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19-A-35, 19-A-36, 19-A-37,

19-A-38, 19-A-39, 19-A-40,

19-A-41, 19-A-42, 19-A-44,

19-A-45, 19-A-46, 19-A-47

2019 CAF 224

 

Raincoast Conservation Foundation, Living Oceans Society, Chef Ron Ignace et Chef Rosanne Casimir, pour leur propre compte et au nom de tous les membres de Stk’emlupsemc Te Secwepemc de la Nation Secwepemc, Nation Squamish, Bande indienne Coldwater, Federation of British Columbia Naturalists faisant affaire sous la raison sociale BC Nature, Tsleil-Waututh Nation, Stz’uminus First Nation, Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá:y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten, Yakweakwioose, Ville de Vancouver, Shxw’ōwhámel First Nation, Olivier Adkin-Kaya, Nina Tran, Lena Andres, Rebecca Wolf Gage et Bande Upper Nicola (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada, Trans Mountain Pipeline ULC et Trans Mountain Corporation (défendeurs)

et

Le procureur général de l’Alberta (intervenant)

Répertorié : Raincoast Conservation Foundation c. Canada (Procureur Général)

Cour d’appel fédérale, juge Stratas, J.C.A.—Ottawa, 4 septembre 2019.

Énergie –– Il s’agissait de douze requêtes regroupées en autorisation de déposer des demandes de contrôle judiciaire d’un décret (C.P. 2019-0820) daté du 18 juin 2019, par lequel le gouverneur en conseil a approuvé le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain pour la seconde fois –– Les demandeurs ont allégué plus particulièrement que la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet était fondamentalement déraisonnable et que la Couronne a manqué à son obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones et les Premières Nations –– Le libellé de la Loi sur l’Office national de l’Énergie ne dit pas expressément quand il y a lieu d’accorder l’autorisation, mais une fois que le gouverneur en conseil a pris sa décision, la Cour doit décider si l’autorisation est justifiée en application de l’art. 55(1) de la Loi –– Divers régimes légaux indiquent qu’une partie doit invoquer des arguments « raisonnablement défendables » qui justifient le contrôle intégral de la décision administrative –– La Cour d’appel fédérale a infirmé la décision initiale du gouverneur en conseil portant approbation du projet dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général) –– Elle n’a pas exigé que tous les travaux et les consultations soient repris à neuf, mais elle a exigé la reprise de certains travaux et la tenue de véritables consultations supplémentaires pour pallier les lacunes précises relevées dans l’approbation initiale du projet –– Il s’agissait principalement de savoir si les requêtes en autorisation satisfaisaient aux critères d’une autorisation parce qu’elles établissaient l’existence d’une « cause raisonnablement défendable » –– Plus particulièrement, il s’agissait de savoir si la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet était fondamentalement déraisonnable et si la Couronne a manqué à son obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones et les Premières Nations –– Les principales questions que soulevaient les requêtes des demandeurs ont été regroupées sous quatre rubriques : conflits d’intérêts et partialité; préoccupations environnementales et décision fondamentalement déraisonnable; consultation des peuples autochtones et des Premières Nations; autres questions diverses –– L’argument selon lequel la décision du gouverneur en conseil était viciée en raison de la partialité et de l’existence de conflits d’intérêts n’était pas « raisonnablement défendable »; aucune preuve n’est venue appuyer cet argument –– Les arguments sur les préoccupations environnementales ne satisfaisaient pas non plus au critère des arguments « raisonnablement défendables » –– Dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation, nombre d’arguments sur l’incidence environnementale du projet ont été présentés ou auraient pu l’être, mais ils ne l’ont pas été –– La plupart des préoccupations environnementales que soulevaient les demandeurs en l’espèce n’étaient pas raisonnablement défendables, car elles appartenaient à l’une ou l’autre de ces catégories et elles étaient irrecevables par application des doctrines empêchant la remise en cause ––-En outre, les demandeurs n’ont pas réussi à démontrer que ces arguments mèneraient pratiquement à une issue différente, puisque le gouverneur en conseil arriverait quand même à la conclusion que le projet était, tout compte fait, dans l’intérêt public –– En ce qui concerne les questions se rapportant aux consultations inadéquates des peuples autochtones et des Premières Nations, deux arguments sur la qualité des consultations n’étaient pas « raisonnablement défendables » : 1) ceux qui portaient sur l’insatisfaction des demandeurs à l’égard de l’issue des consultations et leur opposition à cette issue, et le droit invoqué d’opposer un veto au projet; 2) ceux portant sur la qualité des consultations, qui avaient été soulevés et tranchés dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation ou qui auraient pu être soulevés et qui ne l’ont pas été –– Les doctrines empêchant la remise en cause sont venues parer à ces arguments –– Cependant, certaines questions soulevées sur la qualité des consultations ont satisfait à la norme de la cause « raisonnablement défendable » à laquelle l’autorisation est subordonnée; plus particulièrement, l’argument selon lequel l’obligation du Canada de consulter à la phase III du processus de consultation, ainsi que la Cour l’avait ordonné lorsque le projet a été approuvé la première fois, avait été exécutée de façon inadéquate en raison de la piètre qualité de ces consultations et de la hâte avec laquelle elles ont été tenues –– Enfin, dans la mesure où il existait des questions diverses et où celles-ci n’entraient pas dans le champ des quatre rubriques énumérées précédemment, aucune d’entre elles n’était « raisonnablement défendable » –– Six requêtes ont été accueillies.

Il s’agissait de 12 requêtes regroupées en autorisation de déposer des demandes de contrôle judiciaire d’un décret (C.P. 2019-0820) daté du 18 juin 2019, par lequel le gouverneur en conseil a approuvé le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain pour la seconde fois. Avant ce regroupement, 12 groupes de parties souhaitaient contester la décision portant approbation au moyen de demandes de contrôle judiciaire. Dans leurs requêtes, les demandeurs ont allégué plus particulièrement que la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet était fondamentalement déraisonnable et que la Couronne avait manqué à son obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones et les Premières Nations.

Le libellé de la Loi sur l’Office national de l’Énergie ne dit pas expressément quand il y a lieu d’accorder l’autorisation. Aux termes de la Loi, il est interdit d’ester en justice pendant le déroulement du processus d’approbation des projets. Une fois que le gouverneur en conseil a pris sa décision, il est éventuellement possible d’intenter un recours, mais ce recours n’est pas présenté d’office ni de plein droit. La Cour doit décider si l’autorisation est justifiée en application du paragraphe 55(1) de la Loi. Les dispositions qui obligent une partie à obtenir l’autorisation de se pourvoir devant la Cour sont prévues dans différents régimes légaux, dont certains indiquent qu’une partie sollicitant l’autorisation doit invoquer des arguments « raisonnablement défendables » qui justifient le contrôle intégral de la décision administrative. La norme de la « cause raisonnablement défendable » a été décrite dans l’arrêt Lukács c. Swoop Inc. (C.A.F.). Lorsqu’il s’agit d’appliquer la norme de la « cause raisonnablement défendable » à une affaire intéressant l’article 55 de la Loi, il importe de garder à l’esprit trois notions, à savoir la fonction de gardien judiciaire, le rôle de la déférence et l’importance de l’aspect pratique. Dans l’application de cette norme, la Cour d’appel fédérale a infirmé la décision initiale du gouverneur en conseil portant approbation du projet dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général). Elle n’a pas exigé que tous les travaux et les consultations ayant mené à l’approbation par le gouverneur en conseil soient repris à neuf. Elle a exigé seulement la reprise de certains travaux et la tenue de véritables consultations supplémentaires pour pallier les lacunes précises qui avaient mené à l’annulation de l’approbation initiale.

 

  Il s’agissait principalement de savoir si les requêtes en autorisation de présenter des demandes de contrôle judiciaire satisfaisaient aux critères d’une autorisation parce qu’elles établissaient l’existence d’une « cause raisonnablement défendable ». Plus particulièrement, il s’agissait de savoir si la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet était fondamentalement déraisonnable et si la Couronne a manqué à son obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones et les Premières Nations.

Jugement : Six des douze requêtes doivent être accueillies.

Les principales questions que soulevaient les requêtes des demandeurs ont été regroupées sous quatre rubriques : conflits d’intérêts et partialité; préoccupations environnementales et décision fondamentalement déraisonnable; consultation des peuples autochtones et des Premières Nations; autres questions diverses.

Divers demandeurs ont prétendu que la décision du gouverneur en conseil était viciée en raison de la partialité et de l’existence de conflits d’intérêts parce que, après l’approbation initiale, le gouvernement du Canada, par le truchement d’une société, a acheté la défenderesse Trans Mountain, de sorte que le projet lui appartient maintenant. Toutefois, cet argument n’était pas « raisonnablement défendable ». Il était entaché d’un vice fatal, à savoir que le gouverneur en conseil, l’organe décisionnel en l’espèce, n’est pas le gouvernement du Canada et il n’est pas propriétaire du projet. Il existait une raison encore plus fondamentale : l’article 54 de la Loi oblige le gouverneur en conseil à décider d’approuver ou non un projet, sans égard à l’identité du propriétaire. La Loi ne déshabilite pas le gouverneur en conseil à s’acquitter de cette responsabilité selon l’identité du propriétaire du projet. La Loi l’emporte sur les principes de common law relatifs à la partialité et aux conflits d’intérêts. Dans le dossier dont la Cour était saisie, les arguments portant sur la partialité et les conflits d’intérêts n’étaient pas étayés par la preuve.

Les arguments des demandeurs sur les préoccupations environnementales ne satisfaisaient pas non plus au critère des arguments « raisonnablement défendables ». Dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation, nombre d’arguments sur l’incidence environnementale du projet ont été présentés ou auraient pu l’être, mais ils ne l’ont pas été. La plupart des préoccupations environnementales que soulevaient les demandeurs en l’espèce n’étaient pas raisonnablement défendables, car elles appartenaient à l’une ou l’autre de ces catégories et elles étaient irrecevables par application des doctrines empêchant la remise en cause. En outre, pour que leurs arguments soient « raisonnablement défendables », les demandeurs devaient démontrer qu’ils mèneraient pratiquement à une issue différente, et ils ont échoué à cet égard. Le gouverneur en conseil était d’avis que les importantes considérations d’intérêt public l’emportaient haut la main sur le risque de préjudice écologique. Les motifs dont était assorti le décret du gouverneur en conseil, décisifs et catégoriques, menaient inexorablement à la conclusion que, si les questions soulevées par les demandeurs figuraient dans un autre rapport qui serait présenté au gouverneur en conseil, ce dernier arriverait quand même à la conclusion que le projet était, tout compte fait, dans l’intérêt public et l’approuverait.

En ce qui concerne les questions se rapportant aux consultations inadéquates des peuples autochtones et des Premières Nations, deux arguments sur la qualité des consultations n’étaient pas « raisonnablement défendables ». Certains demandeurs ont soulevé leur insatisfaction à l’égard de l’issue des consultations et leur opposition à cette issue et ont invoqué le droit d’opposer un veto au projet, et nombre de questions portant, plus particulièrement, sur la qualité des consultations, qui avaient été soulevées et tranchées dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation, ou qui auraient pu être soulevées, mais ne l’ont pas été. Les doctrines empêchant la remise en cause sont venues parer à ces arguments. Quoi qu’il en soit, certaines questions soulevées sur la qualité des consultations ont satisfait à la norme de la cause « raisonnablement défendable » à laquelle l’autorisation est subordonnée. Plus particulièrement, la Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation était d’avis que le Canada ne s’était pas acquitté de son obligation de consulter à la phase III du processus de consultation. Par conséquent, la Cour a infirmé la décision portant approbation du projet et a exigé des travaux supplémentaires dans le cadre de la phase III du processus de consultation. Au cours des mois qui ont suivi, d’autres consultations ont eu lieu à cette fin. Nombre des demandeurs autochtones et des Premières Nations ont prétendu que la piètre qualité des consultations supplémentaires et la hâte avec laquelle elles ont été tenues rendaient celles-ci inadéquates. La question de savoir si les consultations supplémentaires étaient adéquates n’appelait pas une réponse claire, et une formation de juges de la Cour devrait être appelée à se prononcer sur cette question.

Enfin, en ce qui concerne les questions diverses, dans la mesure où de telles questions existaient et où elles n’entraient pas dans le champ des quatre rubriques énumérées précédemment, aucune d’entre elles n’était « raisonnablement défendable ».

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44].

Décret C.P. 2018-1177.

Décret C.P. 2019-378.

Décret C.P. 2019-0820.

Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52.

Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29.

Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7, art. 52(11), 53(8), 54, 55.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 110.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS SUIVIES :

Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, [2017] 1 R.C.S. xvi; Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2019] 2 R.C.F. 3, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 38379 (2 mai 2019).

DÉCISION APPLIQUÉE :

Lukács c. Swoop Inc., 2019 CAF 145.

DÉCISION EXAMINÉE :

Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511.

DÉCISIONS CITÉES :

Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27; Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559; Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Robbins c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 24; Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45; Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Canada, 2010 FCA 307, [2012] 2 R.C.F. 312; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013; Bigstone Cree Nation c. Nova Gas Transmission Ltd., 2018 CAF 89; Première Nation Squamish c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 216; Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 38; Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460; Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77; Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781; Merchant Law Group c. Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184; JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557; Prophet River First Nation v. British Columbia (Environment), 2015 BCSC 1682, [2016] 1 C.N.L.R. 207, conf. par 2017 BCCA 58, 94 B.C.L.R. (5th) 232; West Moberly First Nations v. British Columbia (Energy and Mines), 2014 BCSC 924, 76 Admin. L.R. (5th) 223; Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143.

DOCTRINE CITÉE

Gazette du Canada, Partie I, vol. 153, no 25, 22 juin 2019.

DOUZE REQUÊTE REGROUPÉES en autorisation de déposer des demandes de contrôle judiciaire d’un décret (C.P. 2019-0820) daté du 18 juin 2019, par lequel le gouverneur en conseil a approuvé le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain pour la seconde fois. Six requêtes accueillies.

OBSERVATIONS ÉCRITES

Dyna Tuytel et Margot Venton, pour les demanderesses, Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society.

Sarah D. Hansen et Megan Young, pour les demandeurs, chef Ron Ignace et chef Rosanne Casimir, pour leur propre compte et au nom de tous les membres de Stk’emlupsemc Te Secwepemc de la Nation Secwepemc.

F. Matthew Kirchner et Michelle Bradley, pour la demanderesse, Nation Squamish.

F. Matthew Kirchner et Emma K. Hume, pour la demanderesse, Bande indienne Coldwater.

Chris Tollefson et Anthony Ho, pour la demanderesse, Federation of British Columbia Naturalists faisant affaire sous la raison sociale BC Nature.

Scott A. Smith, Paul Seaman et Keith Brown, pour la demanderesse, Tsleil-Waututh Nation.

Melinda J. Skeels et Natalia Sudeyko, pour la demanderesse, Stz’uminus First Nation.

Joelle Walker et Erin Reimer, pour les demandeurs, Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá:y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten et Yakweakwioose.

K. Michael Stephens, Rebecca J. Robb et Matthew M.S. Palmer, pour la demanderesse, Ville de Vancouver.

Joelle Walker et Ryley Mennie, pour la demanderesse, Shxw’ōwhámel First Nation.

Patrick Canning et Erin Gray, pour les demandeurs, Olivier Adkin-Kaya, Nina Tran, Lena Andres et Rebecca Wolf Gage.

 Crystal Reeves, pour la demanderesse, Bande Upper Nicola.

Jan Brongers, pour le défendeur, le procureur général du Canada.

Maureen Killoran, c.r., Olivia C. Dixon et Sean Sutherland, pour les défenderesses, Trans Mountain Pipeline ULC et Trans Mountain Corporation.

Doreen Mueller, Stephanie Latimer, Jodie Hierlmeier et Jade Vo, pour l’intervenant, le procureur général de l’Alberta.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Ecojustice, Calgary, pour les demanderesses, Raincoast Conservation Foundation et Living Oceans Society.

Miller Thomson LLP, Vancouver, pour les demandeurs, chef Ron Ignace et chef Rosanne Casimir, pour leur proper compte et au nom de tous les autres membres de Stk’emlupsemc Te Secwepemc de la Nation Secwepemc.

Ratcliff & Company LLP, North Vancouver, pour les demanderesses, Nation Squamish, Stz’uminus First Nation, Bande indienne Coldwater et Stz’uminus First Nation.

Pacific Centre for Environmental Law and Litigation Law Corporation, Victoria, pour la demanderesse, Federation of British Columbia Naturalists faisant affaire sous la raison sociale BC Nature.

Gowling WLG (Canada) S.E.N.C.R.L., s.r.l., Vancouver, pour la demanderesse, Tsleil-Waututh Nation.

Miller Titerle Law Corporation, Vancouver, pour les demandeurs, Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá:Y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten et Yakweakwioose.

Hunter Litigation Chambers, Vancouver, pour la demanderesse, Ville de Vancouver.

Miller Titerle Law Corporation, Vancouver, pour la demanderesse, Shxw’ōwhámel First Nation.

British Columbia Arbutus Law Group LLP, Victoria, pour les demandeurs, Olivier Adkin-Kaya, Nina Tran, Lena Andres et Rebecca Wolf Gage.

Mandell Pinder LLP, Vancouver, pour la demanderesse, Bande Upper Nicola.

La sous-procureure générale du Canada pour le défendeur.

Osler, Hoskin & Harcourt S.E.N.C.R.L/ s.r.l., Calgary, pour les défenderesses, Trans Mountain Pipeline ULC et Trans Mountain Corporation.

Alberta Justice and Solicitor General, Edmonton, pour l’intervenant, le procureur général de l’Alberta.

 

 

            Ce qui suit est la version française des motifs de l’ordonnance rendue par

[1]        Le juge Stratas, J.C.A. : Par voie de décret (C.P. 2019-0820 daté du 18 juin 2019), le gouverneur en conseil a approuvé le projet d’agrandissement du réseau de Trans Mountain pour la seconde fois ((2019), Gaz. C. I, vol. 153, no 25 [22 juin 2019]). Douze groupes de parties souhaitent contester la décision portant approbation du projet au moyen d’un contrôle judiciaire. Or, ces parties doivent au préalable en demander l’autorisation à notre Cour (Loi sur l’Office national de l’énergie, L.R.C. (1985), ch. N-7 [abrogé par L.C. 2019, ch. 28, art. 44], article 55 (Loi)).

[2]        Par conséquent, elles ont présenté 12 requêtes en autorisation de déposer des demandes de contrôle judiciaire. La décision d’accorder ou non une telle autorisation relève d’un juge de la Cour siégeant seul (Loi, alinéa 55(2)c)).

[3]        Les requêtes ont été réunies par suite d’une ordonnance rendue par la Cour. L’original des présents motifs sera déposé au dossier principal, soit 19-A-35, et une copie sera versée aux autres dossiers.

[4]        Pour les motifs qui suivent, j’accueille six des requêtes en autorisation et je rejette les six autres. Si six demandes de contrôle judiciaire sont effectivement déposées, l’instruction des instances en vue de la tenue de l’audience sera accélérée le plus possible.

A.        La publication de motifs en l’espèce

[5]        La pratique établie au sein de la Cour consiste à ne pas assortir de motifs ses décisions portant sur des requêtes en autorisation.

[6]        Le juge en chef de la Cour a reconnu que, dans les circonstances particulières de la présente espèce, il se peut que cette pratique doive être assouplie. Il a émis une directive à ce sujet, dont je reproduis ici le texte :

[traduction] La pratique normale de la Cour est de ne pas assortir de motifs ses décisions portant sur les demandes d’autorisation. Or, il s’agit en l’espèce d’une situation exceptionnelle, car les défendeurs, qui ont un intérêt direct en lien avec le projet, n’ont pas pris position, ni pour ni contre les demandes d’autorisation dans tous les dossiers, à l’exception d’un seul. Ils laissent ainsi la Cour trancher à sa discrétion. C’est une pratique courante pour les parties de ne pas prendre position relativement à une requête en matière de procédure, mais ce ne l’est pas lorsque des questions d’importance générale sont soulevées.

Sans le bénéfice d’arguments contraires, la Cour, de son propre chef, a porté l’instance à l’attention de deux personnes susceptibles d’être intéressées, soit les procureurs généraux de la Colombie-Britannique et de l’Alberta, en vertu de l’article 110 des Règles des Cours fédérales. L’Alberta a déposé une requête en intervention, qui a été accueillie après examen des prétentions. L’Alberta demande le rejet des douze demandes.

Si le juge saisi des requêtes en autorisation déboute les demandeurs, il pourrait se révéler nécessaire de publier des motifs expliquant sa décision, contrairement à la pratique de la Cour. En effet, les demandeurs, informés par le Canada – qui est tenu par la Constitution de s’acquitter de son obligation de consulter- qu’il ne prend pas position, mériteraient de savoir pourquoi la Cour n’a pas tranché en leur faveur.

La question est laissée à la discrétion du juge des requêtes.

[7]        Par suite de cette directive, j’ai décidé d’assortir de motifs les ordonnances portant rejet des requêtes en autorisation.

B.        La participation du procureur général de l’Alberta dans l’instruction des requêtes en autorisation

[8]        Les défendeurs n’ont pas pris position à l’égard de 11 des 12 requêtes en autorisation, car le critère applicable en la matière n’est à leur avis pas très exigeant. Comme l’indique le juge en chef dans la directive qu’il a émise, la Cour a signifié un avis en vertu de la règle 110 des Règles [Règles des Cours fédérales, DORS/98-106]. Par suite de cet avis, le procureur général de l’Alberta a présenté une requête en intervention dans le but de faire valoir son opposition aux requêtes en autorisation. Après examen des prétentions des parties relatives à la requête en intervention, la Cour a décidé d’accorder au procureur général de l’Alberta l’autorisation d’intervenir.

C.        Les critères applicables en matière d’autorisation

[9]        Le libellé de la Loi ne nous dit pas expressément quand il y a lieu d’accorder l’autorisation. Toutefois, il est possible de le déduire des dispositions connexes de cette loi et de l’intention du législateur, qui dispose que le contrôle judiciaire est subordonné au dépôt d’une demande d’autorisation (Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27 et Bell ExpressVu Limited Partnership c. Rex, 2002 CSC 42, [2002] 2 R.C.S. 559).

[10]      La partie de la Loi qui porte sur l’approbation des projets constitue un code complet. Ce code prévoit l’examen et l’évaluation par l’Office national de l’énergie (Office), la présentation d’un rapport par ce dernier au gouverneur en conseil ainsi que l’examen du rapport par le gouverneur en conseil, qui décide alors d’approuver ou non le projet (Nation Gitxaala c. Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 R.C.F. 418, aux paragraphes 119 à 127, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 37201 (9 février 2017 [[2017] 1 R.C.S. xvi]); Tsleil-Waututh Nation c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 153, [2019] 2 R.C.F. 3, aux paragraphes 173 à 203, autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 38379 (2 mai 2019) (l’arrêt par lequel notre Cour a annulé la décision initiale du gouverneur en conseil d’approuver le projet). Pour éviter qu’un projet susceptible de présenter un important intérêt public traîne en longueur, la Loi prescrit les délais du processus d’approbation.

[11]      Pendant le déroulement de ce processus, il est interdit d’ester en justice. À la fin du processus seulement, une fois que le gouverneur en conseil a pris sa décision, est-il éventuellement possible d’intenter un recours (Loi, paragraphes 52(11), 53(8) et 55(1); Nation Gitxaala, aux paragraphes 119 à 127; Tsleil-Waututh Nation, aux paragraphes 170 à 202). Or, ce recours n’est pas présenté d’office ni de plein droit; la Cour doit décider s’il est justifié (voir la Loi, au paragraphe 55(1), qui oblige la partie à demander pour ce faire l’autorisation de la Cour). Cette autorisation doit être demandée sans tarder, de sorte que les projets approuvés par le gouverneur en conseil ne soient pas inutilement retardés (Loi, alinéa 55(2)a)). Il est statué sur cette demande « à bref délai et selon la procédure sommaire » (Loi, alinéa 55(2)c)). Un juge siégeant seul tranche la demande sur dossier; la procédure plus longue exigeant une formation de trois juges, qui statuent à la lumière du dossier et de prétentions orales présentées à l’audience, n’est pas prévue (Loi, alinéa 55(2)c)).

[12]      L’intention du législateur est on ne peut plus claire : un projet ne doit pas être freiné par de multiples recours judiciaires inutiles et interminables. Il faut que tout appel aux tribunaux soit nécessaire et le plus bref possible.

[13]      Ainsi, dans la voie qui mène au contrôle judiciaire, l’obligation d’obtenir l’autorisation ne tient pas de la vérification sommaire effectuée en bordure de la route; elle ressortit davantage à une inspection en règle effectuée à la frontière.

[14]      Les dispositions qui obligent une partie à obtenir l’autorisation de se pourvoir devant notre Cour sont prévues dans différents régimes légaux. Par exemple, on peut dire qu’une partie sollicitant l’autorisation de se pourvoir devrait invoquer des arguments « raisonnablement défendables » qui justifient « le contrôle intégral de la décision administrative, qui respecte tous les droits procéduraux [applicables] et fait appel aux techniques d’enquête et, le cas échéant, [à toutes les] techniques de collecte de la preuve pertinentes » (voir, p. ex. Lukács c. Swoop Inc., 2019 CAF 145, au paragraphe 19 et la jurisprudence qui y est mentionnée).

[15]      La norme de la « cause raisonnablement défendable » qui est décrite dans l’arrêt Lukács constitue un bon point de départ. Cependant, vu le régime légal applicable et l’intention du législateur, il est nécessaire de préciser ce qu’il faut entendre par une « cause raisonnablement défendable ».

[16]      Lorsqu’il s’agit d’appliquer la norme de la « cause raisonnablement défendable » à une affaire intéressant l’article 55 de la Loi, il importe de garder à l’esprit les trois notions suivantes :

a)         La fonction de gardien judiciaire. La norme de la cause « raisonnablement défendable » doit être appliquée de manière à ce que soit acquittée la fonction importante que représente au sein du régime légal l’obligation d’obtenir l’autorisation. Par conséquent, il faut passer au crible les prétentions qu’un demandeur souhaite faire valoir dans le cadre d’un contrôle judiciaire et la preuve qui les étaye pour décider si elles satisfont à cette norme. Il faut refuser l’autorisation aux parties qui font valoir des arguments sans les étayer et à celles dont les arguments sont irrecevables en droit.

b)         Le rôle de la déférence. Parfois, la Cour est tenue en droit de donner une marge d’appréciation ou une certaine latitude aux décideurs ou de faire preuve à leur égard de déférence lorsqu’elle contrôle leurs décisions. Ces principes jouent considérablement sur ce qui constitue un argument « raisonnablement défendable » : ils peuvent rendre insoutenable en réalité un argument qui semblait soutenable en théorie.

c)         L’importance de l’aspect pratique. Accorder à une partie l’autorisation de demander le contrôle judiciaire sur la foi d’un argument qui, s’il est admis avec d’autres, ne permettra pas d’infirmer la décision faisant l’objet du contrôle constitue une perte de temps et de ressources et méconnaît l’intention du législateur. Si cela tombe sous le sens, c’est également conforme au droit. Les cours saisies du contrôle judiciaire ne doivent pas infirmer une décision et la renvoyer au décideur pour qu’il tranche à nouveau s’il est évident que l’affaire se soldera par la même décision (voir, p. ex., Stemijon Investments Ltd. c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299; Robbins c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 24; Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada (Agence d’inspection des aliments), 2017 CAF 45). Les arguments qui soulèvent des lacunes mineures dans une décision sont moins susceptibles de satisfaire à cet élément que ceux qui attaquent le fondement même d’une décision.

D.        Analyse

1)         Introduction

[17]      Les principales questions que soulèvent les requêtes en autorisation dont la Cour est saisie sont celles de savoir, d’une part, si la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet était fondamentalement déraisonnable et, d’autre part, si la Couronne a manqué à son obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones et les Premières Nations. Vu ce qu’il faut entendre par la norme de la « cause raisonnablement défendable », il importe de déterminer à quel point la marge d’appréciation, la latitude et la déférence jouent dans l’analyse de ces questions. Il faut également voir si les demandes sont irrecevables ou autrement empêchées.

a)         La déférence que commande la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet

[18]      Dans son analyse visant à déterminer si la décision du gouverneur en conseil était raisonnable, la Cour doit accorder à ce dernier « la marge d’appréciation la plus large possible » (Nation Gitxaala, au paragraphe 155; Tsleil-Waututh Nation, au paragraphe 206). La déférence est élevée.

[19]      La décision du gouverneur en conseil est « discrétionnaire [et est] fondée sur des considérations de politique et d’intérêt public très larges apprécié[e]s en fonction de critères polycentriques, subjectifs ou vagues et [est] influencée par ses opinions sur les considérations d’ordre économique, culturel et environnemental et par l’intérêt public général » (Nation Gitxaala, aux paragraphes 140 à 144 et 154; voir également Tsleil-Waututh Nation, aux paragraphes 206 à 223). Seul le gouverneur en conseil est outillé pour évaluer de telles considérations avec précision. Notre Cour ne l’est pas (Nation Gitxaala, aux paragraphes 142 et 143, renvoyant à l’arrêt Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c. Canada, 2010 CAF 307, [2012] 2 R.C.F. 312, aux paragraphes 76 et 77). Par conséquent, seuls les arguments qui sont susceptibles de survivre à une déférence élevée peuvent être qualifiés de « raisonnablement défendables ».

b)         La latitude à accorder quand il s’agit de décider si les consultations des Premières Nations et des peuples autochtones étaient adéquates

[20]      Les consultations sont adéquates si « les efforts raisonnables ont été déployés pour informer et consulter »; point n’est besoin de faire tous les efforts possibles (Nation haïda c. Colombie-Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, au paragraphe 62). Il faut un « véritable dialogue » et une « prise en compte sérieuse » des « préoccupations réelles et précises » des peuples autochtones et des mesures possibles pour y répondre (Nation haïda, au paragraphe 62; R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723, au paragraphe 170; R. c. Nikal, [1996] 1 R.C.S. 1013, au paragraphe 110; Tsleil-Waututh Nation, aux paragraphes 562 et 563).

[21]      Lorsqu’il s’agit de s’acquitter de l’obligation de consulter, la perfection n’est pas requise (Nation Gitxaala, aux paragraphes 182 à 184; Tsleil-Waututh Nation, aux paragraphes 226, 508 à 509 et 762). Une certaine latitude doit être accordée au décideur, en raison « des omissions, des malentendus, des accidents et des erreurs » inévitables et des « questions de jugement difficiles » faisant intervenir des éléments « nombreux, complexes, dynamiques » intéressant de nombreuses parties (Nation Gitxaala, au paragraphe 182).

[22]      L’obligation de consulter ne requiert pas le consentement ou l’absence d’opposition — des Premières Nations et des peuples autochtones à des projets comme celui dont il est question en l’espèce comme condition à leur réalisation (Nation Gitxaala, aux paragraphes 179 et 180; Bigstone Cree Nation c. Nova Gas Transmission Ltd., 2018 CAF 89, au paragraphe 49; Première Nation Squamish c. Canada (Pêches et Océans), 2019 CAF 216, au paragraphe 37). L’insatisfaction ou la déception à l’égard de l’issue des consultations ou l’opposition à cette dernière ne permettent pas d’alléguer le manquement à l’obligation (Ktunaxa Nation c. Colombie-Britannique (Forests, Lands and Natural Resource Operations), 2017 CSC 54, [2017] 2 R.C.S. 386, au paragraphe 83; Bigstone, au paragraphe 70). L’obligation de consulter ne donne pas aux Premières Nations et peuples autochtones un droit de veto à l’égard d’un projet.

[23]      Par conséquent, les arguments quant aux consultations inadéquates ne sont « raisonnablement défendables » que si les prétendues lacunes excèdent la latitude à laquelle le décideur a droit. Ils doivent porter sur le processus, la qualité et la tenue des consultations.

c)         Irrecevabilité et autres empêchements

[24]      Des notions de droit établies font obstacle à la remise en cause, soit les doctrines de res judicata, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, [2001] 2 R.C.S. 460 (préclusion découlant d’une question déjà tranchée); Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63, [2003] 3 R.C.S. 77 (abus de procédure)). À quelques exceptions près, ces doctrines interdisent aux parties de faire valoir des arguments dans une instance ultérieure qui avaient déjà été présentés et débattus dans une instance précédente ou auraient pu l’être.

[25]      Il se peut que pareil empêchement s’applique aux présentes requêtes. Dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation, la Cour a infirmé la décision initiale du gouverneur en conseil portant approbation du projet. La Cour n’a pas exigé que tous les travaux et les consultations ayant mené à la décision du gouverneur en conseil soient repris à neuf. Selon elle, une grande partie des travaux précédents étaient conformes à la loi. Elle exigeait seulement, pour pallier les lacunes précises qui avaient mené à l’annulation de la décision initiale, la reprise de certains travaux et la tenue de véritables consultations supplémentaires. Le gouverneur en conseil a depuis approuvé à nouveau le projet, et les demandeurs cherchent à obtenir l’autorisation d’intenter une nouvelle série de contrôles judiciaires. Vu les doctrines qui font obstacle à la remise en cause, les demandeurs ne peuvent aujourd’hui soulever des questions qui avaient été soulevées et tranchées (ou auraient pu l’être) dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation. Comme en témoignent les 254 pages et 776 paragraphes que comportent les motifs de cet arrêt, les questions étaient nombreuses.

[26]      Ce qui veut dire, en pratique, que tout contrôle judiciaire de la seconde décision du gouverneur en conseil doit se limiter 1) à comparer les travaux indiqués et les consultations supplémentaires exigés par la Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation au droit applicable et aux lacunes précisées dans cet arrêt et 2) à évaluer les faits pertinents sur le plan juridique qui se sont produits depuis le prononcé de cet arrêt et sont susceptibles d’influer sur l’approbation du projet. Vu les doctrines qui empêchent la remise en cause, les questions soulevées dans le cadre d’un contrôle judiciaire qui vont au-delà de ces deux démarches ne sont pas « raisonnablement défendables ».

[27]      La Cour est habilitée, à sa discrétion, à assouplir l’application des doctrines empêchant la remise en cause, lorsque la situation s’y prête (Danyluk, au paragraphe 33). Or, les demandeurs, tout particulièrement dans leurs répliques aux observations du procureur général de l’Alberta sur la remise en cause — n’ont guère présenté d’arguments raisonnablement défendables qui justifieraient l’intervention de la Cour en ce sens.

[28]      En l’espèce, les doctrines empêchant la remise en cause jouent un rôle primordial. En faire fi résulterait en une série d’interminables de recours judiciaires. Par exemple, dans le dossier 19-A-46, les parties qui n’ont pas participé à l’affaire Tsleil-Waututh Nation ont demandé l’autorisation d’ester pour plaider des questions relatives à la Charte [Charte canadienne des droits et libertés] qui auraient pu être soulevées dans l’instance précédente, mais ne l’ont pas été. À défaut d’une application stricte des doctrines, cette situation est susceptible de se produire à maintes reprises. Le projet risque alors d’être paralysé au sein du système judiciaire, ce qui n’est pas conforme à l’objet du régime légal.

[29]      Les doctrines empêchant la remise en cause ont pour parallèle l’effet contraignant de la jurisprudence. Les règles de droit énoncées par notre Cour dans les arrêts Tsleil-Waututh Nation et Nation Gitxaala — tous deux fondés en grande partie sur la jurisprudence issue de la Cour suprême du Canada — lient notre Cour et permettent de trancher nombre des présentes demandes. Nous sommes saisis, non pas d’une affaire de vaste portée où les principes de droit applicables sont à établir, mais d’une affaire de portée plus restreinte qui appelle la Cour à décider si les principes de droit connus ont été respectés. Le premier type d’instance laisse davantage de champ aux questions « raisonnablement défendables » que le second.

2)         Évaluation des questions soulevées dans les requêtes en autorisation

[30]      Répétons que les principales questions que soulèvent les requêtes en autorisation sont celles de savoir, d’une part, si la décision du gouverneur en conseil d’approuver le projet était fondamentalement déraisonnable et, d’autre part, si la Couronne a manqué à son obligation de consulter adéquatement les peuples autochtones et les Premières Nations. Ces questions peuvent être divisées aux fins d’analyse et combinées à d’autres questions de portée plus limitée soulevées par les demandeurs. Il est utile de les regrouper sous quatre rubriques : conflits d’intérêts et partialité; préoccupations environnementales et décision fondamentalement déraisonnable; consultation des peuples autochtones et des Premières Nations; autres questions diverses.

a)         Conflits d’intérêts et partialité

[31]      Divers demandeurs prétendent que la décision du gouverneur en conseil est viciée en raison de la partialité et de l’existence de conflits d’intérêts. Selon eux, ces vices résultent de l’achat, peu de temps après la décision initiale, de la défenderesse Trans Mountain, par le gouvernement du Canada par le truchement d’une société, de sorte que le projet lui appartient pratiquement.

[32]      Cet argument n’est pas « raisonnablement défendable ».

[33]      Au départ, cet argument est entaché d’un vice fatal. Le gouverneur en conseil n’est pas le gouvernement du Canada. Le gouverneur en conseil, l’organe décisionnel en l’espèce, n’est pas propriétaire du projet.

[34]      Il existe une raison encore plus fondamentale : l’article 54 de la Loi oblige le gouverneur en conseil à décider d’approuver ou non un projet, sans égard à l’identité du propriétaire. La Loi ne déshabilite pas le gouverneur en conseil à s’acquitter de cette responsabilité selon l’identité du propriétaire du projet. La Loi l’emporte sur les principes de common law relatifs à la partialité et aux conflits d’intérêts (Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52, [2001] 2 R.C.S. 781).

[35]      L’affaire serait différente si le gouverneur en conseil avait aveuglément approuvé le projet parce que le gouvernement du Canada en est maintenant propriétaire au lieu d’examiner les critères juridiques pertinents. Toutefois, pour que ce genre d’argument soit « raisonnable défendable », il doit être un tant soit peu étayé. Dans le dossier dont la Cour est saisie, pareille preuve brille par son absence. Dans ce cas, les arguments portant sur la partialité et les conflits d’intérêts ne sont rien d’autre que des conjectures et de simples prétentions non étayées qui ne sauraient être « raisonnablement défendables » (voir l’arrêt Merchant Law Group c. Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184, au paragraphe 34 et la jurisprudence qui y est mentionnée ainsi que JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c. Canada (Revenu national), 2013 CAF 250, [2014] 2 R.C.F. 557, au paragraphe 45 et la jurisprudence qui y est mentionnée).

[36]      Certains demandeurs avancent comme preuve de partialité fatale des déclarations publiques en faveur du projet prononcées par des politiciens fédéraux. Cette question n’est pas « raisonnablement défendable ». En droit, de telles déclarations ne révèlent pas une partialité fatale (voir, p. ex., Nation Gitxaala, aux paragraphes 195 à 200; Prophet River First Nation v. British Columbia (Minister of Environment), 2015 BCSC 1682, [2016] 1 C.N.L.R. 207, aux paragraphes 189 à 200, conf. par 2017 BCCA 58, 94 B.C.L.R. (5th) 232; West Moberly First Nations v. British Columbia (Energy and Mines), 2014 BCSC 924, 76 Admin. L.R. (5th) 223, aux paragraphes 107 à 110).

b)         Préoccupations environnementales et décision fondamentalement déraisonnable

[37]      Les arguments des demandeurs sur les préoccupations environnementales ne sont pas « raisonnablement défendables ».

[38]      Dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation, nombre d’arguments sur l’incidence environnementale du projet ont été présentés ou auraient pu l’être. La plupart des préoccupations environnementales que soulèvent les demandeurs en l’espèce ne sont pas raisonnablement défendables, car elles appartiennent à l’une ou l’autre de ces catégories. Elles sont irrecevables par application des doctrines empêchant la remise en cause.

[39]      Il suffit de deux exemples pour illustrer mon propos. Selon certains demandeurs, le gouverneur en conseil n’était pas habilité à prendre une décision sans vérifier que les critères précisés dans la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, ch. 29, avaient été respectés. Cet argument n’est pas raisonnablement défendable parce que notre Cour l’a expressément rejeté dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation, au paragraphe 464.

[40]      Des demandeurs affirment que l’examen par l’Office des questions environnementales qu’exige la Loi sur les espèces en péril et la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), L.C. 2012, ch. 19, art. 52, était lacunaire. D’autres soulèvent des questions différentes, comme les gaz à effet de serre qui seront émis par le projet, l’importance du projet, les retombées économiques du projet et le risque de déversement. Ces questions ne sont pas non plus raisonnablement défendables, car elles ont été soulevées et tranchées, ou auraient pu l’être, dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation.

[41]      Rappelons la décision de la Cour dans cette affaire, au paragraphe 201 : les travaux de l’Office comportaient des « lacunes importantes » de sorte que le rapport qu’il avait présenté au gouverneur en conseil ne constituait pas un « rapport » prévu à l’article 54. Ainsi, le gouverneur en conseil était privé d’un prérequis légal impératif pour prendre la décision que prévoyait l’article 54. Les « lacunes importantes » dans cette affaire étaient fondamentales et criantes : l’Office n’avait pas examiné l’effet du transport maritime lié au projet.

[42]      Depuis l’arrêt Tsleil-Waututh Nation, l’Office a corrigé ces lacunes importantes en fournissant au gouverneur en conseil un rapport exhaustif et détaillé comportant 678 pages qui examine la question du transport maritime lié au projet et des questions connexes et propose des mesures pour atténuer les risques. Le gouverneur en conseil a pris connaissance du nouveau rapport, comme il ressort du décret qu’il a pris.

[43]      Plusieurs demandeurs affirment que le nouveau rapport est si lacunaire que le gouverneur en conseil est toujours privé du prérequis légal que constitue le « rapport » prévu à l’article 54. Cet argument ne saurait être retenu, vu l’ampleur de l’étude du transport maritime lié au projet et des questions environnementales connexes dont le nouveau rapport fait état.

[44]      Aux termes de l’article 54, le gouverneur en conseil était tenu de décider s’il y avait lieu d’approuver ou non le projet et de déterminer éventuellement des conditions. Vu la preuve produite par les demandeurs et le droit applicable, il est impossible pour l’argument de ces derniers de survivre à la déférence considérable dont la Cour doit faire preuve à l’égard du gouverneur en conseil, qui est appelé à examiner le nouveau rapport des plus détaillé et technique et à prendre ce genre de décision dans l’intérêt public (voir les paragraphes 16b) et 18 à 19 des présents motifs). Sa décision commandait une mise en balance des avantages et des inconvénients du projet effectuée à la lumière des considérations générales que sont les retombées économiques, les données scientifiques, l’environnement, l’intérêt public et de celles qui ressortissent aux politiques, dont aucune n’est du ressort de la Cour (Nation Gitxaala, au paragraphe 148, renvoyant à Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, au paragraphe 25). Le droit oblige la Cour à accorder une déférence considérable — suivant la jurisprudence, la « marge d’appréciation la plus large possible » [Nation Gitxaala, au paragraphe 155] — au gouverneur en conseil et à sa décision, qui résulte de cette mise en balance. L’argument des demandeurs, selon lequel la décision est fondamentalement déraisonnable sur le plan des préoccupations environnementales et des questions relatives à la législation en matière de protection de l’environnement, n’est pas plus convaincant que celui que la Cour a rejeté dans les arrêts Nation Gitxaala et Tsleil-Waututh Nation.

[45]      En outre, pour que leurs arguments soient « raisonnablement défendables », les demandeurs doivent démontrer qu’ils mèneraient pratiquement à une issue différente (voir le paragraphe 16 c) des présents motifs). Ils échouent à cet égard. Le gouverneur en conseil était d’avis que les importantes considérations d’intérêt public l’emportaient haut la main sur le risque de préjudice écologique. Les motifs dont est assorti le décret, décisifs et catégoriques, mènent inexorablement à la conclusion que, si les questions soulevées par Raincoast Conservation, Living Oceans Society, Federation of B.C. Naturalists et la Ville de Vancouver, demandeurs en l’espèce, figuraient dans un autre rapport qui serait présenté au gouverneur en conseil, ce dernier arriverait quand même à la conclusion que le projet est, tout compte fait, dans l’intérêt public et l’approuverait.

c)         Consultations inadéquates des peuples autochtones et des Premières Nations

[46]      Précisons tout d’abord que deux arguments sur la qualité des consultations ne sont pas « raisonnablement défendables ».

[47]      Premièrement, certains demandeurs soulèvent leur insatisfaction à l’égard de l’issue des consultations et leur opposition à cette issue et invoquent essentiellement le droit de consentir ou non au projet ou un droit de veto à cet égard, ce que l’obligation de consulter n’englobe pas selon une abondante jurisprudence.

[48]      Deuxièmement, dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation, nombre de questions portant sur la qualité des consultations avaient été soulevées et tranchées et beaucoup d’autres auraient pu l’être. Les doctrines empêchant la remise en cause viennent parer à ces arguments. Certains arguments soulevés par les demandeurs sont irrecevables, car ils ne sont pas « raisonnablement défendables ». L’argument de la Stz’uminus First Nation et de la Shxw’ōwhámel First Nation constitue un bon exemple. Ces demanderesses soulèvent des préoccupations relatives aux consultations qui auraient pu être examinées dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation. Elles n’ont pas comparu dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation pour exprimer leurs préoccupations et sont donc irrecevables en leurs demandes. À ce sujet, les remarques qui figurent au paragraphe 28 des présents motifs sont pertinentes, ainsi que les paragraphes 48 à 50 des observations écrites du procureur général de l’Alberta. Par conséquent, ces demanderesses ne seront pas autorisées à demander le contrôle judiciaire.

[49]      En revanche, certaines questions soulevées par d’autres demandeurs autochtones et des Premières Nations sur la qualité des consultations sont « raisonnablement défendables ».

[50]      La Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation est d’avis (voir le paragraphe 6) que le Canada ne s’est pas acquitté de son obligation de consulter à la phase III du processus de consultation. Tout particulièrement, aux paragraphes 557 à 563, la Cour résume les lacunes qui vicient les consultations : l’absence d’un véritable dialogue et, corollairement, le mandat trop restrictif donné aux représentants de la Couronne responsables de mener les consultations; la réticence indue à s’écarter des conclusions de l’Office et des conditions dont il avait recommandé que soit assorti le projet ainsi que la croyance erronée de la part du gouverneur en conseil qui estimait qu’il n’était pas habilité à assortir le projet de conditions supplémentaires.

[51]      Par conséquent, la Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation a infirmé la décision portant approbation du projet et a exigé des travaux supplémentaires dans le cadre de la phase III du processus de consultation. Au cours des mois qui ont suivi, d’autres consultations ont eu lieu.

[52]      Nombre des demandeurs autochtones et des Premières Nations prétendent dorénavant que la piètre qualité des consultations supplémentaires et la hâte avec laquelle elles ont été tenues rendent celles-ci inadéquates. Pour être en mesure d’évaluer cette question, il importe de la mettre en contexte.

[53]      Après que la Cour, s’étant prononcée dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation, eut renvoyé l’affaire au gouverneur en conseil, ce dernier a pris un décret en vertu de la Loi obligeant l’Office à réexaminer sa recommandation à propos du projet ainsi que toutes les conditions proposées dans son premier rapport au sujet du transport maritime lié au projet et des questions connexes dans un délai de 155 jours (décret C.P. 2018-1177 (20 septembre 2018)). L’Office a présenté son second rapport le 22 février 2019.

[54]      La Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation (au paragraphe 771) demandait que les consultations supplémentaires soient terminées avant que le gouverneur en conseil prenne sa décision quant à l’approbation du projet. Or, dès lors que le gouverneur en conseil a reçu le second rapport de l’Office, le délai de trois mois que prévoit le paragraphe 54(3) de la Loi pour la décision a commencé à courir. Le gouverneur en conseil est habilité par cette disposition à proroger ce délai, ce qu’il a fait, accordant un mois de plus pour les consultations (décret C.P. 2019-378 (17 avril 2019)). À l’époque, certains demandeurs autochtones et des Premières Nations ont dit que la prorogation ne permettrait pas de terminer les consultations supplémentaires. Aucun n’a demandé le contrôle judiciaire du décret en raison de l’insuffisance du délai supplémentaire accordé. S’ils avaient même pu, en droit, présenter une telle demande, elle est maintenant prescrite.

[55]      La question de savoir si les consultations supplémentaires étaient adéquates n’appelle pas une réponse claire. Comme une formation de juges de la Cour sera appelée à se prononcer sur cette question, je n’émets que quelques commentaires d’ordre général à ce sujet.

[56]      Vu les intérêts fondamentaux des peuples autochtones et des Premières Nations en la matière, les demandeurs affirment que la décision du gouverneur en conseil suivant laquelle les consultations supplémentaires étaient adéquates appelle un contrôle strict.

[57]      Les demandeurs autochtones et des Premières Nations soulignent expressément et de manière très détaillée dans leur dossier de preuve, qui fait plusieurs milliers de pages, les questions qui, selon leurs dires, leur importent. Ils affirment que le gouvernement du Canada a fait fi de ces questions dans la tenue des consultations initiales, et a fait de même lors du déroulement des consultations ultérieures. Ils ajoutent qu’aucune mesure ou presque n’a été prise pendant les consultations ultérieures de la date du prononcé de l’arrêt Tsleil-Waututh Nation jusqu’à celle du rapport de l’Office, soit en un peu moins de six mois. Selon eux, le délai prévu pour les consultations ultérieures, environ quatre mois, était trop court pour permettre de pallier les lacunes relevées par la Cour dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation. Certains demandeurs affirment que le gouvernement du Canada n’a rien fait, même durant ces quatre mois.

[58]      Les demandeurs reconnaissent que le gouvernement du Canada a mis en œuvre de nouvelles initiatives pour faciliter les consultations et a assorti de nouvelles conditions le projet qui a ultimement été approuvé. Or, à leur avis, c’est de la poudre aux yeux, des gestes vides de sens et des palabres, et non pas la dure besogne qui consiste à écouter leurs préoccupations, à explorer les solutions possibles et à collaborer pour arriver à une meilleure issue.

[59]      Les défendeurs, dont le procureur général du Canada qui représente le gouvernement du Canada, n’ont pas pris position à l’égard des requêtes en autorisation présentées par les demandeurs autochtones et des Premières Nations. Les défendeurs ont toutefois précisé que, si l’autorisation était accordée et que des demandes de contrôle judiciaire étaient déposées, ils défendraient la décision du gouverneur en conseil et feraient valoir leur opposition aux demandeurs. Toutefois, à propos des requêtes en autorisation comme telles, ils n’offrent aucune observation ni preuve susceptible d’aider la Cour.

[60]      Le procureur général de l’Alberta est intervenu pour s’opposer aux requêtes. Ses observations juridiques étaient certes utiles, mais comme il n’avait pas participé aux consultations ultérieures, il ne pouvait témoigner à cet égard.

[61]      La Cour ne dispose que des attendus qui figurent dans le décret comme arguments qui militent en défaveur des thèses des demandeurs dans les requêtes en autorisation. Selon les attendus, au moment de la décision, le gouverneur en conseil estimait que les consultations supplémentaires des peuples autochtones et des Premières Nations étaient adéquates. Ils énumèrent les nombreuses nouvelles étapes et initiatives de consultation visant à pallier les lacunes relevées dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation et nombre d’activités générales, comme les 46 réunions ministérielles tenues avec 65 groupes autochtones.

[62]      À une date ultérieure, il se peut que les défendeurs présentent une preuve solide qui démontre que les consultations supplémentaires étaient adéquates et que le gouverneur en conseil estimait raisonnablement — c’est-à-dire de façon acceptable et défendable — qu’elles l’étaient. Les défendeurs pourraient alors présenter des observations sur la déférence dont la Cour doit faire preuve à l’égard du gouverneur en conseil qui a évalué la qualité des consultations et sur la latitude qu’il convient de lui accorder lorsqu’il s’agit de décider si l’obligation de consulter a été respectée.

[63]      Or, à ce moment-ci, les défendeurs n’ont pas présenté de preuve et d’observations juridiques sur ces questions. L’analyse est donc freinée.

[64]      Par conséquent, la Cour doit conclure que la question de savoir si les consultations supplémentaires étaient adéquates, que soulèvent les circonstances décrites aux paragraphes 50 à 62 des présents motifs, satisfait à la norme de la cause « raisonnablement défendable » à laquelle l’autorisation est subordonnée.

[65]      J’énoncerais ainsi la question : du 30 août 2018 (la date du prononcé de l’arrêt Tsleil-Waututh Nation) au 18 juin 2019 (la date de la décision du gouverneur en conseil), les consultations des peuples autochtones et des Premières Nations étaient-elles adéquates en droit de telle sorte qu’elles permettent de pallier les lacunes des consultations initiales qui sont résumées aux paragraphes 557 à 563 des motifs de l’arrêt Tsleil-Waututh Nation? La réponse à cette question devrait inclure des observations à propos de la norme de contrôle, marge d’appréciation ou latitude qui s’applique en droit.

[66]      Les défendeurs doivent avoir tout loisir d’opposer quelque empêchement ou moyen de défense que ce soit aux demandes de contrôle judiciaire. Par conséquent, une seconde question s’impose : y a-t-il des moyens de défense ou des empêchements qui peuvent être opposés aux demandes de contrôle judiciaire?

[67]      Enfin, selon les réponses qu’appelleront les questions précédentes, il se peut que les réparations soient soulevées. Comme l’illustre le principe de droit administratif expliqué au paragraphe 16c) des présents motifs, parfois il n’y a pas lieu d’infirmer la décision, malgré ses lacunes, et de renvoyer l’affaire au décideur. En outre, d’autres considérations sont susceptibles d’influer sur le droit à une réparation, le type de réparation ou les conditions dont elle est assortie. Par conséquent, une troisième question doit être énoncée : si les questions précédentes appellent des réponses négatives, y a-t-il lieu d’accorder une réparation (laquelle et à quelles conditions)?

[68]      Les parties peuvent structurer leurs observations à leur guise, dès lors qu’elles répondent à toutes ces questions, mais uniquement à ces questions, d’une manière ou d’une autre.

d)         Questions diverses

[69]      S’il existe des questions diverses qui n’entrent pas dans le champ des quatre rubriques énumérées précédemment, aucune de ces questions n’est « raisonnablement défendable ». À cet égard, la Cour fait siennes en grande partie les observations du procureur général de l’Alberta.

[70]      Tout particulièrement, dans le dossier 19-A-46, rien n’étaye les prétentions des demandeurs fondées sur la Charte. Les doctrines qui empêchent la remise en cause font également obstacle à leurs arguments (voir le paragraphe 28 des présents motifs). En ce qui concerne l’équité procédurale, la Cour fait siennes en grande partie les observations du procureur général de l’Alberta et estime que l’argument n’est pas défendable. Dans ce cas également, les motifs de l’arrêt Tsleil-Waututh Nation fournissent un guide complet. Les principes juridiques de cet arrêt ne sont pas remis en question et, quand on les applique aux faits, il est impossible de conclure à l’existence d’une question raisonnablement défendable.

E.        Conclusion

[71]      Il s’ensuit que les demandeurs autochtones et des Premières Nations, outre la Stz’uminus First Nation et la Shxw’ōwhámel First Nation, seront autorisées à déposer des demandes de contrôle judiciaire portant sur les deux questions précédentes. Ces demandeurs sont les suivants, en ordre alphabétique :

         Aitchelitz, Skowkale, Shxwhá :y Village, Soowahlie, Première Nation Squiala, Tzeachten, Yakweakwioose;

         Chef Ron Ignace et chef Rosanne Casimir, pour leur propre compte et au nom de tous les membres de Stk’emlupsemc Te Secwepemc de la Nation Secwepemc;

         Bande indienne Coldwater;

         Nation Squamish;

         Tsleil-Waututh Nation;

         Bande Upper Nicola.

[72]      Les autres requêtes en autorisation sont rejetées.

F.         Déroulement des instances

[73]      Vu le motif qui justifie d’accorder l’autorisation, les instances qui s’ensuivront auront une portée plus étroite que c’était le cas dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation, qui portait sur l’approbation initiale du projet.

[74]      Un important intérêt public commande que les instances soient tranchées très rapidement, dans un sens ou dans l’autre.

[75]      Les parties doivent déposer leurs avis de demande de contrôle judiciaire dans les sept jours qui suivent, et le procureur général de l’Alberta, s’il entend solliciter la participation aux instances, doit déposer un avis de requête en intervention dans les sept jours qui suivent.

[76]      Les parties doivent communiquer avec l’administrateur judiciaire dans les trois jours qui suivent pour donner leurs disponibilités en vue de la tenue d’une conférence téléphonique avec la Cour, qui se tiendra au cours de la semaine qui vient, pour discuter de l’instruction très accélérée des instances. La Cour cherche à savoir si les délais prévus pour la production de la preuve et les contre-interrogatoires pourraient être extrêmement courts. La preuve portera exclusivement ou presque sur les consultations supplémentaires, et la Cour dispose déjà des conclusions de fait et de droit issues de l’arrêt Tsleil-Waututh Nation. Il est possible que les affidavits des demandeurs déposés dans le cadre des requêtes en autorisation puissent être déposés en preuve principale dans le cadre des demandes; les défendeurs pourraient disposer d’un court délai pour déposer leurs affidavits en réplique, et les demandeurs auraient ensuite un court délai pour déposer leurs affidavits en réponse. Les demandeurs ont déjà fait le gros du travail en vue de la préparation de leur mémoire des faits et du droit, de sorte que le délai de dépôt de ces documents pourrait également être considérablement raccourci.

G.        Dispositif proposé

[77]      Des ordonnances seront rendues conformément aux présents motifs. Le libellé des ordonnances destinées aux demandeurs ayant eu gain de cause est identique. Le libellé des ordonnances destinées aux demandeurs déboutés est identique, à l’exception du passage qui concerne l’adjudication des dépens dans le dossier 19-A-46.

[78]      À propos des dépens, les défendeurs n’ont pas pris position à l’égard de 11 des 12 requêtes. Ainsi, la Cour ne rend aucune ordonnance quant aux dépens dans le cadre de ces requêtes, sauf pour le dossier 19-A-46. Dans ce cas, seule Trans Mountain Pipeline ULC parmi les défendeurs a demandé qu’on lui adjuge les dépens, et elle y a droit. Les autres défendeurs nommés dans ce dossier n’ont pas demandé les dépens; la Cour ne leur accorde rien.

[79]      L’ordonnance ayant autorisé le procureur général de l’Alberta à intervenir ne l’empêchait pas d’être condamné aux dépens et ne le privait pas du droit de les demander. Ses arguments ont été retenus dans certaines requêtes, mais il a succombé dans d’autres. Toutefois, son intervention s’est révélée très utile à la Cour. La Cour n’adjuge pas les dépens au procureur général de l’Alberta, et il n’y est pas condamné.

[80]      Par conséquent, dans le dossier 19-A-46, les dépens sont adjugés à la défenderesse, Trans Mountain Pipeline ULC. Aucune ordonnance quant aux dépens n’est rendue dans les autres dossiers.


 

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