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            A-96-18

 2019 CAF 169

Barinder Singh Sidhu (appelant)

c.

Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (intimé)

Répertorié  : Sidhu c. Canada (Citoyenneté et Immigration)

Cour d’appel fédérale, juges Dawson, Woods et Rivoalen, J.C.A.—Vancouver, 11 avril; Ottawa, 7 juin 2019.

Citoyenneté et Immigration — Exclusion et renvoi — Personnes interdites de territoire — Appel et appel incident interjetés à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimé à l’encontre de la décision de la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié — La Cour fédérale a conclu que la décision de la Section d’appel était déraisonnable; elle a formulé des commentaires incidents sur la façon de régler la question de l’obligation de franchise au bénéfice de toute autre procédure — L’intimé a interjeté un appel incident, demandant que le jugement soit modifié pour supprimer l’exigence voulant que le nouvel examen soit effectué « conformément aux motifs fournis » — L’appelant est un résident permanent du Canada — Son père a été déclaré coupable en Inde de diverses infractions liées à un meurtre commis en Inde et a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité — Le père de l’appelant a subséquemment présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial — Il a indiqué son épouse et l’appelant comme personnes à charge qui l’accompagnaient, mais il n’a pas divulgué son passé criminel en Inde — Un rapport d’immigration indiquant que l’appelant était interdit de territoire aux termes de l’art. 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés a été préparé — La Cour fédérale a observé que, sans la présentation erronée de son père, l’appelant n’aurait pas été admis au Canada; que son statut de résident permanent était fondé sur un mensonge de son père — Ce mensonge a directement entraîné une erreur dans l’application de la Loi — Il s’agissait principalement de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il était déraisonnable que la Section d’appel conclue que la présentation erronée du père n’était pas attribuable à l’appelant comme présentation erronée « indirecte »; et si la Cour fédérale a commis une erreur dans son évaluation de la « question de l’obligation de franchise » — Les motifs de la Section d’appel n’ont pas résisté à un examen minutieux pour donner un fondement justifié, transparent et intelligible à l’interprétation de la Section d’appel — La Cour fédérale a statué à juste titre que le régime législatif permettant de conclure qu’un résident permanent est interdit de territoire pour présentation erronée ne dépend pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’art. 44 de la Loi et de la tenue d’une audience d’interdiction de territoire contre une autre partie — En l’espèce, l’appelant pouvait dûment faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, même si son père était à l’extérieur du Canada et n’avait pas encore fait l’objet d’un rapport en vertu de l’art. 44 — En ce qui concerne la « question de l’obligation de franchise » dans le contexte de l’art. 40(1)a) de la Loi, les motifs invoqués par la Section d’appel n’ont pas résisté à un examen approfondi; la Section d’appel n’a pas tenu compte de l’ensemble des circonstances — La Cour fédérale a conclu à tort que la Section d’appel a raisonnablement conclu que l’appelant n’était pas tenu de divulguer des renseignements concernant la déclaration de culpabilité de son père — C’était une question que la Section d’appel devait examiner séparément par rapport à la question de l’attribution de la présentation erronée du père — Enfin, en ce qui concerne l’appel incident, les remarques de la Cour fédérale au sujet de l’obligation de divulgation incombant à l’appelant étaient incidentes; elles n’ont pas été intégrées dans le jugement, et elles ne lieront pas la Section d’appel lors du nouvel examen — Par conséquent, il n’était pas nécessaire de modifier le jugement de la Cour fédérale — Appel et appel incident rejetés.

 

Il s’agissait d’un appel et d’un appel incident interjetés à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimé à l’encontre de la décision de la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Elle a renvoyé la question concernant l’admissibilité de l’appelant à la Section d’appel « à un autre commissaire pour un nouvel examen conformément aux motifs fournis ». Après avoir conclu que la décision de la Section d’appel était déraisonnable, la Cour fédérale a alors donné ses raisons pour lesquelles elle répondrait à la question de l’obligation de franchise au bénéfice de toute autre procédure. L’intimé a interjeté un appel incident, demandant que le jugement de la Cour fédérale soit modifié pour supprimer l’exigence voulant que le nouvel examen soit effectué « conformément aux motifs fournis » par la Cour fédérale. La principale question soulevée dans le présent appel était de savoir si une présentation erronée sur un fait important faite par le demandeur principal d’une demande de résidence permanente peut être attribuée à une personne à charge qui l’accompagne à titre de présentation erronée « indirecte » sur un fait important au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, rendant la personne à charge interdite de territoire.

L’appelant est un résident permanent du Canada. Son père a été déclaré coupable en Inde de diverses infractions au Code pénal indien liées au meurtre d’une personne en Inde et a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité. Le père de l’appelant a subséquemment présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Dans sa demande de résidence permanente, le père de l’appelant a indiqué son épouse et l’appelant comme personnes à charge qui l’accompagnaient. Par la suite, alors que son père était en liberté conditionnelle, l’appelant et ses parents ont obtenu le droit d’établissement en tant que résidents permanents du Canada. Dans sa demande de résidence permanente et par la suite au moment de son établissement, le père de l’appelant n’a pas divulgué qu’il avait été arrêté, accusé et déclaré coupable de diverses infractions en Inde. Un rapport dans lequel un agent d’immigration a présenté l’avis que l’appelant était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi a ensuite été préparé. Ce rapport a été déféré à la Section de l’immigration, qui a conclu que l’appelant n’était pas interdit de territoire pour fausses déclarations. Il a été interjeté appel sans succès de cette décision à la Section d’appel. L’intimé a ensuite présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel.

La Cour fédérale a observé que, sans la présentation erronée de son père, l’appelant n’aurait pas été admis au Canada, de sorte que son statut de résident permanent était fondé sur un mensonge, même s’il s’agissait d’un mensonge de la part de son père. Ce mensonge a directement entraîné une erreur dans l’application de la Loi. La Cour fédérale a conclu que l’interprétation par la Section d’appel de la disposition législative en cause semblait reposer sur l’hypothèse selon laquelle l’appelant ne pouvait être déclaré interdit de territoire que si son père faisait d’abord l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire. De l’avis de la Cour fédérale, cette interprétation contrecarrerait l’objet de la loi. La Cour fédérale a également examiné la manière dont la Section d’appel avait traité le paragraphe 42(1) de la Loi, à savoir que le résultat serait absurde si l’appelant était déclaré interdit de territoire alors que son père ne ferait pas l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire; elle a rejeté l’interprétation de la Section d’appel. La Cour fédérale a ensuite formulé des commentaires incidents sur « l’obligation de franchise », concluant que les circonstances « n’oblig[eai]ent pas à conclure » que l’appelant était tenu de divulguer les antécédents criminels de son père dans la demande qu’il a signée ou lorsqu’ils ont été interrogés au point d’entrée. Seul le demandeur principal était tenu de divulguer si l’un des demandeurs à charge avait des antécédents de ce genre. Par conséquent, il était dans l’éventail des issues possibles au regard des faits et du droit pour la Section d’appel de conclure que l’appelant n’avait aucune obligation de franchise de donner des renseignements sur son père au point d’entrée.

  Il s’agissait principalement de savoir si la Cour fédérale a commis une erreur en concluant qu’il était déraisonnable que la Section d’appel conclue que la présentation erronée du père n’était pas attribuable à l’appelant comme présentation erronée « indirecte »; et si la Cour fédérale a commis une erreur dans son évaluation de la « question de l’obligation de franchise ».

Arrêt  : l’appel et l’appel incident doivent être rejetés.

Les motifs de la Section d’appel n’ont pas résisté à un examen minutieux pour donner un fondement justifié, transparent et intelligible à l’interprétation de la Section d’appel. La Cour fédérale a statué à juste titre que « le régime législatif permettant de conclure qu’un résident permanent est interdit de territoire pour présentation erronée ne dépend pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’article 44 et de la tenue d’une audience d’interdiction de territoire contre une autre partie ». En l’espèce, cela signifiait que l’appelant pouvait dûment faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, même si son père était à l’extérieur du Canada et n’avait pas encore fait l’objet d’un rapport en vertu de l’article 44. La Cour fédérale a eu raison de conclure en outre que, selon l’interprétation de la Section d’appel, les membres de la famille ne pourraient faire l’objet d’une mesure de renvoi si, après avoir obtenu l’établissement, le demandeur principal quittait le Canada et restait à l’étranger afin d’éviter une enquête sur l’interdiction de territoire. Cela porterait atteinte à l’intégrité du processus d’immigration et serait absurde.

En ce qui concerne l’application de la règle d’exclusion implicite, la Section d’appel s’est fondée sur le raisonnement de la Section de l’immigration selon lequel, étant donné que l’alinéa 40(1)b) de la Loi précise qu’un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour « être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations », et que l’alinéa 40(1)a) ne contient pas de libellé semblable, le législateur a manifesté son intention de ne pas vouloir lier l’interdiction de territoire d’un demandeur principal pour fausses déclarations à toutes les personnes à charge ayant obtenu le droit d’établissement. Le problème que posait ce raisonnement tenait au fait qu’il reposait sur l’hypothèse que, interprété correctement, l’alinéa 40(1)a) n’attribue pas la présentation erronée d’un demandeur principal à une personne à sa charge qui l’accompagne à titre de présentation erronée « indirecte » d’un fait important. C’est la question précise de l’interprétation des lois à laquelle la Section d’appel était tenue de répondre. En l’espèce, la règle d’exclusion implicite en matière d’interprétation des lois ne s’appliquait pas ― dans les faits, la Section d’appel a fondé son interprétation de l’alinéa 40(1)a) sur son hypothèse et s’est ensuite appuyée sur l’alinéa 40(1)b) pour la confirmer.

En ce qui concerne la question certifiée par la Cour fédérale, les motifs de la Section d’appel ne permettaient pas à la Cour, en se prêtant à un examen du caractère raisonnable, de répondre à la question certifiée. Dans les circonstances de l’espèce, si elle procédait à l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique requise afin de répondre à la question certifiée, la Cour aurait entièrement excisé et supplanté les motifs de la Section d’appel. Cela constituerait un examen selon la norme de la décision correcte, alors que le législateur a confié à la Section d’appel, et non à la Cour, la responsabilité d’interpréter la Loi.

En ce qui concerne l’évaluation par la Cour fédérale de la « question de l’obligation de franchise » dans le contexte de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, l’exigence de franchise est invoquée pour évaluer l’aspect « réticence » de la disposition. La Section d’appel a conclu que les circonstances ne permettaient pas de conclure qu’il y avait eu réticence sur un fait important qui a entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Les motifs invoqués par la Section d’appel n’ont pas résisté non plus à un examen approfondi pour fournir un fondement justifié, transparent et intelligible à sa conclusion et, en outre, la Section d’appel n’a pas tenu compte de l’ensemble des circonstances. La Cour fédérale a conclu à tort que la Section d’appel a raisonnablement conclu que l’appelant n’était pas tenu de divulguer des renseignements concernant la déclaration de culpabilité de son père. Cela demeurait une question que la Section d’appel devait examiner séparément par rapport à la question de l’attribution de la présentation erronée du père.

Enfin, en ce qui concerne l’appel incident, les remarques de la Cour fédérale au sujet de l’obligation de divulgation incombant à l’appelant étaient incidentes et n’ont pas été intégrées dans le jugement. Elles ne lieront pas la Section d’appel lors du nouvel examen. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de modifier le jugement de la Cour fédérale.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 11(1), 16(1), 40, 41, 42.

Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, art. 10, 51, 98(6), 117.

Penal Code (Inde).

JURISPRUDENCE CITÉE

décisions examinées  :

McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895; Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559; Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83; Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708; Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd. c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136; Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 R.C.S. 6; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Yansane, 2017 CAF 48.

décisions citées  :

Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Bodine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848; Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, [2007] A.C.F. no 1667 (QL).

  APPEL et APPEL INCIDENT interjetés à l’encontre de la décision par laquelle la Cour fédérale (2018 CF 306, [2018] 4 R.C.F. 267) a accueilli la demande de contrôle judiciaire de l’intimé à l’encontre de la décision de la Section d’appel de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (2017 CanLII 64209) concernant l’interdiction de territoire de l’appelant au Canada. Appel et appel incident rejetés.

ONT COMPARU

Aleksander Stojicevic et Mojan Farshchi pour l’appelant.

Cheryl D. Mitchell pour l’intimé.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Maynard Kischer Stojicevic, Vancouver, pour l’appelant.

La sous-procureure générale du Canada pour l’intimé.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

            La juge Dawson, J.C.A. :

 

Paragraphe

1.         Le contexte factuel

2

2.         La norme de contrôle

14

3.         Le cadre législatif

17

4.         Les décisions de la Section de l’immigration et de la Section d’appel de l’immigration

26

            A.        La décision de la Section de l’immigration

26

            B.        La décision de la Section d’appel de l’immigration

31

5.         La décision de la Cour fédérale

37

6.         Les questions à trancher

47

7.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il était déraisonnable que la Section d’appel conclue que la présentation erronée du père n’était pas attribuable à l’appelant comme présentation erronée « indirecte »?

48

A.        Principes juridiques pertinents

48

B.        Application des principes juridiques pertinents à la décision de la Section d’appel

53

C.        La question certifiée

61

8.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la « question de l’obligation de franchise »?

70

9.         L’appel incident

80

10.       Conclusion

85

[1]        L’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 rend un résident permanent ou un étranger interdit de territoire pour fausses déclarations lorsque le résident permanent ou l’étranger fait « directement ou indirectement » une présentation erronée sur un « fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de » la Loi. La principale question soulevée dans le présent appel est de savoir si une présentation erronée sur un fait important faite par le demandeur principal d’une demande de résidence permanente peut être attribuée à une personne à charge qui l’accompagne à titre de présentation erronée « indirecte » sur un fait important au sens de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, rendant la personne à charge interdite de territoire. La question est soulevée dans les circonstances suivantes.

1.         Le contexte factuel

[2]        L’appelant n’est pas un citoyen canadien; il est un résident permanent du Canada.

[3]        Le 21 octobre 2005, le père de l’appelant a été déclaré coupable en Inde de diverses infractions au Code pénal indien [Indian Penal Code] liées au meurtre de Jaswinder Kaur Sidhu en Inde. Le père de l’appelant a été condamné à l’emprisonnement à perpétuité.

[4]        En janvier 2007, le père de l’appelant, parrainé par sa fille, a présenté une demande de résidence permanente au Canada à titre de membre de la catégorie du regroupement familial. Dans sa demande de résidence permanente, le père de l’appelant a indiqué son épouse et l’appelant comme personnes à charge qui l’accompagnaient. Le 4 mai 2008, alors que le père de l’appelant était en liberté conditionnelle, l’appelant et ses parents ont obtenu le droit d’établissement en tant que résidents permanents à l’aéroport international de Vancouver. Au moment de son établissement, l’appelant avait 25 ans.

[5]        Dans sa demande de résidence permanente et par la suite au moment de son établissement, le père de l’appelant n’a pas divulgué qu’il avait été arrêté, accusé et déclaré coupable de diverses infractions au Code pénal indien. Plus précisément, dans le formulaire Annexe 1 – Antécédents/Déclaration, on pose au père de l’appelant la question : « Est-ce que vous-même ou, si vous êtes le requérant principal, l’un des membres de votre famille nommés sur la demande de résidence permanente au Canada : avez déjà été déclaré coupable ou êtes présentement accusé(e) ou poursuivi(e), ou encore avez été complice d’un crime ou d’une infraction ou avez fait l’objet de poursuites au criminel dans un pays? ». Le père a répondu « Non ». Cette réponse était fausse.

[6]        Il est admis que l’accusation et la déclaration de culpabilité du père étaient des faits importants quant à un objet pertinent — l’admissibilité au Canada — et que la réponse fausse du père a entraîné une erreur dans l’application de la Loi.

[7]        Il n’y a aucun élément de preuve indiquant que l’appelant a fait une présentation erronée sur un fait important dans son propre formulaire Annexe 1 – Antécédents/Déclaration ou au moment de son établissement.

[8]        Le 5 février 2015, un agent d’immigration a préparé un rapport à l’intention du ministre aux termes du paragraphe 44(1) de la Loi dans lequel l’agent a présenté l’avis que l’appelant était interdit de territoire aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi pour avoir « directement ou indirectement, fai[t] une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi ». Le rapport s’appuyait sur les renseignements suivants :

L’appelant :

•           n’est pas un citoyen canadien;

•           est devenu un résident permanent du Canada à l’aéroport international de Vancouver en mai 2008;

•           était une personne à charge accompagnant son père;

•           le père de l’appelant est interdit de territoire au Canada parce qu’il [traduction] « a omis de divulguer à l’agent des visas qu’il avait été déclaré coupable de complot en vue de commettre un meurtre et un enlèvement en Inde avant la délivrance de son visa »;

•           l’appelant [traduction] « n’a pas divulgué des renseignements concernant la déclaration de culpabilité de son père, et/ou il y a eu réticence de sa part sur ces renseignements, ce qui a entraîné une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ».

[9]        Un délégué du ministre a déféré le rapport à la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié au Canada. La Section de l’immigration a conclu que l’appelant n’était pas interdit de territoire pour fausses déclarations (Dossier no : B5-01024).

[10]      Le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a interjeté appel de la décision de la Section de l’immigration. La Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté l’appel (Dossier no : VB6-02129 [Sidhu c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2017 CanLII 64209 (C.I.S.R.)]).

[11]      Le ministre a présenté à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel. Pour les motifs répertoriés sous la référence 2018 CF 306 [Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Sidhu, [2018] 4 R.C.F. 267], la demande a été accueillie et la Cour fédérale a renvoyé l’affaire à la Section d’appel de l’immigration pour réexamen selon les modalités expliquées ci-après. Dans ces motifs, après avoir conclu que la décision de la Section d’appel était déraisonnable, la Cour fédérale a alors donné ses « raisons pour lesquelles je répondrais à la question de l’obligation de franchise au bénéfice de toute autre procédure ». (motifs, au paragraphe 51).

[12]      Dans son jugement, la Cour fédérale a accueilli la demande de contrôle judiciaire présentée par le ministre à l’encontre de la décision de la Section d’appel et a renvoyé la question concernant l’admissibilité de l’appelant à la Section d’appel « à un autre commissaire pour un nouvel examen conformément aux motifs fournis ». La Cour fédérale a certifié la question suivante :

Selon l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ainsi formulé : « Emportent interdiction de territoire pour présentations erronées les faits suivants : a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi »; […] un résident permanent est-il interdit de territoire pour avoir indirectement fait une présentation erronée sur un fait important s’il a obtenu le droit d’établissement en tant que personne à charge d’un demandeur principal qui, dans sa demande de droit d’établissement, a fait une présentation erronée sur un fait important?

[13]      Le présent appel est interjeté à l’encontre du jugement rendu par la Cour fédérale. De plus, il y a un appel incident du ministre, demandant que le jugement de la Cour fédérale soit modifié pour supprimer l’exigence voulant que le nouvel examen soit effectué « conformément aux motifs fournis » par la Cour fédérale.

2.         La norme de contrôle

[14]      Il est bien établi en droit que, dans le présent appel, notre Cour doit déterminer si la Cour fédérale a choisi la norme de contrôle appropriée et si elle l’a appliquée correctement à la décision de la Section d’appel.

[15]      La Cour fédérale a, à juste titre, choisi la norme de contrôle de la décision raisonnable. Afin d’appliquer correctement cette norme de contrôle à la décision de la Section d’appel, la Cour fédérale devait déterminer si l’interprétation par la Section d’appel de l’alinéa 40(1)a) était une interprétation « que permet raisonnablement » le libellé de la loi en cause. (McLean c. Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 R.C.S. 895, au paragraphe 40). Dans le présent appel, notre Cour doit se « met[tre] à la place » de la Cour fédérale et se concentrer sur la décision de la Section d’appel (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559, citant Merck Frosst Canada Ltée c. Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 R.C.S. 23, au paragraphe 247).

[16]      Avant de se pencher sur la décision de la Section d’appel, il est utile d’examiner le cadre législatif applicable.

3.         Le cadre législatif

[17]      Un étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visas et autres documents requis par règlement pris en vertu de la Loi. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi (paragraphe 11(1)). L’auteur d’une demande au titre de la présente loi « doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle » (paragraphe 16(1)). Cette exigence de franchise est un principe prépondérant de la Loi et un principe qui aide à l’interprétation de diverses dispositions de la Loi.

[18]      L’obligation de franchise est soulignée à l’article 51 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. Lorsqu’un étranger cherche à devenir un résident permanent, l’article 51 du Règlement exige :

Contrôle : résident permanent

51 L’étranger titulaire d’un visa de résident permanent qui cherche à devenir un résident permanent doit, lors du contrôle :  

a) le cas échéant, faire part à l’agent de ce qui suit : 

(i) il est devenu un époux ou conjoint de fait ou il a cessé d’être un époux, un conjoint de fait ou un partenaire conjugal après la délivrance du visa,   

(ii) tout fait important influant sur la délivrance du visa qui a changé depuis la délivrance ou n’a pas été révélé au moment de celle-ci;     

b) établir que lui et les membres de sa famille, qu’ils l’accompagnent ou non, satisfont aux exigences de la Loi et du présent règlement. [Soulignements ajoutés.]         

[19]      L’obligation de franchise sous-tend également l’alinéa 40(1)a) de la Loi, qui rend un résident permanent ou un étranger interdit de territoire pour fausses déclarations. Plus précisément, l’alinéa a) est rédigé ainsi :

Fausses déclarations

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :    

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi. [Soulignements ajoutés.]       

[20]      L’article 41 de la Loi contient une disposition supplémentaire relative à l’interdiction de territoire qui rend un étranger interdit de territoire pour manquement à la Loi. Le résident permanent ne devient aussi interdit de territoire en application de cette disposition que s’il ne satisfait pas aux exigences en matière de résidence ou s’il ne se conforme pas aux conditions réglementaires :

Manquement à la loi

41 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées. [Soulignements ajoutés.]

[21]      L’article 42 de la Loi porte sur la catégorie du regroupement familial des étrangers. En règle générale, si un étranger est un membre de la famille accompagnant une personne interdite de territoire, cet étranger est interdit de territoire en raison de la présence d’un membre de la famille interdit de territoire. Il existe une exception pour l’étranger qui demande le statut de résident temporaire :

Inadmissibilité familiale

42 (1) Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;   

b) accompagner, pour un membre de sa famille, un interdit de territoire.

Exception   

(2) Dans le cas où l’étranger visé au paragraphe (1) est résident temporaire ou dans le cas où il a présenté une demande pour obtenir le statut de résident temporaire ou une demande de séjour au Canada à titre de résident temporaire  :  

a) les faits visés à l’alinéa (1)a) emportent interdiction de territoire seulement si le membre de sa famille est interdit de territoire en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37;      

b) les faits visés à l’alinéa (1)b) emportent interdiction de territoire seulement si le membre de sa famille qu’il accompagne est interdit de territoire en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37. [Soulignements ajoutés.]

[22]      Étant donné que la famille de l’appelant a demandé la résidence permanente au titre de membre de la catégorie du regroupement familial parrainé par sa sœur, il convient de souligner que l’article 117 du Règlement définit les circonstances dans lesquelles un étranger appartient à la catégorie du regroupement familial. Aux fins du présent appel, seul le paragraphe 117(1) est pertinent :

Regroupement familial

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

b) ses enfants à charge;       

c) ses parents;          

d) les parents de l’un ou l’autre de ses parents;        

e) [Abrogé, DORS/2005-61, art. 3]    

f) s’ils sont âgés de moins de dix-huit ans, si leurs parents sont décédés et s’ils n’ont pas d’époux ni de conjoint de fait :

(i) les enfants de l’un ou l’autre des parents du répondant,        

(ii) les enfants des enfants de l’un ou l’autre de ses parents,     

(iii) les enfants de ses enfants;  

g) la personne âgée de moins de dix-huit ans que le répondant veut adopter au Canada, si les conditions suivantes sont réunies :   

(i) l’adoption ne vise pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi,

(ii) s’il s’agit d’une adoption internationale et que le pays où la personne réside et la province de destination sont parties à la Convention sur l’adoption, les autorités compétentes de ce pays et celles de cette province ont déclaré, par écrit, qu’elles estimaient que l’adoption était conforme à cette convention,     

(iii) s’il s’agit d’une adoption internationale et que le pays où la personne réside ou la province de destination n’est pas partie à la Convention sur l’adoption :

(A) la personne a été placée en vue de son adoption dans ce pays ou peut par ailleurs y être légitimement adoptée et rien n’indique que l’adoption projetée a pour objet la traite de l’enfant ou la réalisation d’un gain indu au sens de cette convention, 

(B) les autorités compétentes de la province de destination ont déclaré, par écrit, qu’elles ne s’opposaient pas à l’adoption;      

h) tout autre membre de sa parenté, sans égard à son âge, à défaut d’époux, de conjoint de fait, de partenaire conjugal, d’enfant, de parents, de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de membre de sa famille qui est l’enfant d’un enfant de l’un ou l’autre de ses parents, de parents de l’un ou l’autre de ses parents ou de membre de sa famille qui est l’enfant de l’un ou l’autre des parents de l’un ou l’autre de ses parents, qui est :       

(i) soit un citoyen canadien, un Indien ou un résident permanent,          

(ii) soit une personne susceptible de voir sa demande d’entrée et de séjour au Canada à titre de résident permanent par ailleurs parrainée par le répondant.    

[23]      L’appelant ne pouvait être parrainé en vue de la résidence permanente par sa sœur parce qu’il ne satisfait pas à la définition d’un membre du regroupement familial. Son admissibilité dépendait de la demande de son père et de la capacité de l’appelant à accompagner son père en tant que personne à charge.

[24]      Enfin, l’article 10 du Règlement concerne la forme et le contenu de la demande. Le paragraphe 10(3) est pertinent :

10 […]

Demande du membre de la famille

(3) La demande vaut pour le demandeur principal et les membres de sa famille qui l’accompagnent. 

[25]      Après ce bref examen du cadre législatif, je passe maintenant à la décision de la Section d’appel. Comme la Section d’appel s’est penchée sur la question de savoir si la Section de l’immigration avait commis une erreur en concluant que l’appelant n’était pas une personne visée à l’alinéa 40(1)a) de la Loi, il est utile de commencer par les motifs plus longs de la Section de l’immigration.

4.         Les décisions de la Section de l’immigration et de la Section d’appel de l’immigration

A.        La décision de la Section de l’immigration

[26]      La question posée par la Section de l’immigration était de savoir si l’appelant était [traduction] « responsable des présentations erronées de son père ». La Section de l’immigration a répondu par la négative à cette question, en concluant que l’appelant n’était responsable que des présentations dans son propre formulaire Annexe 1 – Antécédents/Déclaration.

[27]      La Section de l’immigration a entrepris son analyse en rejetant l’argument du ministre selon lequel, étant donné que l’appelant était inclus en tant que personne à charge dans la demande de son père, l’appelant s’est fié aux renseignements contenus dans la demande de son père pour le traitement de sa demande de résidence permanente. La Section de l’immigration a conclu qu’aucune des décisions invoquées par le ministre n’allait jusqu’à affirmer qu’un résident permanent était responsable d’une présentation erronée faite par un autre membre de la famille et qui ne se rapportait pas à sa propre admissibilité. La Section de l’immigration a également rejeté la thèse du ministre fondée sur l’alinéa 42(1)b) de la Loi. Le ministre avait fait valoir que cette disposition indique l’intention du législateur de conserver l’unité de la famille et que l’interdiction de territoire frappant un demandeur principal ou une personne à charge qui l’accompagne entraînerait l’interdiction de territoire de tous les membres du regroupement familial. Selon la Section de l’immigration, l’article 42 montre l’intention du législateur [traduction] « que l’unité familiale doit être préservée si l’interdiction de territoire frappant un membre de la famille est constatée avant que l’un des membres de la famille n’ait obtenu le droit d’établissement » (motifs, au paragraphe 14).

[28]      La Section de l’immigration a reconnu qu’il existait de la jurisprudence qui étayait la thèse selon laquelle, dans certaines circonstances, aux termes de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, une personne a l’obligation de divulguer spontanément des renseignements non sollicités au cours d’un examen. Toutefois, la Section de l’immigration n’a rien trouvé dans les circonstances de l’établissement de l’appelant qui lui imposerait une obligation de divulguer spontanément à l’agent-examinateur que son père avait été reconnu coupable d’une infraction criminelle en Inde.

[29]      Enfin, la Section de l’immigration a appliqué les outils d’interprétation législative connus sous le vocable de règle de l’exception implicite. Cette règle était, dit-on, censée s’appliquer [traduction] « chaque fois que le législateur établit certaines parties de catégories ou certains regroupements, mais pas tous, ou mentionne certains éléments, mais ne mentionne pas d’autres éléments comparables. Une énumération partielle d’éléments semblables se veut exhaustive, et tout ce qui ne figure pas dans la liste est implicitement censé être exclu ». (motifs, au paragraphe 53). Selon le raisonnement de la Section de l’immigration, étant donné que l’alinéa 40(1)b) de la Loi prescrit qu’un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour fausses déclarations pour « être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations » et que l’alinéa 40(1)a) ne contient pas un libellé similaire, le législateur n’a pas voulu lier l’interdiction de territoire imposée à un demandeur principal pour fausses déclarations à toutes les personnes à charge ayant obtenu l’établissement.

[30]      On trouverait d’autres exemples à l’article 42 de la Loi, qui, prétend-on, lie l’interdiction de territoire d’un membre de la famille à tous les autres dans le cas d’étrangers, et au paragraphe 98(6) du Règlement [traduction] « qui lie l’admissibilité des membres de la famille établis à l’admissibilité du demandeur principal dans la catégorie des entrepreneurs » (motifs, au paragraphe 57).

B.        La décision de la Section d’appel de l’immigration

[31]      Dans l’appel de la décision de la Section de l’immigration, la Section d’appel s’est penchée sur la question de savoir si la Section de l’immigration avait commis une erreur en concluant que l’appelant n’est pas une personne visée par l’alinéa 40(1)a) de la Loi.

[32]      Après avoir énoncé la disposition, la Section d’appel a souligné qu’un étranger ou un résident permanent peut être déclaré interdit de territoire pour fausses déclarations, même en l’absence d’une intention de tromper ou de faire une présentation erronée des faits, et qu’il y a présentation erronée des faits si celle-ci fait en sorte d’éviter un champ d’enquête relative à l’interdiction de territoire. Cela dit, selon la Section d’appel, la question déterminante était celle de savoir si l’appelant avait l’obligation de divulguer des renseignements relatifs à la criminalité de son père. La Section d’appel a conclu qu’« il serait absurde que l’appelant soit déclaré interdit de territoire alors que le demandeur principal qui était tenu de révéler des renseignements concernant sa crédibilité ne fait l’objet d’aucune enquête. Dans de telles circonstances, même l’alinéa 42(1)b) de la Loi ne s’appliquerait pas à l’appelant en tant que ressortissant étranger parce que son père n’a pas été déclaré interdit de territoire » (motifs, au paragraphe 16, note omise).

[33]      La Section d’appel a rejeté l’argument selon lequel l’inclusion du mot « indirectement » à l’alinéa 40(1)a) « s’applique à une situation telle que celle-ci où [l’appelant] n’a fourni aucun fait trompeur ou faux dans sa demande ou lors de son entrevue relative au droit d’établissement » (motifs, au paragraphe 17).

[34]      La Section d’appel a fini par conclure que l’analyse par la Section de l’immigration de l’intention du législateur concernant l’alinéa 40(1)a), fondée sur la règle d’exclusion implicite, était convaincante.

[35]      Enfin, la Section d’appel a conclu que l’obligation de franchise ne va pas jusqu’à s’appliquer aux circonstances propres à l’appelant. Bien que la preuve d’une entente tacite quelconque ou d’un complot entre membres de la famille visant à dissimuler des renseignements afin d’éviter une conclusion d’interdiction de territoire « aurait probablement contraint [l’appelant] à révéler la criminalité de son père », l’appelant a déclaré dans son témoignage qu’il n’était pas au courant des renseignements figurant dans le formulaire de son père, qu’il n’était pas présent à l’entrevue de son père à Vancouver et « rien ne prouve [que l’appelant] savait ou aurait dû savoir qu’il s’agissait [la criminalité de son père] de renseignements importants » (motifs, au paragraphe 18).

[36]      La Section d’appel était d’avis que rien ne lui permettait de conclure que l’appelant savait ou aurait dû savoir qu’il était personnellement tenu de fournir des renseignements concernant la criminalité de son père dans le cadre du processus d’obtention de la résidence permanente, ni qu’il avait eu réticence de sa part sur ces renseignements.

5.         La décision de la Cour fédérale

[37]      Après avoir décrit brièvement certains des arguments avancés par les parties, la Cour fédérale a souligné que l’objectif de l’alinéa 40(1)a) « est de veiller à ce que les demandes contiennent des “ renseignements honnêtes, complets et véridiques […] ” » et qu’une « divulgation complète est fondamentale à l’application juste et équitable du régime d’immigration ». L’objectif de la Loi consiste à dissuader les résidents permanents et les étrangers de faire des présentations erronées et à maintenir l’intégrité du processus d’immigration (motifs, au paragraphe 33). La Cour a souligné que la disposition a été interprétée comme étant vaste et qu’elle ne fait pas de distinction entre les présentations erronées faites de bonne foi et les déclarations délibérément fausses.

[38]      La Cour fédérale a observé que, sans la présentation erronée de son père, l’appelant n’aurait pas été admis au Canada, de sorte que son statut de résident permanent était fondé sur un mensonge, même s’il s’agit d’un mensonge de la part de son père (motifs, au paragraphe 35). Ce mensonge a directement entraîné une erreur dans l’application de la Loi parce que la condamnation pour meurtre du père était un fait important qui aurait entraîné un refus du droit d’établissement à la famille (motifs, aux paragraphes 35 et 37).

[39]      La Cour fédérale a conclu que l’interprétation par la Section d’appel de la disposition législative en cause semblait reposer sur l’hypothèse selon laquelle l’appelant ne pouvait être déclaré interdit de territoire que si son père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire. De l’avis de la Cour fédérale, cette interprétation contrecarrerait l’objet de la loi. « [L]e régime législatif permettant de conclure qu’un résident permanent est interdit de territoire pour présentation erronée ne dépend pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’article 44 et de la tenue d’une audience d’interdiction de territoire contre une autre partie » (motifs, au paragraphe 39).

[40]      De l’avis de la Cour fédérale, l’interprétation adoptée par la Section d’appel porterait atteinte à l’un des objectifs de la Loi et « permettrait aux personnes qui ont bénéficié d’une présentation erronée d’un fait important, quoique par une autre partie, de demeurer au Canada ». La Cour fédérale a conclu qu’il s’agit d’un résultat absurde (motifs, au paragraphe 41). Ainsi, le fait que le demandeur principal, le père de l’appelant, ne soit pas au Canada n’empêche pas de conclure que l’appelant était interdit de territoire pour présentations erronées du demandeur principal (motifs, au paragraphe 43).

[41]      La Cour fédérale a ensuite examiné la manière dont la Section d’appel avait traité le paragraphe 42(1) de la Loi. La Section d’appel avait conclu que le résultat serait absurde si l’appelant était déclaré interdit de territoire alors que son père ne ferait pas l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire. Dans ces circonstances, la Section d’appel a conclu que « même l’alinéa 42(1)b) de la Loi ne s’appliquerait pas à l’appelant en tant que ressortissant étranger parce que son père n’a pas été déclaré interdit de territoire » (motifs, au paragraphe 16, note omise). La Cour fédérale a rejeté cette interprétation parce qu’une conclusion d’interdiction fondée sur l’alinéa 42(1)b) « ne dépendait pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’article 44 et de la détermination de l’interdiction de territoire contre le père » (motifs, au paragraphe 47).

[42]      La Cour a conclu son analyse sur la présentation erronée ainsi [aux paragraphes 48–52] :

     En l’espèce, un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) a été produit contre le défendeur pour avoir fait une présentation erronée importante en vertu de l’alinéa 40(1)a). Il a déclaré que le père du défendeur était [traduction] « interdit de territoire au Canada parce qu’il a omis de divulguer à l’agent des visas qu’il avait été déclaré coupable de complot en vue de commettre un meurtre et un enlèvement en Inde ».

     L’alinéa 42(1)b) prévoit qu’un ressortissant étranger est interdit de territoire pour motif d’inadmissibilité familiale s’il est un membre de la famille qui l’accompagne. Il n’est pas nécessaire de préparer un rapport d’interdiction de territoire aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR pour conclure qu’une personne est interdite de territoire aux termes de l’alinéa 42(1)b) de la LIPR. Si le demandeur principal est interdit de territoire, la personne à charge est interdite de territoire.

     La conclusion de la SAI selon laquelle le défendeur ne pouvait être déclaré interdit de territoire que si le père faisait l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(2) de la LIPR, après la préparation d’un rapport d’interdiction de territoire en vertu du paragraphe 44(1) de la LIPR, est déraisonnable. La conclusion de la SAI selon laquelle la présentation erronée du père n’était pas attribuable au défendeur comme présentation erronée « indirecte » était également déraisonnable.

     Bien que ces conclusions soient suffisantes pour statuer sur la demande, je pense qu’il pourrait être utile de fournir les raisons pour lesquelles je répondrais à la question de l’obligation de franchise au bénéfice de toute autre procédure.

[43]      La Cour fédérale a ensuite formulé des commentaires incidents sur « l’obligation de franchise ». La question semble avoir été soulevée par le fait que le ministre a soutenu que l’appelant était tenu par l’obligation de franchise de divulguer les antécédents criminels de son père. Cette obligation découlerait du fait que l’appelant s’est fondé sur les renseignements fournis par son père comme demandeur principal dans la demande de résidence permanente et du fait que l’appelant était une personne à charge à titre d’accompagnateur dans la demande de résidence permanente de son père.

[44]      La Cour fédérale a formulé la question à trancher comme étant la suivante : « dans quelle mesure l’obligation de franchise oblige un demandeur à communiquer volontairement des renseignements à titre de personne à charge du demandeur principal lorsqu’il n’est pas directement prié de fournir ces renseignements » (motifs, au paragraphe 66). Les parties ont convenu devant la Cour fédérale qu’il fallait examiner l’ensemble des circonstances factuelles afin de décider si le demandeur a manqué à l’obligation de franchise.

[45]      La Cour fédérale a décrit les circonstances factuelles de la présente instance comme comprenant les suivantes :

•           L’appelant était un adulte âgé de 23 ans lorsque les demandes de visa ont été remplies et de 25 ans au moment de l’entrée.

•           L’appelant était au courant de la condamnation et de la peine d’emprisonnement de son père et du fait qu’au moment de son entrée, son père était en liberté conditionnelle après avoir été condamné à l’emprisonnement à perpétuité.

•           L’appelant croyait que son père était innocent et qu’il serait finalement libéré.

•           L’appelant ne savait pas ce qui se trouvait dans le formulaire Annexe 1 – Antécédents/Déclaration rempli en Inde. Bien qu’il ait signé le formulaire, il a été préparé par les agents de voyage et était rédigé en anglais. Il l’a signé selon les instructions de son père.

•           À l’aéroport de Vancouver, on lui a remis un formulaire contenant des questions dans la langue pendjabi auxquelles il faut répondre en cochant « oui » ou « non ». Il a répondu à ces questions du mieux qu’il a pu. Une question consistait à savoir s’il avait commis une activité criminelle en Inde ou s’il avait été arrêté, et il a répondu à cette question de manière honnête. Il ne savait pas comment son père avait répondu à la question, car ils ont été interrogés séparément, et il ne lui a pas demandé. Un agent d’immigration ne lui a pas demandé si son père avait été accusé, condamné ou emprisonné pour des infractions criminelles (motifs, aux paragraphes 67 à 69).

[46]      La Cour fédérale a conclu que les circonstances « n’obligent pas à conclure » que l’appelant était tenu de divulguer les antécédents criminels de son père dans la demande qu’il a signée ou lorsqu’ils ont été interrogés au point d’entrée (motifs, au paragraphe 72). Seul le demandeur principal était tenu de divulguer si l’un des demandeurs à charge avait des antécédents de ce genre (motifs, au paragraphe 74). Par conséquent, il était dans l’éventail des issues possibles au regard des faits et du droit pour la Section d’appel de conclure que l’appelant n’avait aucune obligation de franchise de donner des renseignements sur son père au point d’entrée. Cependant, la Cour fédérale a rejeté la conclusion de la Section d’appel selon laquelle, pour qu’il y ait obligation de franchise, il fallait disposer d’éléments de preuve établissant qu’il y a eu « une entente tacite ou un complot de la part [de l’appelant] et de son père » (motifs, au paragraphe 75).

6.         Les questions à trancher

[47]      Je suis d’avis que le présent appel soulève trois questions :

1.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il était déraisonnable que la Section d’appel conclue que la présentation erronée du père n’était pas attribuable à l’appelant comme présentation erronée « indirecte »?

2.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la « question de l’obligation de franchise »?

3.         Quelle est la mesure appropriée?

7.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur en concluant qu’il était déraisonnable que la Section d’appel conclue que la présentation erronée du père n’était pas attribuable à l’appelant comme présentation erronée « indirecte »?

A.        Principes juridiques pertinents

[48]      La Section d’appel devait décider si la Section de l’immigration avait commis une erreur en concluant que l’appelant n’était pas une personne visée à l’alinéa 40(1)a) de la Loi. Au cœur de cet exercice, il y avait l’interprétation par la Section d’appel de sa loi constitutive ― un exercice dans lequel, à la suite d’un réexamen du caractère raisonnable, la Section d’appel avait droit à la déférence.

[49]      Faire preuve d’une telle déférence « envers le Tribunal exige de la cour de révision qu’elle “ reste près des motifs donnés par le [T]ribunal ” et leur accorde une “ attention respectueuse ”». Les motifs qu’il rédige « permettent de comprendre pourquoi le Tribunal tranche comme il le fait et de décider si sa décision appartient aux issues “ pouvant se justifier au regard des faits et du droit ”» (Williams Lake Indian Band c. Canada (Affaires autochtones et du Développement du Nord), 2018 CSC 4, [2018] 1 R.C.S. 83, au paragraphe 36).

[50]      Une cour de révision doit se demander « si les outils d’interprétation législative, y compris le texte, le contexte et l’objet de la disposition, peuvent raisonnablement étayer la conclusion du Tribunal ». En présence d’une interprétation raisonnable concurrente, « la cour de révision doit se garder d’intervenir lorsque, en mettant à contribution son expertise, le tribunal administratif a “lev[é] toute incertitude législative en retenant une interprétation que permet raisonnablement le libellé de la disposition en cause ” » (arrêt Williams Lake, au paragraphe 108).

[51]      Quant aux outils d’interprétation législative, il est bien établi que, «  [traduction]  [a]ujourd’hui, il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21)

[52]      Ce principe a souvent été réaffirmé par la Cour suprême, notamment dans les termes suivants dans l’arrêt Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, au paragraphe 10 :

     Il est depuis longtemps établi en matière d’interprétation des lois qu’« il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » : voir 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, par. 50. L’interprétation d’une disposition législative doit être fondée sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble. Lorsque le libellé d’une disposition est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation. Par contre, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux. [Non souligné dans l’original.]

B.   Application des principes juridiques pertinents à la décision de la Section      d’appel

[53]      La Section d’appel a invoqué deux raisons pour l’interprétation qu’elle a donnée à l’alinéa 40(1)a) : premièrement, le résultat serait absurde si l’appelant était déclaré interdit de territoire alors que le demandeur principal ne faisait pas l’objet d’une enquête sur l’interdiction de territoire; et, deuxièmement, l’analyse de la Section de l’immigration, fondée sur la règle d’exclusion implicite d’interprétation des lois, était convaincante. La Section d’appel n’a pas motivé sa simple conclusion selon laquelle l’utilisation du mot « indirectement » ne rendait pas l’article applicable dans une situation où l’appelant n’a fourni aucun fait trompeur ou faux dans sa demande ou lors de son entrevue relative au droit d’établissement (motifs, au paragraphe 17).

[54]      À mon avis, les motifs de la Section d’appel ne résistent pas à un examen minutieux pour donner un fondement justifié, transparent et intelligible à l’interprétation de la Section d’appel. J’en arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

[55]      D’abord, je suis du même avis que la Cour fédérale que, « le régime législatif permettant de conclure qu’un résident permanent est interdit de territoire pour présentation erronée ne dépend pas de la délivrance et de la signification d’un rapport en vertu de l’article 44 et de la tenue d’une audience d’interdiction de territoire contre une autre partie » (motifs, au paragraphe 39). Cette exigence ne peut être interprétée comme étant prévue explicitement ou implicitement dans la loi.

[56]      En l’espèce, cela signifie que l’appelant peut dûment faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, même si son père est à l’extérieur du Canada et n’a pas encore fait l’objet d’un rapport en vertu de l’article 44.

[57]      Je partage également l’avis de la Cour fédérale voulant que, selon l’interprétation de la Section d’appel, les membres de la famille ne pourraient faire l’objet d’une mesure de renvoi si, après avoir obtenu l’établissement, le demandeur principal quittait le Canada et restait à l’étranger afin d’éviter une enquête sur l’interdiction de territoire. Cela porterait atteinte à l’intégrité du processus d’immigration et serait absurde.

[58]      En ce qui concerne l’application de la règle d’exclusion implicite, la Section d’appel s’est fondée sur le raisonnement de la Section de l’immigration selon lequel l’alinéa 40(1)b) de la Loi précise qu’un résident permanent ou un étranger est interdit de territoire pour « être ou avoir été parrainé par un répondant dont il a été statué qu’il est interdit de territoire pour fausses déclarations », et l’alinéa 40(1)a) ne contient pas de libellé semblable, et donc le législateur a manifesté son intention de ne pas vouloir lier l’interdiction de territoire d’un demandeur principal pour fausses déclarations à toutes les personnes à charge ayant obtenu le droit d’établissement. La Section de l’immigration a fait référence à deux autres dispositions pour étayer cet argument.

[59]      Le problème que pose ce raisonnement tient au fait qu’il repose sur l’hypothèse que, interprété correctement, l’alinéa 40(1)a) n’attribue pas la présentation erronée d’un demandeur principal à une personne à sa charge qui l’accompagne à titre de présentation erronée « indirecte » d’un fait important. C’est la question précise de l’interprétation des lois à laquelle la Section d’appel était tenue de répondre. En l’espèce, la règle d’exclusion implicite en matière d’interprétation des lois ne s’appliquait pas ― dans les faits, la Section d’appel a fondé son interprétation de l’alinéa 40(1)a) sur son hypothèse et s’est ensuite appuyée sur l’alinéa 40(1)b) pour la confirmer.

[60]      Ainsi, les motifs donnés par la Section d’appel pour son interprétation ne résistent pas à un examen minutieux. Il s’ensuit que la décision de la Section d’appel n’est pas conforme aux éléments du caractère raisonnable énoncés dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190.

C.        La question certifiée

[61]      Quelle est donc la voie à suivre pour notre Cour, en particulier en réponse à la question certifiée par la Cour fédérale?

[62]      La Cour suprême a parfois indiqué aux cours de révision que la retenue envers les décisions des décideurs administratifs commande « [traduction] une attention respectueuse aux motifs donnés ou qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » (soulignements ajoutés). Par conséquent, une « [traduction]  cour de justice doit d’abord chercher à les compléter avant de tenter de les contrecarrer » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, au paragraphe 12 (souligné dans l’original)).

[63]      Toutefois, comme mon collègue le juge Stratas l’a écrit (en dissidence), « [i]l incombe à une cour de révision de revoir le travail d’un décideur administratif, non pas de le faire à sa place » (Bonnybrook Park Industrial Development Co. Ltd. c. Canada (Revenu national), 2018 CAF 136, au paragraphe 83 (italiques dans l’original)).

[64]      Le commentaire du juge Stratas fait suite à la mise en garde donnée par la majorité des juges de la Cour suprême dans l’arrêt Delta Air Lines Inc. c. Lukács, 2018 CSC 2, [2018] 1 R.C.S. 6, au paragraphe 24, que, « [l]’obligation de porter une attention respectueuse aux motifs donnés ou aux motifs qui pourraient être donnés n’autorise pas une cour de révision à faire complètement abstraction des motifs existants et à y substituer les siens ». La Cour suprême poursuit en faisant sien et en reformulant le passage suivant :

L’invitation à porter une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » ne confère pas à la cour de justice le [traduction] « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » [...] [par. 54, citant Petro-Canada c. Workers’ Compensation Board (B.C.), 2009 BCCA 396, 276 B.C.A.C. 135, par. 53 et 56]

Autrement dit, bien qu’une cour de révision puisse compléter les motifs donnés au soutien d’une décision administrative, elle ne peut faire abstraction des motifs effectivement fournis ou les remplacer. Les motifs additionnels doivent compléter et non supplanter l’analyse de l’organisme administratif. [Non souligné dans l’original.]

[65]      Dans les circonstances de l’espèce, si notre Cour procédait à l’analyse textuelle, contextuelle et téléologique requise afin de répondre à la question certifiée, la Cour aurait entièrement excisé et supplanté les motifs de la Section d’appel. Cela constituerait un examen, selon la norme de la décision correcte, de la décision de la Section d’appel, alors que le législateur a confié à la Section d’appel, et non à notre Cour, la responsabilité d’interpréter la Loi. Dans l’arrêt Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 R.C.S. 909, au paragraphe 44, la Cour suprême a confirmé que, malgré la présence d’une question certifiée, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Faire l’analyse que la Section d’appel n’a pas faite ne constituerait pas un examen du caractère raisonnable.

[66]      En d’autres termes, les motifs de la Section d’appel ne permettent pas à la Cour, en se prêtant à un examen du caractère raisonnable, de répondre à la question certifiée.

[67]      Il s’ensuit que je renverrais la question de la présentation erronée à une formation différemment constituée de la Section d’appel afin que celle-ci puisse examiner comment l’alinéa 40(1)a) doit être interprété et, plus précisément, si la présentation erronée sur un fait important faite par un demandeur principal peut être attribuée à une personne à charge qui l’accompagne à titre de présentation erronée « indirecte ». La Section d’appel aura de l’aide dans cet exercice si elle choisit d’examiner le texte, le contexte et l’objet de l’alinéa 40(1)a).

[68]      Comme l’indiquent les arguments qui nous ont été présentés, le libellé de l’alinéa 40(1)a) semble ambigu. Le résident permanent ou l’étranger doit-il personnellement faire une présentation erronée, ou la présentation erronée faite par un demandeur principal peut-elle être attribuée à un étranger ou à un résident permanent qui l’accompagne? Pour répondre à cette question, la Section d’appel devra prêter une attention particulière au contexte et à l’objet de la loi, un contexte qui inclut l’historique de la législation et l’économie de la loi telle qu’elle est exposée dans les présents motifs, ainsi qu’un objectif consistant à dissuader les résidents permanents et les étrangers de faire des présentations erronées et à maintenir l’intégrité du processus d’immigration.

[69]      Je me penche maintenant sur la question suivante.

8.         La Cour fédérale a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la « question de l’obligation de franchise »?

[70]      Comme il a été mentionné précédemment, l’exigence de franchise est un principe prépondérant de la Loi.

[71]      Dans le contexte de l’alinéa 40(1)a) de la Loi, l’exigence de franchise est invoquée pour évaluer l’aspect « réticence » de la disposition. Il s’agit d’une reconnaissance du fait que, dans certaines circonstances, un résident permanent ou un étranger pourrait avoir une obligation de divulgation de renseignements afin d’échapper à une conclusion qu’il a fait preuve de réticence sur des faits importants quant à un objet pertinent, entraînant ou risquant d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi. Il faut examiner le contexte afin de déterminer si, dans un cas particulier, la réticence sur des renseignements est suffisante pour rendre un résident permanent ou un étranger interdit de territoire pour présentation erronée. (Bodine c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 848, au paragraphe 42; Baro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1299, [2007] A.C.F. no 1667 (QL), aux paragraphes 15 et 17).

[72]      La Section d’appel a conclu que les circonstances ne permettaient pas de conclure qu’il y avait eu réticence sur un fait important qui a entraîné ou risqué d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi pour les raisons suivantes :

•           Il n’y avait aucune preuve d’une entente tacite ou d’un complot en vue de dissimuler des renseignements.

•           « Rien ne prouve » que l’appelant aurait dû savoir que la déclaration de culpabilité de son père était un fait important.

•           « Rien ne […] permet de conclure que l’appelant savait ou aurait dû savoir qu’il était personnellement tenu de fournir des renseignements ».

[73]      À mon avis, les motifs invoqués par la Section d’appel ne résistent pas non plus à un examen approfondi pour fournir un fondement justifié, transparent et intelligible à sa conclusion selon laquelle l’appelant n’était pas tenu de fournir des renseignements sur la condamnation au criminel de son père, la Section d’appel n’ayant pas tenu compte de l’ensemble des circonstances. J’arrive à cette conclusion pour les motifs suivants.

[74]      Premièrement, je conviens avec la Cour fédérale qu’il n’était pas nécessaire qu’il y ait preuve d’une entente tacite ou d’un complot pour conclure que l’appelant a fait preuve de réticence sur un fait important. Des circonstances qui n’établissent pas l’existence d’une entente ou d’un complot peuvent néanmoins donner lieu à une obligation de divulguer des faits importants.

[75]      Deuxièmement, à mon avis, la Section d’appel a commis une erreur en concluant que « rien ne prouve » que l’appelant savait ou aurait dû savoir que la déclaration de culpabilité de son père était un fait pertinent. L’appelant avait signé un formulaire Annexe 1 – Antécédents/Déclaration en Inde lui demandant s’il avait été déclaré coupable d’une infraction. Bien qu’il affirme ne pas avoir compris le formulaire parce qu’il était rédigé en anglais, la même question a été posée à l’appelant en langue punjabi au moment de l’établissement. Il s’agissait là d’un élément de preuve qui, s’il avait été pris en compte par la Section d’appel, l’aurait menée à conclure que l’appelant savait ou aurait dû savoir que la déclaration de culpabilité de son père, ou les déclarations de culpabilité pour des infractions criminelles en général, constituaient un fait important. La Section d’appel a commis une erreur en ne tenant pas compte de cet élément de preuve.

[76]      Ensuite, la Section d’appel a conclu que rien ne permettait de conclure que l’appelant savait ou aurait dû savoir qu’il était personnellement tenu de fournir des renseignements. Encore une fois, la Section d’appel n’a pas motivé cette conclusion. Un résident permanent ou un étranger qui présente une demande en application de la Loi est tenu de se conformer aux exigences de la Loi même s’il n’est pas au courant de l’étendue des exigences législatives.

[77]      Enfin, et surtout, la Section d’appel ne mentionne nullement dans ses motifs qu’elle estimait que l’appelant dépendait des renseignements contenus dans la demande de résidence permanente de son père. Comme il est indiqué au paragraphe 10(3) du Règlement, la demande du père valait pour l’appelant comme membre de la famille qui l’accompagnait. Devant la Section d’appel, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a soutenu que l’appelant n’avait aucun « droit autonome d’immigrer au Canada » (motifs, au paragraphe 12). Il s’agissait d’une circonstance pertinente qui aurait dû être prise en considération par la Section d’appel.

[78]      Il s’ensuit de ces motifs que je ne souscris pas à la conclusion de la Cour fédérale selon laquelle la Section d’appel a raisonnablement conclu que l’appelant n’était pas tenu de divulguer des renseignements concernant la déclaration de culpabilité de son père. Cela demeure une question que la Section d’appel doit examiner séparément par rapport à la question de l’attribution de la présentation erronée du père.

[79]      Cela ne veut pas dire que la Section d’appel doit tirer une conclusion particulière au sujet de l’obligation de l’appelant de divulguer des renseignements. Cependant, pour arriver à sa conclusion, la Section d’appel doit tenir compte de l’ensemble des circonstances, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce. Les circonstances comprennent le fait que l’appelant se fonde sur la demande de son père, son âge, le fait que l’appelant a été interrogé sur son casier judiciaire et le fait que l’appelant ait eu connaissance de la déclaration de culpabilité de son père. Il s’agit en l’occurrence d’une affaire plutôt inhabituelle. Il ne s’agit pas d’une affaire où, à l’insu des personnes à charge, un demandeur principal a exagéré une qualification ou un autre fait dans sa demande de résidence permanente. L’appelant savait que son père avait été déclaré coupable et que les condamnations au criminel étaient susceptibles d’intéresser les agents d’immigration canadiens.

9.         L’appel incident

[80]      Comme il a été expliqué précédemment dans les présents motifs, en plus de l’appel de l’appelant à l’encontre du jugement de la Cour fédérale, le ministre a déposé un appel incident, demandant que le jugement soit modifié pour supprimer l’exigence voulant que le nouvel examen soit effectué « conformément aux motifs fournis ».

[81]      Pour les raisons suivantes, la préoccupation du ministre concernant l’expression « conformément aux motifs fournis » n’est pas fondée.

[82]      Dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Yansane, 2017 CAF 48, notre Cour a examiné l’effet des conclusions incidentes sur une audience portant sur un nouvel examen, ainsi que l’effet d’un tribunal ordonnant que le nouvel examen se fasse en conformité avec ses motifs.

[83]      Sur le premier point, notre Cour a conclu que seules les directives ou instructions qui sont explicitement mentionnées dans le dispositif d’un jugement lient le décideur subséquent. Le décideur n’est pas tenu de suivre les observations ni les recommandations qui peuvent être exprimées par la Cour dans ses motifs, bien que le décideur ait tout intérêt à examiner ces observations ou recommandations (arrêt Yansane, au paragraphe 19). À l’égard du second point, la Cour a conclu qu’« il importe peu que le jugement accueillant une demande de contrôle judiciaire comporte une telle précision » (arrêt Yansane, au paragraphe 25).

[84]      En l’espèce, les remarques de la Cour fédérale au sujet de l’obligation de divulgation incombant à l’appelant étaient incidentes et n’ont pas été intégrées dans le jugement. Elles ne lieront pas la Section d’appel lors du nouvel examen. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de modifier le jugement de la Cour fédérale.

10.       Conclusion

[85]      Il s’ensuit que :

i.          je rejetterais l’appel interjeté par l’appelant à l’encontre du jugement rendu par la Cour fédérale;

ii.         je rejetterais l’appel incident; et

iii.        je ne répondrais pas à la question certifiée au motif que les motifs de la Section d’appel ne permettent pas de répondre à la question lors d’un contrôle judiciaire; notre Cour serait plutôt tenue d’exciser et de supplanter les motifs de la Section d’appel pour répondre à la question.

[86]      Par souci de clarté, à la suite du rejet de l’appel et de l’appel incident du jugement de la Cour fédérale, la question de l’interdiction de territoire de l’appelant aux termes de l’alinéa 40(1)a) est renvoyée à la Section d’appel pour un nouvel examen par un commissaire différent.

 

 

 La juge Woods, J.C.A. : Je suis d’accord.

La juge Rivoalen, J.C.A. : Je suis d’accord.

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