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IMM-5130-17

2019 CF 706

Hassan Nagi Mohamed Kallab, Roaa Ashraf Mohamed Kallab (demandeurs)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (défendeur)

Répertorié : Kallab c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour fédérale, juge Annis—Toronto, 22 octobre 2018; Ottawa, 4 octobre 2019.

Citoyenneté et Immigration — Contrôle judiciaire — Norme de contrôle — Contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission ou la SPR), qui a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, aux termes des art. 96 et 97(1)a) et b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les demandeurs sont des Palestiniens apatrides qui ont vécu et travaillé dans le Royaume d’Arabie saoudite (l’Arabie saoudite) — Ils sont partis de l’Arabie saoudite et sont par la suite venus au Canada, où ils ont déposé des demandes d’asile — La décision de la SPR portait presque entièrement sur les conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité du témoignage des demandeurs — Les conclusions formulées à cet égard étaient des inférences de fait de la SPR, qui réfutaient les prétentions des demandeurs sur lesquelles ces derniers appuyaient leurs allégations de risque — Les considérations examinées par la Cour suprême dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen (qui a établi que les tribunaux devraient adopter une approche consistant, avant tout, à ne pas intervenir pour ce qui est de réviser les faits et les inférences de fait) s’appliquaient dans la présente affaire au contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait du tribunal administratif en tant que juge des faits — Une deuxième question importante examinée en l’espèce était celle de savoir si la SPR ne devrait tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité que « dans les cas les plus évidents » — Il s’agissait de savoir quelle est la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux inférences de fait de la Commission, y compris les questions mixtes de fait et de droit; si la règle énoncée dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), selon laquelle la Commission ne peut rendre des conclusions défavorables quant à la crédibilité, sur la base d’invraisemblances, que dans les cas les plus évidents, fait autorité; si la SPR a commis une erreur, en l’espèce, en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la base d’invraisemblances — La norme de contrôle appliquée aux conclusions de fait dans l’arrêt Housen empêche toute analyse du caractère raisonnable de ces conclusions factuelles, menant ainsi à l’application d’une norme de contrôle qui n’est pas suffisamment stricte et qui requiert une nouvelle appréciation de la preuve — L’exclusion, dans l’arrêt Housen, de toute analyse du caractère raisonnable pour évaluer les erreurs alléguées dans les conclusions de fait s’applique également à l’évaluation par la Cour des conclusions de fait tirées par la Commission — Si la Cour fédérale applique le raisonnement suivi dans l’arrêt Housen dans le contexte d’un contrôle judiciaire, elle ne sera pas autorisée à effectuer une analyse du caractère raisonnable d’une inférence tirée par la SPR — Pour cette raison, la décision Valtchev était non fondée en droit — La Cour doit plutôt se contraindre à déterminer si la conclusion du tribunal quant au fait inféré est tout à fait évidente — La Commission n’a pas la capacité de tirer des conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité que dans les cas les plus évidents — Les demandeurs ont eu raison d’affirmer que l’arrêt Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration a influencé la décision dans la décision Valtchev — L’arrêt Maldonado ne s’applique pas pour présumer que les faits sont « dignes de foi »; il n’établit une présomption qu’à l’égard de la crédibilité des faits allégués dans les déclarations sous serment — L’application des principes exposés dans l’arrêt Housen en ce qui a trait à la norme de contrôle des conclusions de fait, le rejet de la règle énoncée dans la décision Valtchev concernant les conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité et la limitation de l’arrêt Maldonado à une présomption s’appliquant à la crédibilité des déclarations faites sous serment entraîneront, dans de nombreux cas, des résultats différents lors de l’examen des conclusions de fait — La présente affaire était l’un de ces cas — La décision Valtchev conduirait, à tort, la Cour à effectuer une analyse du caractère raisonnable des conclusions de fait et établirait, en outre, une norme trop élevée quant à la valeur probante requise pour tirer la conclusion d’invraisemblance contestée — La demande a été rejetée, car l’erreur alléguée n’était pas évidente; la conclusion de la SPR à cet égard était étayée par des éléments de preuve — Des questions ont été certifiées — Demande rejetée.

Citoyenneté et Immigration — Pratique en matière d’immigration — Contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission ou la SPR), qui a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, aux termes des art. 96 et 97(1)a) et b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés — Les demandeurs sont des Palestiniens apatrides qui ont vécu et travaillé dans le Royaume d’Arabie saoudite (l’Arabie saoudite) avant de venir au Canada, où ils ont déposé des demandes d’asile — Il s’agissait de savoir si, en l’espèce, la SPR a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans le cadre de la procédure de recherche des faits, en ignorant des éléments de preuve essentiels et en se fondant sur des preuves négligeables; si, en l’espèce, la SPR a violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale, en leur refusant la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant leurs documents de résidence — Les questions portant sur ce que la demanderesse savait au sujet des demandes d’asile des membres de sa famille étaient a priori admissibles — Aucune erreur de procédure n’a été commise, puisque les questions relatives aux demandes d’asile des membres de la famille et au père de la demanderesse étaient importantes — De plus, la SPR n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents quant à la discrimination générale que subissent les femmes en Arabie saoudite — En ce qui concerne la question d’injustice, bien que la SPR ait conclu que les demandeurs ont été « sélectifs » en omettant de présenter leurs cartes de résidence émises par l’Arabie saoudite, elle a fait cette déclaration dans le contexte de sa conclusion générale selon laquelle les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve concernant leur résidence en Arabie saoudite pour étayer leur allégation voulant qu’ils ne puissent pas retourner dans ce pays — L’on s’attend à ce que les demandeurs d’asile fournissent de tels documents — Étant donné que les demandeurs n’ont pas produit ces documents et qu’ils n’ont pas fourni d’explication, la SPR a eu raison de faire valoir ce point.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission ou la SPR), qui a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, aux termes de l’article 96 et des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (Loi). Les demandeurs sont des Palestiniens apatrides, qui détiennent des titres de voyage égyptiens. Le demandeur principal a fondé sa demande d’asile sur son appartenance à un groupe social, à savoir les Palestiniens apatrides qui ont été forcés à devenir des informateurs pour le gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite (l’Arabie saoudite). La demanderesse a fondé sa demande d’asile sur celle du demandeur principal et sur son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes victimes des attouchements non désirés d’un employeur de sexe masculin. Les demandeurs sont partis de l’Arabie saoudite et sont par la suite venus au Canada, où ils ont déposé une demande d’asile.

La décision de la SPR de rejeter les demandes d’asile portait presque entièrement sur les conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité du témoignage des demandeurs. Pour la plupart, les conclusions formulées à cet égard étaient des inférences de fait de la SPR, qui réfutaient les prétentions des demandeurs sur lesquelles ces derniers appuyaient leurs allégations de risque. Dans l’arrêt Jean Pierre c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), la Cour d’appel fédérale a conclu que les mêmes considérations s’appliquent au contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait du tribunal administratif en tant que juge des faits que celles examinées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, où la Cour suprême a établi que les tribunaux devraient adopter une approche consistant, avant tout, à ne pas intervenir pour ce qui est de réviser les faits et les inférences de fait. Une deuxième question très importante examinée en l’espèce était celle de savoir si la SPR ne devrait tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité que « dans les cas les plus évidents », un principe qui a été énoncé pour la première fois dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration).

Il s’agissait principalement de savoir quelle est la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux inférences de fait de la Commission, y compris les questions mixtes de fait et de droit, à la lumière de l’orientation donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jean Pierre, selon laquelle les considérations examinées dans l’arrêt Housen s’appliquent dans le contexte du droit administratif; si la règle énoncée dans la décision Valtchev, selon laquelle la Commission ne peut rendre des conclusions défavorables quant à la crédibilité, sur la base d’invraisemblances, que dans les cas les plus évidents, fait autorité; si la SPR a commis une erreur, en l’espèce, en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la base d’invraisemblances; si, en l’espèce, la SPR a commis des erreurs susceptibles de contrôle dans le cadre de la procédure de recherche des faits, en ignorant des éléments de preuve essentiels et en se fondant sur des preuves négligeables; si, en l’espèce, la SPR a violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale, en leur refusant la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant leurs documents de résidence.

Jugement : la demande doit être rejetée.

Les considérations exposées dans l’arrêt Housen ont été appliquées dans la présente affaire aux conclusions de fait de la SPR, en sa qualité de tribunal quasi judiciaire chargé de rechercher la vérité, conformément aux principes liés à la norme de contrôle énoncés dans l’arrêt Housen. Les erreurs d’appréciation ont été examinées et différenciées des erreurs de procédure dans la recherche des faits. La norme de contrôle appliquée aux conclusions de fait dans l’arrêt Housen empêche toute analyse du caractère raisonnable de ces conclusions factuelles, menant ainsi à l’application d’une norme de contrôle qui n’est pas suffisamment stricte et qui requiert une nouvelle appréciation de la preuve. L’exclusion, dans l’arrêt Housen, de toute analyse du caractère raisonnable pour évaluer les erreurs alléguées dans les conclusions de fait s’applique également à l’évaluation par la Cour des conclusions de fait tirées par la Commission. Cela allait à l’encontre de la norme de contrôle des faits adoptée par la Cour dans l’ensemble de sa jurisprudence, qui repose sur une analyse du caractère raisonnable, comme l’a prescrit la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick. Il n’appartient pas à la cour de révision de vérifier si une inférence peut raisonnablement être étayée par les conclusions de fait auxquelles en est venu le juge de première instance. Si la Cour fédérale applique le raisonnement suivi dans l’arrêt Housen dans le contexte d’un contrôle judiciaire, elle ne sera pas autorisée à effectuer une analyse du caractère raisonnable d’une inférence tirée par la SPR ou tout autre tribunal administratif quasi judiciaire semblable. Pour ce seul motif, la décision Valtchev et toute la jurisprudence subséquente s’y rattachant, que les demandeurs ont invoquée en ce qui concerne les conclusions tirées concernant la crédibilité sur la base d’invraisemblances, étaient non fondées en droit. La Cour doit plutôt se contraindre à déterminer si l’erreur alléguée, c’est-à-dire la conclusion du tribunal quant au fait inféré, est tout à fait évidente. Le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire consiste « à vérifier si le tribunal a rendu une décision qui, compte tenu des motifs qu’il a donnés et des éléments de preuve au dossier qui étayent ses conclusions, est conforme au droit applicable ». Bien que la Commission soit censée tirer uniquement des inférences raisonnables, la norme de contrôle applicable pour des raisons de principe n’autorise une intervention que si la Commission a commis des erreurs de fait « tout à fait évidente[s] ». Dans l’arrêt Housen, des considérations de principe expliquent la véritable raison qui justifie une approche non interventionniste, soit l’adoption d’une norme de contrôle des conclusions de fait plus stricte que l’analyse du caractère raisonnable. Ces raisons de principe s’appliquent au contrôle des conclusions de fait des tribunaux administratifs quasi judiciaires chargés d’établir la vérité, y compris la SPR. Les principes énoncés dans l’arrêt Housen s’appliquent par conséquent à la norme de contrôle des décisions de la Commission.

La Commission n’a pas la capacité de tirer des conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité que dans les cas les plus évidents. À première vue, la règle énoncée dans la décision Valtchev ne semble se rapporter qu’à la valeur probante de la preuve requise pour formuler une conclusion concernant la vraisemblance. Toutefois, cette règle influe également sur la norme de contrôle applicable à l’égard de telles conclusions, puisqu’elle accroît la valeur probante de la preuve requise pour tirer ces dernières. Si les principes énoncés dans l’arrêt Housen sont adoptés, cela devrait mettre un terme à toute nouvelle référence à la règle énoncée dans la décision Valtchev, qui fait obstacle à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission de tirer des inférences de fait. De plus, le fait que la Commission instruise des affaires concernant des réfugiés de diverses cultures ne permet pas de rendre rationnelle la règle énoncée dans la décision Valtchev. Si des considérations d’ordre culturel sont invoquées, elles devraient être évaluées au cas par cas, comme un aspect de la valeur probante accordée à la preuve pour appuyer une conclusion d’invraisemblance.

En ce qui concerne la question de savoir si la décision Valtchev a déplacé le fardeau de réfuter une conclusion d’invraisemblance pour l’imposer à la Commission, les demandeurs ont fait référence à l’incidence de l’arrêt Maldonado c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration et ont eu raison d’affirmer que l’arrêt Maldonado a influencé la décision dans la décision Valtchev. L’arrêt Maldonado ne s’applique pas pour présumer que les faits sont « dignes de foi ». Il n’établit une présomption qu’à l’égard de la crédibilité des faits allégués dans les déclarations sous serment. En outre, l’arrêt Maldonado ne s’applique pas de manière à soustraire les demandeurs de l’obligation de déployer de véritables efforts pour produire une preuve corroborante et probante afin de prouver la véracité des déclarations faites sous serment, conformément à l’alinéa 170h) de la Loi en particulier.

L’application des principes exposés dans l’arrêt Housen en ce qui a trait à la norme de contrôle des conclusions de fait, le rejet de la règle énoncée dans la décision Valtchev concernant les conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité et la limitation de l’arrêt Maldonado à une présomption s’appliquant à la crédibilité (et non à la véracité) des déclarations faites sous serment entraîneront, dans de nombreux cas, des résultats différents lors de l’examen des conclusions de fait. La présente affaire était l’un de ces cas. Le demandeur principal a demandé à la Cour de procéder à une analyse de la raisonnabilité afin de réévaluer la preuve primaire en appliquant les règles énoncées dans l’arrêt Maldonado et la décision Valtchev. Une telle analyse amènerait la Cour à déterminer si la SPR n’a conclu à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents. L’argument du demandeur sur ce point contrevenait au raisonnement suivi dans l’arrêt Housen. La décision Valtchev conduirait donc, à tort, la Cour à effectuer une analyse du caractère raisonnable des conclusions de fait et elle établirait, en outre, une norme trop élevée quant à la valeur probante requise pour tirer la conclusion d’invraisemblance contestée. La demande a donc été rejetée, car l’erreur alléguée n’était pas évidente et certains éléments de preuve étayaient la conclusion de la SPR à cet égard.

Les questions de la Commission portant sur ce que la demanderesse savait au sujet des demandes d’asile des membres de sa famille étaient a priori admissibles, de sorte que son manque de connaissance à l’égard de ces demandes était tout aussi important et pertinent pour évaluer sa crédibilité. Par conséquent, aucune erreur de procédure n’a été commise, puisque les questions relatives aux demandes d’asile des membres de la famille de la demanderesse et au fait que son père est resté derrière étaient à la fois importantes et pertinentes. De plus, la SPR n’a pas omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents quant à la discrimination générale que subissent les femmes en Arabie saoudite. Lorsqu’ils ont été présentés, la SPR a souligné que la demanderesse et sa famille avaient vécu « avec succès » en Arabie saoudite pendant des générations et a déclaré qu’il était reconnu qu’une demande d’asile généralisée de cette nature était insuffisante pour étayer le besoin de protection.

En ce qui concerne la question d’injustice, bien que la SPR ait conclu que les demandeurs ont été « sélectifs » en omettant de présenter leurs cartes de résidence émises par l’Arabie saoudite, elle a fait cette déclaration dans le contexte de sa conclusion générale selon laquelle les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve concernant leur résidence en Arabie saoudite pour étayer leur allégation voulant qu’ils ne puissent pas retourner dans ce pays. L’on s’attend à ce que les demandeurs d’asile fournissent de tels documents. Étant donné que les demandeurs n’ont pas produit ces documents et qu’ils n’ont pas fourni d’explication, la SPR a eu raison de faire valoir ce point.

Enfin, certaines des questions soulevées dans la présente affaire ont été certifiées en vue d’un appel.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Code de procédure civile, R.L.R.Q., ch. C-25.01, art. 30.

Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, art. 131–133.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1(4)d).

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 3(1)d),(2)f), 12, 25(1.2)c),(1.3), 48, 72, 74d), 96, 97(1)a),b), 112(2)b.1), 170.

Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43.

Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, règles 11, 29.

Règles de procédure civile, R.R.O. 1990, Règl. 194, règle 62.02.

JURISPRUDENCE CITÉE

décision non suivie :

Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (QL).

décisions appliquÉes :

Jean Pierre c. Canada (Commission de l’immigration et du statut de réfugié), 2018 CAF 97; Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708.

décisions examinÉes :

Maldonado c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.); R. v. Munoz, 2006 CanLII 3269, 86 O.R. (3d) 134 (C. sup.); Audmax Inc. v. Ontario Human Rights Tribunal, 2011 ONSC 315 (CanLII), 328 D.L.R. (4th) 506 (C. div.); Bajwa c. Canada (Immigration, Refugiés et Citoyenneté), 2017 CF 202; Walton v. Alberta (Securities Commission), 2014 ABCA 273 (CanLII), 580 A.R. 218; Njeri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291; Odia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363; Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352; South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165; J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167 (CanLII); Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937; Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.); Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 275; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; Miclescu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 166; Dayebga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 842; Briand c. Canada (Procureur général), 2018 CF 279; Kadhm c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7257 (C.F. 1re inst.); Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229; Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770.

décisions citées :

Rozas del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145; Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308; Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.); R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, 1994 CanLII 80; Ramos Aguilar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 431; Abiobun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 299; Amin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 295; Gamez Barrientos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1220; Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 819; Martinez Giron c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7; Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653; Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7247, [1998] A.C.F. no 37 (QL) (1re inst.); Feher c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 335; R. v. Thain, 2009 ONCA 223, 243 C.C.C. (3d) 230; Bersie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 900; Ismaili c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84.

DOCTRINE CITÉE

Brown, Donald J.M. et John M. Evans. Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, Toronto : Thomson Reuters, 2017.

Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe : Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(3) de la Loi sur l’immigration. Ottawa : Commission de l’immigration et du statut de réfugié, 1996.

Dictionnaire Larousse en ligne, « les plus ».

Paciocco, David et Lee Stuesser. The Law of Evidence, 6e éd. Toronto : Irwin Law, 2011.

Nations Unies. Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, doc. N.U. HCR/1P/4/FRE/REV. 3 (Genève, réédition, décembre 2011).

Oxford English Dictionary, « coïncidence ».

Waldman, Lorne. Immigration Law and Practice, feuilles mobiles. Markham, Ont. : Butterworths, 1992.

DEMANDE de contrôle judiciaire de la décision (X(Re), 2017 CanLII 146587) rendue par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, aux termes de l’article 96 et des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Demande rejetée.

ONT COMPARU :

Debbie Rachlis pour les demandeurs.

Alex Kam pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates, Toronto, pour les demandeurs.

La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.

 

  Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

            Le juge Annis :

I.          Introduction

[1]        La Cour est saisie d’une demande présentée au titre de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch 27 (la LIPR ou la Loi), en vue d’obtenir un contrôle judiciaire, au titre de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la LCF), de la décision rendue le 25 octobre 2017 par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) [X(Re), 2017 CanLII 146587 (motifs)]. La SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles et qu’ils n’avaient donc pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, aux termes de l’article 96 et des alinéas 97(1)a) et b) de la LIPR.

[2]        Les demandeurs sont des Palestiniens apatrides, qui détiennent des titres de voyage égyptiens émis aux Palestiniens. Le demandeur principal fonde sa demande d’asile sur son appartenance à un groupe social, à savoir les Palestiniens apatrides qui ont été forcés à devenir des informateurs pour le gouvernement du Royaume d’Arabie saoudite (l’Arabie saoudite).

[3]        La demanderesse fonde sa demande d’asile sur celle du demandeur principal et sur son appartenance à un groupe social, à savoir les femmes victimes des attouchements sexuels non désirés d’un employeur de sexe masculin. De plus, elle refuse de se conformer au code vestimentaire sévère et aux autres politiques gouvernementales discriminatoires à l’égard des femmes qui existent en Arabie saoudite. En outre, elle s’oppose politiquement aux restrictions imposées aux femmes dans la sphère sociale, notamment à l’interdiction aux femmes de conduire ou de sortir sans être accompagnées par un homme.

[4]        La décision de la SPR de rejeter les demandes d’asile portait presque entièrement sur les conclusions défavorables tirées quant à la crédibilité du témoignage des demandeurs. Pour la plupart, les conclusions formulées à cet égard étaient des inférences de fait de la SPR, qui réfutaient les prétentions des demandeurs sur lesquelles ces derniers appuyaient leurs allégations de risque.

[5]        Dans l’arrêt Jean Pierre c. Canada (Immigration et Statut de réfugié), 2018 CAF 97 (l’arrêt Jean Pierre), aux paragraphes 51 à 53, la Cour d’appel fédérale a conclu que les mêmes considérations s’appliquent au contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait du tribunal administratif en tant que juge des faits que celles examinées dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, 2002 CSC 33, [2002] 2 R.C.S. 235 (l’arrêt Housen), de la Cour suprême. Dans l’arrêt Housen, la Cour suprême a établi que les tribunaux devraient adopter une approche consistant, avant tout, à ne pas intervenir pour ce qui est de réviser les faits et les inférences de fait. La norme de contrôle prévue dans l’arrêt Housen ne permettait pas aux tribunaux de procéder à l’analyse du caractère raisonnable des conclusions de fait, puisqu’une telle évaluation n’aurait pas représenté une norme de contrôle suffisamment stricte.

[6]        Dans l’analyse qui suit, j’applique les considérations exposées dans l’arrêt Housen aux conclusions de fait de la SPR, en ma qualité de tribunal quasi judiciaire chargé de rechercher la vérité, conformément aux principes liés à la norme de contrôle énoncés dans l’arrêt Housen.

[7]        Pour les besoins de la présente discussion, un tribunal chargé de rechercher la vérité est une instance qui tient des audiences en vue de déterminer à la fois la crédibilité et la véracité des faits. Le niveau de déférence qui s’impose à l’endroit d’un tel tribunal qui est à la recherche de la vérité est totalement contraire à celui qui est prévu par la norme de la décision correcte, qui n’accorde aucune déférence au décideur au moment du contrôle. Les conclusions de fait des tribunaux chargés de rechercher la vérité doivent faire l’objet de la plus grande déférence possible de la part de tout tribunal administratif, parce que ce sont eux qui s’apparentent le plus aux tribunaux de première instance et que, contrairement aux cours d’appel ou à celles saisies des demandes de contrôle judiciaire, leur principale fonction consiste à tirer des conclusions de fait. Il n’est pas encore évident de savoir où se situe la Section d’appel des réfugiés (la SAR) sur l’échelle de la déférence, eu égard à ses conclusions de fait, lorsqu’elle ne tient pas d’audience. La relation entre elle et la SPR reste à clarifier puisque des questions ont été certifiées pour appel dans la décision Rozas del Solar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1145.

[8]        Les motifs de jugement de l’affaire dont je suis saisi comprennent, notamment, le fait que la règle énoncée dans l’arrêt Housen corrobore celle explicitée dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339 (l’arrêt Khosa), aux paragraphes 61 et 64 à 67, selon laquelle une cour de révision, afin de déterminer si la SPR a commis une erreur dans son appréciation des faits, ne devrait pas soupeser de nouveau les éléments de preuve qui ont été soumis à la SPR.

[9]        Une deuxième question très importante examinée en l’espèce est celle de savoir si la SPR ne devrait tirer des conclusions défavorables quant à la crédibilité, sur la base d’invraisemblances, que « dans les cas les plus évidents ». Ce principe a été énoncé pour la première fois dans la décision Valtchev c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 776, [2001] A.C.F. no 1131 (QL) (la décision Valtchev et la règle énoncée dans Valtchev) , au paragraphe 7, et s’impose depuis largement dans la jurisprudence de la Cour.

[10]      Je conclus que selon le raisonnement suivi dans la décision Valtchev, le seuil requis pour que la Commission puisse conclure à l’invraisemblance ou à la crédibilité d’une inférence est plus élevé que le seuil requis par la norme de preuve de la probabilité, ce qui est inadmissible. Il semble, du moins du point de vue du défendeur, qu’il soit communément admis que lorsque tel est le cas, cela adoucit vraisemblablement le caractère rigoureux de la norme de contrôle appliquée à l’égard des conclusions d’invraisemblance et porte atteinte, par le fait même, au pouvoir de la Commission de tirer des conclusions de fait, en vertu de l’alinéa 170h) de la LIPR.

[11]      Afin de recevoir des commentaires appropriés sur ces questions, j’ai émis une directive à l’intention des parties pour les inviter à présenter leurs observations. M. Waldman représentait les demandeurs; dans la décision Valtchev, la Cour s’est fondée sur son ouvrage, intitulé Immigration Law and Practice (Markham, Ont.  : Butterworths, 1992). J’ai pris en considération les observations des parties, au moment d’examiner la norme de contrôle et les principes énoncés dans la décision Valtchev.

[12]      En réponse à ma directive, les demandeurs ont examiné la présomption de véracité qui prévaut à l’égard des déclarations faites sous serment, qui a été établie dans l’arrêt Maldonado c. Le ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 C.F. 302 (C.A.) (l’arrêt Maldonado) de la Cour d’appel fédérale, et qui constitue un autre facteur appliqué dans la décision Valtchev.

[13]      Après avoir examiné la portée de la règle énoncée dans l’arrêt Maldonado, j’ai conclu que lorsque cette règle est interprétée dans son contexte, elle ne s’applique qu’au facteur lié au caractère crédible de la preuve, établi à l’alinéa 170h) de la LIPR, et non à celui relatif au caractère digne de foi de cette preuve.

[14]      Au lieu de la présomption de véracité qui prévaut à l’égard de toute déclaration sous serment qui s’applique au début d’une audience devant la SPR, je conclus qu’il convient d’appliquer la règle du « bénéfice du doute » énoncée par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le HCR) dans le Guide et principes directeurs sur les procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés [doc. N.U. HCR/1P/4/FRE/REV.3] (le Guide sur les réfugiés du HCR), réédité, Genève, décembre 2011, aux paragraphes 203 à 205. La règle du bénéfice du doute s’applique à la fin de l’audience, et ce, seulement si le demandeur d’asile a véritablement fait un effort pour corroborer la déclaration sous serment, qui autrement est jugée crédible.

II.         Les faits

[15]      Le demandeur principal, qui est âgé de 32 ans, est un Palestinien apatride, qui est né et a grandi en Arabie saoudite. Il détient un diplôme universitaire en ingénierie et a travaillé pour la Naizal Global Engineering Company, d’abord en tant qu’ingénieur-système du mois d’août 2010 jusqu’au 31 octobre 2014, puis comme directeur de l’ingénierie à la suite d’une promotion, jusqu’à ce qu’il parte de l’Arabie saoudite en juillet 2017.

[16]      Le demandeur principal soutient que ses problèmes ont commencé après son retour d’un voyage d’affaires en Espagne. Le 20 juin 2017, il a reçu un appel inhabituel d’un homme qui s’est présenté comme étant Nasir Al-Kabtany du Bureau des enquêtes et des poursuites. M. Al-Kabtany a affirmé qu’il connaissait les antécédents du demandeur principal et que ce dernier était un employé très respecté. Il a demandé à rencontrer le demandeur principal une semaine plus tard. Après avoir discuté avec son père et son frère, le demandeur principal a rencontré M. Al-Kabtany, qui lui a demandé de lui fournir des renseignements sur trois de ses collègues. Le demandeur principal a informé son père de sa rencontre avec M. Al-Kabtany après son départ pour le Canada, où habitent certains membres de sa famille.

[17]      La demanderesse est dentiste. Elle a grandi en Arabie saoudite, mais a suivi sa formation de dentiste en Égypte. Le demandeur principal et elle ont conclu un mariage arrangé. Depuis au moins trois générations, sa famille a réussi à très bien vivre en Arabie saoudite, et son père est un ingénieur électricien bien établi. La SPR a conclu que bien que les membres de la famille ne possèdent pas la citoyenneté en Arabie saoudite, ils ont été en mesure d’y travailler et d’y maintenir un niveau de vie remarquable. La mère de la demanderesse a également fait des études universitaires et a quatre frères qui ont immigré au Canada peu de temps après les demandeurs. Ces derniers ont également présenté des demandes d’asile distinctes. Le père du demandeur principal vit toujours en Arabie saoudite.

[18]      La demanderesse prétend avoir été victime de discrimination en Arabie saoudite. Elle allègue que comme elle n’a pas pu fréquenter l’université là-bas, elle a dû étudier la médecine dentaire en Égypte. Elle prétend avoir eu de la difficulté à se trouver un emploi en Arabie saoudite. La discrimination qu’elle a subie là-bas l’a obligée à respecter un code vestimentaire sévère et d’autres restrictions imposées aux femmes dans la sphère sociale, notamment l’interdiction aux femmes de conduire ou de sortir sans être accompagnées par un homme.

[19]      Les demandeurs sont partis de l’Arabie saoudite le 9 juillet 2017 et se sont rendus d’abord aux Émirats arabes unis, puis aux États-Unis. Ils ont tous deux déposé une demande d’asile à la frontière canadienne le 13 juillet 2017. Leur fils est né au Canada en août 2017, soit un mois après leur arrivée.

[20]      La SPR a rejeté les demandes d’asile des demandeurs, après avoir tiré des conclusions défavorables quant à leur crédibilité sur la base d’invraisemblances. Essentiellement, la SPR a jugé que leur témoignage n’était pas raisonnable, selon la prépondérance des probabilités. La décision est résumée aux paragraphes 17 et 20 à 22 des motifs de la SPR :

[...] Le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile principal a inventé un récit afin de soutenir une demande d’asile frauduleuse [...]

[…]

[...] La demandeure d’asile n’a pas fourni d’explication raisonnable pour son omission de rapporter l’incident aux autorités ou à l’organisme de réglementation des dentistes en Arabie Saoudite [...]

[...] Le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile sait pourquoi sa mère et ses frères ont déposé des demandes d’asile et pourquoi son père est resté en Arabie Saoudite [...]

Compte tenu de tout ce qui précède, le tribunal conclut, selon la prépondérance des probabilités, que le témoignage des demandeurs d’asile n’est pas crédible [...]

III.        Les dispositions législatives pertinentes

[21]      Les dispositions pertinentes de l’article 170 de la LIPR sont les suivantes (non souligné dans l’original) :

Fonctionnement

170 Dans toute affaire dont elle est saisie, la Section de la protection des réfugiés :

a) procède à tous les actes qu’elle juge utiles à la manifestation du bien-fondé de la demande;

b) dispose de celle-ci par la tenue d’une audience;

c) convoque la personne en cause et le ministre;

[…]

d.1) peut interroger les témoins, notamment la personne en cause;

e) donne à la personne en cause et au ministre la possibilité de produire des éléments de preuve, d’interroger des témoins et de présenter des observations;

[…]

g) n’est pas liée par les règles légales ou techniques de présentation de la preuve;

h) peut recevoir les éléments qu’elle juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision;

i) peut admettre d’office les faits admissibles en justice et les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation.

IV.       Les questions en litige

[22]      J’estime qu’il convient, dans la présente affaire, d’examiner les questions suivantes :

1.         Quelle est la norme de contrôle applicable aux conclusions de fait et aux inférences de fait de la Commission, y compris les questions mixtes de fait et de droit, à la lumière de l’orientation donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jean Pierre, selon laquelle les considérations examinées dans l’arrêt Housen s’appliquent dans le contexte du droit administratif?

2.         La règle énoncée dans la décision Valtchev, selon laquelle la Commission ne peut rendre des conclusions défavorables quant à la crédibilité, sur la base d’invraisemblances, que dans les cas les plus évidents, fait-elle autorité?

3.         La SPR a-t-elle commis une erreur, en l’espèce, en tirant des conclusions défavorables quant à la crédibilité sur la base d’invraisemblances?

4.         En l’espèce, la SPR a-t-elle commis des erreurs susceptibles de contrôle dans le cadre de la procédure de recherche des faits, en ignorant des éléments de preuve essentiels et en se fondant sur des preuves négligeables?

5.         En l’espèce, la SPR a-t-elle violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale, en leur refusant la possibilité de répondre à ses préoccupations concernant leurs documents de résidence?

V.        La norme de contrôle applicable

[23]      La première question à trancher, qui a trait à la norme de contrôle que la Cour fédérale doit appliquer aux conclusions de fait de la Commission, est purement une question de droit, qui relève de la compétence dévolue à la Cour dans l’exercice de ses fonctions. Cette question doit donc être examinée selon la norme de la décision correcte. Pour rendre cette décision, la Cour doit déterminer si l’arrêt Jean Pierre, qui a introduit les principes énoncés dans l’arrêt Housen en ce qui concerne l’examen des conclusions de fait dans le contexte administratif, a modifié la norme de contrôle actuellement suivie par la Cour.

[24]      Les parties ont fait valoir que la deuxième question en litige, qui porte sur le désaccord exprimé par la Cour à l’égard de la règle énoncée dans la décision Valtchev, laquelle a été consacrée dans la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale, doit être tranchée conformément aux principes de la courtoisie judiciaire. Il convient de rappeler que la courtoisie judiciaire demande aux juges de ne pas écarter les conclusions de droit tirées par d’autres juges de la même Cour, à moins d’être convaincu qu’il est nécessaire de le faire et de pouvoir faire état de motifs convaincants à l’appui, par exemple lorsque la jurisprudence antérieure est erronée : Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308, aux paragraphes 43 à 48.

[25]      Je reconnais que le principe de la courtoisie judiciaire s’applique à l’égard des divergences d’opinions d’une cour par rapport aux décisions antérieures de la même cour. Cela suppose que pour déroger à la règle de la courtoisie judiciaire, la cour doit être tenue de respecter la norme de la décision correcte dans son raisonnement.

[26]      En ce qui concerne les conclusions tirées quant à la crédibilité sur la base d’invraisemblances, qui constituent la troisième question en litige, elles doivent être examinées en fonction de la norme de la décision raisonnable, qui sera définie une fois que la première question en litige aura été tranchée.

[27]      En ce qui concerne les quatrième et cinquième questions en litige, à savoir si la SPR n’a pas tenu compte d’éléments de preuve essentiels, s’est fondée sur des preuves négligeables et a violé le droit des demandeurs à l’équité procédurale en ne leur offrant pas la possibilité de répondre aux préoccupations soulevées concernant un document, ce sont toutes là des erreurs de procédure alléguées, qui doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

A.        Norme de contrôle des faits et des faits inférés

1)         Principes fondamentaux de la recherche des faits

a)         Une inférence de fait

[28]      Le concept qui consiste à interpréter la preuve primaire au moment de tirer des inférences et l’exigence selon laquelle la conclusion par induction qui s’ensuit doit seulement avoir un certain degré de probabilité, et non s’imposer, sont expliqués en ces termes dans la décision R. v. Munoz, 2006 CanLII 3269, 86 O.R. (3d) 134 (C. sup.), au paragraphe 23 (non souligné dans l’original) :

  [traduction] Bien que l’on fasse mention en abondance dans la jurisprudence des « inférences raisonnables », relativement peu de choses ont été dites sur le processus suivi lorsque des inférences sont tirées à partir de faits admis. Il faut bien souligner que n’est pas en cause le raisonnement déductif, lequel, une fois les hypothèses acceptées, donne nécessairement lieu à une conclusion valide. Cela vient du fait que la conclusion [issue d’un raisonnement] est inhérente à la relation entre les hypothèses avancées. Tirer une inférence met plutôt en cause le raisonnement inductif, qui permet de tirer des conclusions fondées sur l’expérience humaine universelle. La conclusion ne découle pas de la preuve produite, ni de prémisses, mais plutôt de l’interprétation donnée à cette preuve en se fondant sur l’expérience. Il manque donc nécessairement à la conclusion par induction le degré de validité inéluctable dont dispose la conclusion par déduction. Par conséquent, si les prémisses – ou faits primaires – sont admis, la conclusion par induction qui s’ensuit a un certain degré de probabilité, mais ne s’impose pas. De même, contrairement au raisonnement par déduction, le raisonnement par induction a un caractère ampliatif, en ce sens qu’il apporte davantage d’information que n’en comportaient les prémisses elles-mêmes.

2)  Différencier les erreurs d’appréciation des erreurs de procédure dans la recherche des faits

[29]      The Law of Evidence [6e éd. Toronto : Irwin Law, 2011], rédigé par le juge David Paciocco de la Cour d’appel de l’Ontario et le professeur Lee Stuesser (l’ouvrage de Paciocco), fournit, au chapitre intitulé « The Basics of Admissibility and the Evaluation of Evidence », des explications utiles sur les termes à garder à l’esprit au moment d’examiner la distinction entre les erreurs dans la recherche des faits, qui sont liées à la procédure suivie pour établir un fait, et celles qui résultent de l’appréciation et de l’évaluation des éléments de preuve en vue de trouver un fait avéré. L’ouvrage de Paciocco est également utile pour établir la distinction entre les aspects de la crédibilité et de la véracité dans le cadre de la recherche des faits.

[30]      Il est indiqué dans l’ouvrage de Paciocco que pour être jugée admissible, la preuve doit être pertinente (elle démontre qu’un fait auquel elle se rapporte est plus ou moins probable) et substantielle (elle porte sur une question importante de la procédure) (deux notions qui, combinées, sont souvent décrites comme la « pertinente logique »). Lorsque ces conditions sont remplies, la question consiste alors à déterminer la valeur probante ou le poids qu’il convient d’accorder à cette preuve (elle est vraisemblable ou informative, c.-à-d. crédible ou digne de foi).

[31]      Les erreurs commises par la Commission dans la recherche des faits peuvent généralement survenir dans deux situations différentes. La première résulte de la façon dont le tribunal mène la procédure lui permettant de rechercher les faits. Il s’agit alors là d’une erreur dans la procédure de recherche des faits (une erreur de procédure). Les questions entourant la pertinence et le caractère substantiel des éléments de preuve, entre autres, sont de parfaits exemples d’une erreur de procédure. Le deuxième type d’erreur dans la recherche des faits survient au moment d’apprécier ou d’évaluer la valeur probante des éléments de preuve pour établir un fait. Il s’agit alors là d’une erreur d’évaluation dans la recherche des faits (une erreur d’évaluation).

[32]      Les erreurs de procédure ne doivent pas être traitées avec déférence. Elles soulèvent des questions d’équité qui doivent être examinées selon la norme de la décision correcte. L’ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada, Donald J. M. Brown et l’honorable John M. Evans [feuilles mobiles, Toronto : Thomson Reuters, 2017] (Judicial Review of Administrative Action), paragraphe 14 :3520, au paragraphe 4 :3420, sous le titre « Other Fact-Finding Process Errors », décrit bien les erreurs de procédure (non souligné dans l’original) :

     [traduction] De plus, l’obligation d’équité impose certaines limites à la façon dont un organisme peut mener la procédure de recherche des faits. Par exemple, l’organisme ne peut pas empêcher une partie de présenter des éléments de preuve pertinents au regard des questions en litige, ni recevoir des éléments de preuve ex parte sans les divulguer à l’autre partie pour qu’elle puisse les réfuter. En outre, la question de savoir si un tribunal a commis une erreur en admettant des éléments de preuve non pertinents et en se fondant sur ces derniers, en prétendant prendre connaissance d’office de faits qui n’étaient pas notoires, en omettant de tirer les conclusions de fait nécessaires pour appuyer une contestation constitutionnelle, en tirant à tort des inférences défavorables, en excluant des éléments de preuve pertinents, en omettant de considérer des éléments de preuve pertinents, notamment des preuves d’expert, en omettant de mener les enquêtes nécessaires, en ne résolvant pas les contradictions relevées dans la preuve ou en interprétant véritablement mal les éléments de preuve, sera généralement tranchée par l’instance révisionnelle sans égard à la décision rendue par l’organisme administratif. De même, les questions relatives au fardeau de la preuve et à la norme de preuve sont des questions à l’égard desquelles une instance révisionnelle substituera habituellement sa conclusion à celle de l’organisme, comme elle le fera lorsque la preuve est évaluée sans égard apparent aux présomptions législatives. [Notes en bas de pages omises.]

[33]      Afin de dissiper toute confusion que peut susciter l’expression [traduction]  « en tirant à tort des inférences défavorables » mentionnée dans le passage ci-dessus, les décisions suivantes ont été citées à l’appui. Dans ces décisions, il est indiqué que cette forme d’erreur de procédure n’est pas liée à l’appréciation de la preuve, mais porte plutôt sur des questions d’équité :

•           Audmax Inc. v. Ontario Human Rights Tribunal, 2011 ONSC 315, 328 D.L.R. (4th) 506 (C. div.), au paragraphe 43 : (conclusion défavorable tirée du défaut de l’employeur d’appeler un témoin);

•           Bajwa c. Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 202, au paragraphe 70 : (défaut de fournir à la demanderesse une occasion raisonnable d’atténuer les doutes de l’agente des visas quant à sa crédibilité);

•           Walton v. Alberta (Securities Commission), 2014 ABCA 273 (CanLII), 580 A.R. 218, aux paragraphes 143 à 147 : (le défaut de se conformer à l’arrêt Browne v. Dunn (1893), 6 R. 67 (H.L.), en contre-interrogatoire, affaiblit sérieusement la conclusion de la Commission des valeurs mobilières de l’Alberta quant à la crédibilité).

[34]      L’extrait ci-dessus fait état des erreurs de procédure les plus courantes rencontrées dans les décisions de la Commission. Ces dernières consistent, notamment, à admettre des éléments de preuve non pertinents et à se fonder sur ces derniers, à omettre de prendre en considération des éléments de preuve pertinents qu’une partie soulève expressément, y compris des preuves d’expert (qui, comme condition préalable, doivent être jugées admissibles au départ, selon l’arrêt R. c. Mohan, [1994] 2 R.C.S. 9, 1994 CanLII 80) ou à interpréter véritablement mal la preuve (c.-à-d. formuler une appréciation clairement erronée de cette dernière au lieu de l’interpréter ou d’en débattre par rapport à son sens). Lorsque la Commission tire une conclusion de fait sans aucune preuve à l’appui, cette conclusion peut être considérée comme une erreur d’appréciation ou une erreur de procédure, selon les circonstances. Dans un cas comme dans l’autre, l’erreur commise est tout à fait évidente.

[35]      En l’espèce, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une erreur de procédure, en omettant de prendre en considération des éléments de preuve pertinents et en se fondant sur des preuves négligeables. Ces questions doivent être examinées selon la norme de la décision correcte.

[36]      De même, il sera démontré que la décision Valtchev reconnaît la nécessité de tenir compte des facteurs culturels pour justifier la règle qui y est énoncée selon laquelle le juge devrait rendre des conclusions quant à la crédibilité, sur la base d’invraisemblances, que dans les cas les plus évidents. De l’humble avis de la Cour, les questions relatives à la prise en compte des facteurs culturels entreraient très probablement dans la catégorie des erreurs de procédure, du fait que la Commission n’a pas pris en considération des éléments de preuve pertinents qu’une partie a présentés. Ce type d’erreur devrait être examiné selon la norme de la décision correcte, car il soulève des questions d’équité. Autrement, les facteurs culturels pourraient contribuer à la valeur probante attribuée à certains aspects de la preuve. Il est question ici du poids accordé aux conclusions tirées à l’égard d’un fait en litige; par conséquent, la plus grande retenue possible s’impose dans l’examen de ces conclusions, d’autant plus si celles-ci ont trait à la crédibilité d’un témoin.

[37]      À moins d’une mention expresse à l’effet contraire, l’analyse des questions à trancher qui suit se limite aux conclusions de fait résultant de l’évaluation, et non aux conclusions de fait liées à la procédure.

3)         Conclusions mixtes de fait et de droit 

[38]      Pour terminer l’évaluation de la norme de contrôle judiciaire des conclusions de fait de la Commission, l’arrêt Housen s’avère de nouveau utile avec sa description de la distinction entre les conclusions de fait et les conclusions mixtes de fait et de droit, qui est énoncée au paragraphe 26 et résumée aux paragraphes 36 et 37 (non souligné dans l’original)  :

  D’entrée de jeu, il importe de distinguer les questions mixtes de fait et de droit des conclusions factuelles (qu’il s’agisse de conclusions directes ou d’inférences). Les questions mixtes de fait et de droit supposent l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits : Canada (Directeur des enquêtes et des recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, par. 35. Par contre, les conclusions ou les inférences de fait exigent que soit tirée une conclusion factuelle d’un ensemble de faits. Tant les questions mixtes de fait et de droit que les questions de fait exigent souvent du tribunal qu’il tire des inférences; la différence réside dans le caractère — juridique ou factuel — de ces inférences. En raison de cette similitude, on confond parfois les deux catégories de questions. Cette confusion a été soulignée par A. L. Goodhart dans « Appeals on Questions of Fact » (1955), 71 L.Q.R. 402, p. 405 :

[traduction] La distinction entre [la perception des faits et l’appréciation de ceux-ci] a tendance à être embrouillée parce que nous utilisons la formule « le juge a conclu au fait que le défendeur avait été négligent », alors que ce que nous voulons dire, c’est que « le juge a constaté le fait que le défendeur a commis les actes A et B et, suivant son opinion, il a conclu qu’il n’était pas raisonnable pour ce dernier d’avoir agi ainsi ».

[…]

  En résumé, la conclusion de négligence que tire le juge de première instance suppose l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits et constitue donc une question mixte de fait et de droit. Les questions mixtes de fait et de droit s’étalent le long d’un spectre. Lorsque, par exemple, la conclusion de négligence est entachée d’une erreur imputable à l’application d’une norme incorrecte, à l’omission de tenir compte d’un élément essentiel d’un critère juridique ou à une autre erreur de principe semblable, une telle erreur peut être qualifiée d’erreur de droit et elle est contrôlée suivant la norme de la décision correcte. Les cours d’appel doivent cependant faire preuve de prudence avant de juger que le juge de première instance a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu à la négligence, puisqu’il est souvent difficile de départager les questions de droit et les questions de fait. Voilà pourquoi on appelle certaines questions des questions « mixtes de fait et de droit ». Si le principe juridique n’est pas facilement isolable, il s’agit alors d’une « question mixte de fait et de droit », assujettie à une norme de contrôle plus rigoureuse. Selon la règle générale énoncée dans l’arrêt Jaegli Enterprises, précité, si la question litigieuse en appel soulève l’interprétation de l’ensemble de la preuve par le juge de première instance, cette interprétation ne doit pas être infirmée en l’absence d’erreur manifeste et dominante.

  À cet égard, nous ne pouvons en toute déférence pas souscrire à l’opinion de notre collègue lorsqu’il affirme, au par. 106, qu’« [u]ne fois les faits établis, la décision touchant la question de savoir si le défendeur a respecté ou non la norme de diligence est, dans la plupart des cas, contrôlable selon la norme de la décision correcte, puisque le juge de première instance doit apprécier les faits au regard de la norme de diligence appropriée. Dans bien des cas, l’examen des faits à travers le prisme juridique de la norme de diligence implique l’établissement de politiques d’intérêt général ou la création de règles de droit, rôle qui relève autant des cours de première instance que des cours d’appel ». À notre avis, il est bien établi en droit que la question de savoir si le défendeur a respecté la norme de diligence suppose l’application d’une norme juridique à un ensemble de faits, ce qui en fait une question mixte de fait et de droit. Cette question est assujettie à la norme de l’erreur manifeste et dominante, à moins que le juge de première instance n’ait clairement commis une erreur de principe isolable en déterminant la norme applicable ou en appliquant cette norme, auquel cas l’erreur peut constituer une erreur de droit.

[39]      Pour résumer les conclusions tirées au paragraphe 36 de l’arrêt Housen, il faut d’abord établir que la situation relève d’une question mixte de fait et de droit, puis déterminer s’il est possible de départager les questions de droit des questions de fait. S’il est possible de le faire et que l’erreur est essentiellement de nature juridique, cette dernière est alors examinée selon la norme de la décision correcte, sous réserve des principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], selon lesquels bon nombre de ces questions doivent être soumises à l’expertise du tribunal. Si le principe juridique n’est pas isolable, alors toute la question mixte de fait et de droit est examinée selon la norme hautement déférente et non interventionniste qui s’applique aux conclusions de fait, qui ne peuvent être infirmées que dans les cas les plus évidents.

4)         La norme de contrôle applicable aux conclusions de fait de la Commission

[40]      La Cour décrit la norme de contrôle la moins interventionniste applicable aux conclusions de fait, au paragraphe 11 de la décision Njeri c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291 (Njeri), où le juge Phelan déclare ce qui suit (non souligné dans l’original)  :

  En ce qui concerne les conclusions sur la crédibilité, j’ai remarqué que la Cour a, et devrait avoir, des réticences à annuler de telles conclusions, à moins qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes (Revolorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1404). La retenue due tient compte tant du contexte de l’affaire et de l’intention du législateur que de la situation particulière dans laquelle se trouve le juge des faits qui évalue la preuve apportée par des témoignages. Le degré de retenue varie selon le fondement de la conclusion de crédibilité. La raisonnabilité est la norme applicable et la Cour doit faire preuve d’une retenue non négligeable à l’égard de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

[41]      Je comprends que dans la décision Odia c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 363, au paragraphe 6, le juge Boswell est le seul autre juge de la présente Cour, à part moi, à s’appuyer sur la décision Njeri pour ce principe : Ramos Aguilar c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 431, au paragraphe 29; Abiobun c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 299, au paragraphe 10; Amin c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 295, au paragraphe 17; Gamez Barrientos c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1220, au paragraphe 14. Autrement, la Cour applique généralement une norme de contrôle interventionniste à l’égard des conclusions de fait de la Commission, en se fondant sur les principes de la raisonnabilité énoncés dans l’arrêt Dunsmuir.

[42]      Pour les nombreux motifs qui suivent, je conclus que la déclaration faite dans l’arrêt Jean Pierre [au paragraphe 53], selon laquelle « les mêmes considérations s’appliquent au contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait du tribunal administratif en tant que juge des faits », devrait être lue en complément de celle du juge Phelan, dans la décision Njeri, concernant la norme de contrôle à appliquer aux conclusions de fait de la Commission. Cela exclut toute analyse du caractère raisonnable, lorsqu’une erreur de fait est alléguée.

[43]      La norme de contrôle appliquée aux conclusions de fait dans l’arrêt Housen empêche toute analyse du caractère raisonnable de ces conclusions factuelles, menant ainsi à l’application d’une norme de contrôle qui n’est pas suffisamment stricte et qui requiert une nouvelle appréciation de la preuve. C’est pourquoi j’assimile la notion d’« erreur des plus manifestes » utilisée dans la décision Njeri [au paragraphe 11] à l’expression « tout à fait évident[e] » adoptée par la Cour suprême, dans l’arrêt Housen [au paragraphe 5], pour décrire une erreur « “manifeste” » découlant d’une conclusion de fait. Plus important encore, je conclus que l’exclusion, dans l’arrêt Housen, de toute analyse du caractère raisonnable pour évaluer les erreurs alléguées dans les conclusions de fait s’applique également à l’évaluation par la Cour des conclusions de fait tirées par la Commission, comme l’a manifestement estimé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jean Pierre, aux paragraphes 51 à 53.

[44]      Cela va à l’encontre de la norme de contrôle des faits adoptée par la Cour dans l’ensemble de sa jurisprudence, qui repose sur une analyse du caractère raisonnable, comme l’a prescrit la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir, avec renvoi à l’arrêt Khosa, dans lequel il est dit que la Cour ne doit pas soupeser de nouveau la preuve. Cette analyse exige invariablement l’examen de tous les aspects entourant la façon dont les faits ont été établis. Le résultat est ensuite présenté comme l’une des issues possibles acceptables, dans le cadre d’une décision globale, qui s’explique par des motifs justifiés, transparents et intelligibles. Il est très rare que les cours de révision affirment que « certains éléments de preuve » à l’appui d’une conclusion de fait de la Commission constituent une raison de ne pas modifier la conclusion en question.

[45]      À mon humble avis, cela amène la Cour à se faire sa propre idée du caractère raisonnable ou non de la décision. Souvent, la Cour le fait sans s’apercevoir qu’elle procède à l’appréciation de la preuve, ce qui, selon la Cour suprême dans l’arrêt Housen, se produit invariablement lorsqu’une analyse du caractère raisonnable est appliquée aux conclusions de fait. Selon moi, cela tient au fait qu’une fois que la Cour entreprend une analyse du caractère raisonnable des faits, elle mène cette analyse jusqu’à sa conclusion logique, ce qui l’amène forcément à évaluer la preuve dont disposait le tribunal administratif. Cela tient également au fait qu’il est difficile pour les juges de se limiter lorsqu’il s’agit d’examiner les faits. La Cour a fait la déclaration préliminaire suivante dans l’arrêt Housen, au paragraphe 4 : « Quoique cette théorie [de ne pas intervenir à moins qu’il n’y ait une erreur manifeste et dominante] soit généralement acceptée, elle n’est pas appliquée de manière systématique. »

[46]      La réponse des parties à ma directive sur ces questions confirme mon interprétation de l’approche que la Cour adopte généralement lors de son examen des conclusions de fait. La réponse des demandeurs est rédigée en ces termes (non souligné dans l’original) :

[traduction] Le demandeur convient que l’arrêt Dunsmuir établit le critère approprié en ce qui a trait à la norme de contrôle applicable en l’espèce. Il admet que la norme de contrôle exige que la Cour s’en tienne aux conclusions de fait du tribunal. Toutefois, dans chaque cas, la Cour a l’obligation d’examiner le dossier et les motifs pour s’assurer que la décision fait partie des issues possibles, dans le but de déterminer si cette dernière est raisonnable ou non.

[47]      La proposition du défendeur quant à la norme de contrôle applicable est un peu plus ambiguë. Au bout du compte, le défendeur y fixe la même norme que celle proposée par les demandeurs. Le défendeur reconnaît d’abord que [traduction] « l’arrêt Housen s’applique également pour indiquer les normes de contrôle judiciaire auxquelles sont soumis les tribunaux quasi judiciaires chargés de rechercher la vérité, comme la SPR ». Le défendeur soutient, en outre, que l’arrêt Housen appuie la norme de contrôle prévue dans la décision Njeri.

[48]      Toutefois, le ministre fait ensuite volte-face et déclare que [traduction] « l’expression “une erreur des plus manifestes” utilisée dans Njeri peut être une hyperbole, semblable au libellé “dans les cas les plus évidents” employé dans Valtchev ». Par la suite, le défendeur soutient que l’arrêt Dunsmuir a remplacé la norme du caractère « manifestement déraisonnable », apparemment dans l’intention de rendre moins rigoureux le critère applicable à l’égard des conclusions de fait des tribunaux administratifs. Le ministre conclut que [traduction] « comme le caractère manifestement déraisonnable n’est plus une norme de contrôle [...] [l]a norme applicable est simplement celle de la décision raisonnable, avec déférence pour la SPR ».

[49]      Avec tout le respect que je lui dois, je ne peux être d’accord avec le défendeur lorsqu’il suppose implicitement que, dans l’arrêt Dunsmuir, l’intention de la Cour était d’établir une norme de contrôle des faits plus interventionniste que la norme antérieure du caractère manifestement déraisonnable. La conclusion contraire serait évaluée de façon plus appropriée à partir des motifs de jugement exposés dans l’arrêt Housen que la Cour a demandé aux parties d’examiner. S’il est inadmissible de procéder à l’analyse du caractère raisonnable lors du contrôle des inférences de fait du juge de première instance, du fait que cela revient à soupeser de nouveau la preuve, cette règle devrait également s’appliquer au contrôle de toutes les formes de conclusions de fait formulées par la Commission, en sa qualité de tribunal quasi judiciaire, compte tenu du caractère universel des inférences de fait.

[50]      En outre, je ne suis au fait d’aucun précédent voulant que les conclusions de fait d’un tribunal quasi judiciaire chargé de rechercher la vérité, comme la Commission, soient traitées avec un des niveaux de déférence les plus élevés, comparativement à celui réservé aux autres décideurs administratifs. En ce qui concerne ces conclusions, aucun effort n’a été fait en vue de rendre concret ou d’énoncer en termes clairs, pratiques et appropriés le fait que « Dunsmuir reconnaît que le caractère raisonnable de la décision s’apprécie dans le contexte du type particulier de processus décisionnel en cause et de l’ensemble des facteurs pertinents » : Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, au paragraphe 18 (non souligné dans l’original).

[51]      Autrement dit, les conclusions de fait tirées par la Commission ne sont pas encore perçues comme étant au bas de [traduction] « l’échelle d’intervention », soit radicalement à l’opposé des conclusions susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte, qui se retrouvent, quant à elles, tout au haut de cette échelle. À mon avis, les conclusions de fait devraient faire l’objet d’un examen non interventionniste semblable, mais d’une forme opposée à celle de la « démarcation très nette ». C’est là la conclusion inéluctable qui se dégage de l’arrêt Housen.

[52]      Enfin, il faut comprendre que la procédure d’analyse liée à la recherche des faits est distincte de celle utilisée pour déterminer l’issue de la décision. L’examen des faits est une condition préalable à remplir avant d’appliquer les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. De cette façon, l’élément de l’examen lié à la recherche des faits n’entre pas en conflit avec les principes de l’arrêt Dunsmuir. Il s’agit plutôt simplement d’une tâche spécialisée distincte que la Commission doit entreprendre et qui exige une norme de contrôle spéciale de nature contextuelle, tel qu’il est énoncé dans l’arrêt Housen. Suivant l’examen des conclusions tirées à l’égard des faits, s’il est établi qu’il y a eu erreur, il reste alors à appliquer les principes de l’arrêt Dunsmuir pour déterminer si la décision doit être annulée ou non.

B.        Principes liés à la norme de contrôle des conclusions de fait énoncés dans l’arrêt Housen

1)         La règle énoncée dans l’arrêt Housen empêche toute analyse du caractère raisonnable de l’appréciation d’une conclusion de fait, étant donné que la norme de la décision raisonnable n’est pas suffisamment stricte

[53]      Le véritable débat entre les membres de la Cour, dans l’arrêt Housen, était de savoir si les juges minoritaires ont conclu, à juste titre, que la « Cour d’appel qui contrôle la validité d’une inférence se demande si celle-ci peut raisonnablement être étayée par les conclusions de fait tirées par le juge de première instance » [au paragraphe 103]. Les cinq juges de la majorité ont conclu que toute analyse du caractère raisonnable du processus inférentiel était inadmissible. La cour de révision pouvait uniquement déterminer si l’erreur alléguée était « tout à fait évidente » [au paragraphe 5] (c.-à-d. manifeste).

[54]      Deux motifs sous-tendent la conclusion de la majorité selon laquelle une analyse du caractère raisonnable n’est pas permise comme norme de contrôle à l’étape qui consiste à tirer des inférences de fait. Le premier motif est expliqué dans la présente section. Il concerne la nature (universelle) du processus utilisé pour tirer des inférences de fait, à partir de la preuve et des faits primaires. Ce processus consiste à évaluer le poids accordé aux faits primaires, en fonction de l’uniformité de l’expérience humaine et de la logique (c.-à-d. un processus d’induction). L’analyse du caractère raisonnable donne lieu à une norme de contrôle qui n’est pas suffisamment stricte et qui n’est pas compatible avec l’approche hautement non interventionniste requise lors de l’examen des conclusions de fait.

[55]      Ce motif est décrit aux paragraphes 19 et 21 à 23 de l’arrêt Housen. Dans ces passages, les juges majoritaires font d’abord référence à l’opinion de la minorité, qu’ils rejettent, au bout du compte, selon laquelle une cour d’appel peut effectuer une analyse du caractère raisonnable du processus inférentiel du juge de première instance, étant donné que le critère n’est pas suffisamment strict :

  Nous estimons nécessaire de nous pencher sur la question de la norme de contrôle appropriée quant aux inférences de fait des juges de première instance, parce que les motifs de notre collègue suggèrent qu’une norme de contrôle moins exigeante peut être appliquée à cet égard. En toute déférence, nous sommes d’avis que l’application d’une telle norme de contrôle romprait avec la jurisprudence établie de notre Cour en la matière et serait contraire aux principes justifiant le respect d’une attitude empreinte de retenue à l’égard des constatations de fait. [Non souligné dans l’original.]

[…]

  Dans son examen de la norme de contrôle applicable aux inférences de fait du juge de première instance, notre collègue dit ce qui suit, au par. 103 :

La cour d’appel qui contrôle la validité d’une inférence se demande si celle-ci peut raisonnablement être étayée par les conclusions de fait tirées par le juge de première instance et si celui-ci a appliqué les principes juridiques appropriés. [...] Bien que la norme de contrôle soit la même et pour les conclusions de fait et pour les inférences de fait, il importe néanmoins de faire une distinction analytique entre les deux. Si le tribunal de révision ne faisait que vérifier s’il y a des erreurs de fait, la décision du juge de première instance serait alors nécessairement confirmée dans tous les cas où il existe des éléments de preuve étayant les conclusions de fait de ce dernier. Selon moi, notre Cour a le droit de conclure que les inférences du juge de première instance étaient manifestement erronées, tout comme elle peut le faire à l’égard des conclusions de fait. [Soulignement ajouté par le juge de première instance.]

En toute déférence, nous estimons que ce passage comporte deux erreurs. Premièrement, selon nous, la norme de contrôle ne consiste pas à vérifier si l’inférence peut être raisonnablement étayée par les conclusions de fait du juge de première instance, mais plutôt si ce dernier a commis une erreur manifeste et dominante en tirant une conclusion factuelle sur la base de faits admis, ce qui suppose l’application d’une norme plus stricte. [Non souligné dans l’origina; soulignement ajouté par la Cour suprême.]

[56]      Premièrement, il n’appartient pas à la cour de révision de vérifier si une inférence peut raisonnablement être étayée par les conclusions de fait auxquelles en est venu le juge de première instance; cela entraînerait l’application d’une norme qui ne serait pas suffisamment stricte. Par conséquent, si la Cour fédérale applique le raisonnement suivi dans l’arrêt Housen dans le contexte d’un contrôle judiciaire, elle ne sera pas autorisée à effectuer une analyse du caractère raisonnable d’une inférence tirée par la SPR ou tout autre tribunal administratif quasi judiciaire semblable. Pour ce seul motif, la décision Valtchev et toute la jurisprudence subséquente s’y rattachant, que les demandeurs ont invoquée en ce qui concerne les conclusions tirées concernant la crédibilité sur la base d’invraisemblances, sont non fondés en droit. La Cour doit plutôt se contraindre à déterminer si l’erreur alléguée, c’est-à-dire la conclusion du tribunal quant au fait inféré, est tout à fait évidente. Comme la Cour d’appel fédérale l’a soutenu dans l’arrêt Jean Pierre, en s’appuyant sur les principes de l’arrêt Housen, le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire consiste « à vérifier si le tribunal a rendu une décision qui, compte tenu des motifs qu’il a donnés et des éléments de preuve au dossier qui étayent ses conclusions, est conforme au droit applicable » (avec mon souligement) (au paragraphe 52).

[57]      L’application de ce critère est très simple : y a-t-il des éléments de preuve qui étayent la conclusion du tribunal? Subsidiairement, la Cour est-elle d’avis qu’elle évalue le poids accordé à la preuve plutôt que de se demander si certains éléments de preuve appuient la conclusion de fait? De toute évidence, la Cour ne se reporte pas ici aux conclusions de fait liées à la procédure, qui sont examinées selon la norme de la décision correcte. Ce critère est également proportionnel au motif de contrôle applicable énoncé à l’alinéa 18.1(4)d) de la LCF, qui autorise l’instance révisionnelle à intervenir si elle est convaincue que le tribunal « a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose » (mon soulignement) (« based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it ») (voir Khosa, aux paragraphes 45 et 46). Manifestement, les motifs de contrôle judiciaire prévus dans la LCF et l’interprétation que la Cour suprême en a donnée dans l’arrêt Khosa privent expressément la Cour de sa capacité d’apprécier la preuve, alors que la Cour peut constater la présence d’une erreur susceptible de révision découlant des conclusions tirées, qui ne sont nullement étayées par la preuve au dossier.

[58]      Deuxièmement, la déclaration faite dans l’arrêt Housen [au paragraphe 19], selon laquelle « les motifs de notre collègue [minoritaire] suggèrent qu’une norme de contrôle moins exigeante peut être appliquée » à l’égard des « inférences de fait des juges de première instance » (mon soulignement), renvoie à la norme de contrôle applicable à un fait direct, c.-à-d. à un fait qui est tiré directement de la preuve, notamment d’une déclaration jugée digne de foi. En fait, les motifs de jugement énoncés dans l’arrêt Housen peuvent également être interprétés ainsi : la même norme s’applique à toutes les conclusions de fait, quelle que soit la manière dont elles ont été établies.

[59]      Troisièmement, dans l’arrêt Housen, les juges majoritaires adoptent également, dans une certaine mesure, le raisonnement de la minorité en ce qui concerne le processus inférentiel, sur lequel ils s’appuient pour admettre son argument voulant qu’une analyse du caractère raisonnable fût autorisée, étant donné que « [s]i le tribunal de révision ne faisait que vérifier s’il y a des erreurs de fait [primaires], la décision du juge de première instance serait alors nécessairement confirmée dans tous les cas où il existe des éléments de preuve étayant les conclusions de fait de ce dernier » [au paragraphe 103]. Les juges majoritaires se disent d’accord sur le fond avec cette issue, au paragraphe 22 (et au paragraphe 23), du moins lorsqu’ils concluent que si les faits primaires ne sont pas contestés, il sera « difficile » [non souligné dans l’original] pour l’instance révisionnelle d’infirmer l’inférence tirée. Ce constat est exposé comme suit au paragraphe 22 (non souligné dans l’original)  :

  Deuxièmement, nous croyons en toute déférence qu’en faisant une distinction analytique entre les conclusions factuelles et les inférences factuelles, le passage précité pourrait amener les cours d’appel à soupeser la preuve à nouveau et sans raison. Bien que nous partagions l’opinion selon laquelle il est loisible à une cour d’appel de conclure qu’une inférence de fait tirée par le juge de première instance est manifestement erronée, nous tenons toutefois à faire la mise en garde suivante : lorsque des éléments de preuve étayent cette inférence, il sera difficile à une cour d’appel de conclure à l’existence d’une erreur manifeste et dominante. Comme nous l’avons dit précédemment, les tribunaux de première instance sont dans une position avantageuse pour apprécier et soupeser de vastes quantités d’éléments de preuve. Pour tirer une inférence factuelle, le juge de première instance doit passer les faits pertinents au crible, en apprécier la valeur probante et tirer une conclusion factuelle. En conséquence, lorsque cette conclusion est étayée par des éléments de preuve, modifier cette conclusion équivaut à modifier le poids accordé à ces éléments par le juge de première instance.

[60]      Quatrièmement, au paragraphe 22 de l’arrêt Housen, la Cour explique que toute analyse du caractère raisonnable des conclusions de fait est exclue puisque celle-ci l’amènerait « à soupeser la preuve [primaire] à nouveau et sans raison »; ce point est important puisqu’il a trait au caractère universel du processus inférentiel. Cette conclusion est semblable à celle tirée par la Cour suprême dans l’arrêt Khosa, au paragraphe 61, selon laquelle il n’est pas « dans les attributions de la cour de révision [la Cour fédérale] de soupeser à nouveau les éléments de preuve » qui ont été soumis à la Section d’appel de l’immigration.

[61]      Selon mon interprétation, bien que la Cour suprême ait soutenu dans l’arrêt Khosa que, conformément aux principes de l’arrêt Dunsmuir, le caractère raisonnable était la norme de contrôle applicable en ce qui a trait à l’issue de la décision, il n’en demeure pas moins que l’évaluation des conclusions de fait était exclue d’un tel contrôle, du fait que la Cour n’était pas autorisée à apprécier de nouveau la preuve.

[62]      Lorsque la Cour a conclu [au paragraphe 47], dans l’arrêt Dunsmuir, que les cours de révision doivent procéder à une analyse de la raisonnabilité pour déterminer si l’issue fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (mon soulignement), cette analyse ne visait pas à contester les conclusions de fait tirées selon le poids accordé par le tribunal aux éléments de preuve, puisque la cour de révision ne pouvait pas soupeser de nouveau ces derniers, ce qui l’aurait forcément amenée à effectuer une analyse de cette nature.

[63]      Cette orientation donnée par les juges majoritaires dans l’arrêt Khosa [au paragraphe 61] a été proposée pour répondre spécifiquement à la conclusion du juge Fish. La Cour a reconnu que la norme de la raisonnabilité s’appliquait, mais il n’en demeure pas moins qu’une telle norme ne permet pas à la cour de révision d’apprécier de nouveau la preuve présentée au tribunal :

  Mon collègue le juge Fish reconnaît que la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, mais il accueillerait l’appel. Il affirme :

Le refus de M. Khosa de reconnaître qu’il participait à une course de rue peut certes indiquer qu’il « ne saisit pas bien toute la portée de sa conduite », mais il ne peut raisonnablement servir à contredire — et encore moins à surpasser, selon la prépondérance des probabilités, — tous les éléments de preuve en sa faveur concernant ses remords, sa réadaptation et son risque de récidive. [par. 149 avec mon soulignement.]

Je ne crois pas qu’il rentre dans les attributions de la cour de révision de soupeser à nouveau les éléments de preuve.

[64]      Selon mon interprétation, l’arrêt Housen ne fait que renforcer ce que la Cour suprême a voulu dire, en statuant que les cours de révision ne doivent pas soupeser de nouveau la preuve. L’application pratique de cette orientation peut être intégrée à la règle selon laquelle la cour de révision ne doit pas intervenir « dans les cas où il existait des éléments de preuve qui pouvaient étayer cette décision » (non souligné dans l’original) : Housen, au paragraphe 1. Ainsi, la règle reformulée dans l’arrêt Housen permet seulement à la cour de révision de déterminer si certains éléments de preuve étayent la conclusion, qui devrait être tout à fait évidente.

[65]      Si la Cour ne limite pas la recherche à certains éléments de preuve, elle sera probablement amenée à réévaluer l’ensemble de la preuve, ce qui suppose forcément l’analyse du caractère raisonnable des faits. Ainsi, selon ce que je comprends, la règle énoncée dans l’arrêt Khosa peut être décrite au moyen de trois énoncés visant à limiter la compétence de la Cour pour ce qui est de modifier une conclusion de fait : elle ne peut soupeser à nouveau la preuve, seulement quelques preuves à l’appui suffisent et l’erreur doit être tout à fait évidente. Ces énoncés reflètent la norme de déférence la plus élevée qui peut possiblement s’appliquer à l’égard des conclusions de fait d’un tribunal quasi judiciaire.

[66]      Cinquièmement, dans l’arrêt Housen, la Cour a ajouté, au paragraphe 23, que « ce n’est que lorsque le processus inférentiel lui-même est manifestement erroné que la cour d’appel peut modifier la conclusion factuelle » [souligné dans l’original]. Il est question ici de l’erreur de procédure qui a été expliquée plus haut, dans les cas, par exemple, où les faits primaires ne sont pas pertinents eu égard au fait ampliatif inféré. Cela démontre une fois de plus aux cours de révision qu’il leur sera « difficile » d’intervenir, si aucune erreur de procédure n’a été commise. Le paragraphe 23 est rédigé en ces termes (non souligné dans l’original) :

  Nous rappelons qu’il n’appartient pas aux cours d’appel de remettre en question le poids attribué aux différents éléments de preuve. Si aucune erreur manifeste et dominante n’est décelée en ce qui concerne les faits sur lesquels repose l’inférence du juge de première instance, ce n’est que lorsque le processus inférentiel lui-même [souligné dans l’original] est manifestement erroné que la cour d’appel peut modifier la conclusion factuelle. La cour d’appel n’est pas habilitée à modifier une conclusion factuelle avec laquelle elle n’est pas d’accord, lorsque ce désaccord résulte d’une divergence d’opinion sur le poids à attribuer aux faits à la base de la conclusion.

[67]      Bien que cela ne soit peut-être pas nécessaire étant donné que la Cour d’appel fédérale a souscrit aux principes énoncés dans l’arrêt Housen, rappelons qu’une « erreur manifeste » est définie en des termes plus prosaïques, aux paragraphes 5 et 6 de cet arrêt, comme une erreur qui est « tout à fait évident[e], qui ne peut être contesté[e] dans sa nature ou son existence » (non souligné dans l’original)  :

  Qu’est-ce qu’une erreur manifeste? Le Trésor de la langue française (1985) définit ainsi le mot « manifeste » : « ... Qui est tout à fait évident, qui ne peut être contesté dans sa nature ou son existence. [...] erreur manifeste » (p. 317). Le Grand Robert de la langue française (2e éd. 2001) définit ce mot ainsi : « Dont l’existence ou la nature est évidente. [...] Qui est clairement, évidemment tel. [...] Erreur, injustice manifeste » (p. 1139). Enfin, le Grand Larousse de la langue française (1975) donne la définition suivante de « manifeste »  : « ... Se dit d’une chose que l’on ne peut contester, qui est tout à fait évidente : Une erreur manifeste » (p. 3213).

  L’élément commun de ces définitions est qu’une chose « manifeste » est une chose qui est « évidente ». Si l’on applique ce critère au présent pourvoi, il faut que l’« erreur manifeste et dominante » décelée par le juge Cameron soit évidente pour que la Cour d’appel de la Saskatchewan puisse infirmer la décision de la juge de première instance. Comme nous le verrons plus loin, nous ne croyons pas qu’on a satisfait à ce critère en l’espèce.

[68]      À cet égard, il convient de mentionner qu’à maintes reprises, les cours d’appel ont employé un langage extrêmement strict et souvent métaphorique pour décrire la norme de contrôle applicable aux erreurs manifestes et dominantes :

          L’erreur manifeste et dominante constitue une norme de contrôle appelant un degré élevé de retenue [...] Par erreur « manifeste », on entend une erreur évidente, et par erreur « dominante », une erreur qui touche directement à l’issue de l’affaire. Lorsque l’on invoque une erreur manifeste et dominante, on ne peut se contenter de tirer sur les feuilles et les branches et laisser l’arbre debout. On doit faire tomber l’arbre tout entier.

(Benhaim c. St-Germain, 2016 CSC 48, [2016] 2 R.C.S. 352 (Benhaim), au paragraphe 38, citant South Yukon Forest Corp. c. R., 2012 CAF 165, au paragraphe 46.)

 

[...] « une erreur manifeste et dominante tient, non pas de l’aiguille dans une botte de foin, mais de la poutre dans l’œil. Et il est impossible de confondre ces deux dernières notions. »

(Benhaim, au paragraphe 39, citant J.G. c. Nadeau, 2016 QCCA 167 (CanLII), au paragraphe 77.)

[69]      En ce qui concerne mon analyse de la règle énoncée dans la décision Valtchev, le défendeur soutient que l’expression « dans les cas les plus évidents » [au paragraphe 7], qui oblige la Commission à tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité, ne décrit pas une norme plus élevée en matière d’appréciation de la preuve que celle de la probabilité. Je ne souscris pas à sa prétention. Le sens usuel de ces termes impose clairement à la Commission un niveau de preuve plus élevé pour tirer une inférence quant à la vraisemblance. De plus, la définition de ces termes est bien établie dans la jurisprudence canadienne sur la question. La Cour applique systématiquement la décision Valtchev à l’appui d’une approche hautement interventionniste en vue d’infirmer les conclusions factuelles d’invraisemblance.

[70]      Le principe énoncé dans l’arrêt Housen, selon lequel le processus inférentiel suppose l’appréciation de la preuve, est également décrit au paragraphe 14 :3520 de l’ouvrage Judicial Review of Administrative Action in Canada (non souligné dans l’original) :

[traduction] Faire une inférence équivaut à un raisonnement par lequel une conclusion de fait est tirée en tant que conséquence logique d’autres faits établis par la preuve. Bien que certains affirment parfois que l’« appréciation » de la preuve se distingue du processus inférentiel, tirer des inférences à partir des faits primaires suppose généralement qu’un jugement est porté quant au poids ou à l’importance de la preuve. Quoi qu’il en soit, il est clair aujourd’hui que, quelle que soit la tâche à accomplir, les faits tels qu’ils ont été constatés sont assujettis à la même norme de contrôle.

[71]      Ainsi, la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Khosa soutient implicitement la règle énoncée dans l’arrêt Housen, qui exclut toute analyse du caractère raisonnable lors du contrôle du processus inférentiel. L’applicabilité de cette règle en est venue à être reconnue lors du contrôle des conclusions de fait des tribunaux administratifs en général. Vu sous cet angle, je conclus que, dans l’arrêt Jean Pierre, la Cour d’appel fédérale a réaffirmé que les principes énoncés dans l’arrêt Khosa devraient être appliqués comme la Cour suprême l’a prévu dans l’arrêt Housen.

[72]      Le dernier point que je tiens à soulever concerne la nomenclature. Une inférence de fait quant à la crédibilité est ce que la Cour appelle une conclusion relative à la vraisemblance. En toute déférence, il serait un peu plus approprié d’employer l’expression « conclusion d’invraisemblance », puisque l’inférence est utilisée pour nier un fait énoncé par un témoin. Cependant, il serait encore plus approprié de qualifier le fait contesté d’« improbable ». Cela refléterait mieux le niveau de preuve nécessaire pour tirer l’inférence permettant de rejeter l’exposé des faits contesté, qui est celui de la probabilité.

[73]      Pour clore la présente section, je pense que, dans une certaine mesure, pour les juges qui examinent les inférences, l’aspect le plus difficile, psychologiquement, dans l’acceptation des principes établis dans les arrêts Khosa et Housen par les limites relatives à la norme de la raisonnabilité lors de l’examen des faits, vient du fait que bien que la Commission soit censée tirer uniquement des inférences raisonnables, la norme de contrôle applicable pour des raisons de principe n’autorise une intervention que si la Commission a commis des erreurs de fait « tout à fait évidente[s] » (ou pour utiliser des expressions synonymiques, que « dans les cas les plus évidents » ou dans ceux où de telles inférences sont [traduction] « totalement déraisonnables »). Ces questions de principe sont abordées ci-dessous.

2)         La cour de révision n’est pas dans une aussi bonne position que la Commission pour tirer des inférences quant à la crédibilité, et un tribunal n’est pas non plus tenu de présenter un raisonnement clair pour étayer ses inférences

[74]      Le titre ci-dessus décrit deux concepts différents. Le premier porte sur la capacité et le pouvoir de la cour de révision de tirer la même inférence que la Commission des faits primaires. Les juges minoritaires dans l’arrêt Housen ont tenté de faire valoir ce point, que la majorité a finalement rejeté. Le principe selon lequel la Cour est souvent en aussi bonne situation que la Commission pour tirer une inférence est omniprésent dans toute la jurisprudence invoquée par les demandeurs dans leur mémoire initial, l’accent étant mis, plus particulièrement, sur les conclusions d’invraisemblance : Cao c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 819, au paragraphe 7; voir aussi Martinez Giron c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 7, aux paragraphes 17 à 19, citant Divsalar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 653, au paragraphe 22; Yada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7247, [1998] A.C.F. no 37 (QL) (1re inst.), au paragraphe 25. Je conclus que, compte tenu des arrêts Khosa et Housen (et maintenant de l’arrêt Jean Pierre), cette jurisprudence ne devrait pas s’appliquer; ces affaires empêchent les instances révisionnelles de procéder à l’analyse du caractère raisonnable d’une conclusion de fait.

[75]      Le deuxième principe qui pose problème est tiré de la décision Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 937 (Santos), aux paragraphes 14 à 16, que les demandeurs ont invoquée. Dans la décision Santos, la Cour a déclaré que « les conclusions d’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et un raisonnement clair à l’appui des déductions de la Commission et devraient faire état des éléments de preuve pertinents qui pourraient réfuter lesdites conclusions » (mon soulignement). Le dernier principe mentionné dans les motifs, qui consiste à faire état des éléments de preuve pertinents, n’est pas en cause. Pour ce qui est du reste, cette déclaration pose problème, à la lumière des arrêts Housen et Khosa. En ce qui concerne le « raisonnement clair » exigé, je comprends qu’il est question ici du « processus inférentiel » permettant d’établir le fait ampliatif à partir de la preuve primaire. Ce « raisonnement » se trouve également au cœur de ce qui permet de juger « invraisemblable » ou « vraisemblable » la déclaration d’un témoin.

[76]      Exiger un « raisonnement clair » donne lieu à une deuxième exigence selon laquelle la Commission doit présenter des motifs formulés en des « termes clairs et explicites » (mon soulignement) : Hilo c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1991] A.C.F. no 228 (QL) (C.A.), au paragraphe 6. Je remarque qu’il existe une différence entre une preuve claire (question de contenu) et des motifs clairs (question d’explication).

[77]      Sur un sujet quelque peu connexe touchant la phraséologie juridique appropriée, je ne suis au fait d’aucune règle de preuve qui exige qu’une conclusion de fait soit fondée sur une preuve claire, plutôt que sur une preuve convaincante ou ayant une valeur probante suffisante pour prouver le fait. La clarté de la preuve peut accroître sa valeur probante et ainsi influer sur l’incidence de cette dernière. Toutefois, je ne crois pas qu’il faille absolument que la preuve soit claire pour établir un fait. Dans la plupart des cas, peu de choses sont claires, du moins lors d’un procès où des éléments de preuve contradictoires sont présentés. Il arrive parfois qu’un juge de première instance choisisse de privilégier une version fondée sur une preuve assez ambiguë, qui repose essentiellement sur la logique et le contexte plutôt que sur les mots utilisés par le témoin.

[78]      Qu’il soit incorrect ou non d’affirmer que la preuve doit être claire, se fier à la « clarté » de cette dernière tend à augmenter la valeur probante qu’elle doit revêtir pour prouver un fait, encourageant ainsi l’intervention de l’instance révisionnelle. Étant donné que la discussion porte sur la norme de la prépondérance des probabilités, il est respectueusement suggéré que la Cour s’en tienne à l’utilisation des termes traditionnels en matière de preuve, comme « convaincant » ou « probant », pour éviter d’accroître la confusion entourant le processus déjà complexe lié à la détermination des faits à partir de la preuve. Inversement, des termes comme « clair » devraient être utilisés exclusivement pour décrire un concept renvoyant à une norme exceptionnelle, par exemple lorsque l’erreur doit être claire, manifeste et évidente pour qu’une conclusion de fait puisse être infirmée. Ces termes sont assez synonymes, en ce sens qu’ils suggèrent le plus haut degré qui doit être atteint, quelle que soit la norme qu’il convient de renforcer.

[79]      Deux questions se posent quant au caractère adéquat des motifs de la Commission en ce qui a trait à la clarté.

[80]      Premièrement, si la description du contenu du raisonnement tenu pour apprécier la preuve et en tirer une inférence est en cause (ce qui ne peut être assimilé à la notion de « clarté » ajoutant au contenu probant de la preuve), il n’y a tout simplement pas grand éléments dans ce processus, à mon humble avis, que le tribunal puisse décrire.

[81]      Deuxièmement, le fait d’exiger une explication pour le raisonnement ayant mené à une inférence n’est pas compatible avec les principes énoncés dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (l’arrêt Newfoundland Nurses), au paragraphe 12, selon lesquels « la cour de justice doit d’abord chercher à les compléter [les motifs] avant de tenter de les contrecarrer » [souligné dans l’original]. L’exemple concret donné dans l’arrêt Housen, où la Cour explique la différence entre établir la preuve primaire et tirer les inférences, va également à l’encontre de l’obligation de fournir une telle explication.

[82]      Une brève description des faits dans l’arrêt Housen est nécessaire pour comprendre ce point. Le demandeur, qui était en état d’ébriété, n’a pas réussi à prendre un virage sur une route imprévisible, sans aucune signalisation. Même si le demandeur roulait à une vitesse excessive, la juge de première instance a estimé que l’absence de signalisation présentait un risque pour les conducteurs, puisque rien ne les prévenait de ralentir avant d’entreprendre le virage. La municipalité jouissait d’une protection légale contre les réclamations pour négligence alléguant un manque de signalisation, à moins que le demandeur puisse démontrer que la municipalité connaissait le risque. La juge de première instance a déduit que la municipalité connaissait le danger. Le passage pertinent de la décision de première instance se trouve au paragraphe 64 de l’arrêt Housen, qui contient également l’explication de la Cour suprême par laquelle elle confirme l’inférence de la juge de première instance (non souligné dans l’original) :

  C’est à la lumière de ce contexte que nous interprétons les commentaires suivants de la juge de première instance (au par. 90) :

          [traduction] Si la M.R. [municipalité rurale] ne connaissait pas concrètement le danger intrinsèque que comporte cette portion du chemin Snake Hill, elle aurait dû le connaître. Le fait que quatre accidents se soient produits en 12 ans n’est peut-être pas significatif en soi, mais il le devient si l’on considère que trois de ces accidents sont survenus à proximité, qu’il s’agit d’une route à débit de circulation relativement faible, que des résidences permanentes sont situées en bordure de celle-ci et que le chemin est fréquenté par des conducteurs jeunes et peut-être moins expérimentés. Je ne suis pas convaincue que la M.R. a établi avoir, dans ces circonstances, pris des mesures raisonnables pour remédier au mauvais état du chemin Snake Hill.

Selon notre interprétation, la juge de première instance a voulu dire que, compte tenu des accidents antérieurs sur ce chemin à faible débit de circulation, de la présence de résidents permanents et du type de conducteurs qui empruntent le chemin, la municipalité n’a pas pris les mesures raisonnables qu’elle aurait dû prendre pour faire en sorte que le chemin Snake Hill ne comporte pas de danger comme celui en cause. À partir de ces éléments, la juge de première instance a inféré que la municipalité aurait dû être informée de la situation sur le chemin Snake Hill et aurait dû faire enquête à cet égard, ce qui lui aurait permis de prendre connaissance de l’existence du danger. Cette inférence factuelle, qui repose sur l’appréciation de la preuve faite par la juge de première instance, était selon nous fondée et loin de constituer l’erreur manifeste et dominante requise par la norme pertinente. [Non souligné dans l’original.]

[83]      La juge de première instance n’a pas décrit son raisonnement; elle a simplement exposé les faits primaires, qui pouvaient être utilisés pour en venir à déduire que la municipalité aurait dû être informée des conditions dangereuses de la route, l’obligeant ainsi à faire enquête à cet égard. Compte tenu du contenu sur lequel la  juge de première instance s’est appuyé pour tirer une inférence, il n’est pas clair quels autres renseignements elle aurait dû communiquer dans ses motifs pour démontrer qu’elle a suivi un « raisonnement clair » (c.-à-d. fournir une explication).

[84]      L’autre point est que la Cour suprême [dans Housen, paragraphe 64] a décrit le raisonnement (« a inféré que la municipalité aurait dû être informée de la situation ») permettant d’établir un lien entre la connaissance du danger qu’avait la municipalité et la conclusion de la juge de première instance selon laquelle la municipalité n’a pas agi raisonnablement. Dans l’arrêt Housen, la Cour a complété les motifs de la juge de première instance en avançant l’hypothèse (« [s]elon notre interprétation, la juge de première instance a voulu dire que ») selon laquelle « la municipalité n’a pas pris les mesures raisonnables qu’elle aurait dû prendre », sur la base des faits primaires invoqués par la juge pour justifier cette inférence de fait. Pourvu que la cour de révision ne réécrive pas la décision, mais fournisse plutôt l’explication rationnelle permettant d’associer les faits primaires au nouveau fait inféré, je comprendrai que les motifs donnés dans la décision faisant l’objet du contrôle sont jugés suffisants.

[85]      Plus particulièrement, je conclus, pour cette raison, que le fait de s’attarder sur ces exigences liées à la clarté de la preuve ou à l’explication du raisonnement suivi vise, en fait, à faire comprendre que les conclusions d’invraisemblance ne devraient généralement être tirées qu’avec prudence — que « [l]es conclusions relatives à l’invraisemblance sont toujours risquées » (mon soulignement) : Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 275, au paragraphe 74. Cela témoigne également d’une attitude interventionniste que la Cour peut adopter lorsqu’elle examine ce qu’elle considère être des conclusions d’invraisemblance. Dans l’ensemble, lorsqu’une telle approche interventionniste est adoptée par un juge siégeant en révision, l’attitude de ce dernier est le facteur qui permet le mieux de prédire comment le tribunal examinera un fait, lorsqu’il sera appelé à le faire.

[86]      Ce qui ressort clairement de la décision Valtchev et de la jurisprudence dans laquelle celle-ci est appliquée est ce que je décrirais comme une attitude irrespectueuse et interventionniste à l’égard des conclusions d’invraisemblance de la Commission — même s’il s’agit là d’inférences de fait que « certains éléments de preuve étayaient ». L’attitude appropriée serait de considérer qu’une conclusion de fait résultant de l’évaluation, y compris un fait inféré, ne doit être infirmée que dans des cas assez exceptionnels. Le juge devrait faire preuve de prudence et s’assurer qu’il ne se met pas, de façon déraisonnable et inadmissible, à la place du commissaire.

[87]      Si les conclusions relatives aux faits primaires ne sont pas contestées, il est raisonnable de se demander ce sur quoi la cour de révision doit alors se prononcer. Il peut subsister certaines erreurs de procédure. Les questions relatives à la pertinence des faits primaires, eu égard à un fait inféré donné, relèveraient de la compétence de la Cour, et la norme de la décision correcte s’appliquerait.

[88]      De même, il pourrait aussi être tout à fait évident que les faits primaires ne peuvent tout simplement pas étayer le fait inféré, puisqu’il s’agirait là d’une conclusion totalement déraisonnable. La norme en question ici n’exige pas une analyse du caractère raisonnable des conclusions de fait, mais la Cour se retrouve décontenancée lorsqu’elle constate pour la première fois que l’inférence va simplement au-delà de l’existence de tout lien raisonnable, de sorte que l’erreur est tout à fait évidente. Toutefois, pour parvenir à ce résultat, il doit être clair que l’inférence tirée n’était pas étayée par la preuve et qui plus est, il faut que, de l’avis de la Cour, cette inférence fût déraisonnable, plutôt que totalement déraisonnable. Cela mènerait à l’application d’une norme de contrôle qui ne serait pas suffisamment stricte et qui entraînerait, en fin de compte, une nouvelle appréciation de la preuve primaire jugée inadmissible.

C.        Les principes sous-jacents favorisent largement une approche non interventionniste plus stricte au lieu de la norme de la décision raisonnable en ce qui concerne le contrôle des conclusions de fait

[89]      Dans l’arrêt Housen, des considérations de principe expliquent la véritable raison qui justifie une approche non interventionniste, soit l’adoption d’une norme de contrôle des conclusions de fait plus stricte que l’analyse du caractère raisonnable. Les propos tenus par la Cour suprême concernant les principes pertinents se trouvent aux paragraphes 16 à 18 de l’arrêt Housen, qui sont chacun précédés d’un titre (non souligné dans l’original) :

  (1)          Réduire le nombre, la durée et le coût des appels [Souligné dans l’original.]

  Vu la rareté des ressources dont disposent les tribunaux, il faut encourager l’établissement de limites à la portée du contrôle judiciaire. La retenue à l’égard des conclusions de fait du juge de première instance sert cet objectif d’une manière rationnelle. D’importantes ressources sont allouées aux tribunaux de première instance aux fins d’évaluation des faits. Permettre un large contrôle des conclusions factuelles des juges de première instance entraîne une inutile répétition de procédures judiciaires, tout en n’améliorant que peu ou pas le résultat. En outre, de longs appels causent préjudice aux plaideurs moins bien nantis et compromettent l’objectif qui consiste à mettre à leur disposition des recours efficients et efficaces.

  (2)          Favoriser l’autonomie du procès et son intégrité [Souligné dans l’original.]

  L’organisation de notre système judiciaire repose sur la présomption que le juge de première instance est qualifié pour trancher l’affaire dont il est saisi et qu’une solution juste et équitable résultera du procès. Des appels fréquents et illimités affaibliraient cette présomption et saperait la confiance du public dans le processus judiciaire. L’appel est l’exception, non la règle.

  (3)          Reconnaître l’expertise du juge de première instance et sa position avantageuse [Souligné dans l’original].

  Le juge de première instance est celui qui est le mieux placé pour tirer des conclusions de fait, parce qu’il a l’occasion d’examiner la preuve en profondeur, d’entendre les témoignages de vive voix et de se familiariser avec l’affaire dans son ensemble. Étant donné que le rôle principal du juge de première instance est d’apprécier et de soupeser d’abondantes quantités d’éléments de preuve, son expertise dans ce domaine et sa connaissance intime du dossier doivent être respectées.

[90]      En général, les principes décrits dans l’arrêt Housen, qui appuient une approche non interventionniste lors du contrôle des conclusions de fait, parlent d’eux-mêmes. De la même façon, ces raisons de principe s’appliquent au contrôle des conclusions de fait des tribunaux administratifs quasi judiciaires chargés d’établir la vérité, y compris la SPR.

[91]      Toutefois, il est possible de soutenir que lors du contrôle des conclusions de fait de la Commission, il est encore plus facile qu’en première instance de démontrer l’efficacité d’une approche non interventionniste pour « [r]éduire le nombre, la durée et le coût des appels ». En fait, le titre de la première raison de principe ne reflète pas vraiment la véritable nature du problème dans les affaires d’immigration. Le problème que pose un contrôle interventionniste dans ce type d’affaires vient en grande partie du fait qu’un tel contrôle mine le régime des réfugiés proprement dit. De plus, ce régime est problématique, dans la mesure où de nombreuses dispositions de la LIPR, qui prévoient d’autres façons d’obtenir la résidence permanente, sont grandement mises à profit, compte tenu des délais fâcheux qu’entraînent les recours en révision judiciaire, qui à leur tour empêchent le renvoi des demandeurs d’asile déboutés.

[92]      Les demandes de résidence permanente distinctes ou subsidiaires comprennent l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) (qui repose sur le même critère que celui appliqué à l’audience devant la SPR, en fonction des nouveaux éléments de preuve) ou les demandes visant l’exemption de certaines exigences de la LIPR ou de son règlement, qui doivent être remplies pour obtenir la résidence permanente au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire, lorsqu’un changement dans la situation personnelle du demandeur est allégué pendant que ce dernier vit au Canada ou du fait de son séjour ici. Cela inclut, notamment, les allégations liées aux difficultés qu’il subirait en cas de renvoi (ce qui peut comprendre l’examen de la discrimination et des conditions dans le pays, qui porte parfois sur les mêmes éléments de preuve quant aux risques que ceux examinés dans le cadre des demandes d’asile, comme les préjudices moins graves contribuant à la persécution, c.-à-d. la discrimination et la conduite intimidante), le mariage au Canada, l’intérêt supérieur des enfants directement touchés, l’établissement au Canada depuis le rejet de la demande d’asile et les nouveaux problèmes de santé. Bon nombre de ces changements tendent à survenir pendant que le demandeur d’asile débouté vit au Canada.

[93]      Autrement dit, la résidence permanente peut être obtenue à la suite d’une demande d’asile, s’il est fait droit à l’une ou l’autre des nombreuses demandes instruites par les différents décideurs investis de pouvoirs en vertu de la LIPR (c.-à-d. les formations de la SPR ou de la SAR, les agents d’ERAR ou ceux chargés de l’examen des motifs d’ordre humanitaire). Les demandes instruites par les deux premiers types de décideurs renvoient aux mêmes critères de risque, tandis que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire repose sur les critères liés aux difficultés subies, qui n’incluent pas les facteurs de risque (voir le paragraphe 25(1.3) de la LIPR). De plus, juste avant le renvoi, le demandeur d’asile débouté peut demander le contrôle judiciaire de la décision de l’agent d’exécution, qui a refusé de surseoir au renvoi (voir l’article 48 de la LIPR). Chaque fois qu’une de ces demandes de contrôle judiciaire est accueillie, l’affaire est renvoyée devant un autre agent pour réexamen, et la décision de ce dernier peut, là encore, faire l’objet d’un contrôle judiciaire, et ainsi de suite. La multiplicité des procédures pouvant faire l’objet d’un contrôle judiciaire constitue l’élément le plus faible du régime des réfugiés : plus un demandeur d’asile demeure longtemps au Canada, plus il a de chances d’obtenir la résidence permanente en faisant appel à ces autres procédures.

[94]      Le législateur a tenté de corriger ce problème en établissant, en 2012, des interdictions d’un an et de trois ans, aux termes des alinéas 25(1.2)c) et 112(2)b.1) de la LIPR, dans le contexte des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire et des demandes d’ERAR, respectivement. La durée de prescription des interdictions dépendait à l’origine des facteurs de risque ou de préjudice perçus, selon les conditions propres à chaque pays. L’interdiction de trois ans a été jugée insuffisante par la présente Cour, bien que des questions aient récemment été certifiées aux fins d’examen par la Cour d’appel [fédérale] : Feher c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 335. Ces interdictions visent à empêcher le recours aux demandes d’ERAR ou à celles fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, si un délai insuffisant s’est écoulé depuis qu’une décision défavorable a été rendue par la SPR ou la SAR, ne laissant que la décision de l’agent d’exécution comme motif possible pour demander un contrôle judiciaire supplémentaire afin d’empêcher le renvoi dans leur pays d’origine des demandeurs d’asile déboutés.

[95]      Si le délai d’interdiction d’un an est écoulé, les demandeurs d’asile déboutés peuvent alors avoir recours aux demandes d’ERAR et à celles fondées sur des motifs d’ordre humanitaire, ainsi qu’au contrôle judiciaire de ces demandes. Ces procédures peuvent être répétées par la suite, selon l’ampleur des délais avant renvoi occasionnés par ces demandes, toujours sous réserve d’une dernière contestation possible de la décision de l’agent d’exécution de refuser de surseoir au renvoi. Là encore, les délais occasionnés peuvent avoir des répercussions dans l’ensemble du système, augmentant ainsi l’arriéré et, de ce fait, les retards enregistrés, au point que le système s’en trouve surchargé.

[96]      Dans cette gamme de décisions soumises aux procédures de contrôle judiciaire, le renvoi rapide et efficace des demandeurs d’asile déboutés dépend avant tout de la demande d’autorisation du contrôle judiciaire de la décision initiale de la SPR ou de la SAR. Si la Cour fait droit à la demande d’autorisation, le délai d’interdiction d’un an applicable aux demandes de résidence permanente subsidiaires s’écoule, le temps que la Commission procède au réexamen, lequel peut faire l’objet d’un autre contrôle judiciaire.

[97]      Étant donné que les décisions de la SPR et de la SAR sont principalement liées à des conclusions de fait tirées au titre de l’alinéa 170h) de la LIPR, selon lequel le décideur « peut recevoir les éléments qu’[il] juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision », la norme de contrôle des faits de la Cour tend à être la question pivot. Cette norme de contrôle a une incidence directe sur la rapidité relative avec laquelle les autorités procéderont au renvoi des demandeurs d’asile déboutés (à moins que l’arriéré accumulé ne soit trop important, cela peut prendre un ou deux ans avant d’amorcer le processus de renvoi, au lieu de plusieurs années dans les cas où les décisions subsidiaires, qui peuvent permettre d’obtenir le statut de résident permanent, font l’objet d’un contrôle judiciaire). Cela dit, je ne crois pas que des statistiques aient été recueillies et consignées pour aider à comprendre l’étendue de ces questions et leur incidence sur le régime dans son ensemble, ou du moins que de telles statistiques aient été publiées, si elles existent, ce qui devrait être le cas afin d’assurer la transparence.

[98]      À la lumière de ces questions, la norme de contrôle des faits est une question de principe importante. Dans la mesure où l’erreur doit être tout à fait évidente sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’analyse du caractère raisonnable des décisions faisant l’objet d’un contrôle judiciaire, cette erreur serait également observable à l’étape de l’autorisation. Dans le même ordre d’idées, les autres questions examinées ci-dessous, à savoir limiter raisonnablement l’application de la règle énoncée dans l’arrêt Maldonado concernant l’incidence des déclarations sous serment des demandeurs d’asile et éliminer la règle énoncée dans la décision Valtchev afin de rendre le processus inférentiel lié aux questions de crédibilité de nouveau conforme aux principes standards, permettraient également de réduire le nombre de cas où les demandes d’autorisation n’auraient pas dû être accueillies. Inversement, si une analyse du caractère raisonnable, qui repose uniquement sur une quelconque assertion voulant que la déférence s’impose, constitue la norme applicable au contrôle des faits tirés de l’évaluation, la demande d’autorisation sera plus facile à présenter, simplement parce qu’aucune démarcation très nette n’a été établie à un niveau non interventionniste. L’adoption d’une norme à l’égard des faits tirés de l’évaluation exigeant que l’erreur soit « tout à fait évident[e] » aura également pour avantage d’assurer l’uniformité du processus d’autorisation, en ce sens que chaque demandeur sera jugé selon la même norme non équivoque.

[99]      Toutes ces questions découlent de la crainte de miner le principe de la primauté du droit, si les politiques et les règles mises en place pour permettre la tenue d’audiences équitables et efficaces et le renvoi rapide des demandeurs d’asile déboutés ne sont pas appliquées. La plus grande menace qui pèse sur notre système d’immigration et de protection des réfugiés est le fait que les processus de détermination du statut de réfugié efficaces et efficients employés pour rendre des décisions sont peu utiles, dans la mesure où ils ne peuvent pas être exécutés en temps opportun. En plus d’augmenter les coûts et les délais, ils offrent aux demandeurs d’asile une façon détournée d’obtenir le statut de résident permanent par d’autres moyens. Dans la mesure où cette situation se produit, cela encourage les demandeurs d’asile qui cherchent à améliorer leur sort à déposer un plus grand nombre encore de demandes non fondées. Cet effet d’enchaînement nuit à l’ensemble du système d’immigration et de protection des réfugiés, puisqu’il entraîne l’augmentation des coûts et de l’arriéré des décisions, mettant ainsi en péril le système et le soutien offert à l’égard des demandes d’asile légitimes.

[100]   En général, les Canadiens raisonnables et empathiques appuient fermement nos politiques en matière d’immigration et de protection des réfugiés, qui ont été grandement profitables pour notre pays. Personne ne propose de les modifier radicalement ou de réduire le nombre d’étrangers, y compris de réfugiés, qui entrent au Canada. Il est toutefois essentiel que ces politiques soient appliquées comme le législateur l’a prévu.

D.        Conclusion concernant les principes qui s’appliquent à la norme de contrôle et aux règles de preuve connexes relativement aux conclusions d’invraisemblance tirées quant à la crédibilité et aux présomptions de véracité à l’égard des déclarations sous serment

[101]   Étant donné que les principes énoncés dans l’arrêt Housen s’appliquent à la norme de contrôle des décisions de la Commission, leur application peut se résumer comme suit :

1.         S’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, déterminer si le principe juridique est isolable et, dans l’affirmative, si la question constitue l’erreur examinée et si elle devrait être révisée selon la norme de la décision correcte, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. Si le principe juridique n’est pas isolable, la question mixte sera examinée en tant que conclusion de fait, à l’instar des inférences de fait et des conclusions de fait directes;

2.         Définir la nature des erreurs alléguées dans la recherche des faits. S’il s’agit d’une erreur de procédure, celle-ci doit être examinée selon la norme de la décision correcte;

3.         S’il s’agit d’une erreur d’évaluation dans la recherche des faits, la norme de la décision raisonnable devrait être adoptée, en faisant preuve de la plus grande déférence possible à l’égard de la conclusion de fait, de sorte qu’une analyse du caractère raisonnable est exclue, car la conclusion n’a besoin d’être étayée que par quelques éléments de preuve seulement. Autrement, une intervention n’est permise que si l’erreur est tout à fait évidente ou qu’elle a été commise dans les cas les plus évidents (c.-à-d. une erreur manifeste);

4.         En ce qui concerne le processus inférentiel, en supposant que les éléments de preuve et les conclusions de fait primaires ne sont pas contestés, la Cour aura de la difficulté à intervenir si aucune erreur de procédure n’a été constatée ou si l’erreur relevée dans le processus inférentiel a été commise dans les cas les plus évidents (c.-à-d. une erreur manifeste);

5.         Il n’est pas permis de procéder à l’analyse du caractère raisonnable du processus inférentiel, puisque cette analyse requiert l’appréciation et l’évaluation de la preuve primaire. De plus, le raisonnement qui sous-tend l’inférence est suffisamment décrit, si la preuve et les faits primaires sont présentés et peuvent être considérés comme étayant le fait inféré, à moins que l’erreur n’ait été commise dans les cas les plus évidents (c.-à-d. une erreur manifeste);

6.         Une fois que la Cour a terminé son examen des conclusions de fait de la Commission, elle peut alors chercher à mesurer l’incidence de ses conclusions factuelles sur la décision afin de déterminer si cette dernière fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et si elle est justifiée par des motifs transparents et intelligibles.

VI.       La Commission n’a pas la capacité de tirer des conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité que dans les cas les plus évidents

A.        Introduction

[102]   Dans la décision Valtchev rendue en 2001, la Cour a déclaré, comme si elle énonçait une règle, que, en ce qui concerne les questions de crédibilité, le tribunal ne peut « conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents » (au paragraphe 7). Par ce libellé, la Cour exige que la Commission tire des inférences défavorables, en respectant un seuil de valeur probante supérieur à celui de la probabilité ou de la vraisemblance.

[103]   Depuis que cette règle a été énoncée pour la première fois dans la décision Valtchev, de nombreuses décisions de la Cour fédérale en ont fait mention (elle a été citée dans 255 dossiers portés devant la Cour fédérale, selon LexisNexis). De plus, cette règle est constamment citée dans les mémoires préparés à l’appui des demandes d’autorisation, comme c’est le cas en l’espèce. Plus important encore, la Cour fédérale tend à recommander la prudence à l’égard des conclusions tirées quant à la vraisemblance et adopte généralement l’attitude méfiante préconisée dans la décision Valtchev à l’égard de telles conclusions.

[104]   À première vue, la règle énoncée dans la décision Valtchev ne semble se rapporter qu’à la valeur probante de la preuve requise pour formuler une conclusion concernant la vraisemblance. Toutefois, il est plus difficile de reconnaître que cette règle influe également sur la norme de contrôle applicable à l’égard de telles conclusions, puisqu’elle accroît la valeur probante de la preuve requise pour tirer ces dernières. Si la Cour adopte les principes énoncés dans l’arrêt Housen, en mettant l’accent sur une approche non interventionniste à l’égard des conclusions de fait, cela devrait mettre un terme à toute nouvelle référence à la règle énoncée dans la décision Valtchev. À tout le moins, cette règle va à l’encontre des principes de l’arrêt Housen, dans la mesure où la Cour a appliqué une règle « tout à fait évident[e] », non pas comme une limitation à son propre pouvoir d’intervenir à l’égard des inférences de fait de la Commission, mais plutôt comme une limite au pouvoir de la Commission de tirer de telles inférences. Autrement dit, la règle énoncée dans la décision Valtchev fait obstacle à l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission de tirer des inférences de fait.

B.        Exposé de la règle énoncée dans la décision Valtchev

[105]   La règle énoncée dans la décision Valtchev [au paragraphe 7], y compris le contexte qui s’y rattache, est formulée en ces termes (non souligné dans l’original) :

  Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [voir L. Waldman, Immigration Law and Practice (Markham, ON, Butterworths, 1992) à la page 8.22].

[106]   Cet extrait est tiré mot pour mot de l’ouvrage de M. Waldman, auquel la Cour fait référence dans ce passage. Le cabinet de M. Waldman représente les demandeurs, et ce dernier a présenté des observations en leur nom en réponse à ma directive.

[107]   Dans l’arrêt Valtchev, le terme « vraisemblance » est utilisé pour décrire une conclusion défavorable quant à la crédibilité. L’expression « conclusion d’invraisemblance » y est également utilisée et, comme il a été expliqué plus haut, elle est peut-être plus appropriée. Une conclusion d’invraisemblance est simplement une inférence factuelle utilisée pour réfuter une assertion faite par un témoin donné à l’égard d’un fait, laquelle est jugée invraisemblable et peut servir à attaquer la crédibilité du témoin ou du demandeur d’asile. Si une analyse du caractère raisonnable était effectuée, le terme le plus approprié serait alors « conclusion d’improbabilité » afin de refléter un seuil de probabilité, dans la mesure où le terme servirait à limiter le pouvoir de la Commission de tirer des inférences de fait. La formulation appropriée, à mon avis, serait de dire que l’inférence est simplement ou manifestement une supposition.

C.        Interprétation de l’expression « que dans les cas les plus évidents »

[108]   À mon avis, l’expression « les cas les plus évidents », bien que tendant à l’hyperbole, est similaire à la formulation « tout à fait évidente », qui revêt la même signification que le terme « clair et manifeste ». En effet, il est raisonnable de conclure qu’un certain nombre d’expressions revêtent relativement la même signification que l’expression « tout à fait évident[e] » utilisée dans l’arrêt Housen : « une erreur des plus manifestes » (Njeri), [traduction] « totalement déraisonnable » (ouvrage de Paciocco), « est clairement, évidemment tel » [Housen], « évident » et encore « les cas les plus évidents » dans la décision Valtchev.

[109]   La formulation « que dans les cas les plus évidents » renvoie, quant à elle, à la clarté de l’« affaire », peu importe ce sur quoi porte cette dernière. Dans la décision Njeri, l’affaire concernait la mesure dans laquelle une erreur doit être claire pour que la Cour puisse intervenir à l’égard d’une conclusion de fait de la Commission. Dans la décision Valtchev, la Cour a examiné la clarté de la preuve afin de déterminer la valeur probante qui devait lui être accordée pour étayer l’inférence d’invraisemblance tirée par la Commission.

[110]   Le mot « que » (dans le sens de « seulement ») dénote la singularité de la situation. Le terme « évident », comme indiqué, tend déjà à élever la norme à un niveau qui correspond à celui du terme « manifeste » ou qui s’en rapproche. Le superlatif « les plus » représente évidemment le plus haut degré de clarté : (selon le Dictionnaire Larousse en ligne, s’entend du « degré extrême, le plus grand possible »). La référence aux « cas » sert à établir et à préciser le seuil que le cas à l’étude doit atteindre, parmi tous les cas, afin de se distinguer de ceux-ci et d’être jugé clairement exceptionnel.

[111]   L’expression « les cas les plus évidents » revêt, de façon générale en droit, cette signification bien établie. À l’heure actuelle, l’application LexisNexis indique que cette expression a été utilisée dans pas moins de 6 923 cas. La Cour suprême a reconnu que cette dernière fixe un seuil plus élevé que celui de la simple probabilité. Par exemple, dans l’arrêt R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, la Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 69 (non souligné dans l’original) :

  Le paragraphe 24(1) autorise, de toute évidence, des réparations moins draconiennes qu’un arrêt des procédures lorsque le test « des cas les plus manifestes » n’est pas satisfait, mais que l’on établit, selon la balance des probabilités, qu’il y a eu violation de l’art. 7. À cet égard, le régime de la Charte est plus souple que la doctrine de l’abus de procédure en common law.

[112]   La Cour continue d’employer constamment cette expression lorsqu’elle examine les conclusions de la Commission quant à la vraisemblance. Par exemple, dans la décision récente Miclescu c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 166 (Miclescu), la Cour s’est fondée sur cette expression pour exiger une valeur probante plus élevée afin de prouver une conclusion de vraisemblance, au paragraphe 19 (non souligné dans l’original)  :

  En ce qui concerne les agents de police que la demanderesse n’a pas été en mesure de nommer, la commissaire n’était pas convaincue que cela était plausible, étant donné que les demandeurs vivaient dans une petite ville, il fallait s’attendre à ce que les demandeurs se renseignent sur l’identité des policiers. Il s’agit essentiellement d’une conclusion d’invraisemblance, qui ne devrait être tirée que dans les cas les plus clairs : Valtchev c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2001 CFPI 776, au paragraphe 7. Une telle conclusion, fondée sur la petite taille de la ville, n’est pas suffisamment claire, surtout si l’on tient compte du fait que les demandeurs font partie d’une minorité qui est ostracisée dans de nombreux aspects de la société roumaine et qui, par conséquent, pourrait ne pas vouloir être en contact avec la police locale.

[113]   La décision Miclescu n’est qu’un des nombreux exemples de l’utilisation de l’expression « les cas les plus évidents » comme mesure pour imposer une valeur probante plus élevée afin de prouver un fait. Cependant, l’affaire Miclescu n’est pas un cas hors du commun; elle démontre simplement la façon logique d’appliquer la règle énoncée dans la décision Valtchev. Ce raisonnement donne lieu à une approche interventionniste, qui contrevient à la règle relative à la norme de contrôle applicable aux inférences de fait, énoncée dans l’arrêt Housen. Par ce raisonnement, la Cour procède essentiellement à une nouvelle appréciation de la preuve primaire et tire ses propres inférences. Cependant, il a été établi dans l’arrêt Housen que si les faits primaires ne sont pas contestés, il sera « difficile » à la Cour d’intervenir.

[114]   En toute déférence, la décision Valtchev témoigne d’une grande méfiance à l’égard des conclusions d’invraisemblance, ce qui est démontré par la déclaration selon laquelle de telles conclusions ne devraient être tirées que (seulement) dans des circonstances clairement exceptionnelles (les cas les plus évidents). En utilisant cette expression, la Cour a imposé à la Commission une norme de preuve plus élevée pour formuler une conclusion défavorable quant à la crédibilité sur la base d’invraisemblances. La règle énoncée dans l’arrêt Valtchev invite clairement la Cour à intervenir chaque fois que cette norme de preuve exceptionnellement élevée n’est pas respectée. Il s’agit exactement là de la façon dont cette règle a été appliquée par la Cour depuis lors, en dépit des règles énoncées subséquemment dans les arrêts Housen et Khosa.

D.        Les observations des parties en réponse à la directive de la Cour

[115]   Les demandeurs soutiennent que la règle énoncée dans la décision Valtchev doit être examinée dans son contexte pour en comprendre le sens. Je suis respectueusement en désaccord, dans la mesure où la règle est habituellement citée comme étant catégorique, sans contexte ni explication à l’appui. Bien que j’analyse ci-dessous le contexte entourant cette règle, l’observation des demandeurs doit être rejetée, car la règle énoncée dans la décision Valtchev doit être examinée de la manière dont elle est citée le plus souvent, soit comme dans la décision Miclescu mentionnée ci-dessus.

[116]   En réponse à la directive de la Cour, le défendeur soutient que l’expression « les cas les plus évidents » n’établit pas un niveau de preuve plus élevé. Quoi qu’il en soit, les observations du défendeur sont ambiguës quant à la signification de cette expression. Cette ambiguïté entourant l’expression « les cas les plus évidents » appuie assurément la conclusion selon laquelle il conviendrait, à tout le moins, d’en cesser l’utilisation, compte tenu de la confusion qu’elle sème. Les diverses déclarations du défendeur quant à l’ambiguïté de l’expression sont rédigées en ces termes (non souligné dans l’original) :

[traduction] Toutefois, en l’espèce, le défendeur soutient que la décision Valtchev peut être interprétée de différentes façons par la Cour. Il n’est pas clairement établi dans la décision Valtchev que « la valeur probante de la preuve requise pour prouver les conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité dépasse celle de la probabilité ».

[…]

Le défendeur soutient que l’examen de la décision Valtchev ne permet pas de conclure explicitement qu’il incombe à la Commission de prouver le manque de crédibilité au moyen d’une preuve dont la valeur probante est supérieure à celle de la probabilité. Attribuer cette signification en se référant simplement à l’expression « les cas les plus évidents » exige un trop haut niveau d’inférence.

Le défendeur soutient que l’expression « les cas les plus évidents » dans la décision Valtchev est telle qu’elle peut sembler être une hyperbole ou une exagération pour faire valoir son argument. En fait, dans la décision Valtchev proprement dite, le juge Muldoon explique [...] [Il analyse les observations contextuelles auxquelles font référence les demandeurs et que j’examine ci-dessous.]

Il est évident que la décision Valtchev a été interprétée de différentes façons, mais qu’elle n’a pas été catégoriquement appliquée comme imposant un niveau de preuve plus élevé à la SPR pour prouver le caractère invraisemblable de la preuve du demandeur.

[117]   Je suis respectueusement en désaccord avec le refus du ministre d’accepter le sens usuel ordinaire de l’expression « les cas les plus évidents », mais le ministre reconnaît toutefois que des conséquences très graves découlent de la conclusion voulant que l’expression établisse une norme plus élevée en ce qui a trait à la valeur probante requise pour tirer une inférence. Cela a une incidence, notamment, sur la norme de contrôle applicable et fait obstacle à l’exercice du pouvoir légal de la Commission de tirer des conclusions de fait, en vertu de l’alinéa 170h) de la LIPR. Les commentaires du ministre sur ce point sont rédigés comme suit (non souligné dans l’original) :

[traduction] Le défendeur soutient que si la décision Valtchev était appliquée catégoriquement, de manière à exiger de la SPR qu’elle fournisse une preuve du caractère invraisemblable allant au-delà de la simple probabilité, cela pourrait être considéré comme une entrave à l’exercice du vaste pouvoir discrétionnaire conféré à la SPR par le législateur pour démontrer la crédibilité et la véracité des demandes d’asile, conformément à l’alinéa 170h) de la LIPR.

Quoi qu’il en soit, compte tenu du contexte hypothétique, le défendeur soutient que si une norme plus élevée que celle de la probabilité était imposée à la SPR en ce qui concerne la valeur probante de la preuve requise pour tirer des conclusions d’invraisemblance, cela pourrait bien mener à l’adoption d’une approche moins déférente et plus interventionniste et avoir une incidence sur la norme de contrôle. [Je souscris à cette prétention.]

E.   L’exposé raisonné du contexte n’appuie pas la conclusion selon laquelle la règle énoncée dans la décision Valtchev n’avait pas pour but d’imposer un niveau de preuve plus élevé pour établir un fait

[118]   Les demandeurs et le défendeur conviennent que la déclaration faite dans la décision Valtchev n’avait pas pour but de modifier la valeur probante requise pour tirer une conclusion d’invraisemblance. Ils soutiennent plutôt que les deux exemples de conclusions tirées quant à la vraisemblance que la Cour a fournis dans la décision Valtchev montrent l’interprétation à donner à l’expression « les cas les plus évidents ». À ce titre, les demandeurs ont formulé les observations suivantes (non souligné dans l’original) :

[traduction] Le demandeur est également d’accord avec le défendeur pour dire que la décision Valtchev ne modifie pas le fardeau de la preuve. Il est plutôt reconnu dans la décision Valtchev qu’il existe un processus de réflexion distinct applicable aux conclusions relatives à la vraisemblance, et que ces conclusions ne peuvent être valables que s’il était raisonnablement loisible au tribunal de tirer de telles inférences, soit parce que la preuve déborde le cadre de ce à quoi il était logique de s’attendre ou parce que la preuve est incompatible avec le dossier documentaire.

[…]

Dans certains cas, les inférences sont fondées sur la logique — une allégation selon laquelle une personne a été capable de courir un kilomètre en cinq minutes peut être invraisemblable, si la personne qui formule cette allégation a de graves problèmes de santé qui rendent cette affirmation déraisonnable. Dans d’autres cas, une telle affirmation peut être invraisemblable puisqu’elle est contredite par la preuve documentaire.

[119]   En toute déférence, je ne souscris pas à ces observations.

1)         « ne pouvaient pas se produire »

[120]   Je commence par le deuxième exemple, puisqu’il s’agit du plus clair des deux. Il illustre parfaitement le fait que les cas les plus évidents permettant de tirer une conclusion acceptable quant à la vraisemblance exigeraient une preuve d’un niveau bien supérieur à celui de la simple probabilité. Les demandeurs ont reformulé le critère énoncé dans la décision Valtchev, ce qui n’aide pas la Cour dans cette analyse. Je donne de nouveau l’exemple cité dans la décision Valtchev, selon lequel le tribunal ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, et juste après, je fournis la version qui se trouve dans le mémoire des demandeurs, ainsi que l’autre exemple offert (non souligné dans l’original) :

Valtchev : [...] si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend.

Demandeurs : [traduction] [...] parce que la preuve est incompatible avec le dossier documentaire/une telle affirmation peut être invraisemblable puisqu’elle est contredite par la preuve documentaire.

[121]   La différence entre l’exemple tiré de la décision Valtchev et celui donné par les demandeurs est importante. Dans la décision Valtchev, l’expression « ne pouvaient pas » a le sens d’« impossible ». Par conséquent, la Commission ne peut tirer une conclusion d’invraisemblance que lorsqu’il est impossible que les événements se soient produits de la manière alléguée. Cet exemple démontre l’impossibilité d’appuyer la règle et constitue assurément une conclusion d’invraisemblance, qui ne pouvait être tirée que dans les cas les plus évidents, où les événements n’avaient pas pu se produire. Il s’agit habituellement là d’une erreur flagrante dans l’interprétation de la preuve. Cet exemple appuie pleinement un niveau d’invraisemblance largement supérieur à la norme de la probabilité.

[122]   Dans la version fournie par les demandeurs, il n’est plus question de déclarations de fait impossibles, mais simplement de déclarations qui sont incompatibles avec d’autres éléments de preuve. En toute déférence, cet exemple ne fait pas état d’une inférence d’invraisemblance, mais plutôt d’une conclusion directe quant à l’incohérence d’un témoignage. Il s’agit ici d’une erreur de procédure à l’égard des faits primaires, si la contradiction n’est pas prise en considération, et non d’une question liée à l’évaluation de la preuve, cette dernière situation devant demeurer inchangée, selon les arrêts Khosa et Housen.

2)         « débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre » [Valtchev, au paragraphe 7]

 

[123]   L’autre exemple tiré de la décision Valtchev à l’appui d’une conclusion d’invraisemblance acceptable dans les cas les plus évidents est présenté ici, ainsi que l’exemple connexe cité dans le mémoire des demandeurs (non souligné dans l’original) :

Valtchev : [...] les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre [...]

Demandeurs : [traduction] la preuve déborde le cadre de ce à quoi il était logique de s’attendre/une allégation selon laquelle une personne a été capable de courir un kilomètre en cinq minutes peut être invraisemblable, si la personne qui formule cette allégation a de graves problèmes de santé qui rendent cette affirmation déraisonnable.

[124]   L’exemple donné dans la décision Valtchev est quelque peu ambigu. Cela s’apparente beaucoup à la norme de contrôle de la décision raisonnable énoncée dans l’arrêt Dunsmuir quant aux issues possibles acceptables, qui vise à montrer une grande déférence pour le tribunal. Cependant, la règle énoncée dans l’arrêt Dunsmuir a trait à la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission (« issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit », Dunsmuir, au paragraphe 47), qui est plutôt appliquée, en l’espèce, sous forme d’exigence à l’égard d’une conclusion de fait de la Commission (c.-à-d. une nouvelle appréciation de la preuve jugée inadmissible, voir Khosa, aux paragraphes 45 et 46 et 59 à 67).

[125]   L’exemple des demandeurs quant à la capacité de courir d’une personne dans certaines circonstances montre également que la valeur probante requise de la preuve dépasse largement celle de la probabilité. Sur une échelle de probabilité variant de 51 à 100 p. 100, le concept d’une personne souffrant d’un grave problème de santé, qui parcourt en 5 minutes une distance d’un kilomètre, est un facteur de probabilité se situant entre 80 et 90 p. 100. Cet exemple présente une norme très élevée, qui est largement supérieure à celle de la probabilité qu’une conclusion ne soit « que dans les cas les plus évidents ».

F.         Le fait que la Commission instruise des affaires concernant des réfugiés de diverses cultures ne permet pas de rendre rationnelle la règle énoncée dans la décision Valtchev

[126]   Le dernier point que j’aborde est le raisonnement qui sous-tend la règle énoncée dans la décision Valtchev selon laquelle une norme plus élevée est requise pour tirer une conclusion d’invraisemblance, étant donné que les demandeurs d’asile proviennent de cultures diverses. Encore une fois, je cite un extrait de la décision [au paragraphe 7] (non souligné dans l’original) :

[…] Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur [...]

[127]   L’argument des demandeurs, tel qu’il a manifestement été adopté par la Cour dans la décision Valtchev, est essentiellement que la Commission ne réalise pas que des déclarations invraisemblables peuvent être plausibles, si elles sont examinées en fonction du cadre culturel du demandeur d’asile. Si cette déclaration n’était qu’une réprimande faite par la Cour aux commissaires pour leur rappeler de faire leur travail, elle pourrait être ignorée comme étant tout simplement condescendante. Cependant, comme cette remarque est maintenant le fondement de la règle énoncée dans la décision Valtchev, elle a pris un autre sens. En ce qui concerne les faits dans la décision Valtchev, l’origine ethnique rom du demandeur d’asile posait problème. Cela dit, rien ne semble indiquer que la Commission n’a pas compris le témoignage livré, à la différence du juge qui exprime son désaccord avec les conclusions. En effet, la Cour a analysé un grand nombre d’éléments, sur quelque 52 paragraphes de motifs, où elle explique son désaccord avec les conclusions de la Commission, point par point (soit aux paragraphes 6 à 47). Par conséquent, les facteurs culturels ne semblent pas réellement être directement en cause dans la décision Valtchev, même si la Cour a estimé que les conclusions de la Commission quant à la vraisemblance justifiaient une intervention.

[128]   Le raisonnement semble être que, parce que des facteurs culturels peuvent avoir une incidence sur le témoignage des demandeurs d’asile, il est nécessaire de limiter catégoriquement le pouvoir de la Commission de tirer des conclusions d’invraisemblance, à moins qu’elle ne le fasse dans les cas les plus évidents. En toute déférence, il n’est pas logique d’invoquer la diversité culturelle pour justifier une déclaration d’une portée excessive précisant que le tribunal ne peut conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents. De même, il est illogique de formuler une règle catégorique qui dicte à la Commission comment tirer des conclusions quant à la vraisemblance, en se fondant sur une circonstance de fait assez rare par rapport au très grand nombre de situations factuelles différentes présentées à la Commission lors des audiences concernant la demande d’asile.

[129]   Si des considérations d’ordre culturel sont invoquées, elles devraient être évaluées au cas par cas, comme un aspect de la valeur probante accordée à la preuve pour appuyer une conclusion d’invraisemblance. Dans la plupart des cas, l’argumentation reposerait sur une erreur de procédure. L’argument invoqué serait que l’attention de la Commission a été attirée sur un aspect culturel particulier touchant le témoignage du demandeur d’asile, dont la Commission n’a pas tenu compte malgré le fait qu’il était manifestement pertinent.

G.        L’augmentation du fardeau de présentation à l’égard des conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité a une incidence défavorable sur la norme de contrôle des faits en cause

[130]   Le défendeur reconnaît qu’augmenter le fardeau de la preuve à l’égard des conclusions d’invraisemblance abaisse la norme de contrôle applicable aux faits en cause, en plus d’entraver la Commission dans l’exercice de son pouvoir de tirer des conclusions de fait, en vertu de l’alinéa 170h) de la LIPR. Cela revient à exiger que l’erreur de la Commission soit moins évidente. Cela permet, en retour, à la Cour d’intervenir davantage à l’égard d’un fait qui ne doit être prouvé que dans une probabilité de 51 p. 100, qu’à l’égard d’une erreur plus évidente dans une conclusion de fait, qui ne doit être tirée que dans les cas les plus évidents, si cette erreur doit être prouvée avec un degré de probabilité plus élevé, variant entre 70 et 80 p. 100, en se fondant sur la preuve.

[131]   Selon la règle énoncée dans la décision Valtchev, la Cour applique la norme de contrôle la moins déférente possible, alors qu’elle est tenue d’afficher le plus haut degré de déférence à l’égard des conclusions de fait. La bonne approche serait que les deux normes soient appliquées concomitamment, de sorte que le fait ne soit établi que selon un seuil de probabilité, qui ne peut être invalidé que dans les cas les plus évidents. Les règles énoncées dans la décision Valtchev et l’arrêt Housen établissent des normes de déférence qui sont radicalement opposées.

VII.      La présomption établie dans l’arrêt Maldonado ne s’applique pas pour présumer que les faits sont « dignes de foi »

A.        Introduction

[132]   En réponse à la directive de la Cour, qui cherchait à savoir si la décision Valtchev a déplacé le fardeau de réfuter une conclusion d’invraisemblance pour l’imposer à la Commission, les demandeurs ont fait référence à l’incidence de l’arrêt Maldonado. Ils ont formulé les observations suivantes (non souligné dans l’original) :

[traduction] La Cour attire l’attention des avocats sur l’utilisation de l’expression « dans les cas les plus évidents ». Cela ne modifie en rien le fardeau de la preuve qui, dans le cadre d’une demande d’asile, incombe toujours au demandeur. Toutefois, il existe une présomption selon laquelle le demandeur d’asile dit la vérité, comme en témoigne l’arrêt Maldonado. C’est cette présomption qui entre en jeu dans le cadre des conclusions tirées quant à la vraisemblance. S’il existe une présomption selon laquelle le demandeur d’asile dit la vérité, cette présomption doit être appliquée aux conclusions de vraisemblance. Si le témoignage du demandeur d’asile est présumé véridique, il ne devrait alors être jugé invraisemblable que s’il déborde le cadre de ce à quoi il est raisonnable de s’attendre ou s’il est incompatible avec le dossier documentaire.

[133]   Les demandeurs ont raison d’affirmer que l’arrêt Maldonado a influencé la décision dans Valtchev. Le paragraphe 7 de la décision Valtchev, cité précédemment, est précédé du titre suivant et d’un renvoi à Maldonado, au paragraphe 6, qui est ainsi libellé (non souligné dans l’original) :

Présomption de véracité et vraisemblance

  Le tribunal a fait allusion au principe posé dans l’arrêt Maldonado [...] suivant lequel lorsqu’un revendicateur du statut de réfugié affirme la véracité de certaines allégations, ces allégations sont présumées véridiques sauf s’il existe des raisons de douter de leur véracité. Le tribunal n’a cependant pas appliqué le principe dégagé dans l’arrêt Maldonado au demandeur et a écarté son témoignage à plusieurs reprises en répétant qu’il lui apparaissait en grande partie invraisemblable. Qui plus est, le tribunal a substitué à plusieurs reprises sa propre version des faits à celle du demandeur sans invoquer d’éléments de preuve pour justifier ses conclusions. [Renvois omis.]

[134]   Je suppose que dans la décision Valtchev, le fait que la SPR n’ait pas appliqué la présomption établie dans l’arrêt Maldonado explique pourquoi il incombait à la Commission de fournir les raisons pour lesquelles elle doutait de la véracité des allégations faites sous serment du demandeur.

[135]   Après avoir examiné les observations des demandeurs, il devient évident que la règle établie dans l’arrêt Maldonado valide celle énoncée dans la décision Valtchev. Autrement dit, la règle énoncée dans la décision Valtchev ne peut être établie sans la présomption de véracité qui s’applique aux déclarations jugées invraisemblables.

[136]   Rappelons que l’ouvrage de Paciocco, citant la décision de la Cour d’appel de l’Ontario dans R. v. Thain, 2009 ONCA 223, 243 CCC (3d) 230, au paragraphe 32, va à l’encontre de la règle établie dans l’arrêt Maldonado : il n’existe aucune présomption voulant que les témoins disent la vérité. Ce qui semble avoir été omis est le fait que les auteurs ont associé la norme de contrôle d’un fait (lequel ne doit pas être écarté, sauf lorsqu’il est totalement déraisonnable) à la règle selon laquelle il n’existe pas de présomption de véracité. Je répète le passage cité comme suit, en y ajoutant mes termes synoptiques entre crochets et en mettant l’accent sur le terme « donc » :

[traduction] Combinées, la vraisemblance [crédibilité] et la valeur informative [véracité] de la preuve sont souvent désignées sous le nom de « valeur probante ». Le juge des faits est libre de décider de la crédibilité ou de l’importance de la preuve, dans la mesure où ses conclusions ne sont pas totalement déraisonnables. Il n’existe donc aucune présomption voulant que les témoins disent la vérité (Thain). C’est au juge des faits qu’il appartient de décider si tel est le cas. [Renvois omis.]

[137]   Par conséquent, dans la mesure où la présomption établie dans l’arrêt Maldonado sert d’appui à la règle énoncée dans la décision Valtchev, l’arrêt Maldonado s’avère pertinent, autant en ce qui concerne la norme de contrôle des faits (« donc » ci-dessus) qu’en ce qui a trait au bien-fondé d’une règle qui impose à la Commission l’obligation de ne tirer des conclusions d’invraisemblance que dans les cas les plus évidents.

[138]   Dans l’analyse qui suit, j’exprime mon désaccord avec la plupart des observations des demandeurs. De plus, à la suite de mon examen de l’arrêt Maldonado, je conclus également que la présomption ne s’applique qu’à la crédibilité et non à la véracité des allégations faites sous serment du demandeur d’asile.

B.        L’arrêt Maldonado impose à la Commission le fardeau juridique de réfuter la véracité d’un fait assermenté

[139]   Lorsque les demandeurs affirment que dans le cadre d’une demande d’asile, le fardeau de la preuve incombe toujours au demandeur d’asile, ils renvoient au fardeau juridique imposé à ce dernier, qui doit prouver ses allégations, selon la prépondérance des probabilités. Une présomption est l’équivalent du fardeau de la preuve, si elle n’est pas contestée.

[140]   La règle énoncée dans l’arrêt Maldonado n’établit une présomption qu’à l’égard d’une conclusion de fait que le demandeur d’asile jure être vraie (il est étonnant que cette présomption s’applique également aux conclusions contenues dans une déclaration extrajudiciaire corroborante, comme celle faite par l’épouse du demandeur d’asile dans l’arrêt Maldonado). Dans la plupart des cas, il est possible de renverser une présomption de fait relative à la preuve. Lors de l’audience, le fardeau de la preuve incombe à l’une ou l’autre des parties, selon la valeur probante de la preuve présentée. Si aucune réponse n’est formulée, il sera établi que le fait penche en faveur de la partie adverse. Toutefois, le fardeau juridique de prouver le fait incombe à la partie qui avance ce dernier, si le décideur n’est pas en mesure de tirer une conclusion dichotomique, selon la prépondérance des probabilités.

[141]   Dans l’arrêt Maldonado, la Cour a déclaré que le fardeau de la preuve associé à un fait que le demandeur d’asile a juré être vrai revient à la Commission ou au ministre, si ce dernier intervient (ce qu’il fait rarement; voir la règle 29 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (les Règles de la SPR)). Il ne serait d’aucune utilité d’énoncer la règle applicable pour renverser la présomption de preuve en vue d’établir ou de réfuter un fait lors de l’audience. Cette règle existe déjà. Dans l’arrêt Maldonado, la Cour a soutenu qu’il incombe au défendeur ou à la Commission de démontrer, dans ses motifs, qu’il existe des motifs suffisants permettant de prouver que la déclaration faite sous serment n’est pas véridique. Tel qu’il a été expliqué dans la décision Valtchev, cette responsabilité s’étend aux inférences de fait défavorables quant à la crédibilité, établies sur la base d’invraisemblances, inférences que la Commission ne peut d’ailleurs tirer que dans les cas les plus évidents.

[142]   Par conséquent, l’arrêt Maldonado et la décision Valtchev constituent une double usurpation du pouvoir de la Commission d’établir les faits, en vertu de l’alinéa 170h) de la LIPR. La portée s’en trouve élargie lorsque la Cour procède à une analyse du caractère raisonnable de la conclusion de la Commission, tout en exigeant que son « raisonnement » soit décrit en termes clairs.

[143]   Il convient probablement de souligner, à ce stade-ci, qu’il a été établi par les tribunaux que la norme juridique à laquelle est soumis le demandeur d’asile pour prouver une crainte fondée de persécution est celle de la « possibilité sérieuse ». À titre de comparaison, j’estime que cette norme se situe à un seuil de 35 à 40 p. 100, comparativement à 51 p. 100 dans le cas de la norme de la prépondérance des probabilités habituellement appliquée en matière civile. La norme juridique de la crainte fondée, qui est une question mixte de fait et de droit, constitue essentiellement une conclusion de fait. Bien que les faits doivent tout de même être démontrés par la preuve, selon un seuil de 51 p. 100, par quiconque cherche à les établir, il n’en découle pas moins certaines conséquences lorsque la norme juridique de la prépondérance des probabilités en matière civile n’est plus utilisée comme fondement. En fait, il incombe alors à la Commission de démontrer que la crainte du demandeur d’asile n’est pas fondée, dans une mesure qui équivaudrait à peu près à la norme de la « preuve hors de tout doute raisonnable » en droit criminel.

[144]   Maintenant, rien n’indique, pour diverses raisons, qu’il conviendrait de rendre plus exigeante la norme juridique moins élevée à respecter pour démontrer la persécution. Toutefois, il est respectueusement soutenu que la Cour d’appel [fédérale] devrait abolir une bonne fois pour toutes la norme juridique contradictoire exigeant « plus qu’une simple possibilité ». Certains commissaires de la SPR et, plus souvent encore, les agents d’ERAR continuent d’y faire référence comme étant la norme. Une norme juridique de l’ordre de 80 p. 100 serait imposée à la Commission pour conclure que le demandeur d’asile n’a pas qualité de réfugié; en fait, cette conclusion serait possible qu’en cas de quasi-certitude.

[145]   Le point soulevé en l’espèce sur le plan contextuel est que lorsque la norme juridique est déjà réduite au seuil de la simple possibilité, les règles énoncées dans l’arrêt Maldonado et la décision Valtchev ont un effet aggravant sur la fiabilité des décisions de rejet de demandes d’asile. Ces règles augmentent considérablement l’ampleur des obstacles qui empêchent les tribunaux judiciaires et administratifs d’appliquer les principes habituellement respectés dans la recherche des faits, dans le cadre d’autres régimes juridiques au Canada, y compris à la Cour fédérale. La norme juridique de la possibilité, combinée aux règles énoncées dans l’arrêt Maldonado et la décision Valtchev, devrait soulever des préoccupations quant à la fiabilité globale des conclusions relatives à la persécution, qui vont au-delà de leur incidence défavorable sur la fiabilité des décisions de la Commission.

[146]   Cela m’amène à établir une distinction, qui pourrait limiter l’incidence de la règle établie dans l’arrêt Maldonado, si celle-ci s’accompagnait d’une norme moins catégorique, qui reposerait sur ce qui pourrait être décrit comme la « règle du bénéfice du doute ». Cela s’inscrirait dans la logique qui sous-tend l’arrêt Maldonado, où la Cour a reconnu que les réfugiés ne peuvent pas toujours fournir des preuves corroborantes, en particulier s’ils se trouvent dans une situation où ils fuient un risque. La règle du bénéfice du doute est régulièrement employée dans le monde entier dans les affaires touchant les réfugiés. Elle est décrite en ces termes dans le Guide sur les réfugiés du HCR (non souligné dans l’original) :

(2) Le bénéfice du doute

203. Il est possible qu’après que le demandeur se sera sincèrement efforcé d’établir l’exactitude des faits qu’il rapporte, certaines de ses affirmations ne soient cependant pas prouvées à l’évidence. Comme on l’a indiqué ci-dessus (paragraphe 196) [« Dans la plupart des cas, une personne qui fuit la persécution arrive dans le plus grand dénuement et très souvent elle n’a même pas de papiers personnels »], un réfugié peut difficilement « prouver » tous les éléments de son cas et, si c’était là une condition absolue, la plupart des réfugiés ne seraient pas reconnus comme tels. Il est donc souvent nécessaire de donner au demandeur le bénéfice du doute.

204. Néanmoins, le bénéfice du doute ne doit être donné que lorsque tous les éléments de preuve disponibles ont été réunis et vérifiés et lorsque l’examinateur est convaincu de manière générale de la crédibilité du demandeur. Les déclarations du demandeur doivent être cohérentes et plausibles, et ne pas être en contradiction avec des faits notoires.

(3) Résumé

205. Le processus de constatation et d’évaluation des faits peut donc être résumé comme suit :

a) Le demandeur doit :

i) Dire la vérité et prêter tout son concours à l’examinateur pour l’établissement des faits.

ii) S’efforcer d’apporter à l’appui de ses affirmations tous les éléments de preuve dont il dispose et expliquer de façon satisfaisante toute absence de preuve. Si besoin est, il doit s’efforcer de fournir des éléments de preuve supplémentaires.

iii) Donner toutes informations pertinentes sur lui-même et sur son passé, et cela de manière aussi détaillée qu’il est nécessaire pour permettre à l’examinateur de procéder à l’établissement des faits. Il doit rendre compte de façon plausible de toutes les raisons qu’il invoque à l’appui de sa demande du statut de réfugié, et il doit répondre à toutes les questions qui lui sont posées. [Caractères gras dans l’original.]

[147]   La différence importante entre la règle définie par le HCR et celle établie dans l’arrêt Maldonado comporte deux volets. Premièrement, le demandeur d’asile doit démontrer qu’il déploie de véritables efforts pour obtenir des preuves corroborantes ou expliquer pourquoi l’information n’était pas disponible. Cela devrait amener les demandeurs d’asile à chercher et à produire des éléments de preuve objectifs à l’appui, qui ne sont souvent pas présentés dans les demandes d’asile, dans la mesure où les demandeurs peuvent simplement compter sur la véracité de leurs déclarations de fait faites sous serment pour établir le bien-fondé de leurs arguments. À l’heure actuelle, la plupart des demandeurs d’asile se fient à leurs déclarations sous serment pour prouver qu’ils sont des réfugiés, comme c’est le cas en l’espèce. Cela signifie également que la Commission peut enquêter sur la planification préalable ou autre, qui a mené à la décision de « fuir », afin de déterminer s’il s’agissait véritablement là d’une situation de fuite ou d’une situation dans laquelle le demandeur d’asile comprenait les exigences à respecter pour présenter une demande d’asile, mais que malgré cela, il ne pouvait utiliser aucune des technologies modernes mises à sa disposition actuellement pour justifier sa version des faits.

[148]   La Commission peut également enquêter sur les directives données par les consultants en immigration ou les avocats, après le fait, quant aux efforts à déployer pour obtenir des preuves corroborantes. Aucune question de privilège n’est en cause en l’espèce, puisqu’il ne s’agit pas d’avis juridiques, mais bien de directives visant à respecter la loi. Le demandeur d’asile est tenu de démontrer qu’il déploie de véritables efforts et de demander, à ce titre, des directives à ses représentants en immigration. En outre, la règle du « bénéfice du doute » se limite généralement aux situations de fuite et est inapplicable lorsqu’il est raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs d’asile puissent obtenir des renseignements, sans que le risque constitue un facteur valable les empêchant de le faire, dans les cas où la règle établie dans l’arrêt Maldonado ne s’applique pas.

[149]   Un fardeau incombe donc aux représentants, comme c’est le cas lorsqu’ils sont appelés à conseiller les clients concernés par les affaires portées devant la plupart des tribunaux judiciaires et quasi judiciaires. Une règle fondamentale veut que les parties présentent tous les éléments de preuve corroborants habituellement attendus pour étayer leurs prétentions, en mettant évidemment l’accent sur la preuve objective ayant la plus grande valeur probante. Cette règle est corroborée, dans une certaine mesure, par la règle 11, rarement appliqué, des Règles de la SPR, qui prévoient que « [l]e demandeur d’asile transmet des documents acceptables qui permettent d’établir son identité et les autres éléments de sa demande d’asile. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour se procurer de tels documents » (voir, à titre d’exceptions, Bersie c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 900, au paragraphe 29; Ismaili c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 84, aux paragraphes 31 à 36.

[150]   Toutefois, il subsiste une jurisprudence contradictoire fondée sur l’arrêt Maldonado : voir, par exemple, la décision Dayebga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 842, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 27 :

  Le raisonnement du défendeur aurait pour effet de donner l’interprétation inversée au principe exposé dans la décision Ahortor, précitée. L’omission du demandeur de produire des documents donnerait naissance à des préoccupations en matière de crédibilité, lesquelles permettraient à la Commission de considérer son omission de produire des documents comme étant un motif pour mettre en doute sa crédibilité. Si la Commission se livre à tel raisonnement, elle court-circuite la présomption selon laquelle le témoignage sous serment est définitif (voir Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 72) de par son analyse des motifs donnés par le demandeur pour justifier l’absence de documents, sans toutefois traiter de la crédibilité ou de la vraisemblance des allégations formulées par le demandeur dans son témoignage.

[151]   Deuxièmement, la « règle du bénéfice du doute » s’applique à la fin du processus d’examen de la preuve, et non au début, ce qui est de la plus haute importance sur le plan juridique. En imposant la présomption de fait comme point de départ, lorsque la personne jure que ses déclarations sont véridiques, la règle établie dans l’arrêt Maldonado a transformé une règle de preuve en une règle de présomption légale, mais portant sur les conclusions de fait. C’est pourquoi la règle énoncée dans l’arrêt Maldonado, telle qu’elle est actuellement interprétée par la Cour, fait obstacle à la compétence de la Commission pour établir les faits. Il s’agit presque là d’une entrave à l’exercice des fonctions de la Commission, puisque cette règle transfère à cette dernière, de façon inadmissible, le fardeau de la preuve.

C.        L’arrêt Maldonado n’établit une présomption qu’à l’égard de la crédibilité des faits allégués dans les déclarations sous serment, et non de leur véracité

[152]   En ce qui concerne le deuxième volet, il est possible de soutenir que la Cour d’appel fédérale n’a voulu appliquer son énoncé de principe qu’à la crédibilité des déclarations sous serment, ce qui constituerait une explication partielle permettant de protéger la règle établie dans l’arrêt Maldonado. Cela signifie que la règle ne dispense pas le demandeur d’asile de l’obligation de prouver la véracité du fait allégué. La véracité est le deuxième élément en matière de preuve décrit à l’alinéa 170h) de la LIPR, selon lequel le tribunal « peut recevoir les éléments qu’[il] juge crédibles ou dignes de foi en l’occurrence et fonder sur eux sa décision ».

[153]   Cette question ne semble pas avoir déjà été abordée par la Cour. Rien n’empêche un tribunal d’interpréter une affaire différemment des autres juges, s’il existe des raisons valables de douter de l’exactitude de cette interprétation. Il ne semble pas que d’autres juges de la présente Cour aient réfléchi au contexte dans lequel la règle de présomption établie dans l’arrêt Maldonado a été formulée. Le passage pertinent, tiré de la page 305 de l’arrêt Maldonado, est ainsi libellé (non souligné dans l’original) :

  J’estime que la Commission a agi arbitrairement en mettant en doute, sans justes motifs, la véracité des déclarations sous serment du requérant susmentionnées. Quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter. [Note en bas de page omise.]

[154]   Il semblerait que dans l’arrêt Maldonado, la Cour ait d’abord été préoccupée par le « doute » soulevé quant à la crédibilité du demandeur (« en mettant en doute, sans justes motifs, la véracité des déclarations sous serment du requérant »). La Cour fait ensuite référence au fait que le demandeur jure que sa déclaration est vraie. Le fait de jurer que la déclaration est vraie représente une étape visant à accroître la crédibilité de cette déclaration, en risquant de mettre en doute l’honnêteté de la personne, s’il s’agit là d’une fausse déclaration faite sciemment, bien que je sois forcé d’admettre que dans les affaires d’immigration, cela n’est appliqué que dans de rares cas (Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, articles 131 à 133). Par la suite, la Cour énonce de nouveau la règle de la présomption de véracité, en utilisant le même libellé qui renvoie aux motifs initiaux de la Commission, qui ont amené cette dernière à douter que les allégations soient vraies (« elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter »). L’élément ou le pivot central de cette présomption est clairement la crédibilité accordée à la déclaration du demandeur. La Cour a implicitement conclu que la crédibilité du demandeur est renforcée lorsqu’il jure que le fait allégué est véridique.

[155]   Cela est important, car une preuve crédible n’est généralement pas suffisante pour prouver un fait. Devant la plupart des tribunaux chargés de rechercher la vérité, la partie qui tente de prouver un fait sera tout de même appelée à en démontrer la véracité (c.-à-d. le caractère suffisant et la fiabilité des déclarations faites sous serment, habituellement par corroboration). C’est pourquoi il est indiqué dans l’ouvrage de Paciocco, à la page 33, que [traduction] « [c]ombinées, la vraisemblance et la valeur informative de la preuve sont souvent désignées sous le nom de “valeur probante” ». Bien que la crédibilité de la déclaration d’un demandeur d’asile puisse ne pas être mise en doute, le demandeur d’asile peut néanmoins avoir besoin d’étayer cette déclaration en présentant des éléments de preuve dignes de foi. Cette distinction est particulièrement importante lorsque la déclaration est faite dans une situation où le poids accordé aux intérêts personnels est très élevé, mais que la situation soulève néanmoins des questions quant au caractère suffisant et à la fiabilité, comme dans le contexte d’une demande d’asile, par rapport aux facteurs moraux et dissuasifs qui ont tendance à décourager le manque d’honnêteté. Par conséquent, cela a un effet corroborant sur la crédibilité lorsque le caractère suffisant de la déclaration doit être démontré afin de prouver que le fait est une probabilité.

[156]   Jusqu’à présent, l’arrêt Maldonado a été interprété de façon libérale comme s’appliquant à la fois aux éléments liés à la crédibilité et à la véracité du mandat de la Commission dans la recherche des faits, décrit à l’alinéa 170h) de la LIPR. Si la déclaration faite sous serment ne soulève aucune présomption quant à la véracité de la preuve, le demandeur d’asile devra produire une preuve suffisante et probante pour appuyer un fait allégué ou démontrer que de véritables efforts ont été faits pour se procurer cette preuve afin d’obtenir le bénéfice du doute quant à la crédibilité de la déclaration, tout le reste étant en règle. J’estime qu’il s’agit là de la façon appropriée d’interpréter l’arrêt Maldonado. La règle 11 des Règles11 [de la SPR] étaye également cette interprétation. À ce titre, la « règle du bénéfice du doute » du HCR devrait s’appliquer, sans aucune présomption de véracité à l’égard des déclarations faites sous serment, exigeant ainsi une preuve corroborante, à moins de prouver que celle-ci n’est pas raisonnablement accessible. Mieux encore, la Cour d’appel [fédérale] pourrait réexaminer l’application qu’elle en fait, depuis une quarantaine d’années, afin de déterminer si elle ne devrait pas entièrement remplacer son application par la « règle du bénéfice du doute », comme une marque de courtoisie à l’égard des normes de preuve appliquées dans d’autres pays.

VIII.     Conclusions concernant la norme de contrôle et les présomptions de preuve

[157]   Mes conclusions concernant les présomptions de preuve qui s’appliquent en l’espèce sont les suivantes :

1.         Les questions relatives à la procédure de recherche des faits sont examinées selon la norme de la décision correcte;

2.         Les questions relatives à l’évaluation du poids à accorder dans la recherche des faits, y compris celles qui ont trait aux conclusions concernant la crédibilité, sont examinées selon la norme non interventionniste de la décision raisonnable, en faisant preuve de la plus grande déférence, sous réserve des prescriptions suivantes :

a.         La Cour ne peut apprécier de nouveau la preuve et ne peut intervenir, s’il existe certains éléments de preuve qui pourraient étayer la conclusion de fait de la Commission, car cela équivaudrait à une nouvelle appréciation de la preuve. Cette restriction limite donc l’intervention de la Cour aux erreurs les plus manifestes, qui sont évidentes sans avoir à procéder à une analyse du caractère raisonnable : Housen, Odia et Njeri;

b.         La même norme de contrôle excluant toute analyse du caractère raisonnable s’applique aux inférences de fait, notamment à toutes les conclusions de vraisemblance et questions mixtes de fait et de droit, auxquelles les considérations exposées dans l’arrêt Housen s’appliquent également. Si les faits primaires sont prouvés, il sera difficile à la Cour d’intervenir, s’il ne s’agit pas d’erreurs de procédure;

c.         Les conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité sont assujetties, à tous les égards, aux mêmes règles de preuve que les autres preuves par inférence et, plus particulièrement, ces conclusions n’ont pas à être tirées par la Commission « que dans les cas les plus évidents », mais uniquement selon une norme de probabilité quant à la preuve probante;

d.         Les motifs décrivant le raisonnement suivi pour tirer une inférence sont assujettis aux mêmes normes que celles établies dans les arrêts Dunsmuir et Newfoundland Nurses, en prenant exemple sur la Cour suprême dans l’arrêt Housen, où la Cour a décrit le raisonnement en se fondant sur une présomption découlant des faits primaires établis;

3.         Une fois que la Cour a terminé son examen des conclusions de fait de la Commission, elle peut alors chercher à mesurer l’incidence de ses conclusions sur les questions pertinentes de la décision afin de déterminer si cette dernière fait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit et si elle est justifiée par des motifs transparents et intelligibles, conformément aux arrêts Dunsmuir et Newfoundland Nurses;

4.         L’arrêt Maldonado ne s’applique pas de manière à soustraire les demandeurs de l’obligation de déployer de véritables efforts pour produire une preuve corroborante et probante afin de prouver la véracité des déclarations faites sous serment, conformément à l’alinéa 170h) de la LIPR et à la règle 11 des Règles, sauf s’ils peuvent démontrer que les efforts véritables qu’ils ont faits pour obtenir cette preuve ont été vains, auquel cas ils ont droit au bénéfice du doute.

IX.       Analyse des observations des demandeurs

[158]   L’application des principes exposés dans l’arrêt Housen en ce qui a trait à la norme de contrôle des conclusions de fait, le rejet de la règle énoncée dans la décision Valtchev concernant les conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité et la limitation de l’arrêt Maldonado à une présomption s’appliquant à la crédibilité (et non à la véracité) des déclarations faites sous serment entraîneront, dans de nombreux cas, des résultats différents lors de l’examen des conclusions de fait. La présente affaire est l’un de ces cas. Afin de démontrer les différents résultats découlant de l’incidence de ces règles sur l’examen par la Cour des observations des demandeurs, je différencierai ces résultats.

A.        Le demandeur principal

[159]   La Commission a tiré une conclusion d’invraisemblance en ce qui concerne la réponse du demandeur principal à sa question visant à savoir pourquoi il n’a pas signalé à l’entreprise pour laquelle il travaillait le fait qu’un agent de sécurité du gouvernement lui a demandé de lui fournir des renseignements sur certains de ses collègues. Le demandeur principal a donné deux raisons pour expliquer son défaut de le faire, raisons que la Commission a jugé invraisemblables : premièrement, il ne pensait pas que l’entreprise pouvait faire quoi que ce soit et, deuxièmement, il avait peur, étant donné que M. Al-Kabtany lui a dit de n’en parler à personne.

[160]   La SPR a indiqué que la deuxième raison, qu’elle estimait plus plausible, ne figurait pas dans l’exposé circonstancié du formulaire Fondement de la demande d’asile du demandeur principal. La SPR a également souligné que le demandeur principal s’est montré évasif, n’a pas pu fournir d’explication raisonnable pour cette omission et a fait référence au fait que son employeur lui-même était une entreprise gouvernementale. De même, la SPR a constaté que le demandeur principal a été incapable de fournir des détails au sujet d’une conversation de deux heures qu’il aurait prétendument eue avec M. Al-Kabtany.

[161]   De façon plus générale, la SPR a fait référence aux antécédents personnels du demandeur principal : le fait qu’il est né et a été élevé en Arabie saoudite, ses nombreuses années de service et sa réussite au sein de l’entreprise, et l’obtention d’un poste de direction en tant qu’ingénieur système. La SPR a conclu que le témoignage du demandeur principal selon lequel il était tenu de payer ses propres frais de déplacement était incompatible avec le dossier, puisque la seule preuve présentée à la SPR était que ces frais avaient été remboursés lors d’un autre voyage.

[162]   Ces faits essentiels ont servi de fondement à l’inférence défavorable en matière de crédibilité qu’a tirée la SPR, qui a conclu que le témoignage du demandeur principal « ne sonne tout simplement pas vrai » lorsque ce dernier affirme avoir quitté son pays d’origine en raison de ce seul incident, sans en avoir informé son employeur. Par conséquent, la SPR a conclu que le demandeur principal avait inventé l’incident en question.

[163]   Les faits essentiels ont été contestés dans une certaine mesure, mais je rejette ces contestations. Le demandeur principal prétend qu’en examinant la transcription, il sera possible de constater qu’il a répondu à toutes les questions que la SPR lui a posées, faisant fi du fait que la conversation de deux heures entretenues avec M. Al-Kabtany n’a toujours pas été expliquée. En fin de compte, le demandeur principal a simplement demandé à la Cour de procéder à sa propre analyse en ce qui concerne la recherche des faits, en se fondant sur les mêmes éléments de preuve que ceux dont disposait la SPR et en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour, mentionnée ci-dessus, selon laquelle elle est tout aussi bien placée que la SPR pour examiner le caractère raisonnable des inférences tirées. Toutefois, cette assertion a été examinée et rejetée dans l’arrêt Housen.

[164]   Dans ses observations préliminaires, la SPR a déclaré qu’elle n’appliquerait pas le critère des « cas les plus évidents », établi dans la décision Valtchev. Pour tirer ses inférences de fait, la Commission a appliqué le critère habituel de la prépondérance des probabilités aux conclusions d’invraisemblance (« selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile principal a inventé un récit »; « selon la prépondérance des probabilités, que la demandeure d’asile sait pourquoi » [aux paragraphes 17 et 21], etc.).

[165]   Le demandeur principal n’a pas directement contesté cette norme de preuve, mais a plutôt fait implicitement référence au raisonnement suivi dans la décision Valtchev, tel qu’il est indiqué au paragraphe 70 du mémoire initial des demandeurs (non souligné dans l’original) :

[traduction] De plus, il ne s’agit pas là d’une situation où les faits présentés au commissaire, de un, débordaient tellement du cadre de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre que le commissaire pouvait raisonnablement conclure que les événements ne se sont pas produits comme l’a décrit le demandeur principal.

[166]   L’argument du demandeur principal est que la Commission a tiré une conclusion d’invraisemblance erronée, étant donné que la déclaration dans laquelle il explique pourquoi il n’a pas signalé la situation à son employeur [traduction] « [ne débordait pas] tellement du cadre de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre ». En termes simples, la Commission pouvait conclure qu’il avait inventé son récit uniquement si la déclaration du demandeur principal débordait largement du cadre de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre.

[167]   J’ai rayé l’expression [traduction] « de un » dans la déclaration tirée du mémoire du demandeur principal parce qu’elle n’était pas suivie de l’expression « de deux », dans la mesure où une seule observation était formulée.

[168]   Le demandeur principal demande à la Cour de procéder à une analyse de la raisonnabilité afin de réévaluer la preuve primaire en appliquant les règles énoncées dans l’arrêt Maldonado et la décision Valtchev. Une telle analyse amènerait la Cour à déterminer si la SPR n’a conclu à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents.

[169]   Les demandeurs soutiennent que la Cour doit intervenir pour infirmer la conclusion d’invraisemblance de la SPR, à moins qu’elle ne conclue, à la lumière de la preuve primaire, que la déclaration du demandeur principal débordait largement le cadre de la raisonnabilité. À mon avis, tous les aspects de l’argument qui précède contreviennent au raisonnement suivi dans l’arrêt Housen.

[170]   Je conviens toutefois que l’application de la règle énoncée dans la décision Valtchev à l’examen de la conclusion d’invraisemblance de la SPR exigerait l’intervention de la Cour. Je ne peux pas dire que la déclaration du demandeur principal débordait du cadre de ce à quoi il était raisonnable de s’attendre, au point d’étayer la conclusion selon laquelle la Commission n’a conclu à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents.

[171]   Le ministre n’a présenté aucune observation concernant le critère approprié que la SPR était tenue d’appliquer aux conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité. Il a plutôt soutenu que [traduction] « la cour de révision devrait hésiter à intervenir, à moins que les demandeurs ne démontrent que la décision est déraisonnable ».

[172]   En ce qui concerne les observations des parties, d’après l’expérience de la Cour, la présente affaire est semblable à la plupart de celles où les conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité ont été contestées.

[173]   Je conclus que la décision Valtchev conduit, à tort, la Cour à effectuer une analyse du caractère raisonnable des conclusions de fait et qu’elle établit, en outre, une norme trop élevée quant à la valeur probante requise pour tirer la conclusion d’invraisemblance contestée. Comme j’ai appliqué les directives données dans l’arrêt Housen, je conclus que la demande du demandeur principal doit être rejetée, car l’erreur alléguée n’est pas évidente et certains éléments de preuve étayent la conclusion de la SPR à cet égard.

B.        La demanderesse

1)         La SPR a-t-elle commis une erreur susceptible de révision, en concluant à l’invraisemblance de l’assertion selon laquelle la demanderesse, ou son père, n’aurait pas signalé l’incident des attouchements inappropriés subis à l’organisme de réglementation professionnelle des dentistes ou à l’employeur de la demanderesse?

[174]   La SPR a souligné que la demanderesse soutient que le dentiste pour qui elle travaillait l’a touchée de façon inappropriée une fois, utilisant « une fois » en caractères gras pour insister sur l’unicité de la situation. La demanderesse a rapporté l’incident à ses parents, et en réponse à la question si ces derniers avaient signalé cet incident à l’organisme de réglementation des dentistes, elle a répondu par la négative; le dentiste pour qui elle travaillait est Saoudien et le frère de ce dernier s’occupait des questions de sécurité pour le gouvernement de l’Arabie saoudite.

[175]   La SPR a jugé déraisonnable l’explication donnée par la demanderesse : en tant que professionnelle affiliée à la société des dentistes, qui a travaillé comme apprentie pendant deux ans pour accéder à la profession, il est peu plausible qu’elle n’ait pas signalé l’incident à l’organisme de réglementation. La SPR a également jugé invraisemblable l’explication voulant que son père n’ait pas signalé l’incident, étant donné que la famille de ce dernier est bien établie en Arabie saoudite depuis trois générations; ce dernier a été en mesure de travailler et de maintenir un « niveau de vie remarquable » là-bas. S’appuyant sur ces éléments de preuve, la Cour avance l’hypothèse qu’il n’était pas raisonnable de la part de la demanderesse d’abandonner sa carrière en raison d’un seul incident d’attouchements inappropriés, sans qu’elle ou son père n’ait formulé de plainte.

[176]   Les demandeurs soutiennent que toutes les questions de la SPR portaient sur la raison pour laquelle la demanderesse n’a pas signalé l’incident, ce qui est inexact. Cette dernière a été expressément invitée à expliquer pourquoi ses parents n’avaient pas signalé l’incident aux autorités; la réponse aux questions posées à cet égard a été indiquée ci-dessus.

[177]   En ce qui concerne la valeur probante requise pour appuyer la conclusion d’invraisemblance, la SPR a indiqué [au paragraphe 21] que la « position de la demandeure d’asile, bien que possible, n’est pas vraisemblable ». Selon mon interprétation, cette remarque signifie que l’explication donnée ne répondait pas au critère de la prépondérance des probabilités, en matière de vraisemblance, qui devait être satisfait pour prendre des mesures à l’égard d’un incident d’attouchements inappropriés, qui n’a été que vaguement décrit. Autrement dit, la SPR a conclu qu’il était plus probable que la demanderesse ait fabriqué ce récit comme un faux motif pour immigrer au Canada avec son époux.

[178]   Étant donné que la preuve primaire n’a pas été contestée, il est impossible d’affirmer que l’inférence d’invraisemblance constitue une erreur tout à fait évidente ou des plus manifestes. À l’inverse, si la SPR ne pouvait conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, rendant ainsi la norme de contrôle beaucoup moins stricte, l’inférence de la SPR, à la suite d’une analyse du caractère raisonnable, n’aurait pas satisfait à la norme requise pour tirer la conclusion d’invraisemblance.

[179]   Les demandeurs soutiennent que cette conclusion a été tirée sans appliquer ni examiner comme il se doit les directives intitulées Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe [Directives données par la présidente en application du paragraphe 65(4) de la Loi sur l’Immigration] (les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe) et sans tenir compte des conditions objectives qui prévalent en Arabie saoudite concernant les risques de harcèlement auxquels les femmes sont exposées. Dans sa décision, la SPR a indiqué avoir tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

[180]   Le rôle qu’a joué le père donne à penser que la demanderesse s’en remettait à lui pour décider d’agir ou non, et dans une situation familiale, il semble raisonnable de penser que cela est sans rapport avec une question liée à la crainte de persécution du fait du sexe, mais tient plutôt du fait que le frère du dentiste était un agent de sécurité. Quoi qu’il en soit, la véritable question consiste à déterminer si l’incident des attouchements inappropriés serait vraisemblablement suffisant pour que la demanderesse choisisse de ne pas intervenir et d’abandonner plutôt tout ce pour quoi elle a travaillé, afin de partir au Canada pour y présenter une demande d’asile, en compagnie de son époux. Elle a semblé prendre cette décision avec son époux, dont la demande d’asile a, comme par hasard, été présentée en même temps, pour des raisons différentes.

[181]   À ce titre, je crois que la SPR a dûment tenu compte des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe et qu’elle n’a pas commis d’erreur susceptible de révision à cet égard.

2)         Il est invraisemblable que la demanderesse ne soit pas au fait des demandes d’asile des autres membres de sa famille et ne sache pas la raison pour laquelle son père est resté en Arabie saoudite

[182]   Les demandeurs contestent la conclusion de la Commission selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible, étant donné qu’elle ne connaissait pas les motifs de la demande d’asile de sa mère et de ses quatre frères ni la raison pour laquelle son père est resté en Arabie saoudite.

[183]   Bien que la conclusion d’invraisemblance contestée soit une inférence, les demandeurs soutiennent que celle-ci n’est pas importante ni pertinente dans le cadre de la demande d’asile de la demanderesse. Il s’agit en quelque sorte d’une erreur de procédure liée au caractère substantiel et à la pertinence des faits essentiels sur lesquels repose l’inférence tirée du fait que la demanderesse a menti. Tel qu’il a été indiqué, cette forme d’erreur est évaluée selon la norme de la décision correcte.

[184]   Je ne suis pas d’accord pour dire que les questions concernant les demandes d’asile des autres membres de la famille ne sont pas importantes ni pertinentes, selon le contexte. En l’espèce, les quatre frères et la mère de la demanderesse ont suivi cette dernière et son époux à Toronto et ont, eux aussi, présenté des demandes d’asile. Il semble également que le frère du demandeur principal ait déjà présenté une demande d’asile et que l’épouse de ce dernier soit la tante de la demanderesse.

[185]   Lorsque la SPR a invité la demanderesse à dire si elle savait pourquoi sa mère et ses frères demandaient l’asile, cette dernière, de façon inattendue, « a répondu par la négative », ce qui a été jugé peu plausible, tout comme sa déclaration selon laquelle elle ne savait pas pourquoi son père était le seul membre de sa famille à être resté en Arabie saoudite.

[186]   Pour les étrangers qui cherchent à obtenir la résidence permanente au Canada en tant que réfugiés, le fait d’habiter ici avec des membres de leur famille présente un intérêt personnel. De nombreuses dispositions de la LIPR et de son règlement d’application reconnaissent la réunification des familles comme un avantage important que confère la politique d’immigration aux personnes qui obtiennent la résidence permanente au Canada (voir, plus particulièrement, les alinéas 3(1)d) et 3(2)f) et l’article 12 de la LIPR). Le soutien mutuel de la famille au Canada représente un avantage, à bien des égards, pour un nouveau résident permanent, notamment pour l’aide et le réconfort que cela ajoute dans le cadre du processus d’intégration d’un réfugié au sein de la société canadienne. C’est pourquoi la réunification des familles est considérée comme un objectif valable du régime d’immigration du Canada.

[187]   En l’espèce, la coïncidence serait un enjeu important, compte tenu du fait reconnu qu’un grand nombre de membres de la famille présentent une demande d’asile en même temps que les deux demandeurs. Les coïncidences peuvent être pertinentes pour déterminer la légitimité d’une demande d’asile. Il convient de garder à l’esprit que la pertinence logique offre un large éventail de questions admissibles, pour autant que celles-ci aient tendance à étayer un fait pertinent et donc valable. Telle est la définition de la pertinence.

[188]   Le dictionnaire Oxford English Dictionary en ligne définit le terme « coïncidence » comme le concours remarquable d’événements ou de circonstances qui n’ont aucun lien de causalité apparent les uns avec les autres. « Si l’intérêt personnel marqué du témoin s’allie aux prétendus événements fortuits, et qu’ils ne peuvent être corroborés de façon objective, la preuve a tendance à nuire à la crédibilité, simplement parce qu’il est remarquable que les événements se soient produits ensemble. » En fait, les coïncidences peuvent également aider, en fournissant une valeur probante à un fait lorsqu’aucun intérêt personnel n’y est associé : Briand c. Canada (Procureur général), 2018 CF 279, au paragraphe 61.

[189]   En l’espèce, la situation des demandeurs d’asile présente un concours remarquable de circonstances intéressées : ils sont à l’origine de deux demandes d’asile indépendantes et distinctes, qui ont été déposées à peu près au même moment. Ces circonstances augmentent favorablement les chances de la famille d’obtenir la résidence permanente au Canada, lorsqu’elles sont analysées en fonction des divers moyens que les demandeurs d’asile, qu’ils soient déboutés ou non, peuvent utiliser pour obtenir ce statut. Le fait que plusieurs autres membres de la famille ont également demandé l’asile au Canada au même moment permet d’inférer qu’il s’agissait là d’un événement planifié, où toute la famille a plié bagage et est partie au Canada, le père restant derrière, au cas où les événements ne se dérouleraient pas comme prévu.

[190]   En conclusion, j’estime que les questions portant sur ce que la demanderesse savait au sujet des demandes d’asile des membres de sa famille étaient a priori admissibles, de sorte que son manque de connaissance à l’égard de ces demandes était tout aussi important et pertinent pour évaluer sa crédibilité.

[191]   En plus de la matrice de faits fortuits sous-jacente, la SPR a également fait remarquer que la demanderesse a affirmé qu’elle était proche des membres de sa famille, qu’elle les voyait toutes les semaines et qu’elle avait signalé l’incident dont elle a été victime à ses parents. Tous les membres de sa famille sont très instruits. Ils ont vécu là-bas pendant trois générations et « ont été en mesure d’y travailler et d’y maintenir un niveau de vie remarquable » [au paragraphe 20].

[192]   En conclusion, j’estime qu’aucune erreur de procédure n’a été commise, puisque les questions relatives aux demandes d’asile des membres de la famille de la demanderesse et au fait que son père est resté derrière étaient à la fois importantes et pertinentes.

[193]   En ce qui concerne le manque de connaissance de la demanderesse au sujet des demandes d’asile des autres membres de sa famille ou des intentions de son père, le commissaire de la SPR a indiqué que sur le plan « culturel », il ne pouvait pas comprendre ses réponses parce qu’elle et son époux avaient tant de proches parents vivant au Canada et qu’ils étaient tous deux des personnes instruites. Le commissaire a ensuite posé une autre question à la demanderesse pour savoir si son père avait l’intention de venir au Canada également, ce à quoi elle a répondu qu’elle ne savait pas.

[194]   Les demandeurs ne contestent pas les faits essentiels, mis à part le caractère substantiel des questions de la SPR. Tirer une inférence est un processus d’évaluation que la SPR entreprend et qui se rapporte à la valeur probante de la preuve, de sorte que la Cour aurait de la difficulté à le contester. Malgré ces coïncidences quelque peu remarquables, cela ne satisfait tout simplement pas au critère extrêmement exigeant établi dans la décision Valtchev qui, essentiellement, porte grandement atteinte au pouvoir discrétionnaire de la SPR de tirer de telles conclusions, du moins comme s’il était impossible que les événements se soient produits conformément à la règle de l’invraisemblance décrite par les demandeurs.

[195]   Si l’expression « que dans les cas les plus évidents » devait avoir la même signification que « tout à fait évidente », je conclurais par ailleurs, compte tenu de la déférence due au décideur, que les demandeurs n’ont pas démontré que la SPR a commis une erreur tout à fait évidente en concluant que la demanderesse n’était pas crédible, vu son manque de connaissance au sujet des demandes d’asile des membres de sa famille ou de la raison pour laquelle son père est resté en Arabie saoudite. Étant donné le degré de coïncidence tout à fait remarquable qui sous-tend les faits essentiels concernant la série de demandes d’asile présentées par des membres de la famille pour des raisons différentes, j’estime qu’il s’agit là d’une conclusion d’invraisemblance admissible tirée par la SPR dans les cas les plus évidents, appliquant ainsi la règle énoncée dans la décision Valtchev. De toute évidence, si le fait inféré ne devait être établi qu’à titre de probabilité, la Commission n’aurait pas non plus commis d’erreur susceptible de révision, en tirant la conclusion factuelle selon laquelle la demanderesse n’était pas crédible.

3)         La SPR a-t-elle omis de tenir compte d’éléments de preuve essentiels?

[196]   Outre les conclusions en cause concernant la crédibilité, les demandeurs soutiennent que la SPR a commis une autre erreur de procédure. Ils prétendent que la SPR n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents quant à la discrimination générale que subissent les femmes en Arabie saoudite. Ils soutiennent que ces éléments de preuve étaient [traduction] « essentiels » et qu’ils auraient dû être examinés, avec les autres éléments de preuve, afin de déterminer si la demanderesse était une personne à protéger. Je rejette ces observations pour les motifs exposés ci-après.

[197]   Tout d’abord, il est incorrect d’affirmer que la SPR n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve. Lorsqu’ils ont été présentés, la SPR a souligné que la demanderesse et sa famille avaient vécu « avec succès » en Arabie saoudite pendant des générations et y maintenaient un niveau de vie remarquable. La SPR a déclaré qu’il était reconnu qu’une demande d’asile généralisée de cette nature était insuffisante pour étayer le besoin de protection.

[198]   La demanderesse fait référence à deux incidents où elle a été arrêtée, parce qu’elle était seule avec un chauffeur de taxi alors qu’elle se rendait au travail, et a souligné avoir également été forcée de porter un hijab. Cette forme de discrimination à l’égard des femmes en Arabie saoudite a été démontrée par des éléments de preuve objectifs concernant les conditions dans le pays. Toutefois, bien que ces incidents soient malheureux, ils constituent, dans le pire des cas, de la discrimination et n’atteignent pas, ni séparément ni collectivement, le niveau de persécution requis pour répondre aux exigences de l’article 96 de la LIPR. De plus, le seul élément figurant dans la demande d’asile de la demanderesse quant au risque auquel elle serait personnellement exposée concerne les attouchements inappropriés qu’elle prétend avoir subis sur son lieu de travail et qui constituent la raison pour laquelle elle se serait sentie obligée de fuir l’Arabie saoudite. La demanderesse n’a pas été jugée crédible en ce qui concerne cet incident, et j’ai déjà conclu que rien ne justifiait mon intervention à l’égard de cette conclusion.

[199]   Même si la décision de la SPR de rejeter l’incident d’attouchements inappropriés était manifestement erronée, il n’existe aucun rapport factuel entre cet incident et la preuve de la demanderesse concernant les incidents de discrimination générale à son endroit et à l’endroit d’autres femmes en Arabie saoudite, lesquels ne sont pas contestés. L’incident d’attouchements allégué est de nature personnelle et est propre à sa situation d’emploi particulière. De telles preuves ne s’ajoutent pas les unes aux autres en ce qui a trait au risque ou à la persécution, car elles n’ont aucun lien conceptuel ou causal entre elles.

[200]   Cela ne veut pas dire qu’une situation de harcèlement discriminatoire ne peut pas en venir à équivaloir à de la persécution, si elle est importante et qu’elle s’étend sur une longue période, ou si elle appuie autrement une autre conduite vexatoire et que tous ces éléments, évalués conjointement, en viennent à constituer de la persécution. À cet égard, la Cour a souligné ce qui suit dans la décision Kadhm c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1998 CanLII 7257 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 12 (non souligné dans l’original) :

  Il convient de rappeler que les tribunaux ont généralement reconnu [...] que, dans certains cas, le harcèlement peut équivaloir à de la persécution s’il revêt un caractère suffisamment grave et s’il dure [page 585], au point où l’on puisse dire qu’il porte atteinte à l’intégrité physique ou morale du demandeur. [Renvois omis.]

[201]   Cette situation ne s’applique toutefois pas à la demanderesse. Cette dernière est très instruite et vit dans un environnement familial libéral, qui lui a permis de maintenir un niveau de vie confortable et de mener une vie assez réussie. Elle a fréquenté l’école en Égypte, a appris l’anglais et a suivi une formation pour devenir dentiste. Nonobstant l’incident isolé allégué sur son lieu de travail, ces circonstances, prises dans leur ensemble, ne constituent pas un cas de discrimination ou de persécution qui justifierait une demande d’asile.

C.        Le caractère injuste de l’affirmation selon laquelle les demandeurs ont été sélectifs en omettant de fournir les documents d’immigration habituels

[202]   Les demandeurs soutiennent que la SPR a violé leur droit à l’équité procédurale, en concluant [au paragraphe 23] qu’ils ont été « sélectifs » en omettant de présenter leurs cartes de résidence émises par l’Arabie saoudite. J’estime qu’il s’agit là d’une question incidente étroitement liée aux questions d’importance examinées plus haut.

[203]   La SPR a fait cette malencontreuse déclaration dans le contexte de sa conclusion générale selon laquelle les demandeurs n’ont présenté aucun élément de preuve concernant leur résidence en Arabie saoudite pour étayer leur allégation voulant qu’ils ne puissent pas retourner dans ce pays. Il est raisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs d’asile fournissent de tels documents. Étant donné que les demandeurs n’ont pas produit ces documents et qu’ils n’ont pas fourni d’explication, la SPR a eu raison de faire valoir ce point. La SPR n’est pas tenue de demander ces renseignements, car il incombe aux demandeurs de présenter tous les documents pertinents à l’appui de leur demande d’asile, conformément à la règle 11 des Règles de la SPR.

[204]   Cela dit, je conviens qu’il n’était pas justifié de la part de la SPR de dire que les demandeurs ont été « sélectifs » dans la présentation de leurs documents; il aurait fallu que la SPR explique son commentaire d’une manière lui évitant d’avoir à offrir aux demandeurs la possibilité de répliquer. Cette remarque, qui est restée inexpliquée, suppose une certaine intention de ne pas produire les documents, qui pourrait ne pas être fondée. Cette remarque n’était pas non plus nécessaire, car il suffisait d’indiquer que la documentation attendue n’avait pas été fournie et que cette omission n’avait pas été expliquée afin de permettre à la SPR de conclure que les demandeurs n’avaient pas présenté de preuve pour démontrer pourquoi ils ne pouvaient pas retourner en Arabie saoudite.

[205]   À titre de point accessoire, il semblerait raisonnable d’exiger des demandeurs d’asile qu’ils produisent une liste certifiée de tous les documents factuels pertinents en leur possession ou sous leur contrôle dans le cadre de la procédure préparatoire à l’audience. Une telle procédure permettrait de s’assurer que les documents pertinents sont portés à l’attention de la SPR et d’éviter ce genre de situation, puisque les documents attendus manquants seraient ainsi mis en évidence.

[206]   D’après l’analyse qui précède, qui est fondée sur les principes établis dans l’arrêt Housen et qui écarte la règle énoncée dans la décision Valtchev, la Cour doit rejeter les contestations soulevées par les demandeurs à l’égard des conclusions de la SPR quant à la crédibilité. Les autres arguments des demandeurs sont également écartés, et la Cour conclut par conséquent que les deux demandes doivent être rejetées.

X.        Des questions sont certifiées en vue d’un appel

[207]   La Cour d’appel fédérale a récemment réitéré les exigences à satisfaire pour certifier une question grave de portée générale en vue d’un appel devant elle, en vertu de l’alinéa 74d) de la LIPR, dans l’arrêt Lewis c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130, [2018] 2 R.C.F. 229 (Lewis), aux paragraphes 35, 36 et 39, et plus récemment dans l’arrêt Lunyamila c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CAF 22, [2018] 3 R.C.F. 674 (Lunyamila), aux paragraphes 44 à 47 et 52. Essentiellement, il est dit qu’à ces fins, « la question certifiée par la Cour fédérale doit être déterminante quant à l’issue de l’appel, transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale » (Lewis, au paragraphe 36; Lunyamila, au paragraphe 46) et « elle ne peut pas avoir déjà été tranchée dans la jurisprudence » (Lewis, au paragraphe 39).

[208]   Dans ma directive aux parties, j’ai indiqué que j’envisageais de certifier des questions en vue d’un appel concernant la règle énoncée dans la décision Valtchev et la norme de contrôle appropriée à appliquer aux conclusions de fait tirées sur la base d’invraisemblances. En ce qui concerne ce dernier point, j’ai attiré l’attention des parties sur l’arrêt Housen, en leur posant une série de questions. Les deux parties ont répondu, tel qu’il est décrit ci-dessus, mais elles ont convenu qu’il n’y avait aucune question déterminante quant à l’issue de l’appel, qui permettait de certifier l’affaire.

[209]   En ce qui concerne le deuxième facteur requis pour certifier une question, à savoir que celle-ci doit transcender les intérêts des parties au litige et porter sur des questions ayant des conséquences importantes ou qui sont de portée générale, il semble clair que la présente affaire soulève des questions d’une importance particulière. Ces questions consistent, notamment, à déterminer s’il est interdit à la Cour de continuer à adopter sa pratique générale consistant à procéder à une analyse du caractère raisonnable des évaluations faites par les tribunaux quasi judiciaires, comme la SPR, à l’égard des conclusions de fait, ou si la Cour applique des principes incorrects dans la recherche des faits concernant les inférences défavorables quant à la crédibilité ou les présomptions de véracité des faits qu’un demandeur d’asile jure être vrais.

[210]   La Cour certifie ces questions, en se fondant sur le fait que les réponses à ces dernières sont déterminantes quant à l’issue de l’affaire. En procédant à l’analyse du caractère raisonnable d’une inférence de fait qui ne doit être tirée que dans les cas les plus évidents, du moins au sens usuel de l’expression, suivant le principe additionnel selon lequel la Cour est tout aussi capable que la Commission de décider si un scénario particulier aurait raisonnablement pu se produire et dans quels cas la Commission est tenue d’expliquer clairement le raisonnement suivi, je trancherais en faveur des demandeurs et conclurais que la Commission a commis une erreur en tirant ses conclusions d’invraisemblance. Plus particulièrement, je n’ai pas pu conclure que les inférences d’invraisemblance étaient tout à fait évidentes et qu’elles n’avaient été tirées que dans les cas les plus évidents.

[211]   Comme il s’agit d’erreurs importantes susceptibles de révision pour les deux demandeurs, je serais malgré tout tenu de déterminer si les erreurs commises dans la recherche des faits sont telles que la décision continue néanmoins de faire partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, conformément aux principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir. Étant donné qu’il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, le fait d’écarter les inférences défavorables importantes en matière de crédibilité, qui ont contribué aux conclusions de la Commission, constituerait également un élément déterminant quant à l’issue de la décision.

[212]   Autrement dit, l’analyse de la recherche des faits est une procédure distincte qui constitue une condition préalable à l’application des principes établis dans l’arrêt Dunsmuir. Par ce processus, l’élément de contrôle lié à la recherche des faits n’entre pas en conflit avec les principes énoncés dans l’arrêt Dunsmuir, mais est simplement reconnu comme une tâche spécialisée distincte que la Commission doit entreprendre et qui exige une norme de contrôle contextuelle spéciale, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Housen, élément qui est ensuite intégré dans la décision afin de déterminer s’il est suffisamment important pour justifier l’intervention de la Cour.

[213]   Si j’en venais à la conclusion que les erreurs sont susceptibles de révision, excluant ainsi la décision de la Commission des issues possibles acceptables, j’annulerais cette décision et j’ordonnerais que l’affaire soit renvoyée devant un autre commissaire pour réexamen.

[214]   Cependant, ce ne sont pas là mes conclusions. Je conclus plutôt que je suis dans l’impossibilité de procéder à l’analyse du caractère raisonnable des conclusions d’invraisemblance de la Commission, suivant l’orientation donnée par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Jean Pierre selon laquelle les principes établis dans l’arrêt Housen s’appliquent dans le contexte d’un contrôle judiciaire. Certains éléments de preuve étayent les principales conclusions, alors que les motifs ne contiennent aucune erreur de procédure. Je conclus que les inférences d’invraisemblance tirées quant à la crédibilité des demandeurs ne montrent pas qu’une erreur évidente a été commise. Je n’exige pas non plus que la Commission fournisse un « raisonnement clair », pour autant que la preuve primaire et les faits à l’appui des inférences soient suffisamment décrits, ce que j’estime être le cas en l’espèce.

[215]   Subsidiairement, si la Cour d’appel fédérale n’est pas convaincue que les questions certifiées sont déterminantes quant à l’issue de la décision, il est respectueusement soumis que, dans les cas où en raison de questions jugées d’une importance singulière quant à leur impact et de la nécessité de régler rapidement les questions de droit non résolues ou de jurisprudence contradictoire, une exception doit être admise pour permettre la certification, si ces questions ont une incidence marquée sur la décision, et ce, même si elles ne sont pas déterminantes quant à l’issue de l’affaire.

[216]   Au paragraphe 9 de l’arrêt Housen, la Cour suprême a indiqué que la fonction première des cours d’appel par rapport à celle des cours de première instance, qui comprennent les tribunaux administratifs, est de fixer l’état du droit. Elle a également indiqué que dans l’exercice de cette fonction, les cours d’appel devraient disposer pour ce faire d’un large pouvoir de contrôle. Les commentaires formulés par la Cour à cet égard sont les suivants (non souligné dans l’original) :

[...] Ainsi, alors que le rôle premier des tribunaux de première instance consiste à résoudre des litiges sur la base des faits dont ils disposent et du droit établi, celui des cours d’appel est de préciser et de raffiner les règles de droit et de veiller à leur application universelle. Pour s’acquitter de ces rôles, les cours d’appel ont besoin d’un large pouvoir de contrôle à l’égard des questions de droit.

[217]   Les questions de droit non résolues sont généralement reconnues comme un motif d’appel important lorsque l’autorisation est en cause dans les provinces. Par exemple, dans la province de Québec, l’autorisation d’interjeter appel, lorsqu’il n’y a pas appel de plein droit, est notamment accordée s’il « s’agit d’une question de principe, d’une question nouvelle ou d’une question de droit faisant l’objet d’une jurisprudence contradictoire » : Code de procédure civile, R.L.R.Q., ch. C-25.01, article 30. De même, dans la province de l’Ontario, l’autorisation est accordée à l’égard d’une décision interlocutoire de la Cour divisionnaire de la province uniquement dans les cas où « un autre juge ou un autre tribunal de l’Ontario ou d’ailleurs a rendu une décision incompatible sur la question qui fait l’objet de l’appel projeté, et la formation de juges qui entend la motion estime qu’il est souhaitable d’accorder l’autorisation » : R.R.O. 1990, Règl. 194 [règle 62.02] : Règles de procédure civile, en vertu de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43.

[218]   De plus, en ce qui concerne la compétence de la Cour d’appel fédérale pour entendre les appels interjetés par la présente Cour, il est précisé à l’alinéa 74d) [de la LIPR] que « le jugement consécutif au contrôle judiciaire n’est susceptible d’appel en Cour d’appel fédérale que si le juge certifie que l’affaire soulève une question grave de portée générale et énonce celle-ci ». La LIPR n’exige pas explicitement que la question soit « déterminante » quant à l’issue de l’appel.

[219]   En outre, la Cour d’appel fédérale a récemment admis une exception aux exigences de certification, bien que les circonstances fussent très différentes, dans les cas où la décision de la Cour fédérale soulève des questions concernant le respect de la primauté du droit, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Tennant, 2018 CAF 132, au paragraphe 17 :

  Les situations suivantes sont visées par cette exception :

  ·             La décision de la Cour fédérale serait mal fondée ou comporterait un vice de fond influant directement sur la capacité de cette dernière de trancher le litige; par exemple, la décision révèle a priori qu’elle a manifestement outrepassé les limites de sa compétence, ou encore l’avis d’appel compte des éléments importants étayant un manquement au principe interdisant toute partialité réelle ou apparente.

  ·             L’erreur crée une crainte sérieuse liée au respect par la Cour fédérale de la primauté du droit.

[220]   À mon avis, les questions de droit non résolues soulèvent d’importantes préoccupations quant à la primauté du droit, en raison de l’incohérence possible des résultats, selon la façon dont ces questions de droit sont interprétées. À cet égard, je renvoie aux motifs dissidents des juges Côté, Brown et Moldaver dans l’arrêt Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, qui traitent, au paragraphe 89, des problèmes liés à la primauté du droit soulevés par les questions juridiques non résolues, bien que cela s’applique au palier administratif (non souligné dans l’original) : « il importe peu que l’interprétation faisant “consensus” dont parlent les juges majoritaires soit contredite par une seule ou par une centaine de décisions [administratives]; dès lors qu’une décision contraire existe, même si raisonnable, son existence même mine le principe de la primauté du droit ».

[221]   En faisant cette observation, je reconnais que la Cour d’appel fédérale ne devrait pas être submergée d’appels concernant le statut de réfugié ou d’immigrant, compte tenu du nombre important de décisions rendues dans ce domaine, comparativement à celles rendues au sein d’autres instances, dans la mesure où les demandeurs du statut de réfugié et d’immigrant ont tendance, en outre, à épuiser tous les recours judiciaires qui pourraient leur permettre d’obtenir la résidence permanente au Canada. Néanmoins, la Cour fédérale partage une préoccupation semblable et est consciente de la nécessité d’imposer des limites raisonnables quant à la possibilité d’en appeler, comme c’est le cas pour les demandes de contrôle judiciaire des décisions touchant les réfugiés, l’immigration et la citoyenneté, qui exigent de démontrer l’existence d’une cause soutenable ou de sérieuses chances de réussite.

[222]   Je reconnais également qu’aucun tribunal ne devrait être tenu d’entendre des questions théoriques, même si elles sont transcendantes ou de portée générale, qui sont élaborées par les parties, mais qui n’ont aucun rapport réel avec la décision ou aucune incidence pratique.

[223]   Toutefois, je prétends que la présente affaire soulève plusieurs questions de droit graves non résolues, qui sont transcendantes et de portée générale et qui devraient être réglées le plus rapidement possible. Il semble raisonnable de s’attendre à ce qu’une telle affaire soit entendue par la Cour d’appel fédérale si les questions ont une incidence marquée sur la décision, dans l’éventualité où elles ne seraient pas jugées déterminantes.

[224]   Pour ces motifs, la Cour conclut que la demande doit être rejetée, et les questions suivantes sont certifiées en vue d’un appel :

1.         Le fait que la Cour d’appel fédérale a conclu [au paragraphe 53], dans l’arrêt Jean Pierre, que « les mêmes considérations s’appliquent au contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait du tribunal administratif en tant que juge des faits » que celles examinées par la Cour suprême dans l’arrêt Housen empêche-t-il la Cour de procéder à une analyse du caractère raisonnable pour évaluer la preuve à l’appui d’une conclusion de fait et, plus particulièrement, le processus inférentiel suivi pour tirer une inférence de fait, de sorte que si le bien-fondé de la preuve primaire est démontré, il lui sera « difficile » d’intervenir, à moins que l’erreur ne soit tout à fait évidente, totalement déraisonnable ou des plus manifestes?

2.         La déclaration faite dans la décision Valtchev selon laquelle la Commission ne devrait tirer des conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité que dans les cas les plus évidents constitue-t-elle un principe de droit pertinent?

3.         La présomption de véracité à l’égard des déclarations faites sous serment, établie dans l’arrêt Maldonado, s’applique-t-elle uniquement à la crédibilité des déclarations faites sous serment du demandeur d’asile, et non au caractère digne de foi de ces dernières, en vertu de l’alinéa 170h) de la LIPR, et dans l’affirmative, le demandeur d’asile doit-il faire de véritables efforts pour prouver le bien-fondé de ses déclarations, notamment aux termes de la règle 11 des Règles, comme condition pour obtenir le « bénéfice du doute » et voir ses déclarations jugées dignes de foi, conformément au Guide sur les réfugiés du HCR?

 

JUGEMENT dans le dossier IMM-5130-17

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et l’intitulé est modifié de manière à indiquer comme il se doit que le défendeur est le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.

Les questions suivantes sont certifiées en vue d’un appel :

1.         Le fait que la Cour d’appel fédérale a conclu, dans l’arrêt Jean Pierre, que « les mêmes considérations s’appliquent au contrôle des conclusions de fait et des inférences de fait du tribunal administratif en tant que juge des faits » que celles examinées par la Cour suprême dans l’arrêt Housen empêche-t-il la Cour de procéder à une analyse du caractère raisonnable pour évaluer la preuve à l’appui d’une conclusion de fait et, plus particulièrement, le processus inférentiel suivi pour tirer une inférence de fait, de sorte que si le bien-fondé de la preuve primaire est démontré, il lui sera « difficile » d’intervenir, à moins que l’erreur ne soit tout à fait évidente, totalement déraisonnable ou des plus manifestes?

2.         La déclaration faite dans la décision Valtchev selon laquelle la Commission ne devrait tirer des conclusions d’invraisemblance quant à la crédibilité que dans les cas les plus évidents constitue-t-elle un principe de droit pertinent?

3.         La présomption de véracité à l’égard des déclarations faites sous serment, établie dans l’arrêt Maldonado, s’applique-t-elle uniquement à la crédibilité des déclarations faites sous serment du demandeur d’asile, et non au caractère digne de foi de ces dernières, en vertu de l’alinéa 170h) de la LIPR, et dans l’affirmative, le demandeur d’asile doit-il faire de véritables efforts pour prouver le bien-fondé de ses déclarations, notamment aux termes de la règle 11 des Règles, comme condition pour obtenir le « bénéfice du doute » et voir ses déclarations jugées dignes de foi, conformément au Guide sur les réfugiés du HCR?

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