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T-1843-18

 2019 CF 282

Groupe SNC-Lavalin Inc., SNC-Lavalin International Inc. et SNC-Lavalin Construction Inc. (demanderesses)

c.

Le directeur des poursuites pénales (défendeur)

Répertorié : Groupe SNC-Lavalin Inc. c. Canada (Service des poursuites pénales)

Cour fédérale, juge Kane—Montréal, 1er février; Ottawa, 8 mars 2019.

Justice criminelle et pénale — Pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites — Requête en application de la règle 359 des Règles des Cours fédérales en vue d’obtenir une ordonnance de radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses, sans autorisation de la modifier — La demande en question concernait une décision prise par la directrice des poursuites pénales (ci-après le défendeur ou le DPP) dans le contexte de la procédure criminelle qu’elle a engagée à l’égard des demanderesses relativement à des accusations portées en vertu du Code criminel et de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers — Les demanderesses ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du DPP de ne pas les inviter à négocier un accord de réparation au titre de l’art. 715.32 du Code criminel — Dans le cadre de leur demande, les demanderesses ont sollicité une ordonnance déclarant que la décision du DPP en cause était illégale, une ordonnance l’annulant; une ordonnance de mandamus enjoignant au DPP de les inviter à négocier un accord de réparation et de négocier cet accord de bonne foi — Le défendeur, qui était la partie requérante à la présente requête, a soutenu notamment que la décision du DPP constituait simplement l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites dans le contexte d’une procédure criminelle — Il s’agissait principalement de savoir si la demande devrait être radiée au motif qu’elle n’avait aucune possibilité raisonnable d’être accueillie — Il s’agissait accessoirement de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites était susceptible de contrôle judiciaire, et de quelle façon il l’était; si la décision en cause relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ou s’il s’agissait d’une décision administrative; si, lorsqu’il prend la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation, le DPP est un « office fédéral » au sens de l’art. 2 de la Loi sur les Cours fédérales; si les demanderesses pouvaient solliciter un mandamus dans le cadre d’un contrôle judiciaire — La jurisprudence a établi clairement que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle par la Cour; que ce pouvoir discrétionnaire a une portée large; et que le rôle du poursuivant est quasi judiciaire — La décision du DPP d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation était clairement un exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites — La nature de la décision et la jurisprudence ont confirmé que cette décision relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire du poursuivant — L’intérêt public doit toujours être pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites — Compte tenu de la conclusion selon laquelle la décision du défendeur relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, la seule conclusion pouvant être tirée était que, dans le contexte de la présente affaire, le DPP n’était pas un « office fédéral » au sens de l’art. 2 de la Loi sur les Cours fédérales, et la Cour fédérale n’était pas compétente — Le poursuivant n’exerçait pas des pouvoirs conférés par la Loi sur le DPP ou le Code criminel, il exerçait un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, qui découle de la common law et de la Constitution — Il n’était pas nécessaire d’aborder la question de savoir si un mandamus serait une réparation possible pour les demanderesses dans le cadre d’un contrôle judiciaire — Le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure — Requête accueillie.

Pratique — Actes de procédure — Requête en radiation — Requête en radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses, sans autorisation de la modifier — La demande en question concernait une décision prise par la directrice des poursuites pénales de ne pas les inviter à négocier un accord de réparation au titre de l’art. 715.32 du Code criminel — Il s’agissait de savoir si la demande devait suivre son cours parce qu’elle soulevait de nouvelles demandes et de nouvelles questions en litige et que, par conséquent, on ne devait pas conclure qu’elle n’avait pas de possibilité raisonnable d’être accueillie — Le critère à appliquer pour radier une demande de contrôle judiciaire a été examiné — La nature essentielle de la demande dans la présente affaire n’a révélé aucune nouvelle demande — La demande n’avait aucune possibilité raisonnable d’être accueillie dans le contexte du droit et de la jurisprudence applicable, et si on l’envisageait de façon réaliste.

Il s’agissait d’une requête en application de la règle 359 des Règles des Cours fédérales en vue d’obtenir une ordonnance de radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses, sans autorisation de la modifier. La demande en question concernait une décision prise par la directrice des poursuites pénales (ci-après le défendeur ou le DPP) dans le contexte de la procédure criminelle qu’il a engagée à l’égard des demanderesses relativement à des accusations portées en vertu du Code criminel et de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers. Les demanderesses ont présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du DPP de ne pas les inviter à négocier un accord de réparation (un accord conclu volontairement entre un poursuivant et une organisation accusée d’avoir perpétré certains crimes économiques) au titre de l’article 715.32 du Code criminel. La partie XXII.1 du Code criminel régit les accords de réparation.

Les demanderesses ont été accusées en février 2015 de deux infractions. Elles ont été accusées de corruption d’agents publics étrangers, infraction prévue à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, et de fraude, infraction prévue au paragraphe 380(1) du Code criminel. Les infractions portaient sur des actes commis entre 2001 et 2011. Des poursuites ont été intentées à l’égard des deux accusations. À la suite de la communication de la décision du DPP en octobre 2018, les demanderesses en ont sollicité le contrôle judiciaire et ont demandé une ordonnance déclarant que la décision du DPP de ne pas les inviter à négocier un accord de réparation était illégale, et l’annulant. Elles ont sollicité également une ordonnance de mandamus enjoignant au DPP de les inviter à négocier un accord de réparation et de négocier cet accord de bonne foi.

Le défendeur, qui était la partie requérante à la présente requête, a soutenu notamment que la décision du DPP de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation constituait simplement l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites dans le contexte d’une procédure criminelle. Le défendeur a affirmé qu’il est bien clair en droit que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure; et que la Cour n’avait pas compétence pour statuer sur la présente demande, car le DPP n’est pas un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Les demanderesses ont rétorqué que la décision du DPP était une décision administrative fondée sur des principes de droit administratif et que, par conséquent, elle était susceptible de contrôle judiciaire, et que la décision du DPP était illégale, car elle était déraisonnable à plusieurs égards.

Il s’agissait principalement de savoir si la demande devrait être radiée au motif qu’elle n’avait aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Il s’agissait accessoirement de savoir si l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites était susceptible de contrôle judiciaire, et de quelle façon il l’était; si la décision en cause — la décision du DPP de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation — relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ou s’il s’agissait d’une décision administrative; si, lorsqu’il prend la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation, le DPP est un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales; si les demanderesses pouvaient solliciter un mandamus dans le cadre d’un contrôle judiciaire; et si la demande devait suivre son cours parce qu’elle soulevait de nouvelles demandes et de nouvelles questions en litige et que, par conséquent, on ne devait pas conclure qu’elle n’avait pas de possibilité raisonnable d’être accueillie.

Jugement : la requête doit être accueillie.

Le critère à appliquer pour radier une demande de contrôle judiciaire a été examiné. En ce qui concerne le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, plusieurs décisions ont été examinées. La jurisprudence a établi clairement que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle par la Cour; que ce pouvoir discrétionnaire a une portée large; et que le rôle du poursuivant est quasi judiciaire. Le poursuivant intente des poursuites et s’occupe de tout ce que cela implique de manière indépendante et sans ingérence politique ou judiciaire. La Cour n’agit pas comme poursuivant superviseur vu le partage des pouvoirs et les origines du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et parce que la Cour ne serait pas aussi compétente que le poursuivant pour analyser les divers facteurs à l’origine de la décision.

En ce qui concerne la qualification de la décision du DPP en cause en l’espèce, la décision du DPP d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation était clairement un exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Les termes employés à la partie XXII.1, et en particulier à l’article 715.32 du Code criminel, lus dans le contexte du régime prévu par la partie XXII.1, appuient la conclusion selon laquelle cette décision était purement discrétionnaire. La nature de la décision et la jurisprudence dans laquelle il a été conclu que bon nombre d’autres décisions relevaient de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, ont confirmé que cette décision relevait entièrement du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. L’exigence de prendre en compte l’intérêt public ainsi que les facteurs établis au paragraphe 715.32(2) du Code criminel pour guider la prise en compte de l’intérêt public ne permettaient pas de conclure qu’il s’agissait d’une décision administrative assujettie aux principes du droit administratif. L’intérêt public doit toujours être pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Pour conclure, la décision visée par la demande de contrôle judiciaire des demanderesses relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et s’inscrivait dans le contexte du rôle du poursuivant à l’égard du dépôt et du déroulement de la poursuite, avec tout ce que cela comportait.

La définition d’« office fédéral » énoncée à l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales a été examinée. Compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle la décision du défendeur d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation relevait de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, la seule conclusion pouvant être tirée est que — lorsqu’il exerce ce pouvoir discrétionnaire — le DPP n’est pas un « office fédéral » au sens de l’article 2, et la Cour fédérale n’était pas compétente. Le poursuivant n’exerce pas des pouvoirs conférés par la Loi sur le DPP ou le Code criminel. Il exerce un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, qui découle de la common law et de la Constitution. En l’espèce, la partie XXII.1 du Code criminel intègre, en leur conférant un fondement légal, des pouvoirs du procureur général — c.-à-d. du poursuivant — qui demeurent largement définis par la common law.

Il n’était pas nécessaire d’aborder la question de savoir si un mandamus serait une réparation possible pour les demanderesses dans le cadre d’un contrôle judiciaire étant donné que la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation relève du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

En ce qui concerne la dernière question en litige, celle de savoir si la demande devrait suivre son cours, la nature essentielle de la demande n’a révélé aucune nouvelle demande. La demande n’avait aucune possibilité raisonnable d’être accueillie dans le contexte du droit et de la jurisprudence applicable, et si on l’envisagait de façon réaliste. La loi établit clairement que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure. La décision du défendeur de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation relevait clairement du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 380(1), 579, 715.3–715.4, 715.31, 715.32, 715.33, 715.34, 715.36, 715.37, 715.38–715.41, 715.42, 717.

Code de procédure civile, RLRQ, ch. C-25.01.

Loi de 2002 sur la protection du consommateur, L.O. 2002, ch. 30, ann. A.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 11.

Loi fédérale sur la responsabilité, L.C. 2006, ch. 9.

Loi no1 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 12.

Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch. 34, art. 3(1)b).

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10.

Loi sur le directeur des poursuites pénales, L.C. 2006, ch. 9, art. 3, 121.

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1.

Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 “office fédéral”.

Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y-1, (abrogée par L.C. 2002, ch. 1, art. 199).

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 359.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Okimow v. Saskatchewan (Attorney General), 2000 SKQB 311, [2000] S.J. no 499 (QL), [2001] 1 W.W.R. 662; Première nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920, [2008] 3 R.C.F. 571; Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, [2010] A.C.F. no 221 (QL); Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 3 C.F. 465, [1990] A.C.F. no 712 (QL) (1re inst.); Gendarmerie royale du Canada (sous-commissaire) c. Canada (Procureur général), 2007 CF 564, sub nom. Canada (Sous-commissaire, Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Commissaire, Gendarmerie royal du Canada), [2008] 1 R.C.F. 752; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 (QL) (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, [1994] A.C.S. no 113 (QL).

 

décisions examinées :

R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Canada c. Chiasson, 2003 CAF 155, [2003] A.C.F. no 477 (QL); Cannon v. Funds for Canada Foundation, 2012 ONSC 399, 13 C.P.C. (7th) 250, [2012] O.J. no 168 (QL); Paradis Honey Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446, [2015] A.C.F. no 399 (QL); David Bull Laboratories (Canada) Inc. c Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588, [1994] A.C.F. no 1629 (QL) (C.A.); R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45; Teva Canada Limitée c. Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176, [2016] A.C.F. no 605 (QL); Wright v. United Parcel Service Canada Ltd., 2011 ONSC 5044, [2011] O.J. No. 3936 (QL); Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372; Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339; R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566; R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983; R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, [1994] A.C.S. no 29 (QL); R. v. Baptiste, [2000] O.J. no 528 (QL), (2000), 74 C.R.R. (2d) 333 (C. sup.); R. v. C. (E.J.), 2013 ABPC 28, [2013] A.J. no 247 (QL); R. c. T. (V.), [1992] 1 R.C.S. 749; R. v. Saikaly, [1979] O.J. no 94 (QL), (1979), 48 C.C.C. (2d) 192, 1979 CarswellOnt 1336 (C.A.); Gouriet v. Union of Post Office Workers, [1978] A.C. 435, [1977] 3 W.L.R. 300; Zhang c. Canada (Procureur général), 2006 CF 276, [2006] A.C.F. no 361 (QL); Nelles v. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, [1989] A.C.S. no 86 (QL); R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392; Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 3 C.F. 465, [1990] A.C.F. no 712 (QL) (1re inst.); Douglas c. Canada (Procureur général), 2014 CF 299, [2015] 2 R.C.F. 911.

décisions citées :

R. v. Basi, 2009 BCSC 1685, [2009] B.C.J. no 2436 (QL); R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944, (1992), 9 O.R. (3d) 544, [1992] A.C.S. no 77 (QL).

DOCTRINE CITÉE

Garant, Patrice. Droit Administratif, 7e éd. Cowansville, Qc.  : Éditions Yvon Blais, 2017.

Guide du Service des poursuites pénales du Canada, 2014, en ligne  : www.ppsc.sppc.gc.ca.

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Interpretation of Statutes, 6e éd. (Markham, ON : LexisNexis, 2004).

REQUÊTE en vue d’obtenir une ordonnance de radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses, sans autorisation de la modifier, d’une décision prise par la directrice des poursuites pénales de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation au titre de l’article 715.32 du Code criminel après que des accusations eurent été portées contre elles. Requête accueillie.

ONT COMPARU :

William McNamara, W. Grant Worden et Emma Loignon-Giroux pour les demanderesses.

David Migicovsky et Andrew J. F. Lenz pour le défendeur.

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

Torys LLP, Toronto, pour les demanderesses.

Perley-Robertson, Hill & McDougall LLP/s.r.l., Ottawa, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance et de l’ordonnance rendus par

[1]        La juge Kane : Le défendeur présente sa requête en application de la règle 359 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, en vue d’obtenir une ordonnance de radiation de la demande de contrôle judiciaire présentée par les demanderesses, sans autorisation de la modifier.

[2]        La demande en question concerne une décision prise par la directrice des poursuites pénales (la DPP) dans le contexte de la procédure criminelle qu’elle a engagée à l’égard des demanderesses relativement à des accusations portées en vertu du Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46 et de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, L.C. 1998, ch. 34. Les demanderesses présentent une demande de contrôle judiciaire de la décision de la DPP de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation, au titre de l’article 715.32 du Code criminel (la décision de la DPP ou la décision en cause).

[3]        La partie XXII.1 du Code criminel (les articles 715.3 à 715.4) régit les accords de réparation, qui sont également appelés, en particulier dans d’autres ressorts, des accords de suspension des poursuites. Un accord de réparation serait une solution de rechange à la poursuite de la procédure criminelle et à une possible déclaration de culpabilité à l’égard d’une organisation accusée d’une infraction criminelle. Les dispositions en question ont été adoptées dans le cadre de la Loi n1 d’exécution du budget de 2018, L.C. 2018, ch. 12 (LEB de 2018) et sont entrées en vigueur le 21 septembre 2018.

[4]        Le défendeur, qui est la partie requérante à la présente requête, soutient notamment que la décision de la DPP de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation constitue simplement l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites dans le contexte d’une procédure criminelle. Le défendeur affirme qu’il est bien clair en droit que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure. Le défendeur ajoute que le pouvoir discrétionnaire du poursuivant découle de la common law et non d’une loi fédérale et que, par conséquent, le directeur des poursuites pénales (le DPP) n’est pas un « office fédéral » au sens de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 [article 2], et qu’en tout état de cause la Cour n’a pas compétence pour contrôler la décision en cause. Cela étant, la demande n’a aucune chance d’aboutir et devrait être radiée.

[5]        Les demanderesses rétorquent que la décision de la DPP est une décision administrative fondée sur des principes de droit administratif et que, par conséquent, elle est susceptible de contrôle judiciaire. Dans la présente requête, les demanderesses affirment que la décision de la DPP comporte les caractéristiques d’une décision administrative. Elles avancent que la décision se distingue d’autres décisions qu’un poursuivant peut prendre en matière de poursuites et qui relèveraient de son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, parce que la décision d’inviter une organisation à négocier est prise pendant que la procédure suit son cours et exige que le poursuivant prenne en compte une série de facteurs énoncés à l’article 715.32 qui, s’ils sont respectés, commandent que l’invitation soit faite.

[6]        Dans leur avis de demande de contrôle judiciaire, les demanderesses soutiennent que la DPP n’a pas exercé son pouvoir discrétionnaire conformément à la loi du fait même qu’elle a refusé de les inviter à négocier un accord de réparation. Les demanderesses affirment qu’elles ont respecté toutes les conditions et tous les critères énoncés dans les dispositions pertinentes du Code criminel pour qu’une telle négociation puisse avoir lieu et que rien ne justifiait que la DPP ne les invite pas à négocier un accord de réparation.

[7]        La présente requête soulève la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la DPP a refusé d’inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation devrait être radiée ou devrait suivre son cours. Pour répondre à cette question, il faut déterminer si la demande a une possibilité raisonnable d’être accueillie. En l’espèce, la Cour doit donc établir d’abord si la décision de la DPP relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, qui n’est pas susceptible de contrôle judiciaire sauf en cas d’abus de procédure, ou si la décision de la DPP est une décision administrative et, dans l’affirmative, si elle est susceptible de contrôle judiciaire par la Cour.

[8]        Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que la demande devrait être radiée, étant donné qu’elle n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie dans le contexte du droit et de la jurisprudence applicable, et si on l’envisage de façon réaliste. L’argumentation soigneusement préparée des demanderesses a été minutieusement examinée comme en témoigneront les motifs qui suivent. Toutefois, il est bien clair en droit que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure. La décision en cause ― à savoir la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation ― relève manifestement du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et s’apparente aux décisions que les poursuivants sont régulièrement appelés à rendre en matière pénale. La jurisprudence donne de nombreux exemples de décisions qui ont été jugées relever directement du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, et la décision en cause est analogue. Les autres questions soulevées dans la présente requête découlent de la conclusion selon laquelle la décision en est une qui relève du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

I.          Le contexte

A.        Les demanderesses et les accusations

[9]        Les demanderesses décrivent SNC-Lavalin comme une entreprise mondiale de gestion de projets et de services professionnels pleinement intégrée. Plus de 50 000 personnes dans le monde sont employées par SNC-Lavalin, dont bon nombre au Canada. L’entreprise œuvre dans divers domaines qui comprennent, entre autres, les investissements en capital, la consultation, la conception, l’ingénierie, la gestion de la construction et les services d’exploitation et d’entretien, le tout offert à des clients des secteurs du pétrole et du gaz, des mines et de la métallurgie, des infrastructures, de l’énergie propre et de l’énergie nucléaire, ainsi que du secteur de l’ingénierie, de la conception et de la gestion de projets.

[10]      Les demanderesses ont été accusées en février 2015 de deux infractions. Elles ont été accusées de corruption d’agents publics étrangers, infraction prévue à l’alinéa 3(1)b) de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, et de fraude, infraction prévue au paragraphe 380(1) du Code criminel. Les infractions portent sur des actes commis entre 2001 et 2011. Des poursuites ont été intentées à l’égard des deux accusations. L’enquête préliminaire a débuté en octobre 2018 devant la Cour supérieure du Québec et devait reprendre en février 2019 (en vue d’être menée à bien à ce moment). En fonction du résultat de l’enquête préliminaire, le procès devrait se dérouler plus tard en 2019 ou en 2020.

B.        L’élaboration du régime d’accords de réparation

[11]      En novembre et en décembre 2017, le gouvernement a tenu une consultation publique afin d’obtenir l’avis d’intervenants intéressés sur les avantages, les inconvénients et les autres répercussions possibles d’un modèle canadien d’accords de suspension des poursuites. Des modifications au Code criminel ont été présentées en mars 2018 dans le cadre de la LEB de 2018. La LEB de 2018 a été adoptée le 21 juin 2018 et les modifications au Code criminel, qui forment aujourd’hui la partie XXII.1, sont entrées en vigueur le 21 septembre 2018.

C.        Les renseignements fournis par les demanderesses

[12]      Les demanderesses indiquent que, depuis avril 2018 au moins, elles ont manifesté ouvertement à la DPP leur intérêt envers un accord de réparation et leur respect des critères établis dans le projet de loi. Les demanderesses ont transmis à la DPP des renseignements détaillés sur la façon dont ils satisfaisaient aux critères pertinents. Elles ont continué à présenter des observations à la DPP après l’entrée en vigueur de la partie XXII.1, y compris après avoir été informées par la DPP le 4 septembre 2018 qu’elle ne les inviterait pas à négocier un accord de réparation.

[13]      Les demanderesses soulignent qu’elles ont fourni énormément de renseignements au moyen de lettres et lors de réunions en vue de démontrer comment les mesures qu’elles avaient prises étaient conformes aux objectifs et aux critères d’un accord de réparation. Il est question notamment de renseignements sur les efforts déployés depuis 2012 pour mettre en place un programme d’éthique et de conformité, en assurer la surveillance et procéder à une évaluation indépendante de ce dernier, pour offrir une formation de lutte contre la corruption à tous les employés, pour remplacer les cadres supérieurs et les membres du conseil d’administration et pour voir au licenciement ou au départ des agents principaux associés aux actes suspects. Elles ont également transmis des renseignements sur les graves répercussions de la continuation de la poursuite, d’un long procès et de la condamnation possible sur les employés, retraités et autres intervenants, notamment l’interdiction éventuelle pour SNC-Lavalin de soumissionner pour l’obtention de contrats. Les demanderesses font également remarquer qu’elles ont indiqué à la DPP être prêtes, si elles étaient invitées à négocier un accord de réparation, à fournir davantage de renseignements sur la façon dont elles respecteraient les objectifs d’un tel accord, par exemple, en négociant la réparation des torts causés aux victimes, en versant des pénalités proportionnées et en mettant en place des mesures pour dénoncer les actes répréhensibles allégués. Ces renseignements ont été transmis sous réserve qu’ils soient confidentiels et protégés par le secret professionnel. Les demanderesses affirment que ces éléments de preuve devraient être pris en compte dans la demande de contrôle judiciaire.

D.        Le régime d’accords de réparation

[14]      La partie XXII.1 du Code criminel constitue un régime complet qui permet de déterminer s’il convient ou non d’entreprendre des négociations en vue de conclure un accord de réparation. Si des négociations ont lieu et mènent à un accord, la partie XXII.1 contient des dispositions sur l’approbation, les conditions, la mise en œuvre et les conséquences d’un accord, entre autres, y compris en cas de non-respect.

[15]      La description que font les demanderesses et le défendeur des dispositions est similaire, mais ils ne s’entendent pas sur l’interprétation de certaines dispositions et sur la question de savoir si la décision initiale du poursuivant d’inviter ou non une organisation à négocier est une décision administrative ou si elle relève du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Les parties indiquent que des régimes d’accords de réparation ont existé sous d’autres noms dans d’autres ressorts, par exemple sous le nom d’accords de suspension des poursuites.

[16]      En bref, un accord de réparation est un accord conclu volontairement entre un poursuivant et une organisation accusée d’avoir perpétré certains crimes économiques. Il s’agit d’une solution de rechange au processus habituel de poursuite d’une organisation à la suite d’infractions criminelles. Il s’appuie entre autres sur les conditions suivantes : le poursuivant est d’avis qu’il existe une perspective raisonnable de condamnation pour l’infraction, et l’organisation reconnaît être responsable du comportement allégué. L’accord de réparation est défini au paragraphe 715.3(1) comme étant un « [a]ccord entre une organisation accusée d’avoir perpétré une infraction et le poursuivant dans le cadre duquel les poursuites relatives à cette infraction sont suspendues pourvu que l’organisation se conforme aux conditions de l’accord. (remediation agreement) ».

[17]      Les articles 715.31 et 715.32 définissent l’objet d’un accord de réparation et les conditions à respecter pour inviter une organisation à négocier un tel accord. L’objet, comme le prévoit l’article 715.31, consiste notamment à dénoncer les actes répréhensibles, à tenir l’organisation responsable et à réduire les conséquences négatives de l’acte répréhensible sur les personnes, y compris les employés, qui n’en sont pas responsables.

[18]      L’article 715.32 établit les conditions requises pour qu’un poursuivant négocie un accord de réparation. Le poursuivant doit notamment être d’avis qu’il existe une perspective raisonnable de condamnation, qu’il est convenable de négocier un accord de réparation et qu’il est dans l’intérêt public de le faire. Une liste non exhaustive de facteurs dont le poursuivant doit tenir compte est dressée afin de lui permettre de déterminer l’intérêt public et la pertinence de négocier un accord de réparation.

[19]      L’article 715.33 indique ce que doit contenir une invitation à négocier et comment les renseignements divulgués sont utilisés et protégés. L’article 715.34 porte sur le contenu de l’accord de réparation; il énumère les éléments obligatoires et les éléments optionnels de l’accord. L’article 715.36 exige que le poursuivant prenne les mesures raisonnables pour informer les victimes qu’un accord de réparation pourrait être conclu. L’article 715.37 traite de l’approbation par le tribunal (à savoir la cour de juridiction criminelle où se déroule la poursuite) de tout accord de réparation négocié et énonce les facteurs que le tribunal doit prendre en considération avant de décider d’approuver ou non l’accord. Lorsque l’accord est approuvé, le paragraphe 715.37(7) prévoit que le poursuivant doit ordonner au greffier de mentionner au dossier que les poursuites sont suspendues. Les articles 715.38 à 715.41 traitent d’autres questions, comme la modification ou la résiliation d’un accord et la reprise des poursuites en cas de non-conformité. Il importe de noter que lorsque le tribunal rend une ordonnance indiquant que l’accord a été respecté, les poursuites sont réputées n’avoir jamais été engagées. L’article 715.42 exige que le tribunal publie l’accord de réparation approuvé par lui, et certaines autres ordonnances, y compris l’ordonnance de suspension des poursuites, sauf si la bonne administration de la justice exige qu’ils ne soient pas publiés.

[20]      Les principales dispositions en cause sont présentées ci-dessous, et la partie XXII.1 est reproduite en entier à l’annexe A.

Objet

715.31 La présente partie a pour objet de prévoir l’établissement d’un régime d’accords de réparation applicable à toute organisation à qui une infraction est imputée et visant les objectifs suivants 

a) dénoncer tout acte répréhensible de l’organisation et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;    

b) tenir l’organisation responsable de son acte répréhensible par l’imposition de pénalités efficaces, proportionnées et dissuasives;         

c) favoriser le respect de la loi par l’obligation faite à l’organisation de mettre en place des mesures correctives ainsi qu’une culture de conformité;        

d) encourager la divulgation volontaire des actes répréhensibles;   

e) prévoir la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;     

f) réduire les conséquences négatives de l’acte répréhensible sur les personnes — employés, clients, retraités ou autres — qui ne s’y sont pas livrées, tout en tenant responsables celles qui s’y sont livrées.  

Conditions préalables

715.32 (1) Le poursuivant peut négocier un accord de réparation avec une organisation à qui une infraction est imputée, si les conditions suivantes sont réunies :     

a) il est d’avis qu’il existe une perspective raisonnable de condamnation pour l’infraction;   

b) il est d’avis que l’acte ou l’omission à l’origine de l’infraction n’a pas causé et n’est pas susceptible d’avoir causé des lésions corporelles graves à une personne ou la mort, n’a pas porté et n’est pas susceptible d’avoir porté préjudice à la défense ou à la sécurité nationales et n’a pas été commis au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou d’un groupe terroriste, ou en association avec l’un ou l’autre;   

c) il est d’avis qu’il convient de négocier un tel accord dans les circonstances et qu’il est dans l’intérêt public de le faire;      

d) le procureur général a donné son consentement à la négociation d’un tel accord.          

Facteurs à prendre en compte

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)c), le poursuivant prend en compte les facteurs suivants :    

a) les circonstances dans lesquelles l’acte ou l’omission à l’origine de l’infraction a été porté à l’attention des autorités chargées des enquêtes;      

b) la nature et la gravité de l’acte ou de l’omission ainsi que ses conséquences sur les victimes;    

c) le degré de participation des cadres supérieurs de l’organisation à l’acte ou à l’omission;

d) la question de savoir si l’organisation a pris des mesures disciplinaires à l’égard de toute personne qui a participé à l’acte ou à l’omission, parmi lesquelles son licenciement;    

e) la question de savoir si l’organisation a pris des mesures pour réparer le tort causé par l’acte ou l’omission et pour empêcher que des actes ou omissions similaires ne se reproduisent;     

f) la question de savoir si l’organisation a identifié les personnes qui ont participé à tout acte répréhensible relatif à l’acte ou à l’omission ou a manifesté sa volonté de le faire;   

g) la question de savoir si l’organisation ou tel de ses agents ont déjà été déclarés coupables d’une infraction ou ont déjà fait l’objet de pénalités imposées par un organisme de réglementation ou s’ils ont déjà conclu, au Canada ou ailleurs, des accords de réparation ou d’autres accords de règlement pour des actes ou omissions similaires;        

h) la question de savoir si l’on reproche à l’organisation ou à tel de ses agents d’avoir perpétré toute autre infraction, notamment celles non visées à l’annexe de la présente partie;       

i) tout autre facteur qu’il juge pertinent.        

Facteurs à ne pas prendre en compte

(3) Malgré l’alinéa (2)i), dans le cas où l’infraction imputée à l’organisation est une infraction visée aux articles 3 ou 4 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, le poursuivant ne doit pas prendre en compte les considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un État autre que le Canada ou l’identité des organisations ou individus en cause.

Avis à l’organisation ― invitation à négocier   

715.33 (1) S’il désire négocier un accord de réparation, le poursuivant avise l’organisation, par écrit, de son invitation à négocier. L’avis comporte les éléments suivants :      

a) une description sommaire de toute infraction qui ferait l’objet de l’accord;           

b) une mention du caractère volontaire du processus de négociation;         

c) une mention des effets juridiques de l’accord;     

d) une mention du fait qu’en acceptant les conditions de l’avis, l’organisation renonce explicitement à inclure la période de négociation et la période de validité de l’accord dans l’appréciation du caractère raisonnable du délai entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès;      

e) une mention du fait que les négociations doivent être menées de bonne foi et que l’organisation doit fournir tous les renseignements exigés par le poursuivant dont elle a connaissance ou qui peuvent être obtenus par des efforts raisonnables de sa part, notamment ceux permettant d’identifier les personnes qui ont participé à l’acte ou à l’omission à l’origine de l’infraction ou à tout acte répréhensible relatif à l’acte ou à l’omission; 

f) une mention de l’utilisation qui peut être faite des renseignements divulgués par l’organisation durant les négociations, sous réserve du paragraphe (2);    

g) une mise en garde portant que le fait de faire sciemment des déclarations fausses ou trompeuses ou de communiquer sciemment des renseignements faux ou trompeurs durant les négociations peut mener à une reprise des poursuites ou à des poursuites pour entrave à la justice;  

h) une mention du fait que l’une ou l’autre des parties peut se retirer des négociations en donnant un avis écrit à l’autre;     

i) une mention du fait que les parties doivent, dès que possible, faire des efforts raisonnables pour identifier les victimes;           

j) la date d’échéance pour accepter l’invitation à négocier selon les conditions de l’avis.

Non-admissibilité des aveux

(2) Les aveux de culpabilité ou les déclarations par lesquels l’organisation se reconnaît responsable d’un acte ou d’une omission déterminés ne sont pas, lorsqu’elle les faits dans le cadre des négociations d’un accord de réparation, admissibles en preuve dans les actions civiles ou les poursuites pénales dirigées contre elle et relatives à cet acte ou à cette omission, sauf dans le cas où l’accord est conclu par les parties et approuvé par le tribunal et que ces aveux ou déclarations font partie d’une déclaration visée par les alinéas 715.34(1)a) ou b).

II.         La demande de contrôle judiciaire sous-jacente

A.        La décision en cause

[21]      La décision de la DPP est présentée dans une lettre datée du 9 octobre 2018, qui indique que la DPP a procédé à un examen détaillé des documents soumis par les demanderesses, y compris les observations faites après que la DPP a indiqué, le 4 septembre 2018, qu’elle n’enverrait pas d’invitation à négocier un accord de réparation. La lettre précise que la DPP [traduction] « continue de croire qu’il ne convient pas dans la présente affaire d’envoyer une invitation à négocier un accord de réparation. Par conséquent, aucune invitation à négocier un accord de réparation ne sera envoyée et la poursuite suivra son cours normal ».

B.        L’avis de demande des demanderesses

[22]      Les demanderesses sollicitent le contrôle judiciaire de la décision de la DPP communiquée le 9 octobre 2018. Elles demandent une ordonnance déclarant que la décision de la DPP de ne pas les inviter à négocier un accord de réparation est illégale et l’annulant. Elles sollicitent également une ordonnance de mandamus enjoignant à la DPP de les inviter à négocier un accord de réparation et de négocier cet accord de bonne foi.

[23]      Dans leur avis de demande, les demanderesses reconnaissent que la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation est de nature discrétionnaire, mais elles affirment que ce pouvoir discrétionnaire est limité et qu’il doit être exercé de manière raisonnable et en conformité avec les objectifs et les facteurs prévus par la loi.

[24]      Les demanderesses, qui qualifient la décision de décision administrative, allèguent que la décision de la DPP est illégale, car elle est déraisonnable à plusieurs égards. Elles allèguent que la DPP n’a pas soupesé et évalué à la lumière des objectifs visés par un accord de réparation les observations et les renseignements détaillés qu’elles ont fournis. Les demanderesses affirment également que la décision de la DPP indique seulement qu’il ne convient pas en l’espèce de négocier un accord de réparation; elle n’indique pas qu’il ne convient pas de négocier un accord de réparation dans les circonstances et qu’il n’est pas dans l’intérêt public de le faire. Cela laisse entendre que la DPP a conclu que la négociation d’un accord de réparation serait par ailleurs dans l’intérêt public. Les demanderesses allèguent de plus que la DPP ne précise pas les raisons à l’appui de sa décision selon laquelle il ne conviendrait pas de négocier un accord de réparation.

III.        La position générale du défendeur (la partie requérante)

[25]      Le défendeur affirme que la présente demande n’a aucune chance d’être accueillie pour plusieurs raisons et, de ce fait, devrait être radiée. Il affirme que les demanderesses tentent de forcer la DPP à exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à ce qu’elles soient invitées à négocier un accord de réparation et que les accusations criminelles qui pèsent contre elles soient suspendues.

[26]      Premièrement, le défendeur affirme que la décision de la DPP de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation relève clairement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, à l’instar de plusieurs autres décisions prises dans le cadre d’une poursuite. La décision n’est pas fondée sur des principes de droit administratif.

[27]      Le défendeur affirme qu’il est bien établi en droit que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire par les tribunaux, sauf en cas d’abus de procédure, ce que n’allèguent pas les demanderesses.

[28]      Deuxièmement, le défendeur affirme que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la présente demande, car le DPP n’est pas un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Le défendeur affirme que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites du DPP découle de la common law et non d’une loi fédérale et que, de ce fait et conformément à l’article 2, le tribunal n’a pas la compétence requise.

[29]      Troisièmement, le défendeur affirme que même si le tribunal avait la compétence pour statuer sur la demande, il devrait s’abstenir de le faire et renvoyer la demande à la Cour supérieure du Québec en raison de son expertise sur les questions de droit pénal.

[30]      Quatrièmement, le défendeur soutient que la réparation que tentent d’obtenir les demanderesses dans leur demande ne saurait être retenue. Le critère pour obtenir un mandamus n’est pas satisfait; la Cour ne peut pas forcer le poursuivant à exercer son pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière.

IV.       La position générale des demanderesses

[31]      Selon les demanderesses, les accords de réparation constituent un changement révolutionnaire sans précédent en droit pénal. Les demanderesses affirment que l’intention du législateur lorsqu’il a établi le régime d’accords de réparation était de fournir un moyen d’obtenir tous les éléments nécessaires à la déclaration de culpabilité, à l’exception de la reconnaissance de culpabilité, ce qui répond à l’objectif prévu par la loi de tenir les organisations responsables de leurs actes répréhensibles tout en réduisant les conséquences négatives pour les intervenants innocents. Les demanderesses font ressortir les répercussions graves associées à la continuation de la poursuite et à une éventuelle déclaration de culpabilité, y compris l’interdiction de soumissionner en vue d’obtenir des contrats gouvernementaux, qui auront une incidence importante sur leurs employés, leurs retraités et d’autres intervenants ainsi que sur des « tiers innocents ».

[32]      Les demanderesses font référence au débat au Sénat sur la LEB de 2018 où il a été question des avantages des accords de réparation, notamment la réparation des torts causés aux victimes, l’incitation à apporter des changements à la culture d’entreprise et la possibilité pour l’entreprise de continuer ses activités, ce qui permet de maintenir les employés en poste et de protéger les investissements.

[33]      Dans le cadre de la présente requête, les demanderesses reconnaissent que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire. Les demanderesses soutiennent que le rôle du DPP dans l’invitation à négocier un accord de réparation transmise à une organisation ne relève pas du pouvoir discrétionnaire absolu en matière de poursuites. Il s’agit plutôt d’une décision administrative qui doit être prise en fonction de plusieurs facteurs. Par conséquent, la décision est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable et la demande devrait être entendue.

[34]      Les demanderesses affirment que la décision de la DPP n’est pas caractéristique des autres décisions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, notamment parce que la décision d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation est prise parallèlement aux poursuites criminelles en cours. Les demanderesses affirment également que l’interprétation des dispositions législatives dans le contexte des objectifs énoncés et de l’intention du législateur appuie la conclusion voulant qu’il s’agisse d’une décision administrative qui peut faire l’objet d’un contrôle judiciaire.

[35]      Les demanderesses soutiennent que la décision de la DPP ne devrait pas être à l’abri d’un contrôle judiciaire, car cela irait à l’encontre de l’objectif visé par le législateur. Sans contrôle judiciaire, il n’y a aucun moyen de s’assurer que les poursuivants ont pris en compte et appliqué les critères et invité les organisations à négocier un accord de réparation quand les critères sont respectés.

[36]      Les demanderesses affirment que la Cour a compétence pour statuer sur leur demande, car le pouvoir du DPP découle de la Loi sur le directeur des poursuites pénales, L.C. 2006, ch. 9, art. 121) et du Code criminel, ce qui fait du DPP un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.

[37]      Les demanderesses affirment de plus qu’un mandamus pourrait leur être accordé dans le cadre du contrôle judiciaire, car, une fois les conditions et critères satisfaits, la DPP avait l’obligation de les inviter à négocier un accord de réparation.

[38]      Les demanderesses soutiennent que la requête en radiation présentée par le défendeur pour sa commodité et pour ne pas avoir à défendre la demande est [traduction] « choquante ». Elles affirment que leur demande soulève des questions de droit nouvelles et complexes, notamment la question de savoir si la décision en cause relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ou s’il s’agit d’une décision administrative; la question de l’interprétation de la partie XXII.1, en particulier de l’article 715.32; la question de savoir si le DPP est un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales (c.-à-d. si la Cour fédérale a la compétence requise pour procéder au contrôle judiciaire de la décision en cause), question qui dépend de la source de ses pouvoirs; la question de savoir si le DPP devrait être à l’abri du contrôle judiciaire; et la question de savoir si le mandamus est une réparation possible. Les demanderesses affirment que ces questions démontrent qu’il est à tout le moins possible de débattre de la question de savoir si la demande présente une possibilité raisonnable de succès. Ainsi, le défendeur n’a pas présenté une requête « d’une efficacité assez radicale » pour permettre à la Cour de radier la demande. Les demanderesses font valoir que la demande doit être tranchée par le juge des requêtes sur le fondement du dossier complet, qui est nécessaire pour interpréter la loi et déterminer si la DPP a agi de manière raisonnable — c.-à-d. pour déterminer ce qu’elle a pris en compte et ce qu’elle n’a pas pris en compte.

V.        Les questions

[39]      La question que soulève la présente requête consiste à savoir si la demande devrait être radiée au motif qu’elle n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie. Pour trancher cette question, il faut prendre en compte et appliquer la jurisprudence concernant les requêtes en radiation d’une demande de contrôle judiciaire. Il faut aussi tenir compte de plusieurs questions et arguments connexes soulevés par les parties, notamment :

•           L’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est-il susceptible de contrôle judiciaire? De quelle façon?

•           La décision en cause — la décision de la DPP de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation — relève-t-elle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ou s’agit-il d’une décision administrative?

•           Lorsqu’il prend la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation, le DPP est-il un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales?

•           Les demanderesses peuvent-elles solliciter un mandamus dans le cadre d’un contrôle judiciaire?

•           La demande devrait-elle suivre son cours parce qu’elle soulève de nouvelles demandes et de nouvelles questions en litige et que, par conséquent, on ne devrait pas conclure qu’elle n’a pas de possibilité raisonnable d’être accueillie?

VI.       Le critère à appliquer pour radier une demande de contrôle judiciaire

A.        Les observations du défendeur

[40]      Le défendeur soutient que la Cour peut radier un avis de demande si celui-ci ne révèle aucune action recevable en droit administratif qui pourrait être portée devant la Cour fédérale, ou encore si la Cour fédérale n’est pas en mesure de régler la demande au titre de la Loi sur les Cours fédérales ou de quelque autre principe juridique, ou qu’elle ne peut pas accorder la réparation demandée.

[41]      Le défendeur affirme que le critère rigoureux qui permet la radiation de l’avis de demande des demanderesses est respecté. Les principes juridiques qui s’appliquent à l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites sont bien établis; le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf dans certaines circonstances limitées qui ne s’appliquent pas en l’espèce.

[42]      Le défendeur reconnaît qu’on devrait généralement permettre que les nouvelles questions juridiques soient instruites, mais il fait valoir que la question consiste à déterminer si le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est susceptible de contrôle judiciaire, ce qui ne constitue pas une nouvelle question.

[43]      Le défendeur affirme que le fait que la DPP n’a pas précisé les raisons pour lesquelles elle a refusé d’inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation n’empêche pas la Cour de radier l’avis de demande. L’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant n’a pas à être justifié, et aucun motif n’est requis (R. c. Anderson, 2014 CSC 41, [2014] 2 R.C.S. 167 (Anderson), aux paragraphes 54 et 55).

[44]      Le défendeur fait remarquer que le Code criminel comprend de nombreux exemples de situations dans lesquelles un poursuivant exerce son pouvoir discrétionnaire, et que rien n’oblige le poursuivant à justifier chaque décision. Les tribunaux ont reconnu qu’une telle exigence placerait l’administration de la justice dans une impasse.

[45]      Le défendeur soutient que l’argument des demanderesses — selon lequel la demande devrait être fondée sur un dossier complet, dossier qu’ils n’ont pas encore obtenu — ne tient pas compte du fait que l’obligation de produire un dossier est liée à ce qui est pertinent par rapport aux motifs invoqués dans l’avis de demande. La Cour doit d’abord faire une appréciation réaliste des motifs invoqués (JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 (JP Morgan), au paragraphe 50).

B.        Les observations des demanderesses

[46]      Les demanderesses allèguent que le défendeur n’a pas présenté une requête « d’une efficacité assez radicale » pour justifier la radiation de la demande à cette étape préliminaire. Elles soutiennent qu’il est préférable que les requêtes en radiation soient instruites lors de l’audition de la demande, sauf dans de très rares cas (Canada c. Chiasson, 2003 CAF 155, [2003] A.C.F. no 477 (QL) (Chiasson), au paragraphe 6).

[47]      Les demanderesses font observer que les tribunaux ont été mis en garde contre l’interprétation et l’application d’une nouvelle loi dans le cadre de requêtes préliminaires (Cannon v. Funds for Canada Foundation, 2012 ONSC 399, [2012] O.J. no 168 (QL) (Cannon), aux paragraphes 234 et 237).

[48]      Les demanderesses s’appuient également sur l’arrêt Paradis Honey Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 89, [2016] 1 R.C.F. 446 (Paradis Honey) , au paragraphe 116, dans lequel la Cour d’appel fédérale a indiqué qu’une nouvelle demande ne devait pas être radiée uniquement parce qu’elle est nouvelle. La Cour a conclu dans cette affaire qu’une demande de sanction pécuniaire fondée sur des principes de droit public était une nouvelle demande et qu’elle devrait pouvoir suivre son cours.

[49]      Les demanderesses affirment que le régime de réparation soulève plusieurs nouvelles questions, y compris la question de l’interprétation des lois, la question de savoir si la décision est une décision administrative et la question de savoir si le DPP est un office fédéral. Toutes ces questions devraient être étudiées par le juge des requêtes étant donné qu’il s’agit d’une affaire de première impression judiciaire (c’est-à-dire qu’il n’existe aucun précédent contraignant parce que le régime de réparation n’a pas été examiné par la Cour).

C.        Les principes tirés de la jurisprudence

[50]      Dans l’arrêt JP Morgan, la Cour d’appel fédérale a confirmé que le critère pour la radiation d’un avis de demande de contrôle judiciaire était rigoureux et a indiqué ce qui suit au paragraphe 47 :

La Cour n’accepte de radier un avis de demande de contrôle judiciaire que s’il est « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun[e] chance d’être accueilli » (note en bas de page omise) : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. Elle doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By-Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

[51]      Au paragraphe 48, la Cour d’appel fédérale a expliqué que ce critère rigoureux était nécessaire pour refléter le fait que les demandes de contrôle judiciaire doivent être instruites selon une procédure sommaire et qu’une requête totalement injustifiée fait obstacle à cet objectif.

[52]      Au paragraphe 49, la Cour d’appel a précisé que les tribunaux qui sont saisis d’une requête en radiation devraient lire l’avis de demande « de manière à saisir la véritable nature de la demande » et a fait remarquer que « les plaideurs habiles peuvent faire paraître des questions relevant de la Cour canadienne de l’impôt comme s’il s’agissait de questions de droit administratif alors qu’il n’en est rien ». La Cour d’appel a ajouté au paragraphe 50 que « [l]a Cour doit faire une “appréciation réaliste” de la “nature essentielle” de la demande en s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » (renvois omis). En d’autres mots, la Cour devrait apprécier l’ensemble de la demande, au-delà des plaidoiries habiles, pour connaître la nature essentielle des allégations.

[53]      Dans l’arrêt David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 [à la page 600], [1994] A.C.F. no 1629 (QL) (C.A.) (David Bull), au paragraphe 15, la Cour d’appel a fait remarquer que les cas où il est conclu qu’une demande n’a aucune chance d’être accueillie « doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations […] où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l’avis de requête ».

[54]      Dans l’arrêt R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42, [2011] 3 R.C.S. 45 (Imperial Tobacco), la Cour suprême du Canada a traité du critère applicable à la radiation d’une demande. Elle a fait observer que le pouvoir de radier une demande constitue une importante mesure de gouverne judiciaire parce qu’elle permet d’écarter les demandes vaines et de favoriser l’instruction efficace des litiges (aux paragraphes 17, 19 et 20). Les principes qui s’appliquent à la radiation d’une demande sont les mêmes que pour la radiation d’un avis de demande, comme il a été confirmé dans l’arrêt JP Morgan.

[55]      La Cour suprême a toutefois précisé qu’une requête en radiation ne saurait être accueillie à la légère. Elle a expliqué que les tribunaux qui doivent déterminer si une demande a une possibilité raisonnable d’être accueillie devraient garder à l’esprit que des requêtes préliminaires ou des requêtes en radiation peuvent amorcer une évolution du droit. Au paragraphe 21, la Cour suprême a fait observer que, par conséquent, « [l]’approche doit être généreuse et permettre, dans la mesure du possible, l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable » (non souligné dans l’original).

[56]      La Cour suprême a donné d’autres indications au paragraphe 25. Elle a affirmé que pour déterminer s’il existe une possibilité raisonnable que la demande soit accueillie, « [i]l s’agit de savoir si, dans le contexte du droit et du processus judiciaire, la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie » (souligné dans l’original).

[57]      Plus récemment, dans l’arrêt Teva Canada Limitée c. Gilead Sciences Inc., 2016 CAF 176, [2016] A.C.F. no 605 (QL), la Cour d’appel fédérale a conclu que le critère de la possibilité raisonnable de succès s’appliquait aussi à une requête en autorisation de modifier des actes de procédure. La Cour d’appel a cité l’arrêt Imperial Tobacco en ce qui concerne la signification du critère et a fait observer ce qui suit au paragraphe 30 :

Le critère de la « possibilité raisonnable de succès » est plus qu’une simple évaluation des chances mathématiques. Pour décider si une modification présente une possibilité raisonnable de succès, il faut examiner ses chances dans le contexte du droit et du processus judiciaire et adopter un point de vue réaliste (Imperial Tobacco, précité, par. 25). [Non souligné dans l’original.]

[58]      Les demanderesses renvoient à l’arrêt Chiasson pour appuyer l’affirmation selon laquelle il est préférable que les requêtes en radiation soient instruites lors de l’audition de la demande. Cependant, le principe énoncé, lorsqu’il est interprété dans son contexte, correspond à celui énoncé dans les arrêts Imperial Tobacco et JP Morgan. Dans l’arrêt Chiasson, la Cour d’appel fédérale a précisé ce qui suit, au paragraphe 6 :

Il importe de se rappeler que dans le cadre d’une requête en radiation fondée sur le fait qu’une instance ne révèle aucune cause d’action, il n’incombe pas au protonotaire qui entend la requête, ou au juge des requêtes en appel, ou encore à la présente Cour, en appel de la décision rendue par celui-ci, de trancher d’une façon définitive la question de savoir si une cause d’action valable est révélée. Pareille requête en radiation devrait plutôt être rejetée à moins qu’il ne soit clair et évident que l’instance n’a aucune chance de succès. [Non souligné dans l’original.]

[59]      Les demanderesses se fondent également sur la décision Cannon, aux paragraphes 234 et 237, dans laquelle la Cour supérieure de justice de l’Ontario a fait observer qu’elle devrait hésiter à définir la portée d’une nouvelle loi dans le cadre d’une requête relative à un acte de procédure. Dans cette affaire, la Cour était saisie d’une question relative à un stratagème de crédit d’impôt pour don de bienfaisance dans le contexte de la Loi de 2002 sur la protection du consommateur de l’Ontario, L.O. 2002, ch. 30, annexe A [Loi sur la protection du consommateur]. La Cour a cité la décision Wright v. United Parcel Service Canada Ltd, 2011 ONSC 5044, [2011] O.J. no 3936 (QL), au paragraphe 134, où elle a conclu que la jurisprudence relative aux causes d’action dans la Loi sur la protection du consommateur était inexistante ou non établie. Je ne suis pas d’accord avec les demanderesses pour dire que la décision Cannon étaye l’affirmation selon laquelle toute nouvelle loi soulève une nouvelle question et que cela commande le rejet d’une requête en radiation. Les éléments à prendre en considération sont plus importants dans le cadre d’une requête en radiation.

[60]      Dans l’arrêt Paradis Honey, la Cour d’appel fédérale a répété que le droit continuait à évoluer. Elle a conclu que la demande soulevée était nouvelle et qu’il s’agissait d’une « modification réfléchie et progressive de la common law qui repose sur la doctrine et qui est réalisée au moyen d’un raisonnement juridique classique ». Elle a également conclu que la demande ne devrait pas être radiée (au paragraphe 118). La Cour a expliqué ce qui suit au paragraphe 116 :

La demande de sanction pécuniaire en droit public est nouvelle. Pour rechercher si une nouvelle réclamation peut donner lieu au rejet d’une requête en radiation, nous devons garder à l’esprit que la common law se trouve dans un état continuel d’évolution progressive et réfléchie (R. c. Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, pages 665 à 670). Alors que notre Constitution est un [traduction] « arbre susceptible de croître et de se développer à l’intérieur de ses limites naturelles » (voir Edwards, Henrietta Muir v.  Attorney-General of Canada, [1929] UKPC 86 (BAILII), [1930] A.C. 124), la common law ― notamment le droit public ― ne constitue pas une forêt pétrifiée. Une nouvelle réclamation ne doit pas être radiée uniquement parce qu’elle est nouvelle (voir Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 21, Hunt, précité, aux pages 979 et 980; et Operation Dismantle, précité, aux pages 486 et 487). Toutefois, tel qu’il était signalé dans l’arrêt Salituro, précité, et l’arrêt Fraser River Pile & Dredge Ltd. c. Can-Dive Services Ltd., [1999] 3 R.C.S. 108, au paragraphe 42, l’évolution du droit jurisprudentiel a ses limites.

[61]      À mon avis, l’arrêt Paradis Honey indique qu’une analyse plus approfondie de la demande est requise, surtout s’il s’agit d’une nouvelle demande, pour pourvoir déterminer si elle doit suivre son cours.

[62]      Les principes clés qui ont été tirés de la jurisprudence, qui sont pertinents pour la requête en l’espèce et qui ont été appliqués sont les suivants :

•           un avis de demande doit faire l’objet d’une lecture globale pour que la nature essentielle des allégations puisse être déterminée;

•           une requête en radiation d’un avis de demande devrait être accueillie seulement si la demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie;

•           l’existence d’une question en litige ne permettrait pas de conclure à un « vice fondamental et manifeste » à l’égard de la pertinence des allégations;

•           la Cour devrait adopter une approche qui permet l’instruction de toute demande inédite, mais soutenable;

•           la Cour devrait déterminer si, dans le contexte du droit et du processus judiciaire, la demande a une « possibilité raisonnable d’être accueillie », et elle devrait faire une appréciation réaliste de la demande.

VII.      L’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est-il susceptible de contrôle judiciaire? De quelle façon?

A.        Les observations du défendeur

[63]      Le défendeur soutient que la décision du DPP d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation est un exemple classique de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Il fait observer qu’il est bien établi en droit que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire (Krieger c. Law Society of Alberta, 2002 CSC 65, [2002] 3 R.C.S. 372 (Krieger), au paragraphe 47; Miazga c. Kvello (Succession), 2009 CSC 51, [2009] 3 R.C.S. 339 (Miazga), aux paragraphes 46 et 47; Anderson, au paragraphe 37; R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566 (Nixon), aux paragraphes 52 et 62; R. c. Cawthorne, 2016 CSC 32, [2016] 1 R.C.S. 983 (Cawthorne), au paragraphe 47). Le défendeur souligne que le rôle quasi judiciaire du procureur général à titre de poursuivant ne peut pas être entravé. Il ajoute que la même jurisprudence étaye l’affirmation selon laquelle la décision en cause relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[64]      Le défendeur fait observer que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites peut être susceptible de contrôle en cas d’abus de procédure ou de conduite répréhensible flagrante de la part du poursuivant, mais qu’une telle conduite n’est pas alléguée par les demanderesses.

[65]      Le défendeur ajoute que les raisons pour lesquelles le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est à l’abri d’un contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure, ont été expliquées dans la jurisprudence, et que ces raisons précisent la nature des décisions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[66]      Le défendeur renvoie à l’arrêt Anderson, au paragraphe 37, et fait remarquer que la Cour suprême du Canada a souligné le principe de longue date selon lequel le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est un élément essentiel au bon fonctionnement de la justice criminelle. De plus, ce pouvoir discrétionnaire permet de défendre l’intérêt public en permettant aux poursuivants de prendre des décisions sans ingérence judiciaire et politique et de s’acquitter ainsi de leur rôle quasi judiciaire.

[67]      Le défendeur renvoie à l’arrêt Krieger, aux paragraphes 31 et 32, où la Cour suprême du Canada a cité l’arrêt R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, [1994] A.C.S. no 29 (QL) (Power), aux paragraphes 621 à 623, et a souligné que les tribunaux ne devraient pas s’immiscer dans le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, lequel tire son origine de la prérogative royale ou est accordé en common law. Dans l’arrêt Power, la Cour suprême du Canada a affirmé que si un tribunal « doit contrôler l’exercice par le poursuivant de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal devient un poursuivant superviseur. Il cesse alors d’être un tribunal indépendant » (souligné dans l’original).

[68]      Le défendeur précise aussi que, dans l’arrêt Nixon, la Cour suprême du Canada a conclu que l’appréciation d’une décision prise dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites selon la norme de la décision raisonnable constituait une erreur fondamentale, parce que le tribunal devenait un poursuivant superviseur. La Cour a relevé, au paragraphe 52, le « rôle distinct du procureur général sur le plan constitutionnel quant aux décisions d’engager et de continuer des poursuites pénales ».

[69]      Le défendeur soutient que ces principes sont appliqués depuis longtemps par les tribunaux de première instance et les tribunaux d’appel. Par exemple, dans la décision R. v. Baptiste, [2000] O.J. no 528 (QL), (2000), 74 C.R.R. (2d) 333 (C. sup.) (Baptiste), aux paragraphes 29 et 30, la Cour a fait observer que l’administration du droit criminel serait paralysée si les décisions préliminaires des poursuivants étaient susceptibles de contrôle judiciaire.

[70]      Le défendeur renvoie à la jurisprudence dans laquelle la Cour a conclu que des décisions analogues à la décision de la DPP relèvent de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Par exemple, dans la décision R. v. C. (E.J.), 2013 ABPC 28, [2013] A.J. no 247 (QL), aux paragraphes 10 et 11, la Cour provinciale de l’Alberta a conclu que la décision du poursuivant d’infliger des sanctions extrajudiciaires à un jeune contrevenant relevait du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Dans la décision Okimow v. Saskatchewan (Attorney General), 2000 SKQB 311, [2000] S.J. no 499 (QL) (Okimow), la Cour a conclu que la décision du poursuivant de recourir à des mesures de rechange relevait également du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Dans l’arrêt R. c. T. (V.), [1992] 1 R.C.S. 749, la Cour suprême du Canada a conclu qu’il était incompatible avec le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites de permettre à un juge de décider si le poursuivant aurait dû intenter des poursuites contre un jeune contrevenant ou prendre des mesures de rechange. Dans ces affaires, les tribunaux ont aussi fait remarquer que leur rôle n’était pas de superviser l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

B.        Les observations des demanderesses

[71]      Les demanderesses ne contestent pas le fait que la jurisprudence a établi que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure. Les demanderesses soulignent que la décision en cause ne relève pas de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Elles affirment également que la jurisprudence a établi que seul le pouvoir discrétionnaire absolu en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle. Ce pouvoir discrétionnaire se distingue de celui exercé en vertu de l’article 715.32 du Code criminel, qui, lui, est limité. Les demanderesses soutiennent également que la jurisprudence qui traite de la portée du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et qui a fourni des raisons pour expliquer pourquoi la Cour ne devrait pas superviser l’exercice de ce pouvoir n’a pas tenu compte des questions soulevées en l’espèce. Les tribunaux ont plutôt examiné la question du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites par opposition aux questions tactiques ou éthiques, plutôt que de l’examiner par opposition aux décisions limitées par de nombreux critères. Les demanderesses soutiennent que la décision en cause s’apparente à une décision administrative.

C.        Le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire

[72]      La jurisprudence établit fermement que l’indépendance du procureur général est essentielle et fondamentale pour le système de justice criminelle et que les décisions prises par le procureur général ou en son nom dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ne sont pas susceptibles de contrôle judiciaire. Elle explique pourquoi et donne de nombreux exemples de décisions qui relèvent de ce pouvoir discrétionnaire.

[73]      Dans l’arrêt Krieger, la Cour suprême du Canada a décrit le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites de la manière suivante, au paragraphe 43 :

L’expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » est une expression technique. Elle ne désigne pas simplement la décision discrétionnaire d’un procureur du ministère public, mais vise l’exercice des pouvoirs qui sont au cœur de la charge de procureur général et que le principe de l’indépendance protège contre l’influence de considérations politiques inappropriées et d’autres vices.

[74]      La Cour a également fourni au paragraphe 46 des exemples d’éléments visés par le pouvoir discrétionnaire « essentiel » en matière de poursuites : le pouvoir d’intenter ou non des poursuites, le pouvoir d’ordonner un arrêt des procédures, le pouvoir d’accepter un plaidoyer relativement à une accusation moins grave et le pouvoir de se retirer de procédures criminelles.

[75]      La Cour a donné l’explication suivante au paragraphe 30 de l’arrêt Krieger :

Dans notre pays, un principe constitutionnel veut que le procureur général agisse indépendamment de toute considération partisane lorsqu’il supervise les décisions d’un procureur du ministère public. Voir, à l’appui de ce point de vue : Commission de réforme du droit du Canada, [document de travail 62, Poursuites pénales : les pouvoirs du procureur général et des procureurs de la Couronne (1990)], p. 9-11. Voir également le juge Binnie (dissident sur un autre point) dans l’arrêt R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297, 2002 CSC 12, par. 157-158.

[76]      Dans l’arrêt Miazga, la Cour suprême du Canada a précisé que l’indépendance du procureur général à titre de poursuivant est consacrée par la Constitution. Elle s’est exprimée comme suit au paragraphe 46 :

L’indépendance du procureur général est si essentielle à l’intégrité et à l’efficacité du système de justice criminelle qu’elle est consacrée par la Constitution. Le principe de l’indépendance veut que le procureur général agisse indépendamment de toute pression politique du gouvernement et il soustrait à tout contrôle judiciaire l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, sous réserve uniquement de l’application de la règle de l’abus de procédure. Dans l’arrêt Krieger, notre Cour explique en quoi le principe de l’indépendance revêt la forme d’une valeur constitutionnelle (par. 30-32) :

[…]

La reconnaissance par la cour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire du procureur général en matière de poursuites ne peut pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire repose avant tout sur le principe fondamental de la primauté du droit consacré par notre Constitution. Sous réserve de la règle de l’abus de procédure, il ne relève pas de la compétence légitime du tribunal de superviser le processus décisionnel d’une partie plutôt que la conduite des parties comparaissant devant lui. […] La fonction quasi judiciaire du procureur général ne saurait faire l’objet d’une ingérence de la part de parties qui ne sont pas aussi compétentes que lui pour analyser les divers facteurs à l’origine de la décision de poursuivre. Assujettir ce genre de décisions à une ingérence politique ou à la supervision des tribunaux pourrait miner l’intégrité de notre système de poursuites. Il faut établir des lignes de démarcation constitutionnelles claires dans des domaines où un conflit aussi grave risque de survenir. [Je souligne.]

[77]      Dans l’arrêt Miazga, la Cour a également précisé que les poursuivants ont un rôle quasi judiciaire et prennent leurs décisions sans ingérence judiciaire ou politique. Elle a expliqué, au paragraphe 47 :

L’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites relève d’une fonction inhérente à la charge de procureur général qui fait intervenir le principe de l’indépendance. L’importance fondamentale de l’indépendance du ministère public tient à la défense de l’intérêt public, et non à la protection des droits individuels des procureurs de la Couronne, car elle permet à ces derniers de prendre des décisions discrétionnaires dans l’exécution de leurs obligations professionnelles sans craindre d’ingérence judiciaire ou politique et de s’acquitter ainsi de leur rôle quasi judiciaire de [traduction] « représentants de la justice » : Boucher c. The Queen, [1955] R.C.S. 16, p. 25, le juge Locke. Dans l’arrêt R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, la juge L’Heureux-Dubé reconnaît qu’il est dans l’intérêt public de limiter le contrôle judiciaire des décisions du ministère public (p. 616) :

[L]e procureur général est un représentant de l’exécutif et, à ce titre, il reflète, de par sa fonction de poursuivant, l’intérêt de la collectivité à faire en sorte que justice soit adéquatement rendue. Le rôle du procureur général à cet égard consiste non seulement à protéger le public, mais également à honorer et à exprimer le sens de justice de la collectivité. Aussi, les tribunaux devraient-ils être prudents avant de s’adonner à des conjectures rétrospectivement sur les motifs qui poussent le poursuivant à prendre une décision. [Je {la juge Charron dans Miazga} souligne.]

Il est donc clairement dans l’intérêt public que les procureurs de la Couronne jouissent d’un pouvoir discrétionnaire total leur permettant de s’acquitter dûment de leur fonction.

[78]      Dans l’arrêt Anderson, la Cour suprême du Canada a clarifié la confusion qu’avait entraînée l’interprétation de l’arrêt Krieger par les tribunaux d’instance inférieure en ce qui concerne les éléments du pouvoir discrétionnaire « essentiel » en matière de poursuites. La Cour a abandonné le terme « essentiel » et a réitéré, au paragraphe 37, les principes susmentionnés, y compris le fait que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est un élément essentiel au bon fonctionnement de la justice criminelle et que les poursuivants ont besoin de ce pouvoir discrétionnaire pour exécuter leurs obligations professionnelles et s’acquitter de leur rôle quasi judiciaire sans craindre d’ingérence judiciaire ou politique.

[79]      Dans l’arrêt Anderson, la Cour suprême a mentionné qu’il ne convenait pas d’interpréter le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites de manière étroite, et elle a précisé l’expression en fournissant quelques exemples au paragraphe 44 :

En vue de clarifier la règle, je crois que nous devons d’abord reconnaître que l’expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » est une expression large qui renvoie à toutes « les décisions concernant la nature et l’étendue des poursuites ainsi que la participation du procureur général à celles-ci » (Krieger, par. 47). Comme notre Cour l’a fait remarquer à maintes reprises, « [l]e pouvoir discrétionnaire [en matière de poursuites] renvoie à la discrétion exercée par le procureur général dans les affaires qui relèvent de sa compétence relativement à la poursuite d’infractions criminelles » (Krieger, par. 44, citant Power, p. 622, citant D. Vanek, « Prosecutorial Discretion » (1988), 30 Crim. L.Q. 219, p. 219 (je souligne)). Bien qu’il soit sans doute impossible de dresser une liste exhaustive des décisions qui relèvent de la nature et de l’étendue des poursuites, nous pouvons ajouter, outre ceux donnés dans Krieger, les exemples suivants : la décision de répudier une entente sur le plaidoyer (comme dans R. c. Nixon, 2011 CSC 34, [2011] 2 R.C.S. 566); la décision d’introduire une demande de déclaration de délinquant dangereux; la décision de procéder par voie de mise en accusation directe; la décision de porter des accusations alléguant la perpétration de plusieurs infractions; la décision de négocier sur un plaidoyer; la décision de procéder par voie sommaire ou par voie de mise en accusation; la décision d’interjeter appel. Toutes ces décisions ont trait à la nature et à l’étendue des poursuites. Comme on peut le voir, plusieurs découlent de dispositions du Code même, y compris la décision en l’espèce de produire l’avis.

[80]      Plus récemment, dans l’arrêt Cawthorne, au paragraphe 28, la Cour suprême du Canada a de nouveau observé qu’il « n’est pas loisible à un tribunal d’examiner minutieusement l’exercice de ce pouvoir ou de mettre en question la conception particulière qu’un poursuivant se fait de l’intérêt public ».

[81]      Les tribunaux de première instance et les tribunaux d’appel ont réitéré les principes énoncés par la Cour suprême du Canada et les ont appliqués de façon constante.

[82]      La Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Baptiste a souligné les répercussions que pourrait avoir sur le système de justice criminelle le fait d’importer des principes de droit administratif. Elle a conclu que l’importation de tels principes ouvrirait toute grande la voie au contrôle d’innombrables décisions relevant du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et que cela aurait pour résultat de paralyser le processus pénal. La Cour a précisé aux paragraphes 29 et 30 :

[traduction] Permettre qu’on importe des principes de droit administratif dans l’environnement propre aux poursuites de droit pénal mérite qu’on s’attarde aux répercussions possibles d’une telle politique. Un nombre illimité de décisions seraient susceptibles de contrôle judiciaire, y compris la décision de poursuivre ou de ne pas poursuivre une personne; la décision d’interjeter appel ou de ne pas interjeter appel dans une affaire donnée; la décision de mener ou de ne pas mener une autre enquête dans une affaire donnée; la décision de retirer ou de ne pas retirer une accusation en particulier; la décision de suspendre une instance ou de ne pas la suspendre; la décision de procéder par voie d’acte d’accusation ou par voie sommaire; la décision d’utiliser un recours autre qu’un recours de droit pénal pour régler un dossier donné ou d’utiliser un recours de droit pénal.

On voit immédiatement que le fait d’importer des principes de droit administratif et de les appliquer aux fonctions décisionnelles que le poursuivant exerce quotidiennement aurait effectivement pour résultat de paralyser entièrement l’administration de la justice pénale. Ces décisions sont prises à une fréquence indiscutable dans tous les bureaux des avocats de la Couronne et dans toutes les salles d’audience de l’univers de la common law, à chaque minute, à chaque heure, et à tous les jours. Les rouages mêmes du pouvoir discrétionnaire du poursuivant rendent le contrôle judiciaire singulièrement inapproprié.

[83]      Des préoccupations similaires avaient déjà été exprimées par la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt R. v. Saikaly, [1979] O.J. no 94 (QL), 1979 CarswellOnt 1336 (C.A.) (Saikaly), au paragraphe 17, où la Cour a déclaré que [traduction] « [s]i le procureur général devait accorder une audience à quiconque est susceptible d’être concerné chaque fois qu’il se propose d’exercer le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré de par sa charge, alors l’administration de la justice pénale serait paralysée ». La Cour a cité l’affaire Gouriet v. Union of Post Office Workers, [1978] A.C. 435, [1977] 3 W.L.R. 300, aux pages 319 et 320, où la cour du Royaume-Uni a noté les nombreux pouvoirs du procureur général, y compris celui de mettre fin aux poursuites sans fournir de motif, celui d’intenter une poursuite et celui d’ordonner au DPP d’assumer la responsabilité d’une poursuite, en précisant que ces pouvoirs n’étaient pas susceptibles de contrôle par les tribunaux ni assujettis à une supervision par eux.

[84]      Dans la décision Zhang c. Canada (Procureur général), 2006 CF 276, [2006] A.C.F. no 361 (QL) (Zhang), la Cour a examiné une demande de contrôle judiciaire visant la décision du procureur général de ne pas consentir à une poursuite privée. La Cour a observé au paragraphe 9 que la jurisprudence a « toujours affirmé que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la poursuite était un domaine qui échappait normalement aux tribunaux » (souligné dans l’original). Elle a cité à titre d’exemple du principe établi l’arrêt Nelles v. Ontario, [1989] 2 R.C.S. 170, [1989] A.C.S. no 86 (QL), où la Cour suprême du Canada a expliqué que le procureur général, dans l’exercice de son rôle de poursuivant, « jouit [...] d’une immunité totale et absolue parce qu’il exerce une fonction judiciaire ».

[85]      Dans la décision Zhang, la Cour a également cité l’arrêt Saikaly, mentionnant au paragraphe 23 que l’administration de la justice serait complètement paralysée si le procureur général était tenu d’accorder une audience à toute personne susceptible d’être touchée par l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Elle a ajouté, au paragraphe 24 :

Dans Krieger, ci-dessus, la Cour suprême du Canada a réaffirmé la notion selon laquelle « [l]a fonction quasi judiciaire du procureur général ne saurait faire l’objet d’une ingérence de la part de parties qui ne sont pas aussi compétentes que lui pour analyser les divers facteurs à l’origine de la décision de poursuivre […] » (au paragraphe 32). À mon avis, accepter l’affirmation du demandeur selon laquelle il aurait dû se voir accorder la possibilité de se faire entendre compromettrait l’indépendance dont le procureur général doit jouir dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[86]      La jurisprudence susmentionnée n’est qu’un échantillon d’une longue série de décisions qui ont établi clairement que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle par la Cour et que ce pouvoir discrétionnaire a une portée large, notamment en donnant des exemples et en précisant que ceux-ci ne sont pas exhaustifs. La jurisprudence a également établi que le rôle du poursuivant est quasi judiciaire. Le poursuivant intente des poursuites et s’occupe de tout ce que cela implique de manière indépendante et sans ingérence politique ou judiciaire. La Cour n’agit pas comme poursuivant superviseur vu le partage des pouvoirs et les origines du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et parce que, comme la Cour suprême l’a souligné dans l’arrêt Krieger, elle ne serait pas aussi compétente que le poursuivant pour analyser les divers facteurs à l’origine de la décision.

VIII.     La décision du DPP d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation relève-t-elle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ou s’agit-il d’une décision administrative?

A.        Les observations de l’intimée

[87]      Le défendeur conteste la prétention des demanderesses selon laquelle le DPP doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’inviter ou non une organisation à négocier de manière raisonnable et en conformité avec le régime législatif, prétention qui découle selon lui du fait que les demanderesses ont interprété à tort la décision en cause comme une décision administrative.

[88]      Le défendeur affirme que la partie XXII.1, en particulier l’article 715.32, qui permet au poursuivant d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation, est un [traduction] « exemple classique » de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[89]      Le défendeur fait observer que les accords de réparation, qui entraînent la suspension des poursuites lorsqu’ils sont négociés avec succès et approuvés, relèvent manifestement du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, à l’instar de toute décision de continuer ou de suspendre une poursuite. Le défendeur souligne que la suspension des poursuites n’est pas un concept nouveau. La suspension des poursuites qui serait ordonnée dans le cas où un accord est conclu et respecté est régie par l’article 579 du Code criminel, qui régit aussi l’arrêt des procédures dans d’autres circonstances. Le défendeur affirme que la décision de suspendre une poursuite pénale relève manifestement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[90]      Le défendeur se reporte encore une fois à la jurisprudence qui établit que les tribunaux ne doivent pas se voir confier le rôle de poursuivants superviseurs. Il fait valoir que les demanderesses, en l’espèce, demandent à la Cour de devenir un poursuivant superviseur à l’égard de la décision de ne pas inviter une organisation à négocier un accord de réparation. Le défendeur fait remarquer que si cette décision initiale était susceptible de contrôle, alors toutes les étapes ultérieures le seraient aussi. Si c’était le cas, la Cour serait également appelée à superviser les cas où les négociations n’aboutissent pas à un accord. Or, le libellé des dispositions indique clairement que ce n’est pas le cas; une fois que les négociations en vue de conclure un accord de réparation ont été entamées, le poursuivant peut décider d’y mettre fin à tout moment avant la conclusion d’un accord. Le seul rôle du tribunal pénal (et non de la Cour) consiste à approuver l’accord de réparation conclu au terme des négociations, le cas échéant, et de veiller au respect de l’accord. La Cour n’a aucun rôle à jouer avant cette étape.

[91]      Le défendeur fait remarquer que la jurisprudence donne de nombreux exemples de décisions analogues qui ont été prises dans le cadre d’une poursuite et qui relèvent manifestement du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Il fait également remarquer que les dispositions législatives sont rédigées en termes qui expriment une faculté et un pouvoir discrétionnaire.

[92]      Le défendeur affirme que, légalement, l’organisation accusée d’une infraction ne dispose pas du droit d’être invitée à négocier un accord de réparation. Cette décision appartient au poursuivant. L’article 715.32 énonce les conditions préalables aux négociations, mais laisse au poursuivant l’entière discrétion de décider d’inviter ou non une organisation à négocier. Bien que certains facteurs pertinents soient prévus, ceux-ci ne sont pas limitatifs et se fondent tous sur l’avis du poursuivant. Le procureur général doit aussi donner son consentement pour qu’une invitation à négocier soit envoyée, et aucun facteur ne guide ce consentement.

[93]      Lorsque le poursuivant décide de ne pas inviter une organisation à négocier ou lorsqu’il l’invite à négocier mais que les négociations n’aboutissent pas à un accord ou que l’accord n’est pas approuvé par le tribunal, les procédures pénales se poursuivent. En l’espèce, la DPP a informé les demanderesses qu’elle ne les inviterait pas à négocier un accord de réparation. En conséquence, la poursuite suit son cours.

[94]      Le défendeur cite l’arrêt Anderson, au paragraphe 40, où la Cour suprême du Canada a clarifié le sens de l’expression « pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites » et a fourni des exemples. Dans cet arrêt, la Cour a conclu que la décision du poursuivant de signifier ou non un avis de son intention de demander une peine plus sévère dans le cadre d’une poursuite pour conduite avec facultés affaiblies relevait de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. La Cour a précisé que la portée du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites est large, et elle a donné plusieurs exemples de ce pouvoir discrétionnaire, comme intenter ou non des poursuites, continuer une poursuite, accepter un plaidoyer relativement à une accusation moins grave ou ordonner un arrêt des procédures.

[95]      Le défendeur cite également la jurisprudence dans laquelle les tribunaux ont conclu que des décisions analogues, comme recourir ou non à des mesures de rechange (Okimow), donner suite ou non à une accusation à l’encontre d’un jeune au lieu de procéder à la déjudiciarisation (R. c. T. (V.)) et chercher ou non à ce que des sanctions extrajudiciaires soient imposées à un jeune contrevenant (R. c. C. (E.J.)), relevaient de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[96]      Le défendeur conteste l’interprétation donnée à l’article 715.32 par les demanderesses, selon laquelle le poursuivant doit inviter une organisation à négocier un accord de réparation si les conditions préalables sont réunies. Le défendeur fait valoir que l’article 715.32, qui est rédigé en termes exprimant une faculté (« le poursuivant peut » et « il est d’avis »), n’appuie pas l’argument des demanderesses selon lequel le poursuivant est tenu d’inviter une organisation à négocier. La décision d’inviter ou non une organisation à négocier est plutôt à l’entière discrétion du poursuivant.

[97]      Le défendeur ajoute que même si le libellé était considéré être impératif (ce qui est contesté), il suffirait que le poursuivant ne soit pas « d’avis » que les conditions sont réunies pour qu’aucune invitation à négocier ne soit faite.

[98]      De plus, l’article 715.32 et les dispositions connexes de la partie XXII.1 ne prévoient aucun mécanisme en cas d’échec des négociations. Le défendeur fait remarquer que si le poursuivant avait l’obligation d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation, comme les demanderesses le prétendent, il faudrait qu’il y ait un mécanisme prévoyant la procédure en cas d’échec des négociations.

[99]      Le défendeur soutient qu’il y a une distinction claire entre les termes de la partie XXII.1 qui expriment une faculté et ceux qui expriment une obligation.

[100]   Le défendeur conteste la prétention des demanderesses selon laquelle le terme « peut » peut exprimer une obligation. Le défendeur invoque à ce titre l’article 11 de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, qui prévoit que l’octroi de pouvoirs, de droits, d’autorisations ou de facultés s’exprime par le verbe « pouvoir ».

[101]   Le défendeur conteste également l’argument des demanderesses selon lequel l’article 715.32, qui énonce les conditions et les facteurs qui s’appliquent du point de vue du poursuivant, en particulier les facteurs additionnels qui guident la prise en considération de l’intérêt public, comporte les caractéristiques du processus décisionnel administratif. Le défendeur fait remarquer que toutes les décisions du poursuivant tiennent compte de l’intérêt public.

[102]   Pour ce qui est du renvoi par les demanderesses au Guide du Service des poursuites pénales du Canada (Guide du SPPC), qui recommande aux poursuivants de tenir compte de l’intérêt public au moment de décider d’intenter ou non une poursuite, et de la prétention des demanderesses selon laquelle le renvoi à l’intérêt public à l’article 715.32 est de nature plus précise, le défendeur soutient que les poursuivants doivent tenir compte de l’intérêt public dans toutes les circonstances. Le Guide du SPPC indique que, s’il existe une perspective raisonnable de condamnation, l’intérêt public exige généralement « à lui seul » qu’une poursuite soit intentée. Le défendeur souligne toutefois que, même s’il existe une perspective raisonnable de condamnation, il n’est pas toujours dans l’intérêt public d’intenter une poursuite. La décision de poursuivre ou non est toujours discrétionnaire. Le fait d’avoir inclus l’intérêt public dans les facteurs énoncés à l’article 715.32 ne transforme pas les décisions prises par le poursuivant en vertu de son pouvoir discrétionnaire en décisions administratives.

[103]   Le défendeur fait également remarquer que le DPP n’a aucun lien de dépendance avec le gouvernement. La Loi sur le directeur des poursuites pénales a été introduite en 2006 dans le cadre de la Loi fédérale sur la responsabilité, L.C. 2006, ch. 9, dans le but de préciser que la charge de DPP est indépendante du double rôle de procureur général et de ministre de la Justice. Le défendeur cite des passages des débats parlementaires, où le gouvernement a expliqué que l’objet de la Loi sur le directeur des poursuites pénales est de veiller à ce qu’il n’y ait aucune apparence d’ingérence politique à l’égard du rôle de poursuivant du procureur général, étant donné que celui-ci joue également le rôle de ministre de la Justice.

B.        Les observations des demanderesses

[104]   Les demanderesses font valoir que la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation est une décision administrative. Elles soutiennent que, bien interprété, l’article 715.32 est habilitant et non discrétionnaire, et que le poursuivant est tenu d’inviter une organisation à négocier lorsque les conditions sont réunies. Les demanderesses soutiennent également que le régime de réparation prévoit un processus qui s’applique parallèlement à la poursuite, puisque celle-ci suit son cours. De plus, les demanderesses prétendent que la décision d’inviter ou non une organisation à négocier se distingue des décisions jugées par les tribunaux relevé du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, comme la décision de recourir à des mesures de rechange. Les demanderesses font aussi valoir que les considérations liées à l’intérêt public énoncées à l’article 715.32 sont l’indice d’une décision administrative.

[105]   Les demanderesses font valoir que les nombreuses questions qu’elles ont soulevées montrent que la caractérisation de la décision de la DPP en tant que décision administrative est une question dont il est à tout le moins possible de débattre.

[106]   Les demanderesses soutiennent que le régime de réparation ne fait pas intervenir le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, parce que la poursuite suit son cours jusqu’à ce qu’un accord de réparation soit approuvé par la Cour et respecté. Le régime de réparation prévoit une procédure qui s’applique parallèlement à la poursuite et aux décisions prises dans le cadre de la poursuite. Il ne relève pas du pouvoir discrétionnaire « essentiel » en matière de poursuites; de fait, la poursuite suit son cours.

[107]   En s’appuyant sur le résumé législatif du projet de loi C-74 (LEB de 2018) préparé par la Bibliothèque du Parlement, les demanderesses affirment que le « nouveau régime dénaturer[a] la fonction principale du procureur qui est de mener des procès criminels ». Elles soutiennent que cette affirmation étaye leur opinion selon laquelle la décision prise par la DPP ne relève pas de la fonction principale du poursuivant ni de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[108]   Les demanderesses soutiennent en outre que les principes fondamentaux d’interprétation des lois exigent que les termes d’une loi soient interprétés dans le contexte de la loi, suivant le sens ordinaire qui s’harmonise avec l’esprit de la loi et l’intention du législateur. Les demanderesses font valoir que cette approche exige que l’interprétation de l’article 715.32 tienne compte des objectifs des accords de réparation.

[109]   Les demanderesses soulignent que les objectifs du législateur, lorsqu’il a adopté le régime de réparation, sont énoncés à l’article 715.31 : dénoncer tout acte répréhensible de l’organisation et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité, tenir l’organisation responsable, obliger l’organisation à mettre en place des mesures correctives ainsi qu’une culture de conformité, encourager la divulgation volontaire des actes répréhensibles, prévoir la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité, et « réduire les conséquences négatives de l’acte répréhensible sur les personnes ― employés, clients, retraités ou autres ― qui ne s’y sont pas livrées, tout en tenant responsables celles qui s’y sont livrées ». Selon les demanderesses, ces objectifs, en particulier l’objectif qui a trait aux répercussions sur les intervenants, ne seront pas atteints si les décisions prises par le poursuivant ne sont pas susceptibles de contrôle.

[110]   Les demanderesses ajoutent que, bien qu’on retrouve à l’article 715.32 les expressions « le poursuivant peut » et « il est d’avis », lorsqu’on lit la disposition dans le contexte de l’esprit de la loi et de l’intention du législateur, il est évident qu’il s’agit d’un libellé habilitant. Les demanderesses font valoir que le terme « peut » à l’article 715.32 exprime une obligation; il prévoit un pouvoir assorti d’une obligation. Le DPP doit tenir compte des facteurs énoncés. Si les facteurs sont établis et que le fait pour le poursuivant d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation permet d’atteindre les objectifs législatifs du régime, le poursuivant doit le faire.

[111]   Les demanderesses font remarquer que dans son ouvrage intitulé Sullivan on the Interpretation of Statutes, 6e éd. (Markham, Ontario : LexisNexis, 2004), Ruth Sullivan explique au paragraphe 4.64 que l’emploi du terme « peut » peut s’interpréter comme une obligation lorsque toutes les conditions de l’exercice du pouvoir conféré sont réunies. Les demanderesses citent la jurisprudence dans laquelle le terme « peut » a été assimilé au terme « doit » (R. c. Lavigne, 2006 CSC 10, [2006] 1 R.C.S. 392 (Lavigne), au paragraphe 27).

[112]   Les demanderesses contestent l’argument selon lequel la décision d’inviter ou non une organisation à négocier n’est pas différente des décisions jugées relever du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, par exemple la décision de recourir à des mesures de rechange. Elles font plutôt valoir que le régime de réparation se distingue des dispositions du Code criminel autorisant le recours à des mesures de rechange, car celles-ci ne prévoient pas de facteurs précis dont le poursuivant doit tenir compte, par exemple en ce qui a trait aux intérêts des intervenants autres que les victimes.

[113]   Les demanderesses soutiennent que la jurisprudence invoquée par le défendeur pour étayer le point de vue selon lequel la décision en question relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites présume que le pouvoir discrétionnaire est absolu, ce qui n’est pas le cas du pouvoir prévu à l’article 715.32. Par exemple, dans la décision Première nation d’Ochapowace c. Canada (Procureur général), 2007 CF 920, [2008] 3 R.C.F. 571 (Ochapowace), au paragraphe 46, la Cour a examiné la jurisprudence relative au pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et a fait remarquer qu’il s’agit d’un pouvoir purement discrétionnaire et que la loi ne renferme aucune limite quant à l’exercice de ce pouvoir. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce; le poursuivant doit tenir compte de plusieurs facteurs obligatoires.

[114]   Les demanderesses attirent l’attention sur le Guide du SPPC, qui prévoit que les poursuivants, lorsqu’ils décident s’il y a lieu d’intenter ou non des poursuites, tiennent compte de la question de savoir s’il existe une perspective raisonnable de condamnation et, dans l’affirmative, si la poursuite serait dans l’intérêt public. Les demanderesses soutiennent que, lorsque le poursuivant établit qu’il y a une perspective raisonnable de condamnation, il s’ensuit qu’il est nécessairement dans l’intérêt public d’intenter des poursuites. Les demanderesses soutiennent que, si l’on compare la décision d’intenter ou non des poursuites, qui relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, et la décision d’inviter une organisation à négocier une entente de réparation, cette dernière décision nécessite la prise en compte d’un nombre beaucoup plus important de considérations. Le régime de réparation traduit le fait que, même lorsqu’il existe une perspective raisonnable de condamnation, il n’est pas nécessairement dans l’intérêt public d’intenter des poursuites contre une organisation.

[115]   Les demanderesses soutiennent que l’article 715.32 comporte les caractéristiques du processus décisionnel administratif. Elles font remarquer que l’alinéa 715.32(1)c) prévoit la condition selon laquelle « [le poursuivant] est d’avis qu’il convient de négocier un tel accord dans les circonstances et qu’il est dans l’intérêt public de le faire » (non souligné dans l’original). La détermination de « l’intérêt public » est également guidée par la liste de facteurs énoncée au paragraphe 715.32(2). Les demanderesses soutiennent que la décision d’inviter une organisation à négocier une entente de réparation n’a pas uniquement une incidence sur l’accusé et sur le poursuivant, mais aussi sur bien d’autres personnes dont la situation n’est habituellement pas prise en compte dans la décision de poursuivre ou non. L’accord de réparation met l’accent sur des intérêts publics particuliers, y compris ceux des intervenants, ce qui permet de distinguer la décision en cause des autres décisions que prend le poursuivant.

[116]   Les demanderesses ajoutent que les décisions guidées par l’intérêt public sont considérées comme étant des décisions administratives. Les demanderesses soulignent un passage à la page 169 de l’ouvrage Droit Administratif, 7e éd. (Cowansville, QC : Éditions Yvon Blais) (Droit Administratif), dans lequel l’auteur Patrice Garant mentionne ce qui suit : « La décision reste administrative si elle porte “sur l’examen du bien-être de la collectivité plutôt que sur les droits des parties au litige” ».

C.        La décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites

[117]   Malgré les observations des demanderesses sur la façon dont la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation pourrait être qualifiée de décision administrative, cette décision est clairement un exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Les termes employés à la partie XXII.1, et en particulier à l’article 715.32, lus dans le contexte du régime prévu par la partie XXII.1, appuient la conclusion selon laquelle cette décision est purement discrétionnaire. La nature de la décision et la jurisprudence dans laquelle il a été conclu que bon nombre d’autres décisions, dont certaines très semblables à la décision en cause, relevaient de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant, confirment que cette décision relève entièrement du pouvoir discrétionnaire du poursuivant. La prise en compte de l’intérêt public et des facteurs spécifiques pour guider l’intérêt public ne transforme pas la décision visée à l’article 715.32 en décision administrative.

1)         Le libellé de la loi

[118]   La partie XXII.1 est reproduite en entier à l’annexe A. Il y a une distinction entre les termes qui expriment une faculté et ceux qui expriment une obligation, comme le démontrent les exemples suivants : « [l]e poursuivant peut négocier un accord de réparation », « le poursuivant prend en compte », « [l]’accord de réparation comporte les éléments suivants », « [l]’accord de réparation peut comporter » et « le poursuivant prend les mesures raisonnables pour informer les victimes ».

[119]   L’article 715.32 prévoit que le poursuivant « peut » négocier un accord de réparation si les conditions sont établies; d’après le libellé de ces conditions, celles-ci sont établies lorsque « [le poursuivant] est d’avis que » c’est le cas. Le consentement du procureur général est nécessaire, même si le poursuivant est d’avis que les conditions sont remplies. En ce qui concerne la question de savoir si le poursuivant est d’avis « qu’il convient de négocier un tel accord dans les circonstances et qu’il est dans l’intérêt public de le faire » (alinéa 715.32(1)c)), le paragraphe 715.32(2) énonce les facteurs additionnels que le poursuivant prend en compte, dont l’alinéa i), à savoir « tout autre facteur qu’il juge pertinent ». Il s’ensuit que la liste de facteurs liés à la considération de l’intérêt public qui figure dans ce paragraphe n’est pas exhaustive.

[120]   Le libellé du paragraphe 715.33(1) énonce lui aussi clairement que la décision du poursuivant d’aviser l’organisation de son invitation à négocier relève de son pouvoir discrétionnaire. Ce paragraphe contient le passage suivant : « [s]’il désire négocier un accord de réparation » (non souligné dans l’original).

[121]   Comme l’a fait remarquer le défendeur, d’autres dispositions de la partie XXII.1 indiquent aussi clairement que le poursuivant préserve son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites dans le cadre du régime d’accords de réparation. Par exemple, le paragraphe 715.36(1) exige que le poursuivant informe les victimes ou les tierces parties susceptibles d’être concernées que des négociations sont en cours et qu’un accord de négociation pourrait être conclu. Toutefois, le paragraphe 715.36(2) précise clairement que le devoir d’informer les victimes doit être interprété et appliqué d’une manière raisonnable qui n’est pas susceptible de nuire à la bonne administration de la justice, « notamment de porter atteinte au pouvoir discrétionnaire du poursuivant, de nuire aux négociations portant sur l’accord ou à sa conclusion, de les compromettre ou encore de causer des délais excessifs à leur égard » (non souligné dans l’original).

2)         « Peut » ne signifie pas « doit »

[122]   Je ne souscris pas à l’interprétation de l’article 715.32 proposée par les demanderesses selon laquelle le terme « peut » signifie en fait « doit » et associe la permission ou l’habilitation à l’obligation d’inviter une organisation à négocier lorsque les conditions sont remplies. L’application des principes d’interprétation des lois et la lecture globale et harmonieuse de l’article 715.32 dans le contexte de la partie XXII.1 et du Code criminel en général ne mène qu’à la conclusion, expliquée ci-dessus, que « peut » signifie « peut ». Le libellé de la loi laisse entendre que la décision d’inviter une organisation à négocier, même si elle est guidée par plusieurs facteurs, est laissée à la discrétion du poursuivant.

[123]   L’argument des demanderesses selon lequel l’arrêt Lavigne appuie leur opinion selon laquelle le terme « peut » n’a pas pour effet de conférer un pouvoir discrétionnaire n’est pas convaincant. Dans cet arrêt, la question en litige portait sur la peine infligée pour une infraction concernant les produits de la criminalité et la disposition selon laquelle le juge peut imposer une amende plutôt qu’ordonner la confiscation des biens. La Cour suprême s’est exprimée en ces termes, au paragraphe 27 :

Le mot « peut » ne saurait donc avoir pour effet de conférer un large pouvoir discrétionnaire. L’exercice de ce pouvoir est nécessairement limité par l’objectif de la disposition, par la nature de l’ordonnance et par les circonstances dans lesquelles celle-ci doit être rendue.

Je n’estime pas que l’arrêt Lavigne contienne un énoncé de principe général au sujet du mot « peut ». La Cour suprême s’est plutôt penchée sur l’utilisation de ce mot dans le contexte bien précis de l’affaire dont elle était saisie, comme est appelée à le faire la Cour en l’espèce.

[124]   La thèse des demanderesses selon laquelle le terme « peut » devrait être interprété comme signifiant « doit » et que le poursuivant a l’obligation d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation lorsque les conditions sont réunies soulève la question suivante : qui décide si les conditions sont réunies? L’organisation et le poursuivant peuvent être en désaccord quant à cette question. La lecture des dispositions du Code criminel ne laisse aucun doute quant au fait que c’est le poursuivant qui doit être d’avis que les conditions sont réunies.

3)         La portée du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites

[125]   La jurisprudence de la Cour suprême du Canada donne de nombreux exemples de décisions qui relèvent du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Tous ces exemples appuient le fait que la décision du poursuivant d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation relève elle aussi de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[126]   Dans les arrêts Krieger, Nixon et Anderson, la Cour suprême du Canada a fait remarquer que les décisions suivantes relèvent du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites : la décision d’intenter ou non des poursuites, la décision de procéder par voie sommaire ou par voie de mise en accusation, la décision de procéder par voie de mise en accusation directe, la décision d’ordonner un arrêt des procédures, la décision d’accepter un plaidoyer de culpabilité relativement à une accusation moins grave, la décision de répudier une entente sur le plaidoyer, la décision de se retirer complètement de procédures criminelles, la décision de prendre en charge des poursuites privées, la décision d’introduire une demande de déclaration de délinquant dangereux et la décision d’interjeter appel. Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé au paragraphe 44 de l’arrêt Anderson, « [t]outes ces décisions ont trait à la nature et à l’étendue des poursuites. Comme on peut le voir, plusieurs découlent de dispositions du Code même, y compris la décision en l’espèce de produire l’avis ».

[127]   Dans l’arrêt R. c. T. (V.), la Cour suprême du Canda devait trancher la question de savoir si la décision du poursuivant de donner suite à une accusation à l’encontre d’un jeune contrevenant plutôt que de procéder à la déjudiciarisation pouvait faire l’objet de surveillance judiciaire ou de modifications par la cour. La Cour a examiné les arguments, d’ailleurs très semblables à ceux soulevés par les demanderesses en l’espèce relativement au libellé habilitant des dispositions législatives et à la nécessité de veiller à ce que les objectifs généraux de la loi soient respectés, et a jugé que la décision relevait du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Elle a conclu que le fait de permettre à un juge de décider si des accusations auraient dû être portées, ou si d’autres mesures auraient dû être prises, n’était pas compatible avec le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[128]   La Cour suprême a mentionné ce qui suit aux paragraphes 30 et 31 [pages 767 et 768] de l’arrêt :

Quoi qu’il en soit, j’arrive à la conclusion que l’argument de l’intimée n’est aucunement compatible avec les récents énoncés de notre Cour sur la nature du par. 3(1). Dans l’arrêt R. c. S. (S.), [1990] 2 R.C.S. 254, l’accusé, un adolescent, avait été inculpé de possession de biens volés. Avant que son plaidoyer ne soit inscrit, il a présenté une requête alléguant que l’omission du gouvernement de l’Ontario de mettre en œuvre un programme de mesures de rechange constituait une violation des droits que lui garantit l’art. 15 de la Charte. S’appuyant sur les al. 3(1)d) et f), il a soutenu que, combinées à l’art. 4, ces dispositions imposent au gouvernement l’obligation impérative d’instaurer de tels programmes. Le juge de première instance s’est rendu à cet argument, ainsi que la Cour d’appel. Mais notre Cour a infirmé leurs jugements. S’exprimant par la voix du juge en chef Dickson, la Cour a jugé qu’il était impossible de déduire l’existence d’une telle obligation impérative des termes utilisés par le législateur dans le texte de la Loi. Le juge Dickson dit à la p. 274 :

… l’emploi de l’expression « il y a lieu » à l’al. 3(1)d) n’indique pas une obligation impérative. Si je conviens que le par. 3(2) commande une interprétation large de la loi cela ne nécessite nullement, à mon avis, l’abandon des principes de l’interprétation des lois ni n’exclut qu’on tienne compte du sens courant des mots pour interpréter un texte législatif. Dans le contexte de l’al. 3(1)d), j’estime que l’expression « il y a lieu » ne dénote qu’un [traduction] « souhait ou une demande » […] et non une obligation imposée par la loi.

Vu les circonstances de la présente espèce, je suis d’avis que cet énoncé affaiblit grandement la prétention de l’intimée en ce qu’elle soutient, de fait, que le poursuivant a, en vertu de l’al. 3(1)d), l’obligation impérative de prendre en considération la possibilité de ne porter aucune accusation lorsque cela serait compatible avec la philosophie de la Loi et que, s’il ne se conforme pas à cette obligation et porte des accusations non justifiées, le tribunal pour adolescents a le pouvoir de rejeter ces accusations. Ainsi qu’il ressort de l’arrêt R. c. S. (S.), aucune obligation de cette nature ne découle du texte de l’al. 3(1)d) et, par conséquent, aucune ne saurait être attribuée aux autorités.

[129]   Dans la décision R. c. C. (E.J.), la Couronne avait refusé d’approuver l’imposition à un jeune contrevenant de sanctions extrajudiciaires (une mesure de rechange aux poursuites, qui ressemble beaucoup aux mesures de rechange prévues au Code criminel). La Cour provinciale de l’Alberta a fait remarquer qu’il revient à la Couronne de décider si elle intente ou non des poursuites.

[130]   Dans la décision Okimow, on avait refusé de faire bénéficier l’accusé des mesures de rechange visées à l’article 717 du Code criminel. L’accusé a demandé le contrôle judiciaire de la décision. La Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan a jugé que les mesures de rechange étaient autorisées, mais non obligatoires.

[131]   La Cour a formulé ainsi la question en litige : [traduction] « [L]e pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 717 du Code criminel au procureur général ou à son représentant, le procureur local, pour la création et la mise en œuvre d’un programme de mesures de rechange est-il susceptible de contrôle judiciaire et, le cas échéant, dans quelle mesure? »

[132]   La Cour a fait état de la jurisprudence contraignante selon laquelle l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure, et a énoncé ce qui suit aux paragraphes 13 et 14 :

[traduction] [… ] Le poursuivant a le droit de décider envers qui il intente des poursuites, s’il y a lieu d’intenter ou non des poursuites, quand intenter des poursuites, quelle accusation il privilégie, combien d’accusations il dépose, et ainsi de suite. Sauf exception, un tribunal ne procédera pas au contrôle de ce genre de décisions. Voir R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601 (C.S.C.); Re Balderstone and The Queen (1983), 8 C.C.C. (3d) 532 (C.A. Man.); Johnson v. Saskatchewan (Attorney General) (1997), 156 Sask. R. 233 (B.R. Sask.).

La décision du poursuivant qui est contestée par le demandeur est du même type que celles qui sont examinées dans les précédents cités. À mon avis, pour les mêmes raisons que celles qui ont été invoquées, la Cour devrait refuser de procéder à un examen de la décision du poursuivant en l’espèce. Voici un passage tiré de l’arrêt Balderstone, précité, p. 539 :

Le judiciaire et l’exécutif ne doivent pas se mêler. Il s’agit de deux fonctions séparées et distinctes. Les agents d’accusation déposent des dénonciations ou, dans certains cas, des actes d’accusation. Les tribunaux entendent les affaires qui leur sont déférées et statuent sur celles-ci quant au fond ou aux questions préliminaires valables.

Si un juge tente d’examiner les actions ou le comportement du procureur général, — sauf en cas de conduite répréhensible flagrante — il se peut qu’il outrepasse sa compétence et empêche le procureur général ou ses représentants d’exercer leur fonction administrative et accusatoire, ce qu’un juge ne doit pas faire.

Par conséquent, je refuse, pour les motifs qui précèdent, de procéder au contrôle demandé par le demandeur.

[133]   À mon avis, la décision Okimow rend compte de l’état du droit tel qu’il a été établi et réitéré par la Cour suprême du Canada eu égard à la même question que celle soulevée en l’espèce, et dans le contexte d’une décision à bien des égards analogue. Le régime de réparation prévu à la partie XXII.1 du Code criminel a été adopté récemment, mais il ressemble beaucoup aux mesures de rechange qui sont autorisées par le Code criminel depuis des décennies. Il s’agit en effet dans les deux cas de mesures de rechange aux poursuites ordinaires ou traditionnelles relatives à une infraction. Dans les deux cas, les mesures sont fondées sur la conclusion du poursuivant selon laquelle il existe une perspective raisonnable de condamnation et sur l’acceptation par l’accusé de sa responsabilité à l’égard de l’acte répréhensible allégué. Lorsque l’accusé remplit les conditions du programme de mesures de rechange, les accusations sont rejetées. Même si le libellé de l’article 717 du Code criminel n’est pas identique à celui de l’article 715.32, il prévoit que l’une des conditions à remplir pour qu’il soit possible de recourir à des mesures de rechange est la suivante : « [le poursuivant] est convainc[u] qu’elles sont appropriées, compte tenu des besoins du suspect et de l’intérêt de la société et de la victime » (alinéa 717(1)b)). À la différence du régime de réparation, les programmes de mesures de rechange sont établis au sein d’une province ou d’un territoire, et les conditions additionnelles qui sont pertinentes sont incluses dans le programme précis, plutôt que prévues directement au Code criminel. De plus, contrairement au régime de réparation, les mesures de rechange s’adressent aux personnes, et non aux organisations. Cependant, ces différences sont mineures et elles ne diminuent en rien les nombreuses similitudes quant aux objectifs, à la nature et aux éléments essentiels de ces deux régimes.

[134]   Le régime d’accords de réparation, à titre de mesure de rechange à une poursuite, ressemble aussi au recours à des sanctions extrajudiciaires, dans le contexte de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, ch. 1, qui sont reconnues comme relevant du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[135]   Le régime d’accords de réparation pourrait aussi être qualifié de mesure de justice réparatrice, une approche qui reconnaît que le fait d’intenter une poursuite contre un accusé qui pourrait mener à une déclaration de culpabilité ne permet pas nécessairement de réparer le tort causé à la société, aux victimes ou aux collectivités concernées, et que des intérêts plus vastes devraient être pris en compte. Les approches en matière de justice réparatrice existent aussi depuis plus de 25 ans, mais ne font l’objet d’aucune disposition précise du Code criminel. La décision par le poursuivant d’adopter une approche de justice réparatrice plutôt que d’intenter une poursuite prend en compte de nombreux facteurs. Lorsque des accusations sont portées, selon les circonstances, elles peuvent être suspendues ou rejetées. De telles approches relèvent clairement du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[136]   Je ne souscris pas à la prétention des demanderesses selon laquelle le régime d’accords de réparation constitue un processus parallèle et que, de ce fait, il ne s’inscrit pas dans la même catégorie que les décisions prises dans le cadre d’une poursuite qui ont été jugées relever du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Il faut que des accusations aient été portées contre une organisation et qu’une poursuite ait été intentée pour que le régime d’accords de réparation s’applique ou qu’il soit possible d’être invité à négocier un accord de réparation. Le régime d’accords de réparation n’est pas un type de déjudiciarisation avant la mise en accusation. Les accords de réparation négociés avec succès, approuvés et respectés visent la suspension des poursuites. La définition même du terme « accord de réparation », à la partie XXII.1 [paragraphe 715.3(1)], le prévoit  : « Accord entre une organisation accusée d’avoir perpétré une infraction et le poursuivant dans le cadre duquel les poursuites relatives à cette infraction sont suspendues pourvu que l’organisation se conforme aux conditions de l’accord » (non souligné dans l’original). Le poursuivant n’entreprendrait pas de démarches sans tenir compte du fait que celles-ci pourraient aboutir à la suspension des poursuites pénales. Le régime d’accords de réparation existe dans le contexte des poursuites pénales et offre une approche qui permet de suspendre ces poursuites.

[137]   Les demanderesses prétendent qu’il convient d’établir une distinction en l’espèce avec la jurisprudence qui établit que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle, parce que cette jurisprudence est fondée sur un pouvoir discrétionnaire absolu, ce que le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 715.32 n’est pas. Cela ne change rien aux principes établis. Comme il est mentionné plus haut, les tribunaux ont continué à conclure que les décisions guidées par des facteurs relèvent du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, étant donné que le contexte général vise la question de savoir si les poursuites doivent suivre leur cours et de quelle manière. L’inclusion de facteurs à l’article 715.32 n’entrave pas l’exercice du pouvoir discrétionnaire de manière à enlever ou à limiter le pouvoir du poursuivant de continuer ou de suspendre une poursuite ou de prendre d’autres décisions dans le cadre d’une poursuite. Comme il est énoncé au paragraphe 44 de l’arrêt Anderson, « [t]outes ces décisions ont trait à la nature et à l’étendue des poursuites ».

4)         La prise en compte de l’intérêt public

[138]   Je ne suis pas d’accord pour dire que l’exigence de prendre en compte l’intérêt public ainsi que les facteurs établis au paragraphe 715.32(2) pour guider la prise en compte de l’intérêt public permettent de conclure qu’il s’agit d’une décision administrative assujettie aux principes du droit administratif. L’intérêt public doit toujours être pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Comme l’a souligné le défendeur, même s’il existe une perspective raisonnable de condamnation dans de nombreux contextes, l’intérêt public peut justifier qu’aucune poursuite ne soit intentée. L’inclusion d’un facteur relatif à l’intérêt public dans le contexte de la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation permet de préciser les éléments qu’il faut prendre en compte et qui sont pertinents dans le contexte d’un accord de réparation, par rapport à ceux qui ne le sont pas. En particulier, le paragraphe 715.32(3) prévoit que dans le cas où l’infraction imputée à l’organisation est une infraction visée à la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, comme c’est le cas en l’espèce, le poursuivant ne doit pas prendre en compte les considérations d’intérêt économique national lorsqu’il se forme une opinion sur la question de savoir si un accord de réparation est dans l’intérêt public. L’inclusion des facteurs relatifs à l’intérêt public ne signifie pas qu’il s’agit d’une décision administrative; elle renvoie plutôt à l’exercice informé et réfléchi du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites.

[139]   L’argument des demanderesses selon lequel l’ouvrage Droit administratif, à la page 169, permet de qualifier la décision de décision administrative n’est pas convaincant. L’extrait pertinent énonce ce qui suit :

Lorsque la décision est prise en vertu d’un pouvoir discrétionnaire et que le décideur est surtout guidé par l’intérêt public, le fait qu’il tienne une audition ou entend les représentations des administrés concernés ne change pas la nature de la décision. La décision reste administrative si elle porte « sur l’examen du bien-être de la collectivité plutôt que sur les droits des parties au litige ». La décision est administrative lorsque le décideur « dans une mission de protection de l’intérêt public » contrôle un secteur d’activité, « ce qui inclut la délivrance, le renouvellement, la suspension et la révocation du permis aux conditions et dans les limites prescrit[es] par la loi ». [Notes en bas de page omises.]

[140]   Cet extrait ne permet pas de qualifier la décision de la DPP de décision administrative. Le renvoi à l’intérêt public à l’alinéa 715.32(1)c) ou les facteurs énoncés au paragraphe 715.32(2), qui précisent ce que le poursuivant doit prendre en compte au moment de déterminer s’il « est d’avis qu’il convient de négocier un [accord de réparation] dans les circonstances et qu’il est dans l’intérêt public de le faire » ne transforment pas la décision en décision administrative. Cet argument néglige le fait que l’intérêt public doit toujours être pris en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. En outre, on simplifie à outrance en laissant entendre que le fait de prendre en compte l’intérêt public dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire transforme la décision qui en résulte en décision administrative. Cela signifierait que d’innombrables décisions prises par les poursuivants seraient qualifiées de décisions administratives.

[141]   Pour conclure, la décision visée par la demande de contrôle judiciaire des demanderesses relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et s’inscrit dans le contexte du rôle du poursuivant à l’égard du dépôt et du déroulement de la poursuite, avec tout ce que cela comporte.

IX.       Lorsqu’il prend la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation, le DPP est-il un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales?

A.        Les observations du défendeur

[142]   Le défendeur fait valoir que, quoi qu’il en soit, la demande doit être radiée parce que la Cour n’a pas compétence pour contrôler la décision de la DPP de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation. Le défendeur soutient que, lorsqu’il prend cette décision, le DPP n’est pas un « office fédéral », au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.

[143]   Le défendeur soutient que pour être visé par la définition de l’article 2, la personne ou l’organisme — en l’occurrence, la DPP — doit tenir ses pouvoirs d’une loi fédérale. Il soutient également que la source de la compétence du DPP ou de son pouvoir d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation n’est pas le Code criminel, la Loi sur le directeur des poursuites pénales ou une autre loi fédérale. Le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites du DPP, tel qu’il a été délégué par le procureur général, découle plutôt de la common law et de la Constitution.

[144]   Le défendeur renvoie à l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52, [2010] A.C.F. n221 (QL) (Anisman), dans lequel la Cour d’appel fédérale a établi un critère à deux volets pour déterminer si un organisme ou une personne est visé par la définition prévue à l’article 2. Premièrement, il faut définir la nature de la compétence ou du pouvoir exercé. Deuxièmement, il faut définir la source de la compétence.

[145]   Le défendeur soutient que l’application du critère énoncé dans l’arrêt Anisman à la décision en cause révèle que la compétence ou le pouvoir exercé est le pouvoir de décider de continuer la poursuite ou de négocier un accord de réparation en vue de la suspension des poursuites. Ce pouvoir prend sa source dans le pouvoir historique des procureurs généraux qui a été délégué au DPP. Bien que la charge de DPP ait été créée par une loi fédérale, ce qui explique que le DPP exerce les pouvoirs du procureur général du Canada (article 3 de la Loi sur le directeur des poursuites pénales), lorsque le DPP décide de continuer une poursuite ou d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation, il exerce le pouvoir discrétionnaire du procureur général en matière de poursuites, qui découle de la common law (Krieger, aux paragraphes 26, 31 et 32; Miazga, au paragraphe 46).

[146]   Le défendeur soutient que le fait que le législateur ait adopté une loi définissant les devoirs ou les pouvoirs d’un organisme ne signifie pas que les pouvoirs trouvent leur source dans la loi (Southam Inc. c. Canada (Procureur général), [1990] 3 C.F. 465, [1990] A.C.F. no 712 (QL) (1re inst.) (Southam Inc.), au paragraphe 26). En l’espèce, le Code criminel précise le pouvoir discrétionnaire que peut exercer le poursuivant, mais ce pouvoir discrétionnaire découle de la common law et de la Constitution.

[147]   Le défendeur souligne que, dans la décision Gendarmerie royale du Canada (sous-commissaire) c. Canada (Procureur général), 2007 CF 564, sub nom. Canada (Sous‑commissaire, Gendarmerie royale du Canada) c. Canada (Commissaire, Gendarmerie royal du Canada), [2008] 1 R.C.F. 752 (George), la Cour a conclu que la décision d’un agent de la GRC d’entreprendre une enquête criminelle portant sur la conduite de la demanderesse ne pouvait pas faire l’objet d’un contrôle judiciaire parce que l’agent de la GRC s’appliquait à faire respecter la loi et agissait conformément à des pouvoirs de common law, et non en vertu de la loi ayant créé la GRC. La Cour a affirmé ce qui suit, au paragraphe 44 :

[…] Je reconnais que les pouvoirs d’agents de la paix sont conférés aux officiers de la GRC dans la Loi sur la GRC, mais il est néanmoins bien établi que, lorsque des agents de la paix mènent des enquêtes criminelles, ils agissent conformément à des pouvoirs qui procèdent de la common law, indépendamment de toute loi fédérale ou prérogative royale. Autrement dit, la Loi sur la GRC intègre, en leur conférant un fondement légal, des pouvoirs, fonctions et privilèges policiers qui demeurent largement définis par la common law : Doe v. Metropolitan Toronto (Municipality) Commissioners of Police (1990), 74 O.R. (2d) 225 (C. div.). [Non souligné dans l’original.]

[148]   Dans la décision George, la Cour a expliqué que la GRC pouvait être considérée comme agissant à titre d’office fédéral à certaines fins, mais que lorsqu’un agent de la GRC agit dans le cadre d’une enquête criminelle, il est indépendant du pouvoir exécutif.

[149]   Le défendeur fait également état de la décision Ochapowace. La Cour fédérale a conclu que la décision de la GRC de ne pas porter d’accusations pour intrusion illicite, prise dans le cadre de ses fonctions d’application de la loi, n’était pas susceptible de contrôle. Le défendeur souligne que la Cour a examiné en profondeur la jurisprudence concernant le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et les raisons pour lesquelles ce pouvoir échappe au contrôle judiciaire (aux paragraphes 40 à 45). Au paragraphe 56, la Cour a conclu que la décision ne pouvait être considérée comme ayant été prise par un office fédéral parce que l’agent de police exerçait des pouvoirs procédant de la common law.

[150]   Le défendeur soutient que le même raisonnement s’applique à l’exercice par le DPP du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Le DPP n’est pas un office fédéral lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, mais pourrait être considéré comme tel dans l’exercice d’autres pouvoirs.

[151]   Le défendeur soutient en outre que, même si la Cour devait conclure qu’elle a compétence pour contrôler la décision en cause, elle devrait refuser de le faire étant donné que les facteurs qui sont pris en considération en matière criminelle diffèrent de ceux qui relèvent de l’expertise de la Cour fédérale. Le défendeur souligne que dans la décision George, au paragraphe 38, la Cour a affirmé que « [l]a Cour fédérale est une juridiction dont la compétence tout entière procède de la Loi sur les Cours fédérales et qui, contrairement aux juridictions supérieures provinciales, n’est pas investie d’une compétence générale ou intrinsèque en matière criminelle ». La Cour a ajouté que la compétence limitée des Cours fédérales en matière criminelle est circonscrite par des dispositions légales expresses.

[152]   Le défendeur affirme que, si les demanderesses souhaitent contester la décision de la DPP de ne pas les inviter à négocier un accord de réparation, elles devraient le faire dans le cadre de l’instance pénale au Québec. Le défendeur se fonde sur le principe selon lequel les instances pénales ne doivent pas être fragmentées par des procédures interlocutoires qui deviennent des instances distinctes (R. v. Basi, 2009 BCSC 1685, [2009] B.C.J. no 2436 (QL); R. c. DeSousa, [1992] 2 R.C.S. 944, [1992] A.C.S. no 77 (QL)).

B.        Les observations des demanderesses

[153]   Les demanderesses ne partagent pas le point de vue du défendeur selon lequel le DPP n’est pas un office fédéral au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Les demanderesses soutiennent que le pouvoir qu’exerce le DPP découle du Code criminel, une loi fédérale, et non d’un pouvoir de common law conféré au poursuivant, et que, par conséquent, le DPP est un « office fédéral ».

[154]   Les demanderesses ne contestent pas que le critère à deux volets établi dans l’arrêt Anisman (paragraphes 29 et 30) s’applique en premier lieu pour déterminer la nature du pouvoir que l’organisme entend exercer et, en deuxième lieu, pour déterminer la source ou l’origine de ce pouvoir. Cependant, les demanderesses soutiennent que l’arrêt Anisman ne règle pas la question de savoir si la DPP est un office fédéral, car cette question dépend de la question de savoir si le pouvoir exercé constitue un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ou une décision administrative. Les demanderesses continuent de soutenir que la décision de la DPP ne relève pas de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et qu’il s’agit d’une décision administrative.

[155]   Les demanderesses se fondent sur la décision Douglas c. Canada (Procureur général), 2014 CF 299, [2015] 2 R.C.F. 911, au paragraphe 80, où la Cour a souligné que « [p]our être visé par la définition, un organisme n’a qu’à exercer ou à être censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale ».

[156]   Les demanderesses font valoir que le DPP exerce le pouvoir conféré par la partie XXII.1 du Code criminel, et non par la common law. Les demanderesses font observer que le pouvoir d’inviter une organisation à négocier un accord de réparation n’existait pas auparavant, de sorte qu’il ne pouvait découler de la common law.

[157]   Les demanderesses font également valoir que la décision en cause découle de l’attribution de pouvoirs prévue à l’alinéa 3(3)g) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales, qui précise que le directeur exerce, sous l’autorité et pour le compte du procureur général, « toutes autres attributions que lui assigne le procureur général et qui ne sont pas incompatibles avec sa charge ». Les demanderesses soutiennent que cela démontre que le pouvoir du DPP découle non pas de la common law, mais de la loi, que le DPP est un office fédéral et que la Cour fédérale peut contrôler la décision en cause.

[158]   Les demanderesses rejettent l’affirmation du défendeur selon laquelle la décision de la DPP pourrait être contestée devant la Cour du Québec, qui est la cour de juridiction criminelle. Les demanderesses soutiennent que le Code de procédure civile [RLRQ, ch. C-25.01] du Québec régit le contrôle judiciaire et limite celui-ci aux décisions prises par une personne qui relève de la compétence du Parlement du Québec.

[159]   Les demanderesses soutiennent que le défendeur a perdu de vue la réparation qu’elles sollicitent dans leur demande, qui consiste à faire annuler la décision de la DPP et à se voir inviter à négocier un accord de réparation. Elles n’allèguent pas un abus de procédure ni ne cherchent à obtenir une suspension des poursuites.

[160]   Les demanderesses font valoir que, si la Cour est empêchée de contrôler la décision, il n’y aura aucun moyen de s’assurer que la DPP a tenu compte de leurs arguments et des facteurs pertinents et qu’elle respecte les objectifs du régime d’accords de réparation.

[161]   Les demanderesses rejettent l’argument du défendeur selon lequel la décision de la DPP n’a pas de conséquences juridiques pour elles. Les demanderesses soulignent que leur avis de demande fait état des avantages d’un accord de réparation pour la société et ses actionnaires de bonne foi — et fait ressortir les graves conséquences de la continuation de la poursuite.

C.        Le DPP — lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites — n’est pas un « office fédéral »

[162]   La Loi sur les Cours fédérales définit ainsi l’office fédéral  :

Définitions

2(1)

Office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. (federal board, commission or other tribunal)

[163]   Dans l’arrêt Anisman, au paragraphe 29, la Cour d’appel fédérale a expliqué le critère permettant de déterminer si un organisme est visé par la définition prévue à l’article 2 et s’il relève de la compétence de la Cour :

Les mots clés de la définition d’« office fédéral » que donne l’art. 2 précise[nt] que l’organisme ou la personne a exercé, exerce ou est censé exercer une compétence ou des pouvoirs « prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale [...] ». On doit donc procéder à une analyse en deux étapes pour déterminer si un organisme ou une personne constitue un « office fédéral ». Il est ainsi nécessaire en premier lieu de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer. Deuxièmement, il y lieu de déterminer la source ou l’origine de la compétence ou du pouvoir que l’organisme ou la personne cherche à exercer.

[164]   Je prends acte de l’observation des demanderesses selon laquelle l’arrêt Anisman ne permet pas de résoudre la question litigieuse relativement à la caractérisation de la décision en cause. La question principale consiste à savoir si elle découle de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle la décision du DPP d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, la seule conclusion pouvant être tirée est que — lorsqu’il exerce ce pouvoir discrétionnaire — le DPP n’est pas un « office fédéral » au sens de l’article 2, et la Cour n’est pas compétente.

[165]   Il ressort de la jurisprudence que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites découle de la common law et de la Constitution.

[166]   Aux paragraphes 26 et 31 de l’arrêt Krieger, la Cour suprême du Canada a expliqué que les pouvoirs de la poursuite découlent des pouvoirs liés à la prérogative, lesquels découlent de la common law :

Au Canada, la charge de procureur général comporte une dimension constitutionnelle reconnue dans la Loi constitutionnelle de 1867. Bien que cette loi n’énumère pas les fonctions particulières traditionnelles du procureur général, son art. 135 prévoit le maintien des pouvoirs et des fonctions associés à cette charge avant la Confédération […]

[…]

Cet aspect de l’indépendance du procureur général se reflète également dans le principe selon lequel les tribunaux n’interviennent pas dans la façon dont celui-ci exerce son pouvoir exécutif, comme l’illustre le processus décisionnel en matière de poursuites. Dans l’arrêt R. c. Power, [1994] 1 R.C.S. 601, madame le juge L’Heureux-Dubé précise, aux p. 621-623 :

Il est évident qu’en principe et en règle générale, les tribunaux ne devraient pas s’immiscer dans le pouvoir discrétionnaire de la poursuite. Cela paraît clairement aller de pair avec le respect du partage des pouvoirs et de la primauté du droit. Aux termes de la théorie du partage des pouvoirs, le droit criminel relève du pouvoir exécutif….

Dans « Controlling Prosecutorial Powers — Judicial Review, Abuse of Process and Section 7 of The Charter » (1986-87), 29 Crim. L.Q. 15, aux pp. 20 et 21, Donna C. Morgan étudie les origines des pouvoirs de la poursuite :

[traduction] La plupart (des pouvoirs de la poursuite) tirent leur origine […] de la prérogative royale, que Dicey définit comme étant le résidu du pouvoir discrétionnaire ou arbitraire dont la Couronne est investie à tout moment. Les pouvoirs nés de la prérogative sont essentiellement ceux qui sont accordés en common law à la Couronne et qui ne sont pas partagés par ses sujets. Bien que les actes de l’exécutif accomplis sous leur égide respectent la suprématie du droit, ces pouvoirs sont assujettis à la suprématie du Parlement, puisqu’ils peuvent être diminués ou abolis par une loi.

[167]   Au paragraphe 32 de l’arrêt Krieger, la Cour suprême a ajouté que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites ne peut pas être susceptible de contrôle judiciaire, car il « repose avant tout sur le principe fondamental de la primauté du droit consacré par notre Constitution ».

[168]   Au paragraphe 46 de l’arrêt Miazga, la Cour suprême du Canada a réitéré que l’indépendance du procureur général à titre de poursuivant est consacrée par la Constitution, et que le rôle du procureur général à titre de poursuivant est quasi judiciaire.

[169]   Au paragraphe 46 de la décision George, la Cour fédérale a relevé la distinction qui existe entre le rôle d’un agent de police exerçant des pouvoirs découlant de la common law et d’autres pouvoirs. Lorsque le pouvoir a sa source dans la common law, la Cour fédérale n’est pas compétente.

[170]   Dans la décision Ochapowace, la Cour a tiré la même conclusion que dans la décision George, et a indiqué ce qui suit au paragraphe 56 :

L’unique source possible de compétence était l’article 18.1 de la Loi, en vertu duquel la Cour fédérale a compétence pour revoir les décisions prises par « un office fédéral » […], selon la définition que donne de cette expression l’article 2 de la même Loi. Après examen de la législation et de la jurisprudence sur le sujet, la juge Tremblay-Lamer est arrivée à la conclusion que la décision d’entreprendre une enquête criminelle ne saurait être validement qualifiée de décision d’un « office fédéral ». Selon elle, les agents de police sont indépendants de la Couronne lorsqu’ils mènent des enquêtes criminelles, et leurs pouvoirs procèdent de la common law. Étant à l’abri du droit de regard de l’exécutif, ils ne peuvent pas être assimilés à un « office fédéral ». Je souscris pleinement à cette analyse de ma collègue, une analyse tout à fait convaincante.

[171]   Le même raisonnement s’applique en l’espèce. Le poursuivant n’exerce pas des pouvoirs conférés par la Loi sur le directeur des poursuites pénales ou le Code criminel. Il exerce un pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, qui découle de la common law et de la Constitution. Par conséquent, le DPP n’est pas un office fédéral lorsqu’il prend la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation. Le DPP pourrait être visé par la définition prévue à l’article 2 en ce qui concerne d’autres décisions qu’il prend, qui ne sont pas du ressort des pouvoirs découlant de la common law, par exemple, les décisions qu’il prend à titre d’employeur.

[172]   L’observation des demanderesses selon laquelle les pouvoirs ne découlent pas de la common law, parce qu’il s’agit de pouvoirs nouveaux, et que la Loi sur le directeur des poursuites pénales régit l’attribution de certains pouvoirs du procureur général au DPP, ne modifie pas la conclusion selon laquelle la décision en cause relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Les nouvelles dispositions de la partie XXII.1 guident l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le cadre des procédures pénales. Au paragraphe 26 de l’arrêt Southam Inc., la Cour d’appel fédérale a conclu que les privilèges du Sénat ne sont pas prévus par la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1, mais plutôt par la Constitution. La Loi définit ou explicite les pouvoirs, mais elle n’en est pas la source. De manière semblable, comme cela a été relevé ci-dessus dans la décision George, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, définit des pouvoirs précis, mais la source sous-jacente du pouvoir en question est la common law. Pour emprunter le libellé du paragraphe 44 de la décision George, en l’espèce, la partie XXII.1 du Code criminel intègre, en leur conférant un fondement légal, des pouvoirs du procureur général — c.-à-d. du poursuivant — qui demeurent largement définis par la common law.

[173]   L’observation des demanderesses selon laquelle, si le législateur voulait exclure le DPP de la définition donnée à l’article 2, il aurait dû le faire de manière explicite, méconnaît la distinction entre une décision du DPP qui relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites et d’autres décisions du DPP qui, en fonction de leur nature, sont susceptibles de contrôle judiciaire (comme dans la décision George). La nature et la source du pouvoir exercé sont décisives.

X.        Mandamus

[174]   Il n’est pas nécessaire d’aborder la question de savoir si un mandamus est une réparation possible pour les demanderesses dans le cadre d’un contrôle judiciaire étant donné que la décision d’inviter ou non une organisation à négocier un accord de réparation relève du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites; cela m’amène à conclure également que le DPP n’est pas un office fédéral lorsqu’il prend cette décision.

[175]   La Cour souligne que la question de la possibilité d’accorder un mandamus serait tranchée de la même façon. Le critère à appliquer pour un mandamus, critère qui a été établi dans la décision Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742, [1993] A.C.F. no 1098 (QL) (C.A.), conf. par [1994] 3 R.C.S. 1100, [1994] A.C.S. no 113 (QL), nécessite, entre autres, qu’il y ait une obligation d’agir à caractère public. Comme il a été conclu précédemment, la DPP n’est pas obligée d’inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation. Par ailleurs, un mandamus ne saurait être utilisé pour forcer l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire d’une façon particulière.

XI.       La demande de contrôle judiciaire ne soulève ni nouvelles demandes ni nouvelles questions en litige qu’il faudrait laisser suivre leur cours

[176]   Les demanderesses soulignent qu’une requête en radiation est une mesure d’exception qui doit être utilisée avec prudence. Elles soutiennent que le défendeur n’a pas présenté une requête « d’une efficacité assez radicale » pour justifier la radiation de leur demande. Elles insistent sur le fait que les nouvelles demandes et les nouvelles questions en litige devraient être autorisées à suivre leur cours et être tranchées par le juge des requêtes sur le fondement d’un dossier complet. Les demanderesses affirment que bon nombre des questions soulevées sont de nouvelles questions — notamment celle de l’interprétation de la partie XXII.1 du Code criminel. Les demanderesses soutiennent également que bon nombre de questions peuvent être des questions en litige, notamment les suivantes : la caractérisation de la décision en tant que décision administrative ou décision relevant du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, les répercussions du pouvoir discrétionnaire limité, la question de savoir si le DPP exerce son pouvoir en vertu d’une loi fédérale ou de la common law, et la question de savoir si le mandamus constitue une réparation.

[177]   En toute déférence avec les arguments bien formulés des demanderesses, le fait qu’elles aient soulevé de nombreuses questions, lesquelles ont ensuite été débattues avec le défendeur, ne signifie pas que ces questions sont des questions en litige au sens où cette expression est utilisée dans l’arrêt David Bull, ni que ces questions devraient être tranchées par le juge des requêtes. Toutes les questions soulevées ont été examinées dans le cadre de la présente requête, et la jurisprudence a, à mon avis, clairement abordé les questions déterminantes; il n’y a pas d’incertitude. Le fait de soulever des questions pour lesquelles il y aura inévitablement des arguments n’en fait pas des questions en litige permettant d’éviter une requête en radiation; le critère demeure celui de déterminer si la demande a une possibilité raisonnable d’être accueillie.

[178]   De la même façon, le fait que la décision de la DPP ait été prise dans le contexte d’une nouvelle loi ne signifie pas nécessairement que la question soulevée est nouvelle et qu’elle devrait suivre son cours pour être tranchée. La question consiste à déterminer si la décision de la DPP s’inscrit dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Cette question a été abordée directement et tranchée. Comme il est indiqué ci-dessus, bon nombre de décisions analogues ont été jugées relever du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. D’autres dispositions du Code criminel (sur les mesures de rechange, par exemple), les dispositions de l’ancienne Loi sur les jeunes contrevenants, L.R.C. (1985), ch. Y-1 [abrogée par L.C. 2002, ch. 1, art. 199] (sur la déjudiciarisation) et les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (sur les sanctions extrajudiciaires) ont également été jugées relever du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Comme pour le régime d’accords de réparation, ces dispositions font partie du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, qui est beaucoup plus ancien que les modifications législatives. La suspension des poursuites pénales est au cœur du régime d’accords de réparation — une fois encore, il ne s’agit ni d’un nouveau concept ni d’un nouveau principe juridique.

[179]   En outre, si une nouvelle demande était soulevée, le critère à appliquer pour une requête en radiation resterait le même. La Cour ferait plutôt preuve d’une plus grande prudence dans sa décision, tiendrait compte de la nature de la nouvelle demande et déterminerait s’il s’agit « d’une modification réfléchie et progressive de la common law qui repose sur la doctrine et qui est réalisée au moyen d’un raisonnement juridique classique » ou de « demandes qui s’écartent de la doctrine » (arrêt Paradis Honey, au paragraphe 117). L’avis de demande, lorsqu’on en fait une lecture globale afin d’en déterminer la nature essentielle, mène à la conclusion que les demanderesses cherchent à contraindre le poursuivant à exercer son pouvoir discrétionnaire et à les inviter à négocier un accord de réparation. Les demanderesses ont expliqué pourquoi cette question revêt la plus grande importance à leurs yeux. Cependant, la nature essentielle de la demande ne révèle pas une nouvelle demande. Il est établi de longue date que l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure.

[180]   En conclusion, pour les motifs expliqués ci-dessus et après examen des observations des parties et de la jurisprudence, la demande de contrôle judiciaire est radiée sans autorisation de la modifier. La demande n’a aucune possibilité raisonnable d’être accueillie dans le contexte du droit et de la jurisprudence applicable, et si on l’envisage de façon réaliste. La loi établit clairement que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’est pas susceptible de contrôle judiciaire, sauf en cas d’abus de procédure. La décision de ne pas inviter les demanderesses à négocier un accord de réparation relève clairement du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites. Par ailleurs, la Cour n’aurait pas compétence pour contrôler une décision du DPP qui relève de l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites, puisque, dans ce contexte, le DPP tire son pouvoir, à titre de délégué du procureur général, de la common law, et non d’une loi fédérale. Ainsi, le DPP ne serait pas un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales.


ORDONNANCE dans le dossier T-1843-18

LA COUR ORDONNE que :

1.         la demande de contrôle judiciaire soit radiée sans autorisation de la modifier;

2.         les dépens soient adjugés au défendeur dans la présente requête.

Annexe A

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46

PARTIE XXII.1            

Accords de réparation           

715.3 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.    

tribunal Une cour supérieure de juridiction criminelle, à l’exception de toute cour d’appel.       

infraction Toute infraction mentionnée à l’annexe de la présente partie.          

organisation S’entend au sens de l’article 2, exception faite des corps constitués, des syndicats professionnels et des municipalités.       

accord de réparation Accord entre une organisation accusée d’avoir perpétré une infraction et le poursuivant dans le cadre duquel les poursuites relatives à cette infraction sont suspendues pourvu que l’organisation se conforme aux conditions de l’accord.       

victime S’entend au sens de l’article 2, mais, à l’égard d’une infraction visée aux articles 3 ou 4 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, vise notamment une personne qui se trouve à l’étranger.       

Agir pour le compte de la victime        

(2) Pour l’application de la présente partie, une tierce partie non visée à l’article 2.2 peut aussi agir, avec l’autorisation du tribunal, pour le compte de la victime, si celle-ci le demande ou le poursuivant l’estime indiqué.    

Objet       

715.31 La présente partie a pour objet de prévoir l’établissement d’un régime d’accords de réparation applicable à toute organisation à qui une infraction est imputée et visant les objectifs suivants 

a) dénoncer tout acte répréhensible de l’organisation et le tort causé par celui-ci aux victimes ou à la collectivité;    

b) tenir l’organisation responsable de son acte répréhensible par l’imposition de pénalités efficaces, proportionnées et dissuasives;         

c) favoriser le respect de la loi par l’obligation faite à l’organisation de mettre en place des mesures correctives ainsi qu’une culture de conformité;        

d) encourager la divulgation volontaire des actes répréhensibles;   

e) prévoir la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;     

f) réduire les conséquences négatives de l’acte répréhensible sur les personnes — employés, clients, retraités ou autres — qui ne s’y sont pas livrées, tout en tenant responsables celles qui s’y sont livrées.  

Conditions préalables  

715.32 (1) Le poursuivant peut négocier un accord de réparation avec une organisation à qui une infraction est imputée, si les conditions suivantes sont réunies :     

a) il est d’avis qu’il existe une perspective raisonnable de condamnation pour l’infraction;   

b) il est d’avis que l’acte ou l’omission à l’origine de l’infraction n’a pas causé et n’est pas susceptible d’avoir causé des lésions corporelles graves à une personne ou la mort, n’a pas porté et n’est pas susceptible d’avoir porté préjudice à la défense ou à la sécurité nationales et n’a pas été commis au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle ou d’un groupe terroriste, ou en association avec l’un ou l’autre;   

c) il est d’avis qu’il convient de négocier un tel accord dans les circonstances et qu’il est dans l’intérêt public de le faire;      

d) le procureur général a donné son consentement à la négociation d’un tel accord.          

Facteurs à prendre en compte 

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)c), le poursuivant prend en compte les facteurs suivants :    

a) les circonstances dans lesquelles l’acte ou l’omission à l’origine de l’infraction a été porté à l’attention des autorités chargées des enquêtes;      

b) la nature et la gravité de l’acte ou de l’omission ainsi que ses conséquences sur les victimes;    

c) le degré de participation des cadres supérieurs de l’organisation à l’acte ou à l’omission;

d) la question de savoir si l’organisation a pris des mesures disciplinaires à l’égard de toute personne qui a participé à l’acte ou à l’omission, parmi lesquelles son licenciement;    

e) la question de savoir si l’organisation a pris des mesures pour réparer le tort causé par l’acte ou l’omission et pour empêcher que des actes ou omissions similaires ne se reproduisent;     

f) la question de savoir si l’organisation a identifié les personnes qui ont participé à tout acte répréhensible relatif à l’acte ou à l’omission ou a manifesté sa volonté de le faire;   

g) la question de savoir si l’organisation ou tel de ses agents ont déjà été déclarés coupables d’une infraction ou ont déjà fait l’objet de pénalités imposées par un organisme de réglementation ou s’ils ont déjà conclu, au Canada ou ailleurs, des accords de réparation ou d’autres accords de règlement pour des actes ou omissions similaires;        

h) la question de savoir si l’on reproche à l’organisation ou à tel de ses agents d’avoir perpétré toute autre infraction, notamment celles non visées à l’annexe de la présente partie;       

i) tout autre facteur qu’il juge pertinent.        

Facteurs à ne pas prendre en compte

(3) Malgré l’alinéa (2)i), dans le cas où l’infraction imputée à l’organisation est une infraction visée aux articles 3 ou 4 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, le poursuivant ne doit pas prendre en compte les considérations d’intérêt économique national, les effets possibles sur les relations avec un État autre que le Canada ou l’identité des organisations ou individus en cause.     

Avis à l’organisation — invitation à négocier

715.33 (1) S’il désire négocier un accord de réparation, le poursuivant avise l’organisation, par écrit, de son invitation à négocier. L’avis comporte les éléments suivants :      

a) une description sommaire de toute infraction qui ferait l’objet de l’accord;           

b) une mention du caractère volontaire du processus de négociation;         

c) une mention des effets juridiques de l’accord;     

d) une mention du fait qu’en acceptant les conditions de l’avis, l’organisation renonce explicitement à inclure la période de négociation et la période de validité de l’accord dans l’appréciation du caractère raisonnable du délai entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès;      

e) une mention du fait que les négociations doivent être menées de bonne foi et que l’organisation doit fournir tous les renseignements exigés par le poursuivant dont elle a connaissance ou qui peuvent être obtenus par des efforts raisonnables de sa part, notamment ceux permettant d’identifier les personnes qui ont participé à l’acte ou à l’omission à l’origine de l’infraction ou à tout acte répréhensible relatif à l’acte ou à l’omission; 

f) une mention de l’utilisation qui peut être faite des renseignements divulgués par l’organisation durant les négociations, sous réserve du paragraphe (2);    

g) une mise en garde portant que le fait de faire sciemment des déclarations fausses ou trompeuses ou de communiquer sciemment des renseignements faux ou trompeurs durant les négociations peut mener à une reprise des poursuites ou à des poursuites pour entrave à la justice;  

h) une mention du fait que l’une ou l’autre des parties peut se retirer des négociations en donnant un avis écrit à l’autre;     

i) une mention du fait que les parties doivent, dès que possible, faire des efforts raisonnables pour identifier les victimes;           

j) la date d’échéance pour accepter l’invitation à négocier selon les conditions de l’avis.     

Non-admissibilité des aveux    

(2) Les aveux de culpabilité ou les déclarations par lesquels l’organisation se reconnaît responsable d’un acte ou d’une omission déterminés ne sont pas, lorsqu’elle les faits dans le cadre des négociations d’un accord de réparation, admissibles en preuve dans les actions civiles ou les poursuites pénales dirigées contre elle et relatives à cet acte ou à cette omission, sauf dans le cas où l’accord est conclu par les parties et approuvé par le tribunal et que ces aveux ou déclarations font partie d’une déclaration visée par les alinéas 715.34(1)a) ou b).

Contenu obligatoire de l’accord          

715.34 (1) L’accord de réparation comporte les éléments suivants :       

a) une déclaration des faits relatifs à l’infraction qui est imputée à l’organisation ainsi qu’un engagement de sa part de ne pas faire, ni tolérer, de déclarations publiques contradictoires à ces faits; 

b) une déclaration de l’organisation portant qu’elle se reconnaît responsable de l’acte ou de l’omission à l’origine de l’infraction;   

c) une mention de l’obligation pour l’organisation de communiquer tout autre renseignement qui est porté à sa connaissance ou qui peut être obtenu par des efforts raisonnables après la conclusion de l’accord et qui est utile pour identifier les personnes qui ont participé à l’acte ou à l’omission ou à tout acte répréhensible relatif à l’acte ou à l’omission;     

d) une mention de l’obligation pour l’organisation de collaborer lors de toute enquête, poursuite ou procédure, au Canada ou à l’étranger lorsque le poursuivant l’estime indiqué, résultant de l’acte ou de l’omission, notamment en communiquant des renseignements ou en rendant des témoignages;

e) une mention de l’obligation pour l’organisation :   

(i) soit de remettre à Sa Majesté du chef du Canada les biens, bénéfices ou avantages précisés dans l’accord qui ont été obtenus ou qui proviennent, directement ou indirectement, de l’acte ou de l’omission, pour en disposer conformément à l’alinéa 4(1)b.2) de la Loi sur l’administration des biens saisis,   

(ii) soit de les remettre à Sa Majesté du chef d’une province, pour qu’il en soit disposé selon les instructions du procureur général,      

(iii) soit d’en disposer de toute autre façon selon les instructions du poursuivant;        

f) une mention de l’obligation pour l’organisation de payer au receveur général ou au Trésor de la province, selon le cas, une pénalité pour toute infraction visée par l’accord, ainsi qu’une mention du montant à payer et des modalités de paiement;        

g) une mention de toute mesure de réparation du tort causé aux victimes que l’organisation est tenue de prendre à leur égard, notamment tout dédommagement visé aux alinéas 738(1)a) et b), ou une déclaration du poursuivant énonçant les motifs pour lesquels une telle mesure n’est pas indiquée dans les circonstances et, s’il y a lieu, une mention de toute autre mesure qui sera prise à la place;         

h) une mention de l’obligation pour l’organisation de payer une suramende compensatoire pour toute infraction visée par l’accord, autre que celles visées aux articles 3 ou 4 de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers, ainsi qu’une mention du montant à payer et des modalités de paiement;         

i) une mention de l’obligation pour l’organisation de faire rapport au poursuivant relativement à la mise en oeuvre de l’accord et des modalités qui sont liées à cette obligation;          

j) une mention des effets juridiques de l’accord;      

k) une déclaration de l’organisation portant qu’elle reconnaît que l’accord a été conclu de bonne foi, que les renseignements qu’elle a communiqués lors des négociations sont exacts et complets et qu’elle continuera à fournir de tels renseignements durant la période de validité de l’accord;          

l) une mention de l’utilisation qui peut être faite des renseignements obtenus en vertu de l’accord, sous réserve du paragraphe (2);      

m) une mise en garde portant que le non-respect des conditions de l’accord peut mener à une demande du poursuivant pour résilier l’accord et à une reprise des poursuites;      

n) une mention de l’obligation pour l’organisation de ne faire aucune déduction d’impôt pour les frais entraînés par la prise de toute mesure visée à l’alinéa g) ni pour les autres frais engagés pour se conformer aux conditions de l’accord;          

o) une mention du droit du poursuivant de modifier l’accord et d’y mettre fin, avec l’approbation du tribunal;        

p) une mention du délai dans lequel l’organisation doit remplir les conditions de l’accord.   

Non-admissibilité des aveux    

(2) Les aveux de culpabilité ou les déclarations par lesquels l’organisation se reconnaît responsable d’un acte ou d’une omission déterminés ne sont pas, lorsqu’ils ont été obtenus en vertu de l’accord, admissibles en preuve dans les actions civiles ou les poursuites pénales dirigées contre elle et relatives à cet acte ou à cette omission, sauf dans le cas où l’accord est approuvé par le tribunal et que ces aveux ou déclarations font partie d’une déclaration visée par les alinéas (1)a) ou b).          

Contenu discrétionnaire de l’accord   

(3) L’accord de réparation peut comporter notamment les éléments suivants :    

a) une mention de l’obligation pour l’organisation de mettre en place et d’appliquer des mesures de conformité ou d’améliorer celles déjà en place, afin de corriger les lacunes dans ses politiques, normes ou procédures — notamment celles visant les mécanismes de contrôle interne et la formation de ses employés — qui ont pu contribuer à l’acte ou à l’omission à l’origine de l’infraction; 

b) une mention de l’obligation pour l’organisation de rembourser au poursuivant les frais mentionnés dans l’accord se rapportant à son administration et encourus ou à encourir par lui;  

c) une mention du fait qu’un surveillant indépendant a été nommé, avec l’approbation du poursuivant, afin de vérifier que l’organisation se conforme à l’obligation prévue à l’alinéa a) ou à toute autre obligation de l’accord indiquée par le poursuivant et d’en faire rapport à ce dernier, ainsi qu’une mention des obligations de l’organisation envers le surveillant, notamment l’obligation de coopérer avec lui et de payer ses frais.           

Surveillant indépendant — conflit d’intérêts 

715.35 Toute personne dont la candidature est proposée à titre de surveillant indépendant est tenue d’aviser par écrit le poursuivant de toute relation antérieure ou actuelle, notamment avec l’organisation ou tel de ses agents, qui pourrait avoir une incidence réelle ou perçue sur sa capacité de faire une vérification indépendante.      

Devoir d’informer les victimes 

715.36 (1) Après que l’organisation a accepté l’invitation à négocier selon les conditions de l’avis visé à l’article 715.33, le poursuivant prend les mesures raisonnables pour informer les victimes ou une tierce partie qui agit pour leur compte qu’un accord de réparation pourrait être conclu.          

Interprétation     

(2) Le paragraphe (1) doit être interprété et appliqué de manière raisonnable dans les circonstances et d’une manière qui n’est pas susceptible de nuire à la bonne administration de la justice, notamment de porter atteinte au pouvoir discrétionnaire du poursuivant, de nuire aux négociations portant sur l’accord ou à sa conclusion, de les compromettre ou encore de causer des délais excessifs à leur égard.     

Motifs     

(3) Le poursuivant qui ne remplit pas l’obligation prévue au paragraphe (1) est tenu d’en donner les motifs au tribunal lors de la demande pour approbation de l’accord.           

Demande d’approbation           

715.37 (1) Lorsque le poursuivant et l’organisation se sont entendus sur les conditions d’un accord de réparation, le poursuivant demande, par écrit, au tribunal de rendre une ordonnance pour approuver l’accord. 

Prise d’effet subordonnée à l’approbation     

(2) La prise d’effet de l’accord est subordonnée à l’approbation de celui-ci par le tribunal.         

Prise en compte des victimes  

(3) Dans le cadre de l’audience pour approbation de l’accord, le tribunal est tenu de prendre en considération :    

a) toute mesure de réparation, déclaration ou autre mesure visée à l’alinéa 715.34(1)g);    

b) tout motif donné par le poursuivant aux termes du paragraphe 715.36(3);          

c) toute déclaration de la victime ou déclaration au nom d’une collectivité qui lui est présentée;      

d) toute suramende compensatoire visée à l’alinéa 715.34(1)h).      

Déclaration de la victime ou déclaration au nom d’une collectivité

(4) Pour l’application de l’alinéa (3)c), les règles prévues aux articles 722 à 722.2, exception faite du paragraphe 722(6), s’appliquent avec les adaptations nécessaires et, pour l’application de ces dispositions :     

a) toute déclaration de la victime ou déclaration au nom de la collectivité ainsi que tout autre élément de preuve qui concerne les victimes sont pris en considération pour décider si l’accord devrait être approuvé au titre du paragraphe (6);

b) l’obligation de s’enquérir prévue au paragraphe 722(2) doit être remplie au moment de l’audition;         

c) l’obligation du greffier prévue à l’article 722.1 ou au paragraphe 722.2(5) est réputée être celle du poursuivant de faire les efforts raisonnables pour faire parvenir une copie de la déclaration de la victime ou de la déclaration au nom de la collectivité à l’organisation ou à son avocat dans les meilleurs délais après l’avoir obtenue.          

Suramende compensatoire      

(5) Pour l’application de l’alinéa 715.34(1)h), le montant de la suramende compensatoire est de trente pour cent de la pénalité visée à l’alinéa 715.34(1)f) ou tout autre pourcentage que le poursuivant estime indiqué dans les circonstances et est payable au Trésor de la province dans laquelle la demande d’approbation visée à l’article 715.37 est faite.   

Ordonnance d’approbation      

(6) Le tribunal approuve par ordonnance l’accord s’il est convaincu que les conditions suivantes sont réunies :

a) l’organisation fait l’objet d’accusations relativement aux infractions visées par l’accord;   

b) l’accord est dans l’intérêt public;  

c) les conditions de l’accord sont équitables, raisonnables et proportionnelles à la gravité de l’infraction.    

Suspension des poursuites     

(7) Dans les meilleurs délais suivant l’approbation de l’accord par le tribunal, le poursuivant ordonne au greffier ou à tout fonctionnaire compétent du tribunal de mentionner au dossier que les poursuites à l’égard de l’organisation relativement aux infractions qui sont visées par l’accord sont suspendues sur son ordre et cette mention doit être faite séance tenante; dès lors, les poursuites sont suspendues en conséquence.      

Autre poursuite 

(8) Aucune autre poursuite ne peut être engagée contre l’organisation à l’égard de ces infractions pendant la période de validité de l’accord.    

Interruption de la prescription 

(9) Le délai de prescription des infractions visées par l’accord est interrompu pendant la période de validité de celui-ci.    

Ordonnance de modifications 

715.38 Sur demande du poursuivant, le tribunal approuve par ordonnance toute modification d’un accord de réparation s’il est convaincu que l’accord continue de satisfaire aux conditions prévues au paragraphe 715.37(6). Ces modifications sont, dès leur approbation, réputées faire partie de l’accord.        

Ordonnance de résiliation        

715.39 (1) Sur demande du poursuivant, le tribunal ordonne la résiliation de l’accord de réparation s’il est convaincu que l’organisation a fait défaut de respecter les conditions de l’accord.          

Reprise des poursuites

(2) Dès le prononcé de l’ordonnance, les poursuites suspendues en application du paragraphe 715.37(7) peuvent être reprises par le poursuivant sans nouvelle dénonciation ou sans nouvel acte d’accusation, selon le cas, s’il donne avis de la reprise au greffier du tribunal où les poursuites ont été suspendues.  

Arrêt des poursuites     

(3) Si l’avis n’est pas donné dans l’année qui suit le prononcé de l’ordonnance rendue au titre du paragraphe (1) ou avant l’expiration du délai dans lequel les poursuites auraient pu être engagées si ce délai expire le premier, les poursuites sont réputées n’avoir jamais été engagées.        

Ordonnance déclarant le respect des conditions de l’accord         

715.4 (1) Sur demande du poursuivant, le tribunal, s’il est convaincu que les conditions de l’accord de réparation ont été respectées, rend une ordonnance les déclarant telles.           

Arrêt des poursuites     

(2) L’ordonnance entraîne l’arrêt immédiat des poursuites à l’encontre de l’organisation relativement aux infractions visées à l’accord, auquel cas ces poursuites sont réputées n’avoir jamais été engagées et aucune autre poursuite ne peut être engagée contre elle relativement à ces infractions.

Expiration du délai        

715.41 (1) Dans les meilleurs délais, après l’expiration du délai visé à l’alinéa 715.34(1)p), le poursuivant doit demander par écrit au tribunal de rendre l’ordonnance visée à l’article 715.38 pour notamment prolonger le délai, l’ordonnance visée à l’article 715.39 pour résilier l’accord de réparation ou l’ordonnance visée à l’article 715.4 pour déclarer que ses conditions ont été respectées et le tribunal peut rendre l’une de ces ordonnances qu’il estime indiquée.          

Présomption      

(2) L’accord est réputé demeurer en vigueur jusqu’à la date où le tribunal ordonne sa résiliation ou déclare que ses conditions ont été respectées.   

Publication         

715.42 (1) Sous réserve du paragraphe (2), le tribunal est tenu de publier dans les meilleurs délais :    

a) l’accord de réparation approuvé par lui;    

b) toute ordonnance rendue au titre de l’un des articles 715.37 à 715.41 et les motifs justifiant de la rendre ou de ne pas la rendre;         

c) toute décision rendue au titre des paragraphes (2) ou (5), motifs à l’appui.         

Non-publication

(2) Le tribunal peut décider de ne pas publier tout ou partie de l’accord ou d’une ordonnance ou des motifs visés à l’alinéa (1)b), s’il est convaincu que la bonne administration de la justice l’exige. 

Facteurs à considérer   

(3) Pour décider si la bonne administration de la justice exige de prendre la décision visée au paragraphe (2), le tribunal prend en considération les facteurs suivants 

a) l’intérêt de la société à encourager la dénonciation des infractions et la participation des victimes au processus de justice pénale;       

b) la nécessité ou non de protéger l’identité de victimes, de personnes qui ne se sont pas livrées à l’acte répréhensible ou de celles qui l’ont dénoncé aux autorités chargées des enquêtes;  

c) la prévention de tout effet préjudiciable sur les enquêtes et les poursuites en cours;     

d) l’existence dans les circonstances d’autres moyens efficaces que celui de prendre la décision visée au paragraphe (2);       

e) les effets bénéfiques et préjudiciables de prendre la décision visée au paragraphe (2); 

f) tout autre facteur qu’il estime pertinent.    

Conditions         

(4) Le tribunal peut assortir sa décision de toute condition qu’il estime indiquée, notamment quant à la durée de la non-publication.       

Révision de la décision

(5) Sur demande de toute personne, le tribunal révise la décision rendue en vertu du paragraphe (2) pour décider si la bonne administration de la justice exige toujours la non-publication. S’il est convaincu que ce n’est pas le cas, l’accord, l’ordonnance ou les motifs, selon le cas, sont publiés, en tout ou en partie, dans les meilleurs délais.   

Règlements        

715.43 (1) Le gouverneur en conseil peut, sur recommandation du ministre de la Justice, prendre tout règlement d’application de la présente partie, notamment concernant :   

a) la forme des accords de réparation;         

b) la vérification de la conformité par des surveillants indépendants, notamment :   

(i) les compétences requises pour agir à ce titre,          

(ii) le processus de sélection des surveillants,  

(iii) la forme et le contenu des avis relatifs aux conflits d’intérêts,         

(iv) les exigences en matière de rapport.          

Décret     

(2) Sur recommandation du ministre de la Justice, le gouverneur en conseil peut, par décret, modifier l’annexe par adjonction ou suppression de toute infraction qui peut être visée par un accord de réparation.        

Suppression d’une infraction  

(3) Dans le cas où il y a suppression d’une infraction à l’annexe de la présente partie par décret du gouverneur en conseil, la présente partie continue de s’appliquer à l’organisation à qui est imputée l’infraction à condition que l’avis prévu à l’article 715.33 au sujet de cette infraction lui ait été donné avant la date de prise d’effet du décret. 

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