le contrôle judiciaire ne peut pas être sollicité, le juge pourra en appeler au ministre ou au Parlement. Bien que cette position vaille pour ce qui est du bien-fondé de toute recommandation visant à révoquer le juge de ses fonctions, le ministre et le Parlement ne sont pas du tout bien outillés pour statuer sur la gamme possiblement large d’arguments juridiques qui peuvent être soulevés en ce qui a trait à la procédure relative à la conduite des juges. Un juge qui fait l’objet d’une enquête par le Conseil ou par le comité d’enquête serait privé de la possibilité de vérifier le caractère équitable et légal de la procédure devant une cour de justice. Le fait que le juge pourrait « en appeler » de la décision auprès du ministre de la Justice et, en fin de compte, auprès du Parlement n’est pas une réponse, si ces institutions n’ont pas la capacité d’examiner les questions qui se posent.

[161]   De plus, dans le Renvoi relatif à la sécession, la Cour suprême a réitéré que les principes de la primauté du droit et du constitutionnalisme sont des principes sous-jacents à la Constitution, et de ce fait, transcendent toutes nos institutions [au paragraphe 72] :

     Le principe du constitutionnalisme ressemble beaucoup au principe de la primauté du droit, mais ils ne sont pas identiques. L’essence du constitutionnalisme au Canada est exprimée dans le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 : « La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit. » En d’autres mots, le principe du constitutionnalisme exige que les actes de gouvernement soient conformes à la Constitution. Le principe de la primauté du droit exige que les actes de gouvernement soient conformes au droit, dont la Constitution. Notre Cour a souligné plusieurs fois que, dans une large mesure, l’adoption de la Charte avait fait passer le système canadien de gouvernement de la suprématie parlementaire à la suprématie constitutionnelle. La Constitution lie tous les gouvernements, tant fédéral que provinciaux, y compris l’exécutif (Operation Dismantle Inc. c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 441, à la p. 455). Ils ne sauraient en transgresser les dispositions : en effet, leur seul droit à l’autorité qu’ils exercent réside dans les pouvoirs que leur confère la Constitution. Cette autorité ne peut avoir d’autre source.

[162]   Pour que la ministre et le cabinet puissent remplir leur rôle constitutionnel de décider s’il y a lieu de renvoyer la question de la révocation d’un juge au Parlement en vertu de l’article 99 de la LC 1867, ils doivent être capables de se fonder sur un processus conforme à la Constitution. Comme mentionné ci-haut, la justice naturelle et l’équité procédurale, des principes découlant de la primauté du droit, assurent le maintien de l’indépendance judiciaire lors d’une enquête. S’il y a un bris à l’équité procédurale, comme il est allégué par le juge Girouard dans sa demande de contrôle judiciaire en l’espèce et aussi selon la dissidence de trois juges en chef, la ministre ne peut se fonder sur le rapport potentiellement entaché d’erreur sans risquer d’agir de façon inconstitutionnelle. Le contrôle judiciaire d’une recommandation du CCM permet à la ministre, et ultimement aux deux chambres du Parlement, d’avoir l’assurance que le processus est conforme aux principes constitutionnels sous-jacents. Si le CCM n’était pas assujetti au pouvoir de surveillance de la Cour, la ministre et le Parlement seraient forcés d’évaluer ces éléments de droit, chevauchant ainsi la sphère judiciaire et mettant en péril la séparation des pouvoirs. C’est précisément cette issue que le législateur souhaitait éviter en constituant le CCM comme il l’a fait.

[163]   En conclusion, je ne peux pas adhérer à l’argument du CCM voulant qu’un prétendu appel de novo évince le besoin d’un contrôle judiciaire. La LJ et le Règlement n’ont aucun des éléments d’un appel de novo et, en plus, cette proposition minerait la primauté du droit, « un des postulats fondamentaux de notre structure constitutionnelle » (Roncarelli v. Duplessis, [1959] R.C.S. 121, à la page 142; Renvoi relatif à la sécession, aux paragraphes 70–78).

[164]   Pour résumer l’analyse du paragraphe 63(4) de la LJ, l’interprétation qui s’en dégage est que l’on voulait que le CCM et le CE aient la compétence d’enquêter sur la conduite des juges de façon à assurer l’indépendance judiciaire. Pour ce faire, l’enquête, le rapport et les conclusions à remettre devaient être confiés à une institution dont la majorité des membres provenaient de la sphère judiciaire. Pour ces fins, on a donné au CCM et au CE des pouvoirs d’enquête de juridiction supérieure. Si on avait voulu donner au CCM et CE le statut de cour supérieure, on l’aurait fait expressément en créant ce statut par l’entremise de l’article 101 de la LC 1867. En plus, si le législateur avait comme but de créer une nouvelle cour qui aurait l’autorité finale sans appel et sans autres recours, il l’aurait dit expressément.

C.   Les rapports et les conclusions du CCM et du CE sont-ils assujettis au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale ?

[165]   Le CCM soutient que le rapport et la recommandation de révocation ne sont pas des décisions telles que le requiert l’article 18.1 de la LCF, mais que de simples recommandations n’ayant « aucun impact direct sur les droits et intérêts de l’honorable juge Girouard », la décision ultime de révoquer appartenant au Parlement. Inversement, le juge Girouard et la PGC expliquent que l’enquête en soi a un impact majeur sur le juge enquêté, et que les rapports ainsi que les conclusions qui s’y trouvent ont de sérieuses conséquences sur la carrière du juge. Les rapports et recommandations seraient donc des décisions pouvant être révisées par la Cour.

[166]   D’emblée, je suis surpris que le CCM tente de faire valoir une telle thèse. Il a lui-même expliqué qu’une conclusion du CCM voulant qu’un juge soit inapte à remplir utilement ses fonctions équivalait à une « peine capitale » pour sa carrière. Mot pour mot dans le Rapport du CCM de 2014 on lit que, « [b]ien qu’un comité d’enquête ou l’ensemble du CCM ne puisse pas aller plus loin que faire une recommandation fondée sur une conclusion qu’un juge est inapte à remplir utilement ses fonctions, une telle conclusion équivaut essentiellement à une "peine capitale" pour la carrière du juge » (Rapport du CCM, à la page 51). On ajoute que les conséquences d’un rapport d’enquête sur la réputation d’une personne sont « considérable[s] », et que ceci nécessite l’application d’un degré élevé d’équité procédurale (Rapport du CCM, à la page 14).

[167]   Nous avons déjà noté que les acteurs du processus d’examen des juges, qui est en soi « investigatrice », sont des « enquêteurs » et non des « décideurs », et que ces enquêteurs peuvent participer plus activement à la présentation de la preuve qu’ils le pourraient dans « un contexte judiciaire ou quasi judiciaire » (Rapport du CCM, aux pages 18 et 48).

[168]   Il est vrai que la décision ultime de révocation d’un juge appartient au Parlement. Cependant, une telle possibilité ne peut avoir lieu sans que le CCM remette un rapport d’enquête et sa recommandation, le cas échéant. Rappelons qu’après une enquête du CCM et de son CE et la remise du rapport, la ministre devrait faire suite au rapport et à la recommandation, sauf exception hors de l’ordinaire et seulement après l’expiration des recours judiciaires. Elle ne peut refaire l’enquête ou encore, ne pas agir. Alors, sans l’enquête du CCM et de son CE, la ministre ne peut demander au Parlement de révoquer un juge. Cela étant, le rapport et ses conclusions ont un impact majeur sur les droits et les intérêts du juge. C’est en effet, comme le dit le CCM, la « peine capitale » pour la carrière du juge.

[169]   Par ailleurs, ce n’est pas parce que la décision prend la forme d’une « recommandation » qu’elle n’est pas révisable. La Cour suprême dans l’arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l’Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385 (Thomson), où elle avait à déterminer si une recommandation équivalait à une décision, enseigne qu’aux « fins de l’interprétation du mot “recommandations” […], la Loi […] doit être considérée dans son ensemble afin d’en dégager l’objet » (Thomson, aux pages 398–399). Cela s’applique bien au cas qui nous occupe en l’espèce. Tout en tenant compte du principe d’inamovibilité des juges, du processus d’enquête sur la conduite des juges confié par législation au CCM, ainsi que de l’importance du rapport et de la recommandation pour la ministre, le cabinet et le Parlement, on ne peut que conclure que le rapport et la recommandation sont un élément essentiel à la procédure de révocation des juges. Il est déterminatif à la toute fin.

[170]   De plus, la jurisprudence de la Cour fédérale et de la Cour d’appel fédérale détermine que le contrôle judiciaire prévu à l’article 18.1 de la LCF ne se limite pas strictement à une décision ou une ordonnance. Elle inclut aussi un rapport d’un office fédéral tel que l’a rappelé le juge Stone de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Morneault c. Canada (Procureur général), [2001] 1 C.F. 30 (C.A.), un appel d’un jugement accueillant une demande de contrôle à l’égard des conclusions énoncées dans le rapport de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie [au paragraphe 42] :

[…] Le contrôle judiciaire prévu à l’article 18.1 n’est pas limité à « une décision ou une ordonnance ». C’est ce qui ressort clairement du paragraphe 18.1(1), qui permet au procureur général du Canada et à « quiconque est directement touché » de solliciter le contrôle judiciaire. Il ressort clairement de la disposition dans son ensemble que, si d’une part une décision ou une ordonnance est une question qui peut être examinée, d’autre part une question autre qu’une décision ou une ordonnance peut également être examinée. C’est ce que montre la décision que notre Cour a rendue dans l’affaire Krause c. Canada, [1999] 2 C.F. 476 (C.A.). Dans cette décision, il a été statué qu’une demande de contrôle judiciaire présentée conformément à l’article 18.1 en vue de l’obtention du bref de mandamus, du bref de prohibition et du jugement déclaratoire prévus à l’article 18 [mod. par L.C. 1990, ch. 8, art. 4] de la Loi, sont des questions sur lesquelles la Cour a compétence et que la Cour peut accorder la réparation appropriée conformément aux alinéas 18.1(3)a) et 18.1(3)b). Voir également Sweet c. Canada (1999), 249 N.R. 17 (C.A.F.); Devinat c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), [2000] 2 C.F. 212 (C.A.).

[171]   Ce fut de même dans les affaires impliquant des contrôles judiciaires du rapport de la Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires : Gagliano c. Canada (Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 981, conf. par 2011 CAF 217; Chrétien c. Canada (Ex-commissaire, Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2008 CF 802, [2009] 2 R.C.F. 417, conf. par 2010 CAF 283; Pelletier c. Canada (Procureur général), 2008 CF 803, conf. par 2010 CAF 189. Toutes ces décisions de la Cour fédérale, ainsi que celles de la Cour d’appel fédérale, concernent des rapports de commissions d’enquête et non des décisions ou ordonnances. L’enquête sur la conduite d’un juge résultant à un rapport ne fait pas exception. Il a sur la carrière d’un juge des conséquences considérables, sans oublier les conséquences sur sa famille et ses proches. L’exemple récent de l’ex juge Robin Camp le démontre abondamment (voir Conseil canadien de la magistrature, Enquête sur la conduite de l’honorable Robin Camp : Rapport à la ministre de la Justice (Ottawa : CCM, 8 mars 2017)). Il a démissionné suite à la publication du rapport et ce n’est que tout récemment qu’il a pu être à nouveau reconnu comme avocat par le Barreau de l’Alberta.

[172]   Je ne peux donc être d’accord avec l’argument du CCM. Toutefois, je suis de la même opinion que lui lorsqu’il dit que le rapport d’enquête du CCM équivaut à la « peine capitale » sur la carrière d’un juge. Ainsi, le rapport, ses conclusions et la recommandation du CCM concernant le juge Girouard constituent une décision pour les fins de l’article 18.1 de la LCF.

X.        Commentaires et conclusion

A.    Commentaires

[173]   Je conclus l’étude de la question de la compétence de la Cour fédérale soulevée par le CCM avec des sentiments partagés. Certes, il y a la satisfaction d’être allé au fond des enjeux dans l’intérêt de non seulement les parties, mais aussi de ceux ayant des intérêts qui n’étaient pas représentés, telles les personnes nommées à titre inamovible et les plaignants(es). Les déterminations que j’ai faites seront analysées par des instances d’appel. Toutefois, je ne peux finaliser ce dossier sans commenter l’attitude du CCM à l’égard de la Cour ainsi que des parties. Il a fallu que trois ordonnances soient rendues pour amener le CCM à démontrer un certain respect pour la Cour. Je note en premier que Me Sabourin, directeur exécutif du CCM envoya au greffe un simple courriel informant que le CCM contestait la juridiction de la Cour et spécifiait que toute correspondance à venir devait être adressée au très honorable Richard Wagner, président du CCM : du jamais vu dans le cadre de telle procédure. Par la suite, Me Caza écrivait à l’administrateur expliquant avec référence à une Règle de la Cour la position du CCM. Il est facile d’interpréter à la lettre un règlement pour justifier un comportement, mais lorsque la partie agissant ainsi est constituée de juges en chef, c’est préoccupant. La question en jeu était le dépôt du dossier du décideur selon la règle 317 des Règles lorsqu’une demande de contrôle judiciaire est enclenchée. Il aurait été de simple courtoisie judiciaire d’acheminer à la Cour au tout début une simple lettre de type « sans préjudice » expliquant que le CCM contestait la compétence de la Cour et de demander une audition à ce sujet. Le comportement du CCM a retardé les procédures de deux mois.

[174]   Je me dois aussi de mentionner qu’il y avait forte possibilité de faire avancer la solution à la question de la compétence de la Cour en 2014. Le CCM a appelé de la décision sur la compétence dans le dossier Douglas, mais s’est désisté. Le CCM soulève à nouveau en 2018 en très grande partie la même question; ceci a nécessité des coûts énormes et l’utilisation à nouveau de ressources judiciaires et a aussi pour conséquence de retarder les demandes de contrôle judiciaire. Le juge Mosley a entendu les parties pendant environ trois jours. Il a alloué plus de 120 paragraphes de ses motifs à la question de la compétence. La question de compétence aurait pu être déterminée par la Cour d’appel fédérale dès 2015.

[175]   Il y a plus. Le dossier du CCM fut déposé en retard et la Cour a accordé une prorogation des délais pour les fins du dépôt. Dans les 24 heures suivant le dépôt du dossier, Me Sabourin, directeur du CCM, a tenu publiquement les propos suivants dans la publication anglophone dédiée aux avocats, The Lawyer’s Daily, où on le cite verbatim :

[T]he council has decided to press the judicial review question in court “because it’s a very long-standing issue that needs to be resolved. I think everyone would agree that Parliament never contemplated in 1971 [when the CJC was created] that the Federal Court would be intervening in the process of an inquiry into a judge’s conduct, and I don’t think Parliament intended that the Federal Courts have the authority to review the decisions of the council. So there is a legislative void, so to speak.

“And when you look at the Federal Courts Act that defines what is a federal office or a federal tribunal I think that the council does not fit in that definition, number one because it’s composed of s. 96 judges and the Federal Courts Act excludes s. 96 judges, and number two because, perhaps more importantly, council is exercising really a constitutional responsibility [overseeing conduct of federal judges] — something which the government has acknowledged. And as a constitutional responsibility, [it] is not interpreting ‘a law of Canada’ [reviewable by the Federal Court.] It is interpreting a constitutional issue as to whether or not a judge should be removed from office. So on these two fronts we think that the Federal Court does not have jurisdiction.”

(Cristin Schmitz, “Ottawa delays removing, replacing sidelined judge as taxpayers continue to foot massive litigation costs” The Lawyer’s Daily (25 mai 2018), en ligne : <www.thelawyersdaily.ca/articles/6592> (preuve du juge Girouard).)

[176]   Il est à noter que le directeur exécutif du CCM, Institution qui se dit de juridiction supérieure, plaide la cause du conseil publiquement.

[177]   La publication d’un tel article la journée suivant le dépôt du dossier du CCM ne semble pas être une simple coïncidence. Le mémoire du CCM et certaines parties de son contenu y sont référés. Le bureau de la ministre a aussi été contacté et explique entre autres que, par respect pour la magistrature, elle n’allait pas commenter la situation. La journaliste précise qu’elle n’a pas pu rejoindre les avocats du juge Girouard avant la publication.

[178]   La teneur de l’article est de blâmer la ministre pour ne pas avoir demandé au Parlement la révocation du juge sans égard aux recours pendant devant la Cour. Pourtant, aucune référence n’est faite aux trois ordonnances rendues par la Cour, celles-ci étant dirigées contre le CCM et faisant état du fait que la procédure judiciaire était retardée par le CCM. Qui plus est, notons que le CCM a été saisi des dossiers d’enquête sur la conduite du juge Girouard pendant environ cinq ans. J’ajoute que la deuxième enquête dura environ 20 mois. L’article est silencieux à ce sujet.

[179]   Ce n’est pas terminé. Le mémoire de réplique du CCM est hors de l’ordinaire. Il reproche à la ministre de soutenir dans son rôle de partie appelée à commenter les lois, la compétence de la Cour fédérale dans le présent dossier. Pourtant, tel que vu précédemment, le PGC à l’époque avait tenu la même position dans le dossier Douglas en 2014. Rien de nouveau pour les gens bien informés.

[180]   Je me dois d’ajouter que le vendredi précédant l’audition sur la question de la compétence, un nouvel article est apparu dans The Lawyer’s Daily (Cristin Schmitz, “Chief Justice Wagner calls for judicial discipline reforms as Ottawa drags heels on removing sidelined judge” (je souligne) The Lawyer’s Daily (22 juin 2018), en ligne : <www.thelawyersdaily.ca/articles/6806>). Dans cet article, on fait référence aux propos du président du CCM, voulant que ce soit « non satisfaisant » (en anglais : « not satisfactory ») pour l’administration de la justice dans les districts d’Abitibi, Rouyn-Noranda et Témiscamingue qu’Ottawa n’est pas agi depuis quatre mois suite à la recommandation de révocation du CCM concernant le juge Girouard. On se réfère aussi à des réunions qui ont eu lieu entre le CCM et la ministre.

[181]   Le cumul de tout ceci m’a amené à me questionner quant à savoir si le CCM exerçait des pressions afin d’inciter la ministre à procéder à la révocation du juge Girouard sans égard au processus judiciaire qui est légitimement devant nous. J’ai présenté quelques remarques préliminaires à ce sujet au début de l’audience du 27 juin 2018.

[182]   Chacune des parties a eu l’occasion de répondre à mes préoccupations. L’un des procureurs du juge Girouard a reproché à Me Sabourin de présenter dans l’article du 25 mai 2018 une version des faits qui ne correspond pas à la réalité dans le but d’influencer indûment l’opinion publique. Quant aux réunions auxquelles fait référence l’article du 22 juin 2018, Me Tremblay a indiqué être au courant de discussions entre le CCM et la ministre ayant trait à une réforme éventuelle en matière de déontologie judiciaire. Il a précisé qu’il osait croire que le dossier de son client n’a pas fait l’objet de discussion hors de sa présence et qu’il tenait pour acquis que seule la réforme avait été discutée lors des réunions mentionnées dans ledit article.

[183]   Le CCM a depuis confirmé par l’entremise de son procureur que le dossier du juge Girouard « a été et sera seulement plaidé par les procureurs du Conseil et ce sera tel devant la Cour fédérale » (je souligne) (représentations écrites du CCM en date du 27 juin 2018). En l’absence d’indications à l’effet contraire, je me dois d’accepter cette réponse pour ce qu’elle dit. Je tiens donc pour acquis que le dossier Girouard n’a pas fait l’objet de discussions lors des rencontres et que le CCM s’en remettra dorénavant au forum judiciaire pour plaider sa cause.

B.    Conclusion

[184]   La thèse du CCM voulant qu’il soit qualifié de juridiction supérieure n’a pas de fondement. Les alinéas 63(4)a) et b) de LJ octroient au CCM et au CE les pouvoirs d’une cour supérieure pour lui permettre de citer à comparaître, contraindre les témoins à témoigner, produire les documents, etc., de façon à leur donner les outils pour faire une « enquête approfondie ». Les pouvoirs d’enquête sont ceux de la province où l’enquête a lieu. L’insertion de l’expression « réputé constituer une juridiction supérieure » était pour accorder l’immunité au CCM et ses membres lorsqu’ils enquêtent, mais aussi pour accorder au juge enquêté la protection requise lorsqu’il témoigne. Tel que mentionné lors des débats parlementaires, c’était fait pour accorder la protection judiciaire nécessaire dont les juges auraient besoin.

[185]   Le rapport avec ses conclusions et recommandations de révocation à la ministre équivaut à ce que le CCM reconnait être une « peine capitale ». Un rapport ayant un effet si dévastateur sur la carrière du juge et sa famille est révisable par une demande de contrôle judiciaire.

[186]   Pour tous ces motifs, je conclus que les demandes de radiation sont rejetées. Aucuns dépens ne seront accordés.

[187]   En date de ce jour, j’émets une autre ordonnance dans laquelle je refuse la demande de sursis des procédures requis par le CCM et j’ordonne à celui-ci de déposer certains documents et listes de documents dans les 20 jours et je demande à toutes les parties de soumettre dans les 30 jours un échéancier à la Cour de façon à ce que toutes les demandes de contrôle judiciaire puissent être entendues à brève échéance.

ORDONNANCE

            LA COUR STATUE SUR CE QUI suit :

1.         Rejette les requêtes en radiation suivantes :

a)         LA RADIATION de la demande de contrôle judiciaire de la décision du Premier comité d’enquête contenue dans l’avis de demande portant le numéro de dossier T-733-15;

b)         LA RADIATION de la demande de contrôle judiciaire des décisions du Premier comité d’enquête contenue dans l’avis de demande portant le numéro de dossier T-2110-15;

c)         LA RADIATION de la demande de contrôle judiciaire de la décision du Deuxième comité d’enquête contenue dans l’avis de demande portant le numéro de dossier T-423-17;

d)         LA RADIATION de la demande de contrôle judiciaire de la décision du CCM contenue dans l’avis de demande portant le numéro de dossier T-409-18; et

2.         Aucuns dépens ne seront accordés.

 

ANNEXE I 

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict.,, ch. 3 (R.-U.)       

Nomination des juges              

     96. Le gouverneur-général nommera les juges des cours supérieures, de district et de comté dans chaque province, sauf ceux des cours de vérification dans la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.         

[…]

Cour générale d’appel, etc.    

     101. Le parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi, lorsque l’occasion le requerra, adopter des mesures à l’effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d’appel pour le Canada, et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.          

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7                   

Contrôle judiciaire   

28 (1) La Cour d’appel fédérale a compétence pour connaître des demandes de contrôle judiciaire visant les offices fédéraux suivants :           

a) le conseil d’arbitrage constitué par la Loi sur les produits agricoles au Canada;  

b) la commission de révision constituée par cette loi;           

b.1) le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique nommé en vertu de l’article 81 de la Loi sur le Parlement du Canada;         

c) le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes constitué par la Loi sur le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes;         

d) [Abrogé, 2012, ch. 19, art. 272]   

e) le Tribunal canadien du commerce extérieur constitué par la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur;

f) l’Office national de l’énergie constitué par la Loi sur l’Office national de l’énergie;           

g) le gouverneur en conseil, quand il prend un décret en vertu du paragraphe 54(1) de la Loi sur l’Office national de l’énergie;

g) la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, constitué par l’article 44 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, sauf dans le cas d’une décision qui est rendue au titre du paragraphe 57(2) ou de l’article 58 de cette loi ou qui vise soit un appel interjeté au titre du paragraphe 53(3) de cette loi, soit un appel concernant une décision relative au délai supplémentaire visée au paragraphe 52(2) de cette loi, à l’article 81 du Régime de pensions du Canada, à l’article 27.1 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse ou à l’article 112 de la Loi sur l’assurance-emploi;      

h) le Conseil canadien des relations industrielles au sens du Code canadien du travail;     

i) la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral visée par le paragraphe 4(1) de la Loi sur la Commission des relations de travail et de l’emploi dans le secteur public fédéral;           

i.1) les arbitres de grief, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral;          

j) la Commission du droit d’auteur constituée par la Loi sur le droit d’auteur;           

k) l’Office des transports du Canada constitué par la Loi sur les transports au Canada;      

[…]

n) le Tribunal de la concurrence constitué par la Loi sur le Tribunal de la concurrence;      

o) les évaluateurs nommés en application de la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada;

p) [Abrogé, 2012, ch. 19, art. 572]   

q) le Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles constitué par la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles;          

r) le Tribunal des revendications particulières constitué par la Loi sur le Tribunal des revendications particulières

Dispositions applicables       

(2) Les articles 18 à 18.5 s’appliquent, exception faite du paragraphe 18.4(2) et compte tenu des adaptations de circonstance, à la Cour d’appel fédérale comme si elle y était mentionnée lorsqu’elle est saisie en vertu du paragraphe (1) d’une demande de contrôle judiciaire.     

Incompétence de la Cour fédérale      

(3) La Cour fédérale ne peut être saisie des questions qui relèvent de la Cour d’appel fédérale.           

 

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1       

PARTIE II    

Conseil canadien de la magistrature 

Définition    

Définition de ministre

[…]

Constitution et fonctionnement du Conseil      

Constitution               

59 (1) Est constitué le Conseil canadien de la magistrature, composé  :  

a) du juge en chef du Canada, qui en est le président;        

b) des juges en chef, juges en chef associés et juges en chef adjoints des juridictions supérieures ou de leurs sections ou chambres;   

c) des juges principaux — au sens du paragraphe 22(3) — des cours suprêmes du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest et de la Cour de justice du Nunavut;       

d) du juge en chef de la Cour d’appel de la cour martiale du Canada.          

[…]

Choix d’un suppléant              

(4) Chaque membre du Conseil peut nommer au Conseil un suppléant choisi parmi les juges du tribunal dont il fait partie; le suppléant fait partie du Conseil pendant la période pour laquelle il est nommé. Le juge en chef du Canada peut choisir son suppléant parmi les juges actuels ou anciens de la Cour suprême du Canada. 

Mission du Conseil  

60 (1) Le Conseil a pour mission d’améliorer le fonctionnement des juridictions supérieures, ainsi que la qualité de leurs services judiciaires, et de favoriser l’uniformité dans l’administration de la justice devant ces tribunaux. 

Pouvoirs     

(2) Dans le cadre de sa mission, le Conseil a le pouvoir  :           

a) d’organiser des conférences des juges en chef et juges en chef adjoints;          

b) d’organiser des colloques en vue du perfectionnement des juges;         

c) de procéder aux enquêtes visées à l’article 63;    

d) de tenir les enquêtes visées à l’article 69.

[…]

Enquêtes sur les juges          

Enquêtes obligatoires            

63 (1) Le Conseil mène les enquêtes que lui confie le ministre ou le procureur général d’une province sur les cas de révocation au sein d’une juridiction supérieure pour tout motif énoncé aux alinéas 65(2)a) à d). 

Enquêtes facultatives            

(2) Le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure.          

Constitution d’un comité d’enquête   

(3) Le Conseil peut constituer un comité d’enquête formé d’un ou plusieurs de ses membres, auxquels le ministre peut adjoindre des avocats ayant été membres du barreau d’une province pendant au moins dix ans.  

Pouvoirs d’enquête       

(4) Le Conseil ou le comité formé pour l’enquête est réputé constituer une juridiction supérieure; il a le pouvoir de  :        

a) citer devant lui des témoins, les obliger à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment — ou de l’affirmation solennelle dans les cas où elle est autorisée en matière civile — et à produire les documents et éléments de preuve qu’il estime nécessaires à une enquête approfondie;           

b) contraindre les témoins à comparaître et à déposer, étant investi à cet égard des pouvoirs d’une juridiction supérieure de la province où l’enquête se déroule.          

Protection des renseignements          

(5) S’il estime qu’elle ne sert pas l’intérêt public, le Conseil peut interdire la publication de tous renseignements ou documents produits devant lui au cours de l’enquête ou découlant de celle-ci.        

Publicité de l’enquête             

(6) Sauf ordre contraire du ministre, les enquêtes peuvent se tenir à huis clos.  

Avis de l’audition      

64 Le juge en cause doit être informé, suffisamment à l’avance, de l’objet de l’enquête, ainsi que des date, heure et lieu de l’audition, et avoir la possibilité de se faire entendre, de contre-interroger les témoins et de présenter tous éléments de preuve utiles à sa décharge, personnellement ou par procureur.    

Rapports et recommandations            

Rapport du Conseil 

65 (1) À l’issue de l’enquête, le Conseil présente au ministre un rapport sur ses conclusions et lui communique le dossier.   

Recommandation au ministre              

(2) Le Conseil peut, dans son rapport, recommander la révocation s’il est d’avis que le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions pour l’un ou l’autre des motifs suivants  :           

a) âge ou invalidité;  

b) manquement à l’honneur et à la dignité;   

c) manquement aux devoirs de sa charge;   

d) situation d’incompatibilité, qu’elle soit imputable au juge ou à toute autre cause. 

[…]

Enquêtes sur les titulaires de poste   

Enquêtes    

69 (1) Sur demande du ministre, le Conseil enquête aussi sur les cas de révocation — pour les motifs énoncés au paragraphe 65(2) — des titulaires de poste nommés à titre inamovible aux termes d’une loi fédérale, à l’exception des  :        

a) juges des juridictions supérieures ou des protonotaires de la Cour fédérale;      

b) personnes visées par l’article 48 de la Loi sur le Parlement du Canada. 

Dispositions applicables       

(2) Les paragraphes 63(3) à (6), les articles 64 et 65 et le paragraphe 66(2) s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires, aux enquêtes prévues au présent article.         

Révocation

(3) Au vu du rapport d’enquête prévu au paragraphe 65(1), le gouverneur en conseil peut, par décret, révoquer — s’il dispose déjà par ailleurs d’un tel pouvoir de révocation — le titulaire en cause sur recommandation du ministre, sauf si la révocation nécessite une adresse du Sénat ou de la Chambre des communes ou une adresse conjointe de ces deux chambres.     

Rapport au Parlement            

Dépôt des décrets   

70 Les décrets de révocation pris en application du paragraphe 69(3), accompagnés des rapports et éléments de preuve à l’appui, sont déposés devant le Parlement dans les quinze jours qui suivent leur prise ou, si le Parlement ne siège pas, dans les quinze premiers jours de séance ultérieurs de l’une ou l’autre chambre.        

Révocation par le Parlement ou le gouverneur en conseil          

Maintien du pouvoir de révocation      

71 Les articles 63 à 70 n’ont pas pour effet de porter atteinte aux attributions de la Chambre des communes, du Sénat ou du gouverneur en conseil en matière de révocation des juges, des protonotaires de la Cour fédérale ou des autres titulaires de poste susceptibles de faire l’objet des enquêtes qui y sont prévues.           

 

Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015-203                                                                        

Constitution et pouvoirs du comité d’examen de la conduite judiciaire   

Constitution du comité d’examen de la conduite judiciaire         

2 (1) Le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges constitué par le Conseil afin d’examiner les plaintes ou accusations relatives à des juges de juridiction supérieure peut, s’il décide qu’à première vue une plainte ou une accusation pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation d’un juge, constituer un comité d’examen de la conduite judiciaire qui sera chargé de décider s’il y a lieu de constituer un comité d’enquête en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi. 

Nomination des membres     

(2) Le doyen nomme les membres du comité d’examen de la conduite judiciaire.           

Composition du comité          

(3) Le comité d’examen de la conduite judiciaire est composé de cinq personnes, soit trois membres du Conseil, un juge puîné et une personne qui n’est ni juge ni membre du barreau d’une province.           

Affaire suffisamment grave  

(4) Le comité d’examen de la conduite judiciaire ne peut décider de constituer un comité d’enquête que s’il conclut que l’affaire pourrait s’avérer suffisamment grave pour justifier la révocation du juge.    

Affaire renvoyée au président ou au vice-président      

(5) S’il décide qu’un comité d’enquête ne doit pas être constitué, le comité d’examen de la conduite judiciaire renvoie l’affaire au président ou au vice-président du comité sur la conduite des juges pour que ce dernier décide de la manière la plus appropriée de la régler.       

Plaignant informé    

(6) Si le comité d’examen sur la conduite judiciaire décide qu’un comité d’enquête doit être constitué, le directeur exécutif du Conseil en informe le plaignant par lettre.  

Décision, motifs et énoncé des questions        

(7) Le comité d’examen de la conduite judiciaire rédige alors ses motifs et les questions devant être examinées par le comité d’enquête. Le directeur exécutif du Conseil envoie une copie de la décision, des motifs et de l’énoncé des questions aux destinataires suivants : 

a) le juge et son juge en chef;          

b) le ministre;           

c) le comité d’enquête, une fois constitué.   

Avis au ministre — adjonction de membres    

(8) Le directeur exécutif du Conseil envoie aussi au ministre un avis l’invitant à adjoindre des membres du barreau d’une province au comité d’enquête aux termes du paragraphe 63(3) de la Loi.

Nomination des membres du comité d’enquête             

Composition              

3 (1) Le comité d’enquête constitué en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi se compose d’un nombre impair de membres nommés par le doyen, dont la majorité proviennent du Conseil.      

Membres additionnels            

(2) Si le ministre n’adjoint aucun membre au comité d’enquête dans les soixante jours suivant la réception de l’avis visé au paragraphe 2(8), le doyen peut nommer d’autres membres du Conseil au comité d’enquête pour en compléter la composition.       

Président désigné par le doyen           

(3) Le doyen désigne un président parmi les membres du comité d’enquête.     

Admissibilité             

(4) Ne peuvent être membres du comité d’enquête :       

a) le président ou le vice-président du comité sur la conduite des juges qui a déféré l’affaire au comité d’examen de la conduite judiciaire;    

b) les juges de la même juridiction que le juge en cause;     

c) les membres du comité d’examen de la conduite judiciaire qui ont participé aux délibérations sur l’opportunité de constituer un comité d’enquête.      

Avocats et conseillers           

Conseils et assistance          

4 Le comité d’enquête peut retenir les services d’avocats et d’autres personnes pour le conseiller et le seconder dans le cadre de son enquête. 

Procédure du comité d’enquête          

Plainte ou accusation             

5 (1) Le comité d’enquête peut examiner toute plainte ou accusation formulée contre le juge qui est portée à son attention. Il tient alors compte des motifs écrits et de l’énoncé des questions du comité d’examen de la conduite judiciaire.           

Délai suffisant pour répondre              

(2) Le comité d’enquête informe le juge des plaintes ou accusations formulées contre lui et lui accorde un délai suffisant pour lui permettre de formuler une réponse complète.     

Observations du juge             

(3) Le comité d’enquête peut fixer un délai raisonnable, selon les circonstances, pour la réception des observations du juge. Il en informe le juge et examine toute observation reçue dans ce délai.   

Audience publique ou à huis clos        

6 (1) Sous réserve du paragraphe 63(6) de la Loi, le comité d’enquête délibère en public, sauf s’il décide que l’intérêt public et la bonne administration de la justice exigent le huis clos total ou partiel.           

Interdiction de publication dans l’intérêt public               

(2) Le comité d’enquête peut interdire la publication de tout renseignement ou document qui lui est présenté s’il décide qu’elle ne sert pas l’intérêt public et peut prendre toute mesure qu’il juge nécessaire pour protéger l’identité des personnes, y compris celles à qui une garantie de confidentialité a été accordée dans le cadre de l’examen de la plainte ou de l’accusation visant le juge.   

Principe de l’équité  

7 Le comité d’enquête mène l’enquête conformément au principe de l’équité.    

Rapport du comité d’enquête               

Rapport du comité d’enquête               

8 (1) Le comité d’enquête remet au Conseil un rapport dans lequel il consigne les constatations de l’enquête et statue sur l’opportunité de recommander la révocation du juge.          

Rapport remis au juge et avis au plaignant      

(2) Une fois le rapport remis au Conseil, le directeur exécutif du Conseil en transmet une copie au juge et à toute autre personne ou à tout organisme ayant eu la qualité de comparaître à l’audience, et, le cas échéant, il informe le plaignant que le comité d’enquête a établi son rapport.           

Audience publique   

(3) Le rapport de toute audience publique est mis à la disposition du public et une copie en est remise au plaignant. 

Réponse du juge au rapport du comité d’enquête          

Observations écrites du juge               

9 (1) Le juge peut, dans les trente jours suivant la réception du rapport du comité d’enquête, présenter des observations écrites au Conseil au sujet du rapport.        

Prolongation de délai              

(2) Sur demande du juge, le Conseil prolonge ce délai s’il estime qu’il est dans l’intérêt public de le faire.         

Délibérations du conseil concernant la révocation des juges    

Le doyen préside les réunions             

10 (1) Le doyen des membres disponibles pour participer aux délibérations concernant la révocation d’un juge préside les réunions du Conseil qui y sont consacrées.  

Quorum      

(2) Le quorum pour toute réunion délibératoire du Conseil concernant la révocation d’un juge est de dix-sept membres. 

Quorum — Décès, incapacité, démission ou retraite    

(3) En cas de décès, d’incapacité, de démission ou de retraite d’un membre pendant les délibérations, le quorum est formé par le reste des membres.      

Vote en cas d’égalité des voix             

(4) Lors des réunions délibératoires du Conseil concernant la révocation d’un juge, le président de la réunion ne peut participer au vote sur le rapport énonçant les conclusions du Conseil à l’égard de l’affaire qu’en cas d’égalité des voix.

Réunions délibératoires        

(5) Les réunions délibératoires du Conseil concernant la révocation d’un juge peuvent également être tenues par audioconférence ou vidéoconférence.          

Examen du rapport du comité d’enquête par le conseil

Examen du rapport et des observations écrites par le Conseil 

11 (1) Le Conseil examine le rapport du comité d’enquête et les observations écrites du juge.  

Personnes exclues de l’examen         

(2) Les personnes visées au paragraphe 3(4) et les membres du comité d’enquête ne peuvent participer à l’examen du rapport par le Conseil ni à toutes autres délibérations du Conseil portant sur l’affaire.        

Éclaircissements    

12 S’il estime que le rapport du comité d’enquête exige des éclaircissements ou qu’une enquête complémentaire est nécessaire, le Conseil peut renvoyer tout ou partie de l’affaire au comité d’enquête en lui communiquant des directives.      

Rapport du conseil  

Rapport des conclusions du Conseil 

13 Le directeur exécutif du Conseil remet au juge une copie du rapport des conclusions du Conseil présenté au ministre conformément à l’article 65 de la Loi. 


 

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