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2019 CF 143

T-1710-16

Alexandra Morton (demanderesse)

c.

Le ministre des Pêches et des Océans, Marine Harvest Canada Inc. et Cermaq Canada Ltée (défendeurs)

T-430-18

Première Nation des ‘Namgis (demanderesse)

c.

Le ministre des Pêches et des Océans, la Garde côtière canadienne, Marine Harvest Canada Inc. et Cermaq Canada Ltée (défendeurs)

T-744-18

Première Nation des ‘Namgis (demanderesse)

c.

Le ministre des Pêches et des Océans, la Garde côtière canadienne, Marine Harvest Canada Inc. et Cermaq Canada Ltée (défendeurs)

Répertorié : Morton c. Canada (Pêches et Océans)

Cour fédérale, juge Strickland—Vancouver, 10 au 14 septembre 2018; Ottawa, 4 février 2019.

 

Pêches — Contrôles judiciaires contestant la politique du défendeur, le ministre des Pêches et des Océans (ministre), de délivrer des permis pour les transferts de saumons vivants en milieu marin sans exiger que l’on procède au dépistage de certains agents pathogènes — Les permis de transfert ne peuvent être délivrés que si les conditions énoncées à l’art. 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) (RPDG) sont remplies — Le ministère des Pêches et des Océans (le « MPO ») ne fait pas effectuer de tests de dépistage de l’orthoréovirus pisciaire (le « RVP ») ou d’une maladie appelée « inflammation des muscles squelettiques et cardiaques » (l’« IMSC ») avant de délivrer des permis (la « Politique concernant le RVP ») — Le réexamen le plus récent de la Politique concernant le RVP a eu lieu en juillet 2018 (la « décision sur la Politique concernant le RVP ») — La demande dans le dossier T-1710-16 contestait le caractère raisonnable de la décision sur la Politique concernant le RVP — La demande dans le dossier T-430-18 contestait elle aussi le caractère raisonnable de la décision sur la Politique concernant le RVP ainsi que le manquement du ministre à l’obligation de consulter la Première Nation des ‘Namgis (PNN) au sujet de cette politique — La demande dans le dossier T-744-18 cherchait à faire annuler un permis de transfert délivré à la demanderesse, Marine Harvest Canada Inc. (Marine Harvest) — L’affaire Morton c. Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 575 (Morton 2015), avait conclu précédemment qu’il n’y avait aucun lien ou rapport scientifique entre l’exigence réglementaire (qui visait à protéger la ressource) et la condition du permis (qui visait à protéger le stock) — La PNN a soutenu notamment que l’interprétation de l’art. 56 par le ministre ne cadrait pas avec la décision Morton 2015 dans la mesure où l’interprétation que faisait le ministre du membre de phrase « la protection et […] la conservation des espèces » ne s’intéressait qu’au mot « conservation » et ne faisait aucunement appel à l’analyse du mot « protection » — Il s’agissait de savoir si la décision sur la Politique concernant le RVP était raisonnable et si la décision de délivrer le permis de transfert à Marine Harvest était raisonnable — L’art. 56 du RPDG ne pouvait étayer de manière justifiable l’interprétation que le ministre a donnée au membre de phrase « pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces » — L’interprétation du ministre autorisait essentiellement n’importe quel transfert de poissons porteurs d’une maladie — Cette interprétation ne concordait pas avec la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage, et elle était déraisonnable — Le transfert de poissons que l’on sait être porteurs d’une maladie était incompatible avec l’art. 56b) du RPDG, lequel interdit les transferts de poissons porteurs de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des poissons — Un tel transfert risque de causer des dommages graves ou irréversibles, ce qui est contraire au principe de précaution — Le degré élevé des dommages potentiels qu’implique l’interprétation que fait le ministre de l’art. 56b) était incompatible avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches — L’interprétation du ministre contrecarrait l’objet de la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage — Les conclusions de la Cour dans l’affaire Morton 2015 concernant l’art. 56 et le principe de précaution n’étaient pas des opinions incidentes — L’interprétation du ministre relative à l’art. 56 doit tenir compte du principe de précaution — L’interprétation donnée par le ministre au membre de phrase « à la protection et à la conservation des espèces » ne concordait pas avec le principe de précaution — Les décisions prises en vertu de l’art. 56 qui appliquent la Politique concernant le RVP dérogeaient au principe de précaution — L’interprétation de l’art. 56 par le ministre permettait des mesures de nature à nuire à la diversité génétique, aux espèces ou à l’écosystème — La protection et la conservation des poissons s’étendent aux poissons sauvages — Le ministre était tenu de prendre en compte les saumons sauvages au moment où il a adopté et où il a continué d’appliquer la Politique concernant le RVP — Il ne l’a pas fait, ce qui fait donc que cette décision était déraisonnable — Décision sur la Politique concernant le RVP annulée.

Peuples autochtones — Obligation de consulter — Le ministre des Pêches et des Océans (ministre) a délivré des permis pour les transferts de saumons vivants en milieu marin sans exiger que l’on procède au dépistage de certains agents pathogènes et de certaines maladies — Les permis de transfert ne peuvent être délivrés que si les conditions énoncées à l’art. 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) (RPDG) sont remplies — Le ministère des Pêches et des Océans (le « MPO ») ne fait pas effectuer de tests de dépistage de l’orthoréovirus pisciaire (le « RVP ») ou d’une maladie appelée « inflammation des muscles squelettiques et cardiaques » (l’« IMSC ») avant de délivrer des permis (la « Politique concernant le RVP ») — Le réexamen le plus récent de la Politique concernant le RVP a eu lieu en juillet 2018 (la « décision sur la Politique concernant le RVP ») — La demanderesse, la Première Nation des ‘Namgis (la PNN), a soutenu que le ministre a manqué à l’obligation de la consulter au sujet de la Politique concernant le RVP et de la délivrance d’un permis de transfert à la demanderesse, Marine Harvest Canada Inc. — Il s’agissait de savoir si le ministre a manqué à l’obligation de consulter la PNN au sujet de la décision sur la Politique concernant le RVP et de la décision de délivrer le permis de transfert — La décision sur la Politique concernant le RVP était susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux de la PNN — Le MPO n’a pas avisé la PNN de la modification qui a été apportée à tous les permis d’aquaculture existants — L’omission d’informer la PNN de la modification était incompatible avec le fait que le MPO avait, comme il a été établi et comme il le reconnaissait lui-même, pour pratique de mener des consultations sur les permis d’aquaculture — Le MPO aurait dû répondre à la préoccupation de la PNN et en discuter — La demande de la PNN a fait en sorte que le MPO se devait de lui répondre — Le MPO a manqué à l’obligation de consulter.

Pratique — Affidavits — Le ministre des Pêches et des Océans (ministre) a délivré des permis pour les transferts de saumons vivants en milieu marin sans exiger que l’on procède au dépistage de certains agents pathogènes — La demanderesse, la Première Nation des ‘Namgis (PNN), cherchait à faire annuler un permis de transfert délivré à la demanderesse, Marine Harvest Canada Inc., au motif notamment que ce permis a été délivré en contravention à l’art. 56 du RPDG — Elle a affirmé que le ministre a agi de mauvaise foi en favorisant indûment les intérêts de l’industrie aquacole sans tenir compte de la protection et de la conservation des poissons, ainsi que l’exige l’art. 56 — À l’appui de ses allégations de mauvaise foi, elle s’est fondée sur les affidavits d’experts — Les affidavits des experts n’étaient pas admissibles — Ils n’ont pas passé en revue de manière neutre et non controversée les preuves qui ont été soumises à la déléguée du ministre — L’admission des affidavits aurait eu pour effet de transformer le contrôle judiciaire en un nouveau procès sur le bien-fondé des éléments scientifiques — Les affidavits ne répondaient pas aux conditions de pertinence et de nécessité — Ils ne tombaient sous le coup d’aucune des exceptions à la règle interdisant l’admission de preuves dont ne disposait pas le décideur — Ils n’ont pas établi que le MPO a agi de façon incompatible avec le mandat que la loi lui confie et avec une telle indifférence que l’on peut en déduire une absence de bonne foi et présumer de la mauvaise foi — Ils n’ont pas montré que le MPO a agi de manière illégitime.

Il s’agissait de demandes de contrôle judiciaire contestant la politique du défendeur, le ministre des Pêches et des Océans (ministre), de délivrer des permis pour les transferts de saumons vivants en milieu marin sans exiger que l’on procède au dépistage de certains agents pathogènes et de certaines maladies qui touchent les saumons.

Le ministre ne peut délivrer un tel permis que si les conditions énoncées à l’article 56 du Règlement de pêche (dispositions générales) (RPDG) sont remplies, à savoir que la libération ou le transfert des poissons est en accord avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches (alinéa 56a)); que les poissons sont exempts de maladies (alinéa 56b)); et que la libération ou le transfert ne risque pas d’avoir un effet néfaste sur la taille du stock de poisson ou sur les caractéristiques génétiques du poisson ou des stocks de poisson (alinéa 56c)). Le ministère des Pêches et des Océans (le « MPO ») a pour politique de ne pas faire effectuer de tests de dépistage de l’orthoréovirus pisciaire (le « RVP »), un virus hautement infectieux, ou d’une maladie appelée « inflammation des muscles squelettiques et cardiaques » (l’« IMSC ») avant de délivrer des permis en vue du transfert de saumons juvéniles entre des écloseries sur terre et des parcs en filet en mer dans le cadre d’activités aquacoles ou de libérations effectuées dans le cadre de programmes de mise en valeur des saumons sauvages (la « Politique concernant le RVP »). Le MPO a réexaminé ― mais maintenu ― la Politique concernant le RVP à plusieurs reprises. Le ministre, par l’intermédiaire de sa déléguée, a décidé à six reprises de poursuivre l’application de la Politique concernant le RVP entre 2015 et 2018. Le réexamen le plus récent, daté du 28 juillet 2018, est la décision qui a fait l’objet du contrôle en l’espèce (la « décision sur la Politique concernant le RVP »).

La demande dans le dossier T-1710-16 contestait le caractère raisonnable de la décision sur la Politique concernant le RVP. La demanderesse dans ce dossier a sollicité plusieurs ordonnances, notamment une ordonnance déclarant que la Politique concernant le RVP était illégale, une ordonnance enjoignant au ministre d’exiger la tenue de tests de dépistage du RVP dans le cadre du processus de demande de permis de transfert de poissons, et une ordonnance interdisant le transfert des saumons infectés par le RVP. La demande dans le dossier T-430-18 contestait elle aussi le caractère raisonnable de la décision sur la Politique concernant le RVP. La Première Nation des ‘Namgis (la PNN) a soutenu en outre que le ministre a manqué à l’obligation de la consulter au sujet de cette politique. Dans le dossier T-744-18, la PNN cherchait à faire annuler un permis de transfert que le MPO a délivré à l’installation de l’île Swanson, exploitée par la demanderesse, Marine Harvest Canada Inc. (Marine Harvest), aux motifs que ce permis a été délivré en contravention à l’article 56 du RPDG, que la décision de le délivrer était déraisonnable et que le ministre a manqué à l’obligation de la consulter avant de délivrer ce permis ainsi qu’à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers elle. La demanderesse dans le dossier T-1710-16 avait aussi été la demanderesse dans l’affaire Morton c. Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 575 (Morton 2015), où l’on a soulevé la question de savoir si certaines conditions dont était assorti un permis d’aquaculture délivré à Marine Harvest pour les activités qu’elle menait répondaient aux exigences de l’article 56 du RPDG ou étaient compatibles avec cette disposition. La Cour dans l’affaire Morton 2015 a conclu notamment qu’il n’y avait aucun lien ou rapport scientifique entre l’exigence réglementaire (qui visait à protéger la ressource) et la condition du permis. Elle a aussi conclu que certaines conditions contournaient les exigences réglementaires de l’alinéa 56b) et autorisaient Marine Harvest à effectuer des transferts dans des conditions moins exigeantes que celles qui étaient établies par la loi. Par suite de l’affaire Morton 2015, le ministre a délivré des permis d’aquaculture modifiés indiquant que le titulaire de permis était tenu de présenter une demande au Comité des introductions et des transferts (CIT) de la Colombie-Britannique en vue d’obtenir l’autorisation de transférer des poissons. Le CIT recommande au gestionnaire régional du MPO que la demande soit accueillie, avec ou non d’autres conditions de permis. Dans le dossier T-430-18, la PNN a qualifié de déraisonnable l’interprétation que fait le ministre de l’article 56 compte tenu principalement des arguments de mauvaise foi qu’elle a invoqués. Elle a soutenu aussi que cette interprétation de l’article 56 ne cadrait pas avec la décision Morton 2015 dans la mesure où l’interprétation que faisait le ministre du membre de phrase « la protection et […] la conservation des espèces » ne s’intéressait qu’au mot « conservation » et ne faisait aucunement appel à l’analyse du mot « protection », se fondant plutôt sur la définition de « conservation » qui apparaît dans le document intitulé La politique du Canada pour la conservation du saumon sauvage du Pacifique (la Politique concernant le saumon sauvage). La définition du mot « conservation » que l’on trouve dans la Politique concernant le saumon sauvage a trait à la protection de la diversité génétique des saumons sauvages et des espèces de saumons sauvages ainsi qu’à leur capacité de soutenir la biodiversité et de se reproduire. La PNN a affirmé que le ministre a agi de mauvaise foi en favorisant indûment les intérêts de l’industrie aquacole sans tenir compte de la protection et de la conservation des poissons, ainsi que l’exigent l’article 56 et la décision Morton 2015. À l’appui de ses allégations de mauvaise foi, la PNN s’est fondée non seulement sur le dossier qui a été soumis à la déléguée, mais aussi sur les affidavits d’experts dont elle a retenu les services en lien avec la présente instance.

Il s’agissait principalement de savoir si la décision sur la Politique concernant le RVP était raisonnable (T-1710-16 et T-430-18), si le ministre a manqué à l’obligation de consulter la PNN au sujet de la décision sur la Politique concernant le RVP (T-430-18), et si la décision de délivrer le permis de transfert à Marine Harvest était raisonnable.

Jugement  : les demandes dans les dossiers T-1710-16 et T-430-18 doivent être accueillies; la demande dans le dossier T-744-18 doit être rejetée.

L’article 56 du RPDG ne pouvait étayer de manière justifiable l’interprétation que le ministre a donnée au membre de phrase « pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». L’interprétation du ministre semblait imposer un seuil ou un « niveau » de dommages potentiels qui autorisait essentiellement n’importe quel transfert de poissons porteurs d’une maladie ou d’un agent pathogène sauf si ce transfert présente un risque pour la diversité génétique, les espèces ou les unités de conservation. Cela ne concordait pas avec la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage, et cela était déraisonnable. Comme le ministre considère les « poissons » comme un agrégat d’un stock ou d’une unité de conservation de poissons sauvages, cette interprétation dénotait un degré de dommages potentiels acceptables au niveau des unités de conservation ou des espèces. Le transfert de poissons que l’on sait être porteurs d’une maladie susceptible de nuire gravement aux pêches est incompatible avec l’alinéa 56b), lequel interdit les transferts de poissons porteurs de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des poissons. Un transfert de poissons qui est susceptible de causer des dommages à une unité de conservation ou à une espèce est un transfert ayant un grave impact potentiel. De plus, il risque de causer des dommages graves ou irréversibles, ce qui est contraire au principe de précaution. Le degré élevé des dommages potentiels qu’implique l’interprétation que fait le ministre de l’alinéa 56b) pourrait également avoir un effet néfaste sur la taille du stock ou, par la diminution du nombre de poissons, sur les caractéristiques génétiques des poissons ou des stocks de poissons. Il n’était pas clair non que de tels dommages potentiels seraient compatibles avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches, comme le veut l’alinéa 56a). En résumé, bien qu’elle soit censée avoir pour effet d’adopter la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage, l’interprétation du ministre contrecarrait l’objet de cette définition en exigeant qu’une espèce ou une unité de conservation soit exposée à des dommages potentiels importants avant que l’on déclenche l’application de l’alinéa 56b) pour interdire un transfert. Les conclusions de la Cour dans l’affaire Morton 2015 concernant l’article 56 et le principe de précaution, qui reconnaît que l’absence d’une totale certitude scientifique ne doit pas servir de prétexte pour éviter ou ajourner la prise de mesures visant à protéger l’environnement, n’étaient pas des opinions incidentes. Étant donné que l’article 56 incorpore le principe de précaution, l’interprétation du ministre relative à l’article 56 doit aussi en tenir compte. Cela dit, le principe de précaution n’a pas pour objet de créer ou de procurer aux demanderesses des droits substantiels, comme celui de pouvoir exiger que le ministre procède à des tests de dépistage ou recueille des informations sur la présence du RVP ou de l’IMSC chez les saumons avant un transfert. Même si la décision Morton 2015 a établi que le membre de phrase « qui pourraient nuire » n’exige pas de certitude scientifique ou qu’il soit même probable que le transfert causera des dommages, le fait de ne pas exiger une certitude scientifique n’équivaut pas à exiger une absence totale d’incertitude. Toutefois, la difficulté à laquelle le ministre était confronté en l’espèce était que le seuil de dommages qu’implique l’interprétation qu’il a donnée au membre de phrase « à la protection et à la conservation des espèces », à l’alinéa 56b) du RPDG, ne prenait pas en compte le principe de précaution ni ne concordait avec celui-ci. En fin de compte, les décisions prises en vertu de l’article 56 qui appliquent la Politique concernant le RVP, laquelle repose sur l’interprétation du ministre, dérogeaient aussi au principe de précaution. Le principe de précaution ne veut pas dire que tout risque de dommages potentiels est acceptable s’il ne s’agit pas de dommages graves ou irréversibles, comme la disparition d’une espèce. Le principe commande plutôt une prudence accrue lorsque les données sont incertaines et, le cas échéant, que l’on veille à ce que des mesures soient prises pour éviter de causer des dommages irréversibles, même quand le risque de le faire est incertain. L’interprétation de l’article 56 par le ministre permettait des mesures de nature à nuire à la diversité génétique, aux espèces ou à l’écosystème d’un stock ou d’une unité de conservation. La protection et la conservation des poissons s’étendent aux poissons sauvages, comme les saumons du Pacifique sauvages. Vu le rôle que joue la conservation des pêches au sein du régime réglementaire régissant les transferts de poissons à des fermes piscicoles, et comme il ressort de l’article 56, y compris l’interprétation du ministre relative à cette disposition, les saumons sauvages sont un facteur pertinent que le ministre était tenu de prendre en compte au moment où il a adopté et où il a continué d’appliquer la Politique concernant le RVP. Même si l’état et la santé des saumons du Pacifique sauvages faisaient peut-être bien partie du contexte général dans lequel elle a pris sa décision, la déléguée du ministre n’a pas pris précisément en compte ce facteur dans le contexte des incertitudes scientifiques entourant le RVP et l’IMSC, ce qui fait donc que cette décision était déraisonnable. En ne traitant pas de la santé et de l’état des saumons du Pacifique sauvages au moment de prendre la décision sur la Politique concernant le RVP, la déléguée a de plus fait abstraction du principe de précaution.

Les affidavits des experts de la PNN n’étaient pas admissibles. Ils n’ont pas passé en revue de manière neutre et non controversée les preuves qui ont été soumises à la déléguée. Ils ont au contraire fourni de nouveaux renseignements, ont traité du bien-fondé de l’affaire tranchée par la déléguée, se sont livrés à une interprétation des preuves et ont contesté le caractère raisonnable et la validité scientifique de la Politique concernant le RVP et de la décision de procéder à un réexamen. Quant à l’exception relative au but illégitime ou à la mauvaise foi, rien dans les affidavits n’évoquait une inconduite ou la mauvaise foi. Le fait que des scientifiques aient eu des opinions différentes ne permettait pas de conclure à de la mauvaise foi. L’admission des affidavits d’experts de la PNN aurait eu pour effet de transformer le contrôle judiciaire, qui se veut un processus sommaire, en un nouveau procès sur le bien-fondé des éléments scientifiques, ce qui éloignerait la Cour du rôle qu’elle est censée jouer et la transformerait en une tribune de recherche des faits qui intéressent le fond de l’affaire. Bien que la preuve d’opinion d’un expert dûment qualifié puisse être admissible si elle est pertinente, nécessaire pour aider la Cour et qu’elle n’est pas assujettie à une règle d’exclusion quelconque, les affidavits d’experts de la PNN qui ont été déposés en l’espèce ne répondaient pas à ces exigences. Ils ne tombaient sous le coup d’aucune des exceptions à la règle interdisant l’admission de preuves dont ne disposait pas le décideur. Les affidavits d’experts de la PNN n’ont pas établi que le MPO a, à maintes reprises, agi de façon incompatible avec le mandat que la loi lui confie et avec une telle indifférence que l’on peut en déduire une absence de bonne foi et présumer de la mauvaise foi. Ces affidavits n’ont pas montré non plus que le MPO a agi de manière illégitime en vue de favoriser les intérêts de l’industrie aquacole.

Bien que le ministre ait soutenu que le MPO a déterminé que le RVP et l’IMSC présentent un faible risque pour les saumons sauvages et, partant, pour les droits de la PNN, il ne s’en suivait pas pour autant qu’il s’agissait là d’une raison pour refuser de tenir des consultations quand cette évaluation du risque était l’élément qui a donné lieu à la demande de le faire. Les résultats d’une étude scientifique étayent l’idée que le RVP est susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux de la PNN si l’IMSC est transmissible aux saumons du Pacifique sauvages. Par conséquent, la décision sur la Politique concernant le RVP était susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux de la PNN. Malgré la pratique qu’a le MPO de procéder à des consultations régulières, il ne semble pas qu’il ait avisé la PNN de la modification qui a été apportée à tous les permis d’aquaculture existants en réponse à la décision Morton 2015, selon laquelle les titulaires de permis d’aquaculture étaient tenus de présenter au CIT une demande d’autorisation distincte. L’omission d’informer la PNN de la modification était incompatible avec le fait que le MPO avait, comme il a été établi et comme il le reconnaissait lui-même, pour pratique de mener des consultations sur les permis d’aquaculture. Il n’aurait pas été trop ardu pour le MPO de traiter des questions relatives à la santé des poissons et au transfert de poissons dans le contexte de la modification des permis. Lorsque la PNN a fait part de son inquiétude à propos de la poursuite des transferts sans que l’on procède à des tests de dépistage du RVP et lorsqu’elle a souhaité que l’on tienne des consultations sur cette question, le MPO, dans le cadre de son processus de consultation continu au sujet de la gestion de l’aquaculture et de l’octroi de permis d’aquaculture, aurait dû répondre à cette préoccupation et en discuter. La demande de la PNN a fait en sorte que le MPO se devait de lui répondre dans le contexte de son obligation continue de consultation. Lorsque le MPO a réexaminé par la suite la Politique concernant le RVP sans répondre aux préoccupations de la PNN, il a manqué à cette obligation.

Le manquement à l’équité procédurale reproché découlait de la requête en injonction que la PNN a présentée dans le dossier T-430-18 en vue d’empêcher la délivrance du permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson. L’argument de la PNN ne pouvait être retenu. Les preuves étayant la requête en injonction ont été transmises au ministre et au CIT la veille de la décision anticipée sur la requête en injonction. La PNN aurait pu demander aux avocats du MPO de soumettre les documents au CIT aussitôt qu’ils ont été mis à sa disposition. Il était sûr qu’en recevant des observations aussi volumineuses et substantielles la veille de la décision, le CIT n’aurait pas le temps de les examiner, car il fallait que la décision concernant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson soit prise sur-le-champ. Le défaut du CIT ou du ministre d’examiner les documents dans ces circonstances n’était pas assimilable à un manquement à l’obligation de consultation ou à un manquement à une obligation d’équité procédurale.

En ce qui concerne les mesures de réparation, la décision du 28 juin 2018 que la déléguée a rendue au sujet de la Politique concernant le RVP, qui a maintenu l’application de cette politique, a été annulée. Le ministre ou sa déléguée ont été tenus de prendre en considération les présents motifs, les conclusions tirées dans la décision Morton 2015 ainsi que les données scientifiques récentes concernant le diagnostic de l’IMSC, au moment de réexaminer la Politique. La Cour a suspendu son jugement pour une période de quatre mois à compter de la date de son prononcé pour donner le temps au MPO de terminer l’évaluation des risques qu’il a entreprise au sujet du RVP et de l’IMSC. Enfin, la Cour n’était pas convaincue que l’article 56 du RPDG crée une obligation de retirer les poissons déjà transférés même si le permis de transfert pour l’installation de l’Île Swanson a été délivré à tort. La prépondérance des inconvénients ne favorisait pas la requête en bref de mandamus de la PNN dans le cadre de la présente demande.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), annexe II, no 5], art. 91(12).

Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 35.

Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, art. 30.

Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1.

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, art. 18.1.

Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29.

Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5.

Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, art. 7.

Règlement de pêche (dispositions générales), SORS/93-53, art. 22(1), 54, 55, 56.

Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010-270, ss. 3(1), 4.

Règlement sur les activités d’aquaculture, DORS/2015-177.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règles 4, 95(1), 221, 306, 308, 312, 317, 318, 400(1),(3),(4),(5), tarif B, colonnes III, V.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Accord des Nations Unies sur les stocks de poissons chevauchants et grands migrateur, 4 août 1995, 2167 R.T.N.U. 3.

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions appliquées :

Morton c. Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 575; Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie, 2014 CAF 88; Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294; Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyrights Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22; Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263; Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511; Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650; Première Nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550; R. v. Douglas, 2007 BCCA 265, 219 C.C.C. (3d) 115; Hupcasath c. Canada (Affaires étrangères), 2013 CF 900, [2014] 4 R.C.F. 836; Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.).

décisions différenciées :

Azizian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 379; South Yukon Forest Corporation c. Canada, 2010 CF 495.

décisions examinées :

Première nation de Namgis c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2018 CF 334; Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12; R. v. Douglas, 2008 BCSC 7089; R. v. Aleck, 2000 BCPC 177, conf. par 2008 BCSC 1096, [2008] 4 C.N.L.R. 102; Lake Waseosa Ratepayers’ Association v. Pieper, 2008 CanLII 6999 (C. div. Ont.); Mountain Parks Watershed Assn. c. Chateau Lake Louise Corp., 2004 CF 1222; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203 Greenpeace Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 114; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Seifert, 2006 CF 270; Première Nation Yellowknives Dene c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148; Farhadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 926.

décisions citées :

Morton v. British Columbia (Agriculture and Lands), 2009 BCSC 136, [2009] 7 W.W.R. 690; RJR―MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Duyvenbode c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 120; Société Canadian Tire Ltée c. Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56; Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47; Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 15291; Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38; Catalyst Paper Corporation c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5; Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Canada, 2018 CAF 58; Malcolm c. Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130; Ahousaht Indian Band v. Canada (Attorney General), 2009 BCSC 1494, [2010] 1 C.N.L.R. 1, confirmée sur ce point, infirmée et modifiée en partie pour d’autres motifs par 2011 BCCA 237, 333 D.L.R. (4th) 197; UHA Research Society c. Canada (Procureur général), 2013 CF 169, [2014] 3 R.C.F. 42, Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230; Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266; Canada (Procureur général) c. Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75; Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, [2015] 4 R.C.F. 297, Fondation David Suzuki c. Canada (Santé), 2018 CF 380; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2012 CAF 322; Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308; R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533; Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257, [2017] 3 R.C.F. 123; McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Sierra Club Canada v. Ontario (Ministry of Natural Resources), 2011 ONSC 4655, 344 D.L.R. (4th) 148 (C. Div.); Western Canada Wilderness Committee v. British Columbia (Ministry of Forests), 2003 BCCA 403, 1 Admin. L.R. (4th) 167; Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302; 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), 2001 CSC 40, [2001] 2 R.C.S. 241; Dynamitage Castonguay Ltée c. Ontario (Environnement), 2013 CSC 52, [2013] 3 R.C.S. 323; Lake Waseosa Ratepayers’ Association v. Pieper, 2008 CanLII 65771 (C. div. C.S. Ont.); Frémy c. Canada (Procureur général), 2018 CF 434; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 R.C.F. 425; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 32; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128; Blaney v. British Columbia (Minister of Agriculture, Food and Fisheries), 2005 BCSC 283, 32 Admin. L.R. (4th) 87; Alberta Wilderness Association c. Canada (Environnement), 2009 CF 710; Liidlii Kue First Nation c. Canada (Procureur général), 2000 CanLII 15881 (C.F.); Beckman c. Première Nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386; Première Nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388; Première Nation Denesuline de Fond du Lac c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 73; Louis v. British Columbia (Minister of Energy, Mines, and Petroleum Resources), 2013 BCCA 412, 368 D.L.R. (4th) 44; West Moberly First Nations v. British Columbia (Chief Inspector of Mines), 2011 BCCA 247, 333 D.L.R. (4th) 31; Peter Ballantyne Cree Nation v. Canada (Attorney General), 2016 SKCA 124, 485 Sask. R. 162; Première nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish c. Canada (Procureur général), 2012 CF 517; Première nation des K’ómoks c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1160; R. v. Lefthand, 2007 ABCA 206, 77 Alta. L.R. (4th) 203; Fort Nelson First Nation v. British Columbia (Environmental Assessment Office), 2016 BCCA 500, [2017] 4 W.W.R. 422; Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Rocky Mountain Ecosystem Coalition c. Canada (Office national de l’énergie), 1999 CanLII 8615 (C.F.); Vardy c. Scott et al., [1977] 1 R.C.S. 293; Magalong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 966; Callaghan c. Canada (Directeur général des élections), 2011 CAF 74, [2011] 2 R.C.F. 80; Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25.

DOCTRINE CITÉE

Brown, Donald et John Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles, révision 2017-4, Toronto  : Thomson Reuters Canada Ltd., 2017.

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Canada. Ministère des Pêches et des Océans. Réglementation et surveillance des installations de pisciculture marine de la Colombie-Britannique, 2017. Ottawa : Pêches et Océans Canada, 2018.

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DEMANDES de contrôle judiciaire contestant la politique du défendeur, le ministre des Pêches et des Océans (ministre), de délivrer des permis pour les transferts de saumons vivants en milieu marin sans exiger que l’on procède au dépistage de certains agents pathogènes et de certaines maladies qui touchent les saumons. Demandes dans les dossiers T-1710-16 et T-430-18 accueillies; demande dans le dossier T-744-18 rejetée.

ONT COMPARU

Margot Venton, Kegan Pepper-Smith et Olivia French pour la demanderesse Alexandra Morton.

Sean P. Jones, Aaron Christoff, Maxime Faille, Paul Seaman et Scott A. Smith pour la demanderesse, la Première Nation des ‘Namgis.

Kevin O’Callaghan et Dani Bryant pour la défenderesse, Cermaq Canada Ltée.

Tim Timberg, Lisa McDonald et Gwen MacIsaac pour les défendeurs, le ministre des Pêches et des Océans et la Garde côtière canadienne.

Chris Watson et Emily Dvorak pour la défenderesse, Marine Harvest Inc.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

EcoJustice, Vancouver, pour la demanderesse Alexandra Morton.

Gowling WLG (Canada) LLP, Vancouver, pour la demanderesse, la Première Nation des ‘Namgis.

Fasken Martineau DuMoulin LLP, Vancouver, pour la défenderesse, Cermaq Canada Ltd.

La sous-procureure générale du Canada pour les défendeurs, le ministre des Pêches et des Océans et la Garde côtière canadienne.

MacKenzie Fujisawa LLP, Vancouver, pour la défenderesse Marine Harvest Inc.

 

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

            La juge Strickland :

TABLE DES MATIÈRES

I.          Introduction               1

II.         Les parties                 5

A.        Mme Morton                5

B.        La Première Nation des Namgis               7

C.        Le ministre    11

D.        Marine Harvest Canada Inc.          12

E.        Cermaq Canada Ltd.           13

III.        Le contexte               14

A.        La législation applicable     14

(i)         La Loi sur les pêches          14

(ii)        Le Règlement de pêche (dispositions générales)          15

(iii)       Le Règlement du Pacifique sur l’aquaculture     19

B.        La décision Morton 2009                20

C.        Le cycle de production d’une ferme piscicole    21

D.        Le RVP et l’IMSC     27

E.        La décision Morton 2015                32

F.         Les permis de transfert après l’affaire Morton 2015       42

IV.       La politique concernant le RVP    45

A.        Les décisions antérieures  46

(i)         La décision de juin-juillet 2015     46

(ii)        La décision de septembre 2015    46

(iii)       La décision de juin 2016    46

(iv)       La décision du 30 janvier 2017     46

(v)        La décision du 9 mars 2018           46

(vi)       La décision du 28 juin 2018          46

B.        La décision faisant l’objet du présent contrôle   47

(i)         La réponse des Sciences du SCCS de 2015     50

(ii)        La note de service adressée à la DGR du 30 janvier 2017      54

(iii)       La réponse rapide des Sciences de mars 2018                         58

(iv)       La réponse rapide des Sciences de juin 2018                           67

V.        La requête en injonction de la Première Nation des Namgis (T-430-18)       76

VI.       Les questions en litige                    78

VII.      Analyse                     80

A.        La question no 1 : La décision sur la Politique concernant le RVP est-elle raisonnable (T-1710-16 et T-430-18)?                                 80

(i)         Question préliminaire – Les requêtes fondées sur la règle 312 des Règles (T-1710-16)                              80

(ii)        La norme de contrôle applicable               110

(iii)       Le ministre a-t-il interprété l’article 56 du RPDG de manière raisonnable?                          117

(iv)       Le ministre a-t-il dérogé au principe de précaution?     149

(v)        Le ministre a-t-il fait abstraction de l’état de santé des saumons sauvages?                       172

(vi)       Le ministre a-t-il agi de mauvaise foi (T-430-18)?          215

B.        La question no 2 : Le ministre a-t-il manqué à l’obligation de consulter la PNN au sujet de la décision sur la Politique concernant le RVP (T-430-18)?                            290

(i)         Le sommaire des thèses des parties                    290

(ii)        La norme de contrôle applicable                           294

(iii)       La jurisprudence pertinente                                   297

(iv)       Les consultations antérieures du MPO               298

(v)        Analyse                                             307

C.        La question no 3 : La décision de délivrer le permis de transfert à Marine Harvest est-elle raisonnable (T-744-18)?                             335

(i)         Le ministre a-t-il manqué à l’obligation de consultation?         338

(ii)        Le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson a-t-il été délivré en violation de l’article 56 du RPDG?                                   339

(iii)       Le ministre a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale?           340

(iv)       La requête du ministre en vue de faire radier l’avis de demande 354          

(v)        La requête de Marine Harvest en vue de faire radier l’affidavit no 2 de M. Drastil                                       360

                        D.        La question no 4 : Les mesures de réparation                            363

(i)         Le dossier T-1710-18                      363

(ii)        Le dossier T-430-18                         367

(iii)       Le dossier T-744-18                         372

E.        La question no 5 : Les dépens                   387

(i)         Le dossier T-1710-16                      388

(ii)        Les dossiers T-430-18 et T-744-18           395

I.          INTRODUCTION

[1]        Le Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 (le « RPDG »), pris en vertu de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14 (la « Loi sur les pêches » ou la « Loi »), fait partie du régime canadien de gestion des pêches. Il exige que le ministre des Pêches (le « ministre ») délivre un permis avant que l’on puisse transférer des poissons vivants dans un habitat du poisson ou dans une installation d’élevage. Le ministre ne peut délivrer un tel permis que si les conditions énoncées à l’article 56 du RPDG sont remplies. Les trois demandes de contrôle judiciaire dont il est question en l’espèce ont toutes trait à des contestations de la politique qu’applique le ministre, soit celle de délivrer des permis pour les transferts de saumons vivants en milieu marin sans exiger que l’on procède au dépistage de certains agents pathogènes et de certaines maladies qui touchent les saumons. Plus précisément, le ministère des Pêches et des Océans (le « MPO ») a pour politique de ne pas faire effectuer de tests de dépistage de l’orthoréovirus pisciaire (le « RVP »), aussi appelé réovirus pisciaire, ou d’une maladie appelée « inflammation des muscles squelettiques et cardiaques » (l’« IMSC ») avant de délivrer des permis en vue du transfert de saumons juvéniles entre des écloseries sur terre et des parcs en filet en mer dans le cadre d’activités aquacoles ou de libérations effectuées dans le cadre de programmes de mise en valeur des saumons sauvages (la « Politique concernant le RVP »). Le MPO a réexaminé ― mais maintenu ― la Politique concernant le RVP à plusieurs reprises. Le réexamen le plus récent, daté du 28 juillet 2018, constitue la décision qui fait l’objet du contrôle en l’espèce( la « décision sur la Politique concernant le RVP »).

[2]        Alexandra Morton (Mme Morton), la demanderesse dans le dossier T-1710-16, et la Première Nation des Namgis (la PNN), la demanderesse dans le dossier T-430-18, contestent toutes deux le caractère raisonnable de la décision sur la Politique concernant le RVP. La PNN soutient en outre que le ministre a manqué à l’obligation de la consulter au sujet de cette politique. Elle a également déposé une seconde demande de contrôle judiciaire, le dossier T-744-18, par laquelle elle cherche à faire annuler un permis de transfert que le MPO a délivré à une entreprise salmonicole, Marine Harvest Canada Inc. (Marine Harvest), aux motifs que ce permis a été délivré en contravention à l’article 56 du RPDG, que la décision de le délivrer était déraisonnable et que le ministre a manqué, à l’obligation de la consulter avant de délivrer ce permis ainsi qu’à l’obligation d’équité procédurale à laquelle il était tenu envers elle.

[3]        Les trois demandes de contrôle judiciaire ont été entendues consécutivement pendant cinq jours, à Vancouver en Colombie-Britannique (C.-B.). De plus, 10 requêtes ont été déposées dans le cadre des demandes dont il est question en l’espèce, et la juge chargée de la gestion de l’instance, la protonotaire Aylen, a décidé qu’elles devaient être tranchées par le juge des demandes.

[4]        En raison du chevauchement des faits et des questions en litige, j’examine les trois demandes ensemble dans les présents motifs et je traite des diverses requêtes dans le contexte de la demande et du point en litige pertinents.

II.         LES PARTIES

A.        Mme Morton

[5]        Mme Morton est une biologiste qui, depuis 1984, vit et travaille dans l’archipel Broughton, lequel est situé dans le détroit de la Reine-Charlotte, entre l’île de Vancouver et la partie continentale de la Colombie-Britannique. Ce secteur comporte une grande concentration de sites aquacoles dotés de parcs en filet, ou « fermes piscicoles ». Mme Morton s’intéresse depuis longtemps à l’impact potentiel de la salmoniculture sur l’écosystème marin de la zone côtière de la Colombie-Britannique, en particulier, ainsi qu’à l’effet de l’aquaculture sur la santé des saumons sauvages. Il s’agit là d’une cause qui lui tient particulièrement à cœur. Elle s’est vu accorder antérieurement la qualité pour agir dans l’intérêt public dans l’affaire Morton v. British Columbia (Agriculture and Lands), 2009 BCSC 136, [2009] 7 W.W.R. 690 (Morton 2009), dans laquelle la réglementation provinciale en matière de salmoniculture en Colombie-Britannique a été contestée avec succès. Elle a également obtenu la qualité pour agir, de pair avec la Raincoast Research Society et la Pacific Wild Coast Salmon Society, dans le cadre de la Commission d’enquête sur le déclin des populations de saumon rouge du fleuve Fraser, dont les résultats ont été publiés dans le document suivant : Canada, Commission d’enquête sur le déclin des populations de saumon rouge du fleuve Fraser, L’avenir incertain du saumon rouge du fleuve Fraser, Ottawa, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, 2012 (la « Commission Cohen »), et ce, sur le fondement d’un intérêt direct et important quant à la question de savoir si l’aquaculture est une cause du déclin du saumon rouge dans le fleuve Fraser, ainsi qu’à celle des politiques et des procédures du MPO qui se rapportent à l’aquaculture.

[6]        Par ailleurs, Mme Morton était la demanderesse dans l’affaire Morton c. Canada (Pêches et Océans), 2015 CF 575 (Morton 2015). Bien que cette décision soit d’une grande pertinence pour ce qui est des demandes dont il est question en l’espèce, il suffit de signaler que Mme Morton a contesté avec succès certaines conditions d’un permis d’aquaculture accordé à Marine Harvest en lien avec le transfert de poissons d’élevage. Dans la décision Morton 2015, le juge Rennie a fait remarquer que Mme Morton avait engagé cette instance dans l’intérêt du public et que sa qualité pour agir n’était pas contestée. Dans le même ordre d’idées, la qualité pour agir de Mme Morton n’est pas contestée dans la demande de contrôle judiciaire qu’elle a déposée dans le cadre du dossier T-1710-16.

B.        La Première Nation des Namgis

[7]        La PNN est une bande au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, et ses membres font partie des « peuples autochtones » au sens de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44] (la « Loi constitutionnelle de 1982 »).

[8]        Don Svanvik, le conseiller en chef élu de la PNN (le « chef Svanvik ») est l’auteur d’un affidavit souscrit le 7 mars 2018 (l’affidavit du chef Svanvik), qui a été déposé dans les dossiers T-430-18 et T-744-18. Cet affidavit décrit, notamment, l’histoire de la PNN, sa culture ainsi que ses revendications fondées sur un titre et des droits ancestraux.

[9]        La PNN soutient que son territoire traditionnel englobe dans leur intégralité les bassins versants des rivières Nimpkish et Kokish, qui sont situées dans le nord de l’île de Vancouver, de même que les zones marines adjacentes qui se situent à l’intérieur ou autour de l’île Malcolm, de l’île Cormorant, de l’île Swanson, de l’île Hanson, de l’île Foster et du groupe d’îles Plumber et Pearce, le territoire qu’elle revendique. Elle considère que la rivière Nimpkish, sur l’île de Vancouver, est située au cœur de son territoire et revêt une importance considérable pour la collectivité.

[10]      La PNN revendique les droits et titre ancestraux sur l’ensemble de ce territoire, ce qui inclut le titre afférent aux terres, à l’eau, à l’air, à la zone intertidale marine et au fond marin, de même que les droits de pêche, de chasse, de cueillette et de gouvernance. En particulier, elle affirme que les saumons sauvages du Pacifique, dont le saumon rouge, le saumon kéta, le saumon rose, le saumon chinook (aussi appelé saumon quinnat) et le saumon coho, font partie intégrante de son histoire et de ses traditions orales ainsi que de son mode de vie, de son économie, de sa culture, de ses cérémonies, de son alimentation et de ses activités commerciales. Elle allègue de plus qu’il y a eu un net déclin des populations de saumons du Pacifique sauvages dans le territoire qu’elle revendique.

C.        Le ministre

[11]      Le ministre est chargé de l’application de la Loi sur les pêches et, sous le régime de celle-ci, il a le vaste pouvoir discrétionnaire d’autoriser et de délivrer des permis de pêche, ce qui inclut les permis d’aquaculture et les permis de transfert de poissons.

D.        Marine Harvest Canada Inc.

[12]      Marine Harvest exploite une entreprise piscicole, et elle est l’une des quatre grandes entreprises d’élevage de saumons en Colombie-Britannique. Au mois de novembre 2017, elle était titulaire de 56 des 119 permis d’aquaculture délivrés par le MPO et autorisant l’exploitation d’une installation aquacole dans cette province. La totalité de ses installations font l’objet d’un permis d’élevage de saumons atlantiques. Elle possède 12 fermes piscicoles dans la région de l’archipel Broughton, dont le site connu sous le nom d’« installation de l’île Swanson ».

E.        Cermaq Canada Ltd.

[13]      Cermaq se décrit comme la deuxième plus grosse entreprise de salmoniculture en Colombie-Britannique, et elle représente environ 25 p. 100 de l’industrie salmonicole. Elle possède 28 sites d’élevage de poissons en Colombie-Britannique et exploite environ 20 fermes piscicoles. Chaque site détient un permis d’élevage de poissons de mer délivré par le MPO et autorisant Cermaq à exercer des activités aquacoles. Cermaq et Marine Harvest représentent à elles deux environ 82 p. 100 de l’industrie salmonicole en Colombie-Britannique.

III.        LE CONTEXTE

A.        La législation applicable

(i)         La Loi sur les pêches

[14]      La Loi sur les pêches régit les pêches au Canada, et l’article 7 confère au ministre le vaste pouvoir discrétionnaire de délivrer des permis de pêche, dont des permis d’aquaculture :

Baux, permis et licences de pêche

7 (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

(ii)        Le Règlement de pêche (dispositions générales)

[15]      Le RPDG établit, pour la gestion des pêches, un cadre opérationnel général qui inclut la mise en application des conditions des permis nécessaires à la gestion et à la surveillance judicieuses des pêches de même qu’à la conservation et à la protection des poissons, qui sont compatibles avec ce règlement et d’autres règlements précisés, comme il est indiqué au paragraphe 22(1).

[16]      La partie VIII du RPDG régit la libération de poissons vivants dans leur habitat ou dans des installations d’élevage. De tels transferts sont interdits sans permis :

Définition

54 Dans la présente partie, permis s’entend du permis autorisant la libération de poissons vivants dans leur habitat ou le transfert de poissons vivants dans des installations d’élevage.

Libération ou transfert de poissons

55 (1) Sous réserve du paragraphe (2), il est interdit à quiconque, à moins d’y être autorisé en vertu d’un permis :

a) de libérer des poissons vivants dans tout habitat du poisson;

b) de transférer des poissons vivants dans des installations d’élevage.

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas au poisson qui est immédiatement remis dans l’eau où il vient d’être pris.

[17]      Aux termes de l’article 56, le ministre peut délivrer un permis si trois conditions précises sont remplies :

Permis pour libérer ou transférer des poissons

56 Le ministre peut délivrer un permis dans le cas où :

a) la libération ou le transfert des poissons est en accord avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches;

b) les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces;

c) la libération ou le transfert ne risque pas d’avoir un effet néfaste sur la taille du stock de poisson ou sur les caractéristiques génétiques du poisson ou des stocks de poisson.

[18]      Un aspect fondamental des demandes qui me sont soumises est la question de savoir si le ministre interprète l’article 56 de manière raisonnable.

(iii)       Le Règlement du Pacifique sur l’aquaculture

[19]      Aux termes du paragraphe 3(1) du Règlement du Pacifique sur l’aquaculture, DORS/2010-270 (le RPA), le ministre peut délivrer un permis d’aquaculture autorisant une personne à pratiquer l’aquaculture et d’autres activités réglementaires, lesquelles sont interdites à moins d’être autorisées par un permis. Et, pour ce qui est de la gestion et de la supervision judicieuses des pêches ainsi que de la conservation et de la protection des poissons, le ministre peut assortir un permis d’aquaculture, en plus des conditions prévues au paragraphe 22(1) du RPDG, des conditions concernant les sujets énumérés à l’article 4 du RPA.

B.        La décision Morton 2009

[20]      Dans la décision Morton 2009, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a décrété qu’en Colombie-Britannique la pisciculture est une activité de pêche qui relève de la compétence exclusive du gouvernement fédéral en vertu du paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1 [L.R.C. (1985), annexe II, no 5]. Par suite de cette décision, et comme nous le verrons plus loin, à compter de 2010, le MPO a exercé le pouvoir de réglementation sur la gestion de l’aquaculture.

C.        Le cycle de production d’une ferme piscicole

[21]      La vie d’un saumon d’élevage débute dans une écloserie. Les œufs et la laitance sont prélevés chez des géniteurs adultes. Les œufs fécondés sont incubés pendant une période de sept à huit semaines dans des écloseries d’eau douce sur la terre ferme. Lors de l’éclosion, les poissons portent le nom d’alevins vésiculés. Après la résorption du sac vitellin, ils sont appelés alevins et, durant l’année qui suit, ils sont élevés dans des réservoirs situés dans l’écloserie. Une fois que le jeune saumon est prêt à entrer dans l’eau salée, il porte le nom de smolt.

[22]      Avant de transférer des smolts d’une écloserie en eau douce à un site d’élevage en mer, le titulaire du permis d’aquaculture applicable doit demander et obtenir un permis de transfert, qui est délivré en vertu de l’article 56 du RPDG. En Colombie-Britannique, les fermes piscicoles les plus courantes sont des installations dans lesquelles les poissons sont contenus dans des filets ou dans des cages en suspension dans la mer et au travers desquelles l’eau de la mer circule librement.

[23]      Les smolts restent dans les fermes piscicoles marines jusqu’à ce qu’ils soient prêts à être récoltés, c’est-à-dire environ deux ans, dans le cas du saumon atlantique, et 18 mois, dans le cas du saumon chinook.

[24]      Le nombre de saumons élevés dans ces fermes au cours d’un cycle de production caractéristique peut varier entre 200 000 et 650 000 individus. En Colombie-Britannique, 116 fermes d’élevage de poissons de mer font actuellement l’objet de permis, dont 80 sont actives, ce qui signifie que dans les eaux de la province on élève en tout temps entre 16 et 52 millions de poissons. Il existe quatre grandes entreprises de salmoniculture, dont Marine Harvest et Cermaq. Le saumon atlantique est la principale espèce de saumon d’élevage que l’on produit dans la province, et la production de saumons chinooks est moins élevée. À l’heure actuelle, 28 écloseries terrestres font l’objet d’un permis.

[25]      Le transfert des smolts se fait non seulement en aquaculture, mais aussi dans le contexte de la mise en valeur des saumons, où les poissons sont élevés dans des écloseries terrestres jusqu’au stade de smolts, avant d’être libérés dans le milieu marin naturel où ils atteindront leur maturité, stade auquel ils s’intègrent à la population de saumons sauvages.

[26]      Le Programme de mise en valeur des salmonidés (le « PMVS ») est autorisé par le MPO. On compte à l’heure actuelle 132 permis du PMVS qui autorisent à élever des saumons du Pacifique en vue de leur libération, répartis entre 18 écloseries exploitées par le MPO, 99 écloseries communautaires et 15 installations en salle de classe.

D.        Le RVP et l’IMSC

[27]      Comme nous le verrons plus loin, le RVP (le réovirus pisciaire) et l’IMSC (l’inflammation des muscles squelettiques et cardiaques) sont des enjeux très actuels qui font l’objet d’un corpus croissant d’enquêtes scientifiques en constante évolution. Un aspect qui ne suscite aucune controverse est que le RVP est un virus hautement infectieux. Il a été reconnu pour la première fois en Norvège en 2010, et l’on sait maintenant qu’il est présent en Norvège, au Royaume-Uni, en Irlande, au Chili, aux États-Unis et au Canada. Il a été décelé pour la première fois sur la côte Ouest de l’Amérique du Nord chez des saumons atlantiques d’élevage, dans le cadre d’échantillonnages de vérification réalisés en 2010. Certains scientifiques croient qu’en Colombie-Britannique le RVP a d’abord divergé de la souche norvégienne du RVP (le « RVP norvégien ») vers 2007, mais le MPO est maintenant d’avis que, d’après de récentes analyses d’échantillons tissulaires archivés entre 1987 et 1994, une variante du RVP du Pacifique Nord (le « RVP de la C.-B. ») est présente depuis nettement plus longtemps chez les salmonidés qui vivent le long de la côte du Pacifique de l’Amérique du Nord. En Colombie-Britannique, on trouve aujourd’hui le RVP chez les saumons tant d’élevage que sauvages, de même que chez d’autres espèces.

[28]      L’IMSC est une maladie infectieuse. D’après le MPO, elle a été décrite pour la première fois chez des saumons atlantiques d’élevage en 1999, en Norvège, où elle est devenue un problème de production pour la salmoniculture norvégienne. Dans ce pays, l’IMSC fait actuellement partie des quatre maladies les plus fréquentes en salmoniculture, et le nombre d’éclosions survenant chaque année a augmenté, passant de 54 à 142 entre 2004 et 2012.

[29]      En Norvège, l’IMSC est caractérisée par une mortalité qui varie d’un taux négligeable à un taux de 20 p. 100 et par une morbidité pouvant atteindre 100 p. 100 au sein des populations touchées. Dans les fermes piscicoles norvégiennes, les signes cliniques de l’IMSC, qui apparaissent habituellement de cinq à neuf mois après le transfert en eau salée, sont notamment les suivants : comportement de nage anormal, perte d’appétit ou anorexie, et détérioration de l’état général. La présence de l’IMSC est aujourd’hui signalée chez des saumons atlantiques d’élevage en Écosse, au Chili et en Norvège. En 2017, une étude d’échantillons de tissus prélevés en 2013–2014 a également confirmé la présence de la maladie dans une pisciculture de saumons atlantiques en Colombie-Britannique.

[30]      Un aspect plus controversé est le lien qui existe entre le RVP, l’IMSC et d’autres maladies. En 2017, une étude norvégienne a conclu que le RVP était la cause de l’IMSC chez le saumon atlantique. Au Canada toutefois, une étude de provocation par le RVP, réalisée en 2016, a conclu que la souche du RVP de la C.-B., bien que transmissible ou infectieuse, présentait une faible pathogénicité dans le cas du saumon chinook, du saumon rouge et du saumon atlantique. Autrement dit, même si des poissons ayant subi une infection expérimentale peuvent présenter d’importantes charges en RVP de la C.-B., ce virus n’est pas la cause de maladie ou de mortalité chez ces espèces. Aucun autre agent pathogène n’a été identifié comme étant la cause de l’IMSC en Colombie-Britannique. Le RVP est également associé à d’autres affections, dont la jaunisse.

[31]      L’allégation que la politique du MPO ― qui consiste à ne pas effectuer de tests de dépistage du RVP ― met en péril les saumons du Pacifique sauvages est au cœur des demandes de Mme Morton et de la PNN.

E.        La décision Morton 2015

[32]      Dans la décision Morton 2015, Mme Morton a soulevé la question de savoir si certaines conditions dont était assorti un permis d’aquaculture délivré à Marine Harvest pour les activités qu’elle menait à Shelter Bay (Colombie-Britannique) répondaient aux exigences de l’article 56 du RPDG ou étaient compatibles avec cette disposition.

[33]      La condition 3.1 du permis en question avait trait au transfert de poissons :

[traduction]

3. Transfert de poissons

3.1 Le titulaire de permis peut transférer à son installation des saumons atlantiques ou du Pacifique vivants en provenance d’une installation pour laquelle un permis d’aquaculture valide a été délivré conformément à l’article 3 du Règlement du Pacifique sur l’aquaculture entre les zones de santé des poissons décrites à l’annexe VI, à la condition que les transferts soient effectués à l’intérieur d’une seule et même zone de transfert des salmonidés décrite à l’annexe II et pourvu qu’il soit satisfait aux conditions suivantes  :

(a) […]

(b) le titulaire de permis doit avoir obtenu la confirmation écrite et signée, de la part du vétérinaire ou du personnel responsable de la santé des poissons de l’installation d’origine, indiquant que, selon son jugement professionnel :

(i) le taux de mortalité des stocks élevés à l’installation d’origine, à l’exception des œufs, au sein de tout stock élevé à l’installation d’origine, n’a pas dépassé 1 % par jour attribuable à des maladies infectieuses, pendant 4 jours consécutifs au cours de la période d’élevage;

(ii) le stock à transférer de l’installation d’origine n’affiche aucun signe de maladie clinique nécessitant un traitement;

(iii) aucun stock à l’installation d’origine n’a été atteint, pour autant que l’on sache, d’une maladie figurant à l’annexe IV;

(iv) lorsque les conditions des sous-alinéas 3.1(b)(i) ou 3.1(b)(iii) ne peuvent être respectées, le transfert peut tout de même avoir lieu si le vétérinaire de l’installation a effectué une évaluation des risques, en examinant les registres sur la santé des poissons de l’installation, des rapports de diagnostic, une évaluation de la compartimentation des stocks et les mesures de biosécurité connexes et qu’il a jugé que le transfert présentait un faible risque.

[34]      Le juge Rennie, qui, à l’époque, siégeait à la Cour fédérale, a conclu que la condition 3.1 du permis autorisant le transfert de poissons découlait de la partie VIII du RPDG et que les conditions de ce permis devaient respecter les dispositions de l’article 56 de ce règlement.

[35]      De plus, il a conclu qu’il était possible de régler la question de savoir si le permis respectait les dispositions réglementaires qui le régissaient en faisant une analogie avec les principes de base de l’interprétation législative. C’est-à-dire qu’à l’instar du fait qu’un règlement qui est incompatible avec les dispositions législatives habilitantes ne peut pas réaliser les objets de la loi, toute condition d’un permis qui entre en conflit avec les dispositions réglementaires de fond ne peut non plus réaliser les objets du régime réglementaire. À cet égard, le paragraphe 22(1) du RPDG prévoyait qu’une condition du permis ne pouvait pas entrer en conflit avec ce règlement ou quelque chose qu’il excluait. Comme l’a conclu le juge Rennie [aux paragraphes 56 et 57] :

     Le sens ordinaire des mots « de maladies et d’agents pathogènes » (en anglais « any disease or agent ») porte à croire que ce membre de phrase ne vise pas seulement les quelques maladies recensées dans le cadre d’une politique et énumérées à l’annexe IV. L’obligation légale du ministre en vertu de l’article 56 s’étend à toutes les maladies et à tous les agents pathogènes « qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». Cette interprétation de l’alinéa 56b) cadre avec une approche téléologique et contextuelle, puisqu’elle favorise la conservation de la ressource, qui est l’obligation première du ministre sous le régime de la Loi sur les pêches  : R c Marshall, [1999] 3 RCS 533, au paragraphe 40. Cette interprétation s’accorde également avec le principe de précaution, qui aurait été pris en compte selon le ministre. J’examinerai cette question plus avant à la partie VII des présents motifs.

     Encore une fois, une analyse téléologique, contextuelle et selon le sens ordinaire des mots « qui pourraient nuire » porte à croire que ce membre de phrase vise toute maladie ou tout agent pathogène qui est susceptible de nuire à la protection et à la conservation du poisson. Cette approche interprétative s’accorde encore une fois avec le principe de précaution, qui veut essentiellement que, lorsqu’il existe un risque de préjudice grave et irréversible, l’absence de certitude scientifique ne serve pas de prétexte pour ajourner ou omettre la prise de mesures de conservation et de gestion raisonnables et rentables pour composer avec ce risque (Commission Cohen, volume 3, à la page 20). Je note, à cet égard, que, bien que le l’IMSC ait été identifié pour la première fois en 1999 et qu’il soit apparu en Écosse en 2005, puis au Chili, ce serait une inférence déraisonnable à tirer des éléments de preuve que de dire qu’il n’apparaîtra pas chez les saumons de l’Atlantique élevés sur la côte du Pacifique. [Souligné et en italique dans l’original.]

[36]      Le juge Rennie a ensuite conclu que les conditions 3.1(b)(i) et (iii) étaient raisonnablement compatibles avec l’alinéa 56b) du RPDG. La condition 3.1(b)(i) fixait des critères de transfert clairs et objectifs qui, pouvait-on démontrer, étaient liés à cet alinéa. La condition 3.1(b)(iii) excluait tout transfert dans le cas où l’on savait que le stock était atteint d’une maladie énumérée qui pouvait avoir un impact important sur les pêches. Autrement dit, la condition 3.1(b)(iii) constituait une expression raisonnable de l’exigence, prévue à l’alinéa 56b), à savoir qu’un transfert de poissons ne pouvait avoir lieu que si ces poissons étaient exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des poissons.

[37]      Toutefois, les conditions 3.1(b)(ii) et (iv) étaient incompatibles avec l’alinéa 56b) du RPDG. En autorisant un titulaire de permis à transférer des poissons si le stock [traduction] « n’affiche aucun signe de maladie clinique nécessitant un traitement », la condition 3.1(b)(ii) établissait une norme moins exigeante que celle prescrite à l’alinéa 56b), lequel dispose qu’aucun transfert ne peut avoir lieu si les poissons ne sont pas exempts « de maladies et d’agents pathogènes » qui pourraient causer des dommages, et elle contredisait le libellé clair de cette disposition. Le juge Rennie a conclu que le fait de n’afficher aucun signe de maladie était un critère moins exigeant que celui que prescrivait le régime réglementaire, à savoir que les poissons devaient être « exempts de maladies et d’agents pathogènes ». De plus, le RPDG était axé sur la santé de la ressource en général, et non sur celui du produit ou du stock d’élevage. La condition 3.1(b)(iii), telle qu’elle était formulée, n’indiquait pas clairement si ― ou de quelle manière ― le personnel de Marine Harvest devait déterminer si les poissons avaient des maladies ou étaient porteurs d’agents pathogènes. Il a ajouté qu’il n’y avait aucun lien ou rapport scientifique entre l’exigence réglementaire (qui visait à protéger la ressource) et la condition du permis (qui visait le stock).

[38]      Quant à la condition 3.1(b)(iv), celle-ci permettait au titulaire de permis de passer outre aux conditions 3.1(b)(i) et 3.1(b)(iii) si le vétérinaire de l’installation avait procédé à une évaluation des risques et s’il jugeait que les [traduction] « risques du transfert étaient faibles ». Le juge Rennie a conclu que cela contournait l’alinéa 56b) du RPDG ainsi que l’exigence réglementaire imposée au ministre d’autoriser les transferts uniquement dans les cas où les poissons étaient « exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». En fait, la condition contournait les exigences réglementaires de l’alinéa 56b) et autorisait Marine Harvest à effectuer des transferts dans des conditions moins exigeantes que celles qui étaient établies par la loi. De plus, le ministre avait de manière irrégulière sous-délégué à Marine Harvest, qui était titulaire du permis, le pouvoir de déterminer en dernier ressort si un transfert était permis.

[39]      En outre, les conditions 3.1(b)(ii) et (iv) étaient incompatibles avec l’alinéa 56b) du RPDG au regard du principe de précaution. Le juge Rennie a conclu [aux paragraphes 97 à 99] que l’alinéa 56b), convenablement interprété, intégrait ce principe :

   À mon avis, l’alinéa 56b) du RPDG, interprété correctement, donne corps au principe de précaution. Premièrement, l’alinéa 56b) interdit au ministre de délivrer un permis de transfert si une maladie ou des agents pathogènes sont présents qui « pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». Le membre de phrase « pourraient nuire » n’exige pas une certitude scientifique, et d’ailleurs, il n’exige même pas que le transfert puisse vraisemblablement être nuisible. Dans le même ordre d’idées, le membre de phrase « de maladies et d’agents pathogènes » à l’alinéa 56b) ne devrait pas être interprété comme exigeant un consensus scientifique unanime selon lequel un agent pathogène (p. ex. le RVP) est la cause de la maladie (p. ex. le HSMI).

   La conséquence de l’interprétation de l’alinéa 56b) en accord avec le principe de précaution est que les conditions du permis doivent également refléter le principe de précaution. Puisque les conditions du permis ne peuvent pas déroger à l’alinéa 56b) ni être incompatibles avec celui-ci, elles ne peuvent donc pas déroger au principe de précaution. Comme je l’ai noté précédemment, le ministre n’a pas tenté de démontrer que la condition 3.1(b)(iv) était compatible avec le principe de précaution; il a confiné son argumentation à cet égard aux conditions 3.1(b)(i), (ii) et (iii) du permis.

   À mon avis, l’argument du ministre ne peut prospérer. Pour les raisons données, les conditions 3.1(b)(ii) et (iv) sont incompatibles avec l’alinéa 56b), et donc, avec le principe de précaution. Les conditions minent les exigences de l’alinéa 56b), une disposition conçue pour anticiper et prévenir les dommages même en l’absence de certitude scientifique que ces dommages surviendront effectivement.

[40]      Il a donc été conclu que les conditions 3.1(b)(ii) et (iv) étaient nulles et sans effet et elles ont été retranchées du permis d’aquaculture délivré à Marine Harvest.

[41]      En juin 2016, le ministre a déposé un avis d’appel contre la décision du juge Rennie dans l’affaire Morton 2015. Il y a eu désistement de cet appel en janvier 2017.

F.         Les permis de transfert après l’affaire Morton 2015

[42]      Le juge Rennie a suspendu son jugement pour une période de quatre mois à compter de la date du prononcé. Le 8 septembre 2015, au moment de l’expiration de cette période, le ministre a délivré des permis d’aquaculture modifiés. Ceux-ci comprenaient la condition 3.3 :

[traduction]

3.3 À compter du 8 septembre 2015 et jusqu’à nouvel ordre, il est interdit au titulaire de permis d’effectuer des transferts en application de la section 3.1 des présentes. À compter de cette date, le titulaire de permis est tenu de présenter une demande au Comité des introductions et des transferts de la Colombie-Britannique en vue d’obtenir l’autorisation de transférer des poissons.

[43]      Il ressort des éléments de preuve présentés par le MPO que la condition 3.3 est toujours en vigueur, que le MPO entend maintenir l’exigence qu’ont les titulaires de permis d’aquaculture de poissons de mer d’obtenir une autorisation distincte, par l’entremise du Comité des introductions et des transferts de la Colombie-Britannique (le « CIT »), pour pouvoir transférer des poissons dans des sites piscicoles et entre ces derniers, et qu’il prévoit faire de cette exigence une condition standard lorsque les permis d’aquaculture seront renouvelés, à compter de 2022.

[44]      À l’heure actuelle, pour chaque transfert de poissons entre les écloseries terrestres et les sites salmonicoles en mer, ainsi qu’entre les sites salmonicoles en mer eux-mêmes, les aquaculteurs sont tenus de présenter une demande de permis pour les introductions et les transferts, de même qu’un formulaire de certificat sanitaire signé par le vétérinaire, le personnel chargé de la santé des poissons ou le gestionnaire de l’installation d’origine, des documents qui, de pair avec d’autres informations, sont évalués par le CIT. Ce dernier recommande ensuite au gestionnaire régional des Programmes d’aquaculture du MPO que la demande soit accueillie, avec ou non d’autres conditions de permis. Le gestionnaire régional du MPO, à titre de délégué du ministre, étudie ensuite la recommandation et décide s’il y a lieu de délivrer ou non un permis de transfert au nom du ministre, sous le régime du RPDG.

IV.       LA POLITIQUE CONCERNANT LE RVP

[45]      Comme il a déjà été mentionné, le ministre a instauré une Politique concernant le RVP qui permet de délivrer des permis de transfert en vertu de l’article 56 du RPDG sans faire subir aux poissons des tests de dépistage du RVP et de l’IMSC. Cette politique semble être non écrite et il ne ressort pas clairement du dossier à quel moment elle a pris effet. Toutefois, le dossier indique bel et bien que le ministre, par l’intermédiaire de sa déléguée, a décidé à six reprises de poursuivre l’application de la Politique concernant le RVP entre les mois de juin ou juillet 2015 et le 28 juin 2018, date de la décision la plus récente.

A.        Les décisions antérieures

[46]      Il est utile de résumer les décisions qui ont été prises antérieurement dans le contexte de la Politique concernant le RVP, ainsi que les documents sur lesquels s’appuient ces décisions et qui figurent dans les dossiers certifiés du tribunal (DCT) visés à la règle 318 des Règles [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106], plus précisément la troisième version du DCT du ministre des Pêches et des Océans, qui est datée du 29 juin 2018 et qui a été déposée dans le dossier T-1710-16, ainsi que le DCT modifié, qui a été déposé dans le dossier T-430-18, car ils montrent que les décisions qu’a prises la déléguée de poursuivre l’application de la Politique sont, en fait, une série continue de décisions qui ont abouti à la décision du 28 juin 2018 sur la Politique concernant le RVP, faisant l’objet des demandes de contrôle judiciaire dont la Cour est saisie en l’espèce.

(i)         La décision de juin-juillet 2015

Il n’existe aucun document faisant état de cette décision.

Le DCT contient :

a)         une déclaration Web du MPO, datée de mai 2014 et portant sur le RVP;

b)         un courriel interne, daté du 26 juin 2015, portant sur une déclaration concernant le RVP;

c)         une publication du MPO intitulée Réglementation et surveillance des installations de pisciculture marine de la Colombie-Britannique 2011–2014.

(ii)        La décision de septembre 2015

Il n’existe aucun document faisant état de cette décision.

Le DCT contient :

a)         une version définitive à faire approuver, avec suivi des changements, d’un document intitulé « Évaluation de la présence, de la répartition et des incidences potentielles du réovirus pisciaire sur la côte Ouest de l’Amérique du Nord », rédigé par le Secrétariat canadien de consultation scientifique (le « SCCS »).

(iii)       La décision de juin 2016

Il n’existe aucun document écrit faisant état de cette décision.

Le DCT contient :

a)         une déclaration Web du MPO, datée de juin 2016, portant sur le RVP;

b)         la Réponse des Sciences 2015/037 (approuvée) du Secrétariat canadien de consultation scientifique (le « SCCS »), datée du 11 septembre 2015, intitulée  « Évaluation de la présence, de la répartition et des incidences potentielles du réovirus pisciaire sur la côte ouest de l’Amérique du Nord » (la « Réponse des Sciences du SCCS de 2015 »);

c)         une publication du MPO intitulée Réglementation et surveillance des installations de pisciculture marine de la Colombie-Britannique 2011–2014.

(iv)       La décision du 30 janvier 2017

Décision ― Note de service destinée à la directrice générale régionale intitulée [traduction] « Approche de gestion à l’égard du RVP et de l’IMSC relativement aux transferts de poissons en Colombie-Britannique (pour décision) », et approuvée le 30 janvier 2017 (la « note de service adressée à la DGR »).

Le DCT contient :

a)         la réponse des Sciences du SCCS de 2015 (une pièce jointe à la note de service adressée à la DGR);

b)         un aperçu scientifique relatif au RVP et de l’IMSC (MPO) (une pièce jointe à la note de service adressée à la DGR);

c)         un document intitulé [traduction] « Interprétation, par le ministre des Pêches et des Océans (le ministre), de l’article 56 du Règlement des pêches (dispositions générales) (RPDG) » (l’Interprétation du ministre) (une pièce jointe à la note de service adressée à la DGR);

d)         un document intitulé [traduction] « Mortalités déclarées en C.-B. 2011–2015 » (une pièce jointe à la note de service adressée à la DGR);

e)         une ébauche de déclaration Web du MPO intitulée « Orthoréovirus pisciaire (RVP) et inflammation des muscles squelettiques et cardiaques (IMSC) ».

(v)        La décision du 9 mars 2018

Décision ― Un courriel daté du 9 mars 2018, d’Allison Webb, Directrice générale régionale (DGR), confirmant que le MPO continuera d’appliquer la Politique concernant le RVP.

Le DCT contient :

a)         une demande de réponse rapide des Sciences, datée du 5 mars 2018, du Centre des avis scientifiques ― PPP Pacifique (demande non reliée au SCCS) (« la réponse rapide des Sciences de mars 2018 », ou « la RRS de mars »);

b)         la note de service adressée à la DGR;

c)         la réponse des Sciences du SCCS de 2015;

d)         un aperçu scientifique relatif au RVP et de l’IMSC (MPO);

e)         l’Interprétation du ministre;

f)          les mortalités déclarées en C.-B. de 2011 à 2015;

g)         une ébauche de document du MPO affichée sur Internet et datée du 19 février 2018, intitulée « Orthoréovirus pisciaire (RVP) et inflammation des muscles squelettiques et cardiaques (IMSC) »;

h)        un tableau des mortalités survenues en C.-B., en 2016;

i)          des tableaux de conformité ― rapports sur l’aquaculture pour 2011–2017 (MPO).

(vi)       La décision du 28 juin 2018

Décision ― Un courriel daté du 28 juin 2018 d’Allison Webb, DGR, confirmant que le MPO continuera d’appliquer la Politique concernant le RVP.

Le DCT contient :

a)         Une demande de réponse rapide des sciences, approuvée le 27 juin 2018, du Centre des avis scientifiques ― PPP Pacifique (demande non reliée au SCCS) (« la réponse rapide des Sciences de juin 2018 », ou « la RRS de juin »);

b)         la réponse rapide des Sciences de mars 2018;

c)         la note de service adressée à la DGR;

d)         la réponse des Sciences du SCCS de 2015;

e)         un aperçu scientifique relatif au RVP et de l’IMSC (MPO);

f)          l’Interprétation du ministre;

g)         les mortalités déclarées en C.-B. de 2011 à 2015;

h)        une ébauche de document du MPO affichée sur Internet et datée du 19 février 2018, intitulée « Orthoréovirus pisciaire (RVP) et inflammation des muscles squelettiques et cardiaques (IMSC) »;

i)          un tableau des mortalités survenues en C.-B., en 2016;

j)          des tableaux de conformité ― rapports sur l’aquaculture pour 2011–2017 (MPO);

k)         un document intitulé Réglementation et surveillance des installations de pisciculture marine de la Colombie-Britannique, 2017 (MPO).

G.        La décision faisant l’objet du présent contrôle

[47]      Le courriel du 28 juin 2018 qu’Allison Webb, la DGR et déléguée du ministre, a envoyé à deux autres membres du MPO, Melanie McNabb et Lauren Lavigne, constitue la décision visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Il indique ce qui suit :

[traduction]

Melanie et Lauren – D’après l’avis le plus récent que nous avons reçu de la Direction des sciences (Centre des avis scientifiques du Pacifique), le 27 juin 2018, et que j’ai lu, et compte tenu aussi des documents ci-joints, le MPO continuera d’appliquer l’approche stratégique expliquée dans la note d’information signée le 30 janvier 2017, qui précise que le Ministère ne procédera pas à des tests de dépistage du RVP et de l’IMSC avant les transferts de poissons, ce qui est pertinent en ce qui a trait aux renseignements pris en considération avant de prendre une décision en rapport avec l’article 56 du RPDG.

Le MPO continuera de surveiller de près ce secteur et, à mesure que de nouvelles informations deviendront disponibles, il déterminera s’il sera nécessaire d’apporter des changements ou méthodes de gestion actuelles.

[48]      Les documents joints à ce courriel sont ceux qui figurent dans le DCT modifié qui a été déposé dans le dossier T-430-18, et ils se trouvent également dans la troisième version du DCT qui a été déposée dans le dossier T-1710-16.

[49]      Il est nécessaire de consacrer un certain temps à la description de quelques-uns de ces documents parce qu’ils présentent le contexte scientifique sur lequel le MPO s’est fondé pour confirmer la Politique concernant le RVP et ils montrent de quelle manière le MPO a réagi face à de nouveaux constats scientifiques concernant ce virus et l’IMSC.

(i)         La réponse des Sciences du SCCS de 2015

[50]      Le Secrétariat canadien de consultation scientifique ― le SCCS ― est une entité du MPO qui répond à des demandes de conseils ou à des questions de nature scientifique. Cela se fait de deux façons : un processus complet d’examen scientifique par des pairs, qui donne lieu à une réponse des Sciences résumant les principaux constats scientifiques et dont la production peut durer jusqu’à six mois, ou un processus de réponse des Sciences, lorsqu’il est nécessaire d’obtenir une réponse en moins de temps.

[51]      La réponse des Sciences du SCCS de 2015 note que des préoccupations ont été soulevées au sujet de la présence du RVP chez des poissons d’élevage le long de la côte du Pacifique et des effets possibles de ce virus sur la santé des populations de salmonidés sauvages par suite du transfert de poissons d’écloseries porteurs du virus vers des installations d’aquaculture en mer. Comme l’avis requis devait être donné dans un délai de quatre semaines, c’est le processus de réponse des Sciences du SCCS qui a été employé.

[52]      Le rapport est essentiellement une revue technique de données et d’études émanant de diverses sources qui sont y sont mentionnées. Quatre personnes y ont contribué : trois membres du MPO et un membre (Dr Gary Marty) du ministère de l’Agriculture de la Colombie-Britannique. Trois examinateurs y également travaillé : deux du Western Fisheries Research Centre de l’United States Geological Survey, et un de la Commercial Fisheries Division du Department of Fish and Game de l’Alaska. Le rapport a été approuvé par Carmel Lowe, directrice régionale, Direction des sciences, Région du Pacifique, MPO, le 11 septembre 2015.

[53]      En s’inspirant de la revue, ce rapport conclut, notamment :

[traduction]

- Le RVP de la C.-B. est présent chez des salmonidés sauvages de l’Ouest du Canada et des États-Unis, et la prévalence de ce virus parmi les espèces et les stades biologiques des saumons du Pacifique sauvages et des saumons d’élevage de l’Ouest du Canada suscite une certaine incertitude;

- des expériences contrôlées en laboratoire menées sur le saumon chinook, le saumon rouge et le saumon atlantique fournissent de solides preuves que l’infection par le RVP de la C.-B. ne cause pas de maladies chez ces espèces et que l’absence de mortalité ou de pathologies associées chez des poissons infectés présentant des charges virales élevées indique également que le RVP de la C.-B. est peu pathogène même si, hormis l’absence de maladie, les épreuves de provocation ont donné lieu, dans les tissus hôtes, à une infectiosité et à une distribution semblables à celles décrites pour le RVP de la Norvège chez les poissons atteints de l’IMSC (le rapport signale qu’en Norvège de nombreuses études de provocation et de nombreux tests diagnostiques de dépistage de l’IMSC sur des échantillons ont fourni des preuves d’une association entre le RVP et l’IMSC);

-    le diagnostic de l’IMSC repose sur une combinaison de signes cliniques (survenant habituellement de 5 à 9 mois après le transfert en mer et se manifestant notamment par un comportement natatoire anormal, de l’anorexie et un taux de mortalité pouvant atteindre 20 %) confirmés par examen histologique des tissus. Selon l’état actuel des connaissances, il n’y a eu aucun cas d’IMSC signalé chez les poissons sauvages ou les poissons d’élevage en Colombie-Britannique et dans les États de Washington ou de l’Alaska. Même si l’on avait signalé auparavant des cas de cardiomyopathie idiopathique (une maladie des muscles cardiaques d’origine inconnue) chez des saumons d’élevage de la Colombie-Britannique, dont des lésions semblables à l’IMSC diagnostiquées pour la première fois comme étant la cause probable de décès neuf ans plus tôt (en faisant référence à la Commission Cohen), étant donné que les muscles squelettiques n’ont été échantillonnés dans le cadre du Programme de vérification du MPO qu’en 2013, ce n’est qu’après ce moment-là qu’on a déterminé que quelques cas de cardiomyopathie idiopathique en Colombie-Britannique correspondaient aux lésions microscopiques associées à l’IMSC en Norvège. Une analyse rétrospective des résultats des tests de dépistage menés sur les échantillons du Programme de vérification de 2009 a conclu que le RVP était fréquent et non associé à une cause quelconque de mortalité, dont la cardiomyopathie idiopathique. En résumé, il n’existe aucune preuve histologique et clinique combinée de la présence de l’IMSC chez les salmonidés d’élevage en Colombie-Britannique. Il y a une faible prévalence de cardiomyopathies idiopathiques d’origine(s) inconnue(s) dans les échantillons de vérification, et 0,2 % des poissons examinés depuis 2014 présentent des signes d’inflammation marquée des muscles cardiaques et squelettiques. Si l’on présume que ces lésions sont causées par un agent infectieux, le faible pourcentage de poissons infectés donne à penser qu’il ne s’agit pas d’une maladie très infectieuse;

- quant à une évaluation du caractère adéquat des méthodes actuelles de surveillance des exploitations aquacoles et du milieu sauvage en vue de déceler la présence de l’IMSC ou d’autres maladies potentiellement associées au RVP, cette évaluation décrit les mesures de vérification et de déclaration de la santé des poissons d’élevage et indique qu’il est fort probable que les évaluations diagnostiques des saumons d’élevage réalisées par les entreprises, la Colombie-Britannique et le MPO aient relevé des preuves de l’IMSC en Colombie-Britannique, en supposant que le tableau soit semblable à celui qui a été brossé en Norvège (symptômes cliniques). Comme toutes les entreprises aquacoles de la Colombie-Britannique élèvent également des saumons atlantiques en Norvège, où les cas d’IMSC sont fréquents, il est peu probable que leurs vétérinaires, les autres employés chargés de la santé des poissons ou leurs gestionnaires ne soient pas au courant des signes cliniques de l’IMSC. En résumé, en présumant que le tableau clinique de la présence de l’IMSC chez les saumons d’élevage de la Colombie-Britannique est semblable à celui de la Norvège, on se serait attendu à ce que les vétérinaires des entreprises ou les programmes de vérification gouvernementaux aient relevé l’IMSC si cette maladie était présente;

- les informations qui précèdent sont ensuite résumées sous la forme de facteurs dont il faudrait tenir compte dans toute évaluation des risques que courent les saumons du Pacifique sauvages, ainsi que sous la forme d’incertitudes clés, dont le manque de clarté du rôle que joue le RVP dans l’apparition de l’IMSC en Norvège;

- se fondant sur les informations disponibles, le rapport conclut que l’omniprésence du RVP, sa présence évidente et de longue date dans les stocks de saumons du Pacifique sauvages et l’absence d’une association claire avec la maladie lors des épreuves de provocation en laboratoire donnent à penser qu’il est peu probable que la présence du virus chez les saumons d’élevage (atlantiques et du Pacifique), à quelque stade biologique que ce soit, ait une incidence marquée sur les populations de saumons du Pacifique sauvages.

(ii)        La note de service adressée à la DGR du 30 janvier 2017

[54]      Dans la section [traduction] « Résumé », la note de service adressée à la DGR de 2017 signale qu’un travail de recherche confirmant la présence de l’IMSC dans l’une des fermes d’élevage de saumons atlantiques en Colombie-Britannique en 2013–2014 devrait être publié sous peu (il s’agit de l’étude qui a finalement été publiée sous la forme suivante : Di Cicco et al. (2017) “Heart and skeletal muscle inflammation (HSMI) disease diagnosed on a British Columbia salmon farm through a longitudinal farm study” PLoS ONE 12(2):e01271471, en ligne : https://doi.org/doi:10.1371/journal.pone.0171471 (l’étude « Di Cicco 2017 »)). La note de service signale également que ce nouveau travail de recherche décrirait l’apparition de l’IMSC dans l’une des fermes salmonicoles marines, avec un faible taux de mortalité. De plus, des informations émanant du programme de vérification du MPO, de rapports de l’industrie et de scientifiques du MPO ne font pas état de taux élevés de mortalité associée à la maladie en Colombie-Britannique. Compte tenu des connaissances scientifiques et des rapports sur les taux de mortalité qui existent à ce jour, la note de service recommande que le MPO maintienne sa politique, laquelle consiste à ne pas procéder à des tests de dépistage du RVP et de l’IMSC avant les transferts de poissons, car, en Colombie-Britannique, ce virus et cette maladie ne suscitent pas de sérieuses préoccupations.

[55]      La section [traduction] « Contexte » du document fait référence à la réponse des Sciences du SCCS de 2015 et résume la manière dont le ministre interprète l’alinéa 56b). Sous la rubrique [traduction] « Avis scientifique », il y est indiqué qu’un article évalué par des pairs publié dans une prestigieuse revue, PloS ONE, et confirmant la présence de l’IMSC dans l’une des fermes d’élevage de saumons atlantiques en Colombie-Britannique sera publié au cours des trois semaines à venir. Cet article fera état de l’apparition de l’IMSC dans cette ferme sur une période de 11 mois et avec un faible taux de mortalité (<2 p. 100). Ce taux de mortalité se situe à la limite inférieure des estimations découlant des éclosions survenues dans des fermes d’élevage norvégiennes (de 0 à 20 p. 100), et même si le nombre de cas déclarés en Norvège a augmenté au fil des ans, cela n’indique pas au MPO si la gravité de la maladie a augmenté ou pas. De plus, même s’il largement reconnu que le RVP est la cause principale de l’IMSC, le rôle qu’il joue dans l’apparition de cette maladie et d’autres est incertain. Le RVP a plusieurs souches, et l’on ignore encore si certaines d’entre elles sont plus susceptibles de déclencher une maladie, si la sensibilité des espèces diffère selon les souches ou s’il existe d’autres facteurs qui interviennent dans l’apparition des maladies. Des variantes du RVP ont été associées à des maladies chez le saumon atlantique et le saumon coho, de même que chez la truite arc-en-ciel. La présence du RVP a été décrite chez des poissons sauvages et d’élevage, le long de la côte tant atlantique que pacifique; des épreuves de provocation réalisées en Colombie-Britannique ont montré que, en dépit d’infections présentant des charges en RVP semblables ou supérieures à celles signalées chez des saumons atlantiques présentant des lésions associées à l’IMSC en Norvège, les saumons chinooks, rouges et atlantiques n’ont manifesté aucun symptôme de la maladie. Et même si l’on a relevé le RVP chez des poissons du Pacifique sauvages, aucun cas d’IMSC n’a été relevé chez des poissons sauvages en Colombie-Britannique ou dans les États de Washington ou de l’Alaska. La note de service signale que, étant donné que le RVP et l’IMSC sont des sujets de recherche scientifique actifs à l’échelle mondiale, de nouveaux constats concernant le virus, la maladie et les liens entre les deux sont faits à un rythme incroyablement rapide.

[56]      La note de service formule la recommandation suivante :

[traduction]

AVIS ET RECOMMANDATIONS À LA DIRECTRICE GÉNÉRALE RÉGIONALE

Compte tenu de l’analyse qui précède, il est recommandé que le MPO maintienne sa politique consistant à ne pas procéder à des tests de dépistage du RVP et de l’IMSC avant le transfert de poissons, en ce sens que  :

1.  en Colombie-Britannique, des expositions expérimentales de saumons atlantiques et du Pacifique à la souche du RVP présente en Colombie-Britannique n’ont causé aucune maladie ou mortalité;

2.  selon les données actuelles, l’IMSC cause fort peu de mortalités dans les fermes piscicoles en Colombie-Britannique;

3.  les transferts de poissons présentant un faible risque de causer des mortalités ne nuisent pas à la protection et à la conservation des poissons au niveau des populations, et ils peuvent être autorisés conformément à l’interprétation que fait le ministre de l’alinéa 56b) du RPDG.

[57]      La note de service adressée à la DGR, dont l’auteur est Andrew Thomson, conclut en disant que le MPO est résolu à protéger et à conserver les poissons tant sauvages que d’élevage, qu’il examine activement les principaux nouveaux constats et qu’il est disposé à apporter des changements au besoin. La recommandation a été acceptée par Rebecca Reid, DGR, Région du Pacifique, le 30 janvier 2017.

(iii)       La réponse rapide des Sciences de mars 2018

[58]      Ce document a été produit à titre de réponse urgente à une demande datée du 27 décembre 2017, de la part de Cory Jackson et d’Allison Webb, et la réponse était attendue au mois de février 2018. Les répondants étaient Kyle Garver, Mark Polinski et Stewart Johnson, de la Direction des sciences du MPO qui, selon la description qui en est faite, mène des recherches et contribue à des bourses d’études mondiales sur le RVP et l’IMSC. Il est précisé que le document n’est pas un avis des Sciences évalué par des pairs, mais qu’il vise à répondre rapidement à une demande immédiate de contribution des Sciences. Le document a été revu par Lesley MacDonald, du Centre des avis scientifiques ― Région du Pacifique et approuvé par Carmel Lowe, directeur régional, Sciences ― Région du Pacifique, le 5 mars 2018.

[59]      La RRS de mars présente des renseignements généraux, dont le fait que le MPO n’exige aucun test de dépistage de maladies ou d’agents pathogènes particuliers, comme le RVP, avant que l’on transfère des poissons à partir d’écloseries vers des sites aquacoles en mer. Cependant, dans le cadre de l’examen des demandes de transfert de saumons, le MPO évalue la santé générale des poissons à l’installation d’origine en examinant les dossiers de santé des poissons de l’entreprise, tout rapport sur la santé ou la mortalité des poissons présenté dans le cadre des conditions d’un permis d’aquaculture, de même que les résultats des vérifications de fermes d’élevage du MPO. La RRS de mars indique que le MPO n’effectue pas de tests de dépistage du RVP dans le cadre des vérifications de fermes piscicoles qu’il effectue habituellement parce que des expositions expérimentales de saumons atlantiques et du Pacifique à la souche du RVP présente en Colombie-Britannique n’ont pas causé de maladies ou de mortalité, et les preuves récentes indiquent que l’IMSC cause fort peu de mortalité dans les fermes piscicoles de la Colombie-Britannique. Toutefois, les recherches menées sur le RVP et l’IMSC sont un domaine d’étude actif à l’échelle mondiale. En raison de cela, et compte tenu du profil du RVP et de l’IMSC, il est important que le MPO prenne en considération les nouvelles informations scientifiques à mesure qu’elles deviennent disponibles. La RRS de mars indique qu’elle est le résultat d’une demande de revue de publications ou de documents évalués par des pairs qui ont été produits depuis peu (au cours de l’année écoulée) et d’avis scientifiques destinée à déterminer s’il y a lieu d’apporter des changements à l’approche de gestion du MPO. La liste des principaux documents évalués par des pairs et produits depuis peu qui portent sur le RVP comprend six documents, dont l’étude Di Cicco 2017.

[60]      Le travail de revue a été demandé par la Division de la gestion de l’aquaculture du MPO afin, d’une part, de veiller à ce que les tests de dépistage et l’approche de gestion de la santé des poissons du MPO soient éclairés par les preuves scientifiques les plus récentes et, d’autre part, de répondre à deux questions :

[traduction]

Ces documents récemment publiés changent-ils le point de vue scientifique sur le rôle que joue le RVP dans l’apparition de la maladie? Si oui, comment?

En quoi ces études ainsi que toute autre étude récente sur le RVP et l’IMSC sont-elles pertinentes (ou non) pour les tests de dépistage et la gestion du RVP et de l’IMSC en Colombie-Britannique?

[61]      En réponse à la première question, la RRS de mars fait référence à l’incertitude exprimée dans la réponse des Sciences du SCCS de 2015 quant à la relation entre le RVP et l’IMSC ainsi qu’à l’étude ultérieure de Wessel et al. (2017) « Infection with purified Piscine orthoreovirus demonstrates a causal relationship with heart and skeletal muscle inflammation in Altantic salmon », PLoS ONE 12(8): e0183781, en ligne : https://doi.org/10.1371/journal.pone.0183781 (l’étude « Wessel 2017 »), où l’on s’est servi de particules purifiées du RVP comme inoculant dans le cadre d’une épreuve de provocation expérimentale pour confirmer que le RVP est l’agent causal de l’IMSC. La RRS de mars indique qu’en répondant à la question (ce qui veut vraisemblablement dire « en réglant ») de savoir si le RVP est l’agent étiologique de l’IMSC chez le saumon atlantique, la communauté de la recherche sur le RVP et l’IMSC a réorienté les travaux scientifiques de façon à ne plus évaluer l’agent causal de l’IMSC, mais à plutôt comprendre comment la maladie est causée par ce virus. Comme il est dit dans l’étude Wessel 2017, en Norvège, l’IMSC a été systématiquement reproduite de manière expérimentale chez le saumon atlantique après une exposition au RVP (trois études, menées par des auteurs différents, sont citées en bas de page à l’appui de cette thèse), mais, dans les études canadiennes sur le RVP, il restait encore à déclencher l’IMSC chez des poissons infectés expérimentalement (une étude, Garver et al. (2016), « Piscine Orthoreovirus from Western North America is Transmissible to Atlantic Salmon and Sockeye Salmon but Fails to Cause Heart and Skeletal Muscle Inflammation », PLoS ONE 11(1) : e0146229, en ligne : https://doi.org/10.1371/journal.pone.0146229 (l’étude « Garver 2016 »), est citée à l’appui de cette thèse). La RRS de mars indique que l’apparition de l’IMSC ― ou son absence ― chez des poissons de laboratoire présentant des taux d’infection par le RVP tout aussi élevés montre qu’à l’heure actuelle le dépistage de ce virus n’est pas un diagnostic informatif quant à l’apparition de la maladie. Des recherches sur le RVP sont donc en cours pour mieux comprendre quels sont les facteurs responsables des scénarios de maladie modifiés, et quelles sont les exigences conditionnelles qui exacerbent les infections non virulentes par le RVP et les transforment en un état pathologique associé à l’IMSC. Cela est résumé par la déclaration figurant dans la RRS de mars selon laquelle l’étude Wessel 2017 fournit une preuve qu’une infection par le RVP peut directement déclencher l’IMSC chez le saumon atlantique; cette étude reconnaît pourtant qu’il n’est pas établi clairement pourquoi, dans bien des cas, l’infection ne mène pas à la maladie. De plus, en perfectionnant la capacité de purifier le RVP, l’étude Wessel 2017 a également permis aux chercheurs de caractériser des différences possibles entre les souches de RVP, des différences entre les hôtes et des facteurs environnementaux.

[62]      La RRS de mars traite ensuite de l’expérience menée sur l’IMSC en Norvège, signalant qu’au cours d’éclosions survenues dans des fermes d’élevage de ce pays, des signes cliniques de la maladie, de pair avec des taux élevés de mortalité, incitent le personnel de ces installations à analyser la santé des poissons. Pour diagnostiquer l’IMSC, les poissons sont examinés par voie histologique de manière à visualiser dans les muscles cardiaques et squelettiques des pathologies caractéristiques qui différencient la maladie d’autres maladies connues chez les saumons. À ce jour, l’IMSC n’a été signalée que chez des poissons d’élevage, à l’échelle mondiale.

[63]      La RRS de mars indique qu’en Colombie-Britannique il n’y a aucun signalement de taux élevés de moralité ou de pertes de production chez les saumons d’élevage qui soient attribuables à l’IMSC. Il y est mentionné que l’étude Di Cicco 2017 a procédé à une évaluation histologique de saumons atlantiques pendant la durée d’un cycle de production maritime dans l’une des fermes d’élevage de la Colombie-Britannique et qu’elle a décrit que la progression des lésions cardiaques relevées chez ces poissons concordait avec le diagnostic histopathologique de l’IMSC en Norvège. Lors de la période où le taux de prévalence était le plus élevé, l’IMSC a été diagnostiquée chez un pourcentage de 20 à 44 p. 100 des poissons échantillonnés, et un pourcentage supplémentaire de 35 à 70 p. 100 des poissons présentait un degré d’inflammation cardiaque mineur. Toutefois, malgré l’apparition de lésions, il n’y a eu aucune hausse connexe des taux de mortalité. La RRS de mars conclut que l’étude Di Cicco 2017 [traduction] « confirme fortement » l’absence de mortalité et de maladie clinique associées à l’IMSC en Colombie-Britannique; elle relève un lien possible entre le RVP et l’apparition de l’IMSC et, détail important, elle fournit une preuve que, dans ce cas précis, l’infection par le RVP des poissons d’élevage se faisait par le réservoir marin.

[64]      Quant aux informations sur la prévalence du RVP chez les saumons sauvages, la RRS de mars énumère trois études, dont la première est Purcell M. K. et al. (2017), « Molecular Testing of Adult Pacific Salmon and Trout (Oncorhynchus spp.) for Several RNA Viruses Demonstrates Widespread Distribution of Piscine Orthoreovirus in Alaska and Washington », J. Fish Dis. 2017;1–9 (l’étude « Purcell 2017 »). La RRS de mars mentionne que les constats de l’étude Purcell 2017 concordent avec ceux d’autres études indiquant que le RVP est généralisé chez de nombreuses espèces et de nombreux stocks de saumons du Pacifique dans l’Ouest de l’Amérique du Nord. La RRS affirme qu’il est utile de signaler que, bien qu’un éventail d’espèces de saumons du Pacifique puisse être sensible, le saumon coho et le saumon chinook représentaient 97,4 p. 100 des constats positifs du RVP dans l’étude Purcell 2017, ce qui révélait ainsi des différences de sensibilité entre les espèces. Et il convient de noter que même, si les poissons échantillonnés n’ont pas été évalués cliniquement au moment de l’échantillonnage, les poissons examinés dans le cadre de l’étude Purcell 2017 représentaient des poissons adultes en montaison qui avaient complété avec succès leur cycle biologique. Quant à une étude de Morton A. et al. (2017), « The Effect of Exposure to Farmed Salmon on Piscine Ortheovirus Infection and Fitness in Wild Pacific Salmon in British Columbia, Canada », PLoS ONE 12 (12) : e0188793 (l’étude « Morton 2017 »), qui donnait à penser qu’il y avait des différences géographiques dans les taux de prévalence du RVP entre les secteurs dotés ou non de salmonicultures, la RRS de mars signale que les auteurs de l’étude Morton 2017 reconnaissent qu’en raison d’un échantillonnage limité il n’est possible de tirer aucune conclusion définitive. Cependant, la RRS de mars indique que l’étude Morton 2017 sert bel et bien à corroborer la présence du RVP chez des saumons sauvages et d’élevage. Et, comme on le fait remarquer dans l’étude Purcell 2017, pour pouvoir comprendre l’épidémiologie du RVP au sein des populations de saumons, les enquêtes doivent prendre en compte les différences de sensibilité entre les espèces hôtes, comprendre la phytogéographie du RVP et incorporer des aspects de la biologie et du comportement migratoire des saumons du Pacifique. Une autre étude mentionnée, Madhun A. S. et al. (2018), « Prevalence of Piscine Orthoreovirus and Salmonid Alphavirus in Sea-Caught Returning Adult Atlantic Salmon (Salmo Salar L.) in Northern Norway », J. Fish Dis. 2018;41:797–803 (l’étude « Madhun 2018 »), n’a fait état d’aucune association entre l’élevage de saumons et la prévalence de l’infection par le RVP chez les saumons sauvages du nord de la Norvège.

[65]      Quant aux marqueurs biologiques permettant d’identifier une pathologie associée à un virus, la RRS de mars indique que l’on ignore encore ce qui amène les poissons hôtes à réagir dans certains cas à une infection par le RVP. À la suite des constats de l’étude Di Cicco 2017, Miller K. M. et al. (2017), « Molecular Indices of Viral Disease Development in Wild Migrating Salmon », Conservation Physiology 5. 10.1093/conphys/cox036 (l’étude « Miller 2017) a déterminé que, comme c’était le cas en Norvège, les poissons victimes d’une IMSC en Colombie-Britannique présentaient une plus forte expression des gènes associés à la reconnaissance d’un virus et aux défenses antivirales que les poissons non malades. Ces auteurs se sont servis d’échantillons de tissus provenant de saumons chinooks élevés dans des cages marines pour relever un taux de prévalence élevé (90 p. 100) du RVP au sein de la population échantillonnée (36 poissons), et ils ont indiqué que les poissons malades atteints du syndrome de la jaunisse ― une maladie sporadique habituellement observée chez une faible proportion (1,5 p. 100) de saumons chinooks lors d’un cycle de production ― présentaient une activation systématique des marqueurs biologiques génétiques associés à un virus, qu’ils attribuaient à la présence du RVP. La RRS de mars signale que, même si des études antérieures ne sont pas parvenues à provoquer la jaunisse chez le saumon chinook (faisant référence à l’étude Garver K. A. et al. (février 2016), « Piscine Reovirus, but not Jaundice Syndrome, was Transmissible to Chinook Salmon, Oncorhyunchus Tshawytscha (Walbaum), Sockeye Salmon, Oncorhyunchus Nerka (Walbaum), and Atlantic Salmon, Salmo Salar L. », J. Fish Dis. 39(2) : 117-128 (l’étude « Garver 2016(a) »), il ressort des constats de l’étude Miller 2017 que dans les rares cas où des poissons sont atteints de jaunisse, la reconnaissance du RVP chez ces poissons malades peut exacerber la pathologie des tissus ou contribuer peut-être à son apparition initiale. Cependant, la raison pour laquelle on n’observe la maladie que chez un faible nombre de poissons infectés par le RVP n’est pas claire. La RRS de mars indique que ces données aident à orienter les recherches continues vers la détermination des exigences conditionnelles associées à l’IMSC chez le saumon atlantique et, peut-être, à la jaunisse chez le saumon chinook. De plus, le fait que l’étude Miller 2017 a indiqué que le RVP est prévalent chez au moins quelques populations de saumon chinook élevées dans des cages marines en Colombie-Britannique confirme encore plus l’omniprésence du RVP chez les saumons en mer le long de la côte Ouest de l’Amérique du Nord ainsi que sa faible virulence au sein de ces populations.

[66]      Quant à la seconde question, la RRS de mars indique :

[traduction]

Le constat le plus important qui découle des nouvelles études passées en revue dans la présente réponse rapide des Sciences réside dans l’établissement du RVP en tant qu’agent causal de l’IMSC, comme l’a décrit l’étude Wessel et coll. 2017. Il s’agit d’une étude nouvelle, qui est pertinente pour le dépistage et la gestion du RVP et de l’IMSC en Colombie-Britannique, en ce sens que l’identification de l’étiologie infectieuse est une étape nécessaire à cette gestion. Cependant, il ressort clairement de la littérature scientifique récente que la simple détection du RVP demeure insuffisante en tant que déterminant de la maladie. Par exemple, on décèle habituellement des charges élevées en RVP chez des poissons apparemment sains et sans signes cliniques de maladie, ce qui révèle la nature peu informative du dépistage du RVP en tant que diagnostic de l’apparition de la maladie.

Néanmoins, les travaux passés en revue dans la présente réponse rapide des Sciences fournissent des informations qui permettent de mieux orienter les enquêtes de recherche et, fait important, ils corroborent et affermissent (reconfirment) des résultats antérieurs qui sont pertinents pour la gestion et le dépistage du RVP et de l’IMSC. Ces résultats sont les suivants  :

●   tant en Norvège qu’en Colombie-Britannique, des saumons atlantiques ont été infectés par le RVP après avoir été exposés à une source marine du virus;

●   le RVP est endémique chez plusieurs espèces de saumons du Pacifique dans la région géographique s’étendant depuis l’État de Washington jusqu’à l’Alaska;

●   en Colombie-Britannique, l’apparition sporadique de lésions diagnostiques de l’IMSC chez des saumons atlantiques d’élevage a soulevé peu de préoccupations liées à la mortalité ou à la production;

●   à l’échelle mondiale, l’IMSC a seulement été décrite chez des poissons d’élevage;

●   le RVP peut contribuer aux rares cas de syndrome de jaunisse relevés chez des saumons chinooks d’élevage en Colombie-Britannique, mais la plupart du temps il présente une virulence faible ou nulle chez les espèces de saumons du Pacifique.

Par ailleurs, dans le contexte du dépistage et de la gestion du RVP et de l’IMSC en Colombie-Britannique, il est utile de signaler que le Pacific Northwest Fish Health Protection Committee (PNFHPC), organisme américain formé de représentants du secteur technique et du secteur des politiques d’organismes de conservation, de tribus et de producteurs de poissons commerciaux du Pacifique Nord-Ouest, a procédé en septembre 2017 à un examen des informations disponibles sur le RVP et a conclu comme suit  : « [l’]omniprésence de l’orthoréovirus pisciaire (le RVP), sa présence apparemment continue dans les stocks de saumons du Pacifique sauvages du Pacifique Nord-Ouest et l’absence d’association évidente avec la maladie chez les saumons du Pacifique donnent à penser que le virus pose peu de risques pour les espèces sauvages de salmonidés du Pacifique ».

(iv)       La réponse rapide des Sciences de juin 2018

[67]      La RRS de juin 2018 a été produite en réponse à une demande datée du 14 juin 2018, de la part d’Allison Webb, DGR, et la réponse était attendue le 21 juin 2018. La RRS de juin indique elle aussi qu’elle ne constitue pas un avis des Sciences évalué par des pairs. Ces auteurs sont Mark Higgins et Stewart Johnson, Sciences du MPO. La réponse a été révisée par Lesley MacDougall le 21 juin 2018 et approuvée par Carmel Lowe le 27 juin 2018. Ce document réitère les renseignements généraux introductifs qui figurent dans la RRS antérieure, mais il signale que, depuis ce temps, au moins un nouvel article a été publié dans la littérature principale portant sur le RVP et évaluée par des pairs. Il s’agit de l’étude de Di Cicco et al. (2018) « The same strain of Piscine orthoreovirus (PRV-1) is involved in the development of different, but related diseases in Atlantic and Pacific Salmon in British Columbia », FACETS, sous presse (document publié par la suite sous la référence suivante : FACETS 3:599-641, en ligne : https://.doi.org/10.1139/facets-2018-008, document accepté le 23 avril 2018 et publié le 18 juin 2018) (l’étude « Di Cicco 2018 »)).

[68]      La demande comportait deux questions :

[traduction]

1. En quoi cet article récemment publié, ainsi que d’autres articles récemment publiés mais non encore examinés, change-t-il le point de vue scientifique sur le rôle que joue le RVP dans l’apparition de maladie?

2. Compte tenu de l’examen récent (MPO, 2018), en quoi cette étude est-elle pertinente (ou non) pour le dépistage et la gestion du RVP et de l’IMSC en Colombie-Britannique?

[69]      La RRS de juin signale qu’elle limite principalement son analyse aux preuves présentées dans l’étude Di Cicco 2018 pour ce qui est de l’existence d’un lien entre l’infection par le RVP et l’apparition du syndrome de la jaunisse chez les saumons chinooks d’élevage. Les liens qui existent entre l’infection par le RVP et l’IMSC chez le saumon atlantique sont le sujet d’un document informel antérieur, la RRS de mars, et le point de vue qui y est présenté demeure valable.

[70]      La RRS de juin mentionne que l’étude Di Cicco 2018 présente des informations et des inférences ou interprétations connexes sur les effets du RVP chez les saumons chinooks en Colombie-Britannique et qu’elle fournit de plus amples détails sur le diagnostic de l’IMSC rapporté précédemment. La RRS de juin ajoute que l’examen du manuscrit révèle des lacunes dans les données présentées et les critères utilisés pour caractériser la jaunisse et qu’elles ont pour effet de ne pas corroborer les conclusions de l’article. De plus, l’étude omet de prendre en compte des informations publiées antérieurement qui ont une incidence directe sur le rôle du RVP dans l’apparition du syndrome de la jaunisse. Il n’est donc pas recommandé de changer le point de vue scientifique actuel sur le rôle que joue le RVP dans l’apparition de la maladie.

[71]      Plus précisément, le Programme de vérification et de surveillance de la santé des poissons (le PVSSP) de la Division de la gestion de l’aquaculture attribue un diagnostic de syndrome de la jaunisse à une population de saumons chinooks d’élevage lorsque le taux de mortalité est élevé et qu’une part importante des carcasses présente une décoloration jaune caractéristique de la peau entourant la région abdominale et périorbitale. L’étude Di Cicco 2018 s’est servie d’un éventail plus large de signes tirés de notes prises par le vétérinaire traitant au moment de la collecte pour reclasser les échantillons archivés, dont le fait que ces saumons chinooks étaient considérés comme atteints de [traduction] « jaunisse/anémie » si les commentaires diagnostiques du vétérinaire comportaient les mentions [traduction] « syndrome de la jaunisse » ou [traduction] « jaunisse – pas d’agent », ou si, dans le cas des lésions macroscopiques, les notes signalaient la présence d’un [traduction] « liquide jaune », d’une [traduction] « bile jaune » ou d’un [traduction] « liquide semblable à de la bile jaune » dans la cavité péritonéale ou sur les caeca pyloriques ou le foie. La RRS indique que, par suite de ce classement plus large, l’étude Di Cicco 2018 a déterminé que trois fois plus de poissons (9 poissons, ou 3,7 p. 100 des échantillons de l’étude) présentaient les signes d’une nouvelle maladie, qualifiée de [traduction] « jaunisse/anémie ». La RRS de juin mentionne que les auteurs de l’étude Di Cicco 2018 ne décrivent pas clairement pourquoi ils ont élargi la définition, pas plus qu’ils n’analysent la manière dont les lésions qu’ils ont prises en considération se comparent à celles qui ont été décrites pour le syndrome de la jaunisse dans l’étude Garver 2016(a). Les auteurs ne reconnaissent pas non plus que plusieurs des caractéristiques qu’ils ont incluses dans leur définition de la jaunisse/anémie sont également associées à d’autres maladies, ce qui a pour effet de fausser leurs conclusions. De plus, ils examinent peu le rôle que jouent d’autres agents pathogènes.

[72]      La RRS de juin indique par ailleurs que l’étude Di Cicco 2018 propose une relation de cause à effet entre l’infection par le RVP et l’apparition de la jaunisse/anémie, sans toutefois présenter de preuves directes à cet effet. De plus, l’étude ne tient pas compte des conclusions, que la RRS de juin résume ensuite, qui sont tirées d’études publiées antérieurement, soit l’étude Garver 2016(a), ni des épreuves de provocation plus récentes réalisées dans l’État de Washington, dont les résultats, rapportés dans le site Web des éleveurs de saumons de la Colombie-Britannique, indiquent que, même si l’on a déterminé l’existence d’un lien possible entre la présence du RVP et l’apparition de l’IMSC, la présence du virus ne garantit pas l’apparition de l’IMSC ou du syndrome de la jaunisse chez le saumon chinook, le saumon rouge, le saumon coho ou le saumon atlantique.

[73]      De plus, même si l’étude Di Cicco 2018 a indiqué que les individus infectés par le RVP et considérés comme étant dans un état viral représentent des poissons qui sont destinés à contracter la jaunisse/anémie et à mourir, ce pronostic n’a pas été établi. Pour évaluer avec exactitude des poissons qui se situent à divers stades d’évolution de la maladie, il est nécessaire d’examiner dans le temps des poissons vivants, moribonds et morts depuis peu. Comme l’étude Di Cicco 2018 n’a examiné que des échantillons se situant au même stade d’évolution de la maladie, l’évaluation de cette évolution n’est pas corroborée. Et, même si l’on a décelé des infections par agents pathogènes mixtes chez les saumons examinés, l’étude Di Cicco 2018 n’analyse pas la possibilité que l’un d’eux (le virus de la nécrose érythrocytaire) contribue à la réponse histopathologique que ses auteurs associent à la jaunisse/anémie. L’étude Di Cicco 2018 n’indique pas non plus de manière explicite quelle proportion des échantillons de vérification des saumons chinooks ont été infectés par le RVP, et elle ne présente aucune donnée sur la proportion des saumons chinooks d’élevage qui sont porteurs du RVP, ou sur les charges en RVP chez les poissons apparemment sains. La RRS de juin indique qu’il s’agit là d’informations essentielles pour corroborer les conclusions de l’étude Di Cicco 2018 sur l’importance de la charge en RVP dans l’apparition de la jaunisse/anémie ou d’autres maladies chez le saumon chinook.

[74]      Cela est résumé comme suit :

[traduction]

L’étude Di Cicco et coll. (2018) a démontré la présence du RVP en association avec différents types de lésions au sein d’un petit échantillon de saumons chinooks morts depuis peu. Cette étude conclut que le RVP est « susceptible aussi de causer la jaunisse/anémie chez les saumons chinooks d’élevage ». Cependant, il ne s’agit pas d’une étude de causalité, mais plutôt d’une analyse rétrospective d’échantillons de vérification du PVSSP archivés. Les auteurs ont omis de prendre en compte les conclusions d’importantes études de causalité publiées, dont les suivantes  : 1) les épreuves de provocation du syndrome de la jaunisse rapportées dans l’étude de Garver et coll. (2016), où l’injection de tissus de poissons atteints du syndrome de la jaunisse n’a pas causé la jaunisse, et ce, malgré le transfert du RVP, et 2) les épreuves de provocation par le RVP chez le saumon chinook et le saumon rouge menées dans l’État de Washington qui, elles aussi, n’ont pas provoqué d’anémie ou d’autres signes de maladie. Di Cicco et coll. (2018) se sont fondés sur un nombre supérieur de signes de maladie, dont un grand nombre sont communs à d’autres maladies relevées chez les saumons du Pacifique, pour établir une nouvelle maladie qu’ils ont appelée « jaunisse/anémie ». En procédant de la sorte, le nombre de poissons présents dans les échantillons de vérification qui ont été désignés comme atteints de la jaunisse par rapport aux données de vérification de la Division de la gestion de l’aquaculture a triplé. [Souligné dans l’original.]

[75]      Quant à la seconde question, la RRS de juin réitère certaines des préoccupations susmentionnées, en ajoutant, indépendamment des signes cliniques utilisés, que chez les saumons chinooks d’élevage présents le long de la côte Ouest de la Colombie-Britannique la jaunisse est peu fréquente, mais que ce fait n’est pas analysé ou situé dans le contexte des facteurs généraux qui entraînent la mort de saumons chinooks d’élevage. Les auteurs ne montrent pas non plus pourquoi on relève la maladie chez quelques poissons infectés par le RVP et non chez d’autres. De plus :

[traduction]

Le passage relevé dans le résumé de l’article, à savoir que « le saumon chinook court peut-être un risque plus que minime de maladie en étant exposé au RVP présent dans les fermes salmonicoles » n’est pas justifié. En résumant les résultats, Di Cicco et coll. (2018) indiquent  : « Étant donné que le RVP-1a est la cause de l’IMSC chez les saumons atlantiques d’élevage, et probablement aussi la cause de la jaunisse/anémie chez les saumons chinooks d’élevage […], cela illustre qu’il peut y avoir des risques bien réels associés à la transmission du RVP entre les saumons d’élevage (chez lesquels le virus est hautement prévalent) et les saumons du Pacifique sauvages. » Toutefois, cet énoncé est par la suite nuancé par la mention suivante  : « La gravité et l’étendue de ces risques demeurent encore incertaines […] ». Nous signalons que l’ampleur du risque de maladie n’a pas été examinée dans l’étude, pas plus qu’elle n’aurait dû être rapportée, vu la quantité et la qualité des données qu’ils ont utilisées. [Souligné dans l’original.]

V.   LA REQUÊTE EN INJONCTION DE LA PREMIÈRE NATION DES NAMGIS (T-430-18)

[76]      Le 9 mars 2018, la PNN a déposé une requête dans le dossier T-430-18 en vue d’obtenir une injonction empêchant le ministre de délivrer un permis de transfert à Marine Harvest et empêchant Marine Harvest de demander un tel permis ou de l’utiliser.

[77]      Par une ordonnance et des motifs datés du 23 mars 2018, le juge Manson a rejeté la requête [Première nation de Namgis c. Canada (Pêches, Océans et Garde côtière), 2018 CF 334]. Se fondant sur la preuve dont il disposait et appliquant le critère à trois volets relatif aux injonctions interlocutoires établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt RJRMacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, il a conclu qu’il existait une question sérieuse à juger relativement à l’obligation du ministre de réglementer les transferts de poissons et à son obligation de consultation et d’accommodement envers la PNN. De plus, l’existence d’un préjudice irréparable avait été établi du fait de l’absence de consultation, de l’importance des saumons sauvages pour la PNN ― la pêche aux saumons sauvages étant exposée à un risque sérieux vu la diminution des populations de saumons sauvages dans le territoire revendiqué par la PNN ―, ainsi que l’existence de données scientifiques récentes établissant un lien entre le RVP et l’IMSC et le risque concomitant de maladie et de mortalité. Toutefois, la prépondérance des inconvénients faisait pencher la balance en faveur de Marine Harvest. Il ressortait de la preuve qu’il faudrait plusieurs semaines pour préparer un site différent pour accueillir près de 1 million de smolts censés être transférés à l’installation de l’île Swanson de Marine Harvest, mais que cette solution ne pouvait être envisagée parce que les smolts étaient prêts et devaient être transférés rapidement. La PNN avait, sans explication, tardé à déposer sa requête en injonction. Même si Marine Harvest lui avait dit en décembre 2017 que l’entreprise prévoyait repeupler l’installation en mars ou en avril 2018, la PNN n’avait déposé sa requête en injonction que le 9 mars 2018, quelques jours seulement avant le début prévu du transfert. Le dernier des trois volets du critère de redressement par voie d’injonction n’étant pas respecté, la requête a été rejetée.

VI.       LES QUESTIONS EN LITIGE

[78]      À mon avis, il est possible de traiter de la manière suivante des questions soulevées dans ces trois demandes :

Question no 1 : La décision sur la Politique concernant le RVP est-elle raisonnable (T-1710-16 et T-430-18)?

a)         Question préliminaire ― Les requêtes fondées sur la règle 312 des Règles (T-1710-16)

b)         La norme de contrôle applicable

c)         Le ministre a-t-il interprété l’article 56 du RPDG de manière raisonnable?

d)         Le ministre a-t-il dérogé au principe de précaution?

e)         Le ministre a-t-il fait abstraction de l’état de santé des saumons sauvages?

f)          Le ministre a-t-il agi de mauvaise foi? (T-430-18)

Question no 2 : Le ministre a-t-il manqué à l’obligation de consulter la PNN au sujet de la décision sur la Politique concernant le RVP? (T-430-18)

a)         La norme de contrôle applicable

b)         Existait-il une obligation de consultation et, dans l’affirmative, y a-t-il eu un manquement à cette obligation?

Question no 3 : La décision de délivrer le permis de transfert à Marine Harvest est-elle raisonnable? (T-744-18)

a)         Le permis de transfert a-t-il été délivré en violation de l’article 56 du RPDG?

b)         Le ministre a-t-il manqué à l’obligation de consultation?

c)         Le ministre a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

Question no 4 : Les mesures de réparation

Question no 5 : Les dépens

[79]      À titre d’observation préliminaire, je signale que de nombreux documents ont été déposés dans le cadre des trois demandes de contrôle judiciaire. Les dossiers déposés par les parties contiennent de longs affidavits, auxquels sont joints plusieurs pièces, des affidavits en réponse ainsi que les transcriptions des contre-interrogatoires des déposants. Il y a également de multiples requêtes préliminaires en instance, reportées par la juge chargée de la gestion de l’instance, d’autres requêtes ainsi que des dossiers connexes. Selon mon estimation, les documents déposés par les parties totalisent environ 35 000 pages. Bien que j’aie passé en revue et pris en compte toutes les observations des parties, je n’entends pas, dans les présents motifs, décrire la totalité des éléments de preuve et rendre compte de l’abondance de détails que renferment ceux qui le seront. Je ne ferai pas non plus état de chacune des observations qui m’ont été soumises et de leurs nuances. Je ferai plutôt état des éléments de preuve et des observations qui, d’après moi, sont les plus utiles pour trancher les demandes.

VII       ANALYSE

A.        La question no 1 : La décision sur la Politique concernant le RVP est-elle raisonnable (T-1710-16 et T-430-18)?

(i)         Question préliminaire  Les requêtes fondées sur la règle 312 des Règles (T-1710-16)

[80]      Par une directive datée du 12 juillet 2018, la juge chargée de la gestion de l’instance a exigé que Mme Morton et la PNN ― les demanderesses dans les dossiers T-1710-16 et T-430-18, respectivement ― déposent, au plus tard le 13 juillet 2018, tout affidavit supplémentaire qu’elles entendaient utiliser et que les défendeurs fassent part de leurs objections, le cas échéant, à l’égard de ces affidavits avant le 20 juillet 2018. En cas d’objection, la demanderesse souhaitant déposer un affidavit supplémentaire présenterait une requête informelle (observations écrites seulement) aux fins d’autorisation, conformément à la règle 312 des Règles, pour que le juge des demandes la tranche.

[81]      Le 17 août 2018, Mme Morton a présenté des observations écrites dans le cadre du dossier T-1710-16 par lesquelles elle cherchait à déposer l’affidavit supplémentaire de Carmen M. Valenzuela, adjointe juridique au sein du cabinet d’avocats représentant Mme Morton, Ecojustice Canada, souscrit le 9 juillet 2018 (l’affidavit de Mme Valenzuela), l’objectif étant de verser au dossier des éléments de preuve émanant de Mme Morton, qui, soutient-elle, avaient été mis à la disposition de la décideure et auraient dû être pris en compte au moment de prendre la décision sur la Politique concernant le RVP du 28 juin 2018, et qu’elles estiment être pertinents en ce qui concerne les questions soulevées dans sa demande de contrôle judiciaire.

[82]      Des lettres échangées entre les avocats respectifs du ministre et de Mme Morton (respectivement désignés les avocats du ministre et les avocats de Mme Morton) en rapport avec la décision anticipée sont jointes comme pièces à l’affidavit de Mme Valenzuela. Par une lettre datée du 1er juin 2018 (pièce A), les avocats du ministre informent les avocats de Mme Morton que le MPO envisage de réviser la Politique concernant le RVP en raison de nouvelles informations diffusées après le réexamen du 9 mars 2018, dont l’étude Di Cicco 2018. Ils les informent aussi qu’ils attendent des instructions sous peu à cet égard et qu’ils leur feront part de leur teneur lorsqu’elles leur seront communiquées.

[83]      En réponse, le 6 juin 2018 (pièce B), les avocats de Mme Morton ont envoyé aux avocats du ministre un courriel demandant que leur lettre, qui y était jointe, soit transmise au ministre et, comme les avocats du ministre souhaitaient que les communications se fassent entre avocats, que cette lettre soit également transmise aux représentants du MPO chargés de réviser la Politique concernant le RVP, de même qu’à d’autres. Était jointe à ce courriel une lettre datée du 6 juin 2018 d’Ecojustice (pièce C), rédigée pour le compte de Mme Morton à l’intention du ministre. Cette lettre indique qu’Ecojustice souhaite s’assurer que le ministre et le MPO sont au courant d’informations qui, selon Mme Morton, sont pertinentes pour tout réexamen de la Politique concernant le RVP et les documents suivants y étaient joints :

• Bureau du vérificateur général du Canada, Rapports de la commissaire à l’environnement et au développement durable au Parlement du Canada, Rapport de l’auditeur indépendant, Rapport 1  : L’élevage du saumon (printemps 2018) (« le rapport du vérificateur général »).

• Une prépublication de l’étude Di Cicco et coll., « The same strain of Piscine orthoreovirus (PRV-1) is involved in the development of different, but related disease in Atlantic and Pacific Salmon in British Columbia », un document accepté pour publication dans FACETS le 23 avril 2018.

• Un communiqué de presse du Department of Fish and Wildlife News de l’État de Washington, daté du 17 mai 2018 et portant sur son refus de délivrer un permis de transfert de saumons d’élevage infectés par le RVP (« le communiqué de presse de l’État de Washington »).

• Une lettre datée du 14 décembre 2017 d’Ecojustice (pour le compte de Mme Morton), adressée au ministre, exposant le point de vue de Mme Morton selon lequel la Politique concernant le RVP crée de sérieux risques pour les saumons sauvages migrant à proximité de fermes piscicoles et faisant état de ce qui constitue, selon elle, des avancées scientifiques importantes et récentes au sujet du RVP depuis la décision de janvier 2017 et qui, d’après elle, doivent être prises en considération en ce qui concerne la question de l’état de santé des stocks de saumons sauvages. Elle demande que le ministre réexamine et révise la Politique concernant le RVP à la lumière de ces données.

[84]      Par un courriel daté du 14 juin 2018 (pièce D), les avocats du ministre ont informé les avocats de Mme Morton que le MPO leur a fait savoir que la lettre susmentionnée a été transmise au cabinet du ministre et à la décideure, Allison Webb, ainsi qu’à d’autres personnes.

[85]      Cependant, ces documents ne font pas partie des documents relatifs à la décision du 28 juin 2018 inclus dans le DCT. Cela étant, le 3 juillet 2018 (pièce E), les avocats de Mme Morton ont écrit aux avocats du ministre pour demander que le DCT fasse l’objet d’une nouvelle certification en vue d’y inclure les documents en question. Par une lettre datée du 9 juillet 2018 (pièce H), les avocats du ministre indiquent que les documents en question ne font pas partie des documents du DCT relatifs à la décision du 28 juin 2018 parce que la décideure ne les avait pas en main lorsqu’elle a réexaminé à cette date la Politique concernant le RVP, et ils précisent ce qui suit : [traduction] « Vous êtes certainement conscients que le MPO reçoit du public de nombreuses observations au sujet de l’aquaculture. Or, les documents que reçoit le MPO ne sont pas automatiquement mis à la disposition des décideurs. » La lettre indique qu’étant donné que la décideure n’avait pas en main les documents en question, ceux-ci ne sont pas pertinents.

a)         La règle 312 des Règles

[86]      La règle 312 des Règles permet à une partie, avec l’autorisation de la Cour, de déposer des affidavits supplémentaires. Dans l’arrêt Forest Ethics Advocacy Association c. Office national de l’énergie, 2014 CAF 88, aux paragraphes 4 à 6 (voir aussi Connolly c. Canada (Procureur général), 2014 CAF 294, (l’arrêt « Connolly »), la Cour d’appel fédérale énonce les conditions auxquelles il est nécessaire de répondre pour obtenir une ordonnance en vertu de la règle 312 des Règles. Premièrement, le demandeur doit satisfaire à deux conditions préalables :

1)         La preuve doit être admissible dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire. Comme il est bien établi en droit, le dossier dont est saisie la cour de révision est habituellement composé des documents dont était saisi le décideur. Il y a cependant des exceptions à ce principe.

2)         L’élément de preuve doit être pertinent pour trancher une question dont la cour de révision est saisie.

[87]      S’il satisfait aux deux conditions préalables, le demandeur doit alors convaincre la Cour qu’elle devrait, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, octroyer l’ordonnance en vertu de la règle 312 des Règles. Trois questions ont été formulées afin d’aider la Cour à déterminer s’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une ordonnance en vertu de cette disposition :

a)         Est-ce que la partie avait accès aux éléments de preuve dont elle demande l’admission au moment où elle a déposé ses affidavits en application des règles 306 ou 308 des Règles, selon le cas, ou aurait-elle pu y avoir accès en faisant preuve de diligence raisonnable?

b)         Est-ce que la preuve sera utile à la Cour, en ce sens qu’elle est pertinente pour trancher une question en litige et que sa valeur probante est suffisante pour influer sur la décision de la Cour?

c)         Est-ce que l’admission des éléments de preuve entraînera un préjudice important ou grave pour l’autre partie?

[88]      Dans l’arrêt Association des universités et collèges du Canada c. Canadian Copyrights Licensing Agency, 2012 CAF 22 (Association des universités et collèges), le juge Stratas a fait remarquer que, pour déterminer l’admissibilité d’un affidavit présenté au soutien d’une demande de contrôle judiciaire, il importe de garder à l’esprit que des rôles différents incombent à la Cour et au décideur administratif. Le législateur a conféré au décideur administratif, et non à la Cour, la compétence pour déterminer le bien-fondé de certaines questions. En raison de ces rôles bien distincts, la Cour ne peut s’autoriser à devenir une tribune de recherche des faits qui intéressent le fond. C’est donc dire qu’en règle générale le dossier de preuve qui est soumis à la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire se limite à celui dont le décideur a été saisi. Un élément de preuve qui n’a pas été soumis au décideur et qui a trait au fond de l’affaire est, sauf quelques exceptions restreintes, non admissible.

[89]      Le juge Stratas a énuméré trois exceptions et indiqué que la liste n’était sans doute pas exhaustive. Voici ces trois exceptions : 1) un affidavit contenant des renseignements généraux susceptibles d’aider la cour de révision à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, qui, s’est-on assuré, ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le décideur administratif; 2) un affidavit portant à l’attention de la cour de révision des vices de procédure ne pouvant être décelés dans le dossier de preuve du décideur administratif, et permettant à la cour de révision de s’acquitter de sa tâche d’examiner les questions d’équité procédurale; et 3) un affidavit faisant ressortir que le décideur administratif ne disposait d’aucun élément de preuve lorsqu’il a tiré une conclusion donnée.

[90]      Le juge Stratas a réexaminé la règle générale énoncée dans l’arrêt Bernard c. Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263 (Bernard), en faisant référence aux arrêts antérieurs de la Cour d’appel fédérale Association des universités et collèges, Connolly et Delios c. Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 (Delios), au paragraphe 45, et il a fourni des précisions sur les trois exceptions reconnues [aux paragraphes 23 à 28] :

     L’exception des renseignements généraux existe parce qu’elle s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. Elle respecte les rôles propres au décideur administratif et à la cour de révision, les rôles du juge du fond et du juge de révision et, de ce fait, la séparation des pouvoirs. Les renseignements généraux exposés dans l’affidavit ne représentent pas de nouveaux renseignements sur le fond. Ils se bornent à résumer la preuve dont était saisi le juge du fond, c’est-à-dire le décideur administratif. Rien n’incite le juge de révision à s’immiscer dans le rôle du décideur administratif en tant que juge du fond, rôle assigné à celui-ci par le législateur. Ajoutons que l’exception des renseignements généraux facilite à la Cour la tâche consistant à contrôler une décision administrative (soit la tâche de voir à la primauté du droit) en relevant, récapitulant et mettant en évidence les éléments de preuve les plus utiles dans cette tâche.

     La deuxième exception reconnue n’est en réalité qu’une forme particulière de la première. Quelquefois, une partie déposera un affidavit faisant état de l’absence totale de preuve sur une certaine question. En d’autres termes, l’affidavit dit au juge de révision non pas ce qui figure au dossier — objet de la première exception —, mais plutôt ce qui n’y figure pas. Voir à ce sujet Keeprite Workers’ Independent Union v. Keeprite Products Ltd. (1980), 29 O.R. (2d) 513 (C.A. Ont.), et Access Copyright, précité, au paragraphe 20. Cela peut être utile quand une partie allègue qu’une décision administrative est déraisonnable parce que reposant sur une conclusion de fait essentielle en toute absence de preuve. Là encore, cela s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement, pour les motifs énoncés au paragraphe précédent.

     La troisième exception reconnue porte sur la preuve sur une question de justice naturelle, d’équité procédurale, de but illégitime ou de fraude dont le décideur administratif n’aurait pas pu être saisi et qui n’intervient pas dans le rôle du décideur administratif comme juge du fond; voir Keeprite et Access Copyright, précités, ainsi que M. Shredding Waste Management Ltd. c. Nouveau-Brunswick (Ministre de l’Environnement et des Gouvernements locaux), 2004 NBCA 69, 274 N.B.R. (2nd) 340 (but illégitime), et St. John’s Transportation Commission v. Amalgamated Transit Union, Local 1662, 1998 CanLII 18670, 161 Nfld. & P.E.I.R. 199 (fraude). En guise d’illustration, supposons que, après qu’une décision administrative a été prise et que le décideur a été dessaisi, une partie découvre que la décision a été amenée par un pot-de-vin. Supposons également que l’avis de demande de cette partie invoque une atteinte à la justice naturelle à cause de ce pot-de-vin. La preuve du pot-de-vin est recevable par voie d’affidavit déposé auprès du juge de révision.

     Notons en passant que, si un élément de preuve était disponible au moment de l’instance administrative en ce qui concerne la justice naturelle, l’équité procédurale, le but illégitime ou la fraude, la partie lésée devrait s’opposer et présenter cet élément de preuve devant le décideur administratif. Lorsqu’une partie peut raisonnablement être considérée comme ayant eu la capacité de s’opposer devant le décideur administratif sans l’avoir fait, l’opposition ne peut être faite par la suite lors d’un contrôle judiciaire : voir Zündel c. Canada (Commission des droits de la personne), 2000 CanLII 16575, ainsi que In re Tribunal des droits de la personne et Énergie atomique du Canada limitée, [1986] 1 C.F. 103 (C.A.F.).

     La troisième exception reconnue s’accorde entièrement avec la logique de la règle générale et les valeurs du droit administratif plus globalement. La preuve en question n’aurait pu être présentée au juge du fond et, ainsi, l’exception n’intervient en rien dans le rôle du décideur administratif à titre de juge du fond. Elle se trouve aussi à faciliter à la Cour la tâche de contrôler le décideur administratif à l’égard d’un motif admissible (tâche d’application de la primauté du droit).

     La liste des exceptions n’est pas close. Dans certaines affaires, les juges de révision ont reçu en preuve un affidavit qui facilite leur tâche de contrôle et n’empiète pas sur le rôle du décideur administratif comme juge des faits et juge du fond. Voir à ce sujet Hartwig v. Saskatchewan (Commission of Inquiry), 2007 SKCA 74, 284 D.L.R. (4th) 268, au paragraphe 24. Par exemple, dans une affaire, le demandeur alléguait que la décision du décideur administratif était déraisonnable parce que celui-ci avait interprété à tort certaines observations faites par l’avocat comme étant des aveux. Toutefois, les observations de l’avocat au décideur administratif ne figuraient pas dans le dossier présenté au juge de révision. La cour de révision a admis des éléments de preuve sur ces observations pour pouvoir évaluer si la décision était déraisonnable : voir Ontario Shores Centre for Mental Health v. O.P.S.E.U., 2011 ONSC 358. Dans une autre affaire, la cour de révision a admis en preuve la transcription partielle d’une instance devant un décideur administratif. La transcription avait été préparée par une des parties, et non par le décideur. Dans les circonstances, la cour de révision a jugé que la transcription partielle était fiable et qu’elle n’était ni inéquitable ni préjudiciable et était nécessaire à son contrôle de la décision administrative : voir SELI Canada Inc. v. Construction and Specialized Workers’ Union, Local 1611, 2011 BCCA 353, 336 D.L.R. (4th) 577.

Dans l’arrêt Delios, le juge Stratas a précisé ce qui suit au sujet de l’exception des renseignements généraux [aux paragraphes 44 à 46] :

     Selon cette exception, une partie peut déposer un affidavit contenant « des informations générales qui sont susceptibles d’aider (la cour de révision) à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20a).

     L’exception des « renseignements généraux » vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion du juge réformateur afin qu’il puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi. Dans les procédures de contrôle judiciaire visant les décisions administratives complexes se rapportant à des procédures et des faits compliqués, étayées par des centaines ou des milliers de documents, le juge réformateur trouve utile de recevoir un affidavit qui passe brièvement en revue, d’une manière neutre et non controversée, les procédures qui se sont déroulées devant le décideur administratif, et les catégories de preuves que les parties ont présentées à l’administrateur. Dans la mesure où l’affidavit ne s’engage pas dans une interprétation tendancieuse ou une prise de position ― rôle de l’exposé des faits et du droit ―, il est recevable à titre d’exception à la règle générale.

     Toutefois, « [o]n doit s’assurer que l’affidavit ne va pas plus loin en fournissant des éléments de preuve se rapportant au fond de la question déjà tranchée par le tribunal administratif, au risque de s’immiscer dans le rôle que joue le tribunal administratif en tant que juge des faits et juge du fond » : Access Copyright, précité, au paragraphe 20a).

[91]      La Cour d’appel fédérale a également précisé qu’un affidavit doit se fonder sur des connaissances personnelles et qu’il a pour but de présenter, sans commentaires ni explications, des faits liés au litige. L’objet d’un affidavit ne doit pas être confondu avec les observations écrites qu’une partie est en droit de présenter à l’appui de sa demande (Duyvenbode c. Canada (Procureur général), 2009 CAF 120, aux paragraphes 2 et 3). Les affidavits doivent être exempts d’arguments et le déposant ne doit pas interpréter la preuve qui a déjà été examinée par un tribunal administratif ou tirer des conclusions négatives (Société Canadian Tire Ltée c. Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56 (Société Canadian Tire), aux paragraphes 9 et 10; voir également Canada (Procureur général) c. Quadrini, 2010 CAF 47, au paragraphe 18).

b)         La thèse de Mme Morton

[92]      Mme Morton signale qu’en août 2016 elle a envoyé au ministre une lettre et un rapport d’expert à l’appui de sa demande de changement de la Politique concernant le RVP. Ces documents étaient joints à un affidavit souscrit par Mme Morton. Les défendeurs ont tenté de faire radier les documents du dossier, mais, par une ordonnance datée du 11 août 2017, la juge chargée de la gestion de l’instance a refusé de le faire au motif qu’elle n’était pas disposée à priver Mme Morton du droit de faire valoir, dans le cadre de l’examen de la demande sur le fond, que ces documents auraient dû être soumis à la décideure, et elle a donc conclu que ces derniers tombaient sous le coup des exceptions prévues dans l’arrêt Association des universités et collèges. La juge chargée de la gestion de l’instance a également déclaré qu’elle n’empêcherait pas Mme Morton de soumettre à la Cour des preuves concernant les renseignements et les documents qu’elle avait transmis au ministre et qui, selon Mme Morton, étaient pertinents en ce qui concerne la décision du ministre d’adopter la Politique concernant le RVP. Mme Morton soutient qu’il y a lieu d’admettre en preuve l’affidavit de Mme Valenzuela pour les mêmes raisons.

[93]      De plus, l’affidavit de Mme Valenzuela et les documents connexes sont admissibles parce qu’ils fournissent des renseignements généraux qui seront très utiles à la Cour pour évaluer le caractère raisonnable de la Politique concernant le RVP et du processus décisionnel qui a été suivi pour l’adopter. Le rejet de la réponse de bonne foi de Mme Morton, exclue du DCT, donne un éclairage utile pour évaluer le caractère raisonnable du processus décisionnel. Par ailleurs, ces renseignements aideront la Cour à comprendre des questions pertinentes dans le contexte du contrôle judiciaire. Ils apportent à la Cour un contexte factuel plus précis et complet dans le cadre duquel comprendre et évaluer la légalité de la Politique concernant le RVP du ministre.

[94]      Mme Morton soutient également que l’affidavit de Mme Valenzuela répond au critère de l’intérêt de la justice. Aucun des documents joints à cet affidavit n’existait à l’époque où elle a déposé son affidavit initial, en novembre 2016, à l’appui de la demande. De plus, les documents sont pertinents parce que les avocats du ministre ont assuré à Mme Morton que la décideure les avait en sa possession. L’affidavit établit que ces documents n’ont pas été pris en compte par la décideure, ce qui étaye l’affirmation de Mme Morton selon laquelle la Politique concernant le RVP et le processus qui a été suivi pour la maintenir étaient déraisonnables. De plus, cette preuve aidera également la Cour à déterminer le caractère raisonnable de la Politique et du processus décisionnel sous-jacent. En outre, pour ce qui est du préjudice causé, la juge chargée de la gestion de l’instance a donné aux défendeurs la possibilité de déposer des affidavits en application de la règle 312 des Règles en réponse à l’affidavit de Mme Valenzuela. Le ministre l’a fait, en déposant l’affidavit du 28 juillet 2018 de Lauren Situ (l’affidavit de Mme Situ), auquel sont jointes des lettres qui, d’après le ministre, auraient dû être incluses dans l’affidavit de Mme Valenzuela. Mme Morton ne s’oppose pas au dépôt de l’affidavit de Mme Situ. Ainsi, dans la mesure où l’affidavit de Mme Valenzuela cause préjudice, la possibilité de déposer des documents supplémentaires corrige la situation. Marine Harvest et Cermaq ont décidé de ne pas déposer d’affidavits en réponse, ce qui témoigne de l’absence de préjudice que causera le fait de verser au dossier l’affidavit de Mme Valenzuela.

c)         Les thèses des défendeurs

[95]      Les défendeurs soutiennent que l’affidavit de Mme Valenzuela ne répond pas aux conditions préalables à l’admission d’une preuve par affidavit supplémentaire. Cet affidavit est inadmissible et non pertinent, car il s’agit d’une preuve qui n’a pas été soumise à la décideure et il ne peut être admis en vertu d’aucune des exceptions à la règle générale interdisant la production d’une preuve extrinsèque dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Un tribunal saisi d’une demande de contrôle judiciaire n’est pas une tribune de recherche des faits qui intéressent le fond, sa tâche ne consiste pas à tenir un nouveau procès sur les questions en litige et il n’est pas une « académie des sciences » chargée de trancher des débats scientifiques (Association des universités et collèges, aux paragraphes 17 et 18; Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 2000 CanLII 15291, au paragraphe 71; Henri c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 38, au paragraphe 41). Le ministre fait valoir que, sous le régime de la Loi sur les pêches et ses règlements d’application, c’est lui qui est chargé de gérer les pêches. Le rôle de la Cour consiste à examiner si la décision faisant l’objet d’un contrôle est raisonnable compte tenu des motifs de contrôle énoncés dans l’avis de demande, présenté en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, ainsi que du dossier qui a été soumis au décideur.

[96]      Les défendeurs soutiennent que, en l’espèce, Mme Morton souhaite introduire des éléments de preuve et des arguments additionnels qui ont trait au fond de la décision. En particulier, la lettre du 6 juin 2018 jointe comme pièce C à l’affidavit de Mme Valenzuela contient de nombreux arguments de la part de Mme Morton sur le fond de la Politique concernant le RVP. À cet affidavit sont jointes des preuves supplémentaires qui visent à compléter les conclusions du décideur et à inciter la Cour à former sa propre opinion sur le bien-fondé factuel de la décision contrôlée. L’affidavit de Mme Valenzuela ne répond pas non plus à l’exigence de fournir des renseignements de base généraux et utiles. Et, bien que Mme Morton cherche à faire admettre en preuve cet affidavit pour montrer que la décideure a choisi de ne pas examiner les documents en question, par ses actes de procédure, elle ne conteste pas le processus que le ministre a suivi pour maintenir la Politique concernant le RVP. C’est donc dire que, bien que Mme Morton soutienne que l’affidavit de Mme Valenzuela montre que le ministre a décidé de ne pas prendre en considération les documents soumis, il n’en demeure pas moins que ceux-ci ne sont pas pertinents. S’ils étaient admis, les parties subiraient un préjudice, étant donné que des preuves qui ne faisaient pas partie du dossier et une nouvelle question d’équité procédurale que Mme Morton ne conteste pas dans sa demande de contrôle judiciaire seraient de la sorte soumises à la Cour.

[97]      Marine Harvest ajoute que nul ne conteste que Mme Morton a la qualité pour agir dans l’intérêt public, mais qu’il n’en demeure pas moins qu’elle n’est qu’un simple membre du public et que, même s’il lui est loisible d’envoyer des documents au ministre, elle n’a ni le droit de les faire examiner dans le cadre de décisions précises, ni celui d’[traduction] « orienter le dossier ». L’idée qu’une partie privée, n’ayant pas le droit d’être entendue, puisse envoyer des documents à un décideur et soutenir ensuite qu’ils font partie du dossier pourrait être lourde de conséquences.

d)         Analyse

[98]      J’ai de la difficulté à accepter l’idée que le ministre refuse que l’on inclue dans le DCT les lettres et les documents joints à l’affidavit de Mme Valenzuela. Il ressort de ces documents qu’après le dépôt de la demande de Mme Morton le 12 octobre 2016, les avocats du ministre ont informé les avocats de Mme Morton que le MPO envisageait de revoir la Politique concernant le RVP, car de nouvelles informations étaient disponibles. À ce stade, Mme Morton était plus qu’un simple membre du public. Elle avait introduit sa demande et avait un intérêt continu à l’égard des réexamens de la Politique qui étaient postérieurs à sa demande. C’est dans ce contexte que les avocats du ministre l’avaient précisément informée du nouveau réexamen prévu.

[99]      Elle a aussi expressément demandé que la lettre et les documents fournis en réponse soient envoyés au ministre ainsi qu’aux agents du MPO qui allaient revoir la Politique concernant le RVP. Ses avocats avaient été informés par les avocats du ministre que cela avait été fait, en faisant précisément mention de la décideure, Allison Webb. Cela étant, il est impossible de voir comment les avocats du ministre ont pu tenter par la suite de justifier l’absence des documents dans le DCT en faisant valoir que la lettre de Mme Morton ne se trouvait pas entre les mains de Mme Webb quand celle-ci a réexaminé la Politique concernant le RVP le 28 juin 2018. Et s’il est peut-être vrai que le MPO reçoit du public de nombreuses observations au sujet de l’aquaculture et que celles-ci ne sont pas automatiquement mises à la disposition des décideurs, dans le cas présent, Mme Morton avait demandé que les documents soient transmis à Mme Webb et on lui a dit que cela avait été fait.

[100]   Il était bien sûr loisible à Mme Webb d’accorder peu de poids à la lettre et aux documents ou de conclure qu’ils n’étaient pas pertinents dans le cadre de l’examen auquel elle procédait. Cependant, à mon avis, elle ne pouvait pas prétendre qu’ils n’existaient pas ou qu’elle ne les avait pas en main et, pour cette raison, les exclure du dossier.

[101]   C’est donc dire que, dans ces circonstances, les lettres et les documents joints comme pièces à l’affidavit de Mme Valenzuela auraient dû être inclus dans le DCT.

[102]   Cependant, Mme Morton n’a pas déposé de requête contestant le refus du ministre de certifier de nouveau le dossier. Elle ne soutient pas non plus que la déléguée du ministre a manqué à l’obligation d’équité procédurale en excluant les documents du dossier, et par conséquent de ne pas prendre en compte au moment de réexaminer la Politique concernant le RVP. Au lieu de cela, Mme Morton se fonde principalement sur l’exception dite des « renseignements généraux » à la règle interdisant la présentation de nouveaux éléments de preuve n’ayant pas été mis à la disposition du décideur.

[103]   Compte tenu de cela, appliquant les conditions susmentionnées devant être remplies pour pouvoir obtenir une ordonnance en vertu de la règle 312 des Règles, je conclus que seuls sont admissibles les paragraphes 1 à 3 de l’affidavit de Mme Valenzuela et deux des documents joints comme pièces à cet affidavit.

[104]   La pièce C, la lettre du 6 juin 2018 d’Ecojustice, écrite pour le compte de Mme Morton, n’est pas admissible du fait qu’elle referme ce qui est décrit comme son opinion scientifique, à savoir que la Politique concernant le RVP crée un risque considérable pour les saumons sauvages en migration et que les documents qu’elle joint à la lettre étayent son opinion selon laquelle la Politique concernant le RVP est illégale et déraisonnable. La lettre résume aussi ce qu’elle décrit comme les points les plus pertinents du rapport du vérificateur général et de l’étude Di Cicco 2018, et elle inclut ce qui est décrit comme de brèves mentions de [traduction] « l’état déplorable des stocks de saumons chinooks sauvages en Colombie-Britannique » et de l’importance du communiqué de presse de l’État de Washington. Cette lettre ainsi que d’autres lettres d’Ecojustice au ministre qui y sont jointes vont au-delà de ce qu’englobe l’exception des renseignements généraux, qui vise les observations pures et simples propres à diriger la réflexion de la cour de révision afin qu’elle puisse comprendre l’historique et la nature de l’affaire dont le décideur administratif était saisi, et elles fournissent plutôt une preuve d’opinion quant au bien-fondé de l’affaire que le décideur administratif a tranchée.

[105]   Cependant, le rapport du vérificateur général, qui figure dans la pièce C, est un rapport indépendant et un document public. Il s’agit d’un rapport d’audit de gestion axé sur le fait de savoir si le MPO et l’Agence canadienne d’inspection des aliments (l’« ACIA ») ont géré les risques associés à la salmoniculture d’une manière qui protégeait les poissons sauvages. Ce rapport donne suite à l’engagement pris par le gouvernement fédéral d’appliquer les recommandations de la Commission Cohen. Il formule des recommandations et il contient les réponses du MPO à chacune d’entre elles. À mon avis, le rapport du vérificateur général est une source de renseignements généraux utiles. Je signalerais également que ce rapport a été soumis à Andrew Thomson, directeur régional de la Direction de la gestion des pêches du MPO, quand il a été contre-interrogé par les avocats de Mme Morton sur son affidavit du 29 janvier 2018, déposé par le ministre dans le dossier T-1710-16 (l’affidavit no 1 de M. Thomson). Il m’est donc soumis comme pièce 7 jointe à la transcription du contre-interrogatoire portant sur l’affidavit no 1 de M. Thomson. Il ressort également de la transcription de ce contre-interrogatoire que les avocats du ministre ont convenu que le contre-interrogatoire de M. Thomson sur les questions posées par les avocats de Mme Morton dans le dossier T-1710-16, ainsi que sur les réponses qui y ont été données, pourraient être utilisés par la PNN dans les dossiers T-430-18 et T-744-18, sous réserve de toute objection que formulerait le ministre en application du paragraphe 95(1) des Règles. Le rapport du vérificateur figure donc aussi comme pièce jointe à ce contre-interrogatoire dans les dossiers de demande de la PNN déposés dans les dossiers T-430-18 et T-744-18. Dans l’affidavit qu’il a souscrit le 5 juillet 2018 et qui a été déposé dans le dossier T-430-18, M. Thomson fait également référence au rapport du vérificateur général (l’affidavit de M. Thomson no 2).

[106]   Pour ce qui est de l’étude Di Cicco 2018, c’est ce rapport qui a incité le ministre à procéder au réexamen du 28 juin 2018 de la Politique concernant le RVP. La RRS de juin 2018 indique que la Division de la gestion de l’aquaculture du MPO a demandé que l’on examine l’article, ainsi que d’autres études récemment publiées, afin de s’assurer que la méthode de dépistage et de gestion de la santé des poissons du MPO tenait compte des données scientifiques les plus récentes et de déterminer si, à la suite des nouvelles informations découlant de l’étude Di Cicco 2018, il fallait envisager d’apporter des changements à la méthode de gestion du MPO. L’étude Di Cicco 2018, qui a été autorisée en partie par des scientifiques du MPO, a également été soumise à M. Thomson lors du contre-interrogatoire sur l’affidavit no 1 de M. Thomson mené par les avocats de Mme Morton dans le cadre du dossier T-1710-16; cette étude figure donc dans le dossier qui m’a été soumis, comme pièce 11 jointe à la transcription de ce contre-interrogatoire, et, comme il a déjà été mentionné, elle figure également sous forme de pièce dans les dossiers de demande de la PNN figurant dans les dossiers T-430-18 et T-744-18. L’étude Di Cicco 2018 sert également de source de renseignements généraux dans la mesure où elle a une incidence sur la RRS de juin 2018 dont s’est inspirée la déléguée du ministre pour arriver à sa décision, et elle est admissible sur ce fondement.

e)         L’affidavit de Mme Situ

[107]   Le ministre a également déposé une requête en vertu de la règle 312 des Règles en vue de faire admettre en preuve l’affidavit de Mme Situ, daté du 27 juillet 2018, au cas où l’affidavit de Mme Valenzuela serait admissible. Deux pièces sont jointes à l’affidavit de Mme Situ : une copie d’une lettre datée du 24 octobre 2017, des avocats du ministre aux avocats de Mme Morton, répondant à la lettre d’Ecojustice du 28 septembre 2017 (jointe à la lettre du 6 juin 2018 d’Ecojustice) et un courriel daté du 10 janvier 2018, des avocats du ministre aux avocats de Mme Morton, indiquant que le ministre a transmis des copies de la lettre d’Ecojustice du 14 décembre 2017 (jointe à la lettre du 6 juin 2018 d’Ecojustice) aux avocats, lesquels demandaient que, dorénavant, toutes les communications concernant l’objet du recours intenté par Mme Morton contre le ministre soient adressées aux avocats plaideurs du ministère de la Justice. Par un courriel transmis à la même date, les avocats de Mme Morton ont répondu qu’Ecojustice n’avait communiqué directement avec aucun ministre et avait envoyé toutes les lettres par l’entremise des avocats du ministre pour qu’ils les transmettent aux intéressés, et qu’ils n’étaient donc pas certains de comprendre la nature de l’objection formulée.

[108]   Le ministre soutient que l’affidavit de Mme Situ tombe sous le coup de l’exception des renseignements généraux, car il aidera la Cour à comprendre les questions pertinentes dans le contrôle judiciaire sous-jacent; les pièces mentionnent en effet des documents qui sont essentiels à la compréhension du dossier et elles fournissent des renseignements contextuels importants qui n’ont pas été par ailleurs portés à la connaissance de la Cour ou qui ne figurent pas dans le dossier de preuve. Selon le ministre, si l’affidavit de Mme Valenzuela est admis en preuve, il sera dans l’intérêt de la justice d’admettre l’affidavit de Mme Situ, qui rend compte de manière complète de toutes les communications pertinentes et qui aidera la Cour à comprendre le contexte dans lequel s’inscrivent les documents joints à l’affidavit de Mme Valenzuela.

[109]   À mon avis, l’affidavit de Mme Situ n’aide guère la Cour à comprendre le dossier ou le contexte dans lequel s’inscrivent les documents joints à l’affidavit de Mme Valenzuela. Comme l’indique clairement le courriel d’accompagnement d’Ecojustice du 6 juin 2018, ce dernier demandait aux avocats du ministre de transmettre la lettre du 6 juin 2018 au ministre ainsi qu’à la décideure. Les avocats du ministre ont confirmé que cela avait été fait. Quoi qu’il en soit, compte tenu de la conclusion que j’ai tirée précédemment, les communications entre les avocats au sujet de l’acheminement de ces lettres ne sont pas pertinentes. L’affidavit de Mme Situ n’est donc pas admissible.

(ii)        La norme de contrôle applicable

[110]   Les parties soutiennent ― et je suis d’accord avec elles ― que la décision de la déléguée de maintenir la Politique concernant le RVP, c’est-à-dire le fait de ne pas procéder à des tests de dépistage du RVP ou de l’IMSC avant la délivrance des permis de transfert de poissons, est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. D’ailleurs, dans la décision Morton 2015, le juge Rennie a conclu que la question de savoir si les conditions du permis qui étaient en litige dans cette affaire étaient conformes à l’article 56 du RPDG devait être évaluée par rapport à cette norme.

[111]   Comme l’a décrété la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 S.C.R. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47, la norme de la décision raisonnable est une norme empreinte de déférence. Certaines questions soumises aux tribunaux administratifs n’appellent pas une seule solution précise, et peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables. Lors d’un contrôle judiciaire, le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision et à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[112]   Les parties conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique, mais, dans son application, elles s’attardent à des considérations différentes.

[113]   Mme Morton souligne que la question fondamentale que la Cour doit trancher est celle de savoir si la décision contestée, qui porte sur la Politique concernant le RVP, est une expression raisonnable des exigences impératives de l’article 56 du RPDG. Le caractère raisonnable doit être évalué à la lumière du type particulier de processus décisionnel en cause, ainsi que de tous les facteurs pertinents. Il s’agit donc d’une analyse contextuelle (Dunsmuir, au paragraphe 64; Catalyst Paper Corporation c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, au paragraphe 18). Les lois et la jurisprudence peuvent limiter ce qui est considéré comme acceptable et défendable ou ce qui relève de la marge d’appréciation du décideur administratif (Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright) c. Canada, 2018 CAF 58 (Access Copyright), aux paragraphes 95 et 98; Delios, au paragraphe 39).

[114]   Le ministre souligne que la Cour, lors du contrôle de décisions de politique générale discrétionnaires concernant l’octroi de permis, ne devrait pas intervenir en substituant sa propre opinion (Malcolm c. Canada (Pêches et Océans), 2014 CAF 130 (Malcolm), au paragraphe 35, et qu’elle devrait faire preuve d’une déférence considérable (Ahousaht Indian Band v. Canada (Attorney General), 2009 BCSC 1494 [2010] 1 C.N.L.R. 1, au paragraphe 879, confirmée sur ce point, infirmée et modifiée en partie pour d’autres motifs par 2011 BCCA 237) , 333 D.L.R. (4th) 197.

[115]   Marine Harvest adopte une position analogue, signalant que le ministre jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne l’octroi de permis (Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12 (Comeau’s Sea Foods), aux paragraphes 36 et 37; UHA Research Society c. Canada (Procureur général), 2013 CF 169, au paragraphe 10). En outre, lorsqu’on a affaire à un exercice d’interprétation législative, l’examen fondé sur la norme de la décision raisonnable se fonde sur l’idée que le décideur délégué est mieux placé pour comprendre les questions de principe et les faits contextuels qui sont nécessaires pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi. Les cours de révision doivent s’abstenir de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve que le décideur a prise en compte (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 R.C.S. 230, au paragraphe 55).

[116]   Cermaq prend appui sur ce qui précède, pour faire valoir que l’approche contextuelle suppose notamment que, dans les cas où le décideur est un ministre et où la décision rendue est une décision de politique générale, l’éventail des décisions qui tombent sous le coup de la norme de la décision raisonnable est très large (Canada (Procureur général) c. Abraham, 2012 CAF 266, aux paragraphes 47 et 48). Si l’éventail des décisions raisonnables est plus restreint en ce qui concerne l’interprétation législative de l’article 56, il est nettement plus large lorsqu’il s’agit de l’évaluation factuelle des risques associés au RVP effectuée par le ministre (Canada (Procureur général) c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne, 2013 CAF 75, au paragraphe 14).

(iii)       Le ministre a-t-il interprété l’article 56 du RPDG de manière raisonnable?

[117]   Mme Morton soutient que la Politique concernant le RVP ne peut pas contourner la loi (Ishaq c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 156, aux paragraphes 53, 55 et 57) et, plus précisément, les exigences réglementaires de l’article 56 du RPDG. Cette politique, dont l’application est maintenue par la décision sur la Politique concernant le RVP, doit être compatible et ne pas entrer en conflit avec le pouvoir législatif en vertu duquel elle a été créée, sans quoi elle sera considérée comme illégale (Donald Brown & John Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles, révision 2017-4 (Toronto : Thomson Reuters Canada Ltd., 2017) (Brown), aux rubriques 15:81 à 15:83; Morton 2015, au paragraphe 49; Fondation David Suzuki c. Canada (Santé), 2018 CF 380, aux paragraphes 156 à 158). C’est donc dire que la Politique concernant le RVP ne peut autoriser quelque chose qui est exclu par le RPDG (Morton 2015, au paragraphe 5). Pour déterminer si la Politique concernant le RVP contrevient à l’article 56 du RPDG, il est nécessaire de déterminer l’étendue et la nature du pouvoir que cette disposition confère au ministre en appliquant les principes d’interprétation législative qui ont été énoncés dans l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Apotex Inc. c. Canada (Santé), 2012 CAF 322, aux paragraphes 22 à 24. Le juge Rennie a déjà interprété l’article 56 dans cet arrêt, et ses conclusions de droit lient le ministre (Apotex Inc. c. Allergan Inc., 2012 CAF 308, au paragraphe 48). La décision Morton 2015 présente aussi un contexte important par rapport auquel le caractère raisonnable de la Politique concernant le RVP doit être évalué. Le ministre a toutefois fait abstraction de cette décision lorsqu’il a élaboré la Politique et en a maintenu l’application et il a plutôt adopté une interprétation de l’article 56 qui entre en conflit avec cette décision ainsi qu’avec d’autres décisions concernant la « conservation des poissons » sous le régime de la Loi sur les pêches (R. c. Marshall, [1999] 3 R.C.S. 533 (Marshall); R. v. Douglas, 2008 BCSC 7089 (Douglas); R. v. Aleck, 2000 BCPC 177, [2001] 2 C.N.L.R. 1138 (Aleck), au paragraphe 35, confirmée par 2008 BCSC 1096, [2008] 4 C.N.L.R. 102). Les décisions administratives qui, sans explication satisfaisante, ne s’accordent pas avec le libellé d’une loi ou la jurisprudence ne résisteront pas à un contrôle fondé sur la norme de la norme de la décision raisonnable (Access Copyright, au paragraphe 98). De plus, le ministre a porté en appel la décision Morton 2015 et s’est désisté par la suite, de sorte que le ministre doit s’acquitter du plus lourd fardeau d’expliquer pourquoi il ne faudrait pas suivre cette décision (Canada (Procureur général) c. Bri-Chem Supply Ltd., 2016 CAF 257, [2017] 3 R.C.F. 123 (Bri-Chem), aux paragraphes 59 à 61.

[118]   Dans le dossier T-430-18, la PNN qualifie de déraisonnable l’interprétation que fait le ministre de l’article 56, compte tenu principalement des arguments de mauvaise foi qu’elle invoque. Cependant, elle soutient aussi que cette interprétation ne cadre pas avec la décision Morton 2015 dans la mesure où l’interprétation que fait le ministre du membre de phrase « la protection et […] la conservation des espèces » ne s’intéresse qu’au mot « conservation » et, sans justification, ne fait aucunement appel à l’analyse du mot « protection », se fondant plutôt sur la définition de « conservation » qui apparaît dans le document intitulé La politique du Canada pour la conservation du saumon sauvage du Pacifique (Vancouver (C.-B.) : Pêches et Océans Canada, 2005) (la Politique concernant le saumon sauvage). De plus, elle fixe un seuil de risque et de dommages très élevé en ce qui a trait à la protection et de la conservation des poissons. La PNN soutient que, en fin de compte, l’interprétation que fait le ministre détourne l’article 56 de sa fonction en associant un seuil de risque et de dommages très élevé au membre de phrase « la protection et […] la conservation des espèces ». Elle permet d’autoriser tous les transferts de poissons, à l’exception de ceux qui présentent un risque très élevé de dommages d’une très grande ampleur pour une unité de conservation entière de poissons sauvages ou pour la population entière d’une ferme piscicole, par opposition au seuil de dommages inférieur qui a été établi dans la décision Morton 2015.

[119]   À l’inverse, le ministre soutient que son interprétation est raisonnable. La Cour devrait s’abstenir d’évaluer les résultats qu’ont donné l’interprétation en s’appuyant sur son propre exercice d’interprétation législative et de conclure que toute incompatibilité est déraisonnable (Delios, au paragraphe 28), et elle doit s’en remettre à toute interprétation qu’autorise raisonnablement le texte de la loi (McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, aux paragraphes 23 à 33). Par ailleurs, la décision Morton 2015 est à distinguer de la présente espèce. Marine Harvest et Cermaq soutiennent toutes deux elles aussi que l’Interprétation du ministre est raisonnable, qu’elle concorde avec la décision Morton 2015 et qu’elle commande la retenue.

[120]   À mon avis, pour trancher cette question, le point de départ doit être l’Interprétation du ministre elle-même.

[121]   L’Interprétation du ministre concernant l’article 56 du RPDG apparaît tout d’abord dans le dossier en lien avec le réexamen du 30 janvier 2017 de la Politique concernant le RVP et elle figure ensuite dans les documents utilisés pour effectuer tous les réexamens ultérieurs. Elle n’est pas datée et ne fait pas référence à la décision Morton 2015. Il est indiqué dans son introduction que les trois exigences de l’article 56 sont de nature générale et sont liées aux principaux objets de la Loi sur les pêches. L’Interprétation du ministre comprend ce qui suit :

[traduction]

4. L’alinéa 56b) n’interdit pas tous les transferts de poissons porteurs d’une maladie ou d’un agent pathogène. Il interdit plutôt les transferts de poissons porteurs d’une maladie ou d’un agent pathogène qui est susceptible de nuire à la protection et à la conservation des poissons. Il s’agit là d’une nuance importante. Tous les agents pathogènes peuvent être nuisibles à un degré ou à un autre, mais ils ne sont pas tous nuisibles au point de menacer la protection et la conservation des poissons. [En italique dans l’original.]

[122]   De plus, l’Interprétation du ministre indique que le membre de phrase « à la protection et à la conservation des espèces » est lié à l’obligation générale qu’a ce dernier de prendre des mesures de conservation sous le régime de la Loi sur les pêches :

[traduction]

7. Le ministre est d’avis que le concept de « protection et conservation » concorde avec la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage du MPO :

Conservation : La conservation, l’entretien et le rétablissement de la diversité génétique, [des] espèces et [des] écosystèmes pour soutenir la biodiversité et la continuation des processus d’évolution de la production naturelle.

8. Cette définition a été adoptée dans le Rapport final de la Commission d’enquête Cohen sur le déclin des populations de saumon rouge du fleuve Fraser.

9. Dans ce contexte, le ministre estime que le « poisson » qui doit être protégé et conservé s’entend d’un ensemble de poissons plutôt que d’un poisson particulier. Il considère que l’ensemble de poissons applicable est une ferme salmonicole et un stock ou une unité de conservation de poissons sauvages.

10. Le ministre est d’avis que l’alinéa 56b) n’interdit que les transferts de poissons susceptibles de nuire à la diversité génétique, aux espèces ou à l’écosystème d’un stock ou d’une unité de conservation, et ce, au point de ne pas pouvoir soutenir la biodiversité et la continuation des processus d’évolution de la production naturelle. Il considère également que l’alinéa 56b) n’interdit que les transferts qui sont susceptibles de nuire aux populations entières de saumon atlantique dans une ferme particulière.

11. Selon l’interprétation du ministre, l’alinéa 56b) n’interdit pas tous les transferts susceptibles de nuire à des poissons ou de tuer potentiellement certains poissons. Il interdit plutôt les transferts qui sont susceptibles de nuire « à la protection et à la conservation » des poissons.

12. En bref, le risque de dommages que vise l’alinéa 56b) est de nature macroscopique.

13. Les nombreux agents pathogènes qui existent sont susceptibles de causer des maladies, et donc des dommages, si l’hôte et le milieu s’y prêtent. Les éclosions de maladie peuvent causer des dommages au niveau des individus et, dans certains cas, au niveau de la population à laquelle appartiennent ces individus. La question de savoir si ces dommages particuliers pourraient « nuire à la protection et à la conservation des [poissons] » est une question distincte. Il existe un large éventail de dommages. Une maladie donnée peut causer de légers dommages à des poissons individuels et se dissiper rapidement; une autre peut causer une mort rapide. Une maladie donnée peut être extrêmement infectieuse et se propager rapidement à d’autres poissons de la même espèce ou d’une autre espèce, contrairement à une autre maladie.

14. Il y a aussi des facteurs géographiques. Par exemple, pour utiliser une situation hypothétique, un agent pathogène qui peut nuire à la protection ou à la conservation des poissons dans l’océan Indien peut ne pas être un problème pour les espèces de saumons du Pacifique sauvages ou les saumons atlantiques d’élevage dans le Pacifique. Comme il est indiqué dans la définition de « maladie » figurant dans les conditions de permis, une maladie est un état qui peut être causé « par une série de facteurs infectieux, non infectieux ou inhérents ». Tous les facteurs nécessaires pour causer une maladie donnée peuvent ne pas être présents à un endroit différent. De plus, lorsqu’une maladie apparaît à un endroit donné, il existe un large éventail de facteurs hôtes et environnementaux qui peuvent être propres à l’endroit en question et influer sur le résultat des dommages dus à l’infection.

15. La condition générale ou le principe général énoncé à l’alinéa 56b), soit la protection et la conservation des poissons, ne fournit pas au ministre d’indications précises quant aux circonstances dans lesquelles un transfert particulier aurait l’effet contraire. L’interprétation que fait le ministre de l’alinéa 56b) est énoncée ci-dessus. L’application de cette interprétation aux faits inhérents à un transfert particulier est une décision complexe qui met en cause des questions de fait complexes qui débordent le cadre de l’alinéa 56b), comme l’ensemble des connaissances scientifiques sur les maladies des poissons et les agents pathogènes connexes, ainsi que l’état des pêches de différentes espèces de poissons.

[123]   À mon avis, le fait que le ministre considère les « poissons » à protéger et à conserver comme un agrégat de poissons et qu’il soit d’avis que l’agrégat approprié est une ferme salmonicole et un stock ou une unité de conservation de saumons sauvages n’est pas, en soi, déraisonnable ou incompatible avec la décision Morton 2015. Il ne s’agit pas là non plus d’un point que Mme Morton ou la PNN contestent sérieusement.

[124]   Pour ce qui est des demandes dont il est question en l’espèce, le seul aspect de l’Interprétation du ministre qui est en litige est le passage suivant : « qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». À cet égard, selon moi, le fait d’interpréter les mots « protection et […] conservation » d’une manière qui concorde avec la définition du mot « conservation » que l’on trouve dans la Politique concernant le saumon sauvage du MPO et le rapport de la Commission Cohen n’est pas non plus déraisonnable en soi.

[125]   Toutefois, et il s’agit là d’un fait important, l’Interprétation du ministre semble imposer un seuil ou un « niveau » de dommages potentiels qui autorise essentiellement n’importe quel transfert de poissons porteurs d’une maladie ou d’un agent pathogène sauf si ce transfert présente un risque pour la diversité génétique, les espèces ou les unités de conservation. Cela ne concorde pas avec la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage, et cela est déraisonnable.

[126]   Pour situer le contexte, le MPO a instauré la Politique concernant le saumon sauvage en juin 2005. Bien que cette dernière ne soit pas du nombre des documents qui faisaient partie du dossier que la déléguée avait en main lorsqu’elle a procédé, en juin 2018, à un réexamen de la Politique concernant le RVP, il y est fait référence dans l’Interprétation du ministre que la déléguée a appliquée, et il est raisonnable d’inférer que le ministre et la déléguée étaient sûrement au courant de la Politique concernant le saumon sauvage, ainsi que du rapport de la Commission Cohen, lui aussi mentionné dans l’Interprétation du ministre. Le rapport de la Commission Cohen est aussi mentionné dans la décision Morton 2015, à la suite de laquelle le MPO a mis en œuvre le processus de permis de transfert du Comité des introductions et des transferts (CIT) qui supposait que la déléguée tienne compte de la recommandation du CIT au moment de rendre sa décision. À mon avis, la connaissance qu’avaient le ministre et la déléguée de ces documents constituait un aspect de leur expertise.

[127]   Je signale également que ces documents sont des éléments de preuve dans les dossiers dont je suis saisie. La Politique concernant le saumon sauvage est la pièce 2 jointe à la transcription du contre-interrogatoire d’Andrew Thomson sur son affidavit no 1 de M. Thomson que Mme Morton a mené le 26 juillet 2018, tout comme des extraits du rapport de la Commission Cohen (pièce 1), le rapport du vérificateur général (pièce 7) et d’autres documents. Comme il a été mentionné précédemment, les avocats du ministre ont accepté que ce contre-interrogatoire soit également utilisé par la PNN dans les dossiers T-430-18 et T-744-18 et, en conséquence, ces pièces, dont la Politique concernant le saumon sauvage, figurent aussi dans chacun de ces dossiers de demande. L’admissibilité de la Politique concernant le saumon sauvage, des extraits du rapport de la Commission Cohen et du rapport du vérificateur général n’a pas été contestée, et le ministre, dans chaque demande, a inclus des extraits du rapport de la Commission Cohen dans son recueil de jurisprudence et de doctrine.

[128]   La Politique concernant le saumon sauvage définit le mot « espèces » en ces termes : « catégorie fondamentale de la classification taxonomique consistant en organismes regroupés selon leurs attributs communs et leur capacité de croisement ». Les cinq espèces de saumons sauvages présentes en Colombie-Britannique sont le saumon chinook, le saumon coho, le saumon rouge, le saumon rose et le saumon kéta.

[129]   La Politique concernant le saumon sauvage définit une unité de conservation comme : « Un groupe de saumons sauvages suffisamment isolé des autres groupes qui, s’il disparaissait, aurait peu de chances de se recoloniser de manière naturelle dans une limite de temps acceptable. »

[130]   Les populations sont des groupes de saumons qui se reproduisent entre eux et qui sont suffisamment isolés pour avoir développé des adaptations persistantes à l’habitat local. Selon la Politique concernant le saumon sauvage, les adaptations locales et les différences génétiques entre les populations forment un élément essentiel de la diversité qui est nécessaire à la viabilité à long terme des saumons du Pacifique. Une unité de conservation contient une ou plusieurs populations de la même espèce de saumon, et le nombre et la taille de ces unités varient considérablement selon les espèces.

[131]   L’alinéa 56b) du RPDG indique que le ministre peut délivrer un permis si les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes « qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». Selon l’interprétation que fait le ministre, les mots « protection et […] conservation » sont employés au sens de la définition de « conservation » que l’on trouve dans la Politique concernant le saumon sauvage, c’est-à-dire « [l]a conservation, l’entretien et le rétablissement de la diversité génétique, [des] espèces et [des] écosystèmes pour soutenir la biodiversité et la continuation des processus d’évolution de la production naturelle ».

[132]   Cependant, le ministre considère que l’alinéa 56b) interdit uniquement les transferts de « poissons » dans les cas où cela pourrait causer des dommages à la diversité génétique, aux espèces ou à l’écosystème d’un stock ou d’une unité de conservation, de telle sorte que ces transferts ne peuvent pas soutenir la biodiversité et la continuation des processus d’évolution de la production naturelle. Le ministre précise cette interprétation en ajoutant que l’alinéa 56b) interdit les transferts qui sont susceptibles de nuire à la protection et à la conservation des poissons, et il signale que des épisodes de maladie peuvent causer des dommages au niveau des individus et, dans certains cas, au niveau de la population à laquelle ces individus appartiennent, mais que le fait de savoir si ces dommages particuliers constituent des dommages à la protection et à la conservation des poissons est une question distincte.

[133]   Cela concorde avec la manière dont le ministre évalue les dommages potentiels dus aux transferts en milieu aquacole. Dans ce contexte, le ministre considère que les « poissons » qu’il faut protéger et conserver constituent un agrégat de poissons, c’est-à-dire une ferme salmonicole, et que les transferts ne sont interdits que s’ils risquent de nuire à la [traduction] « population entière de saumons atlantiques dans une ferme donnée ».

[134]   C’est donc dire que la définition du mot « conservation » que l’on trouve dans la Politique concernant le saumon sauvage a trait à la protection de la diversité génétique des saumons sauvages et des espèces de saumons sauvages ainsi qu’à leur capacité de soutenir la biodiversité et de se reproduire. Réciproquement, l’interprétation que fait le ministre de l’alinéa 56b), à partir de cette définition, est que cette disposition n’interdirait un transfert de poissons que s’il risquait de causer des dommages à la diversité génétique, aux espèces ou à l’écosystème d’un stock ou d’une unité de conservation, [traduction] « de telle sorte que ce transfert ne pourrait pas soutenir la biodiversité et la continuation des processus d’évolution de la production naturelle ». Comme le ministre considère les « poissons » comme un agrégat d’un stock ou d’une unité de conservation de poissons sauvages, cette interprétation dénote un degré de dommages potentiels acceptables au niveau des unités de conservation ou des espèces.

[135]   Le ministre et Cermaq avancent que l’Interprétation du ministre relative à l’alinéa 56b) suppose que les dommages potentiels visés sont de nature macroscopique. Cela signifie que cette disposition interdit les transferts qui sont susceptibles de nuire à la protection et à la conservation des poissons. Ils soutiennent que ce point de vue est corroboré par la version française de l’alinéa 56b). La version anglaise fait mention de « protection and conservation of fish », alors que la version française fait mention de « la protection et […] la conservation des espèces ». Or, l’équivalent anglais du mot « espèces » est « species ». Je suis consciente du fait que le ministre et Cermaq cherchent à faire valoir que, selon l’interprétation qu’en fait le ministre, les exigences qu’impose l’article 56 sont de nature générale et liées à l’objet général de la Loi sur les pêches. Toutefois, je ne suis pas convaincue que la différence entre les versions française et anglaise les aide étant donné que selon l’Interprétation du ministre « fish » s’entend, dans le contexte de l’article 56, des agrégats décrits précédemment. Et, si la version française étaye une thèse, c’est plutôt celle selon laquelle, suivant l’Interprétation du ministre relative à l’alinéa 56b), n’importe quel transfert de poissons est acceptable dans la mesure où il ne cause pas de dommages au niveau des espèces – ce qui constitue un seuil ou un niveau de risque encore plus élevé que le seuil de risque associé aux unités de conservation.

[136]   Quant aux arguments qu’ont invoqués Mme Morton et la PNN, à savoir que l’Interprétation du ministre est incompatible avec la décision Morton 2015, je signalerais tout d’abord que, dans cette décision, le juge Rennie a conclu que l’article 56 fixait des limites précises au pouvoir discrétionnaire dont jouit le ministre quant aux conditions de transfert dont sont assortis les permis d’aquaculture. Plus précisément, le ministre ne peut délivrer un permis de transfert que s’il est satisfait aux trois conditions préalables qui sont énoncées aux alinéas 56a), b) et c). Le juge Rennie avait à décider si, dans cette affaire, les conditions de permis étaient compatibles avec l’article 56 et il a conclu que deux des conditions en litige établissaient une norme moins stricte que celle prescrite par le régime réglementaire et qu’elles étaient donc incompatibles avec l’alinéa 56b). Dans ce contexte, il a interprété l’article 56 et a conclu que l’obligation légale que cette disposition impose au ministre vise toute maladie ou tout agent pathogène « qui est susceptible de nuire à la protection et à la conservation du poisson ». Il a conclu que cette interprétation de l’alinéa 56b) cadrait avec une approche téléologique et contextuelle, car elle favorisait la conservation de la ressource, qui est l’obligation première du ministre sous le régime de la Loi sur les pêches (citant l’arrêt Marshall, au paragraphe 40). Le juge Rennie a conclu que cette interprétation cadrait également avec le principe de précaution et il a indiqué ce qui suit [au paragraphe 57] :

     Encore une fois, une analyse téléologique, contextuelle et selon le sens ordinaire des mots « qui pourraient nuire » porte à croire que ce membre de phrase vise toute maladie ou tout agent pathogène qui est susceptible de nuire à la protection et à la conservation du poisson. Cette approche interprétative s’accorde encore une fois avec le principe de précaution, qui veut essentiellement que, lorsqu’il existe un risque de préjudice grave et irréversible, l’absence de certitude scientifique ne serve pas de prétexte pour ajourner ou omettre la prise de mesures de conservation et de gestion raisonnables et rentables pour composer avec ce risque (Commission Cohen, volume 3, à la page 20).

[137]   Et, plus loin [au paragraphe 97] :

     À mon avis, l’alinéa 56b) du RPDG, interprété correctement, donne corps au principe de précaution. Premièrement, l’alinéa 56b) interdit au ministre de délivrer un permis de transfert si une maladie ou des agents pathogènes sont présents qui « pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». Le membre de phrase « pourraient nuire » n’exige pas une certitude scientifique, et d’ailleurs, il n’exige même pas que le transfert puisse vraisemblablement être nuisible. Dans le même ordre d’idées, le membre de phrase « de maladies et d’agents pathogènes » à l’alinéa 56b) ne devrait pas être interprété comme exigeant un consensus scientifique unanime selon lequel un agent pathogène (p. ex. le RVP) est la cause de la maladie (p. ex. l’[IMSC]).

[138]   Dans la décision Morton 2015, le juge Rennie, dans son interprétation de l’alinéa 56b), n’a pas cherché à définir les mots « protection et […] conservation » des poissons, sinon pour conclure que le mot « protection » n’est pas synonyme de « gestion », mais signifie plutôt « préservation ». Il n’a pas non plus déterminé le niveau précis de dommages qui était acceptable selon cette disposition, autrement que dans le contexte du principe de précaution, dont je traite ci-après.

[139]   Cependant, il a précisé ce qui suit [au paragraphe 69] :

   À mon avis, la condition 3.1(b)(iii) est compatible avec l’alinéa 56b). La condition 3.1(b)(iii) empêche les transferts lorsque l’on sait qu’un stock a eu l’une quelconque des maladies énumérées à l’annexe IV – c’est-à-dire, lorsque l’on sait que les poissons ont eu une maladie qui peut [traduction] « avoir un impact important sur les pêches ». Il s’agit d’une expression raisonnable de l’exigence de l’alinéa 56b) selon laquelle un transfert de poissons peut avoir lieu seulement lorsque les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces. [En italique dans l’original.]

[140]   C’est donc dire que le transfert de poissons que l’on sait être porteurs d’une maladie susceptible de nuire gravement aux pêches est incompatible avec l’alinéa 56b), lequel interdit les transferts de poissons porteurs de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des poissons. À mon avis, un transfert de poissons qui est susceptible de causer des dommages à une unité de conservation ou à une espèce est un transfert ayant un grave impact potentiel. De plus, il risque de causer des dommages graves ou irréversibles, ce qui, comme nous le verrons plus loin, est contraire au principe de précaution.

[141]   Il convient également de signaler que l’Interprétation du ministre ne porte que sur l’alinéa 56b). Toutefois, l’alinéa 56c) est lui aussi pertinent pour ce qui est de la manière dont le ministre définit le mot « conservation ». Cette disposition permet de délivrer un permis de transfert lorsque la libération ou le transfert des poissons n’aura pas d’effet néfaste sur la taille du stock de poissons ou sur les caractéristiques génétiques du poisson ou des stocks de poissons. Le degré élevé des dommages potentiels qu’implique l’interprétation que fait le ministre de l’alinéa 56b) pourrait également avoir un effet néfaste sur la taille du stock ou, par la diminution du nombre de poissons, sur les caractéristiques génétiques des poissons ou des stocks de poissons. Il n’est pas clair non plus à mes yeux que de tels dommages potentiels soient compatibles avec la gestion et la surveillance judicieuses des pêches, comme le veut l’alinéa 56a).

[142]   À mon avis, et contrairement aux observations de Mme Morton et de la PNN, le fait que l’Interprétation du ministre omette de mentionner expressément la décision Morton 2015 n’est pas fatal. De plus, ni l’interprétation que fait le ministre du mot « poisson », ni l’utilisation qu’il fait de la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage dans son interprétation de l’alinéa 56b), n’entrent en conflit avec la décision du juge Rennie. Cependant, comme le signale Mme Morton, dans l’arrêt Aleck, au paragraphe 35, la Cour a conclu que la conservation signifie davantage que la protection des stocks contre leur extinction. Et, dans la décision Douglas, aux paragraphes 29 et 61, il a été décrété que la conservation désigne plus que la préservation d’un stock et qu’elle inclut la mise en valeur de ce stock pour le bénéfice futur de tous les groupes d’utilisateurs, en tant qu’élément essentiel de la gestion de la ressource. Le mot conservation englobe les concepts de préservation et de durabilité. Bien que je ne souscrive pas à la thèse de Mme Morton selon laquelle l’Interprétation du ministre entre en conflit avec ces décisions ou que le ministre a commis une erreur du fait qu’il ne les a pas examinées, il reste que ce qu’elles font ressortir c’est que, parce qu’elle donne à penser que les dommages potentiels doivent être importants pour interdire un transfert de poissons, l’Interprétation du ministre peut aussi entrer en conflit avec l’obligation de « protéger » les poissons, un terme dont elle ne traite pas. On ne sait pas avec certitude si le ministre estime que le mot « protection » fixe un seuil supérieur ou inférieur à celui que fixe le mot « conservation » ou s’il est d’avis que la « protection » est englobée dans la définition de la « conservation ». Toutefois, compte tenu des conclusions que je tire ci-après au sujet du principe de précaution et de la santé des saumons sauvages, il n’est pas nécessaire que je traite davantage de ce point.

[143]   Je ne souscris pas non plus aux arguments de Mme Morton et de la PNN selon lesquels il était particulièrement déraisonnable que le ministre ne s’attaque pas à la décision Morton 2015, celui-ci ayant déposé, puis abandonné, un appel dans cette affaire. Mme Morton soutient que le ministre, au lieu de contester la décision Morton 2015 en Cour, semble simplement avoir conçu la Politique concernant le RVP en vue d’y résister au niveau administratif. Selon elle, cela est déraisonnable et cela impose au ministre le plus lourd fardeau d’expliquer pourquoi la décision Morton 2015 ne devrait pas être suivie (Bri-Chem, aux paragraphes 59 à 61). À l’inverse, le ministre soutient que la question de savoir si la décision Morton 2015 a été respectée ne se pose pas étant donné que les avocats de Mme Morton ont convenu que le ministre s’était conformé à l’ordonnance rendue par la Cour dans cette décision.

[144]   À mon avis, l’affidavit de Rio Mujagic, adjoint juridique au ministère de la Justice, souscrit le 26 janvier 2018 et déposé dans le dossier T-1710-16, et auquel est jointe, comme pièce A, une lettre datée du 7 décembre 2016 des avocats du ministre aux avocats de Mme Morton au sujet de l’appel et de la nouvelle demande de Mme Morton dans le dossier T-1710-16, répond dans une large mesure à la question de l’appel. Dans une lettre de réponse datée du 12 décembre 2016, la pièce B, les avocats de Mme Morton signalent, notamment, que le simple fait que le RVP soit en cause dans les deux demandes de leur cliente ne veut pas dire qu’elles sont au même effet. L’affaire Morton 2015 portait sur la légalité de conditions dont les permis d’aquaculture étaient assortis, tandis que le dossier T-1710-16 porte sur le refus du ministre d’appliquer correctement l’article 56 du RPDG au moment de prendre des décisions en matière de transfert. De plus, l’ordonnance du juge Rennie semble avoir été appliquée par le MPO, quand celui-ci a supprimé les conditions illégales du permis. Les lettres indiquent que Mme Morton continue d’estimer que l’appel est devenu théorique, et la nouvelle demande ne change en rien sa position. L’ordonnance du juge Rennie a annulé des conditions de permis d’aquaculture qui n’existent plus — par voie de conséquence, les appels sont théoriques (les lettres du 7 et du 12 décembre 2016 figurent également comme pièces AA et BB, respectivement, jointes à l’affidavit no 2 de M. Thomson, qui porte lui aussi sur l’appel).

[145]   Ces lettres expliquent pourquoi vraisemblablement l’appel a été abandonné et, en tout état de cause, la preuve qui m’est soumise ne confirme pas que le ministre tente de contester la décision Morton 2015 en y résistant au niveau administratif. De plus, étant donné que le MPO a confirmé à Mme Morton qu’il n’entend pas revenir au processus dans le cadre duquel des conditions de transfert faisaient partie des conditions des permis d’aquaculture, et que Mme Morton a confirmé que l’appel est à son avis théorique, il n’est pas loisible à cette dernière de soutenir maintenant, en raison de l’appel retiré, qu’il est déraisonnable de la part du ministre de ne pas traiter de la décision Morton 2015 dans son interprétation.

[146]   En résumé, bien qu’elle soit censée avoir pour effet d’adopter la définition du mot « conservation » qui figure dans la Politique concernant le saumon sauvage, l’Interprétation du ministre n’est pas compatible avec cette définition dont elle contrecarre l’objet en exigeant qu’une espèce ou une unité de conservation soit exposée à des dommages potentiels importants avant que l’on déclenche l’application de l’alinéa 56b) pour interdire un transfert.

[147]   En raison de ce qui précède, et compte tenu de l’objet de l’alinéa 56b) et de la définition du mot « conservation » que le ministre a adoptée, de même que de l’obligation principale qu’a le ministre, sous le régime de la Loi sur les pêches, de conserver la ressource (Morton 2015, au paragraphe 56), je ne suis pas convaincue que l’article 56 du RPDG peut étayer de manière justifiable l’interprétation que fait le ministre du membre de phrase « pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ».

[148]   De plus, ce point de vue est lié aux questions relatives à l’application du principe de précaution ainsi qu’au défaut de prendre en compte la santé des saumons sauvages, dont il est question ci-après.

(iv)       Le ministre a-t-il dérogé au principe de précaution?

[149]   Mme Morton fait remarquer que, dans la décision Morton 2015, le juge Rennie a conclu que l’alinéa 56b) du RPDG intègre le principe de précaution et que le fait d’interpréter cet alinéa d’une manière conforme à ce principe a pour conséquence que les conditions du permis doivent elles aussi refléter ce principe et ne pas y déroger. Elle soutient que cela vaut tout autant pour la Politique concernant le RVP, qui met en application l’article 56, et que le Canada et le ministre se sont engagés à faire respecter ce principe, notamment par la voie de la Politique concernant le saumon sauvage.

[150]   Mme Morton soutient par ailleurs que l’Interprétation du ministre relative à l’article 56, suivant laquelle la Politique concernant le RVP exige la perte potentielle d’une population entière de saumons sauvages, n’est pas, à première vue, une mesure de précaution. De plus, force est de constater que la Politique concernant le RVP n’intègre pas le principe de précaution étant donné que, de fait, elle exige que les délégués du ministre fassent abstraction du RVP et des dommages que ce virus pourrait occasionner (à cause de l’absence de tests de dépistage ou de collecte d’informations) au moment de prendre une décision au sujet d’un permis de transfert, et qu’elle perpétue l’état d’aveuglement volontaire du ministre quant à l’étendue de l’infection par le RVP dans les écloseries et les fermes piscicoles. Ce faisant, la Politique concernant le RVP entrave le pouvoir discrétionnaire de la déléguée du ministre en l’empêchant de répondre au risque différentiel que peut poser le RVP pour les unités de conservation de saumons sauvages qui sont saines, par opposition à celles qui sont menacées. Cette absence de pouvoir discrétionnaire risque de causer des dommages à au moins quelques unités de conservation de saumons sauvages, notamment celles qui présentent un risque imminent de disparition.

[151]   De plus, Mme Morton soutient que le ministre se fonde de manière déraisonnable sur le manque de certitude scientifique pour justifier l’adoption et le maintien de la Politique concernant le RVP. À l’appui de cet argument, elle invoque le fait qu’aux termes de l’alinéa 56b) le ministre ne peut délivrer un permis de transfert que si « les poissons sont exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». Le juge Rennie a conclu que les mots « pourraient nuire » n’exigent pas de certitude scientifique pour que l’article 56 empêche un transfert. Malgré les conclusions du juge Rennie, le MPO a fait des déclarations qui montrent qu’il continue de s’appuyer sur l’incertitude scientifique pour justifier sa politique, et ce, même si la littérature scientifique postérieure à la décision Morton 2015 renforce la thèse que le RVP et l’IMSC nuisent aux poissons. Cela témoigne aussi du caractère déraisonnable.

[152]   Dans le dossier T-430-18, la PNN soutient que l’objet de l’article 56 est la protection et la conservation des poissons d’une manière conforme au principe de précaution et que la décision Morton 2015, en appliquant ce principe, a conclu que, pour ce qui est de son ampleur et de la probabilité qu’il se concrétise, le risque de dommages requis était nettement moindre. De plus, en n’évaluant pas les unités de conservation de saumons sauvages, le ministre ne s’est même pas conformé à sa propre interprétation de l’article 56 ou au Cadre d’application de la précaution dans un processus décisionnel scientifique en gestion du risque du gouvernement du Canada, qui selon M. Thomson fournit des éléments d’orientation au MPO pour apprécier les risques.

[153]   Dans les dossiers T-1710-16 et T-430-18, le ministre soutient que le processus de gestion des pêches du MPO est guidé par une perspective de la conservation qui reflète le principe de précaution et, notamment, par son Cadre de décision (Cadre d’application de la précaution dans un processus décisionnel scientifique en gestion du risque). De plus, pour ce qui est de la Politique concernant le RVP, le principe de précaution sert de principe directeur, et le décideur n’a qu’à indiquer qu’il en a tenu compte, et non pas à prouver qu’il l’a respecté (Lake Waseosa Ratepayers’ Association v. Pieper, 2008 CanLII 6999 (C. div. Ont.) (Lake Waseosa); Sierra Club Canada v. Ontario (Ministry of Natural Resources), 2011 ONSC 4655, 344 D.L.R. (4th) 148 (C. Div.) (Sierra Club), aux paragraphes 53, 59 et 60). De plus, il faut faire preuve d’une grande retenue en ce qui concerne son application (Western Canada Wilderness Committee v. British Columbia (Ministry of Forests), 2003 BCCA 403, 1 Admin. L.R. (4th) 167). La décision de poursuivre l’application de la Politique concernant le RVP, soit le fait de ne pas procéder à des tests de dépistage, intègre le principe de précaution et y est également conforme. La Politique concernant le RVP donne aux décideurs des indications scientifiques sur la manière de prendre en considération le RVP et l’IMSC au moment de décider s’il y a lieu d’autoriser des transferts de poissons en vertu de l’article 56, et le MPO met à jour cette politique lorsqu’il reçoit de nouvelles informations. L’attention que prête le MPO aux nouvelles informations scientifiques qui émanent de sources diverses montre qu’il est attentif à l’application du principe de précaution. En l’espèce, la décideure s’est fondée sur son expertise et sur la politique scientifique du MPO et, de cette façon, elle a considéré et pris en compte le principe de précaution au moment de prendre une décision fondée sur les faits.

[154]   Marine Harvest fait valoir que le juge Rennie n’a pas indiqué expressément que l’article 56 oblige à appliquer le principe de précaution. Le fait de considérer que cette disposition impose l’application de ce principe pourrait mener à des résultats extrêmes, et il faudrait, pour étayer cette interprétation, que le libellé soit clair et non ambigu. La Politique concernant le RVP ne contrevient pas non plus au principe de précaution, car le dossier de décision ne renferme aucune preuve que le transfert de poissons porteurs du RVP de la C.-B. causera des dommages graves ou irréversibles aux poissons.

[155]   Cermaq est d’avis que l’interprétation que fait le ministre des dommages requis dans le contexte de l’article 56, concorde avec le principe de précaution parce que ce dernier est axé sur les dommages graves ou irréversibles et que l’analyse qu’en fait le juge Rennie a valeur de remarque incidente. De plus, la manière dont le MPO applique la Politique concernant le RVP dans le cadre de ses activités périodiques d’examen et d’évaluation des nouvelles données scientifiques concernant le RVP et l’IMSC suivant une approche de « gestion adaptative » qui a été établie en tenant compte du principe de précaution (Pembina Institute for Appropriate Development c. Canada (Procureur général), 2008 CF 302, au paragraphe 32), et, dans sa décision, la déléguée indique que le MPO continuera d’assurer une surveillance étroite, et qu’elle déterminera, à mesure que de nouvelles informations deviendront disponibles, si des changements s’imposent. De plus, l’article 56 lui-même reflète le principe de précaution, car il interdit de procéder à un transfert s’il existe une menace pour la protection et la conservation des poissons; il ne confère pas d’autres droits substantiels de nature à restreindre le pouvoir discrétionnaire du ministre. Quoi qu’il en soit, ce dernier a apprécié les risques posés par le RVP et a conclu qu’il ne menaçait pas la protection et la conservation des poissons; le principe de précaution n’est donc pas en cause et il importe peu de savoir s’il existe une certitude scientifique à l’égard de cette question.

a)         Analyse

[156]   Selon moi, la thèse de Cermaq, à savoir que les conclusions du juge Rennie sur l’article 56 et le principe de précaution étaient des opinions incidentes, est dénuée de tout fondement. Le juge Rennie a consacré une section entière de sa décision au sens du principe de précaution. À cet égard, il a fait référence à l’arrêt 114957 Canada Ltée (Spraytech, Société d’arrosage) c. Hudson (Ville), 2001 CSC 40, [2001] 2 R.C.S. 241 (Spraytech), ainsi qu’à l’arrêt Dynamitage Castonguay Ltée c. Ontario (Environnement), 2013 CSC 52, [2013] 3 R.C.S. 323, au paragraphe 20, dans lequel la Cour suprême a dit de ce principe qu’il est un principe émergent en droit international, qui éclairait la portée et l’application de la disposition législative en cause dans cet arrêt. Le juge Rennie a écrit ce qui suit [au paragraphe 43] :

   Le principe de précaution reconnaît qu’au nom d’une saine politique publique, l’absence d’une totale certitude scientifique ne doit pas servir de prétexte pour éviter ou ajourner la prise de mesures visant à protéger l’environnement, puisqu’il y a des limites inhérentes à la capacité de prévenir les dommages à l’environnement. Passant de la sphère des politiques publiques au droit, le principe de précaution est à tout le moins un aspect établi de l’interprétation des lois, et il est permis de penser en outre qu’il s’est cristallisé en une norme de droit international coutumier et de droit matériel interne : Spraytech aux paragraphes 30 et 31. Toutefois, sauf dans la mesure où il en est question à la partie VII, il n’est pas nécessaire de déterminer ici les tenants et aboutissants juridiques du principe, puisque la présente décision ne repose pas sur l’application du principe ni n’en dépend.

[157]   Et, plus loin dans son analyse, il ajoute [aux paragraphes 96 à  99] :

   J’ai conclu que les conditions 3.1(b)(ii) et (iv) sont incompatibles avec l’alinéa 56b) suivant les principes de base qui régissent l’interprétation de la législation subordonnée. Bien que cela ne soit pas nécessaire pour trancher la présente demande, je reviens au rapport entre le principe de précaution et les conditions du permis et à ce qui constitue une deuxième cause de leur invalidité. Les deux conditions susmentionnées du permis sont également incompatibles avec l’alinéa 56b) à la lumière du principe de précaution.

   À mon avis, l’alinéa 56b) du RPDG, interprété correctement, donne corps au principe de précaution. Premièrement, l’alinéa 56b) interdit au ministre de délivrer un permis de transfert si une maladie ou des agents pathogènes sont présents qui « pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces ». Le membre de phrase « pourraient nuire » n’exige pas une certitude scientifique, et d’ailleurs, il n’exige même pas que le transfert puisse vraisemblablement être nuisible. Dans le même ordre d’idées, le membre de phrase « de maladies et d’agents pathogènes » à l’alinéa 56b) ne devrait pas être interprété comme exigeant un consensus scientifique unanime selon lequel un agent pathogène (p. ex. le RVP) est la cause de la maladie (p. ex. l’[IMSC]).

   La conséquence de l’interprétation de l’alinéa 56b) en accord avec le principe de précaution est que les conditions du permis doivent également refléter le principe de précaution. Puisque les conditions du permis ne peuvent pas déroger à l’alinéa 56b) ni être incompatibles avec celui-ci, elles ne peuvent donc pas déroger au principe de précaution. Comme je l’ai noté précédemment, le ministre n’a pas tenté de démontrer que la condition 3.1(b)(iv) était compatible avec le principe de précaution; il a confiné son argumentation à cet égard aux conditions 3.1(b)(i), (ii) et (iii) du permis.

   À mon avis, l’argument du ministre ne peut prospérer. Pour les raisons données, les conditions 3.1(b)(ii) et (iv) sont incompatibles avec l’alinéa 56b), et donc, avec le principe de précaution. Les conditions minent les exigences de l’alinéa 56b), une disposition conçue pour anticiper et prévenir les dommages même en l’absence de certitude scientifique que ces dommages surviendront effectivement.

[158]   Il est clair que les conclusions du juge Rennie ne sont pas des opinions incidentes, et qu’elles font état d’autres motifs pour lesquels il a conclu que les conditions contestées du permis étaient invalides.

[159]   Je suis également d’avis que les motifs du juge Rennie guident mon analyse du caractère raisonnable de la Politique concernant le RVP en ce sens que, étant donné que l’article 56 incorpore le principe de précaution, l’Interprétation du ministre relative à l’article 56 doit aussi en tenir compte, ce qui, par ricochet, a une incidence sur la Politique concernant le RVP qui applique l’Interprétation du ministre, de même que sur toute décision prise en vertu de l’article 56 et de la Politique.

[160]   Quoi qu’il en soit, le ministre reconnaît que le principe de précaution est censé avoir une incidence sur la totalité des aspects de la gestion des poissons, dont la Politique concernant le RVP. Par exemple, la Politique concernant le saumon sauvage fait référence à l’article 6.2 de l’Accord des Nations unies sur les stocks de poissons chevauchants et grands migrateurs [4 août 1995, 2167 R.T.N.U. 3], lequel a été conclu en 1995 et précise que les États participants doivent faire preuve de plus de prudence quand les informations sont incertaines, peu fiables ou inadéquates et que l’absence d’informations scientifiques adéquates ne saurait être invoquée pour éviter de prendre des mesures de conservation et de gestion ou d’en différer l’adoption. La Politique concernant le saumon sauvage indique que le principe de précaution fait entrer en jeu d’importantes considérations en ce qui a trait aux mesures de gestion : la reconnaissance du caractère incertain des renseignements et des effets futurs ainsi que la nécessité de prendre des décisions en s’appuyant sur des renseignements incomplets. Cela implique un renversement du fardeau de la preuve et la nécessité de prendre en compte des perspectives à plus long terme en matière de conservation des ressources. De plus [à la page 15 ]:

     L’application de l’approche préventive dans la [Politique concernant le saumon sauvage] mettra en pratique l’orientation proposée aux ministères fédéraux par la publication du Bureau du Conseil privé, intitulée « Cadre d’application de la précaution dans un processus décisionnel scientifique en gestion du risque ». (Canada, Bureau du Conseil privé, 2003). Ce cadre inclut les cinq principes de précaution :

●   Le recours à l’approche préventive constitue une démarche légitime et une prise de décision distincte à l’intérieur d’un cadre de gestion du risque.

●   Les décisions devraient être inspirées par le niveau de risque qu’une société est prête à prendre.

●   Le recours à l’approche préventive devrait être fondé sur une information scientifique solide.

●   Un mécanisme de réévaluation et de transparence devrait exister.

●   Un degré élevé de transparence, une responsabilité claire et une implication significative du public sont appropriés. [Note en bas de page omise.]

[161]   Le ministre attire également l’attention de la Cour sur le rapport du vérificateur général comme preuve que le MPO applique le principe de précaution. Le vérificateur général signale que le MPO, dans sa Politique en matière d’aquaculture, s’est engagé à appliquer le principe de précaution dans le cadre de son processus décisionnel.

[162]   Cela est vrai, mais le vérificateur général indique aussi que le MPO n’a pas précisé comment il le ferait dans le cadre de la gestion de l’aquaculture. Il recommande que le MPO décide et communique de quelle façon il appliquera le principe de précaution à la gestion de l’aquaculture dans les cas où les effets de l’aquaculture sur les poissons sauvages sont incertains. De plus, le MPO devrait aussi préciser clairement le niveau de risques qu’il acceptera pour les poissons sauvages lorsqu’il autorisera les activités aquacoles. Le MPO souscrit à la recommandation du vérificateur général et indique qu’il continuera d’appliquer le principe de précaution, conformément au Cadre du gouvernement du Canada en matière de précaution. Il fait savoir qu’il applique le principe de précaution lorsqu’il convient de le faire, en tant que sous-élément d’une approche décisionnelle générale, pour faire face aux risques de dommages graves ou irréversibles, et ce, même s’il existe une grande incertitude scientifique. Dans l’affidavit de M. Thomson no 2, M. Thomson écrit que, en réponse au rapport du vérificateur général, le MPO est en voie de formuler en ce qui concerne l’aquaculture un cadre précis, axé sur la précaution.

[163]   Cela dit, le principe de précaution n’a pas pour objet de créer ou de procurer à Mme Morton ou à la PNN des droits substantiels, comme celui de pouvoir exiger que le ministre procède à des tests de dépistage ou recueille des informations sur la présence du RVP ou de l’IMSC chez les saumons avant un transfert.

[164]   Et même si les paragraphes 97 à 99 de la décision Morton 2015 établissent que le membre de phrase « qui pourraient nuire » n’exige pas de certitude scientifique ou qu’il soit même probable que le transfert causera des dommages, je suis d’avis que le fait de ne pas exiger une certitude scientifique n’équivaut pas à exiger une absence totale d’incertitude, comme le soutient la PNN. Dans les limites que fixe l’alinéa 56b), le ministre ou ses délégués conservent la latitude d’évaluer le risque de dommages, notamment en évaluant les avis scientifiques du MPO, d’autres avis scientifiques, y compris des avis contradictoires, ainsi que des considérations factuelles pour déterminer le degré d’incertitude scientifique acceptable dans une situation donnée. La Cour doit s’en remettre à cette conclusion dans la mesure où « la décision a été rendue conformément à la loi qui la régit et qu’il s’agit d’une décision raisonnable à la lumière des éléments de preuve et des renseignements dont disposait le décideur » (Mountain Parks Watershed Assn. c. Chateau Lake Louise Corp., 2004 CF 1222, au paragraphe 17).

[165]   La difficulté à laquelle le ministre est confronté en l’espèce est que le seuil de dommages qu’implique l’interprétation qu’il fait du membre de phrase « à la protection et à la conservation des espèces », à l’alinéa 56b) du RPDG ne prend pas en compte le principe de précaution ni ne concorde avec celui-ci. En fin de compte, les décisions prises en vertu de l’article 56 qui appliquent la Politique concernant le RVP, laquelle repose sur l’Interprétation du ministre, dérogent aussi au principe de précaution.

[166]   Aux dires du ministre, même si le seuil est élevé, les données scientifiques sur lesquelles repose la décision sur la Politique concernant le RVP servent à l’atténuer. À mon avis, même si c’est le cas, cela ne peut remédier au caractère déraisonnable de la décision sur la Politique concernant le RVP ou au fait qu’elle n’incorpore pas le principe de précaution. Et, en tout état de cause, je signale que la note de service adressée à la DGR conclut ultimement que, étant donné que des expositions expérimentales au RVP de la C.-B. ne sont pas parvenues à provoquer de cas de maladie ou de mortalité et que, d’après les preuves actuelles, l’IMSC cause peu de mortalité dans les fermes piscicoles de la Colombie-Britannique, il s’ensuit que les transferts de poissons qui présentent un faible risque de mortalité [traduction] « ne nuisent pas à la protection et à la conservation des poissons au niveau des populations et ils peuvent être autorisés, conformément à l’Interprétation du ministre relative à l’alinéa 56b) du RPDG ». On ne sait pas exactement pourquoi la note de service adressée à la DGR fixe le seuil au niveau des populations, un aspect dont il n’est pas question dans l’Interprétation du ministre. Toutefois, le fait est que ce ne sont pas les données scientifiques qui constituent le facteur atténuant; le facteur atténuant est plutôt le degré requis de dommages selon l’Interprétation du ministre portant sur l’alinéa 56b).

[167]   Je ne suis pas d’avis non plus que la décision Sierra Club aide la cause du ministre. Dans la décision Morton 2015, le juge Rennie a conclu que l’article 56 incorpore le principe de précaution. Cela exige donc, selon moi, qu’on s’y conforme, et pas seulement qu’on le prenne en considération. Quant à la décision Lake Waseosa, il s’agissait d’une demande d’autorisation d’appel, qui a été accueillie. La Cour divisionnaire de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a conclu que la manière dont un comité de révision de la Commission municipale de l’Ontario avait traité le principe de précaution donnait lieu à un motif d’appel et, en arrivant à cette conclusion, la Cour supérieure a décrété qu’aucune norme ne s’applique en ce qui concerne le principe de précaution. Il s’agit plutôt d’une [traduction] « considération de principe selon laquelle, dans les cas où il existe un risque de dommages environnementaux graves ou irréversibles, il est préférable de pécher par excès de prudence, même en l’absence d’une totale certitude scientifique quant aux risques en cause : 114957 Canada Ltée (Spraytech Société d`arrosage) c. Hudson (Ville), 2001 CSC 40, [2001] 2 R.C.S. 241, au paragraphe 31 (C.S.C.) ». L’appel a finalement été abandonné (voir [Lake Waseosa Ratepayers’ Association v. Pieper] 2008 CanLII 65771 (C. div. C.S. Ont.), de sorte que la question de savoir si le comité de révision avait appliqué à tort le principe de précaution n’a pas fait l’objet d’un examen au fond.

[168]   Cermaq soutient qu’en adoptant l’idée que les dommages que l’article 56 vise à interdire sont les dommages susceptibles d’être causés [traduction] « à la diversité génétique, aux espèces ou à l’écosystème d’un stock ou d’une unité de conservation », le ministre interprète l’article 56 d’une manière qui concorde avec le fait que le principe de précaution met l’accent sur les dommages graves ou irréversibles. Il serait contraire à cette perspective, soutient-elle, de considérer que l’élément « dommages » de l’article 56 vise à assurer une protection contre n’importe quelle maladie susceptible de causer des dommages d’une ampleur moindre. Il m’est impossible de souscrire à ce point de vue. Selon moi, le principe de précaution ne veut pas dire que tout risque de dommages potentiels est acceptable s’il ne s’agit pas de dommages graves ou irréversibles, comme la disparition d’une espèce. Le principe commande plutôt une prudence accrue lorsque les données sont incertaines et, le cas échéant, que l’on veille à ce que des mesures soient prises pour éviter de causer des dommages irréversibles, même quand le risque de le faire est incertain.

[169]   Comme il est mentionné dans le document intitulé Science and the Precautionary Principle in International Courts and Tribunals :

[traduction] Une mesure préventive consiste à intervenir avant qu’un risque se concrétise, mais la précaution implique que les autorités publiques sont prêtes à intervenir à l’avance par rapport à une menace potentielle, incertaine ou hypothétique. Si le risque est suffisamment grave, la précaution peut supposer que l’on intervienne même dans les cas où le risque en cause ne repose que sur un soupçon, une supposition ou une crainte.

[170]   De plus, l’Interprétation du ministre permet les mesures de nature à nuire à la diversité génétique, aux espèces ou à l’écosystème d’un stock ou d’une unité de conservation jusqu’au point où ce stock ou cette unité de conservation [traduction] « ne puisse pas » soutenir la biodiversité et la continuation des processus d’évolution de la production naturelle. Il est difficile de voir en quoi cela concorde avec le principe de précaution. Et, selon moi, ce n’est pas le cas.

[171]   Comme nous le verrons ci-après, le principe de précaution entre aussi en jeu dans le contexte de la prise en compte de la santé des saumons sauvages au moment où la décision sur la Politique concernant le RVP a été prise.

(v)        Le ministre a-t-il fait abstraction de l’état de santé des saumons sauvages?

[172]   Mme Morton soutient que la Politique concernant le RVP omet de prendre en compte l’état de santé des saumons sauvages et que, lorsqu’un décideur omet de tenir compte d’un facteur pertinent au moment de rendre sa décision, cette dernière est déraisonnable (Frémy c. Canada (Procureur général), 2018 CF 434 (Frémy)). Le ministre a l’obligation de gérer, de conserver et de développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (Comeau’s Sea Foods, aux pages 25 et 26); l’obligation de conservation occupe une place prépondérante parmi ces obligations (Marshall, au paragraphe 40; rapport de la Commission Cohen, vol. 3, pages 10 à 12 et recommandation no 2); et l’article 56 du RPDG traduit l’obligation qu’a le ministre d’assurer la conservation des pêches (Morton 2015, au paragraphe 56). Vu le rôle que joue la conservation des pêches au sein du régime réglementaire régissant les transferts de poissons à des fermes piscicoles, la situation des saumons sauvages, par déduction nécessaire, est un facteur pertinent que le ministre aurait dû prendre en compte au moment d’adopter la Politique concernant le RVP et d’en poursuivre l’application.

[173]   Mme Morton soutient que, même si la Politique concernant le RVP tient compte de divers aspects liés aux saumons d’élevage, comme la mortalité, le dossier ne fait aucunement état de la prise en compte de la santé des poissons sauvages, y compris de toute information dont auraient disposé les décideurs à propos de la situation des populations de saumons sauvages, comme les unités de conservation vulnérables qui migrent dans des secteurs comptant de grandes concentrations de fermes piscicoles. Et bien que Mme Morton ait envoyé au ministre de nouvelles informations sur le déclin de la santé des populations de saumons sauvages et d’autres renseignements, ces données ne figurent pas dans le dossier. De plus, le fait que l’état de santé des poissons sauvages à l’extérieur des parcs en filet des fermes piscicoles ne fasse l’objet d’aucune vérification ou surveillance a récemment été confirmé dans le rapport du vérificateur général, lequel conclut également que le MPO n’a pas fixé de limites ou de seuils quant au moment où il est nécessaire d’intervenir s’il constate une baisse des stocks de poissons sauvages dans des secteurs où sont installées de nombreuses entreprises aquacoles. Là encore, cela ne figure pas dans le dossier. Dans le même ordre d’idées, il n’y a aucune preuve que le ministre a pris en compte d’autres menaces pesant sur les saumons sauvages, comme la surpêche, la pollution et les changements climatiques, ainsi que la manière dont ces autres menaces peuvent exacerber les dommages que cause le RVP. Mme Morton soutient que cette absence de preuves au sujet de l’état de santé des saumons sauvages est une omission injustifiée de prendre en compte un facteur des plus pertinents.

[174]   Dans le dossier T-430-18, la PNN soutient que l’on ne peut se servir de l’état de santé des saumons d’élevage comme substitut à l’état de santé des saumons sauvages, ou aux risques pour ces derniers, ou pour évaluer leur état de santé parce que les différences sur les plans de la physiologie et des conditions environnementales ne seraient alors pas prises en compte. La PNN affirme que le scientifique principal du ministre, M. Garver, a déclaré que l’on ne peut pas se servir des issues pathologiques concernant les saumons atlantiques d’élevage pour prévoir les issues pathologiques concernant les saumons du Pacifique sauvages. Le fait que le ministre se fonde sur des données faisant état de faibles taux de mortalité chez les saumons atlantiques d’élevage fait donc abstraction du risque que le RVP pourrait poser pour les saumons sauvages, ce qui est incompatible avec le principe de précaution.

[175]   La PNN soutient aussi que l’état de santé des saumons sauvages est un facteur pertinent, même si l’on souscrit à l’interprétation que fait le ministre de l’article 56. Selon cette interprétation, le ministre aurait à examiner de quelle façon le RVP pourrait affecter les unités de conservation de saumons sauvages. La déposante du ministre, Mme Hyatt, a convenu que la Politique concernant le RVP n’avait examiné aucune population ou unité de conservation de saumons sauvages précise. Le MPO a également omis de prendre en considération six facteurs de risque importants  : (i) la propagation du RVP depuis les fermes piscicoles; (ii) les effets potentiels du RVP sur les composantes écologiques de la valeur adaptative (fitness) des saumons sauvages; (iii) les techniques d’échantillonnage lacunaires utilisées pour les saumons sauvages; (iv) la capacité des unités de conservation de résister à une exposition au RVP; (v) le risque que des fermes piscicoles conservent une population hôte réservoir qui continue de transmettre le RVP à des populations sauvages en péril; (vi) le rôle que jouent les fermes piscicoles en amplifiant la maladie et en la propageant.

[176]   À l’inverse, les défendeurs soutiennent que le ministre et ses délégués ont tenu compte de l’état de santé des poissons sauvages. Le ministre déclare que le fait qu’une bonne part des données sur lesquelles s’est fondée la PNN viennent du MPO montre que le Ministère est conscient des problèmes liés aux poissons sauvages. De plus, il ressort du dossier que le ministre a tenu compte du risque que pose le RVP pour les poissons sauvages. Plus précisément, le MPO a tenu compte d’avis scientifiques selon lesquels les poissons sauvages ne contractent pas de maladies dues au RVP et que les transferts de poissons présentant peu de risques de mortalité ne nuisent pas à la protection et à la conservation des poissons au niveau des populations.

[177]   De plus, même si le dossier ne montre pas que le ministre a pris en considération les poissons sauvages, cela ne justifierait pas que l’on annule la décision sur la Politique concernant le RVP. Vu l’expertise du MPO en matière de gestion et de réglementation des questions relatives à la santé des poissons, la Cour devrait suivre les indications que donne la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland Nurses’ Union), au paragraphe 17, et « accorder une “attention respectueuse” aux motifs des décideurs et se garder de substituer leurs propres opinions à celles de ces derniers quant au résultat approprié en qualifiant de fatales certaines omissions qu’ils ont relevées dans les motifs ».

[178]   Marine Harvest ajoute que, même si la décision sur la Politique concernant le RVP ne mentionne pas explicitement une espèce de saumon ou une taille de stock en particulier, elle traite quand même du risque possible que le RVP de la C.-B. cause des dommages aux saumons du Pacifique sauvages et d’élevage. S’il était conclu que ce virus présente plus qu’un faible degré de pathogénicité et de virulence, et qu’il représente donc un risque de dommages pour les saumons du Pacifique sauvages, alors seulement serait-il sensé de tenir compte des tailles des stocks. Cermaq est d’accord et déclare qu’il serait peu pratique et contraire à la méthode scientifique de demander que l’on mène des études sur chaque espèce avant de prendre une décision.

[179]   À titre préliminaire, je signale qu’à l’appui de ses observations la PNN s’est fondée dans une large mesure sur sa preuve d’expert, dont l’admissibilité a été contestée, comme nous le verrons ci-après. À mon avis, il n’est pas nécessaire de se reporter à cette preuve d’expert, car il est possible de régler la question en se fondant sur le dossier dont disposait la déléguée.

[180]   Comme le soutient Mme Morton, la Cour a signalé dans des décisions antérieures que les pouvoirs discrétionnaires sont souvent limités. La loi indique parfois qu’un décideur est tenu de prendre en considération une série particulière de facteurs. Dans d’autres circonstances, c’est la common law qui établit les facteurs dont il faut tenir compte. Dans ces situations, le fait de ne pas prendre en considération la totalité des facteurs pertinents peut donner lieu à une décision déraisonnable (Frémy, aux paragraphes 43 et 44, citant Canada (Procureur général) c. Almon Equipment Limited, 2010 CAF 193, [2011] 4 R.C.F. 203 (Almon), au paragraphe 39). Cependant, selon moi, il ne s’agit pas en l’espèce d’une affaire qui concerne une « marche à suivre imposée par la loi », comme dans l’arrêt Almon.

[181]   Cela dit, il ne fait aucun doute que, sous le régime de la Loi sur les pêches, il incombe au ministre de gérer, de conserver et de développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public (Comeau’s Sea Foods, au paragraphe 37; Morton 2015, aux paragraphes 29 et 30; Malcolm, au paragraphe 52). Dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods, la Cour suprême a fait remarquer que le pouvoir qu’a le ministre de délivrer ou d’autoriser des permis de pêche figure à l’article 7 de la Loi sur les pêches, et elle a conclu que faute de règlement applicable, le pouvoir discrétionnaire que l’article 7 confère au ministre n’était restreint que par les principes de justice naturelle. Le ministre était tenu de fonder sa décision sur des facteurs pertinents, d’éviter toute décision arbitraire et d’agir de bonne foi.

[182]   Dans la présente affaire, le règlement applicable est le RPDG. Ce dernier prescrit le pouvoir discrétionnaire que confère au ministre l’article 7 de la Loi de délivrer des permis de transfert en exigeant que l’on satisfasse aux trois conditions préalables mentionnées dans le RPDG (Morton 2015, au paragraphe 14). Celles-ci comprennent, bien sûr, l’alinéa 56b) qui, de fait, exige que le ministre refuse d’octroyer un permis de transfert si les poissons sont porteurs de maladies et d’agents pathogènes qui « pourraient nuire à la protection et à la conservation des [poissons] ». Selon l’Interprétation du ministre, le mot « poissons » désigne un agrégat de poissons, ce qui, dans le cas des poissons sauvages, est un stock ou une unité de conservation.

[183]   Il n’y a aucun doute non plus que la protection et la conservation des poissons s’étendent aux poissons sauvages, comme les saumons du Pacifique sauvages.

[184]   C’est donc dire que, même si nous n’avons pas affaire en l’espèce à une situation dans laquelle la loi indique explicitement que le décideur doit tenir compte de l’état ou de la santé des saumons sauvages en tant que facteur particulier au moment de la délivrance d’un permis de transfert, je conviens avec Mme Morton et la PNN que, vu le rôle que joue la conservation des pêches au sein du régime réglementaire régissant les transferts de poissons à des fermes piscicoles, et comme il ressort de l’article 56, y compris l’Interprétation du ministre relative à cette disposition, l’état de santé des saumons sauvages, par déduction nécessaire, est un facteur pertinent que le ministre était tenu de prendre en compte au moment où il a adopté et où il a continué d’appliquer la Politique concernant le RVP, qui guide la délivrance des permis de transfert. J’ajouterais qu’étant donné que l’on exige aussi des permis de transferts de poissons pour les projets de mise en valeur des saumons, dans le cadre desquels des smolts élevés en écloserie sont libérés dans des populations de saumons du Pacifique sauvages, l’état de santé des saumons sauvages est manifestement un facteur pertinent à prendre en considération, car la libération de smolts porteurs d’une maladie ou d’un agent pathogène risque d’avoir un impact direct sur la santé de ces populations.

[185]   Le fait que l’état de santé des saumons du Pacifique sauvages soit à l’évidence un facteur pertinent à considérer lors de l’adoption et des réexamens par le ministre de la Politique concernant le RVP ainsi que lors de la délivrance des permis de transfert est peut-être mis en relief par le fait que les défendeurs ne le contestent pas.

[186]   Quant à la question de savoir si la déléguée a tenu compte de ce facteur, une mise en contexte s’impose. L’état de santé des stocks de saumons du Pacifique sauvages se situe depuis un certain temps au premier rang des préoccupations du public et du MPO. Selon la Politique concernant le saumon sauvage, que le MPO a mise en place en 2005, la conservation des saumons sauvages et de leur habitat se voit accorder la plus grande priorité pour ce qui est des décisions concernant la gestion des ressources. Cette politique mentionne les cinq espèces de saumons du Pacifique sauvages, lesquelles sont groupées en unités de conservation qui reflètent leur diversité sur le plan géographique et génétique. La Politique concernant le saumon sauvage indique que, pour chaque unité de conservation, des indices de référence supérieurs et inférieurs seront définis pour délimiter trois zones de statut : vert, ambre et rouge. La présence d’une unité de conservation dans la zone rouge est considérée comme non « souhaitable […] en raison du risque d’extinction imminente et de la perte équivalente d’avantages écologiques et de la production de saumon. La présence d’une [unité de conservation] dans la zone rouge devrait déclencher une évaluation immédiate pour trouver des façons de protéger le poisson, d’accroître l’abondance et de réduire le potentiel de risques de perte ». Comme il a été signalé précédemment, le texte de la Politique concernant le saumon sauvage est joint comme pièce à la transcription du contre-interrogatoire d’Andrew Thomson, qui a été mené dans le dossier T-1710-16 et utilisé dans les dossiers T-430-18 et T-744-18. M. Thomson a été interrogé sur ce document et reconnu qu’il y a des unités de conservation présentes dans la zone rouge, ce qui dénote que ces unités se situent à un certain degré de risque d’extinction, mais il a déclaré qu’il est très difficile de nuancer ce degré de risque.

[187]   C’est après l’entrée en vigueur de la Politique concernant le saumon sauvage que la Commission Cohen a publié son rapport. Comme l’a fait remarquer le juge Rennie [au paragraphe 19] dans la décision Morton 2015 :

   Je note, incidemment, qu’il y a un contexte à la question en litige en l’espèce. En 2012, le juge Cohen a déposé le rapport final de la Commission d’enquête sur le déclin des populations de saumon rouge du fleuve Fraser. La Commission d’enquête a entrepris ses travaux en 2009, l’année durant laquelle la récolte du saumon sockeye du fleuve Fraser avait été la plus faible depuis les années 1940. Le gouvernement du Canada a tenté d’élucider les causes de ce déclin et de déterminer si des modifications devaient être apportées aux politiques de gestion des pêcheries (Canada, Commission d’enquête sur le déclin des populations de saumon rouge du fleuve Fraser, L’avenir incertain du saumon rouge du fleuve Fraser, 2012, volume 3, à la page 2). Fait important, le juge Cohen a conclu que les maladies dans les fermes piscicoles posaient un certain risque pour le saumon rouge sauvage et que « [l]e MPO devrait accorder la priorité absolue à la protection de la santé des stocks sauvages dans le cadre de ses travaux sur la santé du poisson » (Commission Cohen, volume 2, à la page 113, et volume 1, à la page 474).

[188]   Comme il a été signalé précédemment, un extrait du rapport de la Commission Cohen est joint comme pièce à la transcription du contre-interrogatoire de M. Thomson. Un extrait figure également dans le cahier de jurisprudence et de doctrine supplémentaire que le ministre a déposé dans le dossier T-430-18.

[189]   Mme Morton fait remarquer que le Plan de gestion intégrée des pêches, 1er juin 2017 au 31 mai 2018, Saumon du sud de la Colombie-Britannique (Vancouver, (C.-B.) : Pêches et Océans Canada, 2017) du MPO (le PGIP) rapporte que les évaluations de statut ont été menées et qu’on est parvenu à un consensus au sujet du statut de 15 des 35 unités de conservation du saumon chinook du sud de la Colombie-Britannique. Sur ces 15 unités, 11 se sont vues attribuer le statut rouge, une le statut rouge/ambre, une le statut ambre et deux le statut vert. Parmi les 20 unités de conservation restantes, neuf ont été classées dans la catégorie « données insuffisantes » et 11 n’ont pas été évaluées. Je signale que, dans le même ordre d’idées, le PGIP indique que sept des 24 unités de conservation du fleuve Fraser se sont vu attribuer le statut rouge, quatre le statut rouge/ambre et quatre le statut ambre. Un extrait du PGIP constitue la pièce 4 jointe à la transcription du contre-interrogatoire mené sur l’affidavit no 1 de M. Thomson, déposé dans le dossier T-1710-16 et utilisé dans les dossiers T-430-18 et T-744-18.

[190]   Mme Morton signale également que la pêche expérimentale du saumon chinook au filet maillant qu’effectue le MPO à Albion fait état d’un nombre très faible de remontes de saumons chinooks pour le début de la saison de pêche de 2018–2019, comparativement aux années antérieures. Lors de son contre-interrogatoire, M. Thomson a confirmé qu’il s’agit là d’une pêche expérimentale, dont le MPO se sert comme outil pour surveiller en cours de saison les remontes de saumons. Le rapport du MPO sur la pêche expérimentale à Albion constitue la pièce 6 jointe à la transcription du contre-interrogatoire mené sur l’affidavit no 1 de M. Thomson, qui a été utilisé dans les dossiers T-430-18 et T-744-18.

[191]   Quant au saumon rouge, en 2017, le Comité sur la situation des espèces en péril au Canada (le COSEPAC), un organisme scientifique indépendant créé sous le régime de la Loi sur les espèces en péril du Canada, L.C. 2002, ch. 29, dans le but d’évaluer la situation des espèces sauvages au Canada et d’en rendre compte, a publié un communiqué de presse indiquant qu’on estimait qu’en 2016 les remontes de saumons rouges dans le fleuve Fraser étaient les plus faibles depuis 1993, année où l’on a commencé à tenir des relevés. Il a recommandé que 15 des 24 groupes distincts de saumons rouges du fleuve Fraser soient inscrits sur la Liste des espèces en péril en vertu de cette loi. Huit de ces populations ont été considérées comme en voie de disparition, deux comme menacées et cinq comme préoccupantes. Le communiqué de presse du COSEPAC constitue la pièce 5 jointe à la transcription du contre-interrogatoire sur l’affidavit no 1 de M. Thomson, qui a été utilisé dans les dossiers T-430-18 et T-744-18.

[192]   Le rapport du vérificateur général porte principalement sur la question de savoir si le MPO et l’ACIA ont géré les risques associés à la salmoniculture de façon à protéger les poissons sauvages. Il conclut que le MPO n’a pas géré adéquatement les risques associés à la salmoniculture conformément au mandat de protection des poissons sauvages. Même si le MPO avait certaines mesures en place pour contrôler la propagation des maladies infectieuses et des parasites aux poissons sauvages en Colombie-Britannique, il n’a pas fait de progrès suffisants en ce qui a trait à l’évaluation des risques associés aux principales maladies qui était nécessaire pour connaître les effets de la salmoniculture sur les poissons sauvages. Détail important, le vérificateur général a également conclu que le MPO n’a pas défini comment il allait gérer l’aquaculture avec précaution face à l’incertitude scientifique. De plus, le MPO n’a pas adéquatement assuré la conformité aux règlements sur l’aquaculture pour protéger les poissons sauvages.

[193]   Plus précisément, le rapport du vérificateur général examine si le MPO a mené des recherches sur les effets de l’aquaculture sur les poissons sauvages. Dans le contexte du financement de travaux de recherche, le rapport constate que le MPO a relevé d’éventuels facteurs de stress associés aux activités aquacoles qui peuvent affecter les poissons sauvages et leur habitat, comme la propagation d’agents pathogènes, l’immersion ou le rejet de médicaments et de pesticides, et les évasions de poissons, et qu’il a axé ses recherches sur ces facteurs. Cependant, le MPO n’avait fourni qu’un financement à court terme pour la recherche visant à éclairer les décisions en matière de politiques et de gestion. Par contre, le MPO a fourni un financement à long terme pour la recherche collaborative en vue de favoriser l’industrie de l’aquaculture durable. Quant aux lacunes de la recherche scientifique qui ont été relevées, le rapport du vérificateur général indique que le MPO a fait des recherches sur les interactions entre les poissons d’élevage et les poissons sauvages, dont les effets de la transmission de maladies et de parasites. Il constate, malgré cela, qu’il subsiste encore un manque de connaissances dans ces domaines et, détail important pour ce qui est des demandes dont il est question en l’espèce, le rapport ajoute que le MPO ne surveillait pas la santé des poissons sauvages. Il indique que le MPO était conscient de la nécessité de mener d’autres travaux dans ces secteurs pour réduire l’incertitude et assurer une surveillance adéquate de l’industrie de l’aquaculture. Dans son rapport, le vérificateur général constate aussi que le MPO avait seulement effectué une des 10 évaluations des risques associés aux principales maladies qu’il s’était engagé à réaliser d’ici 2020 pour évaluer les conséquences de la propagation de maladies aux poissons sauvages à partir des exploitations d’aquaculture. Au moment de l’audit, le MPO avait un plan pour assurer la réalisation des neuf autres évaluations des risques d’ici 2020. Le rapport recommande que le MPO réalise les évaluations des risques de maladie qu’il a prévues d’ici 2020 pour approfondir ses connaissances au sujet des effets de l’aquaculture sur les saumons sauvages. Dans sa réponse, le MPO a accepté la recommandation et indiqué qu’il livrera les évaluations des risques de maladie, comme prévu, avant la date limite de septembre 2020 précisée dans le rapport de la Commission Cohen. Le rapport du vérificateur général est joint comme pièce 7 à la transcription du contre-interrogatoire sur l’affidavit no 1 de M. Thomson, qui a été utilisé dans les dossiers T-430-18 et T-744-18.

[194]   Dans l’affidavit de M. Thomson no 2, déposé dans le dossier T-430-18, tout en traitant des [traduction] « changements à venir », M. Thomson déclare que le MPO, dans le cadre de son Programme d’aquaculture durable, s’est engagé à procéder à des évaluations des risques environnementaux dans le but d’étayer les décisions de nature scientifique qui se rapportent aux activités aquacoles. À cet égard, vers 2015, l’Initiative des sciences de l’aquaculture pour l’évaluation des risques environnementaux a été mise en œuvre dans le but d’évaluer les risques que pose l’aquaculture pour les saumons sauvages et l’environnement. M. Thomson déclare que les risques associés aux facteurs de perturbation environnementaux qui ont été relevés dans le document intitulé « Les séquences d’effets liés à l’aquaculture des poissons, des mollusques et des crustacés » [Secrétariat canadien de consultation scientifique, Avis scientifique 2009/071] (les Séquences d’effets), lequel document est joint comme pièce I à son affidavit, seront évalués conformément au Cadre d’évaluation des risques environnementaux dans le domaine de l’aquaculture. J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que le document « Séquences d’effets » indique ceci [à la page 3] :

7. Pour déterminer la mesure dans laquelle les agents pathogènes provenant des sites d’aquaculture constituent des facteurs de perturbation, il faudra recueillir des données sur les maladies et infections qui prévalent chez les populations aquatiques sauvages. Au Canada, comme dans bien d’autres pays, presque aucune surveillance des agents pathogènes au sein des populations animales sauvages n’est effectuée. En l’absence des données que permettrait de recueillir une telle surveillance, il est impossible de déterminer dans quelle mesure les agents pathogènes constituent des facteurs de perturbation. D’après des observations scientifiques, les agents pathogènes présents au sein des populations sauvages seraient à l’origine des infections initiales chez les animaux d’aquaculture. D’autres données indiquent que les animaux d’aquaculture libèrent des agents pathogènes dans leur environnement. Les connaissances sur le transfert d’agents pathogènes d’animaux d’aquaculture (ou de produits issus d’animaux d’aquaculture) vers les populations sauvages demeurent néanmoins très limitées.

[195]   Le document signale aussi que des agents pathogènes sont naturellement présents dans les populations sauvages et qu’ils peuvent être amplifiés, dilués ou modifiés dans les populations d’élevage. De plus, un effet mesurable d’une infection peut être une maladie et la maladie n’est pas synonyme d’infection, mais elle nécessite également la présence de nombreux facteurs environnementaux ou propres à l’hôte. La maladie peut être mortelle ou sublétale, c.-à-d. grave mais non mortelle (p. ex. elle peut influer sur la croissance et la reproduction). Pour évaluer la possibilité qu’un agent pathogène cause une infection au sein d’une population, il faut comprendre l’importance des facteurs de modulation, dont l’hôte (espèce (stock, âge), immunité, facteur de perturbation, densité, nutrition, état de santé (p. ex. co-infection)), l’agent pathogène (souche (pouvoir pathogène, virulence, infectiosité), concentration ou dose, biodisponibilité), et l’environnement (température, salinité, qualité de l’eau, contamination, courants, hôtes intermédiaires ou porteurs), pour cet agent pathogène particulier. Ces facteurs peuvent être plus ou moins importants pour déterminer la possibilité de transmission et de maladie dans une population. Quant aux lacunes sur le plan des connaissances, celles-ci comprennent les suivantes [à la page 16] :

Il est possible de détecter les effets pathogènes dans les populations sauvages en mesurant les changements dans la prévalence et l’intensité des agents pathogènes ou les changements dans les données démographiques des individus touchés au sein de la population cible. On doit par conséquent établir des données de base sur les agents pathogènes pour la population cible au moyen d’une surveillance systématique ou d’autres méthodes épidémiologiques. Au Canada toutefois, la surveillance des agents pathogènes chez les populations animales aquatiques sauvages est presque inexistante et devrait être établie.

[196]   M. Thomson dit qu’il croit comprendre que le ministre a ordonné au MPO d’entreprendre, à l’automne de 2018, une évaluation des risques exhaustive en vue de répondre à des préoccupations entourant les maladies cardiaques idiopathiques, le RVP, l’IMSC ainsi que les effets perçus sur la santé des saumons sauvages. Ce travail se fera au moyen d’un processus complet d’examen scientifique par des pairs, qui mènera à un document de travail sur la caractérisation des maladies et des agents pathogènes des poissons, à une évaluation des risques ainsi qu’à un avis scientifique résumant les conseils scientifiques en matière de gestion de l’aquaculture. Tant le document de travail que l’évaluation des risques nécessiteront l’examen, la synthèse et l’analyse sous un angle critique de la littérature scientifique pertinente. Un comité directeur chargé de ce processus sera constitué pour passer en revue le cadre de référence de la réunion d’examen par des pairs et de recommander pour cette réunion une liste d’examinateurs et de participants experts. Le comité directeur sera formé d’un éventail d’experts de la Direction des sciences de la Région du Pacifique, de la Direction générale de la gestion de l’aquaculture du MPO, ainsi que du gouvernement, de l’industrie, d’ONGE et de Premières Nations de la Colombie-Britannique, et il sera également invité à prendre part à la réunion d’examen par des pairs. M. Thomson ajoute que le document de travail devrait être terminé d’ici septembre 2018, tandis que l’évaluation des risques devrait l’être d’ici le début de décembre 2018. Le MPO tiendra ensuite une réunion d’examen par des pairs du SCCS en janvier 2019 en vue d’examiner le document de travail et l’évaluation des risques et de produire un avis scientifique, dont la forme définitive sera publiée dans le site Web du MPO. La Direction générale de la gestion de l’aquaculture étudiera également le rapport en vue de décider à nouveau si elle conservera la Politique concernant le RVP ou si elle la modifiera. M. Thomson décrit également les examens actuellement menés par le MPO au sujet de ses activités de gestion liées à la santé des poissons, ainsi que les changements apportés quant à la gestion des transferts de saumons et de l’état de santé des poissons, et il ajoute que le MPO songe à faire des changements pour améliorer davantage le programme en réponse au rapport du vérificateur général ainsi qu’à d’autres rapports.

[197]   Ce contexte établit que l’état et la santé des saumons du Pacifique sauvages sont évoqués, et reconnus par le MPO, comme un sujet de préoccupation depuis de nombreuses années et que les évaluations des risques de maladie destinées à améliorer les connaissances sur les effets de l’aquaculture sont incomplètes, notamment en ce qui concerne le RVP et l’IMSC. C’est dans ce contexte que se pose la question de savoir si la déléguée, en adoptant et en réexaminant la Politique concernant le RVP, a pris en considération l’état de santé des saumons sauvages.

[198]   Je ne suis pas convaincue que le dossier que la déléguée avait en main quand elle a rendu la décision sur la Politique concernant le RVP fait entièrement abstraction d’aspects liés aux saumons du Pacifique sauvages. Par exemple, la réponse des Sciences du SCCS de 2015 contient un résumé des principaux facteurs à prendre en compte dans le cas d’une évaluation des risques pour les saumons sauvages par suite du transfert en milieu marin de poissons infectés par le RVP, de même que les principales incertitudes entourant les données, les études ou les éléments de preuve ayant fait l’objet d’un examen.

[199]   Cependant, cela dit, le dossier que la déléguée avait en main ne contient presque aucune information sur l’état ou la santé des saumons du Pacifique sauvages en Colombie-Britannique ou sur la manière dont ce fait peut avoir joué, ou pas, dans la décision de poursuivre l’application de la Politique concernant le RVP. Par ailleurs, les effets possibles sur les saumons sauvages sont examinés presque exclusivement dans le contexte des effets du RVP et de l’IMSC sur les saumons d’élevage.

[200]   Par exemple, la réponse des Sciences du SCCS de 2015 signale que des préoccupations ont été soulevées à l’égard de la présence du RVP chez des poissons d’élevage, ainsi que de l’effet potentiel de celle-ci sur la santé des saumons sauvages à la suite des transferts. Les objectifs qui y sont énumérés traitent de l’exécution d’un examen technique de données et d’études relatives au RVP ainsi qu’aux saumons sauvages et d’élevage, de même que de l’évaluation du caractère adéquat des méthodes actuelles de surveillance des poissons sauvages et d’élevage en vue de déceler la présence de l’IMSC ou d’autres maladies peut-être liées au RVP. Cependant, la partie de la réponse intitulée « Évaluation du caractère adéquat des pratiques de surveillance actuelles des exploitations aquacoles et du milieu sauvage pour détecter la présence du HSMI ou d’autres maladies possiblement associés au réovirus pisciaire » ne porte que sur les vérifications menées et d’autres informations recueillies auprès de fermes piscicoles. Elle ne contient aucune information sur la surveillance des saumons sauvages sur le plan de la santé ou des effectifs. Pas plus qu’elle ne reconnaît que certaines unités de conservation des saumons du Pacifique sauvages sont à risque, ou qu’elle ne traite de la question de savoir si les saumons du Pacifique sauvages courent peut-être plus de risques de contracter le RVP à cause de l’environnement et des facteurs de perturbation différents auxquels ils sont soumis par rapport aux poissons d’élevage. Et, comme il a été indiqué précédemment le rapport du vérificateur général, qui a été publié ultérieurement, indique que le MPO ne surveille pas l’état de santé des saumons du Pacifique sauvages.

[201]   Essentiellement, la réponse des Sciences du SCCS de 2015, qui est fondée en grande partie sur l’étude de provocation de Garver 2016, conclut que l’infection par le RVP de la C.-B. chez le saumon chinook, le saumon rouge et le saumon atlantique « ne cause pas de maladies chez ces espèces ». De plus, l’absence de mortalité ou de pathologie connexe chez les poissons infectés dénote également que le RVP de la C.-B. n’est pas pathogène. Elle reconnaît toutefois que, hormis l’absence de maladie, les études de provocation ont donné lieu à une infectiosité et à une distribution dans les tissus hôtes qui étaient semblables à celles décrites dans des études norvégiennes portant sur des poissons infectés par la variante norvégienne du RVP/IMSC. Je signale que, à cette époque, le MPO diagnostiquait l’IMSC à l’aide d’une combinaison de signes cliniques (nage anormale, anorexie, etc.) et de preuves histologiques. La réponse des Sciences du SCCS de 2015 conclut, en supposant que le tableau clinique était semblable à celui qui s’appliquait aux saumons d’élevage de la Colombie-Britannique, qu’on aurait décelé l’IMSC si elle était présente. Bien sûr, l’IMSC a été diagnostiquée par la suite chez des poissons d’élevage de la Colombie-Britannique à partir d’un diagnostic basé uniquement sur des études histologiques, et, semble-t-il, en l’absence de signes cliniques associés à la situation en Norvège.

[202]   La note de service adressée à la DGR prend acte de la publication prévue de l’étude Di Cicco 2017, qui a diagnostiqué la présence de l’IMSC dans une ferme piscicole de la Colombie-Britannique. Elle reconnaît aussi que l’on considère largement que le RVP est la principale cause de l’IMSC, mais elle indique que le rôle de ce virus dans l’apparition de l’IMSC et d’autres maladies est considéré comme incertain. Il y est indiqué que l’on ignore encore si certaines souches sont plus susceptibles de déclencher une maladie, si la sensibilité des espèces diffère selon les souches ou si d’autres facteurs entrent en jeu dans l’apparition de la maladie. En prenant principalement pour base l’étude de provocation Garver 2016, où une infection par des charges en RVP semblables ou supérieures à celles signalées chez des saumons atlantiques présentant des lésions associées à l’IMSC en Norvège, mais où des saumons atlantiques, rouges et chinooks n’avaient manifesté aucun symptôme de maladie, ainsi que peu de mortalité due à l’IMSC dans des fermes piscicoles, la Politique concernant le RVP a été maintenue. La note de service adressée à la DGR reconnaît donc que l’on a maintenant diagnostiqué l’IMSC chez des saumons atlantiques présents dans une ferme de la Colombie-Britannique et qu’il y a des incertitudes au sujet de l’IMSC, notamment à l’égard de la sensibilité des espèces. Cependant, la note de service adressée à la DGR ne traite pas de ces données dans le contexte de l’effet de cette situation, le cas échéant, sur les saumons du Pacifique sauvages, si ce n’est pour conclure que les transferts sont acceptables, car ils ne nuiraient pas à la population de poissons dans son ensemble. Il convient également de signaler que la thèse du MPO ― à savoir que le RVP de la C.-B. ne cause pas de maladies chez les espèces ayant fait l’objet d’épreuves de provocation ― a aujourd’hui été révisée pour dire que les espèces soumises à l’étude de provocation Garver 2016 n’ont présenté aucun symptôme de maladie.

[203]   L’Interprétation du ministre reconnaît elle aussi l’existence de facteurs pathogènes géographiques de nature telle que, lorsqu’une maladie se manifeste effectivement dans un lieu donné, un large éventail d’hôtes et de facteurs environnementaux qui peuvent être propres à ce lieu influent sur l’effet des infections ou les dommages causés par celles-ci. Et, de façon importante, le fait d’appliquer l’Interprétation du ministre aux faits liés à un transfert donné est une décision complexe qui comporte des questions de fait débordant le cadre de l’alinéa 56b), [traduction] « comme l’ensemble des connaissances scientifiques sur les maladies et les agents pathogènes des poissons, ainsi que l’état des pêches pour des espèces de poissons différentes ». Pourtant, rien dans le dossier soumis à la déléguée n’indique que celle-ci a pris en considération l’état des saumons du Pacifique sauvages. C’est-à-dire, le fait que certaines unités de conservation sont menacées, ou celui de savoir si le RVP et l’IMSC peuvent avoir un impact différent sur les saumons du Pacifique sauvages.

[204]   La RRS de mars admet, semble-t-il, en se fondant sur l’étude Wessel 2017, dans le cadre de laquelle on s’est servi de particules purifiées du RVP comme inoculant lors d’une épreuve de provocation expérimentale pour confirmer que ce virus est l’agent causal de l’IMSC, que le RVP est l’agent responsable de l’IMSC, mais elle souligne que cette étude reconnaît qu’on ne sait pas clairement pourquoi, dans bien des cas, les infections ne déclenchent pas la maladie. Là encore, en se fondant dans une large mesure sur l’étude de provocation Garver 2016 (RVP de la C.-B.), la RRS de mars conclut qu’à l’heure actuelle les tests de dépistage du RVP ne sont pas un diagnostic informatif d’apparition de la maladie. Elle signale qu’on a entrepris des recherches sur le RVP pour mieux comprendre quels facteurs sont responsables des scénarios de maladie modifiés et quelles exigences conditionnelles exacerbent la forme non virulente du RVP de manière à ce qu’elle entraîne une IMSC. La RRS de mars reconnaît ainsi les incertitudes scientifiques constantes qui entourent le RVP et l’IMSC.

[205]   La RRS de mars ne traite pas non plus de la question de savoir si les conditions auxquelles sont exposés les saumons du Pacifique sauvages, par rapport aux saumons d’élevage, peuvent exacerber ou non la forme non virulente du RVP de manière à ce qu’elle entraîne une IMSC. L’effet, si effet il y a, sur les unités de conservation à risque n’est pas analysé. De plus, les chiffres de mortalité sont tous dérivés de poissons d’élevage, principalement des saumons atlantiques. Par ailleurs, en traitant de l’étude Di Cicco 2017, la RRS de mars reconnaît que cette dernière décrit la progression de lésions cardiaques concordant avec le diagnostic histopathologique de l’IMSC en Norvège. De plus, au cours de la période de prévalence la plus élevée, l’IMSC a été diagnostiquée chez 20 à 44 p. 100 des poissons échantillonnés, et un pourcentage supplémentaire de 35 à 70 p. 100 présentait un degré d’inflammation cardiaque mineur. Cependant, la RRS ne traite pas de cette question dans le contexte de savoir quel effet, si effet il y a, de telles lésions auraient sur les saumons sauvages, sa conclusion étant fondée sur les faibles taux de mortalité relevés à la ferme piscicole étudiée par Di Cicco. L’étude Di Cicco 2017 a aussi soulevé directement la question des saumons du Pacifique sauvages, indiquant notamment que la prochaine question évidente consistait à savoir quel était le risque de maladie chez les saumons du Pacifique ou le risque de transmission du virus entre les saumons sauvages et les saumons d’élevage. Selon l’étude Di Cicco 2017, une telle évaluation de risques nécessiterait de plus amples études.

[206]   L’ébauche de déclaration Web la plus récente du MPO, qui est datée du 19 février 2018 et sur laquelle la déléguée s’est semble-t-il fondée pour se prononcer sur la Politique concernant le RVP, décrit la situation de l’IMSC en Norvège, en soulignant notamment le fait que, même si des observations menées sur le terrain donnent à penser que des poissons survivants, présents dans des cages en mer touchées, peuvent se rétablir, l’on considère encore que des épisodes non létaux posent des problèmes importants dans les élevages de saumons atlantiques en Norvège en raison de la faible croissance et du comportement général des poissons à la suite d’une infection. La déclaration Web ajoute que, même si les souches du RVP norvégien et la causalité de l’IMSC ont été démontrées de manière concluante, le potentiel pathogène des souches nord-américaines chez les espèces indigènes est incertain, d’après l’étude de provocation Garver 2016, ce qui laisse croire que le RVP de la C.-B. a une faible capacité de causer la maladie chez ces espèces. J’ouvre ici une parenthèse pour signaler que l’étude Garver 2016 a procédé à trois études de provocation sur trois espèces de saumons  : le saumon atlantique, le saumon rouge et le saumon chinook, ces deux derniers étant présents à l’état sauvage en Colombie-Britannique. Les trois autres espèces de saumons sauvages de la Colombie-Britannique ne semblent pas avoir été soumises à des épreuves. Quant à l’étude Di Cicco 2017, la déclaration Web signale que celle-ci a établi le premier diagnostic d’IMSC dans les fermes en Colombie-Britannique et qu’elle a fait état de la présence, dans les tissus musculaires cardiaques et squelettiques, de lésions inflammatoires diagnostiques de l’IMSC dans le cadre d’une étude longitudinale basée sur une seule ferme d’élevage de saumons atlantiques en Colombie-Britannique. Au niveau des individus, ce n’était pas la totalité des poissons qui présentaient des lésions dans les muscles cardiaques et les muscles squelettiques à un moment quelconque dans le temps, mais, au niveau des fermes d’élevage, les deux types de lésions étaient présents et établissaient le diagnostic de la maladie. Aucune hausse connexe du taux de mortalité n’a été signalée à l’échelle des fermes d’élevage. De plus, il a été constaté que le RVP était corrélé avec l’apparition de lésions diagnostiques de l’IMSC et localisé dans les tissus touchés, ce qui concordait avec les données d’autres pays sur l’étiologie de l’IMSC.

[207]   Je signale que dans l’étude Di Cicco 2017 la présence de l’IMSC a été diagnostiquée au moyen de l’existence de lésions et que le faible taux de mortalité relevé dans cette étude était en lien avec des poissons d’élevage. Même si l’on avait diagnostiqué à ce moment que des saumons atlantiques d’élevage exposés au RVP de la C.-B. étaient atteints de l’IMSC, le document Web ne traite pas de la possibilité que l’effet soit le même chez les saumons du Pacifique sauvages, pas plus que du fait de savoir quels effets, le cas échéant, de telles lésions auraient sur les saumons du Pacifique sauvages à risque, lesquels sont confrontés à des conditions de survie nettement différentes de celles des poissons d’élevage. La déclaration Web ajoute plutôt que la découverte de lésions dans l’étude Di Cicco 2017 concordait avec la présence de lésions cardiaques d’origine virale soupçonnée, déclarées par l’entremise du programme de vérification du MPO depuis 2008, de même que par l’industrie dès 2002 peut-être, mais jamais diagnostiquées en tant que maladie précise. On semble ainsi inférer que, même si le MPO ne les a pas diagnostiquées antérieurement (vraisemblablement parce qu’elles exigeaient auparavant des signes cliniques de maladie, de même qu’un examen histopathologique à des fins diagnostiques), des lésions associées à l’IMSC ou semblables à cette maladie sont présentes dans les poissons d’élevage depuis un temps prolongé, sans causer de mortalité importante.

[208]   Par ailleurs, et il s’agit là d’un détail important, la déclaration Web mentionne que des scientifiques du MPO, ainsi que des collègues provinciaux et étrangers, ont entrepris des enquêtes pour mieux comprendre la biologie du RVP et de l’IMSC chez les saumons sauvages et d’élevage, comme des études évaluant l’association entre les infections par le RVP et le succès de fraye chez le saumon rouge dans le fleuve Fraser. Il est fait référence à une étude en particulier à cet égard : K. M. Miller et coll. (2014), « Infectious disease, shifting climates, and opportunities predators: cumulative factors potentially impacting wild salmon declines», Evol. Appl. 2014:7(7):812-855. doi:10.1111/eva.12164 (l’étude Miller 2014). En fait, il est question de cette étude dans la réponse des Sciences du SCCS de 2015, où l’on peut lire ce qui suit [à la page 9] :

Miller et al. (2014) ont signalé une association faible, quoique significative, entre l’infection par le réovirus pisciaire et les pertes lors de la migration de frai du saumon rouge du lac Chilko. Toutefois, cette association n’a pas été observée chez le saumon rouge du stock de la montaison tardive de la rivière Shuswap. Ces auteurs ont signalé une « réaction » à l’infection par le réovirus pisciaire dans le tissu branchial de poissons adultes prélevés dans le milieu marin, qui touchait l’expression de 20 gènes fortement associés au réovirus pisciaire chez les hôtes, dont 9 qui interviennent dans la réponse immunitaire. En revanche, de récentes études contrôlées en laboratoire qui portaient sur la réponse immunitaire de l’hôte n’ont révélé que de petits changements temporaires de l’expression génétique dans le sang et le rein antérieur de saumons rouges juvéniles, lesquels étaient associés aux premiers stades de l’infection par le réovirus pisciaire en eau salée […]

[209]   Il s’agit là de la seule mention directe d’une étude portant sur l’effet que peut avoir le RVP sur les saumons du Pacifique sauvages, et elle semble laisser entrevoir une différence entre les résultats obtenus à partir d’études sur les saumons rouges sauvages et ceux obtenus d’études expérimentales sur le saumon rouge. Cependant, le dossier n’indique pas qu’au cours des quatre années suivantes le MPO a étudié la question plus en détail, pas plus qu’il ne donne à penser que, dans l’intervalle, d’autres études ont été réalisées sur les réactions des saumons du Pacifique sauvages à la maladie et qu’elles traitent de cette zone d’incertitude. La déclaration Web fait toutefois référence à d’autres exemples de ce genre d’études, les décrivant comme suit  : l’association possible du RVP avec la maladie chez les saumons du Pacifique; l’évaluation d’agents infectieux et de preuves histologiques de la maladie chez les saumons d’élevage, sauvages et mis en valeur; ainsi que des études examinant si une infection par le RVP, en l’absence d’IMSC, aurait une incidence sur la manière dont un poisson peut réagir quand il est exposé à d’autres virus d’origine naturelle. Cependant, elle ne nomme aucune étude réalisée ou n’en fait pas mention, ou n’indique pas si c’est le MPO ou d’autres scientifiques qui mènent ces enquêtes. Elle ne décrit pas non plus l’état de ces études.

[210]   Enfin, pour ce qui est de l’étude Di Cicco 2018, la RRS de juin, rédigée dans un délai de moins de sept jours, a mis en doute la méthodologie de Di Cicco, dont le fait de ne pas avoir pris en compte l’étude Garver 2016(a) sur la jaunisse, et elle conclut que le constat de l’étude Di Cicco 2018, à savoir que le saumon chinook peut être exposé à plus qu’un risque minime de maladie par suite d’une exposition au RVP dans les fermes salmonicoles, n’est pas justifié. La RRS de juin fait également abstraction de la déclaration faite dans l’étude Di Cicco 2018, à savoir qu’il peut y avoir un risque très réel associé à la transmission du RVP entre les saumons d’élevage, chez lesquels le RVP est largement répandu, et les saumons du Pacifique sauvages, parce que cette déclaration est nuancée par la déclaration supplémentaire selon laquelle la gravité et l’ampleur de ce risque demeurent encore incertaines. Selon la RRS de juin, l’importance du risque de maladie n’a pas été examinée dans l’étude, et elle n’aurait pas dû être mentionnée, vu la quantité et la qualité des données utilisées.

[211]   Fait important, même si l’étude Di Cicco 2018 a fait directement état d’un risque pour les saumons du Pacifique sauvages, ce dont la RRS de juin fait abstraction, le dossier n’indique pas que le MPO a par ailleurs revu et réévalué le risque en question de façon à confirmer, au moyen d’une méthode qu’il considérait comme valide, qu’il ne suffisait pas d’exiger que l’on apporte des changements à la Politique concernant le RVP.

[212]   Les éléments qui précèdent montrent clairement que le dossier que la déléguée avait en main faisait encore état d’incertitudes à l’égard du RVP et de l’IMSC. Le MPO a reconnu que les connaissances scientifiques évoluaient rapidement dans ce domaine et il a donc revu la Politique concernant le RVP. Certes, les motifs pour lesquels la déléguée est arrivée à la décision sur la Politique concernant le RVP sont succincts, mais il faut garder à l’esprit que le réexamen qu’elle a fait de cette politique était essentiellement une décision interne. De plus, il n’est pas nécessaire de fournir des motifs détaillés (Newfoundland Nurses’ Union, aux paragraphes 14 à 16; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 89; Administration de l’aéroport international de Vancouver c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 158, [2011] 4 R.C.F. 425, au paragraphe 17(b)). Il est également loisible à la Cour d’examiner le dossier pour voir s’il étaye la décision (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, au paragraphe 54). Le problème, dans le cas présent, est que le dossier sur lequel la déléguée s’est fondée ne contient aucune information sur l’état ou la santé des stocks de saumons du Pacifique sauvages. Et, si je souscris aux observations du ministre, la déléguée était en droit de se fier à son expérience et à son expertise pour procéder au réexamen. Le fait que certaines unités de conservation de saumons du Pacifique sauvages soient à risque faisait sûrement partie de cette expertise. Et bien que le dossier donne à penser qu’il peut y avoir des facteurs susceptibles de causer le RVP et l’IMSC qui auraient sur les saumons du Pacifique sauvages un effet différent de celui qu’ils auraient sur les saumons d’élevage, ou qui indiqueraient à tout le moins qu’il existe une grande incertitude à cet égard, la déléguée n’a pas examiné la preuve ou la question, se fondant plutôt sur l’étude Garver 2016(a) et les épreuves de provocation de 2016, ainsi que sur la preuve actuelle que l’IMSC cause fort peu de mortalité chez les saumons atlantiques des fermes piscicoles de la Colombie-Britannique, pour conclure que les transferts de poissons qui présentent un faible risque de mortalité ne nuisent pas à la protection et à la conservation des poissons au niveau d’une population et qu’on peut donc les autoriser, conformément à l’Interprétation du ministre relative à l’alinéa 56b) du RPDG.

[213]   Bien que le ministre fasse valoir que la déléguée a pris en considération des avis scientifiques selon lesquels les poissons sauvages ne contractent pas de maladies causées par le RVP, il m’est impossible de trouver une conclusion aussi définitive dans le dossier qui a été soumis à la déléguée. De ce fait, selon moi, même si l’état et la santé des saumons du Pacifique sauvages faisaient peut-être bien partie du contexte général dans lequel elle a pris sa décision, la déléguée n’a pas pris précisément en compte un facteur pertinent, soit la santé et l’état actuels des saumons du Pacifique sauvages, dans le contexte des incertitudes scientifiques qui entourent actuellement le RVP et l’IMSC, ce qui fait donc que cette décision est déraisonnable.

[214]   De plus, compte tenu du degré élevé d’incertitude scientifique entourant le RVP et l’IMSC, de l’évolution rapide des connaissances scientifiques, de l’évaluation des risques exhaustive que le MPO n’a pas encore effectuée, ainsi que du déclin des effectifs de saumons sauvages, en ne traitant pas de la santé et de l’état des saumons du Pacifique sauvages au moment de prendre la décision sur la Politique concernant le RVP, la déléguée a de plus fait abstraction du principe de précaution.

(vi)       Le ministre a-t-il agi de mauvaise foi (T-430-18)?

[215]   Dans le dossier T-430-18, la PNN affirme que le ministre a agi de mauvaise foi ou à une fin illégitime. Son argument relatif à la mauvaise foi est pour une large part étroitement lié à ses autres arguments concernant le caractère raisonnable de la décision, notamment pour ce qui est de l’interprétation que fait le ministre de l’article 56 du RPDG et du défaut de prendre en considération des facteurs pertinents. Toutefois, l’argument qu’invoque la PNN au sujet de la mauvaise foi est essentiellement le suivant  : en donnant effet à la Politique concernant le RVP et en la reconfirmant le ministre a manifestement agi de manière à favoriser indûment les intérêts de l’industrie aquacole sans tenir compte de la protection et de la conservation des poissons, ainsi que l’exigent l’article 56 du RPDG et la décision Morton 2015. La PNN soutient que cela est également démontré par le fait que le MPO se fonde sur des données que l’on sait lacunaires, qu’il privilégie des études désuètes auxquelles il a participé et qu’il présente des preuves sous un faux jour pour conclure que le RVP est endémique et omniprésent en Colombie-Britannique.

[216]   À l’appui de ses allégations de mauvaise foi, la PNN se fonde non seulement sur le dossier qui a été soumis à la déléguée, mais aussi sur les affidavits de trois experts dont elle a retenu les services en lien avec la présente instance, ainsi que sur un affidavit auquel sont jointes, notamment, des extraits de documents obtenus par suite de demandes présentées en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (les demandes d’AI). Le ministre, Marine Harvest et Cermaq soutiennent que ces affidavits ne sont pas admissibles et ils souhaitent qu’ils soient entièrement radiés. Les affidavits contestés sont les suivants :

i.          l’affidavit de M. Martin Krkosek, souscrit le 14 mai 2018 (l’affidavit de M. Krkosek);

ii.         l’affidavit de M. Fred Kibenge, souscrit le 14 mai 2018 (l’affidavit de M. Kibenge);

iii.        l’affidavit de M. Richard Routledge, souscrit le 14 mai 2018 (l’affidavit de M. Routledge);

(collectivement, les « affidavits d’experts de la PNN »)

iv.        l’affidavit de M. Won Drastil, souscrit le 9 mai 2018 (l’affidavit no 1 de M. Drastil).

[217]   Marine Harvest et Cermaq souhaitent de plus faire radier certaines parties de l’affidavit du chef Svanvik.

a)         La règle 312 des Règles ― Les requêtes en radiation

[218]   Le 24 mai 2018, le ministre a déposé une requête par écrit en vertu de l’article 369 des Règles en vue d’obtenir une ordonnance radiant entièrement les affidavits d’experts de la PNN et l’affidavit no 1 de M. Drastil au stade préliminaire. Le 17 août 2018, Marine Harvest a déposé une requête semblable et, de plus, a demandé la radiation des paragraphes 149 à 165, 177 et 178, et 186 de l’affidavit du chef Svanvik. À la même date, Cermaq a déposé une requête en vue de faire radier les affidavits d’experts de la PNN, l’affidavit no 1 de M. Drastil, de même que les paragraphes 67 à 73, 93 et 94, 116 à 137, 139 et 140, 149 à 156, 164 et 165, 167 à 169, 172, 174 à 178, 180 et 181, 184 à 187 et 188 à 193, et les pièces N, O à U, Z, KK et LL à QQ de l’affidavit du chef Svanvik.

[219]   Dans les observations écrites qu’elle a présentées en réponse à ces requêtes en radiation, la PNN admet que les paragraphes 149 à 165, 177 et 178, et 186 de l’affidavit du chef Svanvik devraient être radiés, expliquant qu’ils figuraient dans une ébauche antérieure et qu’ils avaient été conservés par erreur. Cela règle donc cette partie de la requête en radiation de Marine Harvest, relativement à l’affidavit du chef Svanvik.

[220]   À titre de contexte, par une ordonnance datée du 8 juin 2018 la juge responsable de la gestion de l’instance a refusé d’exercer son pouvoir discrétionnaire pour radier les affidavits d’experts de la PNN, l’affidavit no 1 de M. Drastil, ainsi que des parties de l’affidavit du chef Svanvik. Elle a rejeté les requêtes des défendeurs et décrété que la question de l’admissibilité des éléments de preuve contestés serait tranchée par le juge des demandes, sous réserve de la capacité des défendeurs de faire radier à cette audience les éléments de preuve contestés.

[221]   Le 6 juillet 2018, le ministre a donc signifié à la PNN les affidavits d’experts en réponse de Kyle Garver, souscrit le 4 juillet 2018 (l’affidavit de M. Garver), et de Kim Hyatt, souscrit le 4 juillet 2018 (l’affidavit de Mme Hyatt).

[222]   Marine Harvest a déposé à son tour l’affidavit d’expert de M. Ahmed Siah, souscrit le 6 juillet 2019 et répondant aux affidavits de MM. Kibenge et Routledge, l’affidavit d’expert de Michael Kent, souscrit le 5 juillet 2018 et répondant lui aussi aux affidavits de MM. Kibenge et Routledge, de même que l’affidavit d’expert de M. Anthony Farrell, souscrit le 9 juillet 2018 et répondant à l’affidavit de M. Kibenge (collectivement, les « affidavits d’experts de Marine Harvest »). Cermaq a déposé pour sa part l’affidavit d’expert de M. Donald Noakes, souscrit le 6 juillet 2018 en réponse à l’affidavit de M. Krkosek.

[223]   Au bout du compte, les parties ont préparé et déposé leurs observations écrites dans les présentes demandes, en partant de l’hypothèse que les éléments de preuve contestés étaient admissibles. Les cinq jours prévus pour l’audition des demandes ont principalement servi à déterminer l’admissibilité des éléments de preuve, et les parties se sont largement appuyées sur leurs observations écrites en ce qui concerne toutes les requêtes, dont celles contestant l’admissibilité des affidavits d’experts de la PNN.

[224]   Le ministre, Marine Harvest et Cermaq soutiennent que les affidavits d’experts de la PNN, de même que l’affidavit no 1 de M. Drastil, sont inadmissibles et non pertinents. Ils ne faisaient pas partie du dossier soumis à la déléguée du ministre, et les exceptions à la règle générale interdisant le dépôt de preuves extrinsèques dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ne s’appliquent pas à ceux-ci. Ils considèrent que les affidavits d’experts de la PNN ne sont pas admissibles non plus parce qu’ils ont trait à la question ultime à trancher dans les demandes de contrôle judiciaire sous-jacentes. Les déposants avancent des arguments relatifs à leur propre interprétation de la Politique concernant le RVP, ils suggèrent une liste de documents qui, d’après eux, aurait dû être soumise à la décideure et ils tirent des conclusions qui découlent de leurs propres interprétations des documents qu’ils cherchent à mettre en preuve.

[225]   Marine Harvest ajoute que les affidavits d’experts de la PNN ont expressément pour but de faire réévaluer les faits dont il est question dans le dossier de la décision et d’appuyer la thèse que la décision administrative sous-jacente est erronée. Une telle preuve n’est pas admissible dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire. En outre, si elle est admise, la Cour va se trouver mêlée au débat scientifique, ce qui n’est pas son rôle.

[226]   Les défendeurs font valoir que, par son affidavit n1, M. Drastil ne livre pas un témoignage d’expert et que les documents, qui y sont joints comme pièces, sont essentiellement des documents internes et des ébauches de documents du MPO reçus par suite de demandes d’AI, qui ne sont pas pertinents. Les affidavits d’experts de la PNN et l’affidavit no 1 de M. Drastil visent à amplifier le dossier présenté à la Cour par rapport à celui qui a été soumis à la déléguée du ministre, de telle sorte que la Cour puisse tenir un nouveau procès sur les questions en litige. Marine Harvest et Cermaq ajoutent que l’affidavit no 1 de M. Drastil constitue du ouï-dire ou du double ouï-dire.

[227]   Le ministre ajoute, en ce qui concerne l’admissibilité des preuves liées à l’obligation de consultation, que dans des instances de contrôle judiciaire portant sur des consultations menées auprès des Autochtones, les tribunaux ont exclu les éléments de preuve dont ne disposaient pas les décideurs, sauf dans les cas où ils étaient liés à la question de la qualité pour agir d’un demandeur, au fait de savoir s’il existait une obligation de consultation ou à la détermination de l’étendue de cette obligation. Cependant, le fait d’invoquer l’obligation de consultation dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire ne permet pas d’éviter l’application des principes qui sous-tendent la règle interdisant la présentation de preuves extrinsèques. En l’espèce, les affidavits d’experts de la PNN vont au-delà de ce qui constitue une preuve admissible en vue d’établir une obligation de consultation particulière. Il s’agit d’une preuve extrinsèque qui n’a pas trait à la nature d’une obligation de consultation potentielle. Ainsi, la PNN demande à la Cour de s’appuyer sur ses affidavits d’experts pour conclure à l’existence de dommages potentiels, sous les auspices du critère de l’obligation de consultation. De fait, une telle conclusion substituerait l’opinion des experts de la PNN à la décision de la déléguée du ministre portant sur la Politique concernant le RVP. Marine Harvest et Cermaq ajoutent que bien que les tribunaux jouissent d’une certaine latitude pour admettre des éléments de preuve dans le cadre de contrôles judiciaires visant des consultations, celle-ci n’est pas absolue et il est interdit à une partie de produire des éléments de preuve dépourvus de pertinence ou qui visent à faire en sorte que le juge chargé du contrôle judiciaire tienne une nouvelle audience et usurpe la compétence du décideur. Dans la présente affaire, la majorité des preuves de la PNN qui sont contestées ne servent qu’à attaquer le bien-fondé de la décision faisant l’objet du contrôle et à transformer le contrôle judiciaire en une enquête sur le RVP.

[228]   Pour sa part, la PNN affirme que ses affidavits d’experts et l’affidavit no 1 de M. Drastil sont admissibles à titre de preuves extrinsèques selon les trois exceptions à la règle générale et, aussi, qu’ils étayent l’allégation selon laquelle le ministre a manqué à l’obligation de consultation. Collectivement, les affidavits contestés illustrent de manière convaincante la mauvaise foi institutionnelle du MPO ou la fin illégitime qu’il a poursuivie en adoptant la Politique concernant le RVP; ils fournissent une preuve que le MPO a, arbitrairement et sous un faux jour, omis de prendre en compte ou rejeté des éléments de preuve cruciaux et que le ministre a adopté et confirmé la Politique concernant le RVP de mauvaise foi et dans le but illégitime de contourner la décision Morton 2015. En outre, les affidavits contestés sont une preuve des dommages que le RVP est susceptible de causer aux saumons du Pacifique sauvages, ce qui est une fin admissible, car cela a trait à l’existence et à l’étendue de l’obligation de consultation de la Couronne.

Analyse

[229]   J’ai présenté ci-dessus, dans le contexte de la requête qu’a déposée Mme Morton en vertu de la règle 312 des Règles dans le dossier T-1710-16, un exposé de la jurisprudence portant sur l’admissibilité des affidavits présentés à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire. Ainsi, en raison de la démarcation entre les rôles respectifs des décideurs administratifs et des cours de justice, ces dernières ne peuvent s’autoriser à devenir des tribunes de recherche des faits qui intéressent le fond de l’affaire. Ainsi, en règle générale, le dossier de preuve qui est soumis à une cour de révision dans le cadre d’un contrôle judiciaire se limite à celui qui a été soumis au décideur. Les preuves qui se rapportent au fond de l’affaire sont, sauf quelques exceptions restreintes, inadmissibles.

[230]   Avant d’examiner si l’une quelconque de ces exceptions permet d’admettre les affidavits contestés, il est utile d’ajouter quelques mots sur la jurisprudence concernant l’exception relative au but illégitime ou à la mauvaise foi, car la PNN s’est fortement appuyée sur celle-ci.

[231]   L’exception relative au but illégitime permet d’admettre, pour cause de mauvaise foi, des preuves qui n’ont pas été soumises au décideur. La poursuite de fins illégitimes ou la décision prise de mauvaise foi peut consister en une décision prise à des fins non autorisées par la loi JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. (Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557 (JP Morgan), au paragraphe 72. Les exemples suivants ont aussi été donnés : le fait d’entraver l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou d’agir sous la dictée d’une personne non autorisée à prendre la décision (JP Morgan, au paragraphe 72), le fait de soudoyer un décideur (Bernard, au paragraphe 25) ou le fait que l’instance soit entachée par une inconduite du ministre, d’un tribunal administratif ou de parties comparaissant devant ce dernier, dans le but de prouver l’inconduite en question (Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 32, au paragraphe 23). Il a aussi été signalé que la mauvaise foi est assimilée au fait d’agir [traduction] « de façon malhonnête, malveillante ou frauduleuse ou avec mala fides » ou à celui de faire montre d’une inconduite grave qui frise la corruption, tandis que dans d’autres cas on semble avoir estimé que la mauvaise foi s’apparente à la conduite arbitraire. Un mobile ultérieur peut établir la mauvaise foi (Brown, à la rubrique 15:2443).

[232]   Cependant, la bonne foi se présume toujours, et il appartient à la partie qui invoque la mauvaise foi d’en faire la preuve ce qui, forcément, se fait souvent au moyen d’une preuve extrinsèque (Brown, à la rubrique 15:2443; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 128, au paragraphe 99).

[233]   Je vais maintenant examiner l’admissibilité de chacun des affidavits contestés dans le contexte de la jurisprudence applicable.

L’affidavit de M. Krkosek

[234]   M. Krkosek est professeur adjoint d’écologie et de biologie évolutive à l’Université de Toronto. Dans la lettre d’instructions qui lui a été transmise on lui demandait notamment d’évaluer la situation actuelle des populations de saumons du Pacifique sauvages qui fréquentent les territoires de la PNN et, de là, de préparer une analyse de la décision sur la Politique concernant le RVP ainsi que des éléments scientifiques sur lesquels cette décision repose.

[235]   Dans son affidavit, M. Krkosek déclare que ses services ont été retenus par les avocats de la PNN pour évaluer les effets du RVP sur les saumons du Pacifique sauvages et d’écloserie sans soumettre d’abord les poissons à transférer à des tests de dépistage du RVP, ainsi que pour évaluer la Politique concernant le RVP. À cette fin, il a passé en revue la note de service adressée à la DGR, la réponse des Sciences du SCCS de 2015, la réponse rapide des Sciences de mars 2018, des articles scientifiques figurant dans une liste, des informations publiquement disponibles par l’entremise du MPO, de même que de certaines bases de données scientifiques en ligne.

[236]   M. Krkosek conclut que la Politique concernant le RVP aurait dû s’appuyer sur une évaluation de l’effet du RVP sur les saumons sauvages parce qu’une telle politique ne peut s’appuyer sur une évaluation de l’état de santé présumé des saumons d’élevage pour déterminer les risques potentiels auxquels les saumons sauvages sont exposés. La Politique concernant le RVP [traduction] « est plutôt axée de façon illégitime et sans explications sur les risques pour les saumons d’élevage et la santé de ces derniers ». M. Krkosek estime également que les documents inclus dans le dossier soumis à la déléguée étaient incomplets et que des éléments, selon lui essentiels à une évaluation efficace des risques posés par le RVP pour les saumons du Pacifique sauvages, n’y figuraient pas. Plus précisément  : (i) la mesure dans laquelle le RVP peut se propager des fermes salmonicoles au milieu environnant n’était pas abordée; (ii) les effets de l’infection par le RVP sur les composantes écologiques de la valeur adaptative (fitness) des saumons, lesquelles sont les principaux déterminants de la mortalité, de l’échec de migration ou de l’échec de reproduction des saumons sauvages dans leur milieu écologique naturel, n’étaient pas décrits; (iii) l’examen par le MPO des études ayant soumis des poissons sauvages à des tests de dépistage du RVP ne justifie pas sa conclusion puisque les poissons échantillonnés à la fin du parcours migratoire constituent un échantillon biaisé, qui n’engloberait pas les individus infectés éliminés de la population par prédation, famine ou échec migratoire; (iv) la Politique concernant le RVP repose en partie sur la manière dont le ministre interprète l’article 56 du RPDG, une interprétation qui ne tient pas compte de la situation des populations ou des unités de conservation des saumons du Pacifique sauvages qui présenteraient un risque élevé d’infection par suite d’une exposition au RVP provenant de fermes piscicoles (69 populations de saumons du Pacifique sauvages migrent par le territoire de la PNN, ce qui inclut le détroit de Johnstone et l’archipel Broughton, où sont installées plus de 20 fermes piscicoles et un grand nombre de ces populations font l’objet d’une certaine inquiétude sur le plan de la conservation); (v) la dynamique des populations hôtes réservoirs (saumons d’élevage présents dans le milieu marin) qui infectent une population hôte en péril (saumons sauvages) est le plus important facteur de risque par lequel une maladie infectieuse peut entraîner la disparition de populations en voie de disparition. Ces omissions ont pour résultat une sous-estimation inexpliquée des risques pour les saumons sauvages.

[237]   À mon avis, l’affidavit de M. Krkosek ne fournit pas de renseignements généraux utiles. Il ne présente pas de résumé des éléments de preuve soumis au décideur, pas plus qu’il n’aide la Cour à comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire. Il ne s’agit pas d’un énoncé pur et simple, dépourvu d’argumentation, propre à diriger la réflexion. Et bien que le débat scientifique au cœur des présentes demandes soit sans nul doute complexe, il reste que cet affidavit ne passe pas en revue de manière neutre et non controversée les preuves qui ont été soumises à la déléguée. De fait, il présente de nouveaux renseignements, il traite du bien-fondé de l’affaire tranchée par la déléguée, il se livre à une interprétation des preuves et conteste le caractère raisonnable et la validité scientifique de la Politique concernant le RVP et de la décision de procéder à un réexamen.

[238]   De plus, bien que M. Krkosek fasse ressortir ce qu’il considère comme des lacunes dans l’analyse de la déléguée, son affidavit ne permet pas d’établir qu’une conclusion de fait essentielle tirée par la déléguée n’est pas étayée par la preuve. Il présente plutôt son opinion sur les aspects qu’il aurait fallu prendre en considération avant de rendre la décision faisant l’objet du contrôle. J’ai conclu précédemment que la déléguée avait omis de prendre compte un facteur pertinent, à savoir la santé et l’état des saumons sauvages, mais je suis arrivée à cette conclusion sur le fondement du dossier dont disposait la déléguée, et non sur le fondement d’une conclusion de fait importante, non étayée par la preuve, tirée par la déléguée.

[239]   Quant à l’exception relative au but illégitime ou à la mauvaise foi, rien dans l’affidavit de M. Krkosek n’évoque une inconduite ou la mauvaise foi. Bien que ce dernier laisse entendre qu’une méthode d’échantillonnage des poissons employée par le MPO donne un échantillon biaisé, rendant ainsi douteuse la conclusion du MPO fondée sur celui-ci, il s’agit là d’une objection à la méthode suivie, et non d’une allégation de mauvaise foi.

[240]   D’ailleurs, dans les observations écrites qu’elle a présentées en réponse à la requête en radiation, la PNN décrit en ces termes l’affidavit de M. Krkosek : [traduction] « une explication sur la manière dont un processus décisionnel vicié peut influencer un résultat, et la nécessité de le considérer comme tel dans le cadre de la contestation de la demande sur le fond ». À mon avis, cet argument, et d’autres arguments du même ordre, ont tendance à confondre les objectifs des exceptions à la règle générale interdisant l’admission de preuves non soumises au décideur avec une contestation du caractère raisonnable de la décision sur le fond, reposant sur des preuves extrinsèques. La preuve n’est pas admissible à cette dernière fin, et la PNN ne conteste pas le processus décisionnel en tant que tel.

L’affidavit de M. Kibenge

[241]   M. Fred Kibenge est professeur de virologie à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard. On lui a notamment demandé de présenter une analyse de la décision sur la Politique concernant le RVP ainsi que de l’analyse scientifique sur laquelle celle-ci se fonde, en traitant de certaines questions.

[242]   Dans son affidavit, M. Kibenge mentionne que les avocats de la PNN ont retenu ses services pour évaluer les effets potentiels du RVP sur les saumons du Pacifique sauvages et d’écloserie sans soumettre d’abord les poissons à transférer à des tests de dépistage du RVP, ainsi que pour évaluer le raisonnement du MPO qui sous-tend la Politique. À cette fin, il a passé en revue la note de service adressée à la DGR, la réponse des Sciences du SCCS de 2015, la réponse rapide des Sciences de mars 2018, des documents désignés qui ont été transmis par suite de demandes d’AI, soit un échange de courriels entre le DGary Marty, ichtyopathologiste à l’Animal Health Centre (Centre de la santé des animaux) du ministère de l’Agriculture de la Colombie-Britannique, et Mme Morton entre le 24 mai 2016 et le 22 décembre 2016, de même que des articles scientifiques figurant dans une liste. L’affidavit de M. Kibenge compte 218 paragraphes, et 13 pièces y sont jointes.

[243]   M. Kibenge déclare que, selon son jugement professionnel, les documents qui étayent la Politique concernant le RVP déforment à maintes reprises les constats scientifiques, tirent des conclusions injustifiées et s’appuient sur des données recueillies au moyen de méthodes qui s’écartent du consensus scientifique admis. Pour étayer cela, il fait part de ses préoccupations à l’égard de la note de service adressée à la DGR ainsi que de la réponse rapide des Sciences de mars 2018 et il expose ensuite comment, selon lui, le MPO a dénaturé, minimisé ou écarté des constats scientifiques sur six questions recensées.

[244]   En bref, pour ce qui est de la note de service adressée à la DGR, M. Kibenge indique que le MPO, sans explications :

a)         s’est écarté des critères diagnostiques consensuels relatifs à l’IMSC, ce qui lui a permis de prétendre à tort que l’IMSC n’était pas présente en Colombie-Britannique;

b)         s’est fondé sur sa propre incapacité à provoquer expérimentalement l’IMSC chez les poissons à l’étude pour soutenir que le RVP n’est pas pathogène (qu’il ne provoque pas de maladie) chez les saumons du Pacifique, bien que ce virus ait bel et bien provoqué la maladie dans d’autres pays;

c)         a accordé trop de poids aux preuves donnant à penser que le RVP est indigène en la Colombie-Britannique et a minimisé ou écarté des preuves selon lesquelles le RVP a vraisemblablement été importé de la Norvège;

d)         a minimisé ou écarté des preuves selon lesquelles les saumons élevés dans des parcs en filet sont la plus importante source du RVP, présentant plutôt à tort des articles scientifiques comme des preuves que des poissons présents dans des parcs en filet ont été infectés par une source marine du RVP;

e)         s’est fondé sur l’absence de mortalité dans des fermes d’élevage de saumons atlantiques pour conclure que le RVP ne causerait pas de dommages aux saumons du Pacifique sauvages.

[245]   Il formule des critiques semblables sur la réponse rapide des Sciences de mars 2018. Par exemple, il souligne les faits suivants : le MPO a attribué une valeur moindre aux données pathologiques découlant des études canadiennes de provocation par le RVP de la C.-B. afin de considérer celles-ci comme moins sérieuses qu’elles ne le sont probablement, et a évité de conclure que la présence de légères lésions chez des poissons était le signe d’une réaction de l’hôte au RVP, qu’il n’a pas révisé en profondeur la Politique concernant le RVP après que l’étude Wessel 2017 a prouvé sans équivoque l’existence d’un lien de causalité et même si la réponse rapide des Sciences de mars 2018 admet que le RVP est l’agent causal de l’IMSC, qu’il soutient qu’il doit mieux comprendre quelles différences entre les sources, quelles différences entre les hôtes et quels facteurs environnementaux doivent être présents pour que l’IMSC apparaisse, qu’il s’est concentré presque exclusivement sur les cas de mortalité survenus dans des fermes piscicoles pour déterminer le risque pour les poissons sauvages, tout en faisant abstraction d’autres effets nocifs pour la santé ou d’autres différences marquées entre les poissons sauvages et les poissons d’élevage; le MPO n’a pas traité des études Di Cicco 2017 et Di Cicco 2018.

[246]   M. Kibenge consacre le reste de son affidavit à décrire de quelle façon, à son avis, le MPO a dénaturé, minimisé ou écarté des constats scientifiques portant sur six questions :

a)         la présence de l’IMSC dans les fermes piscicoles de la Colombie-Britannique;

b)         le faible taux de mortalité des saumons atlantiques dans les fermes piscicoles de la Colombie-Britannique en tant qu’indicateur de risque pour les saumons du Pacifique sauvages;

c)         la preuve que le RVP est indigène en Colombie-Britannique et que, dans cette province, il est omniprésent et stable;

d)         le fait que les études de provocation du MPO n’ont pas réussi à provoquer l’apparition de l’IMSC à partir du RVP;

e)         la source des infections par le RVP;

f)          le rôle des fermes piscicoles dans l’amplification et la transmission de virus tels que le RVP.

[247]   À mon avis, l’affidavit de M. Kibenge est avant tout une contestation du bien-fondé de la décision sur la Politique concernant le RVP. Il expose son point de vue sur la manière dont le MPO aurait dû interpréter et évaluer les données scientifiques qu’il avait en main, ainsi que sur les autres données scientifiques dont il aurait fallu tenir compte dans le cadre de l’analyse du MPO.

[248]   Je conviens avec les défendeurs que les critiques de M. Kibenge à l’égard des processus décisionnels et scientifiques du MPO ne peuvent être considérés comme des renseignements généraux utiles. Comme dans le cas de l’affidavit de M. Krkosek, son affidavit ne résume ni ne passe pas en revue de manière neutre et non controversée les éléments de preuve dont disposait la déléguée. Ce document n’aide pas non plus la Cour à comprendre les questions pertinentes dans le contexte du contrôle judiciaire. Il ne comporte pas de preuves établissant des lacunes importantes dont on ne saurait établir l’existence à partir du dossier lui-même.

[249]   Rien dans l’affidavit de M. Kibenge n’étaye l’allégation de la PNN selon laquelle la décision d’adopter et de maintenir la Politique concernant le RVP a été prise dans le but de servir de manière illégitime les intérêts de l’industrie aquacole. Il n’établit l’existence d’aucun motif inavoué. Et même si M. Kibenge qualifie les données scientifiques sous-jacentes du MPO et l’évaluation que fait ce dernier d’autres données scientifiques de fausses déclarations, de minimisations et d’omissions, je ne suis pas persuadée que son témoignage établit la mauvaise foi du décideur, de la déléguée ou des scientifiques du MPO qui ont conseillé cette dernière. M. Kibenge emploie plutôt ces termes pour critiquer l’approche scientifique adoptée par le MPO. Cependant, la manière dont le MPO a soupesé ou évalué les éléments scientifiques, ou tout défaut de sa part d’évaluer d’autres données scientifiques, a une incidence sur le fond de la décision, mais elle n’établit pas la mauvaise foi.

L’affidavit de M. Routledge

[250]   M. Richard Routledge est professeur adjoint émérite à l’Université Simon Fraser et titulaire d’un doctorat en écologie statistique. Ses services ont été retenus pour qu’il fasse part de son opinion, et notamment pour qu’il analyse la décision sur la Politique concernant le RVP ainsi que l’analyse scientifique sur laquelle celle-ci repose, en traitant de questions précises. Son affidavit compte 125 paragraphes, et 12 pièces y sont jointes.

[251]   M. Routledge explique que son mandat consistait à évaluer le raisonnement qu’a suivi le MPO pour soutenir sa Politique concernant le RVP. À cette fin, il a passé en revue la note de service adressée à la DGR, la réponse des Sciences du SCCS de 2015, la réponse rapide des Sciences de mars 2018, des documents précis transmis par suite de demandes d’AI, ainsi que des articles scientifiques figurant dans une liste.

[252]   M. Routledge déclare que, selon son jugement professionnel, la Politique concernant le RVP n’est pas justifiable ou défendable du point de vue scientifique. Ses trois éléments clés sont énoncés dans la note de service adressée à la DGR, et il s’agit des suivants : les épreuves de provocation expérimentales exposant des saumons atlantiques et des saumons du Pacifique au RVP de la C.-B. n’ont pas réussi à provoquer des cas de maladie ou de mortalité; l’IMSC est associée à un très faible taux de mortalité dans les fermes piscicoles; le transfert de poissons présentant un faible risque de mortalité ne nuit pas à la protection et à la conservation des poissons au niveau des populations. Il indique que la Politique concernant le RVP continue d’être basée sur ces éléments [traduction] « même s’il n’existe aucun fondement discernable dans les éléments scientifiques, les faits ou la logique que l’on associe à » ce raisonnement.

[253]   M. Routledge indique qu’il ressort des documents qu’il a passés en revue qu’en décidant de ne pas procéder à des tests de dépistage du RVP et en confirmant à maintes reprises cette décision, le ministre, sans donner aucune explication :

a)  s’est fondé sur des données notoirement recueillies par des méthodes lacunaires et fondées dans une large mesure sur un écart inexpliqué par rapport aux normes internationales en matière de diagnostic de l’IMSC;

b)  s’est fondé sur une logique boiteuse pour tirer des conclusions, par exemple en affirmant que les faibles taux de mortalité attribuables à l’IMSC chez les saumons d’élevage amènent à conclure que le RVP ne présente pas de risques pour les saumons du Pacifique sauvages;

c)  a omis à maintes reprises de prendre en compte d’importantes publications scientifiques qui étaient contraires à la Politique concernant le RVP;

d)  a surestimé ou présenté de manière inexacte, à maintes reprises, certaines conclusions relevées dans la littérature scientifique, de telle sorte que l’on a nettement sous-estimé le risque que courent les saumons du Pacifique sauvages, tout en faisant abstraction de l’incertitude scientifique qui y est associée.

[254]   M. Routledge traite de la recommandation formulée dans la note de service adressée à la DGR, soit la poursuite de la Politique concernant le RVP, en faisant référence aux trois motifs justifiant la recommandation, qu’il qualifie de [traduction] « fausse prémisse concernant l’IMSC », de [traduction] « fausse prémisse concernant le RVP » et de [traduction] « fausse prémisse concernant l’équivalence ».

[255]   Quant au fait de s’être fondé sur les expériences canadiennes de provocation qui n’ont pas permis de provoquer de cas de maladie ou de mortalité, cela repose sur des estimations générées à partir du Programme de vérification et de surveillance de la santé des poissons (PVSSP) du MPO, qui, aux dires de M. Routledge, sont peu fiables pour les raisons qu’il indique.

[256]   De plus, dans la réponse des Sciences du SCCS de 2015, le MPO justifie sa conclusion selon laquelle il est peu probable que la présence du RVP chez les saumons d’élevage ait une incidence marquée sur les saumons du Pacifique sauvages en mettant de l’avant le fait que ce virus est omniprésent, qu’il est présent de longue date chez ces derniers et que des expériences de laboratoire ne sont pas parvenues à démontrer l’existence d’une association claire entre le RVP et la maladie. Cependant, aucune de ces conclusions ne constitue un fait scientifique fermement établi, reposant sur des preuves scientifiques convergentes. Le MPO se fie plutôt à quatre documents [traduction] « marginaux » pour justifier ces conclusions et, ce faisant, il omet de traiter de l’incertitude scientifique qui entoure la propagation du RVP en Colombie-Britannique et du risque d’infection chez les saumons du Pacifique sauvages, ou il la minimise. La note de service adressée à la DGR ne remédie pas non plus à ce problème.

[257]   M. Routledge déclare aussi que la Politique concernant le RVP se sert de l’état de santé présumé des saumons d’élevage pour évaluer le risque pour les saumons sauvages en prenant pour base un raisonnement fautif, et que le manque de preuves de la présence de l’IMSC ou de la jaunisse/anémie chez les saumons du Pacifique sauvages ne veut pas dire que le RVP ne présente aucune menace pour leur survie. Cette conclusion fait également abstraction d’un ensemble grandissant de preuves montrant que le RVP ne s’exprime pas de la même manière chez les saumons du Pacifique que chez les saumons atlantiques et que les premiers sont peut-être plus sensibles que les seconds aux risques posés par le RVP.

[258]   De plus, le rapport rapide des Sciences de 2018 fait abstraction de publications selon lesquelles les saumons d’élevage infectés par le RVP peuvent fort bien présenter un risque pour les saumons sauvages sans présenter de signes évidents de maladie. Ce rapport a donc pour effet d’éluder le véritable problème, qui n’est pas de savoir si le RVP peut servir d’indicateur de l’état pathologique d’un saumon atlantique d’élevage, mais si la présence de poissons infectés par le RVP au sein d’une population vaste et dense de saumons atlantiques dans des parcs en filet en mer présente un risque pour la survie et le succès reproductif des saumons du Pacifique sauvages.

[259]   M. Routledge conclut également qu’en mettant à jour la Politique concernant le RVP le MPO a omis de prendre en considération une partie importante de la littérature scientifique pertinente. De plus, la réponse des Sciences du SCCS de 2015, la note de service adressée à la DGR et la réponse rapide des Sciences de mars 2018 brossent un tableau incomplet, sinon trompeur, des preuves qui renforcent rapidement l’idée que les transferts de poissons d’élevage infectés par le RVP en milieu marin présentent un risque considérable pour les salmonidés sauvages du Pacifique, dont un nombre important et grandissant d’unités de conservation courent déjà un risque de disparition imminente.

[260]   Après avoir examiné l’affidavit de M. Routledge, je conclus qu’il repose sur sa compréhension de ce qu’il estime être le raisonnement qui sous-tend la Politique concernant le RVP. Et, à l’instar des affidavits antérieurs, M. Routledge mentionne à maintes reprises que l’on a fourni des motifs insuffisants à l’appui des conclusions du MPO, et il fait part de son opinion sur le poids que le MPO a accordé à certains facteurs. À mon avis, non seulement l’affidavit de M. Routledge traite du bien-fondé du dossier dont était saisie la déléguée, mais en plus il examine et soupèse de nouveau la preuve, il traite d’éléments de preuve qui, selon son auteur, aurait dû être pris en considération par le MPO et il fait état de l’opinion de son auteur sur le caractère suffisant des motifs de la déléguée. En fait, l’affidavit de M. Routledge vise à se mettre à la place de la déléguée et à reformuler la décision comme son auteur l’estime approprié. Cet affidavit traite de plusieurs des questions et préoccupations sur lesquelles portaient les deux affidavits précédents et, pour les mêmes raisons, il n’est admissible en vertu d’aucune des exceptions.

[261]   Bien que j’aie conclu que les affidavits des experts de la PNN ne sont pas admissibles, j’estime néanmoins devoir faire plusieurs autres commentaires sur ces éléments de preuve.

[262]   Tout d’abord, la preuve d’expert que le MPO, Marine Harvest et Cermaq ont produite en réponse traite des éléments scientifiques que remettent en question les experts de la PNN. Cette preuve illustre que le RVP et l’IMSC suscitent un débat, voire un désaccord, sur le plan scientifique. À mon avis, toutefois, le fait que des scientifiques aient des opinions différentes ne permet pas de conclure à de la mauvaise foi. En réalité, même au sein du MPO les scientifiques ne s’entendent pas sur le RVP et l’IMSC. L’étude Di Cicco 2017 et l’étude Di Cicco 2018 ont été réalisées dans le cadre de l’Initiative stratégique visant la santé du saumon (l’ISSS), décrite par le MPO comme un travail de collaboration entre le MPO, la Pacific Salmon Foundation et Genome British Columbia, en vue de mieux comprendre les microbes présents chez les saumons de la Colombie-Britannique ainsi que les mécanismes potentiels d’interaction microbienne entre les saumons sauvages et les saumons d’élevage. Quelques membres de l’ISSS, dont Di Cicco, sont des scientifiques du MPO. Ce débat établit toutefois qu’il est nécessaire de faire preuve d’un surcroît d’attention dans les décisions que l’on prend à propos du RVP et de l’IMSC, relativement aux saumons du Pacifique sauvages.

[263]   Je signale par ailleurs la conclusion qu’a tirée la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Greenpeace Canada c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 114, en ce qui concerne l’application de critères législatifs [au paragraphe 61] :

     Comme le signale le juge Pelletier (tel était alors son titre) dans le passage souvent cité au paragraphe 71 de la décision Inverhuron & District Ratepayers’ Assn. c. Canada (Ministre de l’Environnement), 191 F.T.R. 20, 2000 CanLII 15291 (CF),

la fonction de la Cour dans le contrôle judiciaire [pour ce type de décision] n’est pas d’agir comme une « académie des sciences » ou comme une « Haute assemblée ». Pour chacun des éléments prévus par la loi, la gamme des possibilités de fait est pratiquement illimitée. Peu importe le nombre de scénarios envisagés, il est toujours possible d’en concevoir un autre qui ne l’a pas été. Il est de la nature de la science que des personnes raisonnables puissent être en désaccord sur la pertinence et l’importance. À propos de ces questions, la fonction de la Cour n’est pas d’assurer l’exhaustivité, mais d’évaluer, quant à la forme plutôt qu’au fond, s’il y a eu quelque examen des éléments que l’étude approfondie doit, selon la Loi, prendre en compte. S’il y a eu un certain degré d’examen, il importe peu qu’on ait pu procéder à un examen plus poussé ou de meilleure qualité.

[264]   Et, comme l’a dit la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Delios, lors d’un contrôle judiciaire notre Cour ne peut que contrôler la légalité générale de ce qu’a fait le décideur, et non scruter le bien-fondé de qu’il a fait ou rendre une nouvelle décision à cet égard.

[265]   L’admission des affidavits d’experts de la PNN aurait pour effet de transformer le contrôle judiciaire, qui se veut un processus sommaire, en un nouveau procès sur le bien-fondé des éléments scientifiques, ce qui éloignerait la Cour du rôle qu’elle est censée jouer et la transformerait en une tribune de recherche des faits qui intéressent le fond de l’affaire. Et même si la PNN dépose ses affidavits d’experts sur le fondement des exceptions à la règle interdisant l’admission de preuves non présentées auparavant au décideur, il ne s’agit guère plus, en réalité, que d’une attaque voilée contre des éléments scientifiques qui sous-tendent la décision faisant l’objet du contrôle visant à présenter à la Cour une évaluation de la preuve qui diffère de celle qu’ont effectuée la déléguée et le MPO (Société Canadian Tire, aux paragraphes 11 à 13; Blaney v. British Columbia (Minister of Agriculture, Food and Fisheries), 2005 BCSC 283, 32 Admin. L.R. (4th) 87, au paragraphe 34). Et, en réponse aux affidavits d’experts de la PNN, le ministre a déposé les affidavits de M. Garver et de Mme Hyatt, Marine Harvest a déposé les affidavits d’experts de MM. Siah, Kent et Farrell, et Cermaq a déposé l’affidavit d’expert de M. Noakes. La PNN a ensuite voulu déposer l’affidavit supplémentaire de M. Kibenge, ce qui a amené le ministre à vouloir déposer l’affidavit supplémentaire de M. Garver, lesquels portent tous sur les particularités des éléments scientifiques sous-jacents qui sont contestés. Par ailleurs, il y a eu, sur ces affidavits, des contre-interrogatoires dans le cadre desquels les parties ont une fois de plus scruté et contesté les éléments scientifiques sous-jacents ou la manière dont le MPO les avait traités.

[266]   Et bien que la preuve d’opinion d’un expert dûment qualifié puisse être admissible si elle est pertinente, nécessaire pour aider la Cour et n’est pas assujettie à une règle d’exclusion quelconque, les affidavits d’experts de la PNN qui ont été déposés en l’espèce ne répondent pas à ces exigences. Même s’ils contiennent des renseignements factuels utiles, ces derniers sont à ce point imbriqués dans des preuves d’opinion non nécessaires qu’il est impossible de les dissocier de manière réaliste. En conséquence, compte tenu de toutes ces préoccupations, les affidavits d’experts de la PNN ont été entièrement radiés (Alberta Wilderness Association c. Canada (Environnement), 2009 CF 710, au paragraphe 34). Les preuves d’experts en réponse sont donc inutiles et radiées elles aussi. C’est-à-dire que les affidavits de M. Garver et de Mme Hyatt que le ministre a déposés, les affidavits d’experts de Marine Harvest (MM. Siah, Kent et Farrell), de même que l’affidavit de M. Noakes que Cermaq a déposé, sont tous radiés pour cause d’inadmissibilité. De plus, les requêtes par lesquelles la PNN voulait déposer l’affidavit supplémentaire de M. Kibenge et celles par lesquelles le ministre souhaitait déposer l’affidavit supplémentaire de M. Garver sont rejetées.

[267]   En résumé, les affidavits d’experts de la PNN ne tombent sous le coup d’aucune des exceptions à la règle interdisant l’admission de preuves dont ne disposait pas le décideur et, de ce fait, ils ne sont pas admissibles. Et même s’ils l’étaient à seule fin d’établir la mauvaise foi, après avoir examiné avec soin les affidavits d’experts de la PNN et les autres éléments de preuve, je ne souscris pas au point de vue de la PNN selon lequel ces affidavits d’experts établissent que le MPO a, à maintes reprises, agi de façon incompatible avec le mandat que la loi lui confie et avec une telle indifférence que l’on peut en déduire une absence de bonne foi et présumer de la mauvaise foi. Ces affidavits ne montrent pas non plus que le MPO a agi de manière illégitime en vue de favoriser les intérêts de l’industrie aquacole.

L’affidavit no 1 de M. Drastil

[268]   Won Drastil exerce les fonctions d’adjoint juridique au cabinet d’avocats Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l. (le cabinet « Gowling »), qui représente la PNN. Il déclare que Sean Jones, un associé du cabinet Gowlings et avocat inscrit au dossier pour la PNN, l’a informé ― et il croit sincèrement que tel est le cas ― qu’il avait obtenu des documents en réponse à six demandes d’AI adressées au MPO entre les mois de novembre 2016 et de mai 2017. M. Drastil décrit chaque demande, et les documents reçus en réponse se trouvent dans les pièces « A » à « F » qui sont jointes à son affidavit. M. Drastil déclare aussi que M. Jones l’a informé qu’il avait obtenu les documents supplémentaires joints comme pièce « G ». La source de ces documents n’est pas indiquée. Ils se composent d’échanges par courriel entre Mme Morton et le Dr Gary Marty, ichtyopathologiste principal (Centre de la santé des animaux, ministère de l’Agriculture de la Colombie-Britannique), de la transcription d’un contre-interrogatoire du Dr Marty dans une autre affaire, ainsi que d’une chaîne de courriels entre un expéditeur dont le nom a été expurgé et Mme Morton. De plus, M. Drastil indique que M. Jones l’a informé qu’il a reçu une copie de l’étude Di Cicco 2018, telle que présentée pour publication, et qu’elle est jointe à son affidavit comme pièce « H ». La source qui a transmis ce document n’est pas indiquée. De plus, M. Drastil indique que, le 9 mai 2019, il a récupéré du site Web de la Pacific Salmon Foundation une version finale de ce document, jointe comme pièce « I ».

[269]   À titre préliminaire, il convient de souligner que même si certains des affidavits d’experts de la PNN se fondent en partie sur des documents joints comme pièces à l’affidavit no 1 de M. Drastil, cela n’a pas pour effet de rendre admissible l’affidavit no 1 de M. Drastil ou ces autres affidavits.

[270]   À mon avis, l’affidavit no 1 de M. Drastil ne peut être admis que dans le but restreint d’évaluer les allégations de mauvaise foi ou de fin illégitime formulées par la PNN.

[271]   À cet égard, la PNN affirme que les documents que comportent les pièces jointes à l’affidavit no 1 de M. Drastil prouvent que le [traduction] « MPO a supprimé des preuves concernant la présence de l’IMSC dans des fermes piscicoles de la Colombie-Britannique et que le MPO » ( pages  00874 et 1029), [traduction] « à l’instigation de l’industrie, a supprimé des preuves des dommages causés par le RVP aux saumons du Pacifique, dont le saumon chinook, et ce, dans certains cas, malgré les objections du propre personnel du MPO » (pages 1038 et 1042) et que [traduction] « [d]e façon choquante, ces mêmes documents prouvent également que le rapport des Sciences du SCCS de 2015 était en fait un moyen “d’en appeler” de la décision Morton » (page 1020). De plus, notre Cour a permis que soient admis des documents obtenus en vertu des dispositions législatives en matière d’AI pour les mêmes fins (Azizian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 379 (Azizian), aux paragraphes 13 et 14) et dans les cas où une telle demande était le seul moyen dont disposait la partie concernée pour obtenir de tels documents (South Yukon Forest Corporation c. Canada, 2010 CF 495 (South Yukon), aux paragraphes 30 et 31). Ces documents, préparés dans le cours ordinaire des affaires, sont également admissibles comme pièces commerciales (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Seifert, 2006 CF 270 (Seifert), au paragraphe 13).

[272]   Il convient d’abord de signaler que, après avoir passé en revue les pages précises des documents obtenus par suite de demandes d’AI auxquels la PNN s’est référée à l’appui des affirmations qui précèdent, je ne suis pas convaincue qu’ils peuvent être utilisés à cette fin. La page 1029 est un échange de courriels, qui a eu lieu en juin 2016, au sujet du texte d’un projet de communiqué de presse du MPO. Il y est notamment question d’un désaccord avec l’idée que des chercheurs et des vétérinaires de la Colombie-Britannique mettent au point leur propre série de normes diagnostiques pour l’IMSC (dont des signes cliniques et la mortalité) au lieu de recourir à l’analyse type internationale (analyse histopathologique de la répartition des lésions chez les poissons d’élevage), ainsi qu’un désaccord avec l’ajout du mot [traduction] « potentiel » au diagnostic de l’IMSC. Bien que cet échange de courriels illustre le désaccord qui règne au sein du MPO quant au contenu du communiqué de presse, il ne suffit pas à établir la mauvaise foi.

[273]   La page 1038 est la page de couverture de l’ébauche, datée du 29 juillet 2016, d’un document intitulé « Aquaculture and Disease Related Research (Pacific Region) » (Aquaculture et recherche liée aux maladies (Région du Pacifique)), et la page 1042 de cette ébauche (il n’y a pas de version finale dans les documents que comporte l’affidavit no 1 de M. Drastil) ne confirme pas l’allégation de la PNN. Ce document, qui porte sur un certain nombre de points, dont une étude sur la jaunisse, indique que dans le cadre d’un projet du Programme coopératif de recherche et développement en aquaculture (PCRDA) financé en 2011 le MPO a lancé une étude avec une entreprise appelée Creative Salmon sur le syndrome de la jaunisse, qui avait causé de faibles pertes durant l’hiver dans des fermes d’élevage de saumons chinooks le long de la côte Ouest et dont la cause de la maladie était mal comprise. Sous la rubrique [traduction] « Principaux constats », ce document indique que l’étude a montré que la maladie était de nature probablement infectieuse et d’origine fort probablement virale. Le suivi microbien établissait une association entre la maladie et le RVP, mais il n’était pas conçu pour définir la nature possible de la relation avec le RVP (cause, co-infection opportuniste ou autre) et :

[traduction] Malheureusement, il s’agissait du premier cas de détection déclarée du RVP en Colombie-Britannique, et l’histopathologiste de la province a convaincu l’industrie de ne pas approuver le rapport (après de nombreuses versions) s’il fallait inclure le RVP dans l’analyse. Des parties de cet ensemble de données sont toutefois devenues publiques dans Cohen [expurgé] a communiqué les données à l’ACIA. Depuis ce temps, deux autres études menées dans des fermes norvégiennes sur la truite arc-en-ciel et au Chili sur le saumon coho ont relevé un syndrome s’apparentant à la jaunisse (parfois de pair avec des lésions cardiaques ressemblant à l’IMSC) en association avec le RVP. La jaunisse a également été relevée dans un certain nombre d’échantillons de vérification, et les évaluations préliminaires donnent à penser que dans ces échantillons les charges en RVP sont élevées. Cela étant, l’ISSS a l’intention de ramener sur la table ce projet de recherche, aujourd’hui sous forme manuscrite, et d’en poursuivre la publication.

[274]   Il n’étaye donc pas l’affirmation de la PNN selon laquelle le MPO a [traduction] « supprimé » des preuves concernant la présence de l’IMSC dans des fermes piscicoles. Il y est question du premier cas de détection du RVP en Colombie-Britannique, ainsi que du fait que c’est l’histopathologiste de la province qui a convaincu l’industrie de ne pas approuver le rapport. Il ne s’agit pas d’une preuve que le MPO, à l’instigation de l’industrie, a supprimé des informations. Et, en tout état de cause, l’ensemble de données est devenu public, d’autres études sur le même sujet ont été mentionnées et l’ISSS a commencé à prendre part aux activités.

[275]   Un paragraphe antérieur de l’ébauche de document, où l’on traite du RVP et de l’IMSC, n’étaye pas non plus cette allégation.

[276]   Quant à la révélation [traduction] « choquante » figurant à la page 1020, il s’agit d’une ébauche non datée et visiblement très grossière d’un document intitulé « SSHI Result Communication Plan » (Plan de communication des résultats de l’ISSS). Ce document est farci de commentaires, de changements et de suppressions que fait ressortir la fonction « suivi des modifications » du système de traitement de texte utilisé. La section intitulée [traduction] « Contexte » comporte ce qui suit :

[traduction]

• Tant le ministère fédéral des Pêches et des Océans (MPO) que les entreprises aquacoles ont auparavant nié avec véhémence que l’IMSC était présente dans les fermes piscicoles de la Colombie-Britannique; le pathologiste provincial de la Colombie-Britannique, le Dr Gary Marty, exerce les fonctions de pathologiste principal dans le cadre du programme réglementaire du MPO et au sein de l’industrie

• L’année dernière, dans l’affaire Alexandra Morton, le juge a toutefois décrété que le principe de précaution doit être appliqué dans les fermes piscicoles en ce qui a trait au l’IMSC/RVP

• Le MPO a exprimé son désaccord et porte la décision en appel, notamment au moyen d’un examen mené par le Secrétariat canadien de consultation scientifique (SCCS)

• Huit scientifiques (canadiens et étrangers) conviennent que l’IMSC est présent, dont ceux de l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard (UIPE), le groupe le plus indépendant qui travaille avec M. Miller à l’ISSS

• Il est important de signaler que les scientifiques du MPO qui s’intéressent à la santé des pêches ont injecté des homogénats de l’IMSC provenant de tissus infectés par le RVP chez des saumons du Pacifique (chinooks) et des saumons atlantiques, et n’ont constaté aucune mortalité et la conclusion principale est qu’il n’y a pas eu de mortalité observée ou lésion liée à l’IMSC; le Gary Marty est le pathologiste qui a participé à ces études; les poissons tombent malades, mais se rétablissent ensuite.

 [277]  Il va sans dire que la mention que le MPO et les entreprises aquacoles nient avec véhémence la présence de l’IMSC est directement liée à la décision Morton 2015 (au paragraphe 37), laquelle décision est mentionnée au deuxième point précédé d’une puce. Et il est vrai aussi que le MPO prévoyait porter cette décision en appel et qu’il l’a fait, mais qu’en fin de compte il s’est désisté, comme nous l’avons déjà vu. Par ailleurs, la décision Morton 2015 n’établit pas que le principe de précaution doit être appliqué par les fermes piscicoles ― que ce soit à l’égard du RVP ou de l’IMSC, ou d’une autre façon. Il s’agissait là d’une obligation du MPO. Et si le passage indiquant que le MPO portait également en appel la décision Morton 2015 au moyen d’un examen mené par le SCCS est malheureux, dans le contexte de cette ébauche très préliminaire, il ne s’agit pas d’une preuve de mauvaise foi : un texte mal écrit, certes, mais pas de la mauvaise foi. Dans l’ensemble, peu de poids peut être accordé à cette ébauche, surtout sans une bonne compréhension du contexte, qui n’est pas évident.

[278]   Pour ce qui est de la jurisprudence qu’invoque la PNN, l’affaire Azizian avait trait à la décision par laquelle un agent d’immigration a déclaré un demandeur interdit de territoire au Canada pour des raisons d’ordre médical. Lors du contrôle judiciaire, seul l’un des divers affidavits supplémentaires que les parties souhaitaient déposer a été jugé admissible. Il portait sur une lettre médicale manuscrite indiquant le stade du cancer dont était atteint le demandeur et qui ne figurait ni dans le dossier de demande ni dans le dossier certifié du tribunal. La lettre avait été obtenue par l’ancien avocat du demandeur par suite d’une demande d’AI. Elle a été considérée comme admissible en vertu de l’exception relative à l’équité procédurale. Il s’agissait donc d’un seul document, distinct et crucial, tandis qu’en l’espèce les documents obtenus par suite de demandes d’AI représentent des centaines de pages de sources et d’auteurs divers et ne sont pas des documents qui auraient dû faire partie du DCT. Autrement dit, contrairement à l’affaire Azizian, en l’espèce, il ne s’agit pas d’éléments de preuve cruciaux qui auraient dû être inclus dans le DCT.

[279]   Quant à la décision South Yukon, elle avait trait à un procès, et non à une demande de contrôle judiciaire. La juge Heneghan a fait remarquer que les parties avaient déposé une quantité exceptionnelle de preuves et qu’elle ne ferait pas mention de chacune d’elles, et que ses conclusions s’appuieraient sur les preuves les plus convaincantes. Elle a fait remarquer aussi que bien que la plupart des documents aient été produits dans le cadre des interrogatoires préalables, tel n’était pas le cas de plusieurs des documents les plus pertinents, que la demanderesse avait obtenus au moyen de demandes d’AI. La juge Heneghan a ensuite précisé que, comme elle l’avait signalé précédemment, elle avait passé en revue chacun des éléments de preuve déposés dans le cadre de l’instance. Elle s’est dite convaincue que tous les documents auxquels elle avait fait référence avaient été introduits comme il se devait par des témoins, ou avec le consentement des avocats, et qu’il s’agissait de pièces commerciales décrites à l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. (1985), ch. C-5, ou qu’ils satisfaisaient au critère de la nécessité et de la fiabilité. On ne sait pas clairement à quelle catégorie appartenaient les documents obtenus par suite de demandes d’AI.

[280]   Enfin, la décision Seifert était une décision en matière d’immigration de notre Cour, datée de 2006, dans laquelle il a été conclu que les documents produits dans le cours ordinaire et habituel des activités gouvernementales peuvent être considérés comme des pièces commerciales et être admissibles en vertu de l’article 30 de la Loi sur la preuve au Canada pour établir la véracité de leur contenu. Cependant, la décision indique également que les documents de politique générale, les notes de service et les lettres personnelles ne sont pas le genre de documents qui sont admissibles à ce titre. Compte tenu des observations de la PNN, je ne suis pas persuadée que les documents obtenus par suite de demandes d’AI tombent sous le coup de l’exception relative aux pièces commerciales.

[281]   En résumé, pour ce qui est de l’affidavit no 1 de M. Drastil, les documents obtenus par suite de demandes d’AI peuvent être admis en preuve dans le but restreint d’évaluer l’allégation de mauvaise foi de la PNN. Cependant, leur fiabilité, dans la mesure où s’agit d’ébauches de document et de divers courriels internes et qu’ils forment un dossier incomplet, constitué d’une partie seulement des documents ― représentant plus de 7 000 pages ― qui ont été obtenus à la suite des demandes d’AI, pose problème. En outre, plusieurs des documents sont de source inconnue. Je leur accorde donc peu de poids.

[282]   De plus, après examen de la totalité des documents obtenus par suite de demandes d’AI qui sont joints à l’affidavit no 1 de M. Drastil, on peut raisonnablement dire que, dans ses communications avec le public au sujet de l’IMSC, le MPO a eu tendance à amoindrir l’importance de la découverte et de son effet potentiel. Les documents obtenus par suite de demandes d’AI montrent aussi qu’il y a eu un certain débat et quelques désaccords au sein du MPO, et entre ses scientifiques, à l’égard de certains aspects du RVP et de l’IMSC. Cependant, je ne suis pas convaincue que les documents obtenus par suite de demandes d’AI établissent la mauvaise foi de la déléguée ou du MPO en ce qui concerne les données scientifiques qui sous-tendent la décision de la déléguée.

[283]   Quant aux autres documents joints comme pièces à l’affidavit no 1 de M. Drastil, ils ne sont pas admissibles, car ils ne tombent sous le coup d’aucune des exceptions à la règle générale selon laquelle le dossier de preuve qui est soumis à la cour de révision lors d’un contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur.

L’affidavit du chef Svanvik

[284]   Ainsi qu’il a été mentionné précédemment, Cermaq souhaite aussi faire radier des paragraphes de l’affidavit du chef Svanvik. Après examen de ce document, je conclus que les paragraphes 67 à 73 sont admissibles dans la mesure où ils traitent de la connaissance qu’a le chef Svanvik de la baisse des effectifs de saumons sauvages en montaison dans le territoire que revendique la PNN, soit à titre personnel, soit en s’appuyant sur des données relatives aux échappées de l’écloserie de la rivière Nimpkish. Les paragraphes 93 et 94 sont radiés parce qu’ils ne sont pas pertinents, et le paragraphe 115 est quant à lui radié parce qu’il n’est pas pertinent et qu’il constitue du ouï-dire. Les paragraphes 116 à 137 décrivent les communications de la PNN avec Marine Harvest et le CIT au sujet de l’empoissonnement de l’installation de l’île Swanson et ils sont admissibles. De la même façon, les paragraphes 139 et 140 confirment les communications que la PNN a eues avec le MPO et ils sont admissibles. Le paragraphe 167 fait référence à un rapport intitulé « Reasserting ‘Namgis Food Sovereignty aka “Three Boards and a Pick Up Truck” »; il est inutile et constitue du ouï-dire inadmissible, tout comme le paragraphe 168 connexe. Les paragraphes 169, 172, 174 à 176 sont admissibles, car ils portent sur l’appauvrissement des populations de saumons qui sont nécessaires au régime alimentaire traditionnel de la PNN. Dans le même ordre d’idées, les paragraphes 180 et 181 sont admissibles, car ils concernent l’appauvrissement des populations de saumons et les activités des écloseries de la PNN. Les paragraphes 184 et 185 ne sont pas pertinents et ne sont pas admissibles. Les paragraphes 187 à 193 sont admissibles, car ils traitent du fait que la PNN croit que la réduction des populations de saumons nuit à sa capacité d’exercer ses droits ancestraux ainsi que ceux que lui confère son titre ancestral, ainsi que de son inquiétude à l’égard de l’empoissonnement de l’installation de l’île Swanson sans procéder à des tests de dépistage du RVP. Là où des paragraphes de l’affidavit du chef Svanvik ont été radiés, les pièces liées à ces paragraphes le sont aussi.

[285]   Quant à l’affidavit du chef Svanvik dans son ensemble, il suffit de dire qu’il s’agit d’une preuve incontestée de la diminution des remontes de saumons du Pacifique sauvages dans le territoire que revendique la PNN, ainsi que du fait que la PNN compte sur cette ressource.’

[286]   Avant de clore cette question, il y a deux autres points dont il faut parler brièvement. Premièrement, j’ai traité des affidavits d’experts de la PNN et de l’affidavit no 1 de M. Drastil dans le contexte des arguments relatifs à la mauvaise foi invoqués par la PNN. Cette dernière affirme aussi que l’obligation de consultation est une autre exception à la règle générale interdisant l’admission de preuves non soumises au décideur, en s’appuyant sur la décision Liidlii Kue First Nation c. Canada (Procureur général), 2000 CanLII 15881 (C.F.), au paragraphe 32. Cependant, cette décision a été rendue avant l’arrêt Association des universités et collèges et la jurisprudence ultérieure connexe qui a été analysée dans les présents motifs. Et, en tout état de cause, les affidavits d’experts de la PNN et l’affidavit no 1 de M. Drastil ne sont pas nécessaires pour déterminer s’il existe une obligation de consultation ou pour que la Cour se prononce sur l’allégation de la PNN selon laquelle le ministre a manqué à l’obligation de consultation, un point que j’analyse ci-dessous. Dans ces circonstances, ces documents ne sont pas non plus nécessaires pour déterminer l’étendue de l’obligation de consultation.

b)         La requête déposée par Cermaq en vertu de la règle 312 des Règles ― l’affidavit supplémentaire de M. Da Costa

[287]   Deuxièmement, en ce qui concerne les affidavits d’experts de la PNN, la juge chargée de la gestion de l’instance a refusé d’autoriser Cermaq à déposer l’affidavit supplémentaire souscrit le 17 août 2018 par Golshan Da Costa, adjoint administratif juridique au cabinet d’avocats Fasken Martineau DuMoulin LLP (le cabinet Fasken), qui représente Cermaq dans la présente affaire (l’affidavit supplémentaire de M. Da Costa). La juge chargée de la gestion de l’instance a ordonné à Cermaq de déposer une requête en autorisation à être entendue en même temps que les autres requêtes lors de l’audition des demandes dont il est question en l’espèce. Le 24 août 2018, Cermaq a déposé une requête écrite visant à déposer l’affidavit supplémentaire de M. Da Costa, auquel sont jointes des lettres que se sont échangées les avocats de Cermaq et ceux de la PNN au sujet des interrogatoires préalables de MM. Routledge, Kibenge et Krkosek sur leurs documents de travail, le but étant de les contre-interroger sur leurs rapports d’expert respectifs.

[288]   Le contexte dans lequel s’inscrit la requête est exposé dans les dossiers de requête qu’ont déposés Cermaq et la PNN, tout comme leurs observations écrites respectives. Il est inutile de relater ces informations. Après avoir passé en revue les observations, j’ai conclu que l’affidavit supplémentaire de M. Da Costa est admissible en tant qu’affidavit fournissant des renseignements contextuels généraux, car il décrit l’historique du refus de la PNN de communiquer des documents demandés par Cermaq dans des assignations à comparaître délivrées à chacun des experts de la PNN de même que l’historique procédural entourant la requête. Ce document n’est pertinent que dans la mesure où il établit le refus de la PNN de fournir les documents demandés, ce qui, comme l’a fait remarquer la juge chargée de la gestion de l’instance, ressort clairement de la transcription des contre-interrogatoires. L’affidavit supplémentaire de M. Da Costa satisfait au premier volet de l’analyse relative à l’intérêt de la justice, car Cermaq a déposé ses affidavits en vertu de la règle 306 des Règles avant les contre-interrogatoires et les refus. Sa pertinence se limite au fait que les documents demandés n’ont pas été communiqués et que les déposants n’ont donc pas été contre-interrogés sur les documents qui existent, mais qui n’ont pas été fournis, notamment les ébauches de rapport d’expert. Cependant, ni l’une ni l’autre des parties ne m’a présenté des observations sur le bien-fondé de la demande de communication ou du refus, et l’affidavit supplémentaire de M. Da Costa n’est pas probant à cet égard. Dans le même ordre d’idées, ce document n’est pas non plus préjudiciable, car il était loisible à la PNN de traiter dans ses documents du bien-fondé de la demande.

[289]   Dans l’ensemble, l’affidavit supplémentaire de M. Da Costa est admissible seulement dans le but restreint d’établir que certains des documents demandés n’ont pas été fournis. Cependant, à défaut d’arguments sur la question de savoir s’il était possible de contraindre les témoins à produire ces documents, ou d’une requête de Cermaq visant à ce qu’il soit ordonné de produire les ébauches de rapport d’expert, j’accorde peu de poids à l’affidavit. Quoi qu’il en soit, comme j’ai conclu que les affidavits d’experts de la PNN ne sont pas admissibles, l’issue de cette requête n’a aucune incidence.

B.        La question no 2 : Le ministre a-t-il manqué à l’obligation de consulter la PNN au sujet de la décision sur la Politique concernant le RVP (T-430-18)?

(i)         Le sommaire des thèses des parties

[290]   La PNN soutient que l’obligation de consultation prend naissance quand la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un droit ou d’un titre ancestral revendiqué et qu’elle envisage de prendre des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci; cette obligation ne se limite pas aux décisions ou aux mesures qui ont un effet immédiat sur des terres et des ressources, mais elle s’étend aux décisions stratégiques, prises en haut lieu; par ailleurs, le seuil à atteindre pour que prenne naissance l’obligation est peu élevé. En l’espèce, la Politique concernant le RVP est une décision stratégique prise en haut lieu, le Canada a connaissance des revendications de titre et de droits ancestraux de la PNN, et il existe un lien de causalité entre la Politique concernant le RVP et la possibilité que les mesures prises aient une incidence défavorable sur ce titre et ces droits ancestraux. Malgré cela, aucune consultation n’a eu lieu à propos de la Politique ou du permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson parce que le ministre estimait que cela n’était pas nécessaire. Il s’agit là d’une erreur de droit, susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, qui justifie d’annuler la Politique concernant le RVP.

[291]   À l’inverse, le ministre estime que la Politique concernant le RVP ne déclenche pas l’obligation de consultation parce que la décision la concernant n’a pas d’effets préjudiciables. Subsidiairement, il fait valoir qu’il n’y a pas eu manquement à l’obligation de consultation. Le MPO avait consulté auparavant la PNN à propos des permis d’aquaculture et, à ce moment-là, la PNN avait fait part de ses préoccupations au sujet des effets des fermes piscicoles sur la santé des stocks de saumons sauvages, et le MPO en avait tenu compte.

[292]   Marine Harvest s’en remet au ministre pour ce qui est de la question de savoir s’il existait une obligation de consultation.

[293]   D’après Cermaq, l’interprétation de l’article 56 du RPDG et l’établissement de la Politique concernant le RVP ne donnent pas naissance à l’obligation de consultation. Il s’agit plutôt de règles d’application générale au sujet du transfert de poissons qui s’appliquent sur tout le territoire de la Colombie-Britannique. Ces règles ne créent pas d’effet préjudiciable particulier et appréciable sur la capacité qu’a la PNN d’exercer ses droits ancestraux, et il ne s’agit pas de décisions stratégiques prises en haut lieu. La conduite pertinente de la Couronne qui pourrait avoir une incidence sur les droits ancestraux de la PNN et à laquelle se rattacherait une obligation de consultation quelconque est l’approbation d’un permis d’aquaculture.

(ii)        La norme de contrôle applicable

[294]   Pour ce qui est de la norme de contrôle qui s’applique à l’obligation de consultation, la PNN soutient que l’existence, l’étendue et la teneur de cette obligation sont des questions de droit qui sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511 (Haïda), au paragraphe 61; Première Nation Yellowknives Dene c. Canada (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2015 CAF 148 (Yellowknives). La question de savoir si le Canada s’est bel et bien acquitté de son obligation de consultation est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Beckman c. Première Nation de Little Salmon/Carmacks, 2010 CSC 53, [2010] 3 R.C.S. 103, au paragraphe 39; Haïda, aux paragraphes 43 à 47; Clyde River (Hameau) c. Petroleum Geo-Services Inc., 2017 CSC 40, [2017] 1 R.C.S. 1069, aux paragraphes 47 à 49).

[295]   Le ministre soutient que la norme de contrôle qui permet de déterminer s’il existe une obligation de consultation ou si cette dernière a été déclenchée est celle de la décision correcte, et que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions relatives à l’étendue de l’obligation (Rio Tinto Alcan Inc. c. Conseil tribal Carrier Sekani, 2010 CSC 43, [2010] 2 R.C.S. 650 (Rio Tinto), au paragraphe 64; Haïda, aux paragraphes 60 à 63; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386 (Ktunaxa), au paragraphe 77.

[296]   Je remarque que dans l’arrêt Yellowknives la Cour d’appel fédérale a énoncé les normes de contrôle applicables, qui selon elle concordait avec les arrêts Haïda (aux paragraphes 61 et 62) et Beckman (au paragraphe 48) de la Cour suprême du Canada (voir aussi l’arrêt Ktunaxa, au paragraphe 77). Plus précisément, l’existence et l’étendue ou la teneur de l’obligation de consultation sont des questions de droit susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte, tandis que le caractère suffisant de la consultation est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. J’admets qu’il s’agit là des normes de contrôle applicables.

(iii)       La jurisprudence pertinente

[297]   Pour examiner cette question, il est utile tout d’abord de faire état de la jurisprudence pertinente, que j’appliquerai ensuite aux circonstances factuelles de la présente affaire.

–          L’obligation de consultation est fondée sur le principe de l’honneur de la Couronne. Ce principe découle de l’affirmation de la souveraineté de la Couronne face à l’occupation antérieure des terres par les peuples autochtones. Il a été consacré à l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, qui reconnaît et confirme les droits et les titres ancestraux existants. Un des objectifs du paragraphe 35(1) est la négociation de règlements équitables des revendications autochtones. Dans tous ces rapports avec les peuples autochtones, la Couronne doit agir honorablement, dans le respect de ses relations passées et futures avec les peuples autochtones concernés. Autrement dit, l’article 35 a pour corollaire que la Couronne doit agir honorablement lorsqu’il s’agit de définir les droits garantis par celui-ci et de les concilier avec d’autres droits et intérêts. Cela suppose l’existence d’une obligation de consultation et, lorsqu’indiqué, d’accommodement. Le principe de l’honneur de la Couronne ne peut recevoir une interprétation étroite ou formaliste; au contraire, il convient de lui donner plein effet afin de favoriser le processus de conciliation. Ce que le principe de l’honneur de la Couronne exige varie selon les circonstances (Première Nation Tlingit de Taku River c. Colombie-Britannique (Directeur d’évaluation de projet), 2004 CSC 74, [2004] 3 R.C.S. 550 (Taku River), aux paragraphes 24 et 25; Haïda, aux paragraphes 16 à 18, 20, 25 et 32; Rio Tinto, au paragraphe 32);

–          L’obligation de consultation décrite dans l’arrêt Haïda découle de la nécessité de protéger les intérêts autochtones lorsque des terres ou des ressources font l’objet de revendications ou lorsque la mesure projetée peut empiéter sur un droit ancestral (Rio Tinto, au paragraphe 31); 

–          L’obligation de consultation prend naissance « lorsque la Couronne a connaissance, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle du droit ou titre ancestral revendiqué et envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur celui-ci » (Haïda, au paragraphe 35; Rio Tinto, au paragraphe 3; R. v. Douglas, 2007 BCCA 265, 219 C.C.C. (3d) 115 (Douglas BCCA), au paragraphe 44);

–          Ce critère comporte trois volets :

1)         la connaissance qu’a la Couronne, concrètement ou par imputation, de l’existence potentielle d’un droit ou d’un titre ancestral revendiqué;

2)         la mesure envisagée par la Couronne;

3)         la mesure envisagée est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral.

–          Pour ce qui est du premier volet du critère, pour donner naissance à l’obligation de consultation il faut que la Couronne ait connaissance, concrètement ou par imputation, d’une revendication concernant la ressource ou la terre qui s’y rattache (Haïda, au paragraphe 35). La norme de preuve applicable eu égard à l’honneur de la Couronne, n’est pas stricte. Il y a connaissance réelle lorsqu’une revendication a été formulée dans une instance judiciaire ou lors de négociations, ou lorsqu’un droit issu de traité peut être touché (Première Nation crie Mikisew c. Canada (Ministre du Patrimoine canadien), 2005 CSC 69, [2005] 3 R.C.S. 388, au paragraphe 34). Il y a connaissance par imputation lorsque l’on sait ou que l’on soupçonne raisonnablement que les terres ont été traditionnellement occupées par une collectivité autochtone ou que l’on peut raisonnablement prévoir qu’il y aura une incidence sur des droits. L’existence possible d’une revendication est essentielle, mais il n’est pas nécessaire de prouver que la revendication connaîtra une issue favorable. La revendication doit seulement être crédible (Rio Tinto, au paragraphe 40). Il faut que la revendication ou le droit existe réellement et qu’il risque d’être compromis par la mesure gouvernementale proposée (Rio Tinto, au paragraphe 41);

–          Quant au deuxième volet du critère, pour que naisse l’obligation de consulter, la mesure ou la décision de la Couronne doit mettre en jeu un droit ancestral éventuel. La mesure doit être susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur la revendication ou le droit en question. Une mesure gouvernementale ne s’entend pas uniquement d’une décision ou d’un acte (ou d’une mesure) qui a un effet immédiat sur des terres et des ressources. Un simple risque d’effet préjudiciable suffit. L’obligation de consultation s’étend donc à une « décision stratégique prise en haut lieu » qui est susceptible d’avoir une incidence sur des revendications autochtones et des droits ancestraux (Rio Tinto, aux paragraphes 42 et 44);

–          Le troisième volet de l’obligation de consultation est « la possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral ». Le demandeur doit établir un lien de causalité entre la mesure ou la décision envisagée par le gouvernement et un effet préjudiciable éventuel sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Un acte fautif antérieur, dont un manquement antérieur à l’obligation de consultation, ne suffit pas. Lorsqu’on applique ce volet, il y a lieu d’appliquer une approche généreuse et téléologique, sachant que les actes touchant un titre ancestral ou des droits ancestraux ou issus de traité peuvent avoir des répercussions irréversibles incompatibles avec l’honneur de la Couronne (Haïda, aux paragraphes 27 et 33). Toutefois, de simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. Il doit plutôt y avoir un [traduction] « effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première Nation puisse exercer son droit ancestral » (Douglas BCCA, au paragraphe 44; Première Nation des Hupcasath c. Canada (Affaires étrangères), 2013 CF 900, [2014] 4 R.C.F. 836 (Hupcasath), aux paragraphes 56 et 59). Le préjudice doit toucher l’exercice futur du droit lui-même et non seulement la position de négociation ultérieure d’une Première Nation (Rio Tinto, au paragraphe 46);

–          Les effets préjudiciables comprennent toute répercussion risquant de compromettre une revendication autochtone ou un droit ancestral. Les décisions prises en haut lieu ou les modifications structurelles apportées à la gestion d’une ressource risquent aussi d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral, et ce, même si elles n’ont pas d’effet immédiat sur les terres et les ressources. Toutefois, une atteinte sous-jacente ou continue, même si elle ouvre droit à d’autres recours, ne constitue pas un effet préjudiciable lorsqu’il s’agit de déterminer si une décision gouvernementale particulière emporte l’obligation de consulter. Il faut déterminer si une revendication ou un droit est susceptible d’être compromis par la mesure ou la décision actuelle du gouvernement. L’atteinte antérieure et continue, y compris l’omission de consulter, ne fait naître l’obligation de consulter que si la décision actuelle risque d’avoir un nouvel effet défavorable sur une revendication actuelle ou un droit existant. Pour que naisse une nouvelle obligation de consulter, une mesure envisagée par la Couronne doit mettre en péril une revendication actuelle ou un droit existant (Rio Tinto, aux paragraphes 47 à 49). L’arrêt Haïda fait reposer l’obligation de consultation sur la nécessité de préserver les revendications autochtones et les droits ancestraux jusqu’à ce qu’un règlement intervienne et limite l’objet de la consultation aux seuls effets préjudiciables de la mesure précise projetée par la Couronne ― à l’exclusion des effets préjudiciables globaux du projet dont elle fait partie. La consultation s’intéresse à l’effet de la décision actuellement considérée sur les droits revendiqués (Rio Tinto, aux paragraphes 53 et 54);

–          L’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre en question (Haïda, au paragraphe 39; Taku River, au paragraphe 29). Elle variera selon les circonstances, mais requiert dans tous les cas que la Couronne consulte véritablement et de bonne foi les Autochtones concernés et qu’elle soit disposée à changer ses plans à la lumière des données recueillies au cours du processus (Taku River, au paragraphe 29).

–          À toutes les étapes, les deux parties sont tenues de faire montre de bonne foi. La Couronne doit avoir l’intention de tenir compte réellement des préoccupations des Autochtones à mesure qu’elles sont exprimées dans le cadre d’un véritable processus de consultation. Cependant, il n’y a pas obligation de parvenir à une entente mais plutôt de procéder à de véritables consultations. Quant aux demandeurs autochtones, ils ne doivent pas contrecarrer les efforts déployés de bonne foi par la Couronne et ne devraient pas non plus défendre des thèses déraisonnables pour empêcher le gouvernement de prendre des décisions ou d’agir dans les cas où, malgré une véritable consultation, on ne parvient pas à s’entendre (Haïda, au paragraphe 42; Ktunaxa Nation, au paragraphe 80).

–          L’obligation de consultation se situe à l’intérieur d’un continuum. À une extrémité de ce dernier se trouvent les cas où la revendication de titre est peu solide, le droit ancestral limité ou le risque d’atteinte faible. Dans ces cas, les seules obligations qui pourraient incomber à la Couronne seraient d’aviser les intéressés, de leur communiquer des renseignements et de discuter avec eux des questions soulevées en réponse. À l’autre extrémité du continuum on trouve les cas où la revendication repose sur une preuve à première vue solide, où le droit et l’atteinte potentielle sont d’une haute importance pour les Autochtones et où le risque de préjudice non indemnisable est élevé. Dans de tels cas, il peut s’avérer nécessaire de tenir une consultation approfondie en vue de trouver une solution provisoire acceptable. Cela peut comporter la possibilité de présenter des observations, la participation officielle à la prise de décisions et la présentation de motifs écrits montrant que les préoccupations des Autochtones ont été prises en compte et précisant quelle a été l’incidence de ces préoccupations sur la décision. Entre ces deux extrémités, on rencontre d’autres situations et il est nécessaire de procéder au cas par cas. Il faut également faire preuve de souplesse, car le degré de consultation nécessaire peut varier à mesure que se déroule le processus et que de nouveaux renseignements sont mis au jour (Haïda, aux paragraphes 43 à 45). « La question décisive dans toutes les situations consiste à déterminer ce qui est nécessaire pour préserver l’honneur de la Couronne et pour concilier les intérêts de la Couronne et ceux des Autochtones » (Haïda, au paragraphe 45);

–          S’il ressort des consultations que des changements doivent être apportés à la politique de la Couronne, on a atteint l’étape de l’accommodement. Lorsque la revendication repose sur une preuve à première vue solide et que la décision que le gouvernement entend prendre risque de porter atteinte de manière appréciable aux droits visés par la revendication, l’obligation d’accommodement peut exiger l’adoption de mesures pour éviter un préjudice irréparable ou pour réduire au minimum les conséquences de l’atteinte jusqu’au règlement de la revendication finale. Cependant, ce processus ne donne pas aux groupes autochtones un droit de veto sur les mesures susceptibles d’être prises à l’égard des terres en cause en attendant que la revendication soit établie de façon définitive (Haïda, aux paragraphes 47 et 48). Tout accommodement requis vise à chercher un compromis dans le but d’harmoniser des intérêts opposés et de continuer dans la voie de la réconciliation (Haïda, au paragraphe 49).

(Voir aussi l’arrêt Ktunaxa, aux paragraphes 78 à 83, dans lequel la Cour suprême du Canada a énoncé de nouveau les principes juridiques qui sous-tendent l’obligation de consultation.)

(iv)       Les consultations antérieures du MPO

[298]   Avant d’examiner la question de savoir si l’obligation de consulter s’appliquait à la décision sur la Politique concernant le RVP et, dans l’affirmative, celle de savoir s’il y a eu manquement à cette obligation, il est utile de passer en revue les preuves du MPO sur les consultations et les communications antérieures qu’il a eues avec la PNN au sujet de l’aquaculture, de manière à situer la question dans son juste contexte. Ces informations figurent principalement dans l’affidavit no 2 de M. Thomson ainsi que dans l’affidavit de Todd Allan Johansson, coordonnateur principal de la gestion de l’aquaculture, souscrit le 5 juillet 2018 (l’affidavit de M. Johansson). Le contenu de chacun de ces affidavits est résumé ci-après.

L’affidavit no 2 de M. Thomson

[299]   L’affidavit no 2 de M. Thomson compte 118 pages et 439 paragraphes, et il comporte 97 pièces. Il décrit de manière très détaillée le contexte réglementaire de la gestion de l’aquaculture, le travail qu’accomplit la Direction des sciences, le régime de gestion et d’octroi de permis d’aquaculture établi dans le cadre de la surveillance et de la supervision réglementaire de l’industrie, de même que les consultations que le MPO a menées auprès de la PNN et les engagements qu’il a pris envers elle après la décision Morton 2009, lorsque le MPO a entrepris d’exercer un contrôle réglementaire sur la gestion de l’aquaculture.

[300]   Pour ce qui est des consultations antérieurement menées sur l’aquaculture, M. Thomson mentionne et joint à titre de pièce une ébauche de document intitulée Aquaculture Management Division A Proposed Strategy for Engaging First Nations (Division de la gestion de l’aquaculture – Projet de stratégie pour faire participer les Premières Nations), dont l’objet consiste à décrire un projet de stratégie visant à faire participer les Premières Nations aux décisions prises par le gouvernement fédéral dans le domaine de l’aquaculture en Colombie-Britannique à la suite de la décision Morton 2009 ― plus précisément, pour permettre la participation des Premières Nations au cours de la période de transition (de septembre 2010 à janvier 2011) dans les processus de mise au point d’une ébauche du Règlement du Pacifique sur l’aquaculture (RPA) ainsi que des politiques et des lignes directrices connexes, notamment des plans de gestion intégrée de l’aquaculture (PGIA), ainsi qu’en ce qui concerne la délivrance de permis d’aquaculture fédéraux pour environ 600 installations piscicoles et conchylicoles existantes et de nouvelles installations à l’égard desquelles des demandes avaient été présentées après le mois de décembre 2010, dont des demandes de renouvellement et de modification de permis. L’affidavit de M. Thomson décrit ces démarches en détail, notamment les communications ou les engagements envers la PNN, de même que les engagements pris avec l’Aboriginal Aquaculture Association et le First Nations Fisheries Council of British Columbia.

[301]   M. Thomson décrit également en détail les consultations menées par le MPO avec tous les chefs et conseils des Premières Nations de la Colombie-Britannique sur le nouveau régime fédéral d’octroi de permis d’aquaculture qui allait entrer en vigueur le 18 décembre 2010. Il déclare que ces séances de consultation portaient sur les conditions des permis, ce qui incluait les conditions relatives aux transferts de poissons, à la santé des poissons ainsi qu’à la gestion des parasites et des agents pathogènes, et il décrit la manière dont la PNN y a pris part. Il indique aussi qu’entre 2011 et 2015 le MPO a consulté des Premières Nations, dont la PNN, sur les sites d’élevage de saumons dans leurs territoires respectifs ainsi que sur les conditions de permis annuelles. En 2015–2016, le MPO a également consulté des Premières Nations sur la mise en œuvre de l’octroi de permis pluriannuels dans le domaine de l’aquaculture, et le MPO continue de mener des consultations sur le renouvellement des permis d’aquaculture et les modifications apportées aux permis pour des installations se trouvant dans des territoires revendiqués par des Premières Nations. Cependant,

[traduction]

363.          [à] l’heure actuelle, le MPO ne mène pas de consultations sur les permis d’introduction et de transfert, car les consultations avec les Premières Nations portent sur les décisions relatives à l’octroi de permis d’aquaculture. Ces permis sont délivrés dans la perspective que les poissons seront transférés à destination et en provenance du site dans le cadre d’activités régulières.

[302]   M. Thomson décrit ensuite les consultations qui ont eu lieu sur le Règlement sur les activités d’aquaculture [DORS/2015-177] entre 2010 et 2015, sur les directives en matière d’implantation de sites de 2014 à 2015, sur la mise sur pied de comités consultatifs sur la gestion de l’aquaculture, ainsi que sur d’autres questions.

[303]   M. Thomson déclare que les décisions relatives aux permis de transfert sont de nature opérationnelle, ce qui veut dire qu’elles sont récurrentes et habituellement déléguées à des décideurs qui ont pour tâche de mettre en œuvre des éléments de certains programmes. Le MPO mène habituellement des activités de consultation et de mobilisation auprès des intervenants à une étape antérieure du processus, avant la mise en œuvre opérationnelle. Des centaines de permis de transfert de poissons sont attribués chaque année à la suite de l’examen des recommandations des vétérinaires, des scientifiques et des gestionnaires de l’aquaculture qui composent le CIT.

[304]   Il signale qu’à la suite de la décision Morton 2015, le ministre a modifié les permis d’aquaculture existants de façon à y inclure une condition selon laquelle, à compter de cette date, les titulaires de permis étaient tenus de demander et d’obtenir du CIT une autorisation pour transférer des poissons. Plus récemment, le 4 mai 2018, le MPO a mis en œuvre un nouveau système de transfert de saumons, qui, dit-il, permet au MPO d’améliorer les mécanismes de contrôle existants afin d’éviter tout transfert de maladies de poissons d’élevage à des poissons sauvages, de mieux intégrer les nouveaux constats scientifiques dans les décisions prises, et de mettre plus d’informations à la disposition du public. Le nouveau processus de transfert et les documents connexes ont été transmis aux titulaires de permis de pisciculture marine, aux représentants d’associations industrielles et aux Premières Nations par l’intermédiaire du First Nations Fisheries Council. Pour chaque transfert effectué dans les sites d’élevage de saumons en mer et entre ces derniers, les aquaculteurs sont aujourd’hui tenus de présenter une demande de permis au CIT, de même qu’une version révisée du formulaire de certificat sanitaire, signé par le vétérinaire de l’installation.

[305]   M. Thomson présente aussi l’échéancier des examens actuellement menés par le MPO au sujet de ses activités de gestion liées à la santé des poissons, dont les mises à jour du processus d’autorisation de transfert et du programme de surveillance et de vérification de la santé des poissons. Il consiste notamment à tenir des discussions avec des représentants de l’industrie, des Premières Nations et d’autres intéressés au sujet des recherches sur les agents pathogènes et d’autres questions relatives à la gestion de l’aquaculture, à des dates qu’il reste à déterminer, après l’hiver de 2019, ainsi qu’à effectuer les adaptations nécessaires. Quant aux changements à venir, M. Thomson indique que, dans le cadre de son Programme d’aquaculture durable, le MPO s’est engagé à produire des évaluations de risques environnementaux en vue d’étayer les décisions appuyées par la science qui se rapportent aux activités aquacoles.

L’affidavit de M. Johansson

[306]   Le ministre, lors de l’audition du dossier T-430-18, a passé un temps considérable à passer en revue avec la Cour les 118 paragraphes de l’affidavit de M. Johansson ainsi que les 90 pièces qui y sont jointes. Le résumé suivant de ces informations présente le contexte dans lequel s’inscrit la question des consultations :

[traduction]

2012

- En 2012, le MPO a invité les Premières Nations à participer à une séance de dialogue avec les collectivités au sujet de la mise au point de plans de gestion intégrée de l’aquaculture (PGIA). La PNN a participé à l’une de ces séances, dont les objectifs consistaient à fournir des informations sur les conditions dont étaient assortis les permis de pisciculture. La PNN a par la suite informé le MPO de ses préoccupations au sujet des concessions piscicoles dans l’archipel Broughton, dont la transmission de parasites et de maladies aux saumons sauvages ainsi que la concentration de maladies infectieuses dans les salmonicultures et leur transmission aux saumons sauvages;

- À ce moment, le MPO a également fait part à la PNN de ses projets de renouvellement des permis d’aquaculture et lui a demandé de faire connaître ses préoccupations à l’égard de sites particuliers. Dans sa réponse, la PNN a fait part de son inquiétude au sujet du manque de consultation et a transmis les échanges écrits qu’elle avait eus auparavant avec la province et dans lesquels elle faisait état de ses préoccupations relatives à l’aquaculture. Diverses lettres ont été échangées, dont celle du MPO, datée du 19 octobre 2012, sur le sérieux des revendications et une invitation à la PNN pour qu’elle assiste à une réunion technique avec des experts du MPO en vue de discuter des questions que la Première Nation avait soulevées, notamment, la santé des saumons sauvages et d’élevage. Il ne semble pas que la PNN ait répondu à cette invitation;

- En novembre 2012, le MPO a fait part à la PNN d’informations concernant le renouvellement imminent des permis d’aquaculture, et il lui a aussi offert la possibilité de rencontrer des représentants du Ministère pour parler des stocks de saumons roses et d’autres espèces de saumons. Parmi les pièces jointes à cette lettre figurait un tableau fédéral conjoint des impacts, qui comprenait les réponses du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial aux 49 effets préjudiciables que la Première Nation avait relevés. Quant à la possibilité de transmission de parasites et de maladies aux saumons sauvages, à la concentration, dans les fermes d’élevage de saumons, de maladies infectieuses et au transfert de ces dernières aux saumons sauvages, la réponse du gouvernement indiquait que des plans obligatoires de gestion de la santé des saumons étaient requis en tant que condition à l’octroi d’un permis fédéral et que le MPO continuait de mener des programmes de vérification et de surveillance en vue de contrôler l’état de santé des saumons d’élevage en Colombie-Britannique. Le MPO a indiqué qu’il était prêt à discuter avec la PNN des aspects techniques, des résultats et des renseignements récents sur la question. La PNN a répondu en faisant de nouveau état de ses préoccupations au sujet des activités de consultation et de l’octroi de permis d’aquaculture. Le 28 novembre 2012, le MPO a répondu et a également indiqué que tous les permis d’aquaculture des fermes piscicoles seraient à renouveler le 18 décembre 2012. Le 14 décembre 2012, la PNN a transmis des cartes illustrant les connaissances traditionnelles. Les permis d’aquaculture ont été renouvelés pour un an le 18 décembre 2012;

2013

- Au début de janvier 2013, le MPO a informé la PNN du renouvellement de 2012 et a suggéré de tenir une réunion pour discuter des informations relatives aux utilisations traditionnelles ainsi que de tout autre sujet de préoccupation. En réponse, la PNN a exprimé de nouveau ses préoccupations, notamment en ce qui concerne le processus de consultation ayant précédé le renouvellement des permis et le fait que le MPO ne s’appuyait pas sur les informations relatives aux utilisations traditionnelles à cet égard. Le MPO a expliqué qu’étant donné que les informations n’avaient été reçues que trois jours avant la date d’expiration des permis, il n’avait pas eu assez de temps pour le faire avant que tous les permis viennent à expiration. Diverses lettres ont été échangées et le MPO a procédé à son examen initial des informations relatives aux utilisations traditionnelles;

- En octobre 2013, le MPO a avisé toutes les Premières Nations touchées que les permis d’aquaculture existants expireraient le 18 décembre 2013. Il a aussi informé séparément la PNN de la situation, indiquant qu’il le faisait dans le cadre de ses consultations en cours, et il lui a offert une possibilité de mener d’autres consultations sur les éventuels renouvellements. Le 17 décembre 2013, la veille du jour où les permis d’aquaculture étaient censés expirer, la PNN a écrit au MPO pour faire savoir qu’elle n’avait pas reçu la lettre antérieure du MPO, pour demander la tenue d’une réunion en janvier afin de discuter de ses informations concernant les utilisations traditionnelles et pour demander que les permis ne soient pas renouvelés avant qu’elle ait eu la possibilité d’examiner la lettre du MPO et que des activités sérieuses de consultation et d’accommodement aient eu lieu. Le 18 décembre, le MPO a répondu en disant qu’il était impossible de répondre à si bref avis à la demande de la PNN, que les permis avaient été renouvelés et qu’il était disponible pour rencontrer la PNN en janvier, aux dates qu’elle avait proposées;

2014

- En 2014, le MPO et la PNN ont échangé diverses lettres, qui, en particulier, portaient sur cinq demandes de modification de permis que le MPO avait reçues et qui visaient à augmenter la capacité de production des fermes piscicoles visées. La PNN a fait part de son intérêt à l’égard d’activités de consultation et d’accommodement. Le 14 février 2014, le MPO a informé la PNN qu’il était ouvert à l’idée de se réunir pour discuter des cinq demandes de modification de permis et, comme il l’avait indiqué auparavant, qu’il appliquerait un calendrier décisionnel souple de 60 jours. Le MPO a également répondu à une lettre récente dans laquelle la PNN disait qu’elle attendait encore de recevoir des mesures d’atténuation ou d’accommodement proposées en réponse aux permis d’aquaculture autorisés par le MPO. Ce dernier a renvoyé la PNN à son évaluation du 19 octobre 2012 au sujet du sérieux des revendications ainsi qu’à son opinion selon laquelle il y avait peu de risques que ses décisions relatives aux permis d’aquaculture aient un effet préjudiciable sur les droits ancestraux et issus des traités qu’elle revendiquait, et il a fait savoir que son examen initial des informations sur les utilisations traditionnelles ne changeait pas cette évaluation. Le MPO était donc d’avis qu’il n’était pas justifié de prendre des mesures d’accommodement. Cependant, il était encore prêt à discuter des mesures existantes du programme, comme les conditions de permis, qui pourraient aider à répondre aux préoccupations de la PNN;

- Le 4 mars 2014, la PNN a écrit à Transports Canada, avec copie au MPO, au sujet de l’aquaculture, pour faire état de ses préoccupations et demander des mesures d’accommodement. Le 31 mars 2014, la veille du jour où la période de consultation de 60 jours était censée prendre fin, la PNN a fourni une réponse de 15 pages aux cinq modifications proposées aux permis d’aquaculture des fermes piscicoles. Elle a fait état de ses préoccupations, dont les effets individuels et cumulatifs des hausses de production proposées, et elle a réitéré les préoccupations qu’elle avait exprimées antérieurement à propos de la transmission possible de parasites et de maladies aux saumons sauvages ainsi que du risque d’une concentration de maladies infectieuses. La lettre, pour la première fois, faisait également état de l’inquiétude de la PNN quant à l’absence de tests méthodiques et indépendants de dépistage de maladies chez les saumons d’élevage visant à connaître les effets réels et potentiels de la transmission de maladies sur les saumons sauvages, en faisant référence aux recommandations de la Commission Cohen ainsi qu’à une étude à venir de l’ISSS. La PNN a demandé qu’on l’informe de l’état de cette dernière;

- Dans sa réponse, le MPO a déclaré qu’il procédait à une revue exhaustive des cinq demandes de modification de permis d’aquaculture – ce qui incluait d’éventuelles questions relatives à l’état de santé des poissons – et que, en plus des consultations menées avec la PNN et d’autres Premières Nations, les résultats des revues éclaireraient la décision concernant les modifications. Le MPO a déclaré qu’il demeurait résolu à consulter de manière sérieuse la PNN, signalant ses offres antérieures de rencontre en vue de discuter de questions relatives à l’aquaculture, et qu’il était encore disposé à le faire. Le MPO a également indiqué qu’il avait passé en revue les informations scientifiques disponibles sur l’archipel Broughton et qu’il avait examiné un grand nombre des questions et des préoccupations soulevées à l’égard de l’aquaculture. Il a joint un document contenant un survol de l’avis scientifique éclairant l’approche de gestion du MPO, ainsi qu’un examen des effets précis, dont le transfert de maladies. Le document en question mentionnait le RVP, précisant qu’il n’y avait aucune indication que ce virus était associé à l’IMSC ou avait un lien causal avec cette maladie le long de la côte Ouest de l’Amérique du Nord, mais que, comme le rôle du virus dans l’écosystème aquatique n’était pas bien compris, des scientifiques du MPO et d’autres menaient des études pour mieux comprendre la biologie du RVP chez les saumons sauvages et d’élevage. Une copie du Plan de gestion intégrée de l’aquaculture pour les poissons de mer (PGIA-PM) a également été fournie; celui-ci, a-t-il été décrit, énonçait les priorités de gestion actuelles du MPO en matière d’aquaculture dans la région du Pacifique. Le MPO a également fourni un rapport d’activité sur l’étude de l’ISSS et a offert de tenir une réunion pour faire un survol de ces informations et répondre aux questions que pouvait avoir la PNN. Le MPO a réitéré son opinion selon laquelle les sites aquacoles existants présentaient un faible risque pour les ressources halieutiques locales et, de ce fait, un faible risque pour la capacité de la PNN d’exercer les droits qu’elle revendiquait;

- Le 24 juillet, le MPO a informé la PNN que, suite aux consultations en cours au sujet des demandes de permis d’aquaculture, il avait procédé à une évaluation préliminaire de l’environnement et de la santé des poissons, qu’il joignait à sa lettre. Il a indiqué qu’il était disposé à tenir une réunion pour discuter de n’importe quel aspect de cette évaluation, ou de l’aquaculture, dans le territoire revendiqué par la PNN. Le 28 octobre 2014, le MPO a informé la PNN que 21 permis de pisciculture dans l’archipel Broughton allaient bientôt faire l’objet d’un renouvellement annuel. La PNN a répondu, faisant état une fois de plus de ses préoccupations à l’égard des consultations antérieures, et indiquant qu’aucune mesure d’atténuation ou d’accommodement n’avait été prise malgré les informations sur les utilisations traditionnelles. Les permis d’aquaculture ont été renouvelés le 18 décembre 2014;

2015

- Le 9 janvier, le MPO a informé la PNN de l’existence de deux nouvelles demandes de permis proposées et a indiqué qu’il s’apprêtait à répondre à sa lettre du 5 décembre 2014. Il a proposé de tenir une réunion. Le 13 janvier 2015, le MPO a informé la PNN qu’il envisageait d’octroyer des permis pluriannuels et souhaitait connaître le point de vue des Premières Nations sur la question. Pour ce qui était des nouvelles demandes de permis d’aquaculture, le 19 janvier 2015, la PNN a répondu qu’elle continuait de s’opposer à l’utilisation de fermes d’élevage de poissons dans des parcs en filet, et qu’elle avait soulevé à maintes reprises des préoccupations de nature procédurale et substantielle au sujet des efforts faits antérieurement pour procéder à des consultations sur des sujets semblables. Elle a laissé entendre qu’une tendance commençait à se dégager, à savoir que le MPO continuait d’appuyer aveuglément les fermes d’élevage dans des parcs en filet sans tenir compte des intérêts des Premières Nations. Le 19 janvier 2015, le MPO a répondu à la lettre du 5 décembre 2014 de la PNN, en exposant à nouveau sa position au sujet des risques et des mesures d’accommodement;

- Le 16 février 2015, le MPO a annoncé qu’à l’avenir des permis d’aquaculture pluriannuels seraient octroyés aux aquaculteurs de la Colombie-Britannique. Le 25 février 2015, le MPO a fourni des renseignements à la PNN sur les cinq demandes de modification de permis d’élevage de poissons de mer. Et, le 6 novembre 2015, le MPO l’a informée qu’il avait reçu une autre demande de modification concernant l’une des cinq demandes de modification originales (île Maude), qu’il examinerait les observations antérieures de la PNN à cet égard, que la PNN disposait d’un délai de 60 jours pour répondre à la demande révisée, et qu’il était disposé à parler de l’affaire;

2016

- Le 4 janvier 2016, la PNN a répondu en faisant état de son opposition à la demande modifiée concernant l’installation de l’île Maude, de sa déception vis-à-vis de la tendance qu’avait le MPO à continuer d’approuver un plus grand nombre de fermes piscicoles à parcs en filet dans l’archipel Broughton, région qu’elle considérait comme cruciale pour protéger ses droits de récolte de nourriture traditionnelle, et de sa thèse selon laquelle l’habitat essentiel des saumons sauvages, au site de l’île Maude, devrait être exempt de fermes salmonicoles. De plus, le MPO ne se conformait pas à la recommandation de la Commission Cohen au sujet de la nécessité de mener d’autres études scientifiques destinées à examiner les effets des fermes piscicoles à parcs en filet sur les stocks de saumons sauvages, et la PNN s’est dite en désaccord avec l’opinion du MPO selon laquelle ce type de fermes présentaient un faible risque pour ces stocks. La PNN a déclaré qu’elle continuait de s’opposer à toutes les fermes à parcs en filet, y compris celle faisant l’objet d’une demande à l’île Maude. Le 22 février 2016, le MPO a fait savoir à la PNN que la demande relative à l’installation de l’île Maude avait été approuvée. En 2016, il l’a également informée qu’il allait conclure son examen de l’une des cinq autres demandes de modification originales (baie Wehlis), qui avait été mise en suspens afin que la province puisse mettre à jour sa politique opérationnelle d’utilisation des terres à des fins d’aquaculture et s’entretenir de nouveau avec les Premières Nations à propos de ces demandes; par ailleurs, une autre période de consultation de 60 jours avait été prévue et il invitait la PNN à y répondre;

2017

- Au début de 2017, la PNN a demandé que l’on tienne une réunion de consultation au sujet du renouvellement proposé d’un permis d’aquaculture visant l’empoissonnement en eau douce. Par la suite, elle a demandé que l’on tienne une seconde réunion pour discuter de l’élevage de poissons dans des parcs en filet. Cette réunion a eu lieu le 17 mars 2017, et l’ordre du jour était axé sur les fermes piscicoles et leurs effets sur les stocks de saumons de la rivière Nimpkish et la récolte de nourriture traditionnelle, ainsi que sur la gestion des maladies dans les fermes piscicoles et l’intervention en cas de fuites de contaminants. Le 22 mars 2017, le MPO a fourni à la PNN des exemplaires de deux études récemment publiées, le rapport de Di Cicco de 2017, ainsi qu’un rapport de Martin Krkosek intitulé Population Biology of Infectious Diseases Shared by Wild and Farmed Fish. Par un courriel daté du 15 juin 2017, la PNN a déclaré qu’elle maintenait sa position, soit de ne soutenir aucune activité piscicole dans des parcs en filet;

- Le 11 août 2017, la PNN a envoyé au MPO un courriel pour demander à quel moment le permis d’aquaculture pour l’installation de l’île Swanson allait être renouvelé, et un représentant du MPO (M. Johansson) a répondu qu’il était absent du bureau pendant quelques jours, mais que les informations nécessaires se trouvaient dans le site Web du Ministère. Le 18 septembre 2017, la PNN (le chef Svanvik) a écrit au MPO pour indiquer qu’il était venu à son attention que, pour stocker ou transférer des poissons dans une ferme piscicole à parcs en filet, quelle qu’elle soit, il fallait obtenir un permis du CIT et que ce dernier n’avait jamais consulté les Premières Nations avant d’en délivrer. La PNN a indiqué qu’on ne l’avait jamais consultée sur l’existence de la ferme piscicole à parcs en filet de Marine Harvest, à l’île Swanson, et qu’elle s’opposait à ce qu’on délivre un permis de transfert du CIT pour ce site. Le 4 octobre 2017, le MPO a fourni à la PNN des renseignements sur la performance du milieu benthique à l’installation de l’île Swanson. Elle s’est entretenue par la suite avec le biologiste du MPO qui avait rédigé ces informations et elle a également demandé qu’on la présente à l’équipe de surveillance de la santé des poissons du MPO. Celui-ci a fourni les coordonnées nécessaires. Le 21 novembre 2017, la PNN (le chef Svanvik) a écrit au CIT; elle lui a fait part de sa vive opposition à toute modification de l’article 56 du RPDG qui, notamment, changerait l’application de la décision Morton 2015 à cet article, et elle a fait savoir qu’il fallait la consulter avant d’apporter une modification quelconque à cet article. La lettre disait aussi que la PNN était particulièrement troublée par le fait que le ministre continuait de permettre que l’introduction et le transfert de smolts sans les soumettre à des tests de dépistage du RVP, ce qu’elle considérait comme une mesure illégale. Elle urgeait le MPO à annuler sa décision relative au RVP et de la consulter. Dans une seconde lettre envoyée au coordonnateur du CIT, la PNN a déclaré que la ferme piscicole de l’île Swanson causait des effets très graves ainsi que des atteintes injustifiées à son titre ancestral et à ses droits ancestraux, non cédés et concédés. De plus, la ferme piscicole était exploitée sans le consentement libre, antérieur et éclairé de la Première Nation, les consultations menées jusque-là avaient été entièrement insuffisantes et le Canada avait manqué et continuait de manquer à son obligation de consultation et d’accommodement envers la Première Nation. Cette dernière a déclaré qu’elle craignait particulièrement l’effet du RVP, qui, avait-on démontré, causait l’IMSC. La PNN a déclaré que l’IMSC causait des lésions cardiaques, ce qui faisait qu’il était peu probable que des saumons sauvages atteints de la maladie soient capables de remonter les cours d’eau jusqu’à leurs frayères. La lettre ajoutait que la PNN s’inquiétait vivement du fait que l’IMSC présentait, pour les saumons sauvages, une menace au niveau des espèces. De plus, on soupçonnait également que le RVP avait d’autres effets néfastes sur la santé des saumons sauvages qui pouvaient rendre ces derniers vulnérables aux prédateurs, dont la léthargie et la jaunisse. La PNN a déclaré qu’elle voulait s’assurer que, conformément au principe de précaution, on mettait en place des mesures de protection adéquates pour éviter que le RVP se propage aux saumons sauvages avant que l’on délivre d’autres autorisations de transfert. Elle a parlé également de l’appauvrissement des stocks de saumons sauvages au sein de son territoire et a affirmé que cela faisait partie de l’« état actuel des choses » dont il fallait tenir compte au moment d’évaluer la gravité de tout effet supplémentaire et différentiel que l’exploitation en cours de la ferme piscicole causerait à son titre et à ses droits ancestraux. La PNN a affirmé qu’on ne l’avait consultée au sujet d’aucune autorisation de transfert ou d’aucune évaluation des risques sous-jacente. Elle a ajouté que le CIT devait la consulter d’urgence sur toute demande qu’il recevait, relativement à l’introduction ou au transfert de poissons dans la ferme piscicole;

- Par la suite, il y a eu diverses communications entre la PNN et le MPO au sujet de l’état de toute demande présentée par Marine Harvest en vue d’un transfert de smolts à l’île Swanson. Elle a demandé qu’on la tienne au courant de la situation;

- Le 20 décembre 2017, le MPO a envoyé à la PNN un courriel indiquant que le Ministère procédait à une série d’évaluations scientifiques des risques au sujet des transferts potentiels d’agents pathogènes entre les saumons d’élevage et les stocks sauvages. Ce travail était réalisé par le SCCS et les premiers résultats de l’évaluation du risque de transfert du virus de la nécrose hématopoïétique infectieuse (VNHI) devaient être présentés sur le site Web du MPO à cette date, soit le 20 décembre 2017. Il lui a fourni les liens nécessaires, notamment pour consulter un rapport consultatif des Sciences du SCCS portant le no 2017/18, intitulé « Avis tiré de l’évaluation du risque pour le saumon rouge du fleuve Fraser que représente le transfert du virus de la nécrose hématopoïétique infectieuse à partir des fermes de saumons atlantiques situées dans la région des île Discovery (Colombie-Britannique) », ainsi que d’autres documents portant sur le VNHI;

- En janvier 2018, la PNN a demandé de nouveau que le MPO la tienne au courant de toute demande de permis de transfert de la part de Marine Harvest, et elle a présenté des demandes connexes, auxquelles le MPO a répondu. La PNN a fait remarquer qu’elle avait rencontré des représentants de Marine Harvest en décembre et que ceux-ci l’avaient informée qu’ils prévoyaient empoissonner l’installation en mars ou en avril 2018. Pendant ce temps, la PNN était en communication avec Marine Harvest. Le 13 février 2018, la PNN (le chef Svanvik) a écrit au MPO pour faire savoir que, le 7 février 2018, Marine Harvest l’avait avisée de son intention de transférer des poissons à la ferme piscicole de l’île Swanson vers le 1er avril 2018, mais que le MPO ne l’avait pas informée que Marine Harvest avait demandé et obtenu un permis de transfert. La Première Nation a fait référence à sa lettre du 28 novembre 2017 et elle a fait valoir que les décisions relatives à la délivrance des permis de transfert étaient distinctes des décisions relatives à l’octroi d’un permis d’aquaculture et qu’il était nécessaire de la consulter. Elle a également indiqué qu’elle était d’avis que les permis de transfert délivrés sans tests de dépistage du RVP, ou le fait d’autoriser des transferts de poissons infectés par le RVP, seraient incompatibles avec la décision Morton 2015 et illégaux. La PNN a indiqué que, si le permis de transfert n’avait pas encore été octroyé, elle souhaitait qu’on communique sans délai avec elle en vue d’établir un processus de consultation préalable, qu’on l’informe sans délai du dépôt d’une demande de permis par Marine Harvest et qu’on lui fournisse une copie de telle demande, le cas échéant, et qu’on l’informe de la date prévue du transfert. La Première Nation a également affirmé que la délivrance d’un permis de transfert causerait des dommages irréparables aux saumons sauvages, dont elle dépendait pour exercer ses droits ancestraux et les droits que lui confère son titre ancestral, ainsi qu’aux saumons juvéniles qu’elle libérait de son écloserie chaque année pour préserver ses droits constitutionnellement protégés;

Le 19 février 2018, la PNN s’est informée de nouveau de l’état de toute demande de permis de transfert de Marine Harvest et le MPO lui a une fois de plus dit qu’elle n’avait pas encore reçu de demandes. À la même date, Marine Harvest a répondu à une lettre du 13 février 2018 du chef Svanvik, avec copie au MPO, signalant que les demandes de Marine Harvest en vue de rencontrer la PNN et de trouver un compromis et des solutions au différend entourant la ferme piscicole de l’île Swanson n’avaient pas été acceptées, qu’il n’était plus possible de changer le plan d’empoissonnement à court terme de Marine Harvest parce que, était-il expliqué, ce plan était dicté par la biologie halieutique. Marine Harvest a également fait part de son désaccord à l’égard du point de vue de la Première Nation sur le RVP et sur la légalité de ses activités, et elle a fait remarquer que lors de réunions antérieures la Première Nation avait clairement indiqué qu’elle ne « parlerait pas de science ». Marine Harvest a également fait savoir que les vérifications les plus récentes de l’état de santé des smolts destinés à être transférés avaient été confirmées, c’est-à-dire que les poissons étaient sains et exempts d’agents pathogènes, dont le RVP. Dans une lettre ultérieure destinée à Marine Harvest, la PNN a fait remarquer qu’elle s’opposait depuis toujours à la présence (et à l’exploitation) de la ferme piscicole de l’île Swanson, et elle a fait part de ses préoccupations à cet égard. Elle a demandé qu’on lui communique des renseignements, comme la date à laquelle Marine Harvest avait l’intention de demander un permis de transfert, une copie de cette demande ainsi que des renseignements sur les contrôles les plus récents de l’état de santé des poissons;

- Entre le 26 février et le 1er mars 2018, le MPO et la PNN ont échangé des courriels portant sur la demande prévue de Marine Harvest et sur le processus du CIT, dont le fait que ce dernier avait, comme norme de service, un délai de 10 jours ouvrables pour répondre à une demande de transfert et qu’il avait reçu la demande de Marine Harvest le 28 février 2018. Il était prévu que le CIT effectue son examen avant le 14 mars 2018, et le permis de transfert, s’il était approuvé, serait valide pour une période de 90 jours. Le MPO a indiqué qu’il ferait savoir à la Première Nations quand l’examen serait terminé et s’il entendait délivrer un permis de transfert. De plus, le MPO était en voie de réviser son approche de consultation en matière d’aquaculture, notamment en ce qui concerne les autorisations de transfert;

- La PNN a continué de s’enquérir auprès du MPO de l’état de la demande de transfert. Le MPO a répondu à ces demandes de renseignements et a fait savoir qu’il aviserait la Première Nation dès qu’une décision serait prise. Le 12 mars 2018, la PNN (le chef Svanvik) a écrit au coordonnateur du CIT pour demander qu’une réunion ait lieu cette semaine-là demandant la mise en place d’un processus de consultation de gouvernement à gouvernement concernant la demande de permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson et rappelant sa position quant à la légalité de la délivrance d’un permis de transfert sans tests de dépistage du RVP. Elle a joint à cette lettre son avis de demande de contrôle judiciaire à cet égard et a fait savoir qu’elle avait également déposé une requête en injonction. Une lettre semblable a été adressée aux ministres des Pêches et de la Justice pour demander instamment que le permis de transfert ne soit pas délivré et qu’il y ait plutôt une rencontre avec la PNN. Le 15 mars 2018, l’Union of British Columbia Indian Chiefs a fait parvenir au ministre une lettre appuyant la position de la PNN. Le permis de transfert a été délivré à Marine Harvest le 23 mars 2018, et le MPO en a transmis une copie à la PNN, par courriel.

(v) Analyse

[307]   Dans la présente affaire, les deux premiers volets du critère qui permettent de savoir si une obligation de consultation prend naissance ne suscitent pas de débat. Quant à la connaissance, concrète ou par imputation, que la Couronne pouvait avoir d’une éventuelle revendication autochtone ou de l’existence potentielle de droits ancestraux, il en est question dans l’affidavit de M. Johansson. La pièce K jointe à cet affidavit est une lettre datée du 19 octobre 2012, que M. Johansson a transmise aux avocats qui, à cette époque, représentaient la PNN. Cette lettre répond notamment à la demande de la PNN visant à ce qu’une évaluation de la solidité des revendications soit effectuée. Le MPO fournit une évaluation préliminaire, qui, est-il mentionné, n’est pertinente qu’en ce qui concerne les consultations du MPO avec la PNN au sujet du renouvellement de permis d’aquaculture :

[traduction]

En se fondant sur les sources d’information décrites ci-dessus, le MPO estime de façon préliminaire que la PNN a à première vue une solide revendication concernant un droit ancestral de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles (ASR) au sein du territoire dont elle revendique le titre, ainsi qu’une revendication moins solide ailleurs dans le secteur à l’égard duquel elle revendique des droits. Le MPO estime que les autres droits et titre que revendique la PNN ne sont pas forcément pertinents dans le contexte de ces consultations. Cependant, comme il en est question ci-après, le MPO souhaite recevoir de votre part, dans un avenir rapproché, des informations sur les usages traditionnels spécifiques au site en question, qui serviront à guider les consultations qui se déroulent actuellement avec la PNN ainsi que les décisions que prendra le MPO au sujet de ces permis.

Le MPO a examiné de façon assez détaillée les préoccupations dont la PNN fait état au sujet des permis d’aquaculture […]

Je signalerais que notre évaluation préliminaire des effets possibles sur les droits que revendique la PNN repose en grande partie sur ces préoccupations de nature plus générale. Compte tenu des nombreuses exigences auxquelles sont soumis les pisciculteurs en matière de réglementation et d’octroi de permis ainsi que des études en cours, des activités de contrôle, des inspections réglementaires et d’autres mesures d’atténuation (dont le MPO aimerait discuter plus en détail avec la PNN), le MPO estime à ce stade que le risque d’effets néfastes découlant des permis d’aquaculture sur la capacité de la PNN d’exercer les droits qu’elle revendique est faible. De plus, compte tenu des considérations qui précèdent, le MPO estime de façon préliminaire que la consultation concernant les décisions à venir quant à l’octroi de permis d’aquaculture se situe au centre du continuum de consultation décrit dans l’arrêt Haïda. [Souligné dans l’original.]

[308]   Il est donc évident que la Couronne a connaissance du droit ancestral que revendique la PNN de pêcher à des fins alimentaires, sociales et rituelles au sein du territoire qu’elle revendique.

[309]   Le ministre reconnaît également que l’actuelle Politique concernant le RVP, qui consiste à délivrer des permis de transfert de poissons sans exiger que l’on soumette ces derniers à des tests de dépistage du RVP et de l’IMSC, est une mesure de la Couronne, comme l’envisage le deuxième volet du critère.

[310]   Il ne reste que le troisième volet, soit la question de savoir si la mesure envisagée est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un titre ancestral.

[311]   À titre préliminaire, et avant d’analyser le troisième volet du critère, j’ouvre ici une parenthèse pour signaler que la PNN invoque dans une large mesure les conclusions qu’a tirées le juge Manson lors de l’audition de la requête en injonction, déposée dans le dossier T-430-18, à l’appui de son argument selon lequel le ministre a manqué à l’obligation de consultation. Il importe toutefois d’indiquer que, à part l’affidavit du chef Svanvik, la preuve par affidavit qui a été soumise au juge Manson n’est pas la même que celle dont je suis saisie dans le dossier T-430-18. À cet égard, à l’audition des présentes demandes, la Cour a demandé ― et par une lettre du 14 décembre 2018 les parties ont conjointement fourni ― un tableau qui décrit en quoi les éléments de preuve déposés dans la requête en injonction dans le dossier T-430-18 étaient différents de ceux qui étaient déposés dans les demandes T-430-18 et T-744-18 et qui fait mention des requêtes en radiation connexes. Il n’est nul besoin de s’étendre sur cette question dans les présents motifs, sinon pour signaler que l’affidavit no 2 de M. Thomson et l’affidavit de M. Johansson, qui ont tous deux été analysés plus haut, n’ont pas été soumis au juge Manson. Et, comme nous le verrons aussi plus loin, dans le dossier T-744-18 la PNN souhaitait déposer, comme pièce jointe à un affidavit de Won Drastil, souscrit le 20 avril 2018, les affidavits qui avaient été soumis au juge Manson, mais qui ne figuraient pas par ailleurs dans les dossiers de demande relatifs aux dossiers T-430-18 et T-744-18, dont je suis saisie. Dans le contexte de la requête en injonction, le ministre a exprimé l’avis que par la preuve d’expert sur laquelle la PNN se fondait pour demander un redressement interlocutoire cette dernière cherchait en réalité à invoquer une preuve extrinsèque dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire et que cette preuve était donc inadmissible. Le juge Manson a exprimé son désaccord et a déclaré que, dans la mesure où la PNN souhaitait obtenir une décision sur le caractère raisonnable de la Politique concernant le RVP ou de la décision du ministre de ne pas la consulter, il ne pouvait et ne voulait pas trancher cette question. Il a déclaré qu’il allait déterminer si les preuves dont il disposait étaient ou non favorables à l’octroi de l’injonction demandée. Il a également signalé qu’un redressement interlocutoire n’est pas définitif et qu’il n’usurpe pas le rôle de la Cour pour ce qui est de trancher les questions dont elle est saisie dans le cadre du contrôle judiciaire.

[312]   Le ministre est d’avis que le troisième volet de l’obligation de consultation n’a pas été rempli et que, de ce fait, cette obligation n’a pas pris naissance, car l’effet préjudiciable potentiel qu’allègue la PNN n’est pas un élément nouveau, propre à la décision sur la Politique concernant le RVP. Le ministre soutient que même si la PNN prétend que le transfert de poissons infectés dans des parcs en filet situés dans le territoire qu’elle revendique est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur le titre et les droits qu’elle revendique en propageant un agent pathogène qui cause des dommages aux poissons dont elle dépend pour exercer lesdits droits, la possibilité d’une propagation du RVP n’est pas nouvelle, car ce virus est observé chez des populations de poissons sauvages depuis au moins 1988, et l’exploitation de la ressource à l’installation de l’île Swanson se fait essentiellement de la même manière depuis au moins 2010.

[313]   De plus, le ministre indique que la Politique concernant le RVP du MPO est fondée sur sa conclusion scientifique selon laquelle ce virus n’est pas dommageable pour les poissons. Bien qu’il y ait un risque possible de maladie qui soit associé à la transmission du RVP, le risque que ce virus rende malades les populations de saumons sauvages est très faible. Le ministre soutient que la PNN n’a pas établi que la décision sur la Politique concernant le RVP est susceptible de causer un effet préjudiciable sur sa capacité d’exercer les droits visés à l’article 35 qu’elle revendique. L’argument qu’elle invoque relève plutôt de la conjecture, ce qui n’est pas suffisant pour satisfaire au troisième volet du critère.

[314]   Je traiterai tout d’abord de l’argument du ministre selon lequel il n’y a pas d’obligation de consultation parce qu’il a déjà déterminé que le risque d’effets préjudiciables sur les droits de la PNN par suite de la décision sur la Politique concernant le RVP est faible et que la PNN n’a pas établi l’existence d’un risque nouveau qui nuirait à cette conclusion ou qui justifierait qu’on la révise.

[315]   Dans l’arrêt Rio Tinto, la Cour suprême énonce ce qui suit [aux paragraphes 45 à 47] :

  Le troisième élément requis pour qu’il y ait obligation de consulter est la possibilité que la mesure de la Couronne ait un effet sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Le demandeur doit établir un lien de causalité entre la mesure ou la décision envisagée par le gouvernement et un effet préjudiciable éventuel sur une revendication autochtone ou un droit ancestral. Un acte fautif commis dans le passé, telle l’omission de consulter, ne suffit pas.

  Une approche généreuse et téléologique est aussi de mise à l’égard de ce troisième élément puisque, comme le dit Newman, l’objectif poursuivi est [traduction] « de reconnaître que les actes touchant un titre aborigène ou un droit ancestral non encore établi, ou des droits issus de traités, peuvent avoir des répercussions irréversibles qui sont incompatibles avec l’honneur de la Couronne » (p. 30, citant l’arrêt Nation Haïda, aux par. 27 et 33). Cependant, de simples répercussions hypothétiques ne suffisent pas. Comme il appert de l’arrêt R. c. Douglas, [2007] BCCA 265, 278 D.L.R. (4th) 653, au par. 44, il doit y avoir un [traduction] « effet préjudiciable important sur la possibilité qu’une Première nation puisse exercer son droit ancestral ». Le préjudice doit toucher l’exercice futur du droit lui-même, et non seulement la position de négociation ultérieure de la Première nation.

  L’effet préjudiciable comprend toute répercussion risquant de compromettre une revendication autochtone ou un droit ancestral. Il est souvent de nature physique. Cependant, comme on l’a vu relativement à ce qui constitue une mesure de la Couronne, la décision prise en haut lieu ou la modification structurelle apportée à la gestion de la ressource risque aussi d’avoir un effet préjudiciable sur une revendication autochtone ou un droit ancestral, et ce, même si elle n’a pas d’[traduction] « effet immédiat sur les terres et les ressources »  : Woodward, p. 5–41. La raison en est qu’une telle modification structurelle de la gestion de la ressource peut ouvrir la voie à d’autres décisions ayant un effet préjudiciable direct sur les terres et les ressources. Par exemple, le contrat par lequel la Couronne cède à une partie privée la maîtrise d’une ressource risque de supprimer ou de réduire le pouvoir de la Couronne de faire en sorte que la ressource soit exploitée dans le respect des intérêts autochtones, conformément à l’honneur de la Couronne. Les Autochtones seraient alors dépouillés en tout ou en partie de leur droit constitutionnel de voir leurs intérêts pris en considération dans les décisions de mise en valeur, ce qui constitue un effet préjudiciable : voir l’arrêt Nation Haïda, par. 72–73.

[316]   Ce passage ne semble pas exiger le degré de certitude que suppose la thèse du ministre étant donné que la PNN doit établir qu’il est possible que le RVP ait un effet préjudiciable sur ses droits ancestraux. De plus, bien que le ministre soutienne que le MPO a déterminé, en se fondant sur son évaluation des données scientifiques, que le RVP et l’IMSC présentent un faible risque pour les saumons sauvages et, partant, pour les droits de la PNN, je suis d’avis qu’il ne s’ensuit pas pour autant qu’il s’agit là d’une raison pour refuser de tenir des consultations quand cette évaluation du risque est l’élément qui a donné lieu à la demande de le faire.

[317]   En tout état de cause, j’ai conclu précédemment que l’Interprétation du ministre relative à l’article 56 du RPDG est déraisonnable. Cela s’explique par le fait qu’elle autorise les transferts de poissons porteurs d’un agent pathogène ou de poissons dont la maladie peut causer des dommages pour les saumons du Pacifique sauvages, au niveau des unités de conservation ou des espèces, qu’elle ne prend pas en compte le principe de précaution et qu’elle est incompatible avec ce dernier, et qu’elle ne prend pas non plus en compte la santé des saumons du Pacifique sauvages. Compte tenu de cette conclusion, la décision sur la Politique concernant le RVP sera annulée. C’est donc dire que la question de savoir si le fait de ne pas procéder à des tests de dépistage du RVP ou de l’IMSC peut avoir un effet préjudiciable sur les droits garantis par l’article 35 à la PNN restera ouverte jusqu’à ce que l’on ait réexaminé la Politique. Cependant, vu l’incertitude des données scientifiques concernant le RVP et l’IMSC en ce qui a trait aux saumons du Pacifique sauvages, je ne puis conclure que le risque ou la possibilité qu’il y ait un effet préjudiciable sur les droits que revendique la PNN est de nature purement conjecturale, ainsi que le soutient le ministre. Le fait que le MPO ait réexaminé la Politique concernant le RVP à de nombreuses reprises dénote qu’il est conscient que ce virus peut donner lieu à une possibilité réelle de dommages.

[318]   De plus, les connaissances scientifiques qui entourent le RVP et l’IMSC évoluent rapidement ― comme l’indique également les réexamens de la Politique concernant le RVP à mesure que de nouvelles études sont publiées. Par conséquent, s’il est vrai, comme le soutient le ministre, que la reconnaissance de l’existence du RVP n’est pas nouvelle, cela importe peu. Ce qui importe c’est l’étude Di Cicco 2017, qui diffuse de nouvelles données scientifiques, à savoir que des saumons atlantiques d’élevage échantillonnés dans une ferme piscicole de la Colombie-Britannique étaient atteints de l’IMSC. Ce constat allait à l’encontre des connaissances scientifiques antérieures du MPO, qui reposaient sur une expérience de provocation qui a mené à la conclusion que le RVP de la C.-B. ne causait pas l’apparition de la maladie chez les espèces à l’étude. L’étude Di Cicco 2017 comportait, à cet égard, une nouvelle découverte. Cette dernière étaye l’idée que le RVP est susceptible d’avoir des effets préjudiciables sur les droits ancestraux de la PNN si l’IMSC est transmissible aux saumons du Pacifique sauvages et exerce sur eux des effets différents de ceux qu’elle a sur les saumons d’élevage, une question dont on ne traite pas de manière appropriée dans les données scientifiques qui sous-tendent la décision de la déléguée de maintenir l’application de la Politique concernant le RVP. Je conclus donc que la décision sur la Politique concernant le RVP est susceptible d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux de la PNN.

[319]   Cependant, le ministre soutient également que les préoccupations de la PNN entourant les effets préjudiciables de la transmission possible d’une maladie infectieuse entre les saumons d’élevage et les saumons sauvages ont fait l’objet d’une vaste consultation entre la PNN et le MPO de 2010 à 2015. Le MPO a discuté de ce sujet dans le cadre des consultations qui ont porté sur les décisions qu’il envisageait de prendre quant à l’octroi de permis d’aquaculture. À cette époque, ces permis comportaient des dispositions concernant le transfert de poissons entre les écloseries et le milieu marin. Le MPO avait évalué qu’il y avait un faible risque d’effets préjudiciables et que les nombreuses exigences réglementaires ainsi que celles liées aux permis, imposées aux pisciculteurs, ainsi que les études en cours, les activités de contrôle et les inspections réglementaires réduisaient les risques. Selon la Couronne, en raison de ces mesures, il n’était pas justifié de procéder à d’autres mesures de consultation et d’accommodement.

[320]   Le ministre est donc d’avis qu’il n’y a pas eu dans le passé de manquement à l’obligation de consultation et que, de toute façon, seules les mesures actuelles et à venir de la Couronne peuvent faire l’objet de mesures de consultation et d’accommodement. Les décisions antérieures de la Couronne ne créent pas à elles seules un droit procédural d’être consulté à l’heure actuelle. Comme il a mené des consultations appropriées au moment de la mise au point et de l’application de sa stratégie en matière d’aquaculture, ce qui inclut la mise en œuvre du régime d’octroi de permis d’aquaculture, le MPO n’est pas tenu de consulter chacune des Premières Nations sur toutes les décisions de politique générale concernant l’état de santé des poissons, car ces décisions concordent avec la stratégie en matière d’aquaculture ainsi qu’avec le régime d’octroi de permis d’aquaculture en général. Les projets d’aquaculture dans des parcs en filet sont gérés dans la perspective que les poissons seront transférés dans des parcs en filet. De plus, le simple fait de renouveler un permis existant ne donne pas forcément lieu à une obligation de consultation (Rio Tinto; Première Nation Denesuline de Fond du Lac c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 73, au paragraphe 10; Louis v. British Columbia (Minister of Energy, Mines, and Petroleum Resources), 2013 BCCA 412, 368 D.L.R. (4th) 44, aux paragraphes 76, 79 et 80; West Moberly First Nations v. British Columbia (Chief Inspector of Mines), 2011 BCCA 247, 333 D.L.R. (4th) 31, au paragraphe 119; Peter Ballantyne Cree Nation v. Canada (Attorney General), 2016 SKCA 124, 485 Sask. R. 162, aux paragraphes 72 à 78).

[321]   Il ressort clairement de l’affidavit no 2 de M. Thomson ainsi que de l’affidavit de Johnson que la PNN et d’autres Premières Nations ont été consultées à propos du nouveau régime fédéral d’octroi de permis d’aquaculture qui est entré en vigueur en 2010. Et je signale que des permis d’aquaculture délivrés à l’époque de la transition vers un régime fédéral de réglementation de l’aquaculture ont été contestés, sans succès toutefois, par d’autres Premières Nations en raison d’un manquement à l’obligation de consultation (voir Première nation Kwicksutaineuk Ah-Kwa-Mish c. Canada (Procureur général), 2012 CF 517; Première nation des K’ómoks c. Canada (Procureur général), 2012 CF 1160). Je conviens avec le ministre que même si la Couronne ne s’était pas entièrement acquittée de son obligation de tenir des consultations au sujet du nouveau régime d’octroi de permis d’aquaculture, et je ne tire aucune conclusion à cet égard, ce fait ne déclencherait pas à lui seul une nouvelle obligation de consultation en ce qui a trait à la Politique concernant le RVP et à la délivrance connexe de permis de transfert.

[322]   Cependant, il ressort clairement aussi du résumé qui précède que le ministre a continué de consulter la PNN et d’autres Premières Nations après l’entrée en vigueur du nouveau régime de réglementation. Elles ont notamment été avisées du renouvellement en novembre 2012 des permis d’aquaculture, et des informations leur ont été fournies sur la réponse des gouvernements aux préoccupations soulevées quant aux éventuels effets néfastes, dont la transmission de maladies aux saumons sauvages. Le MPO a également avisé la PNN et d’autres Premières Nations des renouvellements à venir en décembre 2013 et il a indiqué que cela faisait partie des consultations qu’il menait. En 2014, le MPO a fait part à la PNN des modifications envisagées pour les permis d’aquaculture, qui visaient à augmenter la production dans les sites se trouvant dans le territoire qu’elle revendiquait, et il a cherché à discuter avec la PNN de divers sujets, dont les préoccupations relatives à l’état de santé des poissons. En 2015, le MPO a avisé la PNN de deux nouvelles demandes de permis d’aquaculture dans le territoire qu’elle revendiquait et lui a fait savoir qu’il envisageait de délivrer à l’avenir des permis pluriannuels. En 2016, des discussions ont porté sur divers sujets, dont l’opposition de la PNN à la modification proposée du permis d’aquaculture relatif à l’installation de l’île Maude. En 2017, la PNN a demandé la tenue d’une réunion, que le MPO a aidé à organisé, en vue de discuter de la pisciculture dans des parcs en filet, et le MPO a plus tard fourni à la PNN des rapports portant sur les maladies infectieuses chez les poissons.

[323]   Il ressort clairement de la preuve présentée par le MPO que ce dernier a consulté de manière continue la PNN ainsi que d’autres Premières Nations, non seulement au sujet des permis d’aquaculture, mais aussi des questions qui y étaient liées, dont l’état de santé des poissons. De plus, le MPO a systématiquement montré qu’il était disposé à discuter avec la PNN de toute question relative à l’octroi de permis d’aquaculture et à la gestion de ce domaine d’activité qui la préoccupait. L’affidavit no 2 de M. Thomson montre aussi, et sur une base prospective, que le MPO entend discuter de la gestion de la santé des poissons, dont les mises à jour du système d’autorisation des transferts, avec les Premières Nations et d’autres intervenants.

[324]   Il est vrai, comme le soutient le ministre, que les consultations menées en 2012 au sujet de la mise au point et de l’application du régime de réglementation de l’aquaculture et du système d’octroi de permis ont porté de manière générale sur de nombreux aspects de l’aquaculture, dont la santé des poissons. Il est également vrai que le régime met en place de nombreuses mesures qui permettent de contrôler et d’évaluer l’état de santé des poissons d’élevage, comme le décrit en détail l’affidavit no 2 de M. Thomson. Cependant, selon moi, cela ne peut marquer la fin de toute consultation future possible au sujet de l’aquaculture et de la santé des poissons en Colombie-Britannique au titre de l’obligation de consultation. Les communications du MPO et les mesures qu’il a prises après 2012 ne confirment pas non plus qu’il soutient ce point de vue. À presque tous les stades, le MPO a fait part à la PNN des nouveautés concernant l’octroi de permis et il a cherché à discuter avec elle. Il l’a fait à l’égard de questions d’application générale, comme la mise en œuvre de permis d’aquaculture pluriannuels pour tous les aquaculteurs de la Colombie-Britannique, ainsi que de questions liées à l’octroi des permis intéressant directement la PNN. Cette méthode de consultation montre que les circonstances changent et que des enjeux apparaissent et évoluent au fil du temps.

[325]   Le ministre soutient, compte tenu des consultations antérieures, que le MPO n’était pas tenu de consulter chacune des Premières Nations sur toutes les décisions de politique générale portant sur la santé des poissons, étant donné qu’elles étaient conformes à la stratégie en matière d’aquaculture et au régime d’octroi de permis en général (Douglas BCCA, aux paragraphes 43 et 44) et que les projets d’aquaculture dans des parcs en filet sont gérés dans la perspective que les poissons seront transférés dans des parcs en filet. Comme j’ai conclu que l’Interprétation du ministre relative à l’article 56 du RPDG est déraisonnable, il ne m’apparaît pas évident que la politique concernant le RVP et les transferts connexes étaient effectivement compatibles avec la stratégie générale en matière d’aquaculture (R. v. Lefthand, 2007 ABCA 206, 77 Alta. L.R. (4th) 203, au paragraphe 40). Cependant, je conviens avec le ministre que, dans le cours normal des choses, il serait peu pratique que le MPO consulte chacune des Premières Nations à propos de chacune des décisions de politique générale liée à la santé des poissons et chacun des permis de transfert délivrés aux fermes piscicoles qui sont situées dans des territoires revendiqués.

[326]   Cela dit, malgré la pratique qu’a le MPO de procéder à des consultations régulières, il ne semble pas qu’il ait avisé la PNN de la modification qui a été apportée à tous les permis d’aquaculture existants le 8 septembre 2015 ― en réponse à la décision Morton 2015 ― selon laquelle les titulaires de permis d’aquaculture étaient tenus de présenter au CIT une demande d’autorisation distincte pour transférer des poissons, que le CIT ferait ensuite une recommandation à cet égard et que le directeur régional du MPO, à titre de délégué du ministre, déciderait ensuite s’il y avait lieu de délivrer ou non un permis de transfert. Et, comme il a déjà été signalé, il ressort de la preuve présentée par le MPO qu’il ne mène pas de consultations sur les permis de transfert parce que les consultations [traduction] « portent sur les décisions relatives à l’octroi de permis d’aquaculture », lesquels permis sont délivrés dans la perspective que des transferts de poissons auront lieu dans le cadre des activités régulières.

[327]   L’omission d’informer la PNN de la modification de tous les permis d’aquaculture, suivant laquelle il devenait obligatoire d’obtenir une autorisation de permis distincte pour transférer des poissons, était incompatible avec le fait que le MPO avait, comme il a été établi et comme il le reconnaissait lui-même, pour pratique de mener des consultations sur les permis d’aquaculture. En n’observant pas sa pratique habituelle, le MPO s’est privé d’une occasion d’expliquer pourquoi les titulaires de permis d’aquaculture devaient dorénavant demander une autorisation de permis distincte et de répondre aux préoccupations soulevées en rapport avec cette exigence, y compris, de façon générale, aux questions connexes concernant la santé des poissons.

[328]   Par conséquent, même si le MPO n’était pas obligé de mener des consultations sur chaque décision de politique générale concernant la santé des poissons et chaque permis de transfert, de façon plus générale, tout comme le MPO l’a fait dans le cas d’autres modifications apportées aux permis d’aquaculture, il n’aurait pas été trop ardu pour le MPO de traiter des questions relatives à la santé des poissons et au transfert de poissons dans le contexte de la modification des permis et du processus d’autorisation du CIT. Cela aurait donné aux Premières Nations la possibilité de faire état des préoccupations qu’elles pouvaient avoir à cet égard, dont l’application de la Politique concernant le RVP, de même que son fondement.

[329]   De plus, comme il a été reconnu dans le dossier soumis à la déléguée et comme l’illustre la preuve qui m’a été soumise, le RVP et l’IMSC sont des questions scientifiques qui évoluent rapidement. Il n’a pas été question du RVP et de l’IMSC sous cet angle dans les consultations initiales portant sur la santé des poissons.

[330]   À mon avis, en septembre 2017, lorsque la PNN a fait part de son inquiétude à propos de la poursuite des transferts sans que l’on procède à des tests de dépistage du RVP et, en novembre 2017, lorsqu’elle a souhaité que l’on tienne des consultations sur cette question, son opinion étant que les nouvelles données scientifiques établissaient que le RVP causait l’IMSC et risquait d’avoir un nouvel effet défavorable sur ses droits, le MPO, dans le cadre de son processus de consultation continu au sujet de la gestion de l’aquaculture et de l’octroi de permis d’aquaculture, aurait dû répondre à cette préoccupation et en discuter. Dans ces circonstances, la demande de la PNN a fait en sorte que le PMO se devait de lui répondre dans le contexte de son obligation continue de consultation. Et, lorsque le PMO a réexaminé par la suite la Politique concernant le RVP, c’est-à-dire le 28 juin 2018, sans répondre aux préoccupations de la PNN, même à un niveau général, il a manqué à cette obligation.

[331]   Cela dit, je tiens à ce qu’il soit clair que je ne suis pas convaincue, et que je ne conclus pas, que lorsqu’il a interprété l’article 56 et formulé au départ la Politique concernant le RVP, le ministre était tenu de consulter la PNN ou d’autres Premières Nations, pas plus que la décision sur la Politique concernant le RVP était une décision stratégique prise en haut lieu (Fort Nelson First Nation v. British Columbia (Environmental Assessment Office), 2016 BCCA 500, [2017] 4 W.W.R. 422, aux paragraphes 122, 124 et 125; Rio Tinto, au paragraphe 44).

[332]   Je suis également consciente que la décision sur la Politique concernant le RVP porte sur un aspect scientifique bien précis de la santé des poissons. Normalement, des questions aussi étroites ne donneraient vraisemblablement pas naissance à une obligation de consultation. Dans le cas présent, toutefois, la mesure envisagée par la Couronne, soit le maintien de la Politique concernant le RVP, risque d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux que revendique la PNN. Cette dernière a fait part des préoccupations qu’elle avait à l’égard du maintien de la Politique concernant le RVP, en raison de ce qu’elle estimait être des nouvelles données scientifiques qui n’avaient pas fait l’objet des consultations générales antérieures sur la santé des poissons et l’octroi de permis d’aquaculture. De plus, l’Interprétation du ministre, sur laquelle est fondée la décision sur la Politique concernant le RVP, est déraisonnable. Dans ces circonstances factuelles particulières, je suis d’avis, indépendamment de l’opinion actuelle du MPO selon laquelle le risque que pose l’IMSC pour les saumons sauvages est faible, qu’il a été satisfait au troisième volet du critère et que le MPO a reconnu qu’il y avait eu manquement à l’obligation continue de tenir des consultations au sujet de l’octroi de permis d’aquaculture et des activités connexes de gestion de l’aquaculture, relativement à la décision sur la Politique concernant le RVP.

[333]   J’ajouterais que lorsque la PNN a fait état de ses préoccupations en septembre 2017, il aurait peut-être bien suffi que le MPO lui fasse part des informations scientifiques qui sous-tendent la Politique concernant le RVP, et donc le transfert de poissons sans tests de dépistage, et qu’il lui offre d’en discuter, qu’il examine les informations présentées par la PNM et qu’il lui fournisse une réponse les concernant. Cela aurait concordé avec l’approche que suit le MPO à l’égard de consultations permanentes depuis 2010. Toutefois, le MPO ne l’a pas fait, pas plus qu’il n’a entamé des discussions sérieuses avec la PNN au sujet de son réexamen ultérieur de la Politique concernant le RVP. C’est ainsi qu’une question qu’il aurait été possible de régler efficacement dans le cadre d’un processus de consultation et de communication en cours est plutôt devenue l’objet de deux contrôles judiciaires.

[334]   Enfin, j’estime devoir également signaler qu’il ressort également des éléments de preuve susmentionnés que la PNN est fondamentalement opposée à toute activité piscicole dans des parcs en filet à l’intérieur du territoire qu’elle revendique. Cela ressort également des communications qu’elle a eues avec Marine Harvest, lesquelles sont jointes comme pièces à l’affidavit de M. Vincent Erenst, directeur général de Marine Harvest, souscrit le 5 juillet 2018 et déposé dans le dossier T-430-18. Ces communications montrent qu’en réponse aux offres de Marine Harvest de tenir une réunion en vue de discuter de ses activités, la PNN a fait savoir qu’elle n’était pas intéressée à une telle rencontre, sauf pour discuter du retrait des fermes piscicoles à parcs en filet de l’archipel Broughton, et que selon elle il ne devrait y avoir aucune ferme de ce genre dans les habitats des saumons sauvages. La PNN a également exprimé l’avis qu’on ne l’avait jamais consultée à propos de l’installation de l’île Swanson. Je signale que, même si c’était le cas, cela constituerait un manquement antérieur à l’obligation de consultation, ce qui, en soi, ne donne pas naissance à une obligation de consultation. En l’espèce, c’est la mesure gouvernementale actuelle ― le réexamen de la Politique concernant le RVP ― qui donne naissance à un nouvel effet préjudiciable possible sur les droits que garantit l’article 35 à la PNN et, partant, à l’obligation de consultation au sujet de ses préoccupations à cet égard. Cette obligation n’est pas liée à l’existence des fermes piscicoles à parcs en filet de manière générale. Et même si, dorénavant, le MPO tenait des consultations sérieuses, d’ordre général, sur l’application de la Politique concernant le RVP, relativement à l’autorisation et à la délivrance de permis de transfert d’une manière conforme à cette Politique, il pourrait encore, au bout du compte, rester d’avis que le risque pour les droits de la PNN demeure faible et qu’il n’est pas justifié de prendre des mesures d’accommodement si ce n’est pour réduire ce risque grâce à des mécanismes de contrôle réglementaires. Le ministre n’est pas obligé de conclure une entente avec la PNN, et l’obligation de consulter de bonne foi implique une réciprocité.

C.        La question no 3 : La décision de délivrer le permis de transfert à Marine Harvest est-elle raisonnable (T-744-18)?

[335]   Dans le dossier T-744-18, la PNN conteste la décision qu’a prise le ministre, en vertu de l’article 56 du RPDG, de délivrer le 23 mars 2018 à Marine Harvest un permis d’introduction et de transfert de salmonidés (demande no S176). Ce permis autorise cette entreprise, sous réserve de certaines conditions, à transférer jusqu’à un million de smolts de saumon atlantique depuis son écloserie d’Ocean Falls (numéro de référence de l’installation d’aquaculture 1689) à sa ferme piscicole à parcs en filet de l’île Swanson (numéro de référence de l’installation d’aquaculture 456). Il y est indiqué que le permis est valide pour la période du 23 mars 2018 au 21 juin 2018 (le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson). La contestation de la PNN se fonde sur trois arguments : la décision du ministre de délivrer le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson ne respecte pas les alinéas 56b) et c) du RPDG; le ministre a manqué à l’obligation de consultation; et le ministre a manqué à l’obligation d’équité procédurale.

[336]   À titre préliminaire, je signale que, le 12 avril 2018, le ministre a transmis un DCT supplémentaire dans le cadre du dossier T-430-18 (le DCT supplémentaire du dossier T-430-18), soit le dossier certifié du CIT et de la déléguée relatif à la décision du 23 mars 2018 concernant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson. Dans la présente affaire, le ministre indique dans ses observations écrites que le DCT supplémentaire du dossier T-430-18 n’a pas été transmis dans le dossier T-744-18 parce que la PNN avait ce dossier en sa possession et qu’elle n’a pas présenté de demande fondée sur l’article 317 des Règles dans le dossier T-744-18. En conséquence, le DCT supplémentaire du dossier T-430-18 est aussi le DCT du dossier T-744-18.

[337]   De plus, il y a dans la présente affaire deux requêtes en suspens. Cependant, j’ai conclu pour les raisons qui suivent qu’il est possible de régler la demande en question sommairement. Il est donc plus efficace de répondre tout d’abord à la demande et d’examiner ensuite les requêtes.

(i)         Le ministre a-t-il manqué à l’obligation de consultation?

[338]   Comme je l’ai déjà fait observer dans le cadre du dossier T-430-18, l’obligation de consultation à l’égard de la décision sur la Politique concernant le RVP découle de la pratique qu’a le MPO de tenir des consultations continues au sujet des permis et des activités de gestion dans le domaine de l’aquaculture, de la demande de consultations de la PNN au sujet de la santé des poissons fondée sur l’existence de nouveaux constats scientifiques sur le RVP et l’IMSC, du défaut du MPO de répondre à cette demande, ainsi que de son réexamen ultérieur de la Politique concernant le RVP. Cependant, à mon avis, et comme je l’ai déjà mentionné, le ministre n’était pas obligé de tenir des consultations au sujet de chaque permis de transfert. C’est donc dire qu’il n’y a pas eu de manquement à l’obligation de consultation, en ce qui concerne le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson.

(ii)        Le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson a-t-il été délivré en violation de l’article 56 du RPDG?

[339]   Étant donné que les arguments qu’invoque la PNN concernant l’article 56 du RPDG sont dans une large mesure identiques à ceux dont il a été question précédemment dans les dossiers T-1710-16 et T-430-18, dans lesquels j’ai conclu que l’Interprétation du ministre relative à l’article 56 est déraisonnable, et étant donné, de plus, que le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson est expiré, il n’est pas nécessaire que j’en traite plus en détail ici, sinon pour affirmer que le MPO a simplement repris le libellé contesté de la condition 3.1b)(ii) du permis d’aquaculture dont il était question dans la décision Morton 2015, au sujet de l’absence de signes de maladie clinique, dans un nouveau formulaire de certificat sanitaire. À cet égard, je signale qu’il ressort de la preuve présentée par le MPO que le formulaire de certification a été modifié après la délivrance du permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson, qui est contesté. L’élément du formulaire auquel s’oppose plus précisément la PNN, à savoir qu’une partie qui présente une demande de permis de transfert doit certifier que [traduction] « le stock à transférer de l’installation d’origine n’affiche aucun signe de maladie clinique », a été supprimé. À mon avis, compte tenu de ce changement, il n’est pas utile que la Cour contrôle le caractère raisonnable du processus antérieur.

(iii)       Le ministre a-t-il manqué à l’obligation d’équité procédurale?

d)         La norme de contrôle applicable

[340]   Les questions d’équité procédurale sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 R.C.S. 502, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration c. Khosa), 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, au paragraphe 43).

e)         Analyse

[341]   En l’espèce, le manquement à l’équité procédurale reproché découle de la requête en injonction que la PNN a présentée dans le dossier T-430-18 en vue d’empêcher la délivrance du permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson.

[342]   Pour situer le contexte, lorsque la PNN a initialement déposé sa demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-430-18 le 6 mars 2018, elle contestait à la fois la décision sur la Politique concernant le RVP et toute décision prise par le MPO ou la déléguée du ministre, sur le fondement de la Politique, de délivrer des permis de transfert en vertu de l’article 56 du RPDG relativement à l’installation de l’île Swanson. Par la suite, la PNN a demandé l’autorisation de modifier son avis de demande, qui lui a été accordée par la juge chargée de la gestion de l’instance le 4 mai 2018. La PNN a déposé un avis de demande modifié dans le dossier T-430-18 le 7 mai 2018, dans lequel la contestation relative à tout permis de transfert délivré à l’installation de l’île Swanson avait été retirée. Le 20 avril 2018, elle a déposé son avis de demande dans le dossier T-744-18, contestant la décision du 23 mars 2018 relative au permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson. Essentiellement, la PNN a scindé sa cause en deux.

[343]   À l’appui de la demande qu’elle a présentée dans le cadre du dossier T-744-18, la PNN a déposé un affidavit de Won Drastil, adjoint juridique au cabinet d’avocats Gowlings WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l., souscrit le 20 avril 2018 (l’affidavit no 2 de M. Drastil). Étaient joints comme pièces à l’affidavit no 2 de M. Drastil cinq affidavits que la PNN avait déposés à l’appui de sa requête en injonction présentée dans le dossier T-430-18 :

-           un affidavit du chef Don Svanvik, souscrit le 7 mars 2018 (désigné ci-dessus comme étant l’affidavit du chef Svanvik);

-           l’affidavit de M. Fred Kibenge, souscrit le 6 mars 2018;

-           l’affidavit en réponse de M. Fred Kibenge, souscrit le 19 mars 2018 (établi en réponse à un affidavit de Diane Morrison, déposé pour le compte de Marine Harvest);

-           un affidavit de M. Richard Routledge, souscrit le 27 février 2018;

-           un affidavit de M. Martin Krkosek, souscrit le 7 mars 2018.

[344]   Ces affidavits, sauf celui du chef Svanvik, ne sont pas déposés dans la demande de contrôle judiciaire déposée dans le dossier T-430-18, mais, comme il a été mentionné précédemment, d’autres affidavits de ces personnes sont déposés dans ce dossier.

[345]   M. Drastil déclare que, en raison des difficultés que posait la transmission de gros fichiers par voie électronique, la PNN a donné instruction à ses avocats (le cabinet Gowlings) de transmettre, en son nom, des observations et des preuves au CIT portant sur ses préoccupations à l’égard des effets possibles, sur son titre et ses droits ancestraux protégés par la Constitution, d’un transfert de smolts de saumon atlantique à l’installation de l’île Swanson. M. Drastil ne dit pas quand ces instructions ont été reçues.

[346]   M. Drastil déclare également que, le 22 mars 2018, Me Sean Jones, un avocat du cabinet Gowlings, a transmis à l’aide d’un logiciel du cabinet, une lettre d’accompagnement et les affidavits susmentionnés au ministre ainsi qu’au CIT à l’adresse courriel de ce dernier, qui figure sur son site Web (FAMCIT@MPO-mpo.ca). La lettre d’accompagnement du chef Svanvik, jointe comme pièce B à l’affidavit no 2 de M. Drastil, est adressée au ministre, avec copie au CIT. Elle indique que la Couronne est tenue de consulter la PNN avant de délivrer un permis en vertu de l’article 56 du RPDG à l’égard de l’installation aquacole de l’île Swanson, et y sont joints les affidavits déposés dans le cadre de la requête en injonction pour examen par le ministre. Par une lettre portant la même date, et jointe comme pièce C à l’affidavit no 2 de M. Drastil, Me Lisa Nevens, avocate du ministère de la Justice représentant le MPO dans le cadre des présents contrôles judiciaires, a écrit à Me Jones pour signaler que les avocats de la PNN avaient transmis la lettre directement au ministre et pour demander que ces communications, qui semblaient porter expressément sur l’objet du recours que la PNN avait engagé contre le MPO, soient adressées aux avocats plaideurs du MPO.

[347]   L’affidavit no 2 de M. Drastil fait également mention d’une lettre datée du 30 mars 2018, de Me Paul Seaman, du cabinet Gowlings, qui répondait à Me Nevens, et dont copie est jointe à l’affidavit comme pièce D. La lettre indique que la communication du 22 mars 2018 n’était pas une communication entre avocats et représentants du CIT ou du MPO. Au contraire, le cabinet Gowlings transmettait simplement les documents en question, pour le compte de la PNN, au CIT en sa qualité d’organisme de réglementation et en rapport avec la décision, alors en instance, concernant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson. Quant aux demandes de Me Nevens pour que les communications destinées aux avocats du MPO soient transmises sous forme de pièces jointes à un courriel, Me Seaman signale que la PNN n’a pas d’accès direct à un logiciel semblable à celui dont se sert le cabinet Gowlings pour transmettre des renseignements et qu’elle avait simplement utilisé le logiciel spécialisé du cabinet pour s’assurer que le CIT ait en main ses observations et ses éléments de preuve avant la délivrance du permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson.

[348]   L’affidavit no 2 de M. Drastil indique aussi que les avocats du MPO ont joint à un courriel daté du 11 avril 2018 une lettre de M. Postman concernant la transmission du DCT relatif à la décision du 23 mars 2018 du ministre de délivrer un permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson; cette lettre est jointe comme pièce E à cet affidavit. M. Drastil indique qu’il a passé en revue le DCT, mais qu’il n’a pas pu y trouver les documents transmis par Me Jones pour le compte de la PNN le 22 mars 2018. De plus, Me Jones lui a indiqué qu’à l’occasion d’une conférence de gestion d’instance tenue le 12 avril 2018 M. Postman s’est dit d’avis que ces documents ne faisaient pas partie du DCT parce que la PNN n’était pas partie à la décision de délivrer un permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson.

[349]   Je signale ici que, en fait, la pièce E n’est pas jointe à une lettre de M. Postman. Elle est jointe à une lettre de Mme Lauren Lavigne, gestionnaire régionale, Programmes d’aquaculture, Région du Pacifique du MPO, joignant le DCT supplémentaire du dossier T-430-18 et attestant que ce dernier contient des copies des documents qui ont été soumis au CIT et à la déléguée du ministre en rapport avec la décision de délivrer le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson.

[350]   Dans les observations écrites qu’elle a présentées à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-744-18, la PNN affirme qu’elle a fourni des observations [traduction] « au ministre (directement et en son propre nom et non par l’entremise d’avocats). Les avocats du ministre se sont empressés d’intercepter ce document et d’empêcher qu’il soit remis au ministre au motif qu’il devait être transmis aux avocats plaideurs du ministère de la Justice ». La PNN affirme que cette [traduction] « tactique » ne s’accorde pas avec l’honneur de la Couronne et que la réconciliation est vouée à l’échec si les décideurs ne sont pas mis au courant des préoccupations des Autochtones. Étant donné que le ministre n’avait pu recevoir et prendre en considération les observations de la PNN, il n’avait pas correctement cerné la nature de l’obligation de consultation et les exigences même minimales de l’équité procédurale n’avaient pas été remplies, de sorte qu’il ne pouvait être satisfait aux exigences de la norme de la décision correcte qui s’applique à la fois à l’obligation de consultation et à l’équité procédurale.

[351]   À mon avis, cet argument ne peut être retenu. La PNN a veillé à ce que les observations susmentionnées soient préparées et présentées à l’appui de la requête en injonction qu’elle a déposée dans le dossier T-430-18. Cette requête a été entendue les 20 et 21 mars 2018. La décision a été mise en délibéré et rendue le 23 mars 2018. M. Drastil n’indique pas dans son affidavit la date à laquelle la PNN a donné instruction à ses avocats d’envoyer les observations au ministre et au CIT. Cependant, les avocats de la PNM l’ont fait le 22 mars 2018, et rien n’indique ou ne prouve qu’ils n’ont pas transmis les observations en questions dès qu’il leur a été demandé de le faire.

[352]   Tant la PNN que ses avocats savaient que la décision relative à l’injonction était imminente. Ils savaient également que la demande de permis de transfert avait été présentée le 27 février 2018, que l’on s’attendait à ce qu’une décision soit prise à cet égard dans les 10 jours suivant la date de la présentation de la demande et que, si la délivrance du permis n’était pas interdite par la décision relative à l’injonction, il serait délivré aussitôt après. Au bout du compte, le juge Manson a rejeté la requête en injonction, au motif que la prépondérance des inconvénients favorisait Marine Harvest. Il a fait mention de la preuve par affidavit de M. Erenst, directeur général de Marine Harvest, au sujet de la possibilité, à ce stade tardif, qu’un autre site accueille les smolts qui, à ce moment-là, étaient prêts à être transférés à l’installation de l’île Swanson, et des dommages associés à ce scénario. De plus, au sujet de l’impossibilité de préparer un autre site, cette preuve montrait qu’une telle mesure nécessiterait plusieurs semaines et que les smolts étaient déjà prêts et devaient être transférés immédiatement si l’on voulait éviter les effets préjudiciables décrits. Le juge Manson a affirmé que la nécessité de rendre d’urgence une décision était largement attribuable au fait que la PNN avait, de manière inexpliquée, tardé à déposer la requête en injonction. À cet égard, il a signalé que, dans son affidavit, le chef Svanvik avait clairement indiqué que des représentants de la PNN avaient rencontré des représentants de Marine Harvest le 21 décembre 2017 et qu’on leur avait dit que Marine Harvest prévoyait empoissonner l’installation de l’île Swanson en mars ou avril 2018. Cependant, la requête en redressement interlocutoire n’a été déposée que le 9 mars 2018, quelques jours à peine avant la date prévue du début du transfert. À cet égard, le juge Manson a déclaré [aux paragraphes 109 et 110] :

      Bien que je reconnaisse qu’il y a un flagrant manque de consultation de la part du ministre, ce qui porte atteinte aux droits autochtones et à l’intérêt public dans un esprit de réconciliation, je souligne que les groupes autochtones ne doivent pas entraver les tentatives de consultation de bonne foi (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, au paragraphe 42). Marine Harvest a poursuivi le dialogue avec la demanderesse durant tout le processus, à l’exception du refus de communiquer certains renseignements qu’elle avait demandés, notamment la demande de permis de transfert et les méthodes employées pour dépister le RVP. Marine Harvest n’a pas reçu d’avertissement de la requête imminente en redressement interlocutoire. Si la requête avait été déposée peu de temps après la réunion du 21 décembre ou si Marine Harvest avait autrement été informée de la demande d’injonction par la demanderesse, Marine Harvest aurait pu exercer d’autres options pour trouver un emplacement pouvant accueillir les saumoneaux.

      Dans ces circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise Marine Harvest. Donc, l’octroi d’une injonction ne serait ni juste ni équitable vu l’ensemble des circonstances.

[353]   Dans le même ordre d’idées, je suis d’avis que le fait que les preuves étayant la requête en injonction aient été transmises au ministre et au CIT la veille de la décision anticipée sur la requête en injonction ne témoigne pas du souci de la PNN de s’acquitter des responsabilités qui lui incombent dans le cadre du processus réciproque de consultations de bonne foi. Elle aurait pu demander aux avocats du MPO de soumettre les documents au CIT aussitôt qu’ils ont été mis à sa disposition. Il était sûr qu’en recevant des observations aussi volumineuses (environ 1 200 pages) et substantielles la veille de la décision le CIT n’aurait pas le temps de les examiner, car il fallait que la décision concernant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson soit prise sur-le-champ, comme l’illustre la décision du juge Manson. Dans ces circonstances, le défaut du CIT ou du ministre d’examiner les documents n’est pas assimilable à un manquement à l’obligation de consultation ou à un manquement à une obligation d’équité procédurale.

(iv)       La requête du ministre en vue de faire radier l’avis de demande

[354]   Le 24 mai 2018, le ministre a déposé une requête préliminaire dans le but de faire radier l’avis de demande que la PNN a déposé dans le dossier T-744-18. Par une ordonnance datée du 8 juin 2018, la juge chargée de la gestion de l’instance a rejeté cette requête. Devant moi, le ministre, se fondant sur les règles 4 et 221 des Règles, a déposé une nouvelle requête en vue de faire radier l’avis de demande que la PNN a déposée dans le dossier T-744-18 et de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

[355]   Le ministre signale que l’avis de demande de la PNN a été déposé le 20 avril 2018. Il y est allégué que la décision concernant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson n’est pas conforme aux exigences légales de l’article 56 du RPDG. En particulier, l’exigence que comporte le formulaire de certificat sanitaire, à savoir que Marine Harvest certifie que les poissons à transférer ne présentent aucun signe de maladie clinique, est une norme juridique moins stricte que celle établie à l’alinéa 56b) du RPDG. Il est affirmé aussi dans l’avis de demande qu’il y a eu manquement à l’obligation de consultation et manquement aux exigences de l’équité procédurale.

[356]   Quant au formulaire de certificat sanitaire, l’affidavit no 2 de M. Thomson établit que, le 4 mai 2018, le MPO a mis en application un nouveau processus de transfert. Ainsi, le processus de transfert que conteste la PNN n’existe plus. Dans le processus actuel, on utilise un nouveau formulaire de certificat sanitaire, qui remplace le formulaire précédent ayant été utilisé dans le cadre du processus visé par la décision contestée concernant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson. Le nouveau formulaire de certificat sanitaire doit maintenant être rempli par un vétérinaire agréé, il exige des renseignements différents, il établit une nouvelle série de responsabilités pour le vétérinaire et il n’inclut plus l’exigence, contestée par la PNN, qu’une partie demandant un permis de transfert certifie que [traduction] « le stock à transférer de l’installation d’origine n’affiche aucun signe de maladie clinique ». Par ailleurs, le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson a expiré le 21 juin 2018.

[357]   Le ministre affirme qu’il y a lieu de radier la demande de la PNN parce qu’elle est manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie. Les questions que soulève la PNN sont théoriques (les questions relatives au formulaire de certificat sanitaire et au permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson) ou elles relèvent du dossier T-430-18 (l’obligation de consultation et le manquement à l’équité procédurale).

[358]   J’ai également passé en revue les documents déposés par la PNN en réponse à la requête en radiation dans lesquels elle allègue notamment que le nouveau processus applicable aux permis de transfert a été fabriqué de toutes pièces et témoigne d’un mea culpa évident, et que le dossier que la déléguée avait en main lorsque le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson a été délivré portait sur le formulaire de certificat sanitaire antérieur et l’ancien processus, de sorte que le processus révisé date d’après la décision et n’est ni pertinent ni admissible en preuve. La PNM allègue de plus que le ministre tente de masquer l’erreur de droit qui découle du fait de s’être fondé sur le formulaire de certificat sanitaire qui obligeait Marine Harvest à confirmer que les poissons ne montraient aucun signe clinique de maladie, ce qui était contraire aux conclusions tirées par le juge Rennie dans la décision Morton 2015. Par ailleurs, les smolts transférés en vertu du permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson séjourneront dans leurs parcs pendant une période de 19 à 21 mois. C’est donc dire que le fondement factuel du litige demeure pertinent.

[359]   J’ai conclu qu’il y a lieu de rejeter la requête en radiation du ministre parce que, outre les motifs susmentionnés, je ne suis pas convaincue que, dans l’ensemble, la demande répond au critère exigeant qu’elle soit manifestement irrégulière au point de n’avoir aucune chance d’être accueillie (JP Morgan, au paragraphe 47). Cela dit, comme les motifs sur lesquels repose ma décision dans le dossier T-744-18 concordent largement avec les observations du ministre et que, à mon avis, la PNN n’avait aucune raison valable de scinder sa cause en deux et de déposer une seconde demande dans le dossier T-744-18 alors que toutes les questions soulevées auraient pu être et ont été initialement tranchées dans le dossier T-430-18, il convient d’accorder réparation au ministre en lui octroyant les dépens.

(v)        La requête de Marine Harvest en vue de faire radier l’affidavit no 2 de M. Drastil

[360]   Marine Harvest a déposé une requête préliminaire dans le dossier T-744-18 en vue d’obtenir une ordonnance radiant l’affidavit no 2 de M. Drastil, à l’exception de la pièce « E » (soit le DCT supplémentaire du dossier T-430-18). Par son ordonnance du 8 juin 2018, la juge chargée de la gestion de l’instance a rejeté la requête sous réserve de la possibilité pour Marine Harvest de faire radier les éléments de preuve contestés lors de l’audition de la demande de contrôle judiciaire.

[361]   Marine Harvest affirme que la PNN a transmis au CIT l’affidavit no 2 de M. Drastil, de pair avec les affidavits qui y étaient joints et qui ont été décrits plus haut, la veille du jour où la décision relative au permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson a été rendue. Ce faisant, elle contestait à tort le bien-fondé de la décision faisant l’objet du présent contrôle. Il ressort de la preuve que la PNN tente d’amener la Cour à réévaluer les faits dont était saisie la décideure pour faire établir que la décision est erronée. Cette preuve n’est donc pas admissible dans le cadre du contrôle judiciaire. Elle constitue également un abus de procédure, car un demandeur ne peut, dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire en cours, faire parvenir des documents directement à un décideur en sachant qu’une décision est imminente et doit être rendue d’urgence, et présenter ensuite ces documents en preuve en vue de contester la décision ou d’orienter le dossier. La conduite de la PNN est d’autant plus abusive que la décision faisant l’objet du présent contrôle a été l’objet d’une requête en injonction qui a été rejetée, et la PNN tente maintenant de contourner l’effet de cette décision défavorable. Admettre l’affidavit no 2 de M. Drastil reviendrait à fermer les yeux sur cette conduite.

[362]   En réponse, la PNN invoque divers arguments, dont celui que la preuve contestée ne vise pas à attaquer le bien-fondé de la décision faisant l’objet du présent contrôle, mais qu’elle vise plutôt, à bon droit, à étayer son allégation portant sur l’existence d’une obligation de consultation et son étendue. Cela étant, cette preuve bénéficie des exceptions ― relatives à l’équité procédurale et à l’obligation de consultation ― à la règle de l’inadmissibilité des documents qui ne faisaient pas partie du dossier dont disposait le décideur. De plus, dans son argument portant sur l’abus de procédure, Marine Harvest n’explique pas pourquoi il aurait fallu priver la PNN de la possibilité de même tenter de présenter des observations ou de quelle façon elle cherchait à contourner le dossier, étant donné que le juge Manson n’avait pas rendu sa décision au moment où les documents ont été présentés. De plus, la présentation d’observations n’est assujettie à aucune règle particulière, et, en l’absence de jurisprudence ou d’éléments de preuve à l’appui, l’allégation de préjudice ne peut être maintenue.

À mon avis, compte tenu des motifs que j’ai énoncés précédemment, le corps de l’affidavit no 2 de M. Drastil, la lettre d’accompagnement qui fait partie de la pièce B, ainsi que les pièces C et D ne sont admissibles que pour établir les faits entourant l’envoi des documents au ministre et au CIT, et pour permettre à la Cour d’évaluer l’allégation de manquement à l’équité procédurale à cet égard. Le reste de la pièce B, à laquelle sont joints les cinq affidavits relatifs à l’injonction, est inadmissible parce que ces documents n’avaient pas été soumis à la déléguée lorsque celle-ci a délivré le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson et ils ne sont pas par ailleurs admissibles. En conséquence, la requête de Marine Harvest est accueillie en partie.

D.        La question no 4 : Les mesures de réparation

(i)         Le dossier T-1710-16

[363]   Dans le dossier T-1710-16, Mme Morton sollicite, à titre de mesure de réparation, une ordonnance déclarant que la Politique concernant le RVP est illégale, une ordonnance enjoignant au ministre d’exiger la tenue de tests de dépistage du RVP dans le cadre du processus de demande de permis de transfert de poissons, une ordonnance interdisant le transfert des saumons infectés par le RVP, une ordonnance concernant les dépens, et une ordonnance déclarant qu’elle ne peut être condamner à payer les dépens des défendeurs si la demande est rejetée.

[364]   Comme j’ai conclu que la décision sur la Politique concernant le RVP est déraisonnable, il y a lieu d’annuler la décision du 28 juin 2018 que la déléguée a rendue au sujet de la Politique concernant le RVP, qui maintient l’application de cette politique, et d’exiger que le ministre ou sa déléguée prenne les présents motifs en considération au moment de réexaminer la Politique. Cependant, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu d’accorder l’ordonnance déclaratoire demandée. Mme Morton soutient que cette mesure de réparation est nécessaire parce que, sans elle, il y a un risque que le ministre adopte encore une fois une nouvelle politique concernant le RVP légèrement modifiée, mais toujours illégale, ce qui entraînerait des litiges supplémentaires.

[365]   La raison pour laquelle j’ai conclu que la décision sur la Politique concernant le RVP est déraisonnable est que l’Interprétation du ministre relative à l’article 56 du RPDG est déraisonnable et que la décision sur la Politique concernant le RVP déroge au principe de précaution et omet de prendre en considération l’état de santé des saumons du Pacifique sauvages. Il n’appartient pas à notre Cour de tirer des conclusions scientifiques, ce que la Cour serait pour l’essentiel appelée à faire pour justifier le jugement déclaratoire supplémentaire que Mme Morton souhaite obtenir.

[366]   Et bien que j’aie décidé d’annuler la décision sur la Politique concernant le RVP, il convient ― parce que de nombreuses installations aquacoles actuellement exploitées auront vraisemblablement besoin d’un permis de transfert et en feront la demande pendant le réexamen de la Politique concernant le RVP ― de suspendre mon jugement pour une période de quatre mois à compter de la date de son prononcé. Cela donnera du temps au MPO pour terminer l’évaluation des risques qu’il a entreprise au sujet du RVP et de l’IMSC, comme il est décrit dans l’affidavit no 2 de M. Thomson, qui comportera vraisemblablement un examen exhaustif des données scientifiques récentes concernant ce virus et cette maladie.

(ii)        Le dossier T-430-18

[367]   La PNN sollicite les déclarations suivantes :

[traduction]

a) La Politique concernant le RVP est illégale ou déraisonnable parce qu’elle ne répond pas aux exigences légales associées à l’article 56 du RPDG, elle omet d’appliquer le principe de précaution, elle omet de tenir compte de l’incidence que la décision d’adopter la Politique concernant le RVP pourrait avoir sur la PNN dans le contexte du processus de réconciliation en cours, elle a été établie de mauvaise foi ou à une fin illégitime, et elle est fondée sur des conclusions de fait qui ont été tirées de manière abusive et arbitraire, ou sans tenir compte des documents soumis au MPO;

b) le Canada était tenu de consulter la PNN et de prendre des mesures d’accommodement en sa faveur avant d’adopter ou d’appliquer la Politique concernant le RVP, mais il ne l’a pas fait;

c) l’obligation de consultation et d’accommodement qu’a le Canada envers la PNN, relativement à la Politique concernant le RVP, se situe à l’extrémité « supérieure » ou « au haut » du continuum de Haïda;

d) le Canada est donc tenu de consulter la PNN en vue d’obtenir son consentement à l’égard de la Politique concernant le RVP et, si cela se révélait impossible, d’entreprendre directement avec elle des « consultations approfondies » et de s’efforcer de tenir compte de manière sérieuse de son titre et de ses droits ancestraux, mais il ne s’est pas acquitté de son obligation à cet égard;

e) subsidiairement à l’alinéa d), si l’obligation de consultation et d’accommodement qu’a le Canada envers la PNN au sujet de la Politique concernant le RVP se situe à l’extrémité inférieure du continuum de Haïda, le Canada ne s’est néanmoins pas acquitté de cette obligation;

f) en adoptant la Politique concernant le RVP le Canada n’a pas tenu compte de l’incidence que la décision pourrait avoir sur la PNN dans le contexte du processus de réconciliation en cours entre le Canada et la PNN;

g) les saumons atlantiques d’élevage doivent être soumis à des tests de dépistage du RVP avant que le ministre octroie un permis de transfert;

h) il est interdit de transférer des saumons d’élevage infectés par le RVP selon les tests de dépistage.

[368]   La PNN sollicite en outre une ordonnance annulant la Politique concernant le RVP et :

[traduction]

 

a) enjoignant au Canada de consulter la PNN au sujet de la Politique concernant le RVP;

b) déclarant que la Cour conserve sa compétence pour trancher les questions qui peuvent être soulevées au cours des consultations que mènera le Canada auprès de la PNN au sujet de la Politique concernant le RVP.

 

 

[369]   La PNN sollicite également les dépens.

[370]   Pour les mêmes raisons que celles qui ont été énoncées dans le dossier T-1710-16, j’ai conclu que la décision sur la Politique concernant le RVP est déraisonnable et qu’il faut l’annuler. Les autres déclarations que sollicite la PNN au sujet du RVP, comme les tests de dépistage, sont inutiles et, dans les présentes circonstances, elles ne relèvent pas de la Cour.

[371]   J’ai également conclu que le ministre a manqué à l’obligation de consultation. Là encore, cependant, je ne crois pas qu’à ce stade il soit nécessaire, ou opportun, que la Cour aille plus loin et formule les déclarations supplémentaires que la PNN souhaite obtenir à cet égard. La preuve du MPO est que, pendant qu’il appliquait le régime des permis d’aquaculture, il a évalué la revendication de la PNN ainsi que les effets préjudiciables possibles. Selon l’évaluation préliminaire qu’a effectuée le MPO concernant le degré de consultation requis en ce qui concerne le régime d’octroi de permis d’aquaculture qui était proposé à ce moment-là et les décisions connexes, on se situait au centre du continuum décrit dans l’arrêt Haïda. Au cours du processus continu de consultation, le MPO a également tenu des consultations reflétant cela. De plus, le MPO a établi qu’il entend revoir la manière dont il consulte les Premières Nations au sujet des questions relatives à la santé des poissons. Par ailleurs, comme j’ai conclu que la décision sur la Politique concernant le RVP est déraisonnable, les données scientifiques qui la sous-tendent et, partant, le risque d’effets préjudiciables sur les droits que revendique la PNN, seront indirectement réévalués dans le contexte du réexamen plus général de la Politique concernant le RVP.

(iii)       Le dossier T-744-18

[372]   Dans le dossier T-744-18, la PNN sollicite les déclarations suivantes :

[traduction]

a)  Le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson est illégal parce que les exigences légales de l’article 56 du RPDG n’ont pas été respectées du fait que  :

  (i)            le ministre ne s’est pas acquitté des responsabilités que lui impose la loi, de par les exigences de l’article 56, parce qu’il s’est fondé à tort sur un « formulaire de certificat sanitaire » présenté par Marine Harvest exigeant seulement que cette dernière atteste elle-même que les poissons ne « montrent aucun signe de maladie clinique »;

  (ii)           l’exigence que contient le « formulaire de certificat sanitaire », à savoir que les poissons transférés ne doivent « montrer aucun signe de maladie clinique » est une norme juridique moins stricte que celle qu’exige l’alinéa 56b);

  (iii)          pour pouvoir se fonder sur un certificat fourni par Marine Harvest quant au respect des exigences de l’alinéa 56b), le ministre devait, en application du Règlement, à tout le moins  :

                             (A)       fournir à Marine Harvest des normes ou des critères objectifs sur lesquels s’appuyer pour déterminer si les poissons à transférer étaient « exempts de maladies et d’agents pathogènes qui pourraient nuire à la protection et à la conservation des espèces »;

                             (B)       vérifier si Marine Harvest avait appliqué correctement ces critères;

  b)            le Canada était tenu de consulter la PNN et de prendre des mesures d’accommodement en sa faveur avant de délivrer le permis de transfert, mais il ne l’a pas fait;

  c)            le Canada a manqué aux exigences de l’équité procédurale ainsi qu’à celles découlant de l’honneur de la Couronne, ce qui a empêché la PNN de présenter des observations et de fournir des éléments de preuve au ministre au sujet du permis de transfert;

  d)            l’obligation de consultation et d’accommodement qu’a le Canada envers la PNN relativement au permis de transfert se situait à l’extrémité « supérieure » ou « au haut » du continuum décrit dans l’arrêt Haïda;

  e)            le Canada était donc tenu de consulter la PNN en vue d’obtenir son consentement à l’égard du permis de transfert et, si cela se révélait impossible, d’entreprendre directement avec elle des « consultations approfondies » et de tenir compte de manière sérieuse de son titre et de ses droits ancestraux, ce qu’il n’a pas fait;

  f)            subsidiairement à l’alinéa e), si l’obligation de consultation et d’accommodement qu’a le Canada envers la PNN quant à l’éventuelle délivrance du permis de transfert se situait à l’extrémité inférieure du continuum décrit dans l’arrêt Haïda, le Canada ne s’est néanmoins pas acquitté de cette obligation;

  g)            le ministre était tenu de prendre en compte l’incidence que la décision pourrait avoir sur la PNN dans le contexte du processus de réconciliation en cours entre le Canada et la PNN, mais il ne l’a pas fait.

[373]   La PNN sollicite également une ordonnance :

a)  annulant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson;

b)  enjoignant au Canada de consulter la PNN en ce qui concerne le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson et de prendre les mesures correctives qui s’imposent pour retirer tous les poissons déjà transférés par Marine Harvest en vertu du permis de transfert;

c)  déclarant que la Cour conserve sa compétence pour trancher les questions qui peuvent être soulevées au cours des consultations que mènera le Canada auprès de la PNN au sujet du permis de transfert.

[374]   La PNN sollicite également les dépens.

[375]   J’ai conclu précédemment qu’il n’est pas nécessaire de traiter des observations présentées par la PNN au sujet du formulaire de certification sanitaire du fait que j’ai par ailleurs conclu que la décision sur la Politique concernant le RVP est déraisonnable et que le MPO l’a par la suite modifiée. C’est donc dire que le jugement déclaratoire que la PNN sollicite au sujet du formulaire de certificat sanitaire n’est ni nécessaire ni approprié. Cela dit, au moment de réexaminer la décision sur la Politique concernant le RVP, le ministre ou sa déléguée doivent prendre en considération les conclusions tirées dans la décision Morton 2015 ainsi que les données scientifiques récentes concernant le diagnostic de l’IMSC, lesquelles données doivent également être prises en compte dans tout formulaire de certificat sanitaire révisé.

[376]   J’ai également conclu précédemment que chacune des décisions d’octroyer un permis de transfert, comme celle relative au permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson, ne donne pas lieu à l’obligation de consultation. De plus, il n’y a pas eu manquement à l’obligation d’équité procédurale en ce qui concerne la décision relative à ce permis.

[377]   Pour ce qui est de la demande de la PNN en vue d’obtenir une ordonnance annulant le permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson ― qui a expiré le 21 juin 2018, après le transfert des smolts à l’installation de l’île Swanson qu’il autorisait ― la Cour n’annulera pas un permis qui n’est plus en vigueur, d’autant plus que notre Cour a déjà rejeté la requête en injonction de la PNN au sujet de ce permis de transfert.

[378]   Toutefois, la PNN demande également que la Cour ordonne la prise des mesures correctives nécessaires pour retirer les poissons déjà transférés en vertu de ce permis. Dans ses observations écrites, la PNN affirme qu’une ordonnance de la nature d’un mandamus est souvent rendue au soutien d’une ordonnance de certiorari lorsque les circonstances s’y prêtent, de façon à ce que la Cour puisse concevoir une mesure corrective appropriée, et ce, même dans les cas où une ordonnance de mandamus n’est pas précisément demandée (Brown, à la rubrique 1:3300). La PNN énonce quatre raisons justifiant une telle ordonnance dans les circonstances de l’espèce.

[379]   Le ministre fait valoir qu’il dispose de moyens pour intervenir lorsqu’une ferme piscicole présente un risque sérieux pour les populations de saumons sauvages et que notre Cour n’a pas compétence pour accorder l’ordonnance de mandamus demandée par la PNN. Cette dernière n’a pas invoqué de raison valable justifiant une telle ordonnance en l’espèce ni fait mention d’une obligation positive exigeant que le ministre prenne des mesures correctives pour faire en sorte que les poissons soient retirés de l’installation de l’île Swanson. Les dispositions législatives sous-jacentes sont de nature permissive, et non impérative, et la Cour, de par la loi, ne peut, dicter la façon dont le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire (Apotex Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.) (Apotex), au paragraphe 45 [page 766]; Rocky Mountain Ecosystem Coalition c. Canada (Office national de l’énergie), 1999 CanLII 8615 (C.F.) (Rocky Mountain), au paragraphe 16).

[380]   Marine Harvest soutient que les smolts ont été transférés légalement en vertu du permis de transfert pour l’installation de l’île Swanson, lequel permis est aujourd’hui expiré, et que le mandamus n’est pas le recours pour revenir sur ce qui a déjà été fait, même si cela était contraire à la loi (Vardy c. Scott et al., [1977] 1 R.C.S. 293, à la page 301). De plus, le bref de mandamus a pour objet d’exiger l’exécution d’une obligation à caractère public lorsqu’une autorité publique refuse ou néglige de remplir cette obligation même si elle a été dûment sommée de le faire (Magalong c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 966 (Magalong), au paragraphe 21). En l’espèce, la déléguée du ministre avait le pouvoir discrétionnaire de délivrer un permis, ou celui d’annuler sa délivrance. La Cour ne peut dicter l’issue de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Dans les circonstances de l’espèce, pour les raisons que Marine Harvest invoque, il est impossible de satisfaire au critère énoncé dans l’arrêt Apotex, et Marine Harvest soutient qu’il n’y a pas lieu d’accorder la mesure de réparation.

[381]   À ce sujet, je relève que les huit critères auxquels il est nécessaire de satisfaire pour pouvoir rendre une ordonnance accordant un mandamus sont énoncés dans l’arrêt Apotex (aux pages 766 à 769) et ils peuvent être formulés comme suit :

1.         Il doit exister une obligation légale d’agir à caractère public.

2.         L’obligation doit exister envers le requérant.

3.         Il existe un droit clair d’obtenir l’exécution de cette obligation, notamment :

a.         le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à cette obligation;

b.         (i) une demande d’exécution de l’obligation a été présentée, (ii) un délai raisonnable a été accordé pour permettre de donner suite à la demande à moins que celle-ci n’ait été rejetée sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite.

4.         Lorsque l’obligation dont on demande l’exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s’appliquent :

a.         le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d’une manière qui puisse être qualifiée d’« injuste », d’« oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi »;

b.         un mandamus ne peut être accordé si le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité », « absolu » ou « facultatif »;

c.         le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition à des considérations « non pertinentes »;

d.         un mandamus ne peut être accordé pour orienter l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e.         un mandamus ne peut être accordé que lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé », c’est-à-dire que le requérant a un droit acquis à l’exécution de l’obligation.

5.         Le requérant n’a aucun autre recours.

6.         L’ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique.

7.         Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en equity, rien n’empêche d’obtenir le redressement demandé.

8.         Compte tenu de la « balance des inconvénients », une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[382]   Le mandamus est un bref de prérogative, qui peut être accordé lorsqu’une personne à qui l’on délègue une obligation à caractère public manque à cette obligation (Rocky Mountain, aux paragraphes 14 et 16). Autrement dit, le mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity; il permet d’exiger l’exécution d’une obligation légale à caractère public lorsqu’une autorité publique refuse ou néglige de la remplir même si elle a été dûment sommée de le faire (Magalong, au paragraphe 21). De plus, il s’agit d’« une mesure de réparation exceptionnelle et discrétionnaire, et il est bien établi en droit que si le bref de mandamus sert à ordonner l’exécution d’une obligation légale, il ne peut cependant pas dicter le résultat à atteindre » (Farhadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 926, aux paragraphes 28 et 29; Callaghan c. Canada (Directeur général des élections), 2011 CAF 74, [2011] 2 R.C.F. 80, au paragraphe 126). Les critères applicables sont de nature cumulative et ils doivent être rigoureusement respectés.

[383]   La PNN affirme qu’en l’espèce, l’obligation légale découle de l’article 56 du RPDG. Je conviens que cet article restreint le pouvoir discrétionnaire qu’a le ministre de délivrer des permis de transfert, mais je ne suis pas convaincue que cela crée une obligation de retirer les poissons déjà transférés, même si le permis de transfert a été délivré à tort. La PNN affirme également que le ministre a l’obligation légale à caractère public de tenir des consultations, mais, là encore, cette obligation ne donne pas naissance à une obligation légale précise de retirer les poissons déjà transférés.

[384]   Par ailleurs, le retrait des poissons transférés n’est pas la seule mesure possible, car le ministre peut imposer d’autres mesures, comme celle de soumettre les saumons transférés à des tests de dépistage du RVP ou de les éliminer. De plus, une fois qu’il aura réexaminé son interprétation de l’article 56 et la décision sur la Politique concernant le RVP, et qu’il aura pris en compte les présents motifs, il se peut que le ministre conclue quand même qu’il convient de maintenir la Politique concernant le RVP.

[385]   Et, compte tenu du refus du juge Manson de faire droit à la requête en injonction de la PNN, je ne suis pas non plus convaincue que la prépondérance des inconvénients favorise sa requête en bref de mandamus dans le cadre de la présente demande.

[386]   Dans l’ensemble, le critère relatif à l’octroi d’un bref de mandamus n’a pas été rempli.

E.        La question no 5 : Les dépens

[387]   À l’audition des présentes demandes, j’ai informé les parties que, dans la mesure où elles le jugeaient nécessaire, elles pouvaient présenter de brèves observations écrites, d’une longueur maximale de cinq pages, à propos des dépens. Les parties ont dûment présenté des observations écrites et produit, à l’appui de ces dernières, des recueils de jurisprudence et de doctrine. J’ai passé en revue et pris en considération ces observations, mais il n’est pas nécessaire d’en traiter en détail dans les présents motifs.

(i)         Le dossier T-1710-16

[388]   Les parties conviennent, tout comme moi, que Mme Morton représente l’intérêt public. Jointe en tant qu’annexe aux observations de Mme Morton sur les dépens est une entente en matière de dépens conclue entre elle, le ministre, Marine Harvest et Cermaq. Il a été convenu dans cette entente que si Mme Morton avait gain de cause dans le cadre de sa demande, elle aurait droit à des dépens de 22 000 $, répartis entre chacun des trois défendeurs (7 333 $ chacun). Tout arriéré de dépens, découlant des requêtes interlocutoires accordées aux défendeurs indépendamment de l’issue de la cause, sera déduit des contributions respectives des défendeurs. Le montant convenu inclut les frais, les honoraires, les débours et les taxes.

[389]   Dans ses observations écrites, le ministre indique que, le 16 novembre 2017, il a convenu d’une entente en matière de dépens avec Mme Morton au sujet de l’ordonnance du 8 novembre 2017 par laquelle la juge chargée de la gestion de l’instance a tranché diverses requêtes, dont celle du ministre visant à obtenir une ordonnance radiant des parties de l’affidavit de Mme Morton et la requête par laquelle cette dernière sollicitait l’autorisation de déposer des affidavits supplémentaires. Le ministre déclare que Mme Morton a convenu de lui payer la somme de 500 $ en dépens, relativement à la requête du ministre visant à faire radier son affidavit et la somme de 1 000 $ en lien avec la requête qu’elle a présentée en vue de déposer des affidavits supplémentaires, ses dépens étant dans les deux cas payables, indépendamment de l’issue de la cause, à la conclusion de la présente instance et de tout appel en résultant.

[390]   Marine Harvest ne fait état d’aucun arriéré de dépens que Mme Morton aurait à lui payer par suite des requêtes interlocutoires.

[391]   Cermaq a tenté de déposer un affidavit de Mme Jemma Louise Redmond, adjointe juridique, au cabinet Fasken Martineau DuMoulin LLP, souscrit le 28 septembre 2018, auquel étaient jointes les pièces « A » à « E », soit des lettres concernant des changements que le MPO se proposait d’apporter au système de transfert des poissons, dont des modifications à l’article 56 du RPDG. Dans ces lettres, le MPO laisse entendre que cela pourrait rendre théorique la demande de contrôle judiciaire et il demande que Mme Morton songe à mettre sa demande en suspens en attendant la prépublication des modifications en question.

[392]   Cet affidavit n’est pas admissible. Ma directive autorisait seulement la présentation d’observations écrites. Par ailleurs, le MPO n’a pas soulevé ou plaidé cette question et, en tout état de cause, la question est théorique étant donné que j’ai fait droit à la demande et Cermaq a convenu de contribuer au paiement des dépens forfaitaires fixés à 22 000 $. Cermaq sollicite également une ordonnance de dépens supplémentaires de 1 500 $, relativement à la demande présentée par Mme Morton en vertu de la règle 312 des Règles en vue du dépôt de l’affidavit de Mme Valenzuela. Cependant, comme j’ai conclu que cette requête devait être partiellement accueillie, je refuse d’accorder les dépens supplémentaires demandés en faveur de Cermaq en lien avec la requête que Mme Morton a présentée en vertu de la règle 312 des Règles, ou de déduire la somme demandée à ce titre des dépens convenus.

[393]   En conclusion, la Cour accorde à Mme Morton des dépens sous la forme d’une somme globale d’un montant de 22 000 $, comme les parties l’ont convenu, sujette aux déductions et de la manière prévues ci-après :

a)         le MPO paiera à Mme Morton la somme de 7 333 $ de laquelle sera déduite la somme de 1 500 $, soit 5 833 $, inclusion faite de tous les frais, honoraires, débours et taxes;

b)         Marine Harvest paiera à Mme Morton la somme de 7 333 $, inclusion faite de tous les frais, honoraires, débours et taxes;

c)         Cermaq paiera à Mme Morton la somme de 7 333 $, inclusion faite de tous les frais, honoraires, débours et taxes.

(ii)        Les dossiers T-430-18 et T-744-18

[394]   La PNN soutient qu’elle a droit au paiement de ses dépens par le ministre indépendamment de l’issue de la cause dans les dossiers T-430-18 et T-744-18. De plus, si la Cour tire une conclusion de mauvaise foi ou juge que le ministre n’a pas suivi la décision Morton 2015, ou les deux, il convient de lui accorder des dépens avocat-client. Elle est d’avis que, même si la Cour ne tire pas de telles conclusions, il y a lieu de lui adjuger 50 p. 100 de ses dépens réels, plus les débours liés aux deux demandes. Elle soutient que ses dépens réels, pour les deux demandes, s’élèvent à environ 1 142 685,95 $, plus des débours d’environ 203 813,68 $. Elle inclut un mémoire de dépens selon la colonne III et la colonne V du tarif B. Les frais et les honoraires s’élèvent à 36 423 $ selon la colonne III, et à 69 426 $ selon la colonne V, plus des débours de 139 632,62 $. Le montant total que réclame la PNN est donc de 176 055,62 $ selon la colonne III, ou de 209 058,62 $ selon la colonne V.

[395]   Dans ses observations, le ministre sollicite les dépens entre parties selon la colonne V du tarif B ou, subsidiairement, tout montant que la Cour peut juger approprié. L’écart par rapport à la règle ordinaire selon laquelle les dépens doivent être fixés conformément à la colonne III du tarif B s’explique par le fait que la PNN a formulé des allégations conjecturales de mauvaise foi, de sorte que des frais inutiles ont été engagés pour produire une abondante preuve d’expert dans le cadre des dossiers T-430-18 et T-744-18. De plus, l’allégation de manquement à l’équité procédurale de la PNN découlait d’une simple demande de la part des avocats du ministre aux avocats de la PNN pour que les communications se fassent entre avocats plutôt que directement avec leur client, pendant les procédures. Le ministre soutient que les allégations d’illégalité ont été formulées à tort et que, dans ces circonstances il convient de se servir des dépens comme mesure dissuasive.

[396]   Le ministre présente dans le cadre du dossier T-430-18 un mémoire de frais dans lequel il réclame des frais et des honoraires selon la colonne III d’un montant de 27 600 $, ou selon la colonne V, d’un montant de 49 200 $, plus des débours de 19 650,18 $. Le montant total réclamé s’élève à 47 250,18 $ selon la colonne III ou, à 68 850,18 $ selon la colonne V. Le ministre présente également dans le cadre du dossier T-744-18 un mémoire de frais dans lequel il sollicite des frais et des honoraires selon la colonne III d’un montant de 9 750 $, ou, selon la colonne V, d’un montant de 17 400 $, plus des débours de 6 668,76 $. Le montant total des dépens réclamés dans le cadre de cette demande s’élève à 16 418,76 $ ou à 24 068,76 $.

[397]   Cermaq soutient également que la PNN a formulé à tort des allégations de mauvaise foi injustifiées concernant le ministre et qu’elle a tenté de se fonder sur une preuve extrinsèque inadmissible, dont trois affidavits d’experts qui n’établissaient aucunement la mauvaise foi. Cela a considérablement prolongé les préparatifs en vue de l’audience et l’audience elle-même, et cela a inutilement compliqué l’instance. Elle soutient que les dépenses engagées pour présenter des preuves d’experts étaient injustifiées. Elle ajoute que ces circonstances justifient de condamner la PNN à payer des dépens majorés, et ce, selon l’échelon supérieur de la colonne V du tarif B.

[398]   Dans le dossier T-430-18, Marine Harvest sollicite les dépens habituels, sous la forme d’une somme globale, fixés selon la colonne III du tarif B à 70 041,32 $, et elle présente un mémoire de dépens à cet égard, soit des frais et des honoraires de 25 351,20 $, plus des débours de 44 690,12 $. Elle sollicite également des dépens, dans le dossier T-744-18, s’élevant à 12 432 $ au titre des frais et des honoraires, ainsi que des débours de 819 $, soit un montant total de 13 251 $.

[399]   J’ai retenu l’allégation de la PNN au sujet du caractère déraisonnable de la décision sur la Politique concernant le RVP pour les raisons que j’ai énoncées dans les présents motifs. Cependant, bien que j’aie pris en considération les observations de la PNN, je conviens avec le ministre qu’il ne s’agit pas en l’espèce d’une situation justifiant l’octroi de dépens avocat-client ou de dépens majorés. Il incombe à la partie qui sollicite des dépens majorés d’établir pourquoi les circonstances particulières de l’affaire justifient l’adjudication de dépens plus élevés (Nova Chemicals Corporation c. Dow Chemical Company, 2017 CAF 25, au paragraphe 13) et, selon moi, la PNN n’y est pas parvenue.

[400]   Je conviens également avec le ministre que la PNN a essentiellement formulé des allégations injustifiées de comportement contraire à l’éthique de la part des avocats du ministre pour étayer une allégation de manquement à l’équité procédurale, une allégation qui, selon moi, est dénuée de fondement. J’ai conclu également que les affidavits d’experts de la PNN, qui, soutient-elle, illustrent la mauvaise foi du ministre, sont inadmissibles et que, même s’ils étaient admissibles, ils n’établiraient pas la mauvaise foi. Je conviens avec le ministre et Cermaq que ces allégations de mauvaise foi ont donné lieu à des étapes procédurales et à des coûts importants. Cependant, même si le recours à cette approche était peut-être malavisé, il était loisible à la PNN d’emprunter cette voie. Cela dit, j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi elle a eu besoin de trois affidavits d’experts ayant reçu le même mandat et qui traitent essentiellement des mêmes sujets. Enfin, je signale, comme je l’ai fait remarquer ci-dessus, qu’il était inutile que la PNN scinde son recours entre les dossiers T-430-18 et T-744-18.

[401]   Il est établi au paragraphe 400(1) des Règles que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de fixer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui les paieront. Le paragraphe 400(3) des Règles énonce les facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Conformément au paragraphe 400(4) des Règles, la Cour peut fixer tout ou partie des dépens en en fonction du tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

[402]   Après avoir pris en considération les observations écrites des parties, le fait que la PNN ait obtenu en partie gain de cause sur la base des motifs qu’elle invoquait, les mémoires de dépens que chacune des parties a présentés, de même que les facteurs énoncés au paragraphe 400(3) des Règles qui selon moi s’appliquent à la présente espèce, je suis encline à octroyer les dépens sous la forme d’une somme globale. Cependant, je me préoccupe du fait que dans le mémoire de dépens de la PNN les frais associés aux demandes distinctes (T-430-18 et T-744-18) n’ont pas été ventilés et que les frais relatifs à ses témoins experts (71 836,43 $) et certains autres frais (comme le montant de 53 141 $ pour les photocopies) ne sont pas suffisamment détaillés et peuvent être déraisonnables. Un autre point qui me préoccupe est que la PNN sollicite des dépens nettement plus élevés que ceux des autres parties.

[403]   En conséquence, j’ai conclu que les dépens de la PNN seront taxés selon le paragraphe 400(3) des Règles et, à cet égard, j’ordonne ce qui suit :

a)         tous les dépens liés au dossier T-430-18 seront taxés selon la colonne III du tarif B;

b)         les dépens taxés dans le dossier T-430-18 seront payés par le ministre à la PNN;

c)         aucuns dépens ne seront adjugés à l’égard du dossier T-744-18. Pour plus de certitude, la PNN présentera séparément les dépens des dossiers T-430-18 et T-744-18. Seuls les dépens engagés en lien avec le dossier T-430-18 seront taxés et adjugés. Aucuns dépens ne sont adjugés à la PNN dans le dossier T-744-18.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

Dossier T-1710-16

1.         La demande de contrôle judiciaire est accordée.

2.         La décision que la déléguée du ministre a rendue le 28 juin 2018, soit le maintien de la Politique concernant le RVP, est annulée. Le ministre ou sa déléguée doivent réexaminer la décision de poursuivre l’application de la Politique concernant le RVP en tenant compte des présents motifs.

3.         Le présent jugement est suspendu pour une période de quatre mois à compter de la date de son prononcé.

4.         Mme Morton a droit à des dépens d’un montant de 22 000 $, comme en avaient convenu les parties si elle obtenait gain de cause, et ce montant est payable comme suit :

a)         le MPO paiera à Mme Morton la somme de 7 333 $, de laquelle sera déduit un montant de 1 500 $, soit un total de 5 833 $, inclusion faite de tous les frais, honoraires, débours et taxes;

b)         Marine Harvest paiera à Mme Morton la somme de 7 333 $, inclusion faite de tous les frais, honoraires, débours et taxes;

c)         Cermaq paiera à Mme Morton la somme de 7 333 $, inclusion faite de tous les frais, honoraires, débours et taxes.

5.         Une copie des présents motifs sera versée dans les dossiers T-430-18 et T-744-18.

Dossier T-430-18

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.         La décision que la déléguée du ministre a rendue le 28 juin 2018, soit le maintien de la Politique concernant le RVP, est annulée. Le ministre ou sa déléguée doivent réexaminer la décision de poursuivre l’application de la Politique concernant le RVP en tenant compte des présents motifs.

3.         Le présent jugement est suspendu pour une période de quatre mois à compter de la date de son prononcé.

4.         Il y a eu manquement à l’obligation de consulter la PNN au sujet de la décision sur la Politique concernant le RVP. Cette obligation découle du refus du ministre, contrairement à ses pratiques actuelles en matière de consultations sur les activités de gestion et l’octroi de permis en matière d’aquaculture, de répondre à la demande de consultations de la PNN sur la Politique concernant le RVP et il y a eu manquement à cette obligation lorsque le ministre a omis de consulter la PNN avant de rendre, le 28 juin 2018, la décision sur la Politique concernant le RVP.

5.         Les dépens de la PNN seront taxés conformément au paragraphe 400(5) des Règles, sous réserve de la directive de la Cour selon laquelle :

a)         tous les dépens seront taxés selon la colonne III du tarif B;

b)         les dépens taxés seront payés par le ministre à la PNN;

c)         tous les dépens relatifs au dossier T-744-18 seront exclus.

6.         Une copie des présents motifs sera versée dans les dossiers T-1710-16 et T-744-18.

Dossier T-744-18

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

3.         Une copie des présents motifs sera versée dans les dossiers T-1710-16 et T-430-18.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS


DOSSIER  :

T-1710-16

T-430-18

T-744-18

INTITULÉ :

ALEXANDRA MORTON c LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, MARINE HARVEST CANADA INC. ET CERMAQ CANADA LTÉE

PREMIÈRE NATION DES NAMGIS c LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE, MARINE HARVEST CANADA INC. ET CERMAQ CANADA LTÉE

PREMIÈRE NATION DES NAMGIS c LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE, MARINE HARVEST CANADA INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

vancouver (ColoMbie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 10 AU 14 SEPtembrE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

LE 4 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Margo Venton

Kegan Pepper-Smith

Olivia French

POUR LA DEMANDERESSE

(ALEXANDRA MORTON)

Sean Jones

Aaron Christoff

Maxime Faille

POUR LA DEMANDERESSE

(PREMIÈRE NATION DES NAMGIS)

Paul Seaman

Scott Smith

Sean Jones

POUR LA DEMANDERESSE

(PREMIÈRE NATION DES NAMGIS)

Kevin O’Callaghan

Dani Bryant

POUR LA DÉFENDERESSE

(CERMAQ CANADA LTÉE)

Tim Timberg

Lisa McDonald

Gwen McIsaac

POUR LES DÉFENDEURS

(LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE)

Christopher Watson

Emily Dvorak

POUR LA DÉFENDERESSE

(MARINE HARVEST CANADA INC.)

AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS :

EcoJustice

Vancouver (C.-B.)

POUR LA DEMANDERESSE

(ALEXANDRA MORTON)

Gowling

Vancouver (C.-B.)

POUR LA DEMANDERESSE

(PREMIÈRE NATION DES NAMGIS)

Gowling

Vancouver (C.-B.)

POUR LA DEMANDERESSE

(PREMIÈRE NATION DES NAMGIS)

Fasken Martineau Du Moulin LLP

Vancouver (C.-B.)

POUR LA DÉFENDERESSE

(CERMAQ CANADA LTÉE)

Ministère de la Justice

Vancouver (C.-B.)

POUR LES DÉFENDEURS

(LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET LA GARDE CÔTIÈRE CANADIENNE)

MacKenzie Fujisawa LLP

Vancouver (C.-B.)

POUR LA DÉFENDERESSE

(MARINE HARVEST CANADA INC.)

 

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