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A-269-18

2019 CAF 148

Conseil canadien de la magistrature (appelant)

c.

L’honorable Michel Girouard, la procureure générale du Canada, la procureure générale du Québec (intimés)

et

L’Association canadienne des juges des cours supérieures, l’honorable Patrick Smith (intervenants)

Répertorié : Conseil Canadien de la Magistrature c. Girouard

Cour d’appel fédérale, juges Pelletier, de Montigny et Gleason, J.C.A.—Ottawa, 3 et 16 mai 2019.

 

Juges et Tribunaux –– Appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant les demandes en radiation présentées par le Conseil canadien de la magistrature (le Conseil ou l’appelant) à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées par l’intimé l’honorable juge Michel Girouard (le juge Girouard) –– Les demandes sous-jacentes visaient diverses décisions prises par le Conseil lors d’enquêtes conduites sous l’égide des art. 63 et suivants de la Loi sur les juges (la Loi), relativement à la conduite du juge Girouard, et notamment le rapport du Conseil recommandant au ministre de la Justice (le ministre) sa révocation –– Le Conseil soutenait, pour l’essentiel, que ses rapports et recommandations, ainsi que les décisions prises dans le cours d’une enquête par un comité d’enquête, n’étaient pas sujets au contrôle judiciaire sous l’art. 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LCF) et que le Conseil ne serait tout simplement pas un « office fédéral » au sens de l’art. 2 de la LCF –– Le juge Girouard a été nommé à la Cour supérieure du Québec en 2010 –– En 2012, une plainte a été déposée au Conseil à l’encontre du juge Girouard –– Un comité d’examen a été constitué pour se pencher sur la plainte et plus tard un comité d’enquête fut chargé de se pencher sur la plainte –– Le premier comité d’enquête a écarté l’ensemble des allégations portées à l’encontre du juge Girouard –– Plus tard, une plainte conjointe fut déposée au Conseil visant la conduite du juge Girouard dans le cadre du premier processus disciplinaire –– Cette plainte a déclenché une enquête obligatoire et a mené à la création d’un nouveau comité d’enquête –– Le second comité d’enquête a conclu que le juge Girouard était inapte à remplir ses fonctions de juge en raison de son inconduite lors du premier processus disciplinaire et le Conseil a adopté les constatations et conclusions du second comité d’enquête –– Le juge Girouard a demandé le contrôle judiciaire de cette recommandation faite par le Conseil –– Le Conseil a déposé une requête en radiation à l’encontre de cette demande ainsi qu’à l’encontre de quelques autres demandes déposées au fil des deux enquêtes –– La Cour fédérale a rejeté les requêtes en radiation du Conseil — Elle a conclu que le Conseil et son comité d’enquête sont des offices fédéraux selon les termes de l’art. 2 de la LCF –– Elle a aussi rejeté l’idée voulant que les art. 63(4)a) et b) de la Loi accordent au Conseil le statut de cour supérieure et les prétentions du Conseil voulant que les rapports et recommandations de celui-ci ne constituent pas des décisions révisables selon l’art. 18 de la LCF –– Il s’agissait de déterminer si le Conseil et ses comités d’enquête sont des offices fédéraux soumis à la juridiction de la Cour fédérale en contrôle judiciaire et si les rapports et recommandations du Conseil constituent des décisions révisables –– Le test en deux étapes aux fins de déterminer si un organisme est un « office fédéral » au sens de l’art. 2 de la LCF a été appliqué –– La Cour fédérale a eu raison de conclure que l’unique source des pouvoirs du Conseil et de ses comités est la Loi, à ses art. 60(2)c) et d) et 63(1) et 63(4) –– Sans l’adoption de la Loi par le législateur fédéral, le Conseil n’existerait tout simplement pas –– Le pouvoir d’enquête du Conseil est strictement statutaire –– La Cour fédérale était bien fondé de conclure que le pouvoir exercé par le Conseil « sur la conduite des juges et de certains fonctionnaires nommés à titre inamovible est de nature inquisitoire », que c’est un « pouvoir d’enquête » –– La thèse de l’appelant voulant que ses membres exercent une fonction judiciaire a été rejeté –– Le simple fait que des garanties procédurales soient exigées dans le cadre d’un processus particulier ne signifie aucunement que ce processus résulte nécessairement de l’exercice par le décideur d’un pouvoir judiciaire à l’abri d’un contrôle sous l’art. 18.1 de la LCF –– En ce qui concerne l’exception à l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, c’est à bon droit que la Cour fédérale a conclu que c’est en leur qualité de juge en chef, un rôle « de nature administrative », que les juges siègent au Conseil, et non pas en tant que juges tirant leurs pouvoirs de l’art. 96 de la Loi constitutionnelle de 1867 –– Quant à l’art. 63(4) de la Loi, la disposition déterminative, la Cour fédérale en est venu à la conclusion bien fondée que l’interprétation que faisait l’appelant de cette disposition ne pouvait être retenue –– En l’espèce, tout portait à croire que c’est strictement aux fins de l’enquête que la Loi dispose que le Conseil et ses comités sont « réputés » constituer une juridiction supérieure –– Concernant l’indépendance, l’efficacité et la primauté du droit, le Conseil, étant un décideur administratif exerçant des pouvoirs conférés par une loi ordinaire, il n’y a rien de surprenant à ce que la légalité de ses décisions puisse être révisée par la Cour fédérale siégeant en contrôle judiciaire –– En somme, le Conseil et ses comités d’enquête sont inclus dans la définition d’ « office fédéral » à l’art. 2 de la LCF –– Ils ne font ni l’un ni l’autre partie des personnes ou organismes expressément exclus de la portée de la définition –– En ce qui concerne la question de savoir si les rapports et recommandations du Conseil constituent des décisions révisables, l’argument de l’appelant mettait en jeu le principe général voulant qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut être introduite lorsque le comportement reproché n’affecte pas des droits reconnus par la loi, ne crée pas d’obligations juridiques, ou encore ne provoque pas de conséquences préjudiciables — La Cour fédérale a retenu qu’une détermination à l’effet « qu’un juge soit inapte à remplir utilement ses fonctions équivalait à une “peine capitale” pour sa carrière » –– Dans la mesure où le ministre de la Justice ne peut, selon la Loi, demander au Parlement de révoquer un juge sans l’enquête du Conseil et de son comité d’enquête, la Cour fédérale a déterminé que le rapport et ses conclusions ont un impact majeur sur les droits et les intérêts du juge faisant l’objet d’une enquête –– Les déterminations de la Cour fédérale à ce sujet ont été entièrement souscrites –– Appel rejeté.

Il s’agissait d’un appel d’une décision de la Cour fédérale rejetant les demandes en radiation présentées par le Conseil canadien de la magistrature (le Conseil ou l’appelant) à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées par l’intimé l’honorable juge Michel Girouard (le juge Girouard). Les demandes sous-jacentes visaient diverses décisions prises par le Conseil lors d’enquêtes conduites sous l’égide des articles 63 et suivants de la Loi sur les juges (la Loi), relativement à la conduite du juge Girouard, et notamment le rapport du Conseil recommandant au ministre de la Justice (le ministre) sa révocation. Le Conseil soutenait, pour l’essentiel, que ses rapports et recommandations, ainsi que les décisions prises dans le cours d’une enquête par un Comité d’enquête, n’étaient pas sujets au contrôle judiciaire sous l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (LCF). Le Conseil ne serait tout simplement pas un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la LCF.

Le juge Girouard a été nommé à la Cour supérieure du Québec en septembre 2010. En novembre 2012, une plainte a été déposée au Conseil suite à la transmission d’une vidéo au juge en chef de la Cour supérieure à l’époque. Cette vidéo montrerait, selon la plainte, une transaction impliquant une substance illicite entre le juge Girouard, alors avocat, et l’un de ses clients de l’époque. En 2013, le Conseil a constitué un comité d’examen pour se pencher sur la plainte et faire effectuer une enquête préliminaire par un avocat externe. Le comité d’examen a conclu que, si les allégations étaient avérées, elles seraient assez graves pour justifier la révocation du juge Girouard. En 2014, le Conseil a constitué, conformément au paragraphe 63(3) de la Loi, un comité d’enquête chargé de se pencher sur la plainte reçue. Le premier comité d’enquête s’est dit incapable de conclure que l’échange capté sur la vidéo impliquait une substance illicite et a donc écarté l’ensemble des allégations portées à l’encontre du juge Girouard. Le Conseil, par la suite, a accepté les recommandations du premier comité d’enquête à cet égard. En 2016, les ministres de la Justice du Québec et du Canada ont déposé une plainte conjointe au Conseil visant la conduite du juge Girouard dans le cadre du premier processus disciplinaire. Cette plainte a déclenché l’enquête obligatoire en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi. Elle a également, par le fait même, mené à la création d’un nouveau comité d’enquête. Le second comité d’enquête a remis son rapport concluant que le juge Girouard était inapte à remplir utilement ses fonctions de juge en raison de l’inconduite dont il s’est rendu coupable à l’occasion de l’enquête du premier comité d’enquête. Par la suite, une majorité des juges du Conseil ont adopté les constatations du second comité d’enquête et ont conclu que le juge Girouard était inapte à remplir ses fonctions. Le juge Girouard a demandé le contrôle judiciaire de la recommandation faite par la majorité du Conseil. Ce recours s’ajoutait à quelques autres demandes déposées, au fil des deux enquêtes, à l’encontre de diverses décisions des comités d’enquête et de la décision des deux ministres de la Justice de porter plainte au Conseil. En réponse, le Conseil a déposé une requête en radiation à l’encontre des demandes en contrôle judiciaire en question.

La Cour fédérale a rejeté les requêtes en radiation du Conseil. Elle a conclu que l’appelant et son comité d’enquête sont des offices fédéraux selon les termes de l’article 2 de la LCF. Selon la Cour, les pouvoirs d’enquête de l’appelant découlent non pas de la Constitution, mais bien de la Loi. De plus, ces pouvoirs appartiendraient au Conseil à titre d’institution, et non aux juges en chef individuellement de par leur statut. La Cour fédérale a aussi rejeté l’idée voulant que les alinéas 63(4)a) et b) de la Loi accordent au Conseil le statut de cour supérieure. Enfin la Cour a aussi rejeté les prétentions du Conseil voulant que les rapports et recommandations de celui-ci ne constituent pas des décisions révisables selon l’article 18 de la LCF.

  Il s’agissait de déterminer si le Conseil et ses comités d’enquête sont des offices fédéraux soumis à la juridiction de la Cour fédérale en contrôle judiciaire et si les rapports et recommandations du Conseil constituent des décisions révisables.

Arrêt : l’appel doit être rejeté.

Aux fins de déterminer si un organisme est un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la LCF, la Cour a établi un test en deux étapes. En effet, selon l’arrêt Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), il revient à la Cour « de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir » invoqué par l’organisme, et de se pencher ensuite sur « la source ou l’origine » de cette compétence ou pouvoir. La Cour fédérale a eu tout à fait raison de conclure que l’unique source des pouvoirs du Conseil et de ses comités est la Loi, à ses alinéas 60(2)c) et d) et aux paragraphes 63(1) et 63(4). Sans l’adoption de la Loi par le législateur fédéral, le Conseil n’existerait tout simplement pas. En somme, le pouvoir d’enquête du Conseil est strictement statutaire. Cela signifie que, si la Loi venait à être abrogée, le Conseil et, à plus forte raison, les juges en chef ne seraient pas habilités à mener des enquêtes, à convoquer des témoins et à les contraindre à déposer des éléments de preuve lors de ces enquêtes.

Quant à la nature des pouvoirs, la Cour fédérale était bien fondé de conclure que le pouvoir exercé par le Conseil « sur la conduite des juges et de certains fonctionnaires nommés à titre inamovible est de nature inquisitoire », que c’est un « pouvoir d’enquête ». En effet, l’alinéa 60(2)c) de la Loi, d’où le Conseil tire sa compétence en l’espèce, lui accorde en termes très clairs le pouvoir « de procéder aux enquêtes visées à l’article 63 [de la Loi] ». Les arguments mis de l’avant par l’appelant ne démontraient pas que la Cour fédérale s’est mépris en concluant que le rôle accordé au Conseil par la Loi ne s’apparente pas au rôle que le juge peut jouer dans une cour de justice. Il s’ensuit que la thèse de l’appelant voulant que les pouvoirs de ses membres sont « de nature judiciaire » et qu’à ce titre, leur exercice ne serait pas assujetti au contrôle judiciaire devait être rejetée.

La thèse de l’appelant voulant que ses membres exercent une fonction judiciaire a été rejeté. Le simple fait que des garanties procédurales soient exigées dans le cadre d’un processus particulier ne signifie aucunement que ce processus résulte nécessairement de l’exercice par le décideur d’un pouvoir judiciaire à l’abri d’un contrôle sous l’article 18.1 de la LCF.

En ce qui concerne l’exception à l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, c’est à bon droit que la Cour fédérale a conclu que c’est en leur qualité de juge en chef, un rôle « de nature administrative », que les juges siègent au Conseil, et non pas en tant que juges tirant leurs pouvoirs de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. Les compétences et pouvoirs du Conseil en matière de déontologie judiciaire lui sont conférés par la Loi.

Quant au paragraphe 63(4) de la Loi, la disposition déterminative, la Cour fédérale en est venu à la conclusion bien fondée que l’interprétation que faisait l’appelant de cette disposition ne pouvait être retenue. En l’espèce, tout portait à croire que c’est strictement aux fins de l’enquête que la Loi dispose que le Conseil et ses comités sont « réputés » constituer une juridiction supérieure. Cet article ne doit pas être interprété de manière à transformer le Conseil en cour supérieure ou à lui en accorder tous les attributs.

Pour ce qui est de l’indépendance, l’efficacité et la primauté du droit le Conseil, étant un décideur administratif exerçant des pouvoirs conférés par une loi ordinaire, il n’y a rien de surprenant à ce que la légalité de ses décisions puisse être révisée par la Cour fédérale siégeant en contrôle judiciaire. La question de savoir si un juge d’une cour supérieure devrait être révoqué est, et demeurera, de la compétence du Conseil et, ultimement, du Sénat et de la Chambre des communes. La Cour fédérale, siégeant en contrôle judiciaire, n’aura pour seule tâche que de vérifier la légalité des décisions prises par le Conseil, et le respect de l’équité procédurale. Ce faisant, elle aura à faire preuve à l’égard du Conseil de toute la déférence que son statut de décideur spécialisé commande.

En somme, le Conseil et ses comités d’enquête sont inclus dans la définition d’ « office fédéral » à l’article 2 de la LCF. Ils sont la création d’une loi fédérale, soit la Loi sur les juges, et ils ne font ni l’un ni l’autre partie des personnes ou organismes expressément exclus de la portée de la définition. Bien que certains des membres du Conseil soient des juges nommés en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, ceux-ci ne remplissent pas une fonction judiciaire quand ils siègent au Conseil; ils ne sont donc pas visés par l’exclusion expresse prévue à l’article 2 de la LCF.

En ce qui concerne la question de savoir si les rapports et recommandations du Conseil constituent des décisions révisable, (en-tête p. 40), l’argument de l’appelant mettait en jeu le principe général voulant qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut être introduite lorsque le comportement reproché n’affecte pas des droits reconnus par la loi, ne crée pas d’obligations juridiques, ou encore ne provoque pas de conséquences préjudiciables. La Cour fédérale a retenu qu’une détermination à l’effet « qu’un juge soit inapte à remplir utilement ses fonctions équivalait à une “peine capitale” pour sa carrière ». Dans la mesure où le ministre de la Justice ne peut, selon la Loi, demander au Parlement de révoquer un juge sans l’enquête du Conseil et de son comité d’enquête, la Cour fédérale a déterminé que le rapport et ses conclusions ont un impact majeur sur les droits et les intérêts du juge faisant l’objet d’une enquête. Le simple fait que la décision prenne la forme d’une recommandation n’est pas déterminant surtout dans la mesure où la jurisprudence reconnait clairement qu’une matière autre qu’une décision ou une ordonnance peut être examinée sous l’article 18.1 de la LCF. Les déterminations de la Cour fédérale à ce sujet ont été entièrement souscrites.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 11d).

Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, art. 58(3).

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 96, 99(1), 101.

Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21, art. 35(1).

Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, art. 236(1).

Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46, art. 20.7(1).

Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), c. P-1.

Loi sur le Tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, art. 8(2).

Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, art. 6(2).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 2 « office fédéral », 3, 4, 18, 18.1. 28.

Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11.

Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, art. 9(4).

Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1, art. 59(1)b),d),(4), 60(2)c),d), 61(3), 63, 64, 65.

Loi sur les juges, S.R.C. 1970, ch. J-1, art. 32(4) (édicté par S.C. 1970-71-72, ch. 55, art. 11)

Loi sur les tribunaux judiciaires, R.L.R.Q., ch. T-16.

Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015-203, art. 8, 10, 11.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 351.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION NON SUIVIE :

R. v. Campbell (1994), 160 A.R. 81, [1995] 2 W.W.R. 469 (Q.B.) inf. par Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3.

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52; Sero c. Canada, 2004 CAF 6, [2004] 2 R.C.F. 613, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2004] 2 R.C.S. vii.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Brace c. Canada, 2014 CAF 92; Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585; Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765; Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267; Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 R.C.S. 3; Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673; Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527(C.A.); Gagliano c. Gomery, 2011 CAF 217; Douglas c. Canada (Procureur général), 2014 CF 299, [2015] 2 R.C.F. 911; Alex Couture Inc. c. Canada (Procureur général), [1991] R.J.Q. 2534 (C.A.); R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838; MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796; Canada (Procureur général) c. Slansky, 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2014] 1 R.C.S. xii; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

DÉCISIONS CITÉES :

Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259; Shire Canada Inc. v. Apotex Inc., 2011 FCA 10; Canada (Gouverneur général en conseil) c. Première nation crie Mikisew, 2016 CAF 311, [2017] 3 R.C.F. 298, conf. par 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765; Spike Marks Inc. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 406, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2009] 1 R.C.S. xiii; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391; Québec (Conseil de la magistrature) c. Québec (Commission d’accès à l’information), [2000] R.J.Q. 638 (C.A.); Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.); Murphy c. Welsh; Stoddard c. Watson, [1993] 2 R.C.S. 1069; Re Diamond and The Ontario Municipal Board, [1962] O.R. 328, [1962] O.J. No. 554 (QL) (C.A.); Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C.F. 91, conf. par 2003 CAF 55, [2003] 3 C.F. 3 autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2003] 2 R.C.S. xi; Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769 (1re inst.); Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2007] 3 R.C.S. x; Cosgrove c. Canada (Procureur général), 2008 CF 941; Akladyous c. Conseil canadien de la magistrature, 2008 CF 50; Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 194, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 2 mai 2019; Sganos c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 84; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605.

DOCTRINE CITÉE

Brown, Donald J. M. et l’honorable John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Thomson Reuters Canada Limited, 2018.

Conseil canadien de la magistrature. Examen du processus de la conduite judiciaire par le Conseil canadien de la magistrature : document de travail, Ottawa : Conseil canadien de la magistrature, mars 2014.

Côté, Pierre-André. Interprétation des lois, 4e éd. Cowansville (Qc) : Éditions Yvon Blais, 2009.

|Parlement. Chambre des communes. Comité permanent de la Justice et des questions juridiques, Procès-verbaux et témoignages, 28e lég., 3e sess. (16 juin 1971).

Sullivan, Ruth. Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd. Markham, Ontario : LexisNexis, 2014.

APPEL d’une décision de la Cour fédérale (2018 CF 865, [2019] 1 R.C.F. 404) rejetant les demandes en radiation du Conseil canadien de la magistrature à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées par l’honorable juge Michel Girouard qui visaient diverses décisions prises par le Conseil lors d’enquêtes conduites sous l’égide des articles 63 et suivants de la Loi sur les juges relativement à la conduite du juge Girouard. Appel rejeté.

ONT COMPARU :

Ronald F. Caza, Alyssa Tomkins et Gabriel Poliquin pour l’appelant.

Gérald R. Tremblay, Louis Masson, Ad. E., et Guillaume Renauld pour l’intimé l’honorable Michel Girouard.

Claude Joyal, Pascale-Catherine Guay et Lindy Rouillard-Labbé pour l’intimée la procureure générale du Canada.

Personne n’a comparu pour l’intimée la procureure générale du Québec.

Michel Décary pour l’intervenante l’Association canadienne des juges des cours supérieures.

Andrea Gonsalves pour l’intervenant l’honorable Patrick Smith.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Caza Saikaley s.r.l., Ottawa, pour l’appelant.

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l., Montréal, et Joli-Cœur Lacasse Avocats, Québec, pour l’intimé l’honorable Michel Girouard.

La sous-procureure générale du Canada pour l’intimée la procureure générale du Canada.

La sous-procureure générale du Québec pour l’intimée la procureure générale du Québec.

BCF, Montréal, pour l’intervenante l’Association canadienne des juges des cours supérieures.

Stockwoods LLP, Toronto, pour l’intervenant l’honorable Patrick Smith.

  Voici les motifs du jugement prononcés en français par

            La Cour :

I.          SURVOL

[1]        Le Conseil canadien de la magistrature (le Conseil ou l’appelant) en appelle du jugement de la Cour fédérale (l’honorable juge Noël), rendu le 29 août 2018 [Girouard c. Canada (Procureure générale), 2018 CF 865, [2019] 1 R.C.F. 404] (la Décision), rejetant ses demandes en radiation à l’encontre des demandes de contrôle judiciaire déposées par l’honorable juge Michel Girouard (le juge Girouard). Les demandes sous-jacentes visent diverses décisions prises par le Conseil lors d’enquêtes conduites sous l’égide des articles 63 et suivants de la Loi sur les juges, L.R.C. (1985), ch. J-1 (la Loi), relativement à la conduite du juge Girouard, et notamment le rapport du Conseil recommandant au ministre de la Justice (le ministre) sa révocation.

[2]        Le Conseil soutient, pour l’essentiel, que ses rapports et recommandations, ainsi que les décisions prises dans le cours d’une enquête par un comité d’enquête, ne sont pas sujets au contrôle judiciaire sous l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (LCF). Celui-ci ne serait tout simplement pas un « office fédéral » au sens de l’article 2 de cette loi.

[3]        Pour les motifs qui suivent, l’appel sera rejeté, sans frais.

II.         CONTEXTE FACTUEL ET PROCÉDURAL

A.        Cadre juridique général

[4]        Le paragraphe 99(1) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R-U) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), appendice II, no 5] (L.C. 1867) prévoit que les juges des cours supérieures resteront en fonction durant bonne conduite, mais qu’ils peuvent être révoqués par le gouverneur général sur une adresse du Sénat et de la Chambre des Communes. En 1971, le législateur a créé le Conseil par des modifications à la Loi et l’a habilité à enquêter sur les plaintes visant des juges nommés par le gouvernement fédéral.

[5]        L’article 63 de la Loi prévoit deux circonstances dans lesquelles le Conseil peut faire enquête sur la conduite d’un juge nommé par le gouvernement fédéral : à la demande du ministre de la Justice ou du procureur général d’une province (paragraphe 63(1) de la Loi), ou suite à la réception de toute plainte ou accusation relative à un juge de cour supérieure (paragraphe 63(2) de la Loi). La procédure diffère quelque peu selon que le processus est initié en vertu de l’un ou l’autre de ces articles.

[6]        Dans les deux cas, un comité d’enquête, composé d’un nombre impair de membres, peut être appelé à se pencher sur la conduite du juge visé. Si le comité inclut des membres du barreau d’une province nommés par le ministre, la majorité des membres du comité doivent être des membres du Conseil (voir le paragraphe 63(3) de la Loi et l’article 3 du Règlement administratif du Conseil canadien de la magistrature sur les enquêtes (2015), DORS/2015-203 (le Règlement)). Les pouvoirs du comité d’enquête sont énoncés au paragraphe 63(4) de la Loi. Le comité d’enquête entend la preuve concernant les plaintes ou les allégations et, selon l’article 8 du Règlement, il remet au Conseil un rapport dans lequel il consigne les résultats de l’enquête. Ce rapport comprend les conclusions de fait et les conclusions du comité quant à savoir si la révocation du juge devrait être recommandée.

[7]        Le Conseil examine ensuite les allégations et se prononce sur leur bien-fondé. Afin de s’acquitter de cette tâche, les articles 10 et 11 du Règlement prévoient qu’une formation du Conseil est constituée d’au moins 17 membres du Conseil n’ayant pas participé au processus d’enquête et n’étant pas de la même juridiction que le juge en cause. Il appartient alors au Conseil de déterminer si le juge visé est inapte à remplir utilement ses fonctions. Il convient de noter, à cet égard, que le président du Conseil, soit le juge en chef du Canada, ne participe pas aux procédures de délibération dans les affaires de conduite des juges.

[8]        L’article 65 de la Loi dispose que, à l’issue de l’enquête, le Conseil présente au ministre un rapport sur ses conclusions et lui communique le dossier. Le Conseil peut, dans son rapport d’enquête, recommander ou non la révocation du juge.

B.        Cadre factuel

[9]        Le juge Girouard a été nommé à la Cour supérieure du Québec le 30 septembre 2010.

[10]      Le 30 novembre 2012, une plainte est déposée au Conseil suite à la transmission d’une vidéo par le Directeur des poursuites criminelles et pénales à l’honorable François Rolland, alors juge en chef de la Cour supérieure. Cette vidéo montrerait, selon la plainte, une transaction impliquant une substance illicite entre l’intimé Girouard, alors avocat, et l’un de ses clients de l’époque.

[11]      En octobre 2013, le Conseil a constitué un comité d’examen pour se pencher sur la plainte et faire effectuer une enquête préliminaire par un avocat externe. Le comité d’examen a conclu que, si les allégations sont avérées, elles seraient assez graves pour justifier la révocation du juge.

[12]      En février 2014, le Conseil constitue, conformément au paragraphe 63(3) de la Loi, un comité d’enquête chargé de se pencher sur la plainte reçue. Le premier comité d’enquête s’est dit incapable de conclure que l’échange capté sur la vidéo impliquait une substance illicite, et ce malgré qu’une majorité de ses membres ait remis en question la fiabilité et la crédibilité du témoignage du juge Girouard. Le comité a donc écarté l’ensemble des allégations portées à son encontre. Le Conseil a par la suite accepté les recommandations du premier comité d’enquête à cet égard.

[13]      En juin 2016, les ministres de la Justice du Québec et du Canada ont déposé une plainte conjointe au Conseil visant la conduite du juge Girouard dans le cadre du premier processus disciplinaire. Cette plainte a déclenché l’enquête obligatoire en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi. Elle a également, par le fait même, mené à la création d’un nouveau comité d’enquête, tel qu’il est prévu au paragraphe 63(3) de la Loi.

[14]      Le 6 novembre 2017, le second comité d’enquête remet son rapport. Sa conclusion est à l’effet que le juge Girouard est inapte à remplir utilement ses fonctions de juge en raison de l’inconduite dont il s’est rendu coupable à l’occasion de l’enquête du premier comité d’enquête.

[15]      Le 20 février 2018, 20 des 23 juges du Conseil ont adopté les constatations du second comité d’enquête et ont conclu que le juge Girouard était inapte à remplir ses fonctions. Les trois juges dissidents ont quant à eux suggéré que le juge ne soit pas révoqué, étant d’avis qu’il n’a pas bénéficié d’une audience équitable dans la mesure où certains membres du Conseil ne pouvaient, en raison de leur unilinguisme, comprendre et évaluer l’ensemble du dossier.

[16]      Le juge Girouard a demandé le contrôle judiciaire de la recommandation faite par la majorité du Conseil. Ce recours s’ajoute à quelques autres demandes déposées, au fil des deux enquêtes, à l’encontre de diverses décisions des comités d’enquête et de la décision des deux ministres de la Justice de porter plainte au Conseil.

[17]      En réponse, le Conseil a déposé une requête en radiation à l’encontre des demandes en contrôle judiciaire en question, au motif que la Cour fédérale n’a pas compétence pour entendre l’affaire en vertu des articles 2 et 18 de la LCF, le Conseil n’étant pas un « office fédéral ».

III.        DÉCISION DE LA COUR FÉDÉRALE

[18]      Le 29 août 2018, le juge Simon Noël de la Cour fédérale a rejeté les requêtes en radiation du Conseil. Il en est venu à la conclusion, au terme de son analyse, que le Conseil et son comité d’enquête sont des offices fédéraux selon les termes de l’article 2 de la LCF (Décision, aux paragraphes 61–111). Selon lui, les pouvoirs d’enquête du Conseil découlent non pas de la Constitution, mais bien de la Loi (au paragraphe 81). De plus, ces pouvoirs appartiendraient au Conseil à titre d’institution, et non aux juges en chef individuellement de par leur statut (au paragraphe 81). Le juge a aussi rejeté l’idée voulant que les alinéas 63(4)a) et b) de la Loi accordent au Conseil le statut de cour supérieure. Ceux-ci viseraient seulement, à son avis, à reconnaître l’immunité du Conseil et des juges enquêteurs, à leur attribuer les pouvoirs de citer à comparaître et de contraindre à témoigner, ainsi qu’à accorder aux juges faisant l’objet d’une enquête une protection quant à leur témoignage (au paragraphe 156). Le juge a aussi rejeté les prétentions du Conseil voulant que les rapports et recommandations du Conseil ne constituent pas des décisions révisables selon l’article 18 de la LCF (au paragraphe 172).

IV.       QUESTIONS EN LITIGE

[19]      Le présent appel soulève les questions suivantes :

1.         Le Conseil et ses comités d’enquête sont-ils des offices fédéraux soumis à la juridiction de la Cour fédérale en contrôle judiciaire?

2.         Les rapports et recommandations du Conseil constituent-ils des décisions révisables?

[20]      L’avis d’appel et le mémoire des faits et du droit du Conseil soulèvent une autre question, à savoir la crainte raisonnable de partialité du juge. Lors de l’audition de l’appel, le Conseil n’a pas fait mention de cette question et ne s’en est pas remis à son mémoire à ce sujet. Le procureur du juge Girouard et le procureur général du Canada (PGC), à leur tour, ont passé cette question sous silence. Compte tenu de ces circonstances, cette Cour considère que ce motif d’appel a été abandonné. Au demeurant, rien dans les prétentions écrites de l’appelant ne permettait de renverser la forte présomption d’impartialité du juge, telle que consacrée dans l’arrêt Bande indienne Wewaykum c. Canada, 2003 CSC 45, [2003] 2 R.C.S. 259, au paragraphe 59.

[21]      Les deux questions en litige seront traitées tour à tour.

V.        QUESTIONS PRÉLIMINAIRES

[22]      Avant de statuer sur le fond, il y a deux questions préliminaires à examiner. Deux requêtes ont été présentées au début de l’audition de l’appel. La première, déposée par le juge Girouard, demande que soit ajoutée au dossier d’appel une copie de la demande de contrôle judiciaire amendée en vertu de la permission accordée par le juge Simon Noël à titre de juge de gestion d’instance. Puisque les autres parties ne s’y opposaient pas, la requête a été accueillie séance tenante.

[23]      Par contre, la deuxième requête n’a pas fait l’unanimité. Par cette requête, l’appelant demande à la Cour de lui permettre de présenter un nouvel élément de preuve sur une question de fait en vertu de la règle 351 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. La preuve en cause est le procès-verbal de la Conférence annuelle des juges en chef du Canada, qui a eu lieu alors que le Parlement procédait à l’étude des amendements à la Loi qui ont établi le Conseil. Il ressort de ce procès-verbal qu’au cours de cette réunion, l’honorable juge Fauteux, alors juge en chef du Canada, aurait expliqué que le paragraphe 32(4) [S.R.C. 1970, ch. J-1], maintenant 63(4) de la Loi, avait été modifié pour prévenir la possibilité que le Conseil soit assujetti au pouvoir de révision de la Cour fédérale.

[24]      L’appelant fait valoir que cette preuve satisfait aux critères applicables à la recevabilité de nouveaux éléments de preuve aux termes de la règle 351, tels qu’ils sont exposés dans l’arrêt Brace c. Canada, 2014 CAF 92, au paragraphe 11 :

(1) On ne devrait généralement pas admettre un élément de preuve qui, avec diligence raisonnable, aurait pu être produit au procès. […]

(2) L’élément de preuve doit être pertinent, en ce sens qu’il doit porter sur une question décisive ou potentiellement décisive quant au procès. […]

(3) L’élément de preuve doit être plausible, en ce sens qu’on puisse raisonnablement y ajouter foi. […]

(4) Elle doit être telle que si l’on y ajoute foi, on puisse raisonnablement penser qu’avec les autres éléments de preuve produits au procès, elle aurait influé sur le résultat. […] [Italiques dans l’original.]

(Voir aussi Shire Canada Inc. v. Apotex Inc., 2011 FCA 10.)

[25]      Puisque tous ces critères doivent être remplis, il suffit que l’un d’eux ne le soit pas pour que la requête soit rejetée.

[26]      L’appelant désire, en se fondant sur cette preuve, démontrer que l’intention du législateur, lorsqu’il a modifié le texte du paragraphe 63(4) de la Loi pour inclure l’expression « est réputé constituer une juridiction supérieure » était de soustraire l’appelant à la compétence de la Cour fédérale quant à la révision judiciaire.

[27]      Or, comme le juge l’a bien noté aux paragraphes 138 et 140 de ses motifs, le fonctionnaire au sein du ministère de la Justice qui témoignait devant le comité parlementaire a expliqué que le but d’amender le projet de loi pour y insérer la mention « réputé constituer une juridiction supérieure » était « d’accorder aux juges […] la protection judiciaire normale dont ils auraient besoin » lors des discussions entourant cet amendement, c’est-à-dire, l’immunité à l’égard des poursuites (Comité permanent de la Justice et questions juridiques, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, 28e lég., 3e sess., vol. 2, no 27 (16 juin 1971), à la page 27 :27). La nouvelle preuve que veut présenter l’appelant vient contredire ce témoignage. D’une part, l’appelant n’a pas démontré que le procès-verbal est authentique et qu’il reflète fidèlement les propos du juge Fauteux; d’autre part, les propos attribués au juge Fauteux ne reflèteraient que son opinion, et ne peuvent d’aucune façon être assimilés à l’intention du législateur. L’on peut donc difficilement dire que cette nouvelle preuve « aurait influé sur le résultat ».

[28]      Il convient de souligner, au surplus, que le document en question contredit l’argument principal avancé par l’appelant devant cette Cour, soit que les membres du Conseil tirent leur immunité de la Constitution. En effet, celui-ci laisse plutôt entendre qu’en l’absence de l’actuel paragraphe 63(4) de la Loi, les décisions du Conseil seraient bel et bien soumises au pouvoir de contrôle de la Cour fédérale. Il est donc difficile de conclure, comme l’exige la jurisprudence, que si l’on y ajoutait foi, la preuve nouvelle aurait influé sur le résultat, et ce de manière favorable à l’appelant.

[29]      En somme, les critères relatifs à l’admission de nouveaux éléments de preuve n’ont pas été satisfaits. La requête de l’appelant sera donc rejetée.

VI.       NORME D’INTERVENTION

[30]      La question de savoir si la Cour fédérale avait compétence pour statuer sur les demandes de contrôle judiciaire en litige est une question de droit qui doit être examinée suivant la norme de la décision correcte (Canada (Gouverneur général en conseil) c. Première Nation Crie Mikisew, 2016 CAF 311, [2017] 3 R.C.F. 298 (Mikisew CAF), au paragraphe 18, conf. par 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765; Spike Marks Inc. c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 406, au paragraphe 11, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 30 avril 2009 (33023) [[2009] 1 R.C.S. xiii]; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235, au paragraphe 8).

VII.      ANALYSE

A.        Le Conseil est-il un office fédéral soumis à la juridiction de la Cour fédérale en contrôle judiciaire?

1)         Cadre juridique général

[31]      La compétence de la Cour fédérale n’est pas inhérente; elle est d’origine statutaire. Il en découle que, pour que la Cour puisse entendre et trancher une affaire, le législateur doit lui avoir conféré la compétence voulue (Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc., 2010 CSC 62, [2010] 3 R.C.S. 585 (TeleZone), au paragraphe 43). De par l’adoption de l’article 18 de la LCF, le législateur a accordé à la Cour fédérale la compétence exclusive pour contrôler les actes posés ou les décisions prises par un « office fédéral », hormis ceux à l’égard desquels la Cour d’appel fédérale a expressément compétence au titre de l’article 28. L’article 18.1 de la LCF expose la portée des recours disponibles dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire présentée par le procureur général ou par une partie intéressée.

[32]      Le terme « office fédéral » désigne généralement un « organisme exerçant une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale » (Mikisew Cree First Nation c. Canada (Gouverneur général en conseil), 2018 CSC 40, [2018] 2 R.C.S. 765 (Mikisew CSC), au paragraphe 18). Plus précisément, l’article 2 de la LCF définit ainsi cette notion :

Définitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

[…]

office fédéral Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d’une prérogative royale, à l’exclusion de la Cour canadienne de l’impôt et ses juges, d’un organisme constitué sous le régime d’une loi provinciale ou d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes d’une loi provinciale ou de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867.      

[33]      La Cour suprême du Canada a affirmé, au sujet de cette définition, qu’elle est « très large » et qu’elle dépasse « largement l’idée qu’on se fait généralement de ce concept » (TeleZone, aux paragraphes 3 et 50).

[34]      Aux fins de déterminer si un organisme est un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la LCF, cette Cour a établi un test en deux étapes. En effet, selon Anisman c. Canada (Agence des services frontaliers), 2010 CAF 52 (Anisman), il revient à la Cour « de déterminer la nature de la compétence ou du pouvoir » invoqué par l’organisme, et de se pencher ensuite sur « la source ou l’origine » de cette compétence ou pouvoir (au paragraphe 29; Mikisew CSC, au paragraphe 109).

[35]      Il convient aussi de noter que le législateur a modifié à plusieurs reprises la définition d’ « office fédéral » aux fins d’exclure explicitement des organismes qui pourraient autrement être visés par elle. C’est le cas notamment du Sénat, de la Chambre des communes, de tout comité ou membre de l’une des chambres, et des commissaires à l’éthique de ces institutions à l’égard de l’exercice de leurs pouvoirs sous la Loi sur le Parlement du Canada, L.R.C. (1985), ch. P-1 (voir le paragraphe 2(2) de la LCF).

2)         Discussion

a)         Les critères de l’arrêt Anisman

[36]      Le juge de la Cour fédérale a énoncé le test de l’arrêt Anisman au paragraphe 96 de ses motifs. Étudiant le schème législatif en litige à la lumière de ces critères jurisprudentiels, il a conclu que le Conseil et ses comités exercent des pouvoirs de nature inquisitoire (au paragraphe 97), similaires à ceux dont dispose une commission d’enquête constituée sous la Loi sur les enquêtes, L.R.C. (1985), ch. I-11 (Loi sur les enquêtes) (au paragraphe 83). Il a aussi jugé que ces pouvoirs trouvent leur source aux seuls alinéas 60(2)c) et d), aux paragraphes 63(1) et 63(4) de la Loi, soit une « loi fédérale » au sens de l’article 2 de la LCF (au paragraphe 97).

[37]      L’appelant s’en prend aux conclusions du juge tant sur la question de (i) la source des pouvoirs exercés, que (ii) de la nature de ceux-ci. Ces critiques seront considérées tour à tour. La « source » des pouvoirs étant le « facteur principal » pour juger si un décideur est visé par la définition d’ « office fédéral », cette question sera traitée en premier lieu (Mikisew CSC, au paragraphe 109; Donald J. M. Brown et l’honorable John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Thomson Reuters Canada Limited, 2018, aux pages 2-50 et 2-51).

(i)         La source des pouvoirs

[38]      Se fondant sur l’arrêt Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267 (Ruffo), l’appelant argue que les pouvoirs en litige ici sont « inhérents » à l’exercice par ses membres de leurs fonctions. Il en résulterait, selon lui, que ces pouvoirs sont d’origine constitutionnelle, et qu’ils ne sont donc pas prévus par une « loi fédérale » au sens où l’entend l’article 2 de la LCF.

[39]      Ces prétentions ne résistent pas à l’analyse.

[40]      Le juge a eu tout à fait raison de conclure que l’unique source des pouvoirs du Conseil et de ses comités est la Loi, à ses alinéas 60(2)c) et d), paragraphes 63(1) et 63(4). Sans l’adoption de la Loi par le législateur fédéral, le Conseil n’existerait tout simplement pas. Notons, d’ailleurs, que son existence ne remonte qu’à 1971; avant cette date, la discipline judiciaire était confiée à des commissions d’enquête ad hoc mises sur pied par le gouverneur en conseil. Tout porte à croire, de plus, que si les rôles et composition du Conseil devaient être modifiés, c’est au Parlement, et non au Conseil lui-même, qu’il reviendrait d’apporter, par voie législative, ces changements. Le seul pouvoir accordé au Conseil à cet égard, au paragraphe 61(3) de la Loi, est celui d’adopter des règlements administratifs visant à régir la procédure relative à ses réunions et à ses enquêtes.

[41]      Comme le note avec raison l’intimé PGC, l’analyse de l’arrêt Anisman implique que cette Cour s’attarde à la source des pouvoirs conférés à l’organisme qui les exerce ― ici le Conseil, et non aux membres qui le composent. Quoi qu’il en soit, même si l’on devait tenir compte des pouvoirs confiés aux juges en chef, la même conclusion s’impose en l’espèce.

[42]      L’argument de l’appelant voulant que ses pouvoirs soient d’origine constitutionnelle, puisqu’inhérents à la fonction de juge en chef, s’appuie sur le passage suivant de l’arrêt Ruffo [aux paragraphes 57 et 58] :

[…] Il ne faut pas perdre de vue […] qu’une vaste part du rôle du juge en chef, en ce qui a trait au maintien d’une justice de qualité, s’est définie au cours des ans par petites touches, à la manière de la règle prétorienne. Nombreux sont ses aspects qui relèvent de la tradition judiciaire, loin de toute transposition en termes législatifs. Aussi l’absence de textes explicites en matière de déontologie, jusqu’à une époque somme toute récente, ne nous autorise-t-elle pas à douter de la continuité qui a marqué l’évolution des responsabilités du juge en chef à cet égard. Dans cette perspective, on ne saurait prétendre que les pouvoirs de supervision qui lui sont confiés aux termes de l’art. 96 [de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.Q. c. T-16 alors en vigueur] sont le fruit d’une attribution spontanée de la part du législateur; à mon sens, ils doivent plutôt être perçus comme l’expression d’une réalité conforme à la pratique générale et aux développements graduels de l’histoire.

En conformité avec ces propos, […] l’auteur américain [Geyh] avance la proposition selon laquelle les pouvoirs de supervision du juge en chef à l’égard de la déontologie sont inhérents à l’exercice de ses fonctions et ne requièrent aucune attribution par le biais de dispositions législatives spécifiques. […] J’y souscris. [Soulignement dans l’original.]

[43]      Or, il convient, pour en comprendre la teneur réelle, de replacer cet extrait de l’arrêt Ruffo dans son contexte initial. Ces commentaires étaient formulés par le juge Gonthier, au nom de la majorité, en réponse à l’argument voulant que le juge en chef de la Cour du Québec ne devrait pas pouvoir adresser lui-même une plainte contre un juge de sa juridiction devant le Conseil de la magistrature, en ce que cela irait à l’encontre des principes d’impartialité et d’indépendance judiciaire. C’est dans ce contexte bien particulier qu’ont été faites, et que doivent être comprises, les observations reproduites ci-haut. Cela ressort d’ailleurs clairement du paragraphe qui les suit [le paragraphe 59] :

      Il nous faut reconnaître, en effet, que le juge en chef, en tant que primus inter pares au sein de la cour dont il voit au bon fonctionnement à tous autres égards, occupe une position privilégiée pour veiller au respect de la déontologie judiciaire. D’une part, en raison même du rôle de coordonnateur qui est le sien, il se trouve que les événements susceptibles de soulever des questions d’ordre déontologique sont plus facilement amenés à son attention. D’autre part, du fait même de son statut, le juge en chef s’avère fréquemment le mieux placé pour traiter de ces questions délicates, soulageant par le fait même les autres juges de la cour de la difficile tâche de porter plainte à l’endroit de l’un de leurs collègues, le cas échéant. En somme, le pouvoir de porter plainte relève intrinsèquement de la responsabilité du juge en chef en ce domaine et il ne siérait pas que ce dernier, pour s’assurer de ses obligations à cet égard, agisse sous le couvert d’une autre personne, que celle-ci soit juge ou encore issue d’un milieu étranger à la magistrature. [Soulignements ajoutés.]

[44]      On comprend de ce passage que le seul pouvoir inhérent du juge en chef identifié par la Cour suprême dans l’arrêt Ruffo quant à la discipline judiciaire est celui de porter plainte contre l’un des juges sous sa supervision. Rien ne laisse croire que ce pouvoir devrait nécessairement inclure celui d’enquêter sur une telle plainte. Cela est sans compter, par ailleurs, que lorsque le juge en chef agit de la sorte, il le fait en raison de son rôle de coordonnateur de la cour de sa division. En d’autres termes, si ce pouvoir est « inhérent », il l’est à ses fonctions de juge en chef, soit des fonctions essentiellement administratives (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Tobiass, [1997] 3 R.C.S. 391, au paragraphe 99), et non à ses fonctions de juge (auquel cas chaque juge se verrait accorder ce pouvoir). Il n’est pas davantage mentionné, dans cet arrêt, qu’un juge en chef possèderait un tel pouvoir à l’égard de juges autres que ceux de sa cour; or, les pouvoirs du Conseil ne font pas l’objet d’une telle limite.

[45]      Qui plus est, la Cour dans l’arrêt Ruffo n’a jamais évoqué, et ce contrairement aux prétentions de l’appelant au paragraphe 44  de son mémoire, une quelconque « origine constitutionnelle » aux fonctions des juges en chef. Il est d’ailleurs intéressant de noter, à cet égard, qu’à aucun moment dans cet arrêt la Cour ne mentionne l’article 96 de la L.C. 1867. Bref, l’appelant fait dire à la décision de la Cour dans Ruffo quelque chose qu’elle n’a pas dit.

[46]      En somme, le pouvoir d’enquête du Conseil est strictement statutaire. Cela signifie que, si la Loi venait à être abrogée, le Conseil et, à plus forte raison, les juges en chef ne seraient pas habilités à mener des enquêtes, à convoquer des témoins et à les contraindre à déposer des éléments de preuve lors de ces enquêtes. La seule procédure prévue par la Constitution pour destituer un juge d’une Cour supérieure est celle qu’énonce le paragraphe 99(1) de la L.C. 1867.

(ii)        La nature des pouvoirs

[47]      L’appelant prétend, quant à ce second critère, que les pouvoirs et compétences de ses membres sont de nature judiciaire. À ce titre, soumet l’appelant, l’exercice de ces pouvoirs ne serait pas assujetti au contrôle judiciaire. L’appelant attire notamment l’attention de cette Cour, au soutien de cet argument, sur divers passages des arrêts Therrien (Re), 2001 CSC 35, [2001] 2 S.C.R. 3 (Therrien) et Valente c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 673 (Valente). Il affirme aussi que le juge de première instance aurait eu tort de distinguer la présente affaire de l’arrêt Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien c. Ranville et autre, [1982] 2 R.C.S. 518 (Ranville) au seul motif que les pouvoirs du Conseil sont exercés collectivement. L’appelant argue, au surplus, que la possibilité pour les membres du Conseil d’avoir recours à des remplaçants, ainsi que le fait pour des avocats de siéger sur les comités d’enquête mis sur pied par le Conseil, n’est aucunement déterminante.

[48]      Ces arguments se doivent d’être rejetés.

(iii)       Pouvoirs de nature inquisitoire

[49]      Le juge était bien fondé de conclure que le pouvoir exercé par le Conseil « sur la conduite des juges et de certains fonctionnaires nommés à titre inamovible est de nature inquisitoire », que c’est un « pouvoir d’enquête » (Décision, au paragraphe 97). En effet, l’alinéa 60(2)c) de la Loi, d’où le Conseil tire sa compétence en l’espèce, lui accorde en termes très clairs le pouvoir « de procéder aux enquêtes visées à l’article 63 [de la Loi] ». Ce pouvoir est encadré par les articles 63 et 64, lesquels se retrouvent à la section de la Loi intitulée « Enquêtes sur les juges ». Comme le note avec raison le juge Girouard, les sous-titres des paragraphes applicables (« Enquêtes facultatives », « Enquêtes obligatoires », « Pouvoirs d’enquête », etc.) témoignent aussi de la nature des pouvoirs octroyés au Conseil et ses comités (mémoire des faits et du droit du juge Girouard, au paragraphe 39).

[50]      Tel que le souligne le juge au paragraphe 83 de sa décision, cette interprétation est par ailleurs supportée par un rapport produit par le Conseil lui-même en mars 2014, lequel souligne que les pouvoirs d’enquête en question sont « semblables » à ceux dont dispose une commission d’enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes (Conseil canadien de la magistrature, Examen du processus de la conduite judiciaire par le Conseil canadien de la magistrature : document de travail, Ottawa : Conseil canadien de la magistrature, mars 2014, [(Rapport du CCM)], aux pages 50 et 51). Ce rapport précise que :

[…] le cadre législatif semble indiquer que le processus d’examen de la conduite des juges du [Conseil] est de nature inquisitoire. En vertu de la [Loi], un comité d’enquête est constitué afin de déterminer si un juge de nomination fédérale est inapte à remplir utilement ses fonctions. La [Loi] confère des pouvoirs d’enquête au comité d’enquête, y compris le pouvoir de citer des témoins et de les obliger à déposer sous la foi du serment et à produire des documents, ainsi que le pouvoir de contraindre les témoins à comparaître, le comité étant investi à cet égard des pouvoirs d’une juridiction supérieure. Ces pouvoirs sont semblables à ceux dont dispose une commission d’enquête en vertu de la Loi sur les enquêtes. Un comité d’enquête n’a aucun pouvoir explicite d’imposer des sanctions […] [Soulignements ajoutés; notes de bas de page omises.]

[51]      La distinction qu’il convient de tracer entre des pouvoirs « d’enquête » et des pouvoirs « judiciaires » a fait l’objet d’une discussion dans l’arrêt Beno c. Canada (Commissaire et président de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces armées canadiennes en Somalie), [1997] 2 C.F. 527 (C.A.) [Beno]. Bien que formulés dans un contexte distinct, soit celui de déterminer quel critère devrait s’appliquer pour évaluer des allégations de partialité quant à l’exercice de l’un ou l’autre de ces pouvoirs, les commentaires de cette Cour à cet égard demeurent pertinents [Beno, au paragraphe 23] :

[…] Une enquête publique n’est pas du tout un procès civil ou criminel […] Dans un procès, le juge assume un rôle juridictionnel et seules les parties ont la responsabilité de présenter la preuve. Dans une enquête, les commissaires sont dotés de vastes pouvoirs d’enquête pour accomplir leur mandat d’enquête […] Les règles de preuve et de procédure sont donc considérablement moins contraignantes dans le cas d’une commission d’enquête que dans le cas d’une cour de justice. Les juges décident des droits visant les rapports entre les parties, une commission d’enquête ne peut que « faire enquête » et « faire rapport » […] Les juges peuvent imposer des sanctions pécuniaires ou pénales; la seule conséquence susceptible de découler d’une conclusion défavorable de la Commission d’enquête sur la Somalie est que des réputations pourraient être ternies […] [Références omises.]

[52]      Dans ce dossier, le rapport de la Commission d’enquête sur le déploiement des Forces canadiennes en Somalie, présidée par le juge Létourneau, avait été considéré comme révisable.

[53]      Ces propos furent réitérés par cette Cour dans l’arrêt Gagliano c. Gomery, 2011 CAF 217. « [C]ontrairement au commissaire dont la fonction première et essentielle est de chercher, trouver et recueillir les preuves », affirmait alors la Cour, un juge « n’a charge que de soupeser la preuve qui est déjà entre les mains des parties et qui lui est soumise pour évaluation » (au paragraphe 23). Dans cette affaire, la Cour avait implicitement jugé que le rapport émis par le Commissaire Gomery à l’issue de la Commission d’enquête sur le Programme de commandites et les activités publicitaires était révisable par la Cour fédérale en vertu de son pouvoir de contrôle judiciaire.

[54]      Ces commentaires concordent d’ailleurs avec ceux du juge Gonthier dans l’arrêt Ruffo, quant à la nature des procédures devant un Comité d’enquête formé en vertu d’une version antérieure de la Loi sur les tribunaux judiciaires, R.L.R.Q., ch. T-16 (LTJ). Ces derniers méritent d’être reproduits ici [aux paragraphes 72 et 73] :

[…] le Comité a pour mission de veiller au respect de la déontologie judiciaire […] Il doit, à cette fin, faire enquête sur les faits pour décider s’il y a eu manquement au Code de déontologie et recommander les mesures qui soient les plus aptes à remédier à la situation […] le débat qui prend place devant lui n’est […] pas de l’essence d’un litige dominé par une procédure contradictoire mais se veut plutôt l’expression de fonctions purement investigatrices, marquées par la recherche active de la vérité.

      Dans cette perspective, la véritable conduite de l’affaire n’est pas du ressort des parties mais bien du Comité lui-même, à qui la LTJ confie un rôle prééminent dans l’établissement de règles de procédure, de recherche des faits et de convocation de témoins. Toute idée de poursuite se trouve donc écartée sur le plan structurel […] la fonction première du Comité est la recherche de la vérité; or celle-ci n’emprunte pas la voie d’un lis inter partes mais celle d’une véritable enquête où le Comité, par ses propres recherches, celles du plaignant et du juge qui fait l’objet de la plainte, s’informe de la situation en vue de décider de la recommandation qui soit la plus adéquate, au regard des circonstances de l’affaire qui lui est soumise. [Soulignements ajoutés.]

[55]      De plus, le juge Girouard a raison de souligner que si les pouvoirs du Conseil et de ses comités étaient réellement de nature judiciaire, le législateur n’aurait pas eu à leur conférer, au paragraphe 63(4) de la Loi, les pouvoirs et immunités dont jouissent les juridictions supérieures. Les membres, s’ils agissaient comme juges, auraient possédé de facto ces pouvoirs et immunités (mémoire des faits et du droit du juge Girouard, au paragraphe 44). Plus encore, le fait que les membres du Conseil puissent nommer des remplaçants (paragraphe 59(4) de la Loi; Décision, au paragraphe 86), et que le ministre de la Justice puisse ordonner la levée du huis clos d’une enquête (paragraphe 63(6) de la Loi) sont antinomiques avec l’idée que ceux-ci agissent à titre de juge. Le simple fait pour l’appelant d’affirmer que la possibilité de nommer un membre suppléant n’est pas déterminante, sans préciser sa pensée (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 66) ne suffit pas pour établir que le juge a erré.

[56]      Sur la base de ce qui précède, les arguments mis de l’avant par l’appelant ne démontrent pas que le juge s’est mépris en concluant, comme il l’a fait, que le rôle accordé au Conseil par la Loi ne s’apparente pas au rôle que le juge peut jouer dans une cour de justice. Il s’ensuit que la thèse de l’appelant voulant que les pouvoirs de ses membres sont « de nature judiciaire » et qu’à ce titre, leur exercice ne serait pas assujetti au contrôle judiciaire doit être rejetée.

[57]      Il convient néanmoins, avant de clore cette discussion, de s’attarder brièvement aux arguments de l’appelant fondés sur les arrêts Therrien, Valente et Ranville de la Cour suprême.

(iv)       Enquête judiciaire

[58]      L’appelant appuie aussi sa thèse, voulant que ses membres exercent une fonction « judiciaire », sur le passage suivant de l’arrêt Therrien de la Cour suprême [au paragraphe 39] :

… la procédure de destitution d’un juge mise en place par la Loi sur les tribunaux judiciaires s’inscrit dans le contexte plus général du respect des exigences constitutionnelles en matière d’indépendance de la magistrature. En effet, le caractère décisionnel et judiciaire du rapport de la Cour d’appel est une des conditions qui assurent la constitutionnalité de la procédure de destitution des juges prévue par la L.T.J. […] Pour satisfaire à [la] garantie [de l’inamovibilité de fonction] en matière de révocation des juges des cours provinciales, il faut répondre aux deux critères suivants : (1) la révocation doit être faite pour un motif déterminé lié à la capacité du juge d’exercer ses fonctions judiciaires; et (2) une enquête judiciaire doit être prévue pour établir que ce motif existe dans le cadre de laquelle le juge visé doit avoir l’occasion de s’y faire entendre […] La Cour d’appel constitue, pour la province de Québec, ce forum judiciaire.[Soulignement dans l’original; références omises.]

[59]      S’appuyant sur la décision de la Cour du Banc de la Reine d’Alberta dans R. v. Campbell (1994), 160 A.R. 81, [1995] 2 W.W.R. 469 (Campbell), l’appelant soumet que l’emploi des termes « enquête judiciaire » par la Cour dans les arrêts Therrien et Valente visait à indiquer la nécessité, pour assurer l’idée d’indépendance judiciaire consacrée à l’alinéa 11d) de la Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], qu’une enquête menant à la révocation d’un juge soit conduite par des juges. Il en résulterait, selon l’appelant, que les pouvoirs exercés par ces magistrats sont nécessairement « de nature judiciaire ». Cet argument n’est pas convaincant.

[60]      D’emblée, il convient de noter que la décision Campbell, citée par l’appelant au soutien de sa thèse voulant que les termes « enquête judiciaire » visent nécessairement une procédure conduite par des juges, a été infirmée par la Cour suprême dans le cadre du Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard; Renvoi relatif à l’indépendance et à l’impartialité des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (Renvoi). En effet, la Cour suprême avait conclu que, dans la mesure où le juge n’était même pas saisi de la question traitée dans les passages cités par l’appelant, soit la constitutionnalité des dispositions encadrant la révocation des juges, il ne pouvait en aucun cas décider, « de sa propre initiative, d’examiner la constitutionnalité de ces dispositions, encore moins [de] les déclare[r] inopérantes » (aux paragraphes 263-264). Cette observation mine non seulement l’autorité de la décision Campbell mais aussi celle de la décision de la Cour d’appel du Québec dans Québec (Conseil de la magistrature) c. Québec (Commission d’accès à l’information), [2000] R.J.Q. 638 (C.A.) dans la mesure où celle-ci se fonde, aux paragraphes 96 et 97 de ses motifs, sur Campbell.

[61]      Cela étant dit, même en admettant que le juge dans la décision Campbell ait eu raison de conclure que par « enquête judiciaire » la Cour suprême entendait une procédure conduite par des juges, cela n’a aucune incidence en l’espèce. Deux raisons mènent à ce constat.

[62]      D’une part, il convient de noter que les commentaires formulés par le juge Le Dain sur la nécessité d’une « enquête judiciaire » l’étaient dans le cadre d’une discussion sur le processus de révocation des juges de cours provinciales, et non des juges de cours supérieures. Cela a une grande importance dans la mesure où le processus relatif aux juges de cours supérieures est seul soumis à l’exigence, posée par l’article 99 de la L.C. 1867, que la révocation soit faite par le gouverneur général sur adresse du Sénat et de la Chambre des communes. Cette condition assure aux juges des cours supérieures, écrivait le juge Le Dain dans l’arrêt Valente, « ce qui est généralement considéré comme le plus haut degré d’inamovibilité » possible (à la page 695). Or, c’est précisément l’absence de cette protection dans le processus de révocation provincial qui, de l’avis du juge dans la décision Campbell, justifiait que l’on recourt à une « enquête judiciaire ». Selon lui [au paragraphe 167] :

[traduction] Les remarques du juge Le Dain dans ces passages mettent en évidence l’enquête judiciaire comme importante protection de l’inamovibilité dans les situations où est conféré à l’exécutif le pouvoir de destitution. L’enquête y est présentée comme un substitut à la protection garantie aux juges de cours supérieures par l’article 99 de la Loi constitutionnelle de 1867, aux termes duquel un tel juge ne peut être révoqué que sur une adresse du Sénat et de la Chambre des communes. […] Si cette question n’est pas examinée dans le cadre d’une procédure empreinte « de la solennité, de la lourdeur et de la visibilité » des débats à l’Assemblée législative et que la décision finale incombe plutôt à un organe non judiciaire […], il n’est pas surprenant que l’enquête conçue par le juge Le Dain comme substitut à la restriction de ce pouvoir soit une « enquête judiciaire ». Par ces termes, il devait entendre une enquête menée par des personnes qui jouissent elles-mêmes de l’inamovibilité à titre de juges […] [Soulignement ajouté.]

[63]      Si l’on accepte ce raisonnement, l’exigence d’une « enquête judiciaire » ne s’appliquerait tout simplement pas au présent litige, portant sur le processus de révocation des juges des cours supérieures et soumis à l’article 99 de la L.C. 1867. Cette disposition ne fait aucune mention d’une « enquête judiciaire », et il ne convient pas d’y ajouter ces termes. Il est d’ailleurs intéressant de noter que, s’il en était autrement, la présence de non-juges sur les comités d’enquête du Conseil pourrait se révéler problématique.

[64]      D’autre part, même en admettant que le processus menant à la révocation d’un juge d’une cour supérieure se doit également d’être conduit par des magistrats, cela ne signifierait pas nécessairement que ceux-ci agissent en leur qualité de juge lorsqu’ils siègent au Conseil. Il n’y a en effet rien d’incongru à ce qu’un organisme formé en tout ou en partie de magistrats puisse être assujetti au pouvoir de contrôle judiciaire. Comme le note l’intervenant Smith, c’est le cas notamment du Tribunal des revendications particulières (Loi sur le Tribunal des revendications particulières, L.C. 2008, ch. 22, paragraphe 6(2)) et du Tribunal de la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles (Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, L.C. 2005, ch. 46, paragraphe 20.7(1)).

[65]      Qui plus est, on peut s’interroger à savoir si l’interprétation par le juge dans la décision Campbell des termes « enquête judiciaire » est la bonne. On pourrait en effet penser, au regard des arrêts cités par la Cour dans l’arrêt Therrien, que celle-ci entendait simplement référer par ces termes aux exigences d’ordre procédural devant être respectées dans le processus menant à la révocation d’un juge. Cela ressort notamment de l’extrait de l’arrêt Valente auquel réfère le paragraphe cité plus haut :

[Dans le cadre du processus de révocation de la Loi, l]e juge doit avoir la possibilité de se faire entendre, personnellement ou par avocat, et de contre-interroger des témoins et de produire une preuve. […] [Quant aux dispositions encadrant l’inamovibilité des juges provinciaux, celles-ci] prévoient qu’un juge de cour provinciale ne peut être révoqué avant l’âge de la retraite que pour un motif déterminé. Une enquête judiciaire est aussi prévue pour établir si ce motif existe, le juge visé devant avoir pleinement l’occasion de s’y faire entendre […]­

En somme, […] [la disposition fait] ressortir ce qu’on peut raisonnablement percevoir comme les conditions essentielles de l’inamovibilité […] : que le juge ne puisse être révoqué que pour un motif déterminé, et que ce motif fasse l’objet d’un examen indépendant et d’une décision selon une procédure qui offre au juge visé toute possibilité de se faire entendre. L’essence de l’inamovibilité […] est que la charge soit à l’abri de toute intervention discrétionnaire ou arbitraire de la part de l’exécutif ou de l’autorité responsable des nominations.

(Valente, aux pages 695, 696 et 698; soulignements ajoutés.)

[66]      Un constat similaire s’impose à la lecture du paragraphe 115            du Renvoi, lequel est aussi mentionné dans le passage précité de l’arrêt Therrien. Y est réitérée l’exigence, énoncée dans l’arrêt Valente, d’ « une enquête judiciaire [...] [où] le juge visé a pleinement l’occasion de se faire entendre ».

[67]      Or, il va sans dire que le simple fait que des garanties procédurales soient exigées dans le cadre d’un processus particulier ne signifie aucunement que ce processus résulte nécessairement de l’exercice par le décideur d’un pouvoir judiciaire à l’abri d’un contrôle sous l’article 18.1 de la LCF. Bien au contraire, il s’avère que l’ensemble des offices fédéraux visés par l’article 2 de la LCF sont tenus, dans leur prise de décision, de tenir compte de l’équité procédurale, quoiqu’à des degrés variables en fonction de chaque cas (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817).

[68]      En somme, la référence par la Cour dans l’arrêt Therrien à la notion d’ « enquête judiciaire » ne mène pas à la conclusion que les membres du Conseil exercent des fonctions « judiciaires ».

(v)        L’affaire Ranville

[69]      L’appelant fonde également sa thèse voulant que les membres du Conseil exercent une fonction « de nature judiciaire » sur le passage suivant de l’arrêt Ranville (à la page 527) :

[…] chaque fois qu’une loi confère un pouvoir à un juge ou à un fonctionnaire d’une cour visés à l’art. 96 [de la L.C. 1867], il doit être considéré comme un pouvoir qui peut être exercé par ce juge ou ce fonctionnaire en sa qualité officielle de représentant de la cour, à moins d’une disposition expresse en sens contraire.

[70]      Le juge a eu raison de distinguer l’arrêt Ranville de l’espèce au motif que les pouvoirs accordés au juge dans cette affaire lui étaient personnellement dévolus, alors que ceux conférés au Conseil le sont à titre institutionnel. En effet, la disposition habilitante dans l’arrêt Ranville, soit le paragraphe 9(4) de l’ancienne Loi sur les Indiens, S.R.C. 1970, ch. I-6, disposait que :

9. […]

Enquête et décision

(4) Le juge de la Cour suprême, de la Cour supérieure, de la cour de comté ou de district, selon le cas, doit enquêter sur la justesse de la décision du registraire, et, à ces fins, peut exercer tous les pouvoirs d’un commissaire en vertu de la Partie I de la Loi sur les enquêtes. Le juge doit décider si la personne qui a fait l’objet de la protestation a ou n’a pas droit, selon le cas, d’après la présente loi, à l’inscription de son nom au registre des Indiens, et la décision du juge est définitive et péremptoire. [Soulignements ajoutés.]        

[71]      Les pouvoirs accordés par l’article 63 de la Loi le sont, à l’inverse, au comité et au Conseil :

Enquêtes obligatoires

63 (1) Le Conseil mène les enquêtes que lui confie le ministre ou le procureur général d’une province sur les cas de révocation au sein d’une juridiction supérieure pour tout motif énoncé aux alinéas 65(2)a) à d). 

 

Enquêtes facultatives

(2) Le Conseil peut en outre enquêter sur toute plainte ou accusation relative à un juge d’une juridiction supérieure.

 

Constitution d’un comité d’enquête    

(3) Le Conseil peut constituer un comité d’enquête […]  

 

Pouvoirs d’enquête

(4) Le Conseil ou le comité […] a le pouvoir de 

a) citer devant lui des témoins, les obliger à déposer […] et à produire les documents et éléments de preuve qu’il estime nécessaires à une enquête approfondie;           

b) contraindre les témoins à comparaître et à déposer, […]

    

Protection des renseignements

(5) S’il estime qu’elle ne sert pas l’intérêt public, le Conseil peut interdire la publication de tous renseignements ou documents produits devant lui au cours de l’enquête ou découlant de celle-ci.     [Soulignements ajoutés.]         

[72]      De même, c’est au Conseil que l’article 65 de la Loi confère le pouvoir de recommandation :

Rapport du Conseil

65 (1) À l’issue de l’enquête, le Conseil présente au ministre un rapport sur ses conclusions et lui communique le dossier.

Recommandation au ministre                              

(2) Le Conseil peut, dans son rapport, recommander la révocation s’il est d’avis que le juge en cause est inapte à remplir utilement ses fonctions […]         [Soulignements ajoutés.]         

[73]      Le juge a donc eu raison de retenir que « le pouvoir d’enquête et […] de rendre un rapport appartient au [Conseil] et non aux juges en chef individuellement », et que cela distingue la présente affaire de la décision Ranville (Décision, au paragraphe 89; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l’enquête sur l’approvisionnement en sang), [1997] 2 C.F. 36 (C.A.), aux pages 51 et 52). Nous avons affaire, pour reprendre les termes du juge, « à des membres solidaires d’une collectivité qui, à titre d’organisme, rendent un rapport et une conclusion. Au sein du [Conseil], les juges et autres membres se confondent à cette identité collective en entreprenant une enquête. Le [Conseil] a [donc] une identité séparée de ses parties composantes » (Décision, au paragraphe 88; Douglas c. Canada (Procureur général), 2014 CF 299, [2015] 2 R.C.F. 911 (Douglas), au paragraphe 84).

[74]      Il est aussi intéressant de noter, comme le fait d’ailleurs le juge au paragraphe 81 de ses motifs, que cette interprétation est conforme au rapport du Conseil daté de mars 2014 ) [Rapport du CCM, précité], lequel souligne le fait que la Loi confère les pouvoirs d’enquête « à l’ensemble du [Conseil] lui-même » et, plus en amont, que « l’ensemble du [Conseil] présente au ministre de la Justice un rapport sur ses conclusions et peut recommander la révocation du juge » (soulignements du juge (à la page 51).

b)         L’exception relative à l’article 96 de la L.C. 1867

(i)         La composition du Conseil

[75]      L’appelant soumet, subsidiairement, que le juge aurait erré en s’abstenant de prendre en compte l’exclusion de la définition d’office fédéral à l’article 2 de la LCF « d’une personne ou d’un groupe de personnes nommées aux termes […] de l’article 96 de la [L.C. 1867] ». Selon l’appelant, le fait que la majorité de ses membres représentent des cours supérieures provinciales ferait de lui un « groupe » visé par cette exception. Rien ne laisse croire, dit l’appelant, qu’un tel groupe doit uniquement être composé de personnes nommées sous l’article 96 pour être couvert.

[76]      Ces prétentions se doivent d’être rejetées.

[77]      C’est à bon droit que le juge a conclu, au paragraphe 84 de ses motifs, que c’est en leur qualité de juge en chef, un rôle « de nature administrative », que les juges siègent au Conseil, et non pas en tant que juges tirant leurs pouvoirs de l’article 96 de la L.C. 1867. Tel que discuté précédemment, les compétences et pouvoirs du Conseil en matière de déontologie judiciaire lui sont conférés par la Loi. Ceux-ci ne découlent pas du statut de juge de ses membres, tant lorsqu’ils siègent sur un comité d’enquête que lorsqu’ils se prononcent sur le rapport d’un tel comité d’enquête.

[78]      Le Conseil n’est, par ailleurs, pas composé exclusivement de juges de cours supérieures aux termes de l’article 96 de la L.C. 1867. Certains de ses membres, notamment les juges en chef de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale et de la Cour canadienne de l’impôt (alinéa 59(1)b) de la Loi), de même que le juge en chef de la Cour d’appel de la Cour martiale du Canada (alinéa 59(1)d) de la Loi), ont plutôt été nommés à des cours créées aux termes de l’article 101 de la L.C. 1867. Qui plus est, le juge en chef du Canada, lequel est également nommé en vertu de l’article 101 de la L.C. 1867, peut choisir d’être remplacé au Conseil par un membre suppléant nommé à partir des juges actuels ou anciens de la Cour suprême du Canada (paragraphe 59(4) de la Loi); il en résulte qu’une personne ayant par le passé siégé à une cour créée aux termes de l’article 101 de la L.C. 1867, et n’ayant jamais été nommée sous l’article 96 la L.C. 1867, peut agir comme membre du Conseil. Sans compter qu’en vertu du paragraphe 63(3) de la Loi, les comités d’enquête du Conseil peuvent être composés en partie d’avocats membres du Barreau (Douglas, au paragraphe 110).

[79]      La prétention de l’appelant voulant que les mots « un groupe de personnes nommées aux termes […] de l’article 96 de la [L.C. 1867] » à la version française de l’article 2 de la LCF puissent désigner un groupe majoritairement composé de juges ainsi nommés ne peut être retenue. Accepter cette thèse reviendrait à ajouter le qualificatif « majoritairement » aux termes de l’exception en litige, ce qui serait contraire aux règles d’interprétation des lois (Murphy c. Welsh; Stoddard c. Watson, [1993] 2 R.C.S. 1069, à la page 1078; Pierre-André Côté, Interprétation des lois, 4e éd., Cowansville (Qc) : Éditions Yvon Blais, 2009, au paragraphe 1043). Le texte de cette disposition est clair. Il n’en ressort aucune intention implicite du législateur justifiant l’ajout d’une telle qualification. Le juge a donc eu raison de conclure que le mot « groupe » implique une notion d’exclusivité.

[80]      Il est par ailleurs exact d’affirmer, comme le fait le juge Girouard (mémoire des faits et du droit du juge Girouard, au paragraphe 84), que le législateur avait tout le loisir d’ajouter le Conseil à la liste des organismes et institutions exclus de la définition d’ « office fédéral » au paragraphe 2(2) de la LCF, tel la Chambre des communes, le Sénat, le conseiller sénatorial en éthique et, dans certains cas, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique. Or, il ne l’a pas fait.

(ii)        La disposition déterminative

[81]      L’appelant appuie aussi sa thèse sur le paragraphe 63(4) de la Loi, lequel dispose que :

63 […]

Pouvoirs d’enquête

(4) Le Conseil ou le comité formé pour l’enquête est réputé constituer une juridiction supérieure; il a le pouvoir de :

a) citer devant lui des témoins, les obliger à déposer verbalement ou par écrit sous la foi du serment — ou de l’affirmation solennelle dans les cas où elle est autorisée en matière civile — et à produire les documents et éléments de preuve qu’il estime nécessaires à une enquête approfondie;

b) contraindre les témoins à comparaître et à déposer, étant investi à cet égard des pouvoirs d’une juridiction supérieure de la province où l’enquête se déroule. [Soulignements ajoutés.]

[82]      Selon l’appelant, ni la version française ni la version anglaise de cet article « n’écartent la possibilité » que le Conseil et ses comités d’enquête soient exclus de la définition d’ « office fédéral » (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 113). Si le Conseil et ses comités sont réputés constituer des juridictions supérieures, de dire l’appelant, ils sont nécessairement réputés avoir « tous les attributs » d’une telle juridiction (au paragraphe 116). De plus, le fait que le Conseil ne figure pas au paragraphe 35(1) de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I-21 serait sans importance.

[83]      Selon l’avis de cette Cour, le juge de la Cour fédérale en est venu à la conclusion bien fondée que l’interprétation que fait l’appelant de cette disposition ne pouvait être retenue.

[84]      Comme le souligne avec raison l’intimé PGC, il ne suffit pas, lorsque l’on s’appuie sur un argument de texte, d’affirmer qu’une interprétation particulière est « possible ». Il faut plutôt démontrer que cette interprétation se dégage des termes de la loi, et que celle-ci est conforme au contexte et à l’objet de la loi (mémoire des faits et du droit du PGC, au paragraphe 52). L’appelant n’a pas fait une telle démonstration en l’espèce. En fait, comme l’indique l’intimé PGC, une telle analyse semble plutôt pointer dans la direction inverse.

[85]      Texte. Le texte du paragraphe 63(4) de la Loi a, de tout temps, limité l’utilisation des termes « juridiction supérieure » et « cour supérieure » aux dispositions concernant le pouvoir d’enquête du Conseil (voir aussi, à ce sujet, le paragraphe 32(4) de la Loi sur les juges, S.R.C. 1970, ch. J-1 (édicté par S.C. 1970-71-72, ch. 55, art. 11)). Il n’est pas anodin, au surplus, que le législateur ait employé à cet article les termes « est réputé », plutôt que les verbes « avoir » ou « être ». Ces indices textuels ont d’ailleurs mené deux comités d’enquête du Conseil à rejeter l’idée voulant qu’ils constituent des juridictions supérieures (Douglas, au paragraphe 116). Cela milite en faveur de la thèse retenue par le juge, voulant que cette disposition n’ait qu’une portée limitée, soit celle d’énumérer les pouvoirs et fonctions du Conseil et du comité d’enquête (Décision, au paragraphe 147).

[86]      C’est d’ailleurs une interprétation similaire qui a été adoptée par la Cour d’appel du Québec du paragraphe 8(2) de la Loi sur le tribunal de la concurrence, L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 19, lequel dispose que le Tribunal de la concurrence a, à divers égards, « les attributions d’une cour supérieure d’archives » (Alex Couture Inc. c. Canada (Procureur général), [1991] R.J.Q. 2534 (C.A.)). Selon la juge Rousseau-Houle, écrivant pour une cour unanime, le seul fait que le Tribunal soit investi de pouvoirs d’une cour supérieure n’avait « pas pour effet de modifier [son] statut […] en lui donnant tous les pouvoirs d’une cour supérieure » (à la page 62).

[87]      Si l’intention du législateur était d’attribuer au Conseil tous les attributs d’une cour supérieure, sans exception, il aurait pu le faire de manière plus explicite. D’une part, il lui aurait été possible de faire du Conseil une cour supérieure au sens de l’article 101 de la L.C. 1867. C’est cette approche qui a été préconisée pour la Cour d’appel de la cour martiale (Loi sur la défense nationale, L.R.C. (1985), ch. N-5, paragraphe 236(1)) et les cours fédérales (LCF, aux articles 3 et 4). D’autre part, le législateur aurait pu adopter une disposition d’exclusion spécifique. Un bon exemple d’une telle disposition se retrouve au paragraphe 58(3) du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, lequel dispose en termes on ne peut plus clairs qu’un arbitre nommé en application d’une convention collective et un conseil d’arbitrage « ne constituent pas un office fédéral au sens de [la LCF] ».

[88]      Contexte. Dans l’optique de déterminer l’intention du législateur, il convient également d’examiner le libellé de la disposition dans son contexte législatif particulier. Cet exercice supporte davantage l’interprétation retenue par le juge plutôt que celle proposée par l’appelant.

[89]      Le paragraphe 63(4) se retrouve à la partie II de la Loi, à la section intitulée « Enquêtes sur les juges ». Il suit les dispositions traitant des enquêtes obligatoires, des enquêtes facultatives, ainsi que de la constitution d’un comité d’enquête, et est accompagné en note marginale de la mention « Pouvoirs d’enquête ». Comme le notait à cet égard le juge Mosley dans la décision Douglas [au paragraphe 107] :

      L’emplacement de la disposition déterminative vient aussi appuyer la position selon laquelle la disposition était censée avoir une portée limitée. La disposition ne semble pas être une déclaration indépendante générale concernant le Conseil ou ses comités, mais elle figure au paragraphe quatre de l’article qui traite expressément des enquêtes sur la conduite des juges. Elle constitue le « chapeau » d’un article qui énumère les pouvoirs et les fonctions précis qui ont été conférés au Conseil et aux comités pour faciliter les enquêtes qu’ils mènent.

[90]      Le contexte de la Loi milite donc à l’encontre de la thèse soutenue par l’appelant ici.

[91]      Objet. Il est acquis au débat que le paragraphe 63(4) de la Loi est une disposition déterminative. Selon la Cour suprême dans l’arrêt R. c. Verrette, [1978] 2 R.C.S. 838, une disposition déterminative crée « une fiction légale; elle reconnaît implicitement qu’une chose n’est pas ce qu’elle est censée être, mais décrète qu’à des fins particulières, elle sera considérée comme étant ce qu’elle n’est pas ou ne semble pas être » (à la page 845; soulignements ajoutés).

[92]      L’appelant soutient qu’une fiction légale établie par une disposition déterminative ne peut être réfutée. Il n’a pas tort. Or, là n’est pas la question. Comme le souligne l’auteure Sullivan, [traduction] « la difficulté qui se pose lorsqu’on interprète des fictions juridiques n’est pas de déterminer la force de la fiction, mais bien son étendue ». Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6e éd., (Markham, Ontario : LexisNexis, 2014), au paragraphe 4.108).

 

[93]      C’est en fonction de l’objectif poursuivi par le législateur de par l’adoption de cette disposition que l’étendue de la fiction légale se doit d’être appréciée. En effet, comme le notait cette Cour dans l’arrêt Sero c. Canada, 2004 CAF 6, [2004] 2 R.C.F. 613, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 8 juillet 2004 (30206) [[2004] 2 R.C.S. vii], « la fiction légale découlant d’une règle déterminative ne s’applique généralement qu’aux fins de la loi qui la crée » (au paragraphe 41; voir, au même effet, Re Diamond and Ontario Municipal Board, [1962] O.R. 328, [1962] O.J. no 554 (QL) (C.A.), au paragraphe 10; Douglas, au paragraphe 113). En l’espèce, tout porte à croire que c’est strictement aux fins de l’enquête que la Loi dispose que le Conseil et ses comités sont « réputés » constituer une juridiction supérieure. Cet article ne doit pas être interprété de manière à transformer le Conseil en cour supérieure ou à lui en accorder tous les attributs.

(iii)       Indices extrinsèques

[94]      Tel que mentionné plus tôt, et tel que l’indique le juge aux paragraphes 138         et 140 de ses motifs, il ressort des débats parlementaires entourant l’adoption de cette disposition que celle-ci avait pour but « [d]’accorder aux juges lors d’une audience concernant une enquête ou effectuant une investigation, la protection judiciaire normale dont ils auraient besoin » (Comité permanent de la Justice et questions juridiques, Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages, 28e lég., 3 e sess. (16 juin 1971), à la page 27 :27). Outre la preuve nouvelle, laquelle n’a pas été acceptée, l’appelant n’a déposé devant la Cour aucun extrait suggérant que l’intention du Parlement était plutôt d’accorder au Conseil tous les attributs d’une cour supérieure.

[95]      Sinon, l’appelant met une certaine emphase sur la nécessité pour les membres siégeant au Conseil et sur les comités d’enquête d’être « à l’abri de poursuites ». Or, il n’est aucunement contesté qu’ils bénéficient de cette protection. Il existe toutefois une grande distinction entre la protection contre les poursuites, pour les membres à titre personnel, et la protection contre le contrôle judiciaire de décisions rendues dans l’exercice d’un pouvoir d’origine statutaire. L’appelant a tort de confondre ces deux notions dans son argumentaire (mémoire des faits et du droit de l’appelant, aux paragraphes 118–120).

[96]      Conclusion. En somme, le paragraphe 63(4) de la Loi n’a qu’une portée limitée, soit d’établir les pouvoirs du Conseil et d’accorder aux juges la protection normale dont ils ont besoin lors d’une enquête. Il n’a pas pour effet de lui accorder tous les attributs d’une cour supérieure.

c)         Indépendance, efficacité et primauté du droit

[97]      Ultimement, l’appelant soutient que l’assujettissement de ses décisions au contrôle judiciaire de la Cour fédérale risque de miner l’indépendance de ses membres et que cela soulève la possibilité que le Conseil ne soit plus le seul organe pouvant se prononcer sur la révocation d’un juge. L’appelant conteste aussi le constat du juge voulant que cet assujettissement serve la primauté du droit, et argue que l’efficacité du processus risque d’en être négativement affectée.

[98]      Ces arguments sont loin d’être convaincants.

[99]      D’abord, l’appelant a tort d’affirmer que l’assujettissement de ses décisions au contrôle judiciaire mine l’indépendance judiciaire. Les prétentions de l’appelant à cet égard sont fondées sur le postulat, écarté ci-dessus, que les membres du Conseil agissent à titre de juges lorsqu’ils siègent au Conseil, et qu’ils exercent alors une fonction judiciaire. Si l’on met de côté cette prémisse erronée, et que l’on voit le Conseil pour ce qu’il est, c’est-à-dire un décideur administratif exerçant des pouvoirs conférés par une loi ordinaire, il n’y a rien de surprenant à ce que la légalité de ses décisions puisse être révisée par la Cour fédérale siégeant en contrôle judiciaire.

[100]   L’appelant a donc tort de fonder sa thèse sur la citation de l’arrêt MacKeigan c. Hickman, [1989] 2 R.C.S. 796 voulant qu’exiger d’un juge qu’il explique devant un organisme civil « comment et pourquoi il est arrivé à une conclusion judiciaire donnée » (à la page 830) irait à l’encontre de « l’élément le plus sacro-saint de l’indépendance judiciaire » (à la page 831). Bien que ce passage souligne l’importance de l’indépendance judiciaire, il n’appuie pas pour autant l’interprétation large que le Conseil lui donne. Cet arrêt établit seulement qu’il ne peut être exigé d’un juge qu’il rende des comptes devant un organe de l’État à l’égard d’un jugement. Comme le notait le juge Mosley dans l’arrêt Douglas, « il n’énonce pas que le contrôle judiciaire d’une enquête sur la conduite d’un juge d’une juridiction supérieure est incompatible avec l’indépendance judiciaire » (au paragraphe 97).

[101]   Qui plus est, loin de miner l’indépendance judiciaire, l’assujettissement du Conseil au contrôle judiciaire ne peut qu’accroître celle-ci. À cet égard, le raisonnement énoncé par le juge au paragraphe 162 de la décision révisée mérite d’être reproduit :

      Pour que la ministre et le cabinet puissent remplir leur rôle constitutionnel de décider s’il y a lieu de renvoyer la question de la révocation d’un juge au Parlement en vertu de l’article 99 de la L.C. 1867, ils doivent être capables de se fonder sur un processus conforme à la Constitution. Comme mentionné ci-haut, la justice naturelle et l’équité procédurale, des principes découlant de la primauté du droit, assurent le maintien de l’indépendance judiciaire lors d’une enquête. S’il y a un bris à l’équité procédurale, […] la ministre ne peut se fonder sur le rapport potentiellement entaché d’erreur sans risquer d’agir de façon inconstitutionnelle. Le contrôle judiciaire d’une recommandation du [Conseil] permet à la ministre, et ultimement aux deux chambres du Parlement, d’avoir l’assurance que le processus est conforme aux principes constitutionnels sous-jacents. Si le [Conseil] n’était pas assujetti au pouvoir de surveillance de la Cour, la ministre et le Parlement seraient forcés d’évaluer ces éléments de droit, chevauchant ainsi la sphère judiciaire et mettant en péril la séparation des pouvoirs. C’est précisément cette issue que le législateur souhaitait éviter en constituant le [Conseil] comme il l’a fait.

[102]   En d’autres termes, pour que la révocation d’un juge soit valide, celui-ci doit avoir eu le bénéfice d’une instance équitable. Cette instance équitable est « une composante de l’exigence constitutionnelle relative à l’inamovibilité des juges » (Douglas, au paragraphe 121). Dans ce contexte, le pouvoir de surveillance que la Cour fédérale exerce sur le Conseil et sur ses comités d’enquête « joue un rôle important dans l’intérêt du public, à savoir celui de voir à ce que la procédure relative à la conduite des juges soit équitable et conforme au droit » (Douglas, au paragraphe 121). Le rôle de la Cour est donc entièrement compatible avec le principe de l’indépendance judiciaire (Canada (Procureur général) c. Slansky, 2013 CAF 199, [2015] 1 R.C.F. 81 (Slansky), au paragraphe 143, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 13 février 2014 (35606) [[2014] 1 R.C.S. xii]).

[103]   De même, la possibilité de réviser la légalité des décisions du Conseil participe au maintien de la primauté du droit. Comme le notait le juge Stratas, dissident sur un autre point, dans l’arrêt Slansky, mettre le Conseil à l’abri de toute révision irait à l’encontre du principe voulant que « tous les titulaires de pouvoirs publics doivent rendre compte de la façon dont ils exercent ces pouvoirs » (au paragraphe 313). C’est en permettant « aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées » que le contrôle judiciaire assure le respect de la primauté du droit (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 28).

[104]   En ce qui a trait à la crainte exprimée par le Conseil qu’il ne soit plus, en raison de son assujettissement au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale, le seul organe chargé de se prononcer sur la révocation d’un juge, celle-ci n’est pas fondée. La question de savoir si un juge d’une cour supérieure devrait être révoqué est, et demeurera, de la compétence du Conseil et, ultimement, du Sénat et de la Chambre des communes. La Cour fédérale, siégeant en contrôle judiciaire, n’aura pour seule tâche que de vérifier la légalité des décisions prises par le Conseil, et le respect de l’équité procédurale. Ce faisant, elle aura à faire preuve à l’égard du Conseil de toute la déférence que son statut de décideur spécialisé commande (Décision, aux paragraphes 100 et 101, citant la décision Taylor c. Canada (Procureur général), 2001 CFPI 1247, [2002] 3 C.F. 91, au paragraphe 24, conf. par 2003 CAF 55, [2003] 3 C.F. 3 (Taylor CAF), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée le 25 septembre 2003 (29678) [[2003] 2 R.C.S. xi]).

[105]   Enfin, les arguments de l’appelant relativement à l’impact de l’assujettissement de ses décisions au contrôle judiciaire sur l’efficacité du processus disciplinaire se doivent aussi d’être rejetés. Le simple fait que des délais puissent résulter d’un contrôle judiciaire d’une décision ou recommandation du Conseil ne peut, en soi, constituer un motif suffisant pour mettre celles-ci à l’abri de la compétence de la Cour fédérale en cette matière. Comme le note l’intimé PGC à son mémoire (mémoire des faits et du droit du PGC, au paragraphe 41), si le contrôle judiciaire des décisions du Conseil pose des difficultés, la réponse à ces problèmes devra venir du Parlement, par voie de modifications législatives, et non des tribunaux. Que le souci d’efficacité du processus disciplinaire ne doive pas l’emporter sur la légalité et l’équité procédurale devrait aller de soi, plus particulièrement pour les juges en chef réunis au sein du Conseil. Cela est d’autant plus vrai dans le cadre d’un processus qui peut se traduire par la « peine capitale » pour le juge visé (Décision, au paragraphe 166). Soutenir le contraire irait à l’encontre des garanties auxquelles l’on est en droit de s’attendre lorsqu’un juge doit trancher un différend opposant un justiciable au pouvoir gouvernemental.

[106]   De plus, les extraits des débats parlementaires invoqués par l’appelant portant sur l’absence d’appel à l’égard des décisions du Conseil n’appuient pas l’inférence voulant que le législateur avait nécessairement l’intention de soustraire ces décisions au contrôle judiciaire. Comme le notait le juge Mosley dans la décision Douglas, il n’est nulle part mentionné que l’intention législative était d’écarter la compétence de la Cour fédérale nouvellement créée (au paragraphe 101).

d)         Conclusion

[107]   En plus de ce qui précède, il convient de souligner que le processus relatif à la conduite des juges administré par le Conseil conformément au pouvoir qui lui est conféré par la Loi a fait l’objet de plusieurs instances de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale; or, sauf dans l’affaire Douglas, le Conseil n’a jamais adopté la thèse selon laquelle ses décisions et celles de ses comités n’étaient pas révisables en vertu de l’article 18 de la LCF (voir, notamment, Gratton c. Conseil canadien de la magistrature, [1994] 2 C.F. 769 (1re inst.); Taylor CAF; Cosgrove c. Conseil canadien de la magistrature, 2007 CAF 103, [2007] 4 R.C.F. 714, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 29 novembre 2007 (32032) [[2007] 3 S.C.R. x]; Cosgrove c. Canada (Procureur général), 2008 CF 941; Akladyous c. Conseil canadien de la magistrature, 2008 CF 50; Slansky).

[108]   En somme, force est de constater que le Conseil et ses comités d’enquête sont inclus dans la définition d’ « office fédéral » à l’article 2 de la LCF. Ils sont la création d’une loi fédérale, soit la Loi, et ils ne font ni l’un ni l’autre partie des personnes ou organismes expressément exclus de la portée de la définition. Bien que certains des membres du Conseil soient des juges nommés en vertu de l’article 96 de la L.C. 1867, ceux-ci ne remplissent pas une fonction judiciaire quand ils siègent au Conseil; ils ne sont donc pas visés par l’exclusion expresse prévue à l’article 2 de la LCF. Les organismes du Conseil existent uniquement parce qu’ils ont été créés par la Loi, et non pas en raison de quelque compétence inhérente liée au statut judiciaire de certains de ses membres. Pour ces motifs, ce moyen d’appel doit être rejeté, et la décision contestée confirmée.

B.        Les rapports et recommandations du Conseil constituent-ils des décisions révisables?

[109]   L’appelant affirme, du bout des lèvres, que les recommandations du Conseil n’ont pas le même degré de finalité qu’une décision judiciaire, en ce qu’elles n’ont pas d’effet contraignant (mémoire des faits et du droit de l’appelant, au paragraphe 101). Dans la mesure où cette affirmation semble être une tentative de ressusciter la thèse soulevée devant le juge à l’effet que les recommandations du Conseil quant à la révocation ne sont pas des « décision[s] » ou des « ordonnance[s] » au sens de l’article 18.1 de la LCF, et qu’elles ne seraient donc pas sujettes au contrôle judiciaire, quelques commentaires s’imposent à ce sujet.

[110]   Cet argument subsidiaire met en jeu le principe général voulant qu’une demande de contrôle judiciaire ne peut être introduite lorsque le comportement reproché n’affecte pas des droits reconnus par la loi, ne crée pas d’obligations juridiques, ou encore ne provoque pas de conséquences préjudiciables (Démocratie en surveillance c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 194, aux paragraphes 28 à 29, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 2 mai 2019 (38455); Sganos c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 84, au paragraphe 6; Air Canada c. Administration portuaire de Toronto, 2011 CAF 347, [2013] 3 R.C.F. 605, au paragraphe 29).

[111]   Le juge a disposé de cet argument aux paragraphes 165 à 172 de ses motifs. Il a retenu, à la lumière notamment du rapport publié par le Conseil lui-même en mars 2014, qu’une détermination à l’effet « qu’un juge soit inapte à remplir utilement ses fonctions équivalait à une “peine capitale” pour sa carrière » (Décision, au paragraphe 166). Dans la mesure où le ministre de la Justice ne peut, selon la Loi, demander au Parlement de révoquer un juge sans l’enquête du Conseil et de son comité d’enquête, de noter le juge, « le rapport et ses conclusions ont un impact majeur sur les droits et les intérêts du juge » faisant l’objet d’une enquête (au paragraphe 168). Celui-ci a précisé, au surplus, que le simple fait que la décision prenne la forme d’une recommandation n’est pas déterminant (au paragraphe 169), surtout dans la mesure où la jurisprudence reconnait clairement qu’une matière autre qu’une décision ou une ordonnance peut être examinée sous l’article 18.1 de la LCF (au paragraphe 170).

[112]   Nous souscrivons entièrement aux déterminations du juge à ce sujet. L’appelant n’a aucunement démontré en quoi le juge aurait erré en concluant ainsi. Ce moyen d’appel doit donc être rejeté.

VIII.     CONCLUSION

[113]   Pour les motifs exposés ci-dessus, l’appel sera rejeté sans frais.

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