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IMM-1989-19

2019 CF 451

Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (demandeur)

c.

Warsame Faisal Mohammed (défendeur)

Répertorié  : Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Mohammed

Cour fédérale, juge Norris—Toronto, 9 avril; Ottawa, 11 avril 2019.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Détention et mise en liberté — Requête visant à faire suspendre l’ordonnance de mise en liberté du défendeur rendue par la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié — Le défendeur est entré illégalement au Canada — Il a été jugé interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et une mesure d’expulsion a été prononcée à son endroit — L’Agence des services frontaliers du Canada l’a mis en état d’arrestation — Après plusieurs contrôles des motifs de détention, la SI a ordonné la libération du défendeur sous réserve de certaines conditions — Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision — Il a soutenu que la SI a commis une erreur en ne fournissant pas de motifs clairs et convaincants justifiant que l’on s’écarte des décisions antérieures de la SI; et en libérant le défendeur dans des conditions inadéquates — Il s’agissait de savoir si la décision de la SI appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit — Le demandeur devait satisfaire aux trois volets du critère qui permettrait de suspendre la décision de la SI, c.-à-d. si la demande soulevait une « question sérieuse à trancher »; si le demandeur subirait un préjudice irréparable si la suspension était refusée; et si la prépondérance des inconvénients favorisait l’octroi de la suspension — En ce qui concerne le premier volet du critère, le seuil est généralement bas — Il faut simplement démontrer que les questions soulevées dans la demande sous-jacente ne sont ni frivoles ni vexatoires — Toutefois, l’application d’une norme élevée est justifiée lorsque, comme en l’espèce, le demandeur cherche à faire suspendre une ordonnance libérant une personne — La suspension permettait au demandeur de décider de l’issue du contrôle des motifs de détention, ce qu’il a sollicité sans succès devant la SI, à savoir le maintien en détention du détenu — Cette situation était analogue à celle qui se présente lorsqu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est demandé en attendant le contrôle judiciaire d’un refus de reporter le renvoi — Dans ce contexte, une norme élevée s’applique au premier volet du critère — Les mêmes raisons se retrouvaient également dans le présent contexte — Dans l’arrêt R.c. Société Radio-Canada, la Cour suprême a statué que le fardeau de l’exécution d’une injonction mandatoire justifiait un examen approfondi sur le fond à l’étape interlocutoire et que le critère approprié pour évaluer le premier volet du critère tripartite était de savoir si la partie requérante avait établi une forte apparence de droit — Un critère similaire devrait être respecté à l’égard d’une ordonnance dont l’effet serait la poursuite d’une privation de liberté — Le demandeur n’a pas démontré que la SI a omis de fournir des motifs clairs et convaincants justifiant qu’elle s’écarte de ses décisions antérieures — Un motif clair et convaincant de s’écarter des décisions antérieures de la SI n’est apparu que lorsque le demandeur a accepté de ne pas donner suite au renvoi pour l’instant — Les décisions antérieures étaient fondées sur l’imminence du renvoi — Le demandeur n’a pas démontré non plus que la demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté avait des chances d’être accueillie au motif que la SI avait commis une erreur susceptible de révision en imposant des conditions de mise en liberté inadéquates — Le demandeur n’a pas satisfait au premier volet du critère — Sur la question du préjudice irréparable, le demandeur n’a pas démontré qu’il était peu probable que le défendeur se présente pour son renvoi — Requête rejetée; autorisation de procéder au contrôle judiciaire accordée.

Il s’agissait d’une requête visant à faire suspendre l’ordonnance de mise en liberté du défendeur rendue par la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada.

Le défendeur, un citoyen somalien, est entré illégalement au Canada en provenance des États-Unis, où il a été frappé d’une mesure d’expulsion parce qu’il s’est retrouvé avec un casier judiciaire. Les autorités ont décidé qu’il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité et une mesure d’expulsion a été prononcée à son endroit. L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) l’a par la suite informé qu’il serait renvoyé du Canada vers la Somalie. Craignant que le défendeur ne comparaisse pas pour son renvoi, les agents de l’Agence des services frontaliers du Canada l’ont mis en état d’arrestation. Après plusieurs contrôles des motifs de détention, la SI a ordonné la libération du défendeur sous réserve de certaines conditions, notamment qu’il se présente régulièrement en personne à l’ASFC. Le demandeur a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Le demandeur a soutenu que la SI a commis une erreur en ne fournissant pas de motifs clairs et convaincants justifiant que l’on s’écarte des décisions antérieures de la SI; et en libérant le défendeur dans des conditions totalement inadéquates.

Il s’agissait de savoir si la décision de la SI appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

Jugement : la requête doit être rejetée.

Le demandeur devait satisfaire aux trois volets du critère qui permettrait de suspendre la décision de la SI en démontrant que la demande de contrôle judiciaire soulevait une « question sérieuse à trancher »; que le ministre demandeur subirait un préjudice irréparable si la suspension était refusée; et que la prépondérance des inconvénients favorisait l’octroi de la suspension. En ce qui concerne le premier volet du critère, le seuil permettant d’établir qu’il y a une question sérieuse à juger est généralement bas. Il faut simplement démontrer que les questions soulevées dans la demande sous-jacente ne sont ni frivoles ni vexatoires. Toutefois, il y a des considérations importantes qui justifient l’application d’une norme élevée lorsque, comme en l’espèce, le demandeur cherche à faire suspendre une ordonnance libérant une personne. On pourrait dire que la suspension permettait dans les faits au demandeur de décider de l’issue du contrôle des motifs de détention, ce qu’il a sollicité sans succès devant la SI, à savoir le maintien en détention du détenu. Cette situation était analogue à celle qui se présente lorsqu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est demandé en attendant le contrôle judiciaire d’un refus de reporter le renvoi. Dans ce contexte, il est bien établi qu’une norme élevée s’applique au premier volet du critère. Les mêmes raisons qui justifient une norme élevée pour le premier volet du critère du sursis se retrouvent également dans le présent contexte. Un détenu visé par une ordonnance de mise en liberté rendue par la SI ne devrait pas devoir attendre le prochain contrôle des motifs de sa détention pour tenter à nouveau d’obtenir une libération, à moins qu’il n’y ait des motifs clairs de penser que cette ordonnance sera probablement annulée lors du contrôle judiciaire. Dans l’arrêt R.c. Société Radio-Canada, la Cour suprême a statué que le fardeau de l’exécution d’une injonction mandatoire justifiait un examen approfondi sur le fond à l’étape interlocutoire et que le critère approprié pour évaluer le premier volet du critère tripartite n’était pas simplement de savoir s’il y avait une question sérieuse à trancher, mais plutôt si la partie requérante a établi une forte apparence de droit. Dans les cas où est sollicitée une ordonnance dont l’effet serait la poursuite d’une privation de liberté, un critère similaire devrait être respecté lorsque vient le temps d’évaluer le bien-fondé de la demande sous-jacente et de suspendre l’effet juridique d’une ordonnance de mise en liberté. Le demandeur n’a pas démontré que la SI a omis de fournir des motifs clairs et convaincants justifiant qu’elle s’écarte des  décisions antérieures de la SI. Un motif clair et convaincant de s’écarter de toutes les décisions antérieures de la SI n’est apparu que lorsque le demandeur a accepté de ne pas donner suite au renvoi pour l’instant. Il s’agissait d’un changement très important des circonstances, car les décisions antérieures de maintenir la détention étaient toutes fondées sur l’imminence du renvoi du défendeur. Il était difficile d’imaginer ce que la SI aurait dû dire d’autre pour expliquer pourquoi elle s’écartait maintenant des décisions précédentes qui maintenaient la détention du défendeur. Le demandeur n’a pas démontré non plus que la demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté avait des chances d’être accueillie au motif que la SI avait commis une erreur susceptible de révision en imposant des conditions de mise en liberté inadéquates. La SI connaissait les antécédents du défendeur, ses rapports avec l’ASFC et sa conduite. Puisque le demandeur n’a pas satisfait au premier volet du critère, la requête a été rejetée. Néanmoins, la Cour a abordé le deuxième volet du critère, à savoir la question du préjudice irréparable. Le demandeur n’a pas démontré qu’en raison des antécédents criminels du défendeur, de son entrée illégale au Canada et de son manque de coopération lors des tentatives antérieures de le renvoyer, il était peu probable qu’il se présente pour son renvoi advenant une décision en ce sens. La SI a jugé bon d’imposer des conditions à la libération du défendeur afin de s’assurer que son renvoi puisse avoir lieu s’il s’avérait nécessaire. Le demandeur n’a présenté aucune preuve démontrant que le défendeur avait les moyens ou la capacité d’échapper au renvoi en tentant de disparaître. Les motifs invoqués dans la présente affaire soulevaient une cause défendable suffisante pour que l’autorisation de procéder au contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté soit accordée.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 112.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISION NON SUIVIE :

Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B479, 2010 CF 1227, [2012] 2 R.C.F. 491.

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196; R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Allen, 2018 CF 1194; Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80; Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654; Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu national), 2012 CAF 255.

DÉCISIONS CITÉES :

Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (C.A.F.); Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311; Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339; Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25; International Longshore and Warehouse Union c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 3; United States Steel Corporation c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 200; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. JW, 2018 CF 1076; Adetunji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708.

  REQUÊTE visant à faire suspendre l’ordonnance de mise en liberté du défendeur rendue par la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. Requête rejetée.

ONT COMPARU :

Brendan Friesen pour le demandeur.

Alan Hogg pour le défendeur.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

La sous-procureure générale du Canada pour le demandeur.

Newman & Company, Winnipeg, pour le défendeur.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et de l’ordonnance rendus par

            Le juge Norris :

I.          Introduction

[1]        Le demandeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, sollicite une ordonnance suspendant l’ordonnance de mise en liberté du défendeur rendue le 25 mars 2019 par M. Tessler, commissaire de la Section de l’immigration (SI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada. La suspension est demandée en attendant qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté présentée par le ministre.

[2]        Pour les motifs suivants, je rejette la requête.

II.         Contexte

[3]        Le défendeur, Warsame Faisal Mohammed, est un citoyen somalien âgé de 36 ans. Il est entré aux États-Unis avec sa famille en 1996 et y a obtenu l’asile. Il a vécu aux États-Unis jusqu’à son entrée illégale au Canada en juin 2017. Aux États-Unis, M. Mohammed s’est retrouvé avec un lourd casier judiciaire, en raison duquel il a perdu son statut aux États-Unis et a été frappé d’une mesure d’expulsion vers la Somalie. Pour éviter son expulsion, M. Mohammed a quitté les États-Unis pour se rendre le Canada. Il a traversé la frontière à pied entre les points d’entrée. Bien que le dossier ne soit pas tout à fait clair, il semble qu’il était visé à l’époque par un mandat d’arrestation non exécuté pour avoir omis de se présenter au tribunal pour une accusation de conduite avec facultés affaiblies au Minnesota.

[4]        Le 30 juillet 2017, M. Mohammed a été arrêté pour être entré au Canada sans autorisation. Il a été détenu dans un centre de détention pour immigrants. Le 14 août 2017, les autorités ont décidé qu’il était interdit de territoire au Canada pour grande criminalité. Une mesure d’expulsion a été prononcée à son endroit. Le 1er septembre 2017, M. Mohammed s’est vu offrir la possibilité de bénéficier d’un examen des risques avant renvoi (ERAR) en vertu de l’article 112 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR). Il s’en est prévalu et a présenté une demande d’ERAR. Cette demande a été rejetée le 18 décembre 2017. Le 25 septembre 2018, M. Mohammed a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’ERAR. La demande comprenait une demande de prorogation du délai de dépôt parce que le délai imparti pour le dépôt d’une telle demande était expiré. Le ministre a consenti à la demande et, le 26 novembre 2018, le juge Shore a rendu une ordonnance accordant la prorogation de délai. Le 17 janvier 2019, le juge LeBlanc a accordé l’autorisation de procéder à la demande de contrôle judiciaire. Cette demande devrait être entendue la semaine prochaine à Winnipeg, le 16 avril 2019.

[5]        Entre-temps, le 12 septembre 2017, M. Mohammed a été libéré sous conditions du centre de détention pour immigrants. Un an plus tard, le 14 septembre 2018, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) lui a signifié une lettre indiquant qu’il serait renvoyé du Canada vers la Somalie dans moins de deux semaines, soit le 26 septembre 2018. La conclusion selon laquelle M. Mohammed a été surpris et choqué par la tournure des événements est étayée par le dossier. Il croyait (à tort, comme il s’est avéré) que l’avocat (pas M. Hogg) demandait un contrôle judiciaire du rejet de sa demande d’ERAR et qu’il ne serait pas renvoyé avant que la Cour n’ait tranché la question. Lorsqu’on lui a dit qu’il était sur le point d’être renvoyé en Somalie, M. Mohammed aurait avisé les agents de l’ASFC qu’il y serait tué et qu’il préférerait passer le reste de sa vie en prison au Canada plutôt que de retourner en Somalie. Préoccupés par ces remarques et d’autres donnant à penser que M. Mohammed ne comparaîtrait probablement pas pour son renvoi, les agents l’ont mis en état d’arrestation. Jusqu’à ce moment-là, il n’y avait eu, au cours de l’année où il n’était pas en détention, aucune préoccupation sérieuse quant au respect par M. Mohammed de l’ordonnance de mise en liberté.

[6]        Après son arrestation en septembre 2018, M. Mohammed a fait l’objet de huit contrôles des motifs de détention. Sept de ces contrôles ont abouti à son maintien en détention. Le huitième a donné lieu à l’ordonnance de mise en liberté, en date du 25 mars 2019, qui fait l’objet de la présente requête.

[7]        M. Mohammed n’a pas été renvoyé le 26 septembre 2018 comme cela avait été initialement proposé. Comme nous le verrons, il n’a toujours pas été renvoyé. Un certain nombre de renvois ont été prévus et annulés après la date de renvoi initiale, à savoir le 17 octobre 2018, la semaine du 28 janvier 2019 et la semaine du 11 mars 2019. Le renvoi a été retardé pour diverses raisons. Le ministre a eu de la difficulté à obtenir la coopération des compagnies aériennes commerciales à cause de préoccupations quant à la question de savoir si M. Mohammed constituerait une menace pour la sécurité ou la sûreté à bord. Le ministre a eu de la difficulté à organiser un vol nolisé privé comme solution de rechange à un vol commercial régulier et à obtenir de la Somalie la confirmation qu’elle admettrait M. Mohammed à son arrivée. Lors de la dernière audience de contrôle des motifs de détention, le ministre n’avait d’ailleurs toujours pas reçu cette « autorisation » du ministère somalien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, malgré le fait qu’il avait un titre de voyage valide délivré par l’ambassade de Somalie à Washington. Il convient également de dire que M. Mohammed n’a pas coopéré aux efforts de l’ASFC pour faciliter son renvoi, exprimant une vive crainte au sujet du sort qui lui sera réservé s’il est renvoyé en Somalie et refusant souvent de traiter avec les agents de l’ASFC d’une manière constructive.

[8]        Finalement, à la fin du mois dernier, après l’audience du dernier contrôle des motifs de détention, le ministre a accepté une suspension administrative du renvoi de M. Mohammed jusqu’à ce que la Cour ait statué sur la demande de contrôle judiciaire du rejet de la demande d’ERAR. L’avocat du ministre a demandé la reprise du contrôle des motifs de détention afin que la SI soit informée de ces derniers développements. La demande a été accueillie et l’audience s’est poursuivie brièvement le 22 mars 2019. Le commissaire a mis sa décision en délibéré.

[9]        Dans une décision écrite datée du 25 mars 2019, le commissaire a ordonné la libération de M. Mohammed sous réserve des conditions suivantes :

[traduction]

• Présentez-vous à la date, à l’heure et à l’endroit fixés par l’agent de l’ASFC pour vous conformer à toute obligation qui vous est imposée en vertu de la Loi, y compris le renvoi, si nécessaire.

• Avant votre remise en liberté, donnez une adresse résidentielle à un agent de l’ASFC et informez en personne l’ASFC avant tout changement d’adresse.

• Présentez-vous en personne à un agent de l’ASFC au bureau 100 du 289, rue Main, Winnipeg (Manitoba) R3C 1B3, tous les mardis et vendredis. Sur demande, un agent de l’ASFC ou de la Section de l’immigration peut, par écrit, réduire la fréquence à laquelle vous devez vous présenter.

• Ne troublez pas l’ordre public, ayez une bonne conduite et ne vous livrez pas à des activités qui pourraient entraîner une violation d’une loi fédérale.

• Ne fréquentez pas des personnes dont vous savez ou avez des raisons de croire qu’elles se livrent à des activités criminelles.

• Ne travaillez pas au Canada sans un permis de travail délivré en vertu de la Loi.

• Agissez avec civilité et courtoisie dans vos interactions avec les employés de l’ASFC.

[10]      Le ministre a immédiatement présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision. Le jour même où la décision a été rendue, le juge Walker a accueilli la requête du ministre par laquelle ce dernier demandait une suspension interlocutoire provisoire de l’ordonnance de mise en liberté. En conséquence, M. Mohammed est resté en détention dans l’attente de la décision sur la présente requête en suspension interlocutoire de l’ordonnance de mise en liberté. Il est maintenant en détention depuis plus de 200 jours.

III.        Le critère applicable pour l’octroi d’une suspension

A.        Principes généraux

[11]      Une ordonnance de suspension de la décision d’un tribunal constitue une mesure extraordinaire en equity. Le critère permettant de déterminer s’il convient de rendre une telle ordonnance est bien connu. En tant que partie demandant cette mesure en l’espèce, le ministre doit démontrer trois choses : 1) que la demande de contrôle judiciaire soulève une « question sérieuse à trancher »; 2) que le ministre subira un préjudice irréparable si la suspension est refusée; 3) que la prépondérance des inconvénients (c.-à-d. l’évaluation visant à établir quelle partie subirait le plus grand préjudice si la suspension était accordée ou refusée en attendant qu’une décision soit rendue sur le fond) favorise l’octroi de la suspension. Voir Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1988 CanLII 1420 (C.A.F.); R. c. Société Radio-Canada, 2018 CSC 5, [2018] 1 R.C.S. 196 (Société Radio-Canada), au paragraphe 12; Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110; RJR-MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311. Une partie qui demande une telle mesure interlocutoire doit satisfaire aux trois volets du critère.

[12]      En ce qui concerne le premier volet du critère, le seuil permettant d’établir qu’il y a une question sérieuse à juger est généralement bas. En règle générale, il faut simplement démontrer que les questions soulevées dans la demande sous-jacente ne sont ni frivoles ni vexatoires. Toutefois, comme je l’ai mentionné dans la décision Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. Allen, 2018 CF 1194 (Allen), au paragraphe 15, il y a des considérations importantes qui justifient l’application d’une norme élevée lorsque, comme en l’espèce, le ministre cherche à faire suspendre une ordonnance libérant une personne.

[13]      M’appuyant sur mes observations dans la décision Allen, je note que la suspension d’une ordonnance de mise en liberté annule effectivement dans une grande mesure la décision ordonnée par la SI, soit la mesure même sollicitée dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. En fait, on peut également dire que la suspension permet dans les faits au ministre de décider de l’issue du contrôle des motifs de détention, ce qu’il a sollicité sans succès devant la SI, à savoir le maintien en détention du détenu. À mon avis, cette situation est analogue à celle qui se présente lorsqu’un sursis à l’exécution d’une mesure de renvoi est demandé en attendant le contrôle judiciaire d’un refus de reporter le renvoi. Dans ce dernier contexte, il est bien établi qu’une norme élevée s’applique au premier volet du critère et que la partie requérante doit démontrer qu’elle aura probablement gain de cause dans la demande sous-jacente : voir Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148, [2001] 3 C.F. 682, au paragraphe 10; Baron c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, [2010] 2 R.C.F. 311, aux paragraphes 66 et 67 (le juge Nadon, avec l’accord de la juge Desjardins) et au paragraphe 74 (le juge Blais). J’estime que les mêmes raisons qui justifient une norme élevée pour le premier volet du critère du sursis se retrouvent également en l’espèce.

[14]      Je reconnais que dans la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. B479, 2010 CF 1227, [2012] 2 R.C.F. 491, mon collègue le juge Zinn a rejeté cette analogie et l’argument selon lequel un seuil élevé devrait être appliqué aux requêtes présentées par le ministre pour suspendre une ordonnance de mise en liberté (voir les paragraphes 19 à 26). Pour les motifs exposés ci-après, j’adopte respectueusement un point de vue différent.

[15]      Il est vrai que le maintien en détention de M. Mohammed à la suite d’une suspension pourrait être de courte durée, comme le fait remarquer l’avocat du ministre. M. Mohammed aurait droit à des contrôles réguliers des motifs de détention et il pourrait bien être libéré à la suite d’un contrôle ultérieur. Néanmoins, cette ordonnance de mise en liberté subséquente n’accorderait à M. Mohammed que ce que la SI lui a déjà accordé. La SI est un tribunal d’experts à qui l’on a confié la responsabilité première de trancher les questions de détention et de mise en liberté en vertu de la LIPR. Un détenu visé par une ordonnance de mise en liberté rendue par la SI ne devrait pas devoir attendre le prochain contrôle des motifs de sa détention pour tenter à nouveau d’obtenir une libération, à moins qu’il n’y ait des motifs clairs de penser que cette ordonnance sera probablement annulée lors du contrôle judiciaire.

[16]      Le récent arrêt de la Cour suprême du Canada Société Radio-Canada me conforte dans cette opinion. La Cour y a statué que le fardeau de l’exécution d’une injonction mandatoire justifiait un examen approfondi sur le fond à l’étape interlocutoire et que le critère approprié pour évaluer le premier volet du critère tripartite n’était pas simplement de savoir s’il y avait une question sérieuse à trancher, mais plutôt si la partie requérante a établi une forte apparence de droit (voir les paragraphes 15 et 16). Comme le démontre l’arrêt Société Radio-Canada, le critère tripartite est un critère souple qui doit tenir compte du caractère équitable de la mesure particulière sollicitée. Bien qu’encore une fois l’analogie ne soit pas parfaite, je suis d’avis que, dans les cas où est sollicitée une ordonnance dont l’effet serait la poursuite d’une privation de liberté, un critère similaire devrait être respecté lorsque vient le temps pour la Cour d’évaluer le bien-fondé de la demande sous-jacente et de suspendre l’effet juridique d’une ordonnance de mise en liberté.

[17]      Mais ce qu’il faut retenir, c’est que la liberté ne devrait jamais être refusée sans raison impérieuse. Certes, une ordonnance de suspension d’une ordonnance de mise en liberté préserve le statu quo en attendant la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, mais ce n’est pas quelque chose qui devrait être fait à la légère lorsque la liberté est en jeu. Comme l’a écrit le juge Iacobucci dans l’arrêt R. c. Hall, 2002 CSC 64, [2002] 3 R.C.S. 309, au paragraphe 47 (dissident, mais pas sur ce point) :

  La liberté du citoyen est au cœur d’une société libre et démocratique. La liberté perdue est perdue à jamais et le préjudice qui résulte de cette perte ne peut jamais être entièrement réparé. Par conséquent, dès qu’il existe un risque de perte de liberté, ne serait-ce que pour une seule journée, il nous incombe, en tant que membres d’une société libre et démocratique, de tout faire pour que notre système de justice réduise au minimum le risque de privation injustifiée de liberté.

Le juge Iacobucci a fait ces observations dans le contexte de la mise en liberté sous caution en droit criminel, mais elles s’appliquent en l’espèce avec la même force.

B.        Application du critère

1)         Question sérieuse

[18]      L’avocat du ministre a d’abord présenté des observations en fonction de la norme habituellement peu élevée qui consiste simplement à démontrer que les motifs invoqués ne sont ni frivoles ni vexatoires. Lorsque j’ai soulevé l’idée qu’une norme élevée pour évaluer le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente pourrait s’appliquer dans une affaire comme celle qui nous occupe, l’avocat du ministre a soutenu que les motifs invoqués répondent également à une telle norme. Malgré les observations pertinentes de l’avocat, je ne suis pas convaincu que le ministre a démontré qu’il a des chances d’obtenir gain de cause à l’égard de l’un quelconque des motifs pour lesquels il conteste la décision du commissaire.

[19]      Le ministre soutient que le commissaire a commis une erreur en :

a)         ne fournissant pas de motifs clairs et convaincants justifiant qu’il s’écarte des décisions antérieures de la SI;

b)         libérant (M. Mohammed) dans des conditions totalement inadéquates.

[20]      Mon évaluation de la solidité de ces motifs doit tenir compte de la norme de contrôle empreinte de retenue qui sera appliquée par la cour de révision. Pour avoir gain de cause dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, le ministre devra convaincre la cour de révision que la décision du commissaire est déraisonnable. Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable « s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit » (Canada (Procureur général) c. Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, [2016] 2 R.C.S. 80, au paragraphe 18). La cour de révision examine si la décision possède les attributs de la raisonnabilité, laquelle tient à la « justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », et se demande si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir), au paragraphe 47. Ces critères sont respectés « s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708 (Newfoundland and Labrador Nurses), au paragraphe 16). Il ne lui appartient pas de soupeser à nouveau la preuve ou de substituer à la décision l’issue qu’elle estime préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 R.C.S. 339, aux paragraphes 59 et 61). Dans le contexte de la présente affaire, cette norme de contrôle empreinte de déférence reflète les rôles distincts que le législateur a attribués à la SI et à la cour de révision. Elle reflète également l’expertise du tribunal en matière de détention et de mise en liberté dans le contexte de l’immigration par rapport à celle de la cour de révision.

[21]      Si l’on examine d’abord l’omission alléguée du commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants justifiant qu’il s’écarte des décisions antérieures de la SI, on peut remonter à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4, [2004] 3 R.C.F. 572 (Thanabalasingham), où la Cour d’appel fédérale a énoncé l’obligation de fournir les motifs sur lesquels le ministre se fonde. Il vaut la peine de reproduire au complet l’explication de cette exigence que le juge Rothstein (plus tard juge à la Cour suprême) a donnée au nom de la Cour [aux paragraphes 9 à 13] :

  La question à se poser alors est celle de l’importance qui doit être accordée, lors des contrôles subséquents, aux décisions antérieures. Comme il est clairement établi dans ses observations de vive voix, le ministre n’affirme pas que les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne ont un caractère liant lors des contrôles des motifs de la détention subséquents. Plutôt, le ministre affirme qu’un commissaire doit, pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, énoncer des motifs clairs et convaincants.

  Les décisions rendues à l’égard du contrôle des motifs de la détention sont des décisions fondées essentiellement sur les faits pour lesquelles il est habituellement fait preuve de retenue. Bien que, comme il a été précédemment mentionné, un commissaire ne soit pas lié par les décisions antérieures, je partage l’opinion du ministre selon laquelle il faut, dans les cas où un commissaire décide d’aller à l’encontre des décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne, que des motifs clairs et convaincants soient énoncés. Il existe des raisons valables pour exiger de tels motifs clairs et convaincants.

  La crédibilité de la personne en cause et celle des témoins sont souvent des questions en litige. Dans les cas où un décideur antérieur a eu la possibilité d’entendre les témoins, d’observer leur comportement et d’évaluer leur crédibilité, il est nécessaire que le décideur subséquent explique clairement les raisons pour lesquelles l’évaluation de la preuve faite par le décideur antérieur ne justifie pas le maintien de la détention. Par exemple, l’admission de nouveaux éléments de preuve pertinents constituerait un fondement valable pour aller à l’encontre d’une décision antérieure ordonnant la détention. Subsidiairement, une nouvelle évaluation des éléments de preuve antérieurs fondée sur de nouvelles prétentions peut également être suffisante pour aller à l’encontre d’une décision antérieure.

  La meilleure façon pour le commissaire de fournir des motifs clairs et convaincants serait d’expliquer précisément ce qui a entraîné la nouvelle conclusion, c’est-à-dire expliquer ce que la décision antérieure énonçait et les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire.

  Cependant, même si le commissaire n’énonce pas explicitement les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion différente de celle tirée par le commissaire antérieur, il peut le faire de façon implicite dans ses motifs de la décision subséquente. Ce qui serait inacceptable serait une décision rendue hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention.

[22]      Ainsi, en réponse à la question certifiée dans l’arrêt Thanabalasingham, le juge Rothstein a déclaré ce qui suit au paragraphe 24 :

[…] Lors de tout contrôle des motifs de la détention effectué suivant les articles 57 et 58 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, la Section de l’immigration doit rendre une nouvelle décision quant à la question de savoir si une personne détenue devrait être maintenue en détention. Bien que le fardeau de preuve puisse être déplacé pour incomber au détenu une fois que le ministre a établi prima facie qu’il y a lieu de maintenir la détention, il incombe en fin de compte toujours au ministre, lors de tels contrôles des motifs de la détention, d’établir que la personne détenue constitue un danger pour la sécurité publique au Canada ou qu’elle risque de se soustraire à la justice. Cependant, les décisions antérieures ordonnant la détention d’une personne doivent être prises en compte lors de contrôles subséquents et la Section de l’immigration doit énoncer des motifs clairs et convaincants pour pouvoir aller à l’encontre des décisions antérieures.

[23]      L’arrêt Thanabalasingham donne des indications précieuses aux décideurs de première instance sur l’importance des raisons d’expliquer le résultat obtenu, surtout si ce résultat diffère des décisions antérieures dans la même affaire. Il encourage également les parties à concentrer leur attention et leurs efforts sur les questions qui pourraient avoir une incidence sur le résultat comme si chacun des contrôles des motifs de détention successifs faisait l’objet d’un litige. Toutefois, lorsqu’une cour considère comme un motif de contrôle judiciaire l’exigence relative aux motifs clairs et convaincants pour aller à l’encontre de décisions antérieures, elle ne devrait pas considérer cette exigence comme un motif autonome pour annuler une décision. Cette exigence devrait plutôt être considérée sous l’angle du paradigme du contrôle judiciaire établi dans l’arrêt Dunsmuir, paradigme qui, il faut le souligner, a émergé à la suite de l’arrêt Thanabalasingham. Autrement dit, l’exigence relative aux motifs clairs et convaincants qui justifient que l’on s’écarte d’une décision antérieure de la SI ne devrait pas être considérée comme un motif distinct de contrôle judiciaire, mais plutôt comme une application de la norme de la décision raisonnable telle qu’elle a été énoncée dans l’arrêt Dunsmuir et la jurisprudence subséquente.

[24]      Comme il a été indiqué précédemment, en vertu de cette norme, la cour de révision doit déterminer si les motifs « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses, au paragraphe 16). Comme le juge Rothstein lui-même l’a fait observer plus tard dans l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 R.C.S. 654, « la déférence inhérente à la norme de la raisonnabilité se manifeste optimalement lorsqu’une décision administrative est justifiée de façon intelligible et transparente et que la juridiction de révision contrôle la décision à partir des motifs qui l’étayent » (au paragraphe 54). Des motifs clairs et convaincants expliquant pourquoi la SI s’écarte des décisions antérieures peuvent aider la cour de révision à comprendre le fondement de la décision de la SI et à déterminer si la conclusion appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. L’absence de tels motifs peut empêcher la cour de se prononcer sur ces questions, ce qui nécessite l’annulation de la décision et le renvoi de l’affaire pour un nouvel examen. En fin de compte, la question essentielle est de savoir si la cour de révision est en mesure de se prononcer sur ces questions compte tenu des motifs donnés et de l’ensemble du dossier.

[25]      En outre, comme la Cour d’appel fédérale l’a souligné dans l’arrêt Thanabalasingham, lorsqu’elle examine si les motifs d’un commissaire de la SI satisfont à l’exigence de fournir des motifs clairs et convaincants justifiant qu’il s’écarte de décisions antérieures, la cour de révision doit garder à l’esprit que ces motifs peuvent être exprimés de façon explicite dans la décision ou implicitement dans le résultat. Cela concorde avec l’observation formulée plus tard par la juge Abella dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses, selon laquelle une cour de justice qui se demande si la décision qu’elle est en train d’examiner est raisonnable du point de vue du résultat et des motifs « ne doit […] pas substituer ses propres motifs à ceux de la décision sous examen mais peut toutefois, si elle le juge nécessaire, examiner le dossier pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (Newfoundland and Labrador Nurses, au paragraphe 15).

[26]      En appliquant ce cadre, je conclus que le ministre n’a pas démontré que ce motif de contrôle judiciaire est susceptible d’être retenu.

[27]      L’essentiel des motifs du commissaire se trouve au paragraphe 24 de la décision, où il écrit :

[traduction] En ce qui concerne les facteurs pertinents de l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, M. Mohammed est détenu depuis six mois. Pour le moment, le renvoi est en suspens jusqu’à ce que la Cour fédérale statue sur les questions en litige, ce qui constitue un changement de circonstances important par rapport aux contrôles des motifs de détention antérieurs lors lesquels le ministre tentait encore d’obtenir le renvoi. Il est difficile de prédire combien de temps il faudra à la Cour fédérale pour rendre une décision, et il existe une myriade d’autres résultats possibles, notamment le renvoi de l’affaire pour un autre ERAR. Mon rôle n’est pas de faire des conjectures au sujet d’autres processus qui pourraient retarder le renvoi; à ce stade-ci, je ne tiens compte que du contrôle judiciaire de la Cour fédérale et, d’après mon expérience, une décision serait rendue environ trois mois après la date de l’audience. M. Mohammed pourrait avoir à être en détention pendant au moins cette période supplémentaire.

[28]      Le commissaire souligne ici que la décision du ministre de ne pas tenter d’obtenir le renvoi de M. Mohammed pour le moment constitue [traduction] « un changement de circonstances important ». Il s’agit d’un fait incontestable. Il s’agit d’un changement très important à au moins deux égards. Premièrement, comme le commissaire le savait très bien, les décisions antérieures de maintenir la détention étaient toutes fondées sur l’imminence du renvoi de M. Mohammed. Ce n’est plus le cas. Deuxièmement, la perspective d’un renvoi imminent explique également le comportement de M. Mohammed après sa rencontre fatidique avec les agents de l’ASFC le 14 septembre 2018. L’anxiété de M. Mohammed découlait non seulement de ses craintes quant à ce qui lui arrivera en Somalie, mais aussi de son impression que l’ASFC tentait de le renvoyer malgré les recours juridiques qu’il croyait être exercés en son nom. Tant que le renvoi continuait d’être considéré comme imminent, la SI avait des raisons de conclure que le comportement obstructionniste de M. Mohammed allait se poursuivre. Là encore, ce n’est plus le cas.

[29]      L’importance de ce changement de circonstances est également démontrée par les motifs donnés par le même commissaire pour maintenir la détention de M. Mohammed lors du contrôle des motifs de détention des sept jours effectué le 25 septembre 2018, c’est-à-dire la veille du jour prévu du renvoi. Le commissaire a alors déclaré en ordonnant le maintien en détention :

[traduction] Ce qui me préoccupe, c’est que le renvoi est prévu pour demain. M. Mohammed a exprimé de très grandes réserves au sujet du renvoi, ce qui me porte à croire qu’il est peu probable qu’il se présente pour ce renvoi prévu pour demain.

Il est donc certain que ces circonstances peuvent changer. Si le report est accordé, si un sursis est accordé ou si l’un ou l’autre se produit, il s’agirait d’un changement de circonstances dont on pourrait tenir compte. Puis, étant donné que M. Mohammed s’était montré coopératif, du moins en ce qui concerne son obligation de se présenter jusqu’à maintenant, je m’inquiète de ses déclarations très fermes sur le fait qu’il ne veut pas retourner en Somalie, à savoir que, compte tenu de l’imminence absolue du renvoi, il est probable qu’il ne se présente pas volontairement.

[30]      Bien que le 26 septembre 2018 soit arrivé sans que M. Mohammed ait été renvoyé, lors de toutes les audiences de contrôle des motifs de détention tenues entre le 25 septembre 2018 et la dernière, la SI a accepté les observations du ministre selon lesquelles la procédure de renvoi était engagée et le renvoi était toujours imminent. Compte tenu de cette situation et du principe énoncé dans l’arrêt Thanabalasingham, il n’est pas surprenant qu’aucun des autres commissaires qui ont traité le cas de M. Mohammed n’ait trouvé des motifs clairs et convaincants de s’écarter de la décision du commissaire Tessler du 25 septembre 2018. Un motif clair et convaincant de s’écarter de toutes ces décisions antérieures n’est apparu que lorsque le ministre a accepté de ne pas donner suite au renvoi pour l’instant. Il est difficile d’imaginer ce que le commissaire aurait dû dire d’autre pour expliquer pourquoi il s’écartait maintenant des décisions précédentes qui maintenaient la détention de M. Mohammed.

[31]      Pour ces motifs, je conclus que le ministre n’a pas démontré qu’une cour de révision est susceptible de conclure que le commissaire a rendu « une décision [...] hâtivement sans qu’il soit fait mention d’une manière significative des motifs antérieurs de la détention » (Thanabalasingham, au paragraphe 13). De façon plus générale, le ministre n’a pas démontré qu’une cour de révision est susceptible de conclure que la décision du 25 mars 2019 est déraisonnable.

[32]      Pour des raisons semblables, je conclus également que le ministre n’a pas démontré que la demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté a des chances d’être accueillie au motif que le commissaire a commis une erreur susceptible de révision en imposant des conditions de mise en liberté inadéquates. Comme pour le motif précédent, je dois évaluer la solidité de ce motif selon la norme de contrôle de la décision raisonnable. Le dossier démontre que le commissaire connaissait parfaitement les antécédents de M. Mohammed, y compris la teneur et le contenu de ses rapports avec l’ASFC après qu’il a été informé qu’il était sur le point d’être renvoyé. C’est d’ailleurs en partie pour cette raison que le même commissaire a maintenu la détention de M. Mohammed lors du contrôle des motifs de détention des sept jours. Les motifs du 25 mars 2019 démontrent que le commissaire savait que la conduite problématique de M. Mohammed s’était poursuivie depuis le contrôle des sept jours.

[33]      Les motifs démontrent également que, de l’avis du commissaire, l’importance de cette conduite doit être évaluée dans le contexte des événements tels qu’ils se sont déroulés à l’époque. Le commissaire a fait remarquer qu’il [traduction] « n’est pas rare qu’une personne, lorsqu’elle est avisée pour la première fois de son renvoi imminent, réagisse de façon exagérée, sans se rendre compte que les agents qui transmettent le message de renvoi n’ont pas le pouvoir de l’empêcher », mais qu’elle finisse par se calmer et collaborer avec les autorités en vue de son renvoi. Le commissaire a également souligné un autre aspect marquant du cas de M. Mohammed, en déclarant ce qui suit :

[traduction] Je suis également d’avis que M. Mohammed a fait valoir à juste titre qu’il croyait qu’il allait être renvoyé alors qu’il croyait avoir encore des recours juridiques au Canada. Cela n’excuse pas son comportement, mais l’explique dans une certaine mesure. Ses remarques sur le fait qu’il craignait pour sa vie s’il retournait en Somalie sont, à mon avis, exagérées et ne reflètent pas de façon fiable le risque de fuite. M. Mohammed a été en liberté du 11 septembre 2017 jusqu’à son arrestation, le 14 septembre 2018. Au cours de cette période, il a respecté les conditions qui lui étaient imposées et s’est présenté régulièrement à l’ASFC.

[34]      Le commissaire a en outre estimé qu’à ces égards, la décision de reporter le renvoi pour le moment constituait un changement de circonstances important. Cette décision a modifié le contexte dont il faut tenir compte lorsqu’on tente de prédire le comportement futur de M. Mohammed et lorsqu’on évalue le caractère adéquat des conditions de libération proposées. Le commissaire était au courant des décisions antérieures selon lesquelles les conditions proposées par M. Mohammed pour sa libération n’étaient pas suffisantes pour garantir qu’il se présente en vue de son renvoi. Le commissaire a tenu compte du contexte dans lequel ces décisions ont été prises. Il a également tenu compte du fait que ce contexte avait changé.

[35]      De plus, le commissaire a eu l’avantage unique d’observer M. Mohammed au cours de trois procédures de contrôle des motifs de détention (le 25 septembre 2018, le 18 mars 2019 et le 22 mars 2019). Il était particulièrement bien placé pour évaluer la crédibilité et la sincérité de M. Mohammed. Le commissaire a notamment eu l’avantage de pouvoir comparer la façon dont M. Mohammed se présente maintenant avec la façon dont il s’est présenté quelques jours seulement après son arrestation en septembre 2018. Ce sont là des avantages dont ni moi ni le juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire ne bénéficions. La cour de révision tiendra également compte de ces facteurs lorsqu’elle déterminera si la décision du commissaire est raisonnable ou non.

[36]      À la lumière de ce qu’il a pu observer et du changement de circonstances important, le commissaire a conclu que la libération aux conditions qu’il avait stipulées était maintenant appropriée. Compte tenu de tout ce qui précède, le ministre n’a pas démontré qu’il est probable qu’une cour de révision conclura que la décision du commissaire était déraisonnable.

[37]      Je conclurai sur ce volet du critère par trois observations.

[38]      Premièrement, bien que j’aie appliqué une norme élevée pour évaluer le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, cette norme n’est pas déterminante quant à la présente requête. Même si j’avais défini le critère de la question sérieuse comme étant la question de savoir si la demande est frivole ou vexatoire, j’aurais quand même rejeté la requête. En effet, même si j’avais conclu que les motifs invoqués ne sont pas frivoles ou vexatoires, je conclus également, pour les motifs énoncés ci-dessous, que le ministre n’a pas établi qu’un préjudice irréparable sera subi si la suspension n’est pas accordée.

[39]      Deuxièmement, même si j’ai conclu que le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire est insuffisant pour justifier une suspension de l’ordonnance de mise en liberté, la question de savoir s’il est suffisant pour satisfaire à la norme d’une « cause défendable » aux fins de l’obtention de l’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire est une question distincte. J’aborde cette question à la fin des présents motifs.

[40]      Troisièmement, mon évaluation de la solidité des motifs de contrôle judiciaire vise uniquement à déterminer si le ministre a satisfait au premier volet du critère tripartite applicable à la suspension de l’ordonnance de mise en liberté. Il s’agit nécessairement d’une évaluation préliminaire qui a été prise à la lumière des documents dont je disposais dans le cadre de la présente requête et des observations que j’ai entendues. Elle n’est évidemment pas contraignante pour le juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire. Ce juge fera sa propre évaluation en se fondant sur ce qui pourrait être un dossier plus étoffé et des observations plus complètes.

2)         Préjudice irréparable

[41]      Puisque le ministre doit satisfaire aux trois volets du critère pour obtenir une suspension, la présente requête doit être rejetée. Il n’est donc pas, à proprement parler, nécessaire d’aborder l’un ou l’autre des deux autres volets du critère. Néanmoins, étant donné que le risque que M. Mohammed ne se présente pas pour son renvoi constitue une préoccupation centrale dans la présente affaire et que j’ai eu l’avantage d’entendre des observations complètes sur cette question, je crois qu’il est également approprié d’aborder la question du préjudice irréparable.

[42]      Relativement à ce deuxième volet du critère, il incombe au ministre de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y aura préjudice irréparable si la mesure demandée n’est pas accordée et que M. Mohammed est libéré. Le ministre soutient qu’il y aura préjudice irréparable à l’intérêt public si une suspension de l’ordonnance de mise en liberté n’est pas accordée parce que M. Mohammed tentera de faire obstacle à son renvoi du Canada en ne se présentant pas pour son renvoi advenant une décision finale en ce sens. Aucune autre forme de préjudice à l’intérêt public — par exemple que M. Mohammed sera un danger pour le public s’il est libéré — n’est invoquée.

[43]      Pour satisfaire à ce volet du critère, le ministre doit présenter des preuves claires et non conjecturales. Il ne suffit pas de démontrer qu’un préjudice irréparable « pourrait » se produire. Voir Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire à l’information), 2001 CAF 25, au paragraphe 12; International Longshore and Warehouse Union c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 3, au paragraphe 25; United States Steel Corporation c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 200, au paragraphe 7. Le ministre doit « produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité que, faute de sursis, un préjudice irréparable sera inévitablement causé. Les hypothèses, les conjectures et les affirmations discutables non étayées par les preuves n’ont aucune valeur probante » (Glooscap Heritage Society c. Canada (Revenu national), 2012 CAF 255, au paragraphe 31 (le juge Stratas)).

[44]      Il n’est pas contesté que la mise en liberté d’une personne qui ne se présente pas à son renvoi discréditerait l’intégrité du système d’immigration (Canada (Sécurité publique et Protection civile) c. JW, 2018 CF 1076 (JW), au paragraphe 61). La question qui m’est soumise est de savoir si le ministre a démontré une réelle probabilité que, s’il est libéré aux conditions ordonnées par le commissaire, M. Mohammed ne se présentera pas pour son renvoi.

[45]      À l’appui de sa position, le ministre souligne les nombreux antécédents criminels de M. Mohammed aux États-Unis, son entrée illégale au Canada et son manque de coopération lors des tentatives antérieures de le renvoyer du Canada. Les antécédents criminels et les circonstances dans lesquelles M. Mohammed est entré au Canada démontreraient un manque de respect pour la loi et qu’on ne peut lui faire confiance, pas même pendant sa libération. Son manque de coopération avec l’ASFC démontrerait sa forte motivation à ne pas retourner en Somalie et sa volonté de faire tout ce qui est nécessaire pour éviter que cela se produise.

[46]      Je suis d’accord avec le ministre pour dire que toutes ces considérations sont importantes. Toutefois, je ne suis pas convaincu qu’elles démontrent qu’il est peu probable que M. Mohammed se présente pour son renvoi advenant une décision en ce sens.

[47]      Le casier judiciaire de M. Mohammed est préoccupant, mais il n’a pas empêché sa libération initiale en septembre 2017. Après sa libération, M. Mohammed s’est conformé aux conditions de sa libération pendant un an, y compris en se présentant toutes les deux semaines à l’ASFC. Ses interactions avec l’ASFC après qu’on lui a dit qu’il était sur le point d’être renvoyé en Somalie sont également préoccupantes, mais elles doivent être considérées dans leur contexte. Comme il a été mentionné plus haut, ce contexte a maintenant changé de manière importante. Le ministre ne demande pas le renvoi imminent de M. Mohammed et les procédures judiciaires sont bien engagées. M. Mohammed a maintenant toutes les raisons de se conformer aux conditions de sa libération, comme il l’a fait lorsqu’il a été libéré la première fois. Le commissaire a jugé bon d’imposer des conditions à la libération de M. Mohammed afin de s’assurer que son renvoi puisse avoir lieu s’il s’avère nécessaire. Je reconnais que le ministre soutient que les conditions sont inadéquates. Toutefois, dans le cadre de la présente requête je ne peux pas prétendre qu’elles n’existent pas. Le non-respect par M. Mohammed de l’une ou l’autre d’entre elles aura des conséquences réelles et importantes pour lui.

[48]      Le ministre n’a présenté aucune preuve démontrant que M. Mohammed a les moyens ou la capacité d’échapper au renvoi en tentant de disparaître. Le ministre rappelle la conclusion de la SI du 26 octobre 2018, selon laquelle, étant donné que M. Mohammed avait fui les États-Unis, il [traduction] « le ferait facilement à nouveau ». Le commissaire a poursuivi : [traduction] « Je ne pense pas que vous auriez de la difficulté à retourner aux États-Unis ou à vous cacher quelque part au Canada si cela permettrait d’empêcher les agents d’immigration d’exécuter leur mesure de renvoi contre vous ». Outre le fait incontesté que M. Mohammed a fui les États-Unis, le commissaire ne mentionne aucune preuve supplémentaire à l’appui de cette conclusion.

[49]      Évidemment, cette conclusion ne me lie pas. En toute déférence, j’adopte un point de vue différent sur les éléments de preuve. Comme l’a fait le commissaire Tessler, j’estime, d’après la preuve qui m’a été présentée, que M. Mohammed [traduction] « n’a nulle part où s’enfuir; le retour aux États-Unis n’est pas une option et rien n’indique qu’il tenterait de vivre dans la clandestinité et sans statut au Canada ».

[50]      Je constate également que, dans le cadre de sa compétence, l’ASFC peut toujours arrêter de nouveau M. Mohammed si elle juge qu’il y a un changement important dans le risque que M. Mohammed ne se présente pas en vue de son renvoi ou pour tout autre motif valable pertinent. Je suis convaincu que l’ASFC ne le ferait toutefois pas sans motif solide. En même temps, M. Mohammed est conscient que l’ASFC a ce pouvoir. Il ne connaît que trop bien les conséquences qui peuvent résulter de son propre comportement. Il sera fortement incité à ne rien faire qui pourrait donner à l’ASFC une raison d’exercer à nouveau ce pouvoir contre lui.

[51]      Pour ces raisons, j’ai conclu que le ministre n’a pas démontré qu’un préjudice irréparable s’ensuivrait si une suspension de l’ordonnance de mise en liberté n’était pas accordée. Le ministre n’a notamment pas démontré que, si M. Mohammed est libéré en vertu de l’ordonnance de mise en liberté, il ne se présentera pas pour son renvoi.

IV.       Autres mesures demandées

[52]      Le ministre a également demandé à la Cour d’autoriser la présentation de la demande de contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté. Bien qu’il soit quelque peu inhabituel de traiter la question de l’autorisation de cette façon, c’est loin d’être rare que la Cour entende de telles demandes (voir, par exemple, JW, au paragraphe 36). L’avocat de M. Mohammed s’est opposé à l’octroi de l’autorisation, mais il est juste de dire qu’il ne l’a pas fait avec vigueur et qu’il n’a pas insisté sur la nécessité de déposer des documents supplémentaires. Vu l’ensemble des circonstances, je suis d’avis qu’il est dans l’intérêt de la justice que je traite de cette question maintenant. Il ne servirait à rien de retarder l’examen de cette question. Même si j’ai conclu que le ministre n’a pas démontré qu’il est probable que la demande de contrôle judiciaire sous-jacente soit accueillie, je suis convaincu que les motifs invoqués soulèvent une cause défendable suffisante pour que l’autorisation soit accordée (voir Adetunji c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 708, au paragraphe 40), et je rendrai une ordonnance en ce sens.

[53]      Le ministre demande également que la demande de contrôle judiciaire soit accélérée et, en fait, qu’elle soit ajoutée au rôle à Winnipeg le 16 avril 2019, afin qu’elle puisse être entendue conjointement avec le contrôle judiciaire du rejet de la demande d’ERAR. Si j’avais ordonné la suspension de l’ordonnance de mise en liberté, cette mesure aurait été appropriée. Toutefois, étant donné que la suspension est refusée, je ne considère pas qu’il soit nécessaire que le contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté soit traité de manière aussi urgente. Une ordonnance distincte précisera la date et l’heure de l’audition de la demande de contrôle judiciaire ainsi que le délai applicable pour la production de documents supplémentaires.

V.        Conclusion

[54]      Pour tous ces motifs, la requête du ministre en suspension de l’ordonnance de mise en liberté est rejetée. La demande d’autorisation de procéder au contrôle judiciaire de l’ordonnance de mise en liberté est accueillie.

[55]      Pour terminer, je remercie les avocats des parties pour la grande qualité de leurs documents écrits et de leurs observations formulées de vive voix, dont la préparation a été faite dans des délais très serrés.

 

ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-1989-19

LA COUR ORDONNE :

1.         La requête du ministre en suspension interlocutoire de l’ordonnance de mise en liberté datée du 25 mars 2019 est rejetée.

2.         La demande d’autorisation de contrôle judiciaire est accueillie. Une ordonnance distincte précisera la date et l’heure de l’audition de la demande de contrôle judiciaire ainsi que le délai applicable pour la production de documents supplémentaires.

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