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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

2022 CF 236

T-252-19

Le ministre du Revenu national (demandeur)

c.

Nader Ghermezian (défendeur)

T-254-19

Le ministre du Revenu national (demandeur)

c.

Marc Vaturi (défendeur)

T-258-19

Le ministre du Revenu national (demandeur)

c.

Gherfam Equities Inc (défendeur)

T-259-19

Le ministre du Revenu national (demandeur)

c.

Paul Ghermezian (défendeur)

T-261-19

Le ministre du Revenu national (demandeur)

c.

Raphael Ghermezian (défendeur)

T-262-19

Le ministre du Revenu national (demandeur)

c.

Joshua Ghermezian (défendeur)

Répertorié : Canada (Revenu national) c. Ghermezian

Cour fédérale, juge Southcott—Par vidéoconférence, 24 au 27 janvier; Ottawa, 23 février 2022.

Impôt sur le revenu — Application et exécution — Demandes en vue d’obtenir des ordonnances en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu enjoignant aux défendeurs de produire des documents ou des renseignements précédemment demandés par le ministre, demandeur, en vertu des articles 231.1 et 231.2 de la Loi — Les défendeurs n’ont pas fourni les documents ou renseignements demandés — Ils ont fait valoir que les requêtes qui auraient été envoyées en vertu du paragraphe 231.1(1) visaient à obtenir des renseignements ou des documents que le ministre ne pouvait exiger qu’au moyen d’une demande péremptoire faite en vertu du paragraphe 231.2(1) — Ils ont soutenu, entre autres choses, que le pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 231.1(1) n’est pas comparable à celui que confère le paragraphe 231.2(1), soit le pouvoir a) d’exiger la production de documents dans un contexte autre que celui d’une enquête, ou b) d’exiger la production de renseignements autres que des renseignements sur la provenance des documents demandés ou l’endroit où ils se trouvent dans le contexte d’une enquête — La position des défendeurs comporte deux aspects — Premièrement, bien qu’une « personne autorisée » puisse se fonder sur le paragraphe 231.1(1) pour pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise et inspecter les documents qui y sont conservés, cette disposition ne confère pas à cette personne le pouvoir d’exiger par écrit la production de ces documents — Deuxièmement, le paragraphe 231.1(1) ne vise que des documents préexistants et n’autorise pas l’envoi d’une demande écrite obligeant le destinataire à répondre à des questions ou à fournir des renseignements de fond (mais non déjà écrits) se rapportant à la situation fiscale d’un contribuable — Ils ont soutenu que le pouvoir expressément conféré d’exiger la production de documents et de renseignements en application du paragraphe 231.2(1) et l’absence de garde-fous semblables au paragraphe 231.1(1) indiquent que le paragraphe 231.1(1) n’est pas censé autoriser l’envoi de demandes formelles de la même manière que le fait le paragraphe 231.2(1) — Il s’agissait principalement de déterminer si les défendeurs étaient tenus de fournir des documents et/ou des renseignements en réponse à une requête présentée en vertu de l’article 231.1 — Le paragraphe 231.1(1) permet à la personne autorisée d’exiger la production de documents sans qu’elle soit physiquement sur les lieux ou dans les locaux où sont gardés les documents — L’article 231.1 vise à assurer au ministre un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable — Les mots « inspecter, vérifier ou examiner… » à l’alinéa 231.1(1)a) ont un sens large qui englobe un éventail d’activités dont, logiquement, la demande de production de documents — Ceci s’accorde avec l’analyse d’interprétation de la disposition comparable du paragraphe 288(1) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) dans la décision Tellza Inc. c. Canada (Revenu national) — Bien que cette décision porte sur une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la LTA, la position défendue par le demandeur dans cette affaire était pour l’essentiel identique à celle adoptée par les défendeurs en l’espèce — Dans le contexte et selon l’objet de la LTA, le paragraphe 288(1) confère effectivement à une personne autorisée le pouvoir de demander à un contribuable qu’il fournisse des renseignements sous quelque forme que ce soit — Ce pouvoir d’inspecter englobe nécessairement le pouvoir de demander ou d’exiger que des documents soient fournis pour que la personne autorisée puisse effectuer une inspection, une vérification ou un examen de manière efficace — Il n’y avait aucune raison de s’écarter de cette analyse ou de refuser de l’appliquer aux dispositions de la Loi en cause en l’espèce — L’interprétation exposée en détail dans la décision Tellza était raisonnable, et est aussi la bonne interprétation de la disposition pertinente — La conclusion tirée dans Tellza est compatible avec les décisions d’appel mentionnées par le ministre — Ceci étant dit, l’article 231.1 de la Loi ne permet pas au ministre de contraindre le destinataire d’une demande formelle à fournir, au moyen de réponses écrites à des questions qui lui sont posées, des renseignements de fond sur la situation fiscale d’un contribuable — Les termes « inspecter, vérifier ou examiner […] » n’englobent pas les demandes formelles visant à obtenir des renseignements qui ne figurent pas dans un document — L’arrêt Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation explique que fournir de l’« aide » à l’alinéa 231.1(1)d) s’applique à la recherche, à l’examen ou à l’analyse des documents — L’arrêt Cameco ne suggère pas que l’article 231.1 donne au ministre accès à des renseignements non écrits — Le ministre ne peut exiger du contribuable qu’il réponde oralement aux questions qui lui sont posées — Aucun principe n’a été identifié ici qui militerait en faveur d’un résultat différent pour ce qui est d’obtenir des réponses écrites, plutôt qu’orales, aux questions posées — L’alinéa 231.1(1)a) confère au ministre le pouvoir d’exiger la production de renseignements écrits et non de renseignements non écrits — Le terme « document » possède un sens plus large que le terme « registre » et il englobe, potentiellement, les registres visés à l’article 230 ainsi que d’autres types de document qui pourraient ne pas entrer dans cette définition — L’analyse ne doit pas porter sur « le caractère véritable » de la requête et sur la question de savoir si elle satisfait à l’article 231.2 — L’analyse qu’il convient de faire est plutôt celle d’examiner si l’article 231.1 confère le pouvoir de faire la requête — Il était nécessaire dans la présente d’appliquer les conclusions tirées sur la question de l’interprétation législative à chacun des éléments des requêtes, et ainsi décider quels éléments étaient valides parce qu’ils visaient à obtenir des documents, et quels éléments n’étaient pas valides parce qu’ils visaient à obtenir des renseignements non écrits — Le ministre a en grande partie réfuté les arguments soulevés par les défendeurs — Demandes accueillies.

Il s’agissait de demandes en vue d’obtenir des ordonnances en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu enjoignant aux défendeurs de produire des documents ou des renseignements précédemment demandés par le ministre, demandeur, en vertu des articles 231.1 et 231.2 de la Loi.

La nature des documents et de l’information visés par chaque demande concernait, entre autres choses, des sociétés étrangères et des sociétés, ainsi que d’autres entités établies à l’étranger dont les défendeurs étaient actionnaires, dirigeants, administrateurs, fiduciaires ou bénéficiaires d’une fiducie. Les défendeurs n’ont pas fourni les documents ou renseignements demandés. Les articles 231.1 et 231.2 font partie du large éventail de pouvoirs que le législateur a conférés au ministre afin qu’il puisse obtenir des contribuables et des tiers les renseignements ou documents nécessaires aux fins de vérification fiscale. Les défendeurs ont soutenu que le ministre a confondu certains aspects du pouvoir conféré par les paragraphes 231.1(1) et 231.2(1). Ils ont fait valoir que la plupart ou la totalité des requêtes qui auraient été envoyées en vertu du paragraphe 231.1(1) visaient à obtenir des renseignements ou des documents que le ministre ne pouvait exiger qu’au moyen d’une demande péremptoire faite en vertu du paragraphe 231.2(1). Les défendeurs ont soutenu que le paragraphe 231.1(1) ne confère au ministre qu’un pouvoir d’inspection, c’est-à-dire le pouvoir de se rendre chez un contribuable ou une autre personne pour inspecter les livres et registres ou d’autres documents. Ils ont soutenu, entre autres choses, que le pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 231.1(1) n’est pas comparable à celui que confère le paragraphe 231.2(1), soit le pouvoir a) d’exiger la production de documents dans un contexte autre que celui d’une enquête, ou b) d’exiger la production de renseignements autres que des renseignements sur la provenance des documents demandés ou l’endroit où ils se trouvent dans le contexte d’une enquête. La position des défendeurs comportait deux aspects. Premièrement, ils ont soutenu que, bien qu’une « personne autorisée » puisse se fonder sur le paragraphe 231.1(1) pour pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise et inspecter les documents qui y sont conservés, cette disposition ne confère pas à cette personne le pouvoir d’exiger par écrit la production de ces documents. Deuxièmement, les défendeurs ont fait valoir que le paragraphe 231.1(1) ne vise que des documents préexistants et n’autorise pas l’envoi d’une demande écrite obligeant le destinataire à répondre à des questions ou à fournir des renseignements de fond (mais non déjà écrits) se rapportant à la situation fiscale d’un contribuable. Ils ont soutenu que le pouvoir expressément conféré, mais quelque peu circonscrit, d’exiger la production de documents et de renseignements en application du paragraphe 231.2(1) et l’absence de garde-fous semblables au paragraphe 231.1(1) indiquent que le paragraphe 231.1(1) n’est pas censé autoriser l’envoi de demandes formelles de la même manière que le fait le paragraphe 231.2(1).

Il s’agissait principalement de déterminer si les défendeurs étaient tenus de fournir des documents et/ou des renseignements en réponse à une requête présentée en vertu de l’article 231.1 de la Loi.

Jugement : les demandes doivent être accueillies.

En ce qui concerne le premier aspect de la position des défendeurs, le paragraphe 231.1(1) permet à la personne autorisée d’exiger la production de documents sans qu’elle soit physiquement sur les lieux ou dans les locaux où sont gardés les documents. Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation (Cameco), la Cour d’appel fédérale a dit que l’article 231.1 visait à assurer au ministre un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable. Dans l’arrêt Cameco, il a aussi été reconnu que l’objectif de la loi, aussi important soit-il, ne peut remplacer le libellé choisi par le législateur. Les mots « inspecter, vérifier ou examiner… » à l’alinéa 231.1(1)a) ont un sens large qui englobe un éventail d’activités dont, logiquement, la demande de production de documents. Cette observation s’accorde avec l’analyse d’interprétation de la disposition comparable du paragraphe 288(1) de la Loi sur la taxe d’accise (LTA) dans la décision Tellza Inc. c. Canada (Revenu national). La Cour dans cette décision a conclu que le pouvoir d’inspection conféré par cette disposition englobait nécessairement le pouvoir de demander ou d’exiger la production de documents de sorte que la personne autorisée puisse effectuer une inspection, une vérification ou un examen efficace. Parmi les décisions invoquées par les deux parties à l’appui de leurs positions respectives sur la question de l’interprétation législative, la décision Tellza est celle qui traite le plus directement de cet aspect de la question. Bien que cette décision porte sur une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la LTA, la position défendue par le demandeur dans cette affaire était pour l’essentiel identique à celle adoptée par les défendeurs en l’espèce. À la simple lecture des définitions applicables, la Cour a conclu que, dans le contexte et selon l’objet de la LTA, le paragraphe 288(1) confère effectivement à une personne autorisée le pouvoir de demander à un contribuable qu’il fournisse des renseignements sous quelque forme que ce soit. Le pouvoir d’inspecter englobe nécessairement le pouvoir de demander ou d’exiger que des documents soient fournis pour que la personne autorisée puisse effectuer une inspection, une vérification ou un examen de manière efficace. Il n’y avait aucune raison de s’écarter de cette analyse ou de refuser de l’appliquer aux dispositions de la Loi en cause en l’espèce. L’interprétation exposée en détail dans la décision Tellza était raisonnable, et est aussi la bonne interprétation de la disposition pertinente. La conclusion tirée dans Tellza selon laquelle la personne autorisée ne se limite pas de nos jours, en cette ère de l’électronique, à inspecter, à vérifier ou à examiner des documents et des registres dans les locaux du contribuable, est compatible avec les décisions d’appel mentionnées par le ministre. Quant au deuxième aspect de la question de l’interprétation législative, les défendeurs ont raison de soutenir que l’article 231.1 de la Loi ne permet pas au ministre de contraindre le destinataire d’une demande formelle à fournir, au moyen de réponses écrites à des questions qui lui sont posées, des renseignements de fond sur la situation fiscale d’un contribuable. Malgré que les termes « inspecter, vérifier ou examiner […] » à l’alinéa 231.1(1)a) sont suffisamment généraux pour que, conformément à l’objet de la loi, ils englobent les demandes formelles de production de documents, les termes de l’alinéa 231.1(1)a) ne peuvent être interprétés de manière à englober les demandes formelles visant à obtenir des renseignements qui ne figurent pas dans un document. L’arrêt Cameco devait décider si le ministre pouvait exiger des réponses verbales aux questions posées par les vérificateurs de l’ARC, par opposition aux réponses écrites qui sont en cause en l’espèce. Dans l’analyse textuelle contenue dans l’arrêt Cameco, la Cour d’appel renvoie aussi à l’alinéa 231.1(1)d). L’arrêt Cameco explique que fournir de l’« aide » s’applique à la recherche, à l’examen ou à l’analyse des documents. L’arrêt Cameco ne suggère pas que l’article 231.1 donne au ministre accès à des renseignements non écrits, ce qui serait incompatible avec la conclusion générale tirée dans cet arrêt, soit que le ministre ne peut exiger du contribuable qu’il réponde oralement aux questions qui lui sont posées. En l’espèce, le ministre n’a fait état d’aucun principe qui militerait en faveur d’un résultat différent pour ce qui est d’obtenir des réponses écrites, plutôt qu’orales, aux questions posées. Le raisonnement adopté dans l’arrêt Cameco repose sur la distinction entre renseignements écrits et renseignements non écrits. L’alinéa 231.1(1)a) confère au ministre le pouvoir d’exiger la production de renseignements écrits et non de renseignements non écrits. Le terme « document » défini à l’article 231 s’entend des registres, des titres et des espèces. Ainsi, le terme « document » possède un sens plus large que le terme « registre » et il englobe, du moins potentiellement, les registres visés à l’article 230 ainsi que d’autres types de document qui pourraient ne pas entrer dans cette définition. Une personne autorisée exigeant d’un contribuable qu’il produise des documents qui ne répondent pas à la définition de « livres et registres », et invoquant le pouvoir potentiellement plus large d’exiger la production de « tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui [devraient figurer] dans les livres ou registres du contribuable » doit également chercher à obtenir un document qui se rapporte ou peut se rapporter à ces renseignements, car il ressort clairement du libellé de l’alinéa 231.1(1)a) qu’il doit s’agir d’un document que la personne peut inspecter, vérifier ou examiner. L’analyse ne doit pas porter sur « le caractère véritable » de la requête et sur la question de savoir si elle satisfait à l’article 231.2. L’analyse qu’il convient de faire est plutôt celle d’examiner si l’article 231.1 confère le pouvoir de faire la requête. En l’espèce, les parties ont chacune obtenu partiellement gain de cause sur la question de l’interprétation du champ d’application du paragraphe 231.1(1). Si certaines demandes formelles sont en partie valides, la Cour a le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la production des parties valides, malgré l’invalidité des autres parties. Il était donc nécessaire dans la présente d’appliquer les conclusions tirées sur la question de l’interprétation législative à chacun des éléments des requêtes, et ainsi décider quels éléments étaient valides parce qu’ils visaient à obtenir des documents, et quels éléments n’étaient pas valides parce qu’ils visaient à obtenir des renseignements non écrits.

Ces conclusions ont été appliquées aux demandes formelles en l’espèce. Le ministre a en grande partie réfuté les arguments soulevés par les défendeurs dans les présentes demandes d’ordonnance. Il était indiqué et utile pour les parties de présenter d’autres observations sur l’application de la réponse à la question d’interprétation législative. Un délai de 60 jours a été accordé aux parties pour terminer ce processus et présenter les projets d’ordonnance dont elles auront convenu ou encore pour informer la Cour qu’elles ne sont pas arrivées à s’entendre de façon générale, ou qu’elles ne sont pas arrivées à s’entendre au sujet de certaines demandes d’ordonnance ou de certaines demandes formelles ou parties de celles-ci.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 8.

Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1, art. 94, 220(2.01), 230, 231, 231.1, 231.2, 231.6, 231.7, 237.1(1), 238(1), 244(5).

Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, art. 288(1), 335(1), 355(1).

Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, ch. 18.5.

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, art. 44.

Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, règle 81.

TRAITÉS ET AUTRES INSTRUMENTS CITÉS

Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, [1984] R.T. Can. no 15, art. XXVII.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS NON SUIVIES :

Canada (Revenu national) c. Miller, 2021 CF 851; R. v. MacDonald, 2005 BCPC 398 (CanLII).

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Tellza Inc. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 853, [2022] 1 R.C.F. 75; Canada (Ministre du Revenu National) c. Lee, 2016 CAF 53, infirmant 2015 CF 634; Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643, confirmant 2006 CAF 325, [2007] 3 R.C.F. 40; Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation, 2019 CAF 67, [2020] 4 R.C.F. 254; Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c. Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68, [2006] 2 R.C.F. F-15.

DÉCISION DIFFÉRENCIÉE :

Canada (Bureau de régie interne) c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 43.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Canada (Revenu National) c. Derakhshani, 2009 CAF 190; Canada (Revenu National) c. Chamandy, 2014 CF 354; Canada (Ministre du Revenu national) c. SML Operations (Canada) Ltd., 2003 CF 868; Ghermezian c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1137, [2021] 1 R.C.F. F-16; Fabrikant c. Canada, 2017 CF 1115; Canada (Procureur général) v. Iris Technologies Inc., 2021 CAF 223; Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c. Canada (Procureur général), 2012 CF 823, conf. par 2013 CAF 25; O’Grady c. Canada (Procureur général), 2016 CF 9, conf. par 2016 CAF 221; Bande Indienne Coldwater c. Canada (Procureur Général), 2019 CAF 292; Ebay Canada Limited c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145; Canada (National Revenue) v. Tellza Inc., 2021 CarswellNat 3964, 2021 CanLII 76055 (C.F.); Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427; Friedman c. Canada (Revenu national), 2021 CAF 101, confirmant 2019 CF 1583; Branigan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 245; Lim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 871; Canada (ministre du Développement des Ressources humaines) c. Wiemer, [1998] A.C.F. no 809 (QL) (C.A.); Boroumend c. La Reine, 2016 CCI 256; Luxury Home Landscape Construction Inc. c. La Reine, 2021 CCI 4; R. v. Sedhu, 2015 BCCA 92 (CanLII); Canada (Revenu national) c. Hydro-Québec, 2018 CF 622, [2018] 4 R.C.F. F-15; Zeifmans LLP c. Canada (Revenu national), 2021 CF 363; Canada (Revenu national) c. Lin, 2019 CF 646; R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292; Saipem Luxembourg S.V. c. Canada (Douanes et Revenu), 2005 CAF 218, [2006] 3 R.C.F. F-57; Canada (Revenu national) c. Kitsch, 2003 CAF 307, sub nom. Tower c. M.R.N., [2004] 1 R.C.F. 183; Succession Nadler c. Canada (Procureur Général), 2005 CF 935.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627; Capital Vision Inc. c. Canada (Ministre du revenu national), 2002 CFPI 1317, [2003] 4 C.F. F-70; Redhead Equipment Ltd. v. Canada (Attorney General), 2016 SKCA 115 (CanLII); Canada (Revenu national) c. Atlas Tube Canada ULC, 2018 CF 1086; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601; BP Canada Energy Company c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 61, [2017] 4 R.C.F. 355; Canada (Revenu national) c. 2276230 Ontario Inc., 2021 CF 242; R v. Tait, [1992] B.C.J. no 2693 (QL) (C.P.); Oroville Reman & Reload Inc. c. Canada, 2016 CCI 75; Oceanspan Carriers Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 171, [1987] A.C.F. no 126 (QL) (C.A.); Holiday Luggage Mfg. Co. c. Canada, [1987] 2 C.F. 249(1ère inst.); Canada (Revenu national) c. Stanchfield, 2009 CF 99; Marino c. La Reine, 2020 CCI 50; Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3(C.A.); Canadian Bank of Commerce v. Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729.

DEMANDES en vue d’obtenir des ordonnances en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu enjoignant aux défendeurs de produire des documents ou des renseignements précédemment demandés par le ministre, demandeur, en vertu des articles 231.1 et 231.2 de la Loi. Demandes accueillies.

ONT COMPARU :

Rita Araujo, Peter Swanstrom, Jesse Epp-Fransen et Allene Kilpatrick pour le demandeur.

Bobby J. Sood, Stephen S. Ruby, Michael H. Lubetsky et Sarah Cormack pour les défendeurs.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

La sous-procureure générale du Canada pour le demandeur.

Davies Ward Phillips & Vineberg LLP, Toronto, pour les défendeurs.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement et du jugement rendus par

Le juge Southcott :

I.     Aperçu

[1]        La présente décision concerne six demandes présentées par le ministre du Revenu national (le ministre) en vue d’obtenir des ordonnances en vertu de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. (1985) (5e suppl.), ch. 1 (la Loi).

[2]        Les défendeurs sont cinq particuliers, tous membres de la famille Ghermezian élargie, et une société apparentée, Gherfam Equities Inc. (Gherfam). Nader Ghermezian (le défendeur dans le dossier de la Cour T-252-19) et Raphael Ghermezian (le défendeur dans le dossier de la Cour T-261-19) sont des frères. Joshua Ghermezian (le défendeur dans le dossier de la Cour T-262-19) est le fils de Raphael Ghermezian, et Paul Ghermezian (le défendeur dans le dossier de la Cour T-259-19) est le neveu de Nader Ghermezian et de Raphael Ghermezian. Marc Vaturi (le défendeur dans le dossier de la Cour T-254-19) est le gendre de Nader Ghermezian.

[3]        Chacune des demandes du ministre vise à obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur concerné de produire les documents ou les renseignements précédemment demandés par le ministre en vertu des articles 231.1 et/ou 231.2 de la Loi.

[4]        Les six demandes ont été entendues ensemble, par vidéoconférence au moyen de la plateforme Zoom, du 24 au 27 janvier 2022. Comme elles soulèvent plusieurs questions communes, les présents motifs s’appliquent aux six demandes.

[5]        Comme je l’explique plus en détail dans les présents motifs, les présentes demandes d’ordonnance sont accueillies, sous réserve des dernières étapes décrites ci-après quant à la prise en compte de mes conclusions sur certains des arguments avancés par les défendeurs, avec succès, dans l’élaboration du type d’ordonnance à rendre dans chaque demande.

II.    Contexte

[6]        Tout d’abord, je ferai quelques observations d’ordre terminologique. Comme nous le verrons plus en détail dans les présents motifs, la plupart des présentes demandes d’ordonnance sont fondées sur les articles 231.1 et 231.2 de la Loi. Les questions qu’elles soulèvent découlent notamment des différends qui opposent les parties au sujet de la portée des pouvoirs que les articles 231.1 et 231.2 confèrent au ministre. Aux fins des présents motifs, j’adopterai les termes employés par le ministre dans ses observations écrites, soit « requête » quand il sera question de l’article 231.1, et « demande péremptoire » quand il sera question de l’article 231.2. Je souligne qu’il s’agit des termes qu’a utilisés la juge Fuhrer dans la décision Tellza Inc. c. Canada (Revenu national), 2021 CF 853, [2022] 1 R.C.F. 75 (Tellza), relativement aux dispositions comparables de la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), ch. E-15 (LTA). J’aimerais cependant préciser que je les utilise simplement pour que les présents motifs soient plus lisibles, et non pas parce qu’il s’agit de termes techniques ou de termes suggérant qu’une requête présentée en application de l’article 231.1 est moins contraignante qu’une demande péremptoire présentée en application de l’article 231.2. De même, sans vouloir y attribuer quelque signification technique que ce soit, j’utiliserai le mot « demandes formelles » pour désigner de façon générale les requêtes et les demandes péremptoires.

[7]        Le ministre a déposé chacune des six présentes demandes d’ordonnance au moyen d’un avis de demande sommaire daté du 7 février 2019. Dans chacune d’elles, le ministre affirme ce qui suit : il a envoyé au défendeur concerné des requêtes et/ou des demandes péremptoires lui enjoignant de produire des documents ou des renseignements liés à l’application ou à l’exécution de la Loi; le défendeur n’a pas fourni les documents ou renseignements demandés et n’a pas invoqué le secret professionnel de l’avocat à cet égard. Le ministre prétend donc qu’il a respecté les conditions prescrites et que la Cour doit rendre l’ordonnance prévue à l’article 231.7 de la Loi et enjoindre au défendeur de produire les documents ou les renseignements manquants.

[8]        Dans chaque demande d’ordonnance, le ministre a déposé un avis de demande sommaire modifié daté du 7 avril 2021 (avis modifié), dans lequel il précisait les demandes formelles, ou parties de celles-ci, auxquelles, à son avis, il n’avait pas encore reçu de réponse. Au cours de l’audience, le ministre a apporté d’autres précisions sur les demandes formelles visées par chaque demande d’ordonnance, ce qui a permis de restreindre encore dans certains cas les demandes formelles, ou parties de celles-ci, à l’égard desquelles il souhaite obtenir une ordonnance.

[9]        Dans chaque demande d’ordonnance, le ministre s’appuie sur un affidavit souscrit en juillet 2019 par Andrew Bowe, qui était à l’époque gestionnaire de cas du secteur international et des grandes entreprises à l’Agence du revenu du Canada (ARC), et qui était responsable des audits concernant les défendeurs. Dans le dossier T-254-19 (dans lequel M. Vaturi est défendeur), M. Bowe a également souscrit un affidavit complémentaire le 7 avril 2021 (l’affidavit complémentaire). Les défendeurs ont contre-interrogé M. Bowe au sujet de ses affidavits et les transcriptions pertinentes ont été versées au dossier de chaque demande d’ordonnance. Les défendeurs n’ont par ailleurs présenté aucun élément de preuve dans la présente instance.

[10]      Pour contester les présentes demandes, les défendeurs avancent notamment des arguments concernant l’admissibilité du témoignage de M. Bowe ou, subsidiairement, le poids qui devrait être accordé à celui-ci. Dans les dossiers de Nader Ghermezian, de Raphael Ghermezian et de Marc Vaturi, les défendeurs avaient d’abord déposé des requêtes visant à radier les affidavits de M. Bowe et à rejeter les demandes d’ordonnance. Par ordonnance du 15 décembre 2021, le protonotaire Aalto a ajourné l’audition de ces requêtes après avoir conclu que les questions qui y étaient soulevées devaient être débattues lors de l’instruction des demandes d’ordonnance. Les parties ont présenté leurs arguments sur ces questions au début de l’audience, le 24 janvier 2021. La présente décision portera sur ces arguments.

[11]      Les défendeurs soulèvent également d’autres questions au soutien de leur position selon laquelle les demandes d’ordonnance devraient être rejetées. La plupart de ces questions s’appliquent à toutes les demandes d’ordonnance ou presque, bien qu’un petit nombre ne visent que certaines demandes. Dans les présents motifs, j’examinerai d’abord les questions communes et déciderai des conclusions générales qu’il est possible de tirer sans examiner chacune des demandes d’ordonnance et, dans la mesure du possible, j’appliquerai ces conclusions à l’ensemble des demandes. J’examinerai ensuite chaque demande d’ordonnance en y appliquant les conclusions générales, si je ne l’ai pas déjà fait, et en traitant toute autre question qui lui est propre.

III.   Questions en litige

[12]      Les questions suivantes, communes à une partie ou à l’ensemble des demandes d’ordonnance, ont été soumises à l’examen de la Cour :

A.    La Cour devrait-elle radier les affidavits d’Andrew Bowe ou, subsidiairement, leur accorder peu de poids?

B.    Les défendeurs étaient-ils tenus de fournir des documents et/ou des renseignements en réponse à une requête présentée en vertu de l’article 231.1 de la Loi?

C.   Les personnes qui ont présenté les demandes formelles étaient-elles autorisées à le faire?

D.   Les défendeurs ont-ils été dûment notifiés des demandes formelles?

E.    Le délai accordé pour se conformer aux demandes formelles était-il raisonnable?

F.    Les demandes formelles concernent-elles une ou plusieurs personnes non désignées nommément, ce qui obligerait le ministre à demander au préalable l’autorisation d’un juge comme le requiert le paragraphe 231.2(3) de la Loi?

G.   Les demandes formelles soulèvent-elles une ambiguïté quant à savoir si leur destinataire est bel et bien le défendeur?

H.   Les demandes formelles visent-elles à obtenir de façon inappropriée la production de renseignements ou de documents étrangers au sens de l’article 231.6 de la Loi?

I.     Si la Cour conclut qu’elle doit rendre les ordonnances demandées, celles-ci devraient-elles exclure les documents et renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat?

J.    Si la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la production d’une partie des renseignements ou documents demandés, a-t-elle le pouvoir de retrancher ces éléments de la demande formelle et de rendre une ordonnance visant le reste des renseignements ou documents demandés?

K.    Certaines demandes péremptoires étaient-elles sans effet parce que les défendeurs ne sont pas des résidents du Canada?

IV.   Analyse

A.    Principes généraux concernant les ordonnances fondées sur l’article 231.7

[13]      Avant d’examiner chacune des questions qui précèdent, il est utile d’exposer les principes généraux applicables aux demandes présentées en vertu de l’article 231.7 de la Loi, que voici :

Ordonnance

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

Avis

(2) La demande n’est entendue qu’une fois écoulés cinq jours francs après signification d’un avis de la demande à la personne à l’égard de laquelle l’ordonnance est demandée.

Conditions

(3) Le juge peut imposer, à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées.

Outrage

(4) Quiconque refuse ou fait défaut de se conformer à une ordonnance peut être reconnu coupable d’outrage au tribunal; il est alors sujet aux procédures et sanctions du tribunal l’ayant ainsi reconnu coupable.

Appel

(5) L’ordonnance visée au paragraphe (1) est susceptible d’appel devant le tribunal ayant compétence pour entendre les appels des décisions du tribunal ayant rendu l’ordonnance. Toutefois, l’appel n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de l’ordonnance, sauf ordonnance contraire d’un juge du tribunal saisi de l’appel.

[14]      Il ressort du paragraphe 231.7(1) que la demande d’ordonnance faite au titre de cette disposition repose sur la prémisse que le ministre a déjà demandé l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents qu’il cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2. Le texte de ces dispositions (qui, comme les autres dispositions examinées dans les présents motifs, sont reproduites intégralement à l’annexe « A »), sera analysé plus loin dans la présente décision. Aux fins des présentes, il suffit de dire que, dans le contexte du régime canadien d’autocotisation établi par la Loi, les articles 231.1 et 231.2 font partie du large éventail de pouvoirs que le législateur a conférés au ministre afin qu’il puisse obtenir des contribuables et des tiers les renseignements ou documents nécessaires aux fins de vérification fiscale (voir R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627 (McKinlay), au paragraphe 18 (renvoyant à l’article 231(3), qui a précédé l’article 231.2(1)).

[15]      Lorsqu’une personne visée par une demande formelle faite en vertu de l’article 231.1 ou 231.2 ne s’y conforme pas, l’article 231.7 autorise le ministre à demander à la Cour fédérale de rendre une ordonnance lui enjoignant de s’y conformer. S’appuyant sur le libellé du paragraphe 231.7(1), la Cour d’appel fédérale a expliqué au paragraphe 6 de l’arrêt Canada (Ministre du Revenu National) c. Lee, 2016 CAF 53 (Lee) que, avant de rendre l’ordonnance demandée, la Cour doit être convaincue que les trois conditions suivantes sont réunies :

i)     La personne à l’encontre de qui l’ordonnance est demandée était tenue, en vertu de l’article 231.1 ou 231.2 de la Loi, de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir;

ii)    Bien que la personne ait été tenue de fournir les renseignements ou documents demandés par le ministre, elle ne l’a pas fait;

iii)   Le privilège des communications entre client et avocat, tel qu’il est défini dans la Loi, n’est pas opposable aux demandes de renseignements et de documents du ministre.

[16]      Les défendeurs renvoient la Cour à l’arrêt Canada (Revenu National) c. Derakhshani, 2009 CAF 190 (Derakhshani), dans lequel la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument du ministre qui affirmait que, lorsqu’un juge est saisi d’une demande fondée sur le paragraphe 231.2(3) de la Loi, il n’a pas le pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande si les conditions prévues à cette disposition sont réunies (aux paragraphes 17–19). Il est vrai que cette affaire portait sur une demande présentée en vertu du paragraphe 231.2(3) en vue d’autoriser le ministre à faire signifier une demande péremptoire visant des personnes non désignées nommément, mais je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que l’analyse faite par la Cour d’appel — quant à savoir si elle conservait son pouvoir discrétionnaire même si les conditions prévues par la loi étaient remplies — éclaire aussi l’interprétation à donner à l’article 231.7. Les deux dispositions exigent du juge qu’il soit convaincu que les conditions prévues par la Loi sont remplies et elles lui donnent le pouvoir d’assortir son ordonnance des conditions qu’il estime indiquées. Comme ce sont là les facteurs dont la Cour d’appel a tenu compte dans l’arrêt Derakhshani pour décider si elle disposait ou non du pouvoir discrétionnaire de rejeter la demande, je conviens que ce pouvoir discrétionnaire existe également en vertu de l’article 231.7.

[17]      En fait, je ne comprends pas que le ministre conteste ce point en l’espèce. À l’appui de sa position sur la question du « retranchement d’éléments » (examinée plus loin dans les présents motifs), à savoir que la Cour a le pouvoir d’ordonner la production d’une partie des renseignements ou documents visés par une demande formelle ou une demande d’ordonnance, le ministre fait référence au pouvoir discrétionnaire qu’a la Cour d’imposer les conditions qu’elle estime indiquées.

[18]      Il ressort de la jurisprudence qu’à cause des graves conséquences que peut avoir le non-respect d’une ordonnance, y compris les amendes et l’emprisonnement, la Cour doit être convaincue que les conditions de l’article 231.7 de la Loi ont été « remplies de façon claire » avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une ordonnance (voir Canada (Revenu National) c. Chamandy, 2014 CF 354 (Chamandy), au paragraphe 35; Canada (Ministre du Revenu national) c. SML Operations (Canada) Ltd., 2003 CF 868 (SML Operations), au paragraphe 15).

[19]      Les défendeurs invoquent également l’arrêt Derakhshani (aux paragraphes 16–17) à l’appui de leur position voulant que les termes « un juge […] s’il est convaincu », à l’article 231.7, imposent au ministre le fardeau de présenter et de prouver tous les faits nécessaires pour satisfaire aux conditions de délivrance de l’ordonnance. À mon avis, l’arrêt Derakhshani n’étaye pas cette proposition. Aux paragraphes 16 et 17, la Cour d’appel s’appuie sur ces termes pour conclure que le juge a le pouvoir discrétionnaire de faire droit ou non à une demande fondée sur l’article 231.7, mais elle ne dit pas à quelle partie incombe le fardeau de preuve dans une telle demande.

[20]      Les défendeurs invoquent également la décision Ghermezian c. Canada (Procureur général), 2020 CF 1137, [2021] 1 R.C.F. F-16 (Ghermezian), aux paragraphes 24–25, à l’appui de la proposition selon laquelle c’est au ministre qu’incombe le fardeau de preuve. Là encore, cette décision n’étaye pas la proposition avancée par les défendeurs. La décision Ghermezian porte sur des demandes de contrôle judiciaire présentées par certaines des parties défenderesses aux présentes en vue de contester les demandes péremptoires envoyées par le ministre en vertu du paragraphe 231.2(1) de la Loi. Les demandeurs dans cette affaire ont invoqué la décision Capital Vision Inc. c. Canada (Ministre du revenu national), 2002 CFPI 1317, [2003] 4 C.F. F-70 (Capital Vision) pour faire valoir qu’il incombait au ministre de prouver qu’il s’était conformé au paragraphe 231.2(1). La Cour a rejeté cette proposition et fait observer que, selon la décision Capital Vision, le ministre doit respecter les exigences de la Loi. Elle ne s’est cependant pas prononcée sur le fardeau de preuve applicable.

[21]      Cela dit, je ne comprends pas que le ministre conteste que, en tant que partie qui sollicite l’ordonnance prévue à l’article 231.7, il lui incombe d’établir qu’il satisfait aux conditions énoncées dans l’arrêt Lee, même s’il soutient que la question de savoir si les documents demandés sont protégés n’est pertinente aux fins de l’analyse que si le défendeur invoque réellement un privilège (voir Lee, au paragraphe 9). J’admets que le fardeau de la preuve incombe au ministre, et que les facteurs qui permettent de conclure à l’existence d’un privilège ne doivent entrer dans l’analyse que si la question est soulevée par le défendeur, à qui incombera alors le fardeau de preuve (voir Redhead Equipment Ltd. v. Canada (Attorney General), 2016 SKCA 115 (CanLII), au paragraphe 31; Canada (Revenu national) c. Atlas Tube Canada ULC, 2018 CF 1086, au paragraphe 32).

[22]      Toutefois, la question de savoir qui a la charge de la preuve devient plus nuancée à la lumière de certains arguments soulevés par les défendeurs en l’espèce. Pour plusieurs des questions soulevées par les défendeurs, il peut être pertinent de savoir à qui incombe le fardeau applicable, notamment en ce qui concerne : a) le pouvoir d’envoyer les demandes formelles; b) le caractère adéquat des avis de demandes formelles transmis aux défendeurs; c) le caractère raisonnable du délai accordé pour se conformer aux demandes formelles; d) la question de savoir si les demandes formelles exigeaient à tort la production de documents étrangers. Les défendeurs soutiennent que c’est au ministre qu’incombe le fardeau imposé par toutes les questions en litige. À l’inverse, le ministre demande à la Cour d’appliquer la règle générale de preuve selon laquelle la partie qui avance une proposition, et entre les mains de qui se trouve vraisemblablement la preuve, a la charge de la preuve. Au besoin, je reviendrai sur la question du fardeau de la preuve au cours de l’examen des questions individuelles.

B.    La Cour devrait-elle radier les affidavits d’Andrew Bowe ou, subsidiairement, leur accorder peu de poids?

[23]      Les défendeurs aux dossiers T-252-19 (Nader Ghermezian), T-254-19 (Marc Vaturi) et T-261-19 (Raphael Ghermezian) soutiennent que la Cour devrait radier les affidavits du déposant du ministre, Andrew Bowe, dans chacune de ces demandes d’ordonnance. S’appuyant sur le fait que le fardeau ultime incombe au ministre, ils affirment que, faute d’affidavits à l’appui, la Cour devrait rejeter ces trois demandes. En ce qui concerne les autres demandes d’ordonnance, les défendeurs font valoir que le témoignage de M. Bowe ne devrait se voir accorder que peu de poids, sinon aucun.

[24]      Les principaux arguments invoqués par les défendeurs à l’appui de ces prétentions se classent en général en deux catégories. Premièrement, les défendeurs soutiennent que les affidavits de M. Bowe sont désuets, incomplets et peu fiables. Deuxièmement, ils soutiennent que ces affidavits contreviennent à la règle du ouï-dire en ce que M. Bowe y fait des déclarations sur des faits dont il n’a pas personnellement connaissance. Toutefois, l’affidavit complémentaire souscrit par M. Bowe dans le dossier T-254-19 soulève aussi des questions. Je commencerai mon analyse par cet affidavit.

(1)  Affidavit complémentaire versé au dossier T-254-19 (MRN c. Marc Vaturi)

[25]      L’affidavit complémentaire est un document relativement court. Il a été souscrit le 7 avril 2021 et semble destiné à mettre à jour les déclarations contenues dans le premier affidavit souscrit par M. Bowe, le 27 juillet 2019, et versé au dossier T-254-19. M. Bowe affirme que, après que l’affidavit du 27 juillet 2019 eut été signifié, l’ARC a reçu des renseignements et des documents de M. Vaturi ou de ses représentants. M. Bowe énumère ensuite, pièces jointes à l’appui, les renseignements et les documents ainsi reçus, de même que les éléments des demandes formelles pertinentes que l’ARC considère comme étant manquants.

[26]      L’avocat du défendeur fait référence à ce qu’il appelle les deux « bombes » qui ont été révélées au cours du contre-interrogatoire de M. Bowe, qui a eu lieu les 17 et 18 novembre 2021. D’abord, en ce qui concerne la demande formelle A-MV-0128, le défendeur souligne que M. Bowe a déclaré que, à la date de l’affidavit complémentaire, M. Vaturi n’avait pas fourni les renseignements ou les documents manquants qui étaient mentionnés dans la lettre de suivi envoyée par l’ARC, le 10 mars 2020. Au cours du contre-interrogatoire, l’avocat du défendeur a dit que M. Vaturi avait pourtant envoyé une réponse de plus de 150 pages, le 4 novembre 2020.

[27]      La réponse du 4 novembre 2020 était adressée à M. Bowe et une copie a été envoyée à l’avocate du ministre. Lorsqu’on lui a présenté cette réponse le premier jour de son contre-interrogatoire, M. Bowe a dit qu’il ne se souvenait pas de l’avoir vue et a expliqué que, à cette époque, il était sur le point de quitter son poste. L’avocate du ministre a ensuite confirmé, le deuxième jour du contre-interrogatoire, que la réponse de M. Vaturi avait été reçue, mais qu’elle avait été mal classée et n’avait donc pas été prise en compte dans la préparation de l’affidavit complémentaire de M. Bowe. M. Bowe et l’avocate du ministre ont tous deux confirmé qu’ils n’étaient pas en mesure de dire s’il manquait encore des renseignements ou des documents relativement à la demande formelle A-MV-0128. Le ministre a par la suite retiré la demande visant à obtenir une ordonnance à l’égard de cette demande formelle.

[28]      Le défendeur soutient que ces faits démontrent que M. Bowe a souscrit l’affidavit complémentaire, qui atteste de faits essentiels à la demande du ministre, sans savoir s’ils étaient vrais, ou sans même tenter de le confirmer. S’appuyant sur l’arrêt Canada (Bureau de régie interne) c. Canada (Procureur général), 2017 CAF 43 (Bureau de régie interne), au paragraphe 30, il fait valoir que l’affidavit doit être radié parce qu’il est « si manifestement inacceptable […] qu’il faut l’écarter au plus tôt ».

[29]      Le point du vue avancé par le défendeur, selon qui l’affidavit doit être radié, me semble peu fondé. La preuve montre que c’est à cause d’une erreur administrative que M. Bowe ne connaissait pas l’existence du document transmis le 4 novembre 2020. Toutefois, même si je devais attribuer plus de responsabilité à M. Bowe pour cette erreur, je ne verrais aucune raison de conclure que l’affidavit complémentaire est inadmissible. Assurément, cette erreur pourrait mettre en doute la fiabilité de son témoignage et, si la question de savoir si M. Vaturi a présenté un document en particulier à l’ARC devait faire débat, je pourrais donc accorder plus de poids à la preuve produite par le défendeur à l’appui de sa prétention. Toutefois, aucune question de ce genre n’est soulevée dans la présente demande. Après vérification, l’avocate du ministre a confirmé que les documents produits le 4 novembre 2020 n’avaient pas été pris en compte et le ministre a retiré par la suite sa demande visant à obtenir une ordonnance relativement à la demande formelle pertinente.

[30]      Je souscris à l’argument du ministre selon lequel il convient d’établir une distinction avec l’affaire Bureau de régie interne, car l’affidavit qui a été radié dans cette affaire a été jugé inadmissible parce qu’il constituait un avis juridique sur le droit canadien.

[31]      La deuxième question que soulève le défendeur relativement à l’affidavit complémentaire a trait à l’explication donnée par M. Bowe en contre-interrogatoire, à savoir que, même si l’affidavit a été déposé en avril 2021, il a été préparé en juin 2020, soit avant qu’il ne quitte son poste en novembre 2020. Le défendeur soutient que, comme M. Bowe n’avait plus aucune connaissance personnelle du dossier de la vérification de M. Vaturi menée par l’ARC lorsqu’il a déposé l’affidavit complémentaire, celui-ci devrait être radié.

[32]      En réponse à cet argument, le ministre explique qu’il a dû présenter une requête visant à obtenir une ordonnance autorisant le dépôt de l’affidavit complémentaire. La Cour a rendu l’ordonnance demandée le 30 mars 2021; elle a accueilli la requête et autorisé le dépôt de l’affidavit. Celui-ci a ensuite été déposé et était en grande partie rédigé sous la forme proposée dans la requête et autorisée par l’ordonnance — qui comprenait une annexe précisant la forme de l’affidavit complémentaire — même si plusieurs mois s’étaient écoulés. Le défendeur conteste cette explication et souligne que les paragraphes introductifs de l’affidavit ont été actualisés afin d’expliquer le changement de fonction de M. Bowe.

[33]      Encore une fois, j’accorde peu de valeur à l’argument du défendeur selon lequel l’affidavit complémentaire est inadmissible et devrait être radié. J’admets que cet affidavit peut induire en erreur, car c’est comme si M. Bowe y disait que, outre ceux dont il faisait état dans cette mise à jour, les renseignements et les documents demandés dans les demandes formelles envoyées à M. Vaturi n’avaient pas encore été produits en avril 2021. Il semble M. Bowe aurait souhaité que son témoignage à ce sujet s’applique en date de juin 2020, lorsque l’affidavit a été préparé, mais l’affidavit ne saurait être ainsi interprété. Si, lorsqu’il a contre-interrogé M. Bowe, l’avocat du défendeur n’avait pas relevé cette irrégularité, l’affidavit complémentaire aurait pu induire la Cour en erreur. Le défendeur tire manifestement avantage de cette erreur et, dans la mesure où les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si M. Vaturi a soumis d’autres documents entre juin 2020 et avril 2021, l’affidavit complémentaire n’est d’aucun secours pour le ministre. Toutefois, rien ne laisse croire que M. Vaturi a présenté d’autres documents pendant cette période et, quoi qu’il en soit, ces circonstances ne justifient pas que la Cour conclue que l’affidavit complémentaire est inadmissible.

(2)  Affidavits non à jour

[34]      J’examinerai maintenant les arguments avancés par les défendeurs au sujet de l’inadmissibilité des affidavits principaux souscrits par M. Bowe dans les dossiers T-252-19, T-254-19 et T-261-19. Les défendeurs soutiennent premièrement que ces affidavits ne sont pas à jour et qu’ils doivent être radiés, car le fait qu’ils ne soient pas à jour les rend inadmissibles. Comme l’a fait valoir l’avocat des défendeurs en contre-interrogatoire, il est évident que (sous réserve de l’affidavit complémentaire contenu au dossier T-254-19) M. Bowe n’a pas préparé les affidavits complémentaires afin de mettre à jour les affidavits originaux qui ont été souscrits le 27 juillet 2019. Les défendeurs soutiennent que, comme l’une des conditions préalables à l’ordonnance prévue au paragraphe 237.1(1) est le refus d’obtempérer aux demandes formelles du ministre, les affidavits de M. Bowe doivent être radiés parce qu’ils ne sont pas à jour. Ils invoquent à cet égard la décision Fabrikant c. Canada, 2017 CF 1115 (Fabrikant).

[35]      L’affaire Fabrikant portait sur un appel de la décision par laquelle une protonotaire avait refusé de dispenser un plaideur vexatoire, non représenté par avocat, du paiement des droits exigés pour le dépôt à la Cour d’une demande de contrôle judiciaire. La protonotaire avait rejeté la requête au motif que la preuve d’indigence fournie par le demandeur était à première vue insuffisante, car elle reposait sur un affidavit datant de près d’un an. Le juge Harrington a confirmé la décision de la protonotaire pour plusieurs raisons, notamment parce qu’une requête doit être accompagnée d’un affidavit à jour et que la protonotaire pouvait rejeter l’affidavit du demandeur au motif qu’il n’était pas à jour (aux paragraphes 23–24).

[36]      Je fais mienne la réponse du ministre selon qui la décision Fabrikant n’établit aucun principe général voulant que le simple passage du temps justifie la radiation d’un affidavit au motif qu’il n’est pas à jour. En effet, la décision Fabrikant ne permet pas vraiment de savoir si la protonotaire ou le juge Harrington ont conclu que l’affidavit était inadmissible, ou s’ils ont plutôt conclu que, parce que l’affidavit n’était pas à jour, il ne soutenait tout simplement pas la mesure de redressement demandée.

[37]      En l’espèce, le fait que M. Bowe n’ait pas déposé d’affidavit à jour ne rend pas son affidavit original inadmissible. La Cour doit plutôt décider si l’affidavit souscrit par M. Bowe, et en particulier si la date à laquelle il a été souscrit, justifie de rendre les ordonnances demandées. À cet égard, il ressort clairement des dossiers soumis à la Cour, y compris des avis modifiés, que la situation a évolué depuis le 27 juillet 2019, date à laquelle M. Bowe a souscrit les affidavits. Les défendeurs soutiennent que le ministre ne peut pas simplement modifier ses avis de demande sommaire et réduire la portée de ses demandes formelles afin de tenir compte des autres documents ou renseignements qu’il a reçus, sans produire d’affidavit à jour à ce sujet.

[38]      Je ne vois rien de problématique dans l’approche du ministre. Plus particulièrement, j’estime qu’en raison de la grande portée des demandes formelles en cause et du temps qui s’est écoulé avant que les présentes demandes soient entendues, il n’est peut-être pas surprenant que le ministre ait reçu d’autres documents en réponse à certaines demandes formelles. Vu les circonstances, le ministre peut à juste titre réduire la portée des demandes d’ordonnance. Si, pour cette raison ou pour d’autres raisons, il décidait de renoncer en tout ou en partie à certaines demandes formelles, je ne vois pas pourquoi il devrait absolument produire un affidavit à jour pour se justifier.

[39]      Bien entendu, selon les questions soulevées et la preuve à l’appui présentée par un défendeur visé par une demande d’ordonnance, le ministre pourrait ne pas pouvoir obtenir gain de cause sans produire une preuve à jour. Par exemple, si le défendeur avait présenté une preuve qu’il avait envoyé certains documents après le dépôt de la demande d’ordonnance, le ministre n’aurait pas pu réfuter cette preuve sans produire lui-même une preuve à jour. Toutefois, aucun des arguments avancés par les défendeurs ne me semble être de cette nature. Comme nous le verrons plus loin dans les présents motifs, M. Vaturi (dossier T-254-19) soutient qu’il a produit tous les éléments exigés par certaines des demandes formelles. Or, l’analyse de cette affirmation impose à la Cour d’examiner les documents et renseignements visés par les demandes formelles pertinentes et ceux fournis en réponse par M. Vaturi. Il n’est pas ici question de savoir si des documents ou renseignements ont bel et bien été fournis ou reçus après que le ministre eut déposé sa demande d’ordonnance et l’analyse ne portera donc pas sur l’absence d’une preuve par affidavit à jour.

[40]      Dans chacune des six demandes d’ordonnance dont la Cour est saisie, M. Bowe a produit un affidavit daté du 26 juillet 2019 au sujet des demandes formelles en attente de réponses à cette date et a déclaré sous serment que le défendeur n’avait pas fourni les renseignements et les documents demandés dans ces demandes. Comme je l’expliquerai ci-après dans l’analyse des arguments que les défendeurs ont soulevés quant au fait que les affidavits de M. Bowe reposent sur du ouï-dire, toute preuve contradictoire, y compris toute contestation utile du témoignage de M. Bowe, exige de la Cour qu’elle évalue la force probante de la preuve produite par ce dernier. Toutefois, à l’exception des documents produits en novembre 2020 dont il a été question précédemment dans les présents motifs, les défendeurs n’ont produit aucune preuve, lors du contre-interrogatoire de M. Bowe ou autre, qu’ils avaient répondu en tout ou en partie aux demandes formelles, réponses que le ministre cherche par les présentes à obtenir et qui n’auraient pas été prises en compte. Le ministre a retranché de la demande formelle pertinente les documents soumis en novembre 2020 dont il a été question en contre-interrogatoire.

[41]      Comme je l’ai mentionné précédemment, le défaut d’obtempérer aux demandes formelles du ministre est l’une des conditions préalables à l’ordonnance prévue au paragraphe 237.1(1), et c’est au ministre qu’incombe le fardeau de la preuve à cet égard. Toutefois, en l’absence de preuve contradictoire, j’estime que l’affidavit de M. Bowe lui permet de s’acquitter de ce fardeau, même s’il n’a pas été mis à jour.

(3)  Ouï-dire

[42]      Le deuxième argument des défendeurs porte sur l’admissibilité des affidavits originaux de M. Bowe, ou sur le poids qu’il convient de leur accorder, étant donné qu’ils contiennent des déclarations constituant du ouï-dire.

[43]      Le premier paragraphe de chacun de ces affidavits est pour l’essentiel identique; il est ainsi rédigé :

[traduction]

1.  Je suis gestionnaire de cas du secteur international et des grandes entreprises au Bureau des services fiscaux d’Edmonton de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Dans le cours normal de mes fonctions, j’ai été chargé de l’audit du défendeur. J’ai examiné les dossiers et j’ai une connaissance personnelle des faits énoncés ci-après, sous réserve de ceux dont il est précisé qu’ils sont fondés sur des renseignements tenus pour véridiques et, le cas échéant, je crois sincèrement qu’ils sont véridiques.

[44]      Lorsqu’il a été contre-interrogé au regard des dossiers T-252-19, T-254-19 et T-261-19, M. Bowe a admis que de nombreux paragraphes de son affidavit portaient sur des faits dont il n’avait pas une connaissance personnelle. Les défendeurs soutiennent, avec raison à mon avis, que dans la plupart des cas, il n’est pas mentionné que ces paragraphes sont fondés sur des renseignements tenus pour véridiques. Lorsqu’il a été contre-interrogé au regard du dossier T-252-19 (Nader Ghermezian), M. Bowe a confirmé que, dans certains cas, son affidavit ne permettait pas de savoir quels faits étaient énoncés sur la foi de renseignements tenus pour véridiques.

[45]      Les défendeurs soutiennent donc que les affidavits sont inadmissibles et qu’ils doivent être radiés au motif qu’ils contreviennent à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), et, plus généralement, qu’ils reposent en grande partie sur du ouï-dire inadmissible. L’article 81 des Règles est ainsi libellé :

Contenu

81 (1) Les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle, sauf s’ils sont présentés à l’appui d’une requête – autre qu’une requête en jugement sommaire ou en procès sommaire – auquel cas ils peuvent contenir des déclarations fondées sur ce que le déclarant croit être les faits, avec motifs à l’appui.

Poids de l’affidavit

(2) Lorsqu’un affidavit contient des déclarations fondées sur ce que croit le déclarant, le fait de ne pas offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels peut donner lieu à des conclusions défavorables.

[46]      À l’appui de leur argument que la preuve est inadmissible parce qu’elle constitue du ouï-dire, les défendeurs invoquent l’explication suivante tirée du récent arrêt de la Cour d’appel fédérale Canada (Procureur général) v. Iris Technologies Inc., 2021 CAF 223 (Iris Technologies), au paragraphe 32 :

     Les règles en matière de preuve, tant sur le fond que sur la forme, sont importantes. Elles sont importantes parce qu’elles sont le fondement de la fonction de recherche de [la] vérité qui incombe aux tribunaux. Elles sont également le fondement de l’équité dans le processus décisionnel judiciaire. Il ne faut pas les négliger, faute de quoi il y a des conséquences. En l’espèce, l’affidavit était extrêmement mince. Il n’était pas visé par l’exception de l’arrêt Ares c. Venner à la règle du ouï-dire, il ne satisfaisait pas aux exigences de l’exception expressément prévue par la loi en vue de faciliter la production de documents en possession de l’ARC et aucun avis n’a été donné au titre de la Loi sur la preuve au Canada quant à l’intention de produire des documents commerciaux. Indépendamment de la question de la recevabilité d’éléments de preuve dans un cas particulier, les tribunaux ont le souci primordial de veiller à ce que les procédures se déroulent conformément aux règles établies en matière de preuve et de procédure. C’est le fondement de l’équité. Ce facteur milite contre la recevabilité de l’affidavit.

[47]      Dans l’arrêt Iris Technologies, la Cour d’appel fédérale a finalement conclu que l’affidavit en question était admissible au titre de l’exception à la règle du ouï-dire de la common law fondée sur la fiabilité et la nécessité (au paragraphe 33). En l’espèce, le ministre n’invoque pas cette exception, mais plutôt ce qu’il appelle l’exception organisationnelle à la règle du ouï-dire. Le ministre renvoie la Cour à la décision Twentieth Century Fox Home Entertainment Canada Limited c. Canada (Procureur général), 2012 CF 823 (Twentieth Century Fox), qui traite de l’admissibilité d’un affidavit souscrit par un fonctionnaire de l’ARC en réponse à une demande de contrôle judiciaire d’une décision fondée sur la LTA. Le juge Phelan a admis en preuve les parties de l’affidavit qui constituaient du ouï-dire après avoir conclu que l’affidavit du fonctionnaire s’apparentait à une preuve « relative à l’entreprise », ou organisationnelle, en ce sens que le fonctionnaire agissait à titre de superviseur, qu’il était responsable de ses subordonnés et qu’il était donc en mesure de savoir si les faits énoncés dans son affidavit étaient véridiques (aux paragraphes 23 et 26). La décision Twentieth Century Fox a été confirmée en appel (2013 CAF 25), mais la décision d’appel ne contient aucune observation à cet égard.

[48]      Par la suite, dans la décision O’Grady c. Canada (Procureur général), 2016 CF 9 (O’Grady), le juge LeBlanc a suivi l’approche adoptée dans la décision Twentieth Century Fox quant à l’admissibilité de la preuve par ouï-dire et a conclu que la déposante, qui était directrice générale à Statistique Canada, était, compte tenu de sa sphère de responsabilité, en mesure de savoir que les faits attestés par son affidavit étaient véridiques (au paragraphe 19). Pour des motifs semblables, le juge LeBlanc a aussi conclu que la déposante pouvait déposer sous serment sans avoir à offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels (au paragraphe 20). Il a refusé de tirer une conclusion défavorable au titre du paragraphe 81(2) des Règles et a conclu que la question de savoir si le défendeur avait produit la meilleure preuve concernait le poids accordé à l’affidavit par le juge qui entendrait la demande sur le fond (au paragraphe 22).

[49]      La décision a été portée en appel et, dans l’arrêt O’Grady c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 221, la Cour d’appel fédérale s’est elle aussi appuyée sur la décision Twentieth Century Fox pour conclure que le juge LeBlanc n’avait commis aucune erreur en jugeant que l’affidavit était admissible parce que la déposante était, en raison de ses responsabilités au sein de la fonction publique fédérale, en mesure de faire une déposition relativement à la question en litige sans nécessairement avoir une connaissance personnelle des faits (au paragraphe 10).

[50]      Afin d’expliquer pourquoi il s’appuie sur ces décisions, le ministre renvoie aux affidavits de M. Bowe et au témoignage obtenu en contre-interrogatoire. Dans chacun de ses affidavits, M. Bowe a déclaré qu’il était gestionnaire de cas du secteur international et des grandes entreprises à l’ARC. Lorsqu’il a été contre-interrogé au sujet du dossier T-252-19 (Nader Ghermezian), il a expliqué qu’il jouait le rôle de chef d’équipe à la Direction générale de la vérification et des programmes d’observation de l’ARC. Lors de son contre-interrogatoire au regard du dossier T-261-19 (Raphael Ghermezian), alors qu’on lui posait des questions au sujet d’un étudiant salarié qui avait envoyé par la poste une demande péremptoire en particulier, M. Bowe a expliqué qu’il était son superviseur, qu’il était chargé de ce dossier de vérification et qu’il était donc au courant de ce qui s’était passé. Dans le dossier T-254-19 (Marc Vaturi), lorsqu’il a été interrogé au sujet de la demande péremptoire A-NG-0127 envoyée à M. Vaturi, le 27 juin 2018, et signée par un certain John Harasymchuk, M. Bowe a dit qu’il avait recommandé l’envoi de cette demande péremptoire à titre de gestionnaire de cas chargé de la vérification.

[51]      À mon avis, ces éléments justifient que le ministre se soit fondé sur les décisions susmentionnées pour faire valoir que les affidavits de M. Bowe sont admissibles au titre de l’exception organisationnelle.

[52]      Pour arriver à cette conclusion, j’ai pris en compte l’observation des défendeurs selon laquelle ces décisions permettent seulement d’affirmer qu’un gestionnaire peut témoigner au sujet des tâches exécutées par des subalternes. Je ne pense pas que le principe soit aussi limité que le soutiennent les défendeurs. Je souligne que, dans l’arrêt Bande Indienne Coldwater c. Canada (Procureur Général), 2019 CAF 292 (Bande indienne Coldwater), la Cour d’appel fédérale a expliqué que le témoignage d’un superviseur de service, ou d’une personne occupant un poste semblable, au sujet des activités de son service, de la conduite de ses employés et de toute activité liée à son service est admissible si ce témoin a une connaissance suffisamment directe et personnelle des activités en cause même s’il n’y a pas directement participé (au paragraphe 42).

[53]      Dans l’arrêt Bande indienne Coldwater, la Cour d’appel a aussi expliqué qu’il n’existait aucune exception générale de « chef de service » à la règle du ouï-dire qui aurait permis au superviseur de service de présenter en preuve une déclaration faite par un membre de son service pour établir la véracité de son contenu (au paragraphe 42). À cet égard, je souligne que les défendeurs font valoir que ce principe ne permet pas à M. Bowe de témoigner au sujet des diverses transactions faites par les membres de la famille Ghermezian. Toutefois, je juge convaincante l’observation du ministre qui affirme que, dans une large mesure, les affidavits de M. Bowe servent à démontrer sa compréhension des faits et à établir le contexte dans lequel les demandes formelles ont été envoyées. Comme le ministre est à certains égards étranger à ces faits, qui sont surtout connus des défendeurs eux-mêmes, l’interprétation qu’en fait l’ARC n’a peut-être qu’une importance limitée pour l’issue des présentes demandes d’ordonnance.

[54]      Évidemment, certains des faits exposés dans les affidavits de M. Bowe pourraient à certains égards jouer un rôle déterminant dans l’issue des présentes demandes d’ordonnance. Par exemple, comme nous le verrons en détail plus loin dans les présents motifs, les défendeurs nient que les demandes formelles leur ont été valablement signifiées. Le témoignage de M. Bowe, qui a expliqué dans quelles circonstances l’ARC avait envoyé les demandes formelles aux défendeurs, sera déterminant pour cette question. Toutefois, il est visé par le principe voulant qu’un gestionnaire puisse témoigner au sujet des tâches exécutées par ses employés.

[55]      Le témoignage que M. Bowe a donné au sujet du lien qui existe entre les membres de la famille Ghermezian ou entre les entités dans lesquelles ils ont un intérêt, ou de leurs activités commerciales respectives, n’a pas nécessairement la même importance. Comme le ministre le fait valoir, ce témoignage établit le contexte qui permettra à la Cour de comprendre non seulement les circonstances ayant mené aux vérifications qui sous-tendent les demandes de production, mais aussi les demandes de production comme telles. Toutefois, s’il s’avère que M. Bowe a mal compris certains des faits exposés dans son affidavit, cela n’invaliderait pas nécessairement la demande formelle ou la demande d’ordonnance afférente. En fait, les demandes formelles permettent d’obtenir des renseignements ou des documents des défendeurs, qui sont les mieux placés pour fournir à l’ARC l’information qui permettra à celle-ci de confirmer ou de corriger la façon dont elle comprend les faits.

[56]      Dans leur tentative de faire radier les affidavits de M. Bowe, les défendeurs contestent plusieurs paragraphes de ces affidavits, sans dire en quoi le recours par le ministre à certaines des déclarations qu’ils contiennent pourrait contrevenir à la distinction établie dans l’arrêt Bande indienne Coldwater. En l’absence de telles observations, je ne vois aucune raison de conclure que les affidavits, ou certaines parties de ceux-ci, ne sont pas admissibles du fait qu’ils constituent du ouï-dire qui ne relève pas du champ d’application de la jurisprudence invoquée par le ministre. Évidemment, le fait que M. Bowe n’ait pas une connaissance directe et personnelle des faits pourrait influer sur le poids à accorder à son témoignage, en particulier dans le contexte d’une preuve contradictoire convaincante ou d’une contestation significative de son témoignage par le biais du contre-interrogatoire. Cependant, c’est dans le cadre de l’analyse des questions soulevées dans chacune des présentes demandes d’ordonnance que la Cour devra décider du poids à accorder aux différents éléments du témoignage de M. Bowe sur lequel se fonde le ministre.

C.   Les défendeurs étaient-ils tenus de fournir des documents ou renseignements en réponse à une requête formulée en vertu de l’article 231.1 de la Loi?

[57]      L’une des principales questions soulevées par les défendeurs, qui concerne la plupart des demandes d’ordonnance, porte sur l’interprétation correcte du paragraphe 231.1(1) de la Loi et le pouvoir que cette disposition confère au ministre, qui cherche à obtenir des renseignements et des documents des défendeurs. Comme nous l’expliquerons plus en détail ci-après, les défendeurs soutiennent que le ministre a confondu certains aspects du pouvoir conféré par les paragraphes 231.1(1) et 231.2(1). Ils font valoir que la plupart ou la totalité des requêtes qui auraient été envoyées en vertu du paragraphe 231.1(1) visaient à obtenir des renseignements ou des documents que le ministre ne pouvait exiger qu’au moyen d’une demande péremptoire faite en vertu du paragraphe 231.2(1). Les requêtes ne respectent pas certaines conditions préliminaires du paragraphe 231.2(1) et le ministre ne cherche pas à invoquer le paragraphe 231.2(1) pour les justifier. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que les requêtes sont invalides et ne sauraient servir de fondement à l’ordonnance prévue à l’article 231.7.

[58]      Comme point de départ, les défendeurs soulignent à nouveau que c’est au ministre qu’incombe le fardeau de prouver qu’il satisfait aux conditions de l’article 231.7, notamment que la personne visée par la demande d’ordonnance était tenue par les articles 231.1 ou 231.2 de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents qu’il lui avait demandés. Les défendeurs soutiennent que, si une requête ne relève pas de l’article 231.1, alors son destinataire n’est pas tenu de s’y conformer, la condition légale n’est pas respectée et la Cour ne peut rendre l’ordonnance demandée à l’égard de cette requête. Je ne vois aucune raison d’être en désaccord avec les défendeurs quant à cet aspect de leur argumentation.

[59]      Je passe donc aux motifs invoqués par les défendeurs à l’appui de leur prétention que les requêtes ne sont pas autorisées par le paragraphe 231.1(1). Plus loin dans les présents motifs, j’examinerai d’autres arguments sur les limites du pouvoir qu’a le ministre d’envoyer des demandes péremptoires en vertu du paragraphe 231.2(1) concernant des personnes non désignées nommément et des renseignements étrangers. Toutefois, pour les fins qui nous occupent, les défendeurs admettent que le ministre peut, pour l’application et l’exécution de la Loi, exiger d’une personne, par demande péremptoire envoyée et signifiée en bonne et due forme en vertu du paragraphe 231.2(1), qu’elle fournisse des renseignements ou qu’elle produise des documents. Par contraste, ils soutiennent que le paragraphe 231.1(1) ne confère au ministre qu’un pouvoir d’inspection, c’est-à-dire le pouvoir (encore là, pour l’application et l’exécution de la Loi) de se rendre chez un contribuable ou une autre personne pour inspecter les livres et registres ou d’autres documents. Ils soutiennent que le pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 231.1(1) n’est pas comparable à celui que confère le paragraphe 231.2(1), soit le pouvoir a) d’exiger la production de documents dans un contexte autre que celui d’une enquête, ou b) d’exiger la production de renseignements autres que des renseignements sur la provenance des documents demandés ou l’endroit où ils se trouvent dans le contexte d’une enquête.

[60]      Comme le suggèrent les défendeurs par cette explication, leur position comporte deux aspects, et chacun de ces aspects serait touché par les requêtes. Premièrement, ils soutiennent que, bien qu’une « personne autorisée » (terme dont le sens sera analysé plus loin dans les présents motifs) puisse se fonder sur le paragraphe 231.1(1) pour pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise et inspecter les documents qui y sont conservés, cette disposition ne confère pas à cette personne le pouvoir d’exiger par écrit la production de ces documents. Deuxièmement, les défendeurs font valoir que le paragraphe 231.1(1) ne vise que des documents préexistants et n’autorise pas l’envoi d’une demande écrite obligeant le destinataire à répondre à des questions ou à fournir des renseignements de fond (mais non déjà écrits) se rapportant à la situation fiscale d’un contribuable. Le ministre conteste les deux aspects de la position des défendeurs et soutient qu’il y a chevauchement des pouvoirs conférés par les articles 231.1 et 231.2 et que les requêtes ont toutes été valablement faites en vertu du paragraphe 231.1(1). Plus particulièrement, le ministre s’appuie sur l’alinéa 231.1(1)a) pour justifier les requêtes.

[61]      Bien qu’il existe un certain chevauchement dans les arguments avancés par les parties sur les deux aspects de cette question, et sachant que la loi doit être interprétée dans son ensemble, je suis d’avis qu’il sera plus facile de comprendre l’analyse que je dois faire si je traite chaque aspect séparément. J’examinerai d’abord la question de savoir si l’alinéa 231.1(1)a) permet à la personne autorisée de contraindre quiconque, par requête écrite, à fournir des documents, dans un contexte autre que celui où elle n’est pas présente physiquement dans les lieux où se déroule une inspection.

(1)  Obligation de produire des documents

[62]      Comme il s’agit d’une question d’interprétation législative, il faut pour y répondre appliquer la méthode moderne d’interprétation législative, selon laquelle il faut interpréter les termes de la loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur. Cette méthode repose sur une analyse textuelle, contextuelle et téléologique destinée à dégager un sens qui s’harmonise avec la Loi dans son ensemble (voir Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, aux paragraphes 10 et 11).

[63]      Commençons par examiner le libellé de la disposition législative en cause, ce qui constitue le point de départ de tout exercice d’interprétation (voir Ebay Canada Limited c. Canada (Revenu national), 2008 CAF 348, [2010] 1 R.C.F. 145 (eBay), au paragraphe 32). Le paragraphe 231.1(1) est ainsi rédigé :

Enquêtes

231.1 (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

b) examiner les biens à porter à l’inventaire d’un contribuable, ainsi que tout bien ou tout procédé du contribuable ou d’une autre personne ou toute matière concernant l’un ou l’autre dont l’examen peut aider la personne autorisée à établir l’exactitude de l’inventaire du contribuable ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

à ces fins, la personne autorisée peut :

c) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres;

d) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l’accompagner sur les lieux.

[64]      Concentrant leur attention sur ce libellé, les défendeurs soulignent que l’alinéa 231.1(1)a), sur lequel s’appuie le ministre, donne à la personne autorisée le pouvoir d’« inspecter, vérifier ou examiner… » des livres, registres et autres documents. Le passage intercalaire du paragraphe 231.1(1) dispose ensuite que « […] à ces fins […] », c’est-à-dire les fins énoncées dans les alinéas précédents, y compris celles d’inspecter, de vérifier ou d’examiner, la personne autorisée se voit conférer d’autres pouvoirs par les alinéas 231.1(1)c) et d). L’alinéa 231.1(1)c) permet à la personne autorisée de pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien ou sont tenus des livres ou registres. L’alinéa 231.1(1)d) lui permet de requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir de l’aide et de répondre à ses questions. À cette fin, l’alinéa 231.1(1)d) lui permet également de requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise de l’accompagner sur les lieux.

[65]      Ce contexte étant posé, les défendeurs insistent sur le fait que la seule obligation expressément imposée par le paragraphe 231.1(1) se trouve à l’alinéa 231.1(1)d), où l’emploi du mot « requérir » oblige à fournir de l’aide, à répondre aux questions et à accompagner la personne autorisée sur les lieux. Le contribuable, ou toute autre personne, n’a aucune obligation expresse de fournir des documents en réponse à une demande écrite de la nature des requêtes.

[66]      Les défendeurs soulignent également que, dans le texte introductif du paragraphe 231.1(1), il est mentionné que les pouvoirs qui y sont prévus peuvent être exercés « à tout moment raisonnable », ce qui, selon eux, est compatible avec le pouvoir d’inspection, mais non avec le pouvoir d’envoyer une demande formelle écrite.

[67]      Les défendeurs comparent le paragraphe 231.1(1) au paragraphe 231.2(1), que voici :

Production de documents ou fourniture de renseignements

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

[68]      Le paragraphe 231.2(1) autorise expressément le ministre, pour l’application ou l’exécution de la Loi, à exiger d’une personne qu’elle fournisse des renseignements ou produise des documents. Contrairement au paragraphe 231.1(1), ce libellé impose expressément cette obligation au destinataire d’une demande péremptoire faite en vertu du paragraphe 231.2(1). Selon les défendeurs, cette comparaison rappelle que, lorsque le législateur a l’intention d’exiger qu’une personne produise un document, il le fait expressément et non implicitement.

[69]      De plus, les défendeurs font remarquer que le pouvoir conféré au ministre par le paragraphe 231.2(1) est assujetti à des restrictions expresses. Comme nous le verrons plus en détail plus loin dans les présents motifs, le pouvoir du ministre est assorti des limites suivantes : a) il ne peut être exercé que par le ministre (ou son délégué dûment autorisé en vertu du paragraphe 220(2.01)); b) il ne peut être exercé à l’égard de personnes non désignées nommément sans autorisation judiciaire préalable; et c) il ne peut être exercé que par l’envoi d’un avis précisant le délai raisonnable dans lequel le destinataire doit obtempérer à la demande. Les défendeurs qualifient ces limites de « garde-fous » visant à protéger les contribuables et les autres destinataires des demandes péremptoires faites en vertu du paragraphe 231.2(1). Ils soutiennent que le pouvoir expressément conféré, mais quelque peu circonscrit, d’exiger la production de documents et de renseignements en application du paragraphe 231.2(1) et l’absence de garde-fous semblables au paragraphe 231.1(1) indiquent que le paragraphe 231.1(1) n’est pas censé autoriser l’envoi de demandes formelles de la même manière que le fait le paragraphe 231.2(1).

[70]      Je souligne que le ministre a invoqué l’arrêt Redeemer Foundation c. Canada (Revenu national), 2008 CSC 46, [2008] 2 R.C.S. 643 (Redeemer), dans lequel la majorité de la Cour suprême du Canada a rejeté un argument à peu près semblable. Dans cet arrêt, la Cour suprême a conclu que la restriction énoncée à l’article 231.2, qui empêche le ministre d’obtenir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément sans autorisation judiciaire, ne l’empêche pas de demander les mêmes renseignements en vertu de l’article 231.1 (aux paragraphes 14 et 15). J’estime néanmoins qu’il existe une logique dans les arguments des défendeurs, si on les considère à la lumière du texte et du contexte des dispositions législatives en cause, et que, sans analyse téléologique, je pourrais me laisser convaincre par eux.

[71]      Toutefois, comme l’a souligné le ministre, la Cour d’appel a expliqué, dans l’arrêt eBay, qu’en matière d’interprétation législative, il importe d’examiner l’objet de la disposition en cause et l’ensemble de la loi, de manière que le texte de la loi soit interprété autant que possible d’une manière qui serve son objet (au paragraphe 32). Dans l’arrêt Canada (Revenu national) c. Cameco Corporation, 2019 CAF 67, [2020] 4 R.C.F. 254 (Cameco), l’une des décisions de principe sur l’interprétation de l’article 231.1, la Cour d’appel fédérale a dit que l’article 231.1 visait à assurer au ministre un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable (au paragraphe 27). De façon plus générale, elle a expliqué, dans l’arrêt eBay, que les larges pouvoirs de surveillance dont dispose le ministre quant au régime réglementaire établi par la Loi découlaient du régime fiscal canadien qui est fondé sur l’autodéclaration (au paragraphe 34) :

     […] La Cour suprême du Canada a donné d’autres indications pertinentes pour l’interprétation des pouvoirs d’exécution conférés par la Loi. Par exemple, à la page 648 de l’arrêt R. c. McKinlay Transport Ltd., [1990] 1 R.C.S. 627, qui statuait sur une thèse contestant en vertu de l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés le pouvoir du ministre d’exiger la production de documents, la juge Wilson faisait observer que le principal inconvénient d’un régime fiscal fondé sur l’autodéclaration tel que le nôtre est que certains contribuables essaieront de frauder le fisc, par exemple en omettant de déclarer leurs revenus. Par conséquent, écrivait-elle :

[…] le ministre du Revenu national doit disposer, dans la surveillance de ce régime de réglementation, de larges pouvoirs de vérification des déclarations des contribuables et d’examen de tous les documents qui peuvent être utiles pour préparer ces déclarations. Le Ministre doit être capable d’exercer ces pouvoirs, qu’il ait ou non des motifs raisonnables de croire qu’un certain contribuable a violé la Loi […] Les contrôles ponctuels ou un système de vérification au hasard peuvent constituer le seul moyen de préserver l’intégrité du régime fiscal.

[72]      Dans l’arrêt Cameco, il a aussi été reconnu que l’objectif de la loi, aussi important soit-il, ne peut remplacer le libellé choisi par le législateur (au paragraphe 27). Toutefois, le ministre soutient que les mots « inspecter, vérifier ou examiner… » à l’alinéa 231.1(1)a) ont un sens large qui englobe un éventail d’activités dont, logiquement, la demande de production de documents. Cette observation s’accorde avec l’analyse d’interprétation de la disposition comparable de la LTA (paragraphe 288(1)) à laquelle la Cour s’est livrée dans la décision Tellza et où celle-ci a tenu compte non seulement du contexte et de l’objet de la LTA, qui fait partie du régime canadien d’autodéclaration et d’autocotisation, mais aussi du sens ordinaire, grammatical et lexicographique des mots « inspecter, vérifier ou examiner » (au paragraphe 13). La Cour a conclu que le pouvoir d’inspection conféré par cette disposition englobait nécessairement le pouvoir de demander ou d’exiger la production de documents de sorte que la personne autorisée puisse effectuer une inspection, une vérification ou un examen efficace (au paragraphe 18).

[73]      D’ailleurs, parmi les décisions invoquées par les deux parties à l’appui de leurs positions respectives sur la question de l’interprétation législative, la récente décision Tellza rendue par la juge Fuhrer est celle qui traite le plus directement de cet aspect de la question. Bien que cette décision porte sur une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la LTA relativement à une demande écrite visant à obtenir des données comptables électroniques, et non sur une demande d’ordonnance fondée sur la Loi, il est évident que la position défendue par le demandeur dans cette affaire était pour l’essentiel identique à celle adoptée par les défendeurs en l’espèce. Compte tenu de l’importance de cette décision pour la question dont la Cour est saisie, il est utile de reproduire en grande partie la description que fait la juge Fuhrer de la position du demandeur et des raisons pour lesquelles elle l’a rejetée (aux paragraphes 11 à 18) :

     Contrairement à Tellza, qui soutient que la lettre du 4 octobre 2019 constituait une « [demande péremptoire] » et non une « requête » et que celle-ci aurait donc dû être envoyée au titre du paragraphe 289(1) de la LTA et non du paragraphe 288(1), je ne suis pas convaincue que la décision de l’ARC d’envoyer la lettre au titre du paragraphe 288(1) de la LTA était déraisonnable.

     Les parties conviennent que l’interprétation d’une disposition législative doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet : Vavilov, précité, aux para 117-120; voir également Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27 au para 21. Cependant, lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable comportant une question d’interprétation législative, la cour de révision ne « procède pas à une analyse de novo de la question soulevée ni ne se demande “ce qu’aurait été la décision correcte” » : Vavilov, précité, au para 116, citant Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20 au para 50.

     Compte tenu du contexte et de l’objet de la LTA, en tant que régime fiscal d’autocotisation et d’autodéclaration, de même que du sens ordinaire, grammatical et lexicographique des mots « inspecter, vérifier ou examiner », je suis d’avis que la décision de l’ARC de s’appuyer sur le paragraphe 288(1) pour envoyer la lettre du 4 octobre 2019 était justifiée. J’ajouterai que Tellza n’a présenté aucun élément de preuve contredisant le fait que la lettre avait été envoyée par une « personne autorisée » comme le prévoit la disposition applicable.

     Essentiellement, selon le paragraphe 288(1), une personne autorisée peut « inspecter, vérifier ou examiner les documents, les biens ou les procédés » de personnes à qui la LTA confère des obligations de tenue de registres et de déclaration, notamment en ce qui concerne les remboursements demandés tels que les crédits de taxe sur les intrants. De plus, le paragraphe 288(1) et le reste de l’article 288 prévoient les conditions auxquelles la personne autorisée « peut » pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise ou où est exercée une activité commerciale pour exécuter ces fonctions.

     Tellza affirme que le « pouvoir d’inspecter » prévu au paragraphe 288(1) a une portée plus limitée que le « pouvoir d’exiger » prévu au paragraphe 289(1) de la LTA, en ce sens que la personne autorisée n’est pas habilitée à demander ou à exiger la présentation de renseignements. Même si je ne suis pas en désaccord avec la proposition générale quant à la portée plus limitée du paragraphe 288(1), je ne peux adhérer à cette dernière affirmation pour plusieurs raisons.

     Premièrement, la capacité d’inspecter un lieu est facultative; la disposition ne prescrit pas les inspections, les vérifications ou les examens en personne. En d’autres termes, le pouvoir d’inspecter ne se limite pas à un ou plusieurs lieux physiques, mais se rapporte plutôt, à mon avis, à la personne ou aux personnes dont les documents, les biens ou les procédés peuvent être inspectés, vérifiés ou examinés. L’objet de cette activité est aussi plus limité, par rapport au paragraphe 289(1); il se limite à déterminer les obligations dans le cadre de la partie IX (TPS) de la LTA ou le montant de tout remboursement auquel une personne a droit. Le paragraphe 289(1), quant à lui, s’applique « malgré les autres dispositions de la présente partie » et s’applique de façon plus générale à « une personne » dans les limites de l’objet déclaré. Cet objet aussi est plus général, cependant, et est décrit ainsi : « pour l’application ou l’exécution d’un accord international désigné ou de la présente partie [la partie IX (TPS)], notamment la perception d’un montant à payer ou à verser par une personne […] ».

     Deuxièmement, les définitions applicables des mots « document » et « bien » prévues au paragraphe 123(1) de la LTA ne se limitent pas aux choses physiques. Par exemple, la définition de « document » prévoit qu’y sont assimilés « l’argent, les titres et les registres », alors que celle de « registre » prévoit qu’un registre s’entend notamment de « […] toute autre chose renfermant des renseignements, qu’ils soient par écrit ou sous toute autre forme » [non souligné dans l’original]. En outre, le mot « bien » est défini ainsi : « À l’exclusion d’argent, tous biens — meubles et immeubles — tant corporels qu’incorporels, y compris un droit quelconque, une action ou une part. »

     À la simple lecture des définitions applicables, je conclus donc que, dans le contexte et selon l’objet de la LTA, le paragraphe 288(1) confère effectivement à une personne autorisée le pouvoir de demander à un contribuable qu’il fournisse des renseignements sous quelque forme que ce soit ou d’exiger qu’il le fasse. Selon moi, le pouvoir d’inspecter englobe nécessairement le pouvoir de demander ou d’exiger que des documents soient fournis pour que la personne autorisée puisse effectuer une inspection, une vérification ou un examen de manière efficace. Je conclus également qu’en cette ère moderne et électronique, la personne autorisée n’est pas limitée à l’inspection, à la vérification ou à l’examen des documents et des registres sur les lieux du contribuable.

[74]      J’estime que cette analyse est convaincante et je ne vois aucune raison de m’en écarter ou de refuser de l’appliquer aux dispositions de la Loi en cause en l’espèce. Pour arriver à cette conclusion, j’ai tenu compte de l’argument des défendeurs qui ont fait valoir que, comme la décision Tellza porte sur un contrôle judiciaire, la Cour a interprété les dispositions pertinentes en fonction de la norme du caractère raisonnable, plutôt que de leur donner une interprétation définitive selon la norme de la décision correcte. Bien que cet argument soit intéressant, je suis d’accord avec le ministre qui répond que la décision Tellza a été rendue en même temps que la décision connexe, Canada (National Revenue) v. Tellza Inc., 2021 CarswellNat 3964, 2021 CanLII 76055 (C.F.) (Tellza no 2), qui porte sur une demande d’ordonnance.

[75]      La demande de contrôle judiciaire et la demande d’ordonnance, sur lesquelles portent les décisions Tellza et Tellza no 2 respectivement, ont été plaidées le même jour, et les deux décisions portent la même date. Dans la décision Tellza no 2, la Cour a accueilli la demande d’ordonnance et a ordonné aux défendeurs de fournir les données comptables électroniques demandées par l’ARC au titre du paragraphe 288(1) de la LTA, dans ce qui semble être une demande complémentaire à celle visée par le contrôle judiciaire. La décision Tellza no 2 est une décision de type « attendu que » et ne comporte donc pas de motifs détaillés. La Cour y énonce toutefois ses conclusions, notamment que, par suite de requêtes faites en vertu du paragraphe 288(1) de la LTA, les défendeurs étaient tenus de produire les données comptables électroniques demandées, et que, eu égard aux conclusions tirées dans la décision Tellza, elle est convaincue que la condition relative à l’existence d’une telle obligation a été remplie.

[76]      Je retiens donc l’argument du ministre selon lequel, considérées ensemble, ces décisions montrent que la juge Fuhrer a conclu non seulement que l’interprétation de la disposition pertinente exposée en détail dans la décision Tellza était raisonnable, mais aussi que cette interprétation est la bonne.

[77]      Le ministre invoque plusieurs autres décisions, dont certaines décisions d’appel, à l’appui de sa position sur cet aspect de l’interprétation du paragraphe 231.1(1) de la Loi. Bien que ces décisions puissent contenir des énoncés ou porter sur des faits qui sont sans doute compatibles avec la position du ministre, seule la décision Tellza porte sur la question précise soulevée par les parties et soumise à l’analyse de la Cour. Toutefois, j’estime que la conclusion tirée dans Tellza (au paragraphe 18), selon laquelle la personne autorisée ne se limite pas de nos jours, en cette ère de l’électronique, à inspecter, à vérifier ou à examiner des documents et des registres dans les locaux du contribuable, est compatible avec les décisions d’appel mentionnées par le ministre. Appelée à interpréter les dispositions relatives à l’observation de la Loi, la Cour d’appel fédérale s’est fondée, dans l’arrêt eBay (au paragraphe 42), sur l’arrêt Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique c. Assoc. canadienne des fournisseurs Internet, 2004 CSC 45, [2004] 2 R.C.S. 427, pour conclure que les tribunaux doivent interpréter les lois en fonction de la technologie contemporaine et, s’il y a lieu, « s’efforcer d’appliquer » leurs dispositions en les transposant de manière à tenir compte de l’évolution du contexte technologique.

[78]      Pour conclure sur cet aspect de la question de l’interprétation législative, j’estime que le paragraphe 231.1(1) permet à la personne autorisée d’exiger la production de documents sans qu’elle soit physiquement sur les lieux ou dans les locaux où sont gardés les documents.

(2)  Obligation de fournir des renseignements

[79]      Je passe maintenant au deuxième aspect de la question de l’interprétation législative, à savoir si le paragraphe 231.1(1) permet seulement de requérir le contribuable de produire des documents préexistants ou s’il permet d’envoyer une demande formelle enjoignant à son destinataire de fournir, au moyen de réponses écrites aux questions qui y sont formulées, des renseignements de fond sur la situation fiscale d’un contribuable.

[80]      Encore là, les observations des défendeurs portent essentiellement sur le texte du paragraphe 231.1(1), et plus particulièrement sur l’alinéa 231.1(1)a), que je reproduis de nouveau par souci de commodité :

231.1 (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :

a) inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

[81]      Les défendeurs soulignent que, suivant cette disposition, le pouvoir d’inspecter ou d’examiner vise deux catégories de documents. La première catégorie est celle des livres et registres du contribuable, et la deuxième, celle des documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter à certains types de renseignements. Bien qu’il soit question de renseignements dans cette deuxième catégorie, les défendeurs font valoir que ce terme ne peut être interprété indépendamment du texte qui le précède immédiatement. Dans cette deuxième catégorie, ce sont « […] tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter aux renseignements […] » qui peuvent être exigés [non souligné dans l’original].

[82]      Les défendeurs soutiennent qu’il n’est pas possible d’interpréter ces mots comme permettant à la personne autorisée d’exiger qu’on lui fournisse d’autres renseignements que ceux qui figurent dans un document. Ils comparent également ces mots à ceux du paragraphe 231.2(1), qui autorise expressément le ministre à exiger d’une personne qu’elle lui fournisse des renseignements, par opposition à un document qui se rapporte à des renseignements.

[83]      Comme pour le premier aspect de la question de l’interprétation législative, les observations des défendeurs ne portent pas particulièrement sur l’objet de la Loi qui, souligne encore une fois le ministre, suppose l’attribution de vastes pouvoirs de vérification des contribuables afin d’assurer la surveillance du régime réglementaire canadien d’autodéclaration et d’autocotisation. Comme pour le premier aspect, cet objectif milite en faveur d’une interprétation libérale de la portée de l’alinéa 231.1(1)a), mais cet objectif ne peut remplacer le libellé de la loi que le législateur a choisi (voir Cameco, au paragraphe 27). S’agissant du premier aspect, je me suis rallié à l’avis du ministre selon qui les termes « inspecter, vérifier ou examiner […] » à l’alinéa 231.1(1)a) étaient suffisamment généraux pour que, conformément à l’objet de la loi, ils englobent les demandes formelles de production de documents. Toutefois, malgré l’importance de cet objet, je souscris à la position des défendeurs qui affirment que les termes de l’alinéa 231.1(1)a) ne peuvent être interprétés de manière à englober les demandes formelles visant à obtenir des renseignements qui ne figurent pas dans un document.

[84]      Comme le font valoir les défendeurs, l’arrêt Cameco offre un solide appui jurisprudentiel à leur position. Cette affaire n’est pas tout à fait pertinente, car la Cour d’appel devait décider si le ministre pouvait exiger des réponses verbales aux questions posées par les vérificateurs de l’ARC (voir le paragraphe 1), par opposition aux réponses écrites qui sont en cause en l’espèce. Toutefois, il est difficile de ne pas conclure que le raisonnement de la Cour d’appel fédérale, qui a rejeté l’argument du ministre voulant que l’alinéa 231.1(1)a) confère le pouvoir d’exiger des réponses orales (voir les paragraphes 1, 12), s’applique de la même manière aux réponses écrites.

[85]      Dans l’affaire Cameco, l’intimée soutenait, tout comme les défendeurs en l’espèce, que selon le sens ordinaire du libellé de l’alinéa 231.1(1)a), les pouvoirs accordés par cette disposition se rapportent aux renseignements écrits et non à tout type de renseignements (voir le paragraphe 10). En réponse, le ministre faisait valoir que le droit d’exiger des réponses orales aux questions découlait implicitement de l’utilisation du mot « audit », ou « vérification », dans cette disposition (voir paragraphe 16). La Cour d’appel fédérale a rejeté cet argument après avoir souligné que le pouvoir conféré est celui d’« inspecter, vérifier ou examiner » et que ni le mot « inspecter » ni le mot « examiner » ne suggérait le pouvoir de contraindre une personne à répondre à des questions. La Cour a estimé que, lorsque deux ou plusieurs mots ayant un sens semblable sont regroupés, ils prennent le sens l’un de l’autre, le terme plus général étant restreint à un sens comparable à celui du terme moins général (au paragraphe 18).

[86]      Dans l’analyse textuelle contenue dans l’arrêt Cameco, la Cour d’appel renvoie aussi à l’alinéa 231.1(1)d). Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si elle en fait une analyse. Le ministre renvoie au paragraphe 21 de la décision pour faire valoir que non. Au paragraphe 21, la Cour d’appel met l’accent sur le fait que l’appel porte sur les pouvoirs conférés à l’alinéa 231.1(1)a) et que les parties n’ont pas fait d’observations sur la question de savoir si l’alinéa 231.1(1)d) confère un pouvoir indépendant d’obliger à comparaître et à répondre à des questions semblables à celles du ministre dans cette affaire.

[87]      De même, dans l’affaire qui nous occupe, le ministre souligne que c’est sur l’alinéa 231.1(1)a), et non sur l’alinéa 231.1(1)d), qu’il s’appuie pour faire valoir qu’il peut exiger des réponses écrites à ses questions. Ainsi, comme dans l’arrêt Cameco, la Cour n’a pas à tirer de conclusion définitive sur le sens de l’alinéa 231.1(1)d). Cela étant, je ne suis pas d’accord avec le ministre pour dire que l’arrêt Cameco ne renferme pas d’analyse de l’alinéa 231.1(1)d). Cette analyse est clairement présente dans la décision et elle a, dans une certaine mesure, guidé la Cour d’appel dans son interprétation de l’alinéa 231.1(1)a). C’est pourquoi il vaut la peine de s’y intéresser brièvement.

[88]      L’alinéa 231.1(1)d) dispose que le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise, ainsi que toute autre personne présente sur les lieux où les pouvoirs conférés par le paragraphe 231.1(1) sont exercés, doit non seulement fournir toute l’aide raisonnable, mais aussi « […] répondre à toutes les questions pertinentes à [sic] l’application et l’exécution de la présente loi […] ». Dans l’arrêt Cameco, la Cour d’appel a expliqué que fournir de l’« aide » ne veut pas dire répondre à des questions générales relativement aux obligations fiscales du contribuable ou aux questions soulevées lors de la vérification. L’obligation d’aider s’applique à la recherche, à l’examen ou à l’analyse des documents (au paragraphe 22). Le vérificateur peut poser des questions et demander l’aide de la Cour pour exiger des réponses, et ce, afin que le contribuable divulgue la provenance et l’emplacement des documents (au paragraphe 13). Dans l’arrêt Cameco, la Cour d’appel s’est fondée sur cette interprétation de l’alinéa 231.1(1)d) pour conclure que l’obligation de répondre à des questions ne découle pas implicitement de l’alinéa 231.1(1)a). Sinon, a-t-elle expliqué, l’obligation prévue à l’alinéa 231.1(1)d), aussi limitée soit-elle, serait inutile, et il faut éviter les interprétations qui rendent une partie de la loi superflue ou redondante (au paragraphe 23).

[89]      Toujours dans l’arrêt Cameco, et s’agissant du contexte, la Cour d’appel souligne que le fait que l’article 231.1 suive immédiatement l’article 230, qui oblige le contribuable à tenir des registres et dossiers à son établissement commercial, est significatif. Elle explique que, considérées ensemble, les deux dispositions visent à permettre au ministre de s’assurer, de manière indépendante et sur le fondement de ces registres, que le contribuable s’est acquitté de ses obligations fiscales et s’est conformé à la loi. La Cour d’appel conclut qu’il existe une différence entre procéder à une vérification indépendante et obliger le contribuable à répondre à des questions (au paragraphe 24).

[90]      Dans l’analyse téléologique contenue dans l’arrêt Cameco, la Cour d’appel insiste sur le fait (déjà mentionné dans les présents motifs) que, dans le régime canadien d’autodéclaration, l’objectif de la Loi de permettre au ministre de vérifier les renseignements reçus, aussi important soit-il, ne saurait remplacer le libellé du législateur (au paragraphe 27). La Cour d’appel souligne aussi que le ministre ne tire pas ses pouvoirs d’enquête seulement de l’alinéa 231.1(1)a), et elle cite d’autres dispositions relatives à l’observation de la Loi, y compris l’article 231.2, qui confère au ministre le pouvoir de demander des renseignements et des documents (au paragraphe 29).

[91]      Pour contrer l’argument que les défendeurs tirent de l’arrêt Cameco, le ministre fait observer que, dans son analyse téléologique, la Cour d’appel renvoie à l’objet de l’article 231.1 qui est de faciliter l’accès aux renseignements du contribuable (au paragraphe 27) :

… L’objectif de l’article 231.1 est d’assurer au ministre un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable, alors que l’objectif de l’article 231.7 est de permettre d’avoir recours aux pouvoirs de la Cour en cas de refus. [Non souligné dans l’original.]

[92]      Toutefois, je n’interprète pas cet énoncé de l’arrêt Cameco comme signifiant que l’article 231.1 donne au ministre accès à des renseignements non écrits, ce qui serait incompatible avec la conclusion générale tirée dans cet arrêt, soit que le ministre ne peut exiger du contribuable qu’il réponde oralement aux questions qui lui sont posées. De même, dans cet arrêt, la Cour d’appel commence son analyse textuelle en disant que les pouvoirs prévus aux alinéas 231.1(1)a) et b) sont axés sur le droit du ministre d’accéder à « […] des renseignements écrits qui apparaissent ou devraient apparaître dans les registres du contribuable » (au paragraphe 15). Encore une fois, je pense que, considéré dans son contexte, cet extrait ne permet pas de conclure que le ministre peut accéder à des renseignements non écrits. De fait, la Cour d’appel ajoute tout de suite après que le paragraphe 231.1(1) renvoie à maintes reprises aux « livres et registres » et aux « documents », et elle cite le paragraphe 58 de l’arrêt BP Canada Energy Company c. Canada (Revenu national), 2017 CAF 61, [2017] 4 R.C.F. 355 (BP Canada), où il est dit que la disposition vise les documents qui se rapportent ou pourraient se rapporter aux renseignements qui figurent dans les registres du contribuable ou qui devraient y figurer.

[93]      L’analyse d’interprétation législative faite dans l’arrêt Cameco se termine par l’historique de l’alinéa 231.1(1)a) qui, a expliqué la Cour d’appel, résulte des modifications apportées à la Loi en 1986, lesquelles visaient à ce que soient clairement indiquées les limites des pouvoirs d’application de l’ARC. Au paragraphe 32, la Cour reproduit la disposition qui a précédé le paragraphe 231.1(1) actuel (qui était alors l’article 231) et s’intéresse à certains termes de l’alinéa 231c) :

c) obliger le propriétaire ou le gérant des biens ou de l’entreprise et toute autre personne présente sur les lieux de lui prêter toute aide raisonnable dans sa vérification ou son examen, et de répondre à toutes les questions appropriées se rapportant à la vérification ou à l’examen, soit oralement, soit, si cette personne l’exige, par écrit, sous serment ou par déclaration exigée par la loi et, à cette fin, obliger le propriétaire ou le gérant de l’accompagner sur les lieux, et [Souligné dans l’arrêt Cameco.]

[94]      Au sujet des termes employés à l’alinéa 231c) qui ne sont plus dans l’actuel alinéa 231.1(1)d), la Cour d’appel conclut que, si elle rejette la position du ministre, c’est parce que l’obligation de répondre « oralement » a été supprimée, tout comme l’obligation de répondre sous serment ou par déclaration exigée par la loi.

[95]      Comme je l’ai mentionné, je comprends que, dans l’affaire Cameco, la Cour d’appel devait se prononcer sur des demandes de production orale, non écrite, de renseignements, et que c’est dans ce contexte que s’inscrivent son analyse et ses motifs. Or, le volet « historique législatif » de son analyse semble également appuyer la conclusion selon laquelle le ministre ne peut exiger de réponses écrites aux questions qui sont posées. Les termes que le législateur a supprimés lorsque l’alinéa 231c) a été remplacé par l’alinéa 231.1(1)d) sont non seulement « oralement », mais aussi « par écrit » et, comme le souligne l’arrêt Cameco, « par déclaration exigée par la loi ».

[96]      Qui plus est, le ministre n’a fait état d’aucun principe qui militerait en faveur d’un résultat différent pour ce qui est d’obtenir des réponses écrites, plutôt qu’orales, aux questions posées. À mon avis, le raisonnement adopté dans l’arrêt Cameco repose sur la distinction entre renseignements écrits et renseignements non écrits. L’alinéa 231.1(1)a) confère au ministre le pouvoir d’exiger la production de renseignements écrits et non de renseignements non écrits.

[97]      Le ministre cite plusieurs décisions à l’appui de sa position selon laquelle la disposition permet les demandes formelles de renseignements, plutôt que de documents, et qu’elle oblige donc le destinataire à répondre par écrit aux questions posées. Or, tout comme au premier volet de l’interprétation du paragraphe 231.1(1), il est possible que ces décisions contiennent des énoncés ou portent sur des faits qui sont compatibles avec la position du ministre, mais il reste qu’elles ne démontrent pas (à une exception près, que j’examinerai sous peu) que la question dont la Cour est actuellement saisie a déjà été analysée par les tribunaux.

[98]      Par exemple, le ministre invoque le récent arrêt de la Cour d’appel fédérale Friedman c. Canada (Revenu national), 2021 CAF 101 (Friedman), qui concernait une demande formelle faite en vertu du paragraphe 231.1(1) à laquelle le ministre avait joint un questionnaire invitant les contribuables appelants à donner des détails sur leurs biens. Les contribuables ont sollicité le contrôle judiciaire de cette demande formelle et le ministre a demandé une ordonnance leur enjoignant de se conformer à la demande. Le ministre a eu gain de cause devant la Cour fédérale, et la Cour d’appel fédérale a rejeté l’appel des contribuables (voir paragraphes 1 à 3).

[99]      Le ministre renvoie à l’arrêt Friedman parce que le questionnaire sur lequel reposait la demande formelle qu’il avait faite en vertu du paragraphe 231.1(1) visait de toute évidence à obtenir, du moins en partie, des réponses aux questions qui y étaient posées, c’est-à-dire des renseignements, par opposition à des documents (voir, p. ex, paragraphe 9). J’accepte cette interprétation des faits à l’origine de l’arrêt Friedman. Toutefois, rien ne permet de croire que la question dont la Cour est actuellement saisie, à savoir si le paragraphe 231.1(1) autorise le ministre à exiger des réponses à ses questions, a été soulevée ou débattue dans cet appel. L’arrêt Friedman ne renferme aucune analyse de cette question et ne peut donc être considéré comme appuyant la position du ministre.

[100]   Le ministre renvoie aussi à l’arrêt Redeemer et aux termes utilisés par la Cour suprême du Canada dans son interprétation de l’alinéa 231.1(1)a) qui, soutient-il, appuie sa position (aux paragraphes 13 et 24) :

Au vu même de son libellé, cette disposition vise la situation dont il est question en l’espèce. Elle autorise le ministre à examiner les « renseignements qui figurent dans les livres [de la Fondation] […] ou qui devraient y figurer ». Les renseignements en cause concernant des tiers, savoir les contribuables donateurs de la Fondation, se trouvaient dans les livres de la Fondation ou auraient dû y figurer conformément aux vastes exigences de tenue de registres établies par le par. 230(2) :

[…]

Comme nous l’avons déjà mentionné, le par. 231.1(1) est libellé en termes généraux. Il permet l’accès « aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer ». Il donne donc accès tant aux renseignements concernant des tiers que le contribuable est tenu de conserver, qu’à ceux que le contribuable n’est pas tenu de conserver, mais qui se trouvent dans ses registres. [Souligné dans l’arrêt Redeemer.]

[101]   Comme le fait valoir le ministre, dans l’arrêt Redeemer, la Cour suprême dit que le ministre a accès à des « renseignements », mais ne dit pas que, pour pouvoir en exiger la production, ces renseignements doivent être contenus dans un document. Toutefois, là encore, j’estime que cette décision ne contient aucune analyse de la question précise dont notre Cour est saisie. La Cour suprême ne dit pas que, dans la description de ce qu’une personne autorisée peut inspecter, vérifier ou examiner en vertu de l’alinéa 231.1(1)a), l’expression « renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer » n’est qu’une partie de celle, plus longue, « tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou devraient y figurer ». Et rien dans cet arrêt ne laisse croire que la question a été soulevée et débattue devant elle.

[102]   D’ailleurs, comme l’ont souligné les défendeurs lors de l’audition des présentes demandes, il ressort clairement de la décision de la Cour d’appel fédérale (Canada (Revenu national) c. Fondation Redeemer, 2006 CAF 325, [2007] 3 R.C.F. 40 (Redeemer de la CAF)), sur laquelle porte l’arrêt Redeemer, que cette question n’a pas été soulevée. Les renseignements en cause dans cette affaire consistaient en une liste de donateurs de la contribuable appelante. Dans l’arrêt Redeemer de la CAF, la Cour d’appel explique ce qui suit (au paragraphe 36) :

En vertu du paragraphe 230(2), la Fondation doit tenir certains registres pour permettre au ministre d’établir s’il existe des motifs d’annulation de son enregistrement à titre d’organisme de bienfaisance et de vérifier si les dons qui lui sont faits donnent droit à une déduction. La Fondation est expressément tenue de conserver un double de tous les reçus remis aux donateurs, avec leurs nom et adresse. (Voir le Règlement de l’impôt sur le revenu, C.R.C., ch. 945, à l’alinéa 3501(1)g).) Bref, la Fondation était tenue de par la loi de conserver les renseignements que le vérificateur de l’ARC lui a demandé de produire. Quant à la question de savoir si les renseignements étaient conservés suivant la forme requise, c.-à-d. une liste, il n’y a pas eu opposition à la demande sur ce fondement, peut-être parce qu’il est inconcevable qu’un organisme de bienfaisance ne conserve pas une liste de ses donateurs pour divers besoins liés aux collectes de fonds. [Non souligné dans l’original.]

[103]   Bien qu’il ne soit pas tout à fait évident que la liste des donateurs était un document qui existait déjà lorsque le ministre l’a exigée, il est clair que la contribuable appelante n’a pas soulevé dans cette affaire la question de l’interprétation de la loi dont la Cour est actuellement saisie dans les présentes demandes.

[104]   Comme je l’ai mentionné, le ministre invoque une seule décision à l’appui de sa position. Dans la récente décision Canada (Revenu national) c. Miller, 2021 CF 851 (Miller), ma collègue, la juge Walker, a examiné un argument semblable à celui que les défendeurs soulèvent en l’espèce. Cette décision porte sur une demande d’ordonnance enjoignant au contribuable de fournir les renseignements et documents que l’ARC avait demandés en vertu de l’article 231.1 de la Loi. Le contribuable s’est entre autres fondé sur l’arrêt Cameco pour contester l’observation du ministre selon laquelle l’alinéa 231.1(1)a) lui permettait non seulement d’avoir accès à ses livres et registres, mais aussi de lui demander des renseignements écrits concernant ces livres et registres (voir paragraphe 24). Le contribuable a souligné que, dans l’arrêt Cameco, la Cour d’appel mentionnait que le ministre pouvait poser des questions sur la provenance, l’emplacement et la tenue des livres et registres. Il a fait valoir que cet arrêt limitait à ce type de renseignements le pouvoir du ministre de poser des questions sur le fondement de l’article 231.1 (voir paragraphe 31).

[105]   La Cour a rejeté cet argument après avoir conclu qu’il ne tenait pas compte de deux éléments du raisonnement suivi dans l’arrêt Cameco. Premièrement, l’importance des mots employés par le législateur, notamment à l’alinéa 231.1(1)a) où il est question des renseignements qui devraient figurer dans les livres et registres du contribuable. Dans la décision Miller, la Cour conclut que, si les renseignements doivent figurer dans les livres et registres du contribuable, le ministre doit pouvoir y avoir accès au titre du paragraphe 231.1(1) (au paragraphe 31). Deuxièmement, l’arrêt Cameco laisse voir que la Cour d’appel s’inquiétait de la portée des questions orales que le ministre entendait poser dans cette affaire, lesquelles ne portaient pas sur des renseignements qui auraient dû figurer dans les livres et registres du contribuable (aux paragraphes 32–33).

[106]   Dans la décision Miller, la juge a ensuite appliqué son analyse d’interprétation législative aux demandes de renseignements en cause dans cette affaire, ce qui a donné des résultats différents selon que les renseignements auraient dû, ou non, figurer dans les livres et registres du contribuable. Par exemple, le ministre avait demandé les modalités de ce qui semblait être un contrat oral auquel le contribuable était partie. Jugeant que cette demande portait sur des renseignements qui auraient dû figurer dans les registres du contribuable, la Cour a conclu que les renseignements pouvaient faire l’objet d’une ordonnance (aux paragraphes 44–45). En revanche, la Cour a refusé d’ordonner la production d’un compte rendu de la façon dont la relation entre le contribuable et l’autre partie au contrat avait évolué après avoir conclu qu’il ne s’agissait pas d’un renseignement qui aurait dû figurer dans les livres et registres (au paragraphe 54).

[107]   Les défendeurs font valoir que la décision Miller a été portée en appel et que le raisonnement suivi par la juge est incompatible avec celui suivi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Cameco en ce que la juge n’analyse pas vraiment le libellé du paragraphe 231.1(1).

[108]   À mon avis, dans la décision Miller, la juge a à juste titre axé son analyse sur l’arrêt Cameco, qui est l’arrêt de principe concernant la question d’interprétation législative dont la Cour est actuellement saisie. Toutefois, et avec déférence, je ne peux souscrire à sa conclusion, à savoir que l’arrêt Cameco nous enseigne que ce qui est déterminant, c’est de savoir si les renseignements demandés par le ministre auraient dû figurer dans les livres et registres du contribuable. Comme je l’ai mentionné dans les présents motifs, l’arrêt Cameco (au paragraphe 15) renvoie à l’explication donnée dans l’arrêt BP Canada (au paragraphe 58) quant au libellé du paragraphe 231.1(1), soit qu’il englobe les documents qui se rapportent ou peuvent se rapporter aux renseignements qui figurent dans les registres du contribuable ou devraient y figurer.

[109]   L’arrêt Cameco souligne également que l’article 231.1 renvoie clairement aux « livres et registres » et aux « documents » (au paragraphe 15). Si je comprends bien les dispositions relatives à l’observation de la Loi, le sens du terme « livres et registres » découle de l’article 230, qui exige du contribuable qu’il tienne des registres et des livres de comptes, dont la forme et le contenu permettront d’établir, entre autres, le montant des impôts payables en vertu de la Loi. Le terme « document » est à son tour défini à l’article 231 et s’entend des registres, des titres et des espèces. Ainsi, le terme « document » possède un sens plus large que le terme « registre » et il englobe, du moins potentiellement, les registres visés à l’article 230 ainsi que d’autres types de document qui pourraient ne pas entrer dans cette définition.

[110]   Ce contexte étant posé, si une personne autorisée exigeait d’un contribuable qu’il produise des documents qui ne répondent pas à la définition de « livres et registres », et qu’elle invoquait le pouvoir potentiellement plus large d’exiger la production de « tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui [devraient figurer] dans les livres ou registres du contribuable », je ferais alors mien le raisonnement adopté dans Miller, à savoir qu’il est essentiel de se demander si la nature des renseignements est telle qu’ils devraient figurer dans les livres ou registres. Toutefois, s’il est nécessaire que la réponse à cette question soit affirmative, cela ne suffit pas pour justifier le recours à ce pouvoir. La personne autorisée doit également chercher à obtenir un document qui se rapporte ou peut se rapporter à ces renseignements, car il ressort clairement du libellé de l’alinéa 231.1(1)a) qu’il doit s’agir d’un document que la personne peut inspecter, vérifier ou examiner. Dans la mesure où, dans la décision Miller, la juge arrive à une conclusion différente, je dois, avec égards, refuser de suivre cette décision.

[111]   Après avoir examiné les divers arguments et les décisions qui ont été invoqués, je conclus quant au deuxième aspect de la question de l’interprétation législative que les défendeurs ont raison de soutenir que l’article 231.1 de la Loi ne permet pas au ministre de contraindre le destinataire d’une demande formelle à fournir, au moyen de réponses écrites à des questions qui lui sont posées, des renseignements de fond sur la situation fiscale d’un contribuable.

(3)  Conclusion sur l’interprétation du paragraphe 231.1(1) de la Loi

[112]   Avant de passer à la question suivante, je remarque que, dans certains cas, les défendeurs ont formulé leurs arguments sur cette question comme s’ils faisaient valoir que les requêtes sont, « de par leur caractère véritable », des demandes péremptoires. Ils soutiennent en outre que, même si elles étaient reformulées comme des demandes péremptoires, les requêtes ne seraient pas valides pour différentes raisons techniques (liées, par exemple, au pouvoir de leur auteur ou au mode de signification). À mon avis, l’analyse ne doit pas porter sur « le caractère véritable » de la requête et, s’il est déterminé qu’il s’agit en fait d’une demande péremptoire, sur la question de savoir si elle satisfait à l’article 231.2. L’analyse qu’il convient de faire est plutôt celle que je viens de faire, c’est-à-dire examiner si l’article 231.1 confère le pouvoir de faire la requête. Je souligne que je ne comprends pas que le ministre fasse valoir que, dans la mesure où il n’obtient pas gain de cause sur la question de l’interprétation législative, les requêtes pourraient être reconnues comme étant valides si on les traitait comme des demandes péremptoires. Par conséquent, dans la mesure où une requête donnée est invalide parce que, comme je l’ai conclu précédemment, elle exige la communication de renseignements ne figurant pas déjà dans un document, je n’ai pas l’intention d’examiner si, en la traitant comme une demande péremptoire fondée sur 231.2, cette requête serait valide.

[113]   Comme le révèlent les analyses et les conclusions qui précèdent, les parties ont chacune obtenu partiellement gain de cause sur la question de l’interprétation du champ d’application du paragraphe 231.1(1). Comme je l’expliquerai plus loin dans les présents motifs lorsque j’examinerai la question du « retranchement d’éléments », je conclus que, si certaines demandes formelles sont en partie valides, j’ai le pouvoir discrétionnaire d’ordonner la production des parties valides, malgré l’invalidité des autres parties. La Cour devra donc appliquer les conclusions qu’elle a tirées sur la question de l’interprétation législative à chacun des éléments des requêtes, et ainsi décider quels éléments sont valides parce qu’ils visent à obtenir des documents, et quels éléments ne sont pas valides parce qu’ils visent à obtenir des renseignements non écrits.

[114]   À la fin de l’audience, devant la possibilité que chacune des parties obtienne partiellement gain de cause sur cette question, j’ai demandé aux avocats si la Cour devait procéder ainsi, c’est-à-dire appliquer les conclusions qu’elle a tirées sur la question de l’interprétation législative à chacun des éléments contenus dans les requêtes, sans avoir reçu d’autres observations des parties. Il se peut que pour certains éléments le processus soit simple, alors que pour d’autres il le soit moins, car la question de savoir si un élément relève de la catégorie « valide » ou de la catégorie « non valide » pourrait faire débat.

[115]   L’avocate du ministre n’a pas pris position sur la façon de procéder, mais a expliqué que le ministre était disposé à présenter d’autres observations si cela pouvait aider la Cour. L’avocat des défendeurs a répondu qu’il préférait avoir la possibilité de présenter des observations. Maintenant que l’issue de l’exercice d’interprétation législative est connue, je suis d’avis qu’il convient de demander d’autres observations et que celles-ci seront utiles à la Cour. Par conséquent, lorsque j’analyserai chacune des requêtes et demandes péremptoires plus loin dans les présents motifs, je n’appliquerai pas les conclusions tirées sur la question de l’interprétation législative. À la fin des présents motifs, après avoir examiné les autres questions soumises à l’attention de la Cour, je demanderai aux parties de présenter d’autres observations afin que je puisse finalement statuer sur les présentes demandes d’ordonnance.

D.   Les personnes qui ont fait les demandes formelles étaient-elles autorisées à le faire?

[116]   Il y a lieu de faire une distinction entre ceux qui sont autorisés à faire une requête en vertu de l’article 231.1 de la Loi et ceux qui sont autorisés à faire une demande péremptoire en vertu de l’article 231.2. Le paragraphe 231.1(1) confère ce pouvoir à la « personne autorisée », que l’article 231 définit comme étant la « personne autorisée par le ministre pour l’application des articles 231.1 à 231.5 ». En revanche, l’article 231.2 confère le pouvoir au ministre lui-même, bien que le paragraphe 220(2.01) permette à celui-ci d’autoriser un fonctionnaire ou une catégorie de fonctionnaires à exercer les pouvoirs et les fonctions qui lui sont conférés en vertu de la Loi.

[117]   Les défendeurs soutiennent que la demande d’ordonnance présentée à l’égard de chacune des requêtes et demandes péremptoires en cause en l’espèce doit être rejetée parce que le ministre n’a pas démontré que cette requête ou demande péremptoire était autorisée par les dispositions susmentionnées. Essentiellement, les défendeurs soutiennent que le fardeau de la preuve à cet égard incombe au ministre et qu’il ne s’en est pas acquitté.

[118]   En réponse, le ministre s’appuie sur la présomption réfutable de validité établie dans la jurisprudence applicable. La Cour a expliqué cette présomption dans la décision Branigan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 245, alors qu’elle examinait un argument voulant qu’un rapport d’interdiction de territoire établi en vertu du paragraphe 44(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et le renvoi de l’affaire pour enquête à la Section de l’immigration en vertu du paragraphe 44(2) étaient invalides, parce qu’il n’apparaissait pas qu’ils avaient été faits par des personnes désignées par le ministre compétent ou à qui le ministre avait délégué des pouvoirs en vertu de la LIPR. Le juge Lemieux a rejeté cet argument et a conclu ce qui suit (au paragraphe 9) :

Cet argument est sans fondement en raison d’une présomption de validité et du fait que le demandeur n’a produit aucun élément de preuve pour mettre en doute le pouvoir de ces personnes qui ont délivré les documents. Il suffira de citer quelques paragraphes de ce qu’a déclaré le juge Létourneau dans l’arrêt Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c. W[ie]mer, [1998] A.C.F. 809 (C.A.) :

12.     La demande de partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension de Mme Kukat a été autorisée sur la formule officielle de la Division des gains non ajustés ouvrant droit à pension du Régime de pension du Canada (les droits à pension) par la signature de M. Ali apposée dans une case réservée à l’usage de l’administration sous la rubrique « signature autorisée ». Comme l’a déclaré le juge Walsh dans Kightley c. Registraire des marques de commerce et al. [(1982), 65 C.P.R. (2d) 36, p. 42, (C.F. 1re inst.)], « [i]l faudrait certes que la personne signant une lettre supposément pour le compte d’un fonctionnaire supérieur fasse montre d’une grande témérité et d’une grande irresponsabilité si elle n’avait pas l’autorisation requise pour agir ainsi ». [Non souligné dans l’original.]

13.     La réalité est qu’une personne qui signe ou prétend signer au nom d’un fonctionnaire supérieur d’un ministère jouit d’une présomption suivant laquelle elle détient le pouvoir qu’elle prétend exercer tant que cette présomption n’est pas réfutée [(Ali c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 C.F. 185 p. 188 à 189 (C.A.F.); Molson Companies Ltd. c. John Labatt Ltd. et al. (1984), 1 C.P.R. (3d) 329, p. 334 (C.F. 1re inst.))].

14.     L’intimé n’a fourni aucune preuve susceptible de semer le moindre doute quant à la capacité du signataire d’approuver la demande et susceptible de réfuter sinon d’ébranler suffisamment la présomption de validité rattachée à la signature d’un document officiel de façon à déplacer le fardeau de la preuve et à obliger les représentants du gouvernement à prouver que la signature est valide et que le pouvoir en a été dévolu au signataire conformément à la Loi. De simples spéculations ou allégations non fondées de la part de l’intimé ne sont pas suffisantes pour repousser la présomption de pouvoir créée en vertu du paragraphe 24(2) de la Loi d’interprétation et la présomption de validité rattachée à la signature.

[119]   Dans le même ordre d’idées, dans la décision plus récente Lim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 871, le juge Gleeson s’est lui aussi fondé sur l’arrêt Canada (ministre du Développement des Ressources humaines) c. Wiemer, [1998] A.C.F. no 809 (QL) (C.A.) (Wiemer) pour reconnaître que la personne qui exerce un pouvoir bénéficie de la forte présomption qu’elle est dûment autorisée à agir tant que cette présomption n’est pas réfutée par une preuve convaincante tendant à établir qu’elle ne dispose pas en fait de l’autorisation requise (au paragraphe 22).

[120]   Je conclus que le fardeau de la preuve à cet égard n’incombe pas au ministre, du moins pas si les défendeurs ne présentent aucune preuve visant à contester le pouvoir de ceux qui ont envoyé les requêtes et les demandes péremptoires. Pour reprendre les termes de la Cour d’appel dans l’arrêt Wiemer, la position des défendeurs équivaut à des spéculations ou à des allégations non fondées qui ne sont pas suffisantes pour repousser la présomption de pouvoir et de validité dont jouit le ministre.

[121]   Je souligne que, s’agissant des demandes péremptoires et de la délégation du pouvoir conféré au ministre par l’article 231.2 de la Loi, le ministre s’appuie aussi sur ce qu’il décrit comme étant la matrice de délégation de l’ARC, qui figure dans le recueil de sources qu’il a déposé. Le ministre souligne que, sous la rubrique « paragraphe 231.2(1) », la matrice de délégation mentionne certains postes, dont celui de gestionnaire, division de la vérification, ce qui est important puisque toutes les demandes péremptoires en cause en l’espèce ont été envoyées par une personne du nom de John Harasymchuk, qui porte le titre de gestionnaire, division de la vérification.

[122]   Les défendeurs s’opposent à ce que le ministre s’appuie sur la matrice de délégation; ils soutiennent qu’il ne s’agit pas d’un texte réglementaire qui peut faire partie d’un recueil de sources sans autre preuve. Ils soutiennent que, si le ministre voulait s’appuyer sur cette matrice, il devait la verser au dossier en la joignant en pièce à un affidavit. Le ministre conteste cette position et affirme que les délégations mentionnées dans la matrice sont autorisées par la Loi et que le public peut consulter cette matrice sur le site Web de l’ARC.

[123]   J’estime que les arguments des défendeurs à ce sujet sont quelque peu incohérents, car dans leurs observations écrites, les défendeurs tentent de s’appuyer sur ce qui semble être un extrait de la matrice de délégation tiré du site Web de l’ARC. Ils font valoir que le site Web indique que le ministre n’a autorisé que certaines catégories de personnes aux fins de l’article 231.1, et que toutes ces personnes exercent des fonctions de directeur général, de directeur ou de directeur adjoint. Le ministre a réfuté cet argument de façon convaincante. Il a expliqué que cette partie de la matrice de délégation ne désigne pas les postes dont les occupants ont le pouvoir de faire des demandes formelles en vertu de l’article 231.1, mais plutôt les postes aux occupants desquels il a délégué le pouvoir d’autoriser des personnes à faire de telles demandes.

[124]   Cela dit, comme le ministre n’a présenté aucun argument juridique plus convaincant qui permettrait d’affirmer que la Cour peut considérer la matrice de délégation comme un texte législatif, je suis en principe d’accord avec les défendeurs pour dire que la bonne façon de soumettre ces renseignements à la Cour, s’ils sont nécessaires pour statuer sur un point en litige, c’est de les présenter en preuve. Toutefois, pour les besoins des présentes demandes, je donne raison au ministre sur cette question sans qu’il ait à se fonder sur la matrice de délégation. Les défendeurs n’ont présenté aucune preuve ni aucun argument valable visant à contester le pouvoir des personnes à l’origine des requêtes ou des demandes péremptoires de sorte que le ministre bénéficie de la présomption de validité. Je conclus donc que les personnes qui ont envoyé les demandes formelles avaient le pouvoir de le faire. Compte tenu de la portée de cette conclusion, il ne sera pas nécessaire que je revienne sur la question lorsque j’examinerai chacune des demandes formelles plus loin dans les présents motifs.

E.    Les défendeurs ont-ils dûment reçu avis des demandes formelles?

[125]   Les défendeurs soutiennent, en particulier en ce qui concerne les demandes péremptoires en cause en l’espèce, mais aussi en ce qui concerne les requêtes, que ces demandes ne leur ont pas été communiquées au moyen d’un avis approprié. Le paragraphe 231.2(1) dispose expressément que l’avis de demande péremptoire doit être signifié à personne, ou envoyé par courrier recommandé ou certifié. Les défendeurs font valoir qu’il incombe au ministre de présenter des éléments de preuve établissant que l’avis a été dûment signifié et qu’il ne s’est pas acquitté de ce fardeau. Le paragraphe 231.1(1) ne prévoit aucun moyen particulier de donner avis d’une requête à son destinataire. Toutefois, les défendeurs font à nouveau valoir que les moyens employés par le ministre n’étaient pas adéquats.

[126]   Quant aux demandes péremptoires, le ministre soutient que celles qui sont visées par les six demandes d’ordonnance ont été envoyées au défendeur concerné par courrier recommandé, un moyen prévu à l’article 231.2. Le ministre s’appuie sur le témoignage donné par M. Bowe dans chaque demande pour établir que les demandes ont ainsi été envoyées. En réponse, les défendeurs s’appuient en particulier sur le paragraphe 244(5) de la Loi, qui prévoit ce qui suit au sujet de la preuve de signification par la poste :

244 (1) […]

Preuve de signification par poste

(5) Lorsque la présente loi ou son règlement prévoit l’envoi par la poste d’une demande de renseignements, d’un avis ou d’une demande formelle, un affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada, souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à recevoir les affidavits, indiquant qu’il est au courant des faits de l’espèce, que la demande, l’avis ou la demande formelle en question a été adressée, par lettre recommandée, à une date indiquée, à la personne à qui elle a été adressée (fournissant cette adresse) et qu’il identifie comme pièces attachées à l’affidavit, le certificat de recommandation de la lettre fourni par le bureau de poste ou une copie conforme de la partie pertinente du certificat et une copie conforme de la demande, de l’avis ou de la demande formelle, doit être reçu comme preuve, sauf preuve contraire, de l’envoi ainsi que de la demande, de l’avis ou de la demande formelle.

[127]   Les défendeurs soutiennent que le paragraphe 244(5) doit impérativement être respecté, c’est-à-dire que le ministre peut seulement prouver par affidavit que la signification a été faite par courrier recommandé pour ce qui est des demandes péremptoires envoyées en vertu du paragraphe 231.2(1). Ils soutiennent que, dans la mesure où l’affidavit de M. Bowe ne respecte pas le paragraphe 244(5), notamment parce que le certificat de recommandation de la lettre fourni par le bureau de poste n’y est pas joint comme pièce, le ministre ne s’est pas acquitté de son fardeau de prouver qu’il y a eu signification et l’ordonnance demandée à l’égard de la demande péremptoire en cause ne saurait être rendue.

[128]   En réponse, le ministre renvoie la Cour à la décision Boroumend c. La Reine, 2016 CCI 256, dans laquelle la Cour canadienne de l’impôt a non seulement dit du paragraphe 244(5) qu’il établit un mécanisme simple par lequel le ministre peut prouver l’envoi par courrier recommandé (au paragraphe 8), mais aussi que ce n’est pas parce que le ministre ne possède pas l’élément de preuve lui permettant de s’appuyer sur le paragraphe 244(5) qu’il ne peut pas avoir gain de cause. Cela signifie plutôt que le ministre doit recourir à un autre moyen pour prouver, selon la prépondérance des probabilités, que l’avis pertinent a été posté (au paragraphe 10).

[129]   À l’appui de leur position, les défendeurs invoquent la décision Luxury Home Landscape Construction Inc. c. La Reine, 2021 CCI 4 (Luxury Home), où, au paragraphe 24, le juge Russell de la Cour canadienne de l’impôt s’intéresse à la tentative faite par le ministre pour prouver par affidavit la signification d’un avis de confirmation relatif à une cotisation de taxe d’accise. Cet affidavit ne respectait pas les exigences de la disposition de la LTA (paragraphe 355(1)) qui est analogue au paragraphe 244(5), car le certificat de recommandation du bureau de poste n’y était pas joint. La cour a confirmé que le moyen prévu par cette disposition n’était pas le seul qui permettait d’établir que l’avis pertinent avait été envoyé par courrier recommandé et elle a ajouté que le ministre aurait pu produire le témoignage de vive voix fondé sur la connaissance personnelle d’un ou de plusieurs témoins. Toutefois, comme le ministre avait choisi de présenter la preuve requise par voie d’affidavit, la cour a conclu que le paragraphe 335(1) s’appliquait, car il précise les conditions auxquelles le législateur entend assujettir la preuve par affidavit qu’un avis a été envoyé par courrier recommandé (au paragraphe 24).

[130]   Les défendeurs soutiennent donc que, comme le ministre cherche à se fonder sur une preuve par affidavit pour démontrer que les demandes péremptoires visées par les demandes d’ordonnance dont je suis saisi ont été signifiées, cette preuve n’est pas suffisante à moins qu’elle ne respecte le paragraphe 244(5). Toutefois, je conviens avec le ministre que l’analyse contenue dans la décision Luxury Home doit être considérée en fonction du contexte et de la question dont la Cour canadienne de l’impôt était saisie dans cette affaire. Cette décision portait sur une requête visant à faire annuler un avis d’appel au motif qu’il avait été déposé hors délai. La date à laquelle l’ARC avait envoyé l’avis de confirmation à la contribuable était la date à laquelle le délai d’appel commençait à courir et était donc essentielle pour l’issue de la question dont la cour était saisie.

[131]   Après avoir mentionné que le paragraphe 335(1) précise les conditions auxquelles le législateur entend assujettir la preuve par affidavit qu’un avis a été envoyé par courrier recommandé, le juge Russell a souligné que cette preuve était importante parce que la date d’« envoi » marque le point de départ du délai d’appel (au paragraphe 24). La contribuable avait établi qu’elle n’avait jamais reçu l’avis de confirmation de l’ARC. De plus, l’affidavit déposé par l’agente d’appel de l’ARC qui était chargée du dossier comprenait des communications échangées avec Postes Canada afin de savoir ce qu’il était advenu de la lettre recommandée. Il n’est donc pas surprenant qu’au moment de rejeter la requête en annulation de l’avis d’appel présentée par le ministre, la cour se soit dite préoccupée par le fait que le certificat de recommandation du bureau de poste n’ait pas été joint à l’affidavit de l’ARC comme l’exige le paragraphe 335(1) de la LTA.

[132]   Ce contexte factuel étant défini, je ne crois pas que la décision Luxury Home pose comme principe général que, si le ministre choisit de prouver la signification d’une demande péremptoire par voie d’affidavit, cette preuve sera invariablement insuffisante si elle ne respecte pas le paragraphe 244(5) de la Loi, peu importe la question et les autres éléments de preuve soumis à la cour. À mon avis, il faut plutôt examiner les éléments de preuve sur lesquels le ministre s’appuie dans les présentes demandes d’ordonnance tout en tenant compte de l’argument soulevé par les défendeurs, à savoir que les demandes doivent être rejetées à cause d’un problème de signification.

[133]   Je souscris à l’observation des défendeurs selon laquelle, dans une demande d’ordonnance, qu’elle vise une requête ou une demande péremptoire, c’est au ministre que devrait incomber le fardeau de prouver que la demande formelle pertinente a été signifiée. Comme je l’ai déjà mentionné dans les présents motifs, l’existence d’une obligation imposée par les articles 231.1 ou 231.2 fait partie des conditions prévues par la Loi. Cette obligation n’existe que si le destinataire a été avisé de la demande formelle.

[134]   Je rappelle que le ministre s’appuie sur le témoignage de M. Bowe pour prouver la signification des requêtes et des demandes péremptoires visées par les six demandes d’ordonnance. S’agissant des requêtes, les modes de signification invoqués par le ministre varient quelque peu selon les demandes d’ordonnance. C’est pourquoi je traiterai de la question de la signification des requêtes plus loin dans les présents motifs, soit lorsque j’examinerai les autres questions que soulève chacune des présentes demandes d’ordonnance et des demandes formelles. Par contre, en ce qui concerne les demandes péremptoires, le ministre invoque la signification par courrier recommandé dans toutes les demandes d’ordonnance, et le témoignage de M. Bowe est relativement cohérent dans chacune d’elles. Il est donc opportun que je traite à ce stade-ci de la question de la signification des demandes péremptoires.

[135]   Dans chaque demande d’ordonnance, et relativement à chaque demande péremptoire visée, M. Bowe jure dans son affidavit que l’ARC a envoyé la demande péremptoire au défendeur concerné par courrier recommandé; il donne la date de la demande péremptoire et en joint une copie comme pièce. Les défendeurs ont contre-interrogé M. Bowe dans chacune des demandes et, dans certains cas, ils ont insisté sur ce qu’il savait de la signification par l’ARC des demandes péremptoires en cause. Par exemple, comme l’ont souligné les deux parties à l’audience, l’avocat des défendeurs a contre-interrogé M. Bowe relativement au dossier T-261-19 (Raphael Ghermezian) sur ce qu’il savait des deux demandes péremptoires en cause dans ce dossier, lesquelles portent les numéros A-RUST-0103 et A-GDT-0101.

[136]   En ce qui concerne le document numéro A-RUST-0103, M. Bowe a confirmé qu’il n’avait pas vu le document quitter la salle de courrier de l’ARC ou être acheminé à Postes Canada, c’est-à-dire qu’il n’avait pas été témoin de l’envoi physique de la lettre. Toutefois, il a également déclaré que le document A-RUST-0103 avait été envoyé par courrier recommandé, livré le 24 janvier 2019, et accepté à ce qu’il a appelé le « siège de Triple Five » à l’adresse figurant sur la copie de la demande péremptoire jointe comme pièce à son affidavit (c.-à-d. au 8882, 170e rue, bureau 3000, Edmonton (Alberta), T5T 4M2 (l’adresse d’Edmonton)). Il a également déclaré qu’il y avait, dans le dossier de vérification, une confirmation de courrier recommandé et le formulaire d’envoi de courrier, bien qu’il ait reconnu que ces documents n’étaient pas joints à son affidavit.

[137]   Lorsqu’on lui a fait valoir qu’il ne savait pas avec certitude si le courrier recommandé avait été livré à Raphael Ghermezian ou signé par lui, M. Bowe a affirmé que les initiales figurant sur le bordereau de livraison du courrier recommandé étaient « R.G. » (celles de Raphael Ghermezian), bien qu’il ait reconnu n’avoir aucune confirmation que R.G. était bien M. Ghermezian.

[138]   Lorsqu’on l’a questionné sur sa connaissance personnelle de l’envoi par la poste du document A-RUST-0103, M. Bowe a répondu que son employé étudiant avait envoyé la lettre à la salle de courrier avec un bordereau d’envoi de courrier recommandé. Il a expliqué qu’en tant que superviseur de l’employé en question, il avait une connaissance personnelle de ce qui s’était passé dans le dossier de vérification, mais qu’il n’avait pas personnellement expédié le document de la salle du courrier.

[139]   Lorsqu’on lui a demandé s’il savait si M. Ghermezian avait reçu le courrier recommandé, M. Bowe a répondu qu’il croyait que M. Ghermezian l’avait reçu parce qu’il avait par la suite déposé une demande de contrôle judiciaire relativement au document A-RUST-0103.

[140]   Je souligne que, lors du réinterrogatoire sur le document A-RUST-0103, l’avocate du ministre a demandé à M. Bowe si lui ou l’ARC avait reçu une confirmation du courrier recommandé et elle a demandé à produire en preuve un document censé être une confirmation de livraison du document A-RUST-0103. L’avocat du défendeur s’est opposé à ces questions au motif qu’elles ne convenaient pas à un réinterrogatoire, et la confirmation de livraison a été inscrite comme pièce étant donné que la Cour sera appelée à se prononcer sur l’objection lors de l’audition des demandes. J’y reviendrai sous peu.

[141]   L’avocat du défendeur a également contre-interrogé M. Bowe sur ce qu’il savait de la signification de la demande péremptoire numéro A-GDT-0101. M. Bowe a déclaré qu’un de ses employés avait préparé un bordereau d’envoi qui avait été acheminé à son bureau et que l’on avait ensuite glissé dans la fente du courrier de départ avant qu’il n’arrive à la salle de courrier, où un bordereau d’envoi recommandé avait été préparé. M. Bowe a expliqué que la copie du document A-GDT-0101 jointe comme pièce à son affidavit comprend une copie du bordereau de courrier ainsi que la confirmation de livraison de Postes Canada.

[142]   Lorsqu’on lui a demandé s’il savait si Raphael Ghermezian avait reçu le document A-GDT-0101 par courrier recommandé, M. Bowe a expliqué qu’il croyait que M. Ghermezian l’avait reçu parce qu’il avait déposé une demande de contrôle judiciaire de la demande péremptoire, le 28 novembre 2018. Il a toutefois confirmé qu’il n’avait pas une connaissance personnelle de la livraison, ou non, du courrier recommandé à M. Ghermezian le ou vers le 30 octobre 2018.

[143]   Quant à l’objection susmentionnée, je conviens avec le défendeur que le ministre ne pouvait pas présenter en preuve la confirmation de livraison du document A-RUST-0103 lors du réinterrogatoire de M. Bowe. Je comprends que le réinterrogatoire peut servir à clarifier la preuve produite en contre-interrogatoire et, dans certaines circonstances, à y répondre. La question a bel et bien été soulevée en contre-interrogatoire, car M. Bowe a parlé de la confirmation de livraison et du fait qu’il ne l’avait pas jointe à son affidavit. Or, le réinterrogatoire ne saurait être considéré comme un exercice de clarification, et une partie ne saurait profiter de cette occasion pour étayer sa preuve en présentant des éléments qu’elle aurait pu produire, et dont elle aurait pu prévoir qu’ils seraient nécessaires, dans sa preuve principale. M. Bowe a affirmé en contre-interrogatoire qu’il avait par inadvertance omis de joindre ce document à son affidavit. Il est clair que ce document aurait pu être inclus dans sa preuve principale, et la production de ce document en réinterrogatoire prive le défendeur de la possibilité de contre-interroger le témoin sur le sujet.

[144]   Je conclus donc que la confirmation de livraison du document A-RUST-0103, actuellement jointe à la transcription du contre-interrogatoire de M. Bowe dans le dossier T-261-19 en tant que version longue de la pièce « O » jointe à son affidavit, ne devrait pas faire partie du dossier de cette demande.

[145]   Cependant, cette conclusion n’a guère d’importance. Lors de son contre-interrogatoire, M. Bowe a attesté l’existence de la confirmation de livraison et cet élément de preuve a encore une certaine valeur probante. Il ne s’agit pas d’un cas où le défendeur conteste cet élément, et M. Ghermezian n’a pas non plus fait valoir qu’il n’avait pas reçu le document A-RUST-0103 ou présenté une preuve en ce sens. En fait, je ne comprends pas que les défendeurs, dans l’une ou l’autre des demandes d’ordonnance, affirment ne pas avoir reçu les demandes péremptoires alors qu’elles ont été envoyées par l’ARC, comme M. Bowe le déclare dans ses affidavits. Certes, les défendeurs n’ont pas souscrit d’affidavits à cet égard. Ils soutiennent plutôt que le témoignage de M. Bowe ne permet pas de prouver formellement que les demandes péremptoires ont été envoyées par courrier recommandé au moment où elles sont censées l’avoir été au vu des documents joints à son affidavit.

[146]   Dans ce contexte, j’ai examiné le témoignage de M. Bowe et j’estime qu’il permet de satisfaire au fardeau de preuve qui incombe au ministre. En clair, j’estime que la preuve est faible, non seulement parce que les confirmations d’envoi par courrier recommandé n’étaient pas toujours jointes aux affidavits de M. Bowe, contrairement à ce que requiert le paragraphe 244(5) de la Loi, mais aussi parce que M. Bowe n’a pas participé directement au processus d’envoi et qu’il n’a pas donné de détails sur le processus suivi par l’ARC à cet égard. J’ai expliqué plus tôt que l’absence de connaissance directe de M. Bowe pourrait influer sur le poids à accorder à certains aspects de son témoignage, surtout dans le contexte d’une preuve contradictoire convaincante ou d’une contestation utile de son témoignage par le biais du contre-interrogatoire. Or, en ce qui concerne la question de la signification, il n’y a eu aucune preuve contradictoire ou contestation utile du témoignage de M. Bowe. Par conséquent, malgré ses lacunes, ce témoignage suffit pour que le ministre s’acquitte du fardeau qui lui incombe.

[147]   Cette conclusion s’applique à toutes les demandes péremptoires en cause dans les six demandes d’ordonnance. La preuve n’est pas la même pour l’ensemble des demandes d’ordonnance et des demandes péremptoires. Par exemple, j’ai déjà mentionné que, pour certaines demandes péremptoires, la preuve par affidavit de M. Bowe est quelque peu renforcée par la confirmation de livraison qui y est jointe ou dont M. Bowe fait mention. De plus, en ce qui concerne chacune des demandes péremptoires, le défendeur concerné a présenté une demande de contrôle judiciaire dans le délai de 30 jours prescrit. Cela ne permet pas de prouver la date précise de l’envoi ou de la réception de la demande péremptoire, mais l’introduction d’une demande de contrôle judiciaire laisse croire que le ministre a bel et bien fait signifier au défendeur, par avis, la demande péremptoire en cause. Toutefois, j’estime que, même sans ces éléments de preuve, et faute d’une preuve contradictoire présentée par les défendeurs, les affidavits attestant que l’ARC a fait signifier les demandes péremptoires par courrier recommandé permettent au ministre de s’acquitter de son fardeau.

[148]   Comme je l’ai mentionné, je reviendrai plus loin dans les présents motifs sur le caractère suffisant de la preuve visant à démontrer comment l’ARC a avisé les défendeurs des requêtes.

F.    Les demandes formelles accordaient-elles un délai raisonnable pour s’y conformer?

[149]   Les défendeurs soutiennent que le ministre a le fardeau d’établir que le délai accordé au destinataire d’une demande péremptoire pour qu’il s’y conforme était raisonnable. S’agissant des demandes péremptoires visées par les demandes d’ordonnance, les défendeurs soutiennent que le ministre ne s’est pas acquitté de ce fardeau et que les délais prévus n’étaient pas raisonnables.

[150]   La question de l’avis raisonnable découle du libellé du paragraphe 231.2(1), qui exige que le destinataire de l’avis prévu dans cette disposition fournisse les renseignements ou les documents demandés « […] dans le délai raisonnable que précise l’avis […] ».

[151]   Les défendeurs renvoient à l’affaire R. v. MacDonald, 2005 BCPC 398 (CanLII) (MacDonald), dans laquelle la Cour provinciale de la Colombie-Britannique était appelée à se prononcer sur une poursuite intentée au titre du paragraphe 238(1) de la Loi parce que le défendeur avait omis de produire les renseignements exigés en vertu de l’article 231.2. Le défendeur avait notamment fait valoir que le délai de 30 jours que lui accordait la demande péremptoire faite au titre de l’article 231.2 n’était pas un délai raisonnable compte tenu de la quantité de documents exigés. La cour a conclu qu’il incombait à la Couronne de démontrer que le délai était raisonnable, laquelle raisonnabilité dépendait des circonstances pertinentes, notamment de la nature des documents ou des renseignements demandés, de leur nombre, et de la ou des personnes qui en avaient la possession (au paragraphe 31). Faute de preuve par la Couronne que la période de 30 jours était raisonnable, et se fondant sur un examen objectif de la nature et de la quantité de documents exigés, la cour a conclu que le délai n’était pas raisonnable et elle a acquitté le défendeur (aux paragraphes 34 et 36).

[152]   Toutefois, je souscris à l’argument du ministre selon lequel la décision MacDonald ne reflète plus l’état actuel du droit, car elle a été infirmée par la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt R. v. Sedhu, 2015 BCCA 92 (CanLII) (Sedhu). La Cour d’appel (au paragraphe 21) a souligné que, selon la décision MacDonald, le caractère raisonnable du délai prévu pour se conformer à une demande était un élément de l’actus reus de l’infraction, mais elle a rejeté cette idée et celle selon laquelle la Couronne avait le fardeau de la preuve sur cette question (aux paragraphes 36–37).

[153]   Je remarque que les défendeurs invoquent également l’arrêt Sedhu, mais pour appuyer la proposition selon laquelle, si le délai prévu dans une demande péremptoire n’est pas objectivement raisonnable, le contribuable n’est même pas tenu de tenter de s’y conformer. À mon avis, cette proposition est troublante, surtout lorsqu’on l’examine dans le contexte de la position des défendeurs sur le fardeau de la preuve et les délais prescrits en l’espèce. Les défendeurs soutiennent que les délais de 30 jours étaient déraisonnables. Toutefois, ils invoquent cet argument des années après avoir reçu signification des demandes péremptoires. Ils soutiennent que, lorsqu’il signifie une demande péremptoire, le ministre doit évaluer le temps nécessaire pour s’y conformer et accorder au destinataire un délai objectivement raisonnable pour y répondre, compte tenu de l’ampleur et du contenu de la demande, ainsi que des circonstances dont le ministre a alors connaissance. Je ne conteste pas cette interprétation, qui est conforme aux conclusions de l’arrêt Sedhu (au paragraphe 33). Toutefois, il s’ensuit de cette position générale des défendeurs que, même si ces derniers ne présentaient aucune preuve par affidavit expliquant pourquoi le nombre de jours ou de semaines accordé pour se conformer aux demandes péremptoires était déraisonnable, le ministre pourrait ne pas pouvoir les contraindre à s’y conformer même des années après leur avoir fait signifier.

[154]   Je ne pense pas que l’arrêt Sedhu appuie cette position. Tout comme la décision MacDonald, cet arrêt porte sur une poursuite pour défaut de se conformer à des demandes péremptoires envoyées en vertu de l’article 231.2 de la Loi et de la disposition analogue de la LTA. Les défendeurs s’appuient sur le passage souligné de l’extrait suivant tiré de l’arrêt Sedhu, où la Cour d’appel explique ce que les défendeurs peuvent opposer en défense en réponse à une poursuite (au paragraphe 28) :

[traduction]

Deuxièmement, à cause de la façon dont ils sont libellés, le paragraphe 231.2(1) de la LIR [Loi de l’impôt sur le revenu] et le paragraphe 289(1) de la LTA peuvent être interprétés comme accordant un moyen de défense à ceux qui peuvent établir que le délai prévu pour se conformer à une demande péremptoire n’est pas objectivement raisonnable (compte tenu, par exemple, des questions posées par le juge Stromberg-Stein de la Cour provinciale dans l’affaire Tait) qu’ils aient fait ou non de leur mieux pour s’y conformer. S’il n’était pas fait mention d’un « délai raisonnable » dans les lois, les défendeurs pourraient bien sûr se prévaloir de la défense de diligence raisonnable, mais ils devraient produire une preuve de diligence. [Souligné par les défendeurs.]

[155]   Ces mots doivent être lus à la lumière d’une autre analyse contenue dans la décision (aux paragraphes 33, 36–37) :

[traduction]

Dans leur sens grammatical et ordinaire, les mots employés dans ces lois permettent de conclure que le législateur oblige le ministre, lorsqu’il fait une demande formelle, à prévoir un délai raisonnable pour s’y conformer. L’infraction que décrit la loi n’est pas celle de ne pas avoir obtempéré à une demande formelle dans un délai raisonnable (même si c’était le cas relativement à l’un des avis examinés dans l’affaire Richardson, dans lequel le ministre n’avait précisé aucun délai pour s’y conformer), mais plutôt celle de ne pas avoir obtempéré à la demande formelle. La loi ne dit pas que la personne doit se conformer à l’avis qui prévoit un délai raisonnable pour ce faire, mais plutôt qu’elle doit se conformer dans le délai précisé dans l’avis. Elle ne dit pas que la personne a droit à un délai raisonnable pour répondre à l’avis.

[…]

À mon avis, le législateur n’avait pas non plus l’intention d’obliger la Couronne à établir le caractère raisonnable objectif de la demande formelle comme élément de l’actus reus. Il est dans l’esprit de la loi que le ministre ait prévu un délai objectivement raisonnable eu égard aux renseignements dont il disposait au moment de faire signifier l’avis. Selon moi, le législateur ne peut avoir eu l’intention d’exiger, dans chaque cas, une preuve de la façon dont ce délai a été déterminé, ou encore une preuve établissant hors de tout doute raisonnable que le délai imparti était raisonnable au moment où l’avis a été envoyé. Sinon, il aurait exprimé cette intention en employant le terme « caractère raisonnable » dans les dispositions créant les infractions ou en mentionnant expressément dans les Lois les facteurs à prendre en considération dans l’évaluation du caractère raisonnable du délai imposé, comme ceux énumérés aux articles 25.1 et 34 du Code criminel.

Pour ces motifs, je souscris à la conclusion tirée par le juge d’appel des poursuites sommaires, soit que les déclarations de culpabilité fondées sur le paragraphe 231.2(1) de la LIR et l’article 289 de la LTA doivent reposer sur une preuve hors de tout doute raisonnable établissant l’identité de la personne, la compétence, la signification de l’avis et le non-respect de l’avis. Une fois ces éléments établis par la preuve, l’accusé doit avoir la possibilité de faire preuve d’une diligence raisonnable, de démontrer que le délai imparti était déraisonnable ou que la demande n’a pas été faite pour des fins liées à l’application ou à l’exécution de la loi.

[156]   À mon avis, ces passages montrent clairement que, si les défendeurs veulent faire valoir que le délai accordé pour se conformer aux demandes péremptoires était objectivement ou subjectivement déraisonnable, c’est à eux qu’il incombe de le prouver.

[157]   À l’appui de leur position selon laquelle les délais impartis pour se conformer aux demandes péremptoires visées par les diverses demandes d’ordonnance étaient déraisonnables, les défendeurs invoquent entre autres le fait que M. Bowe n’a pas pu expliquer en contre-interrogatoire les facteurs ayant servi à établir ces délais. Puisque c’est aux défendeurs qu’incombe le fardeau de la preuve à cet égard, j’estime que cet argument n’est pas convaincant.

[158]   Qui plus est, aucun des défendeurs n’a présenté de preuve pour étayer sa position. Les défendeurs se fondent sur la nature des renseignements et des documents demandés dans les diverses demandes péremptoires, sur les inférences qui pourraient être tirées quant à la quantité de documents et renseignements en cause, ainsi que sur le fait que, dans certains cas, plusieurs demandes péremptoires visent la même période. Ce contexte étant défini, les défendeurs attirent l’attention de la Cour sur des décisions qui établissent un délai précis pour la production de certains renseignements et documents (voir, p. ex., Lee, infirmant Canada (Revenu national) c. Lee, 2015 CF 634; Canada (Revenu national) c. 2276230 Ontario Inc., 2021 CF 242; R v. Tait, [1992] B.C.J. no 2693 (QL) (C.P.)).

[159]   Je ne vois guère en quoi ces décisions sont utiles, puisqu’elles reposent nécessairement sur des faits qui leur sont propres et que la plupart d’entre elles ne portent pas vraiment sur la question dont la Cour est actuellement saisie. Je ne suis pas en désaccord avec l’observation des défendeurs selon qui plusieurs des demandes péremptoires semblent à première vue viser une grande quantité de documents et de renseignements. Toutefois, la preuve ne permet pas à la Cour d’avoir une idée précise de la quantité de documents et renseignements demandés ou, plus important encore, de comprendre ce que réunir ces documents et renseignements représente en termes de difficulté ou de temps. Il se peut que la tâche soit très importante ou, comme le soutient hypothétiquement l’avocate du ministre, que les renseignements se trouvent déjà sur une clé USB. Le fait est que les défendeurs ont les réponses à ces questions, mais n’ont produit aucune preuve à ce sujet. Comme c’est à eux qu’incombe le fardeau de la preuve sur cette question, je ne vois aucune raison de conclure que les délais précisés dans les demandes péremptoires sont déraisonnables.

[160]   Le paragraphe 231.2(1), la disposition sur laquelle repose l’argument des défendeurs, s’applique expressément et exclusivement aux demandes péremptoires. Or, dans la mesure où les défendeurs soutiennent encore là que les délais accordés pour répondre à ces demandes étaient déraisonnables, l’analyse et la conclusion qui précèdent s’appliquent encore une fois.

G.   Les demandes formelles concernent-elles une ou plusieurs personnes non désignées nommément, ce qui obligerait le ministre à demander au préalable une autorisation judiciaire au titre du paragraphe 231.2(3) de la Loi?

[161]   Le pouvoir de faire une demande péremptoire que confère au ministre le paragraphe 231.2(1) est assujetti au paragraphe (2). Les paragraphes (2) et (3), qui concernent les « personnes non désignées nommément », sont rédigés ainsi :

Personnes non désignées nommément

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

Autorisation judiciaire

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou la production de documents prévues au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

[162]   Donc, lorsque les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément entrent en jeu, le ministre doit, avant de faire une demande péremptoire au titre du paragraphe 231.2(1), demander l’autorisation de la Cour fédérale conformément au paragraphe 231.2(3), qui prescrit le critère que celle-ci doit appliquer lorsqu’elle examine une telle demande.

[163]   Les défendeurs soutiennent que certaines demandes d’ordonnance concernent des demandes péremptoires auxquelles s’appliquent les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément. Ils font valoir que le ministre n’a pas demandé l’autorisation judiciaire requise par le paragraphe 231.2(3) en ce qui concerne ces demandes péremptoires, si bien qu’elles sont invalides. Le bien-fondé de cet argument ne peut être évalué qu’en fonction de la demande péremptoire à l’égard de laquelle il est soulevé. Toutefois, et avant toute chose, il est utile de rappeler à ce stade-ci certaines règles jurisprudentielles générales qui orienteront cette analyse.

[164]   Comme les défendeurs l’ont souligné dans les observations écrites qu’ils ont déposées dans les dossiers T-259-19 (Paul Ghermezian) et T-262-19 (Joshua Ghermezian), la Cour a examiné, dans la décision Ghermezian, les principes applicables aux dispositions relatives aux personnes non désignées nommément et elle a cité, pour situer le contexte (au paragraphe 31), l’explication suivante donnée par le juge Roy dans la décision Canada (Revenu national) c. Hydro-Québec, 2018 CF 622, [2018] 4 R.C.F. F-15 (Hydro-Québec) quant à l’objet de ces dispositions (au paragraphe 68) :

C’est l’évidence même à l’examen du contexte où se situent les paragraphes 231.2 (2) et (3) que le législateur a voulu limiter la portée des pouvoirs par ailleurs très vastes de la ministre. L’objet de la disposition est de limiter la portée des demandes de renseignements qui peuvent être faites. Ainsi, la crainte d’abus qui aurait généré la jurisprudence de Canadian Bank of Commerce, Richardson, McKinlay et Jarvis se manifeste dans l’obligation de l’intervention judiciaire dans le cas où on ne peut identifier nommément les cibles. Le législateur veut protéger les personnes non désignées nommément ex ante, pour ainsi éviter les invasions indues et non pas d’y remédier par la suite. La protection que le législateur veut conférer est tributaire d’une demande faite pour l’application ou l’exécution de la loi, ce que la jurisprudence avait interprété comme requérant une enquête véritable et sérieuse dans le cas de personnes déterminées de jadis, mais surtout, dans le cas de personnes qui ne peuvent même pas être nommées, qu’elles soient identifiables et que l’on veuille vérifier si cette personne non identifiée mais identifiable a respecté devoirs et obligations prévus par la LIR. On le voit bien, le législateur recherche une certaine précision si une demande relative à des personnes qui ne sont pas identifiées nommément peuvent être des cibles. Dans notre cas, on recherche en vain un critère de rattachement à la LIR qui ferait du groupe un groupe identifiable aux fins de l’application ou de l’exécution de la loi et au sujet duquel groupe il serait loisible de rechercher des informations pour vérifier dès lors le respect de la loi.

[165]   Toujours dans la décision Ghermezian, la Cour a examiné les arrêts de principe Canada (Agence des Douanes et du Revenu) c. Artistic Ideas Inc., 2005 CAF 68, [2006] 2 R.C.F. F-15 (Artistic Ideas) et Redeemer, et elle a conclu ce qui suit au sujet de leur incidence (au paragraphe 39) :

[39]           L’arrêt Artistic Ideas a eu pour effet de préciser que les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément ne s’appliquent pas si le ministre signifie une demande visant à obtenir l’identité de personnes non désignées nommément qui ne font pas elles-mêmes l’objet d’une enquête visant à vérifier si elles se conforment à la LIR. Bien qu’elle ne se soit pas fondée sur l’arrêt Artistic Ideas, la Cour suprême du Canada a subséquemment confirmé cette interprétation dans l’arrêt Redeemer (voir les motifs de la majorité exprimés par la juge en chef McLachlin et le juge LeBel au para 22 et les motifs du juge Rothstein, qui était dissident, mais non sur ce point, au para 48).

[166]   Le ministre insiste également sur l’explication de l’arrêt Redeemer selon laquelle il n’est pas nécessaire d’obtenir l’autorisation d’un juge lorsque les renseignements demandés sont nécessaires pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi, peu importe que la vérification permette d’obtenir des renseignements sur des personnes non désignées nommément et qu’elle puisse donner lieu à une enquête concernant ces personnes (au paragraphe 22) :

[22]           La restriction énoncée au par. 231.2(2) ne devrait pas s’appliquer aux situations où les renseignements demandés sont nécessaires pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi. Qu’il existe ou non une possibilité ou une probabilité que la vérification donne lieu à une enquête concernant d’autres contribuables non désignés nommément, l’ARC devrait pouvoir obtenir les renseignements dont elle pourrait autrement prendre connaissance dans le cadre d’une vérification. […]

[167]   Les défendeurs attirent l’attention de la Cour sur la récente décision Zeifmans LLP c. Canada (Revenu national), 2021 CF 363 (Zeifmans), dans laquelle la juge Walker devait statuer sur une demande de contrôle judiciaire présentée par un cabinet comptable qui contestait une demande péremptoire de renseignements faite à des clients, dont deux des défendeurs dans les présentes demandes d’ordonnance, Marc Vaturi et Nader Ghermezian. Dans cette affaire, les fiches de renseignements pertinentes indiquaient que l’ARC souhaitait vérifier si des entités étrangères non désignées nommément étaient exploitées et contrôlées à partir du Canada par les contribuables faisant l’objet de la vérification. Cela étant, les demandeurs ont fait valoir que, puisque l’ARC avait l’intention de se servir des renseignements obtenus au moyen de la demande péremptoire pour décider si les personnes non désignées nommément étaient assujetties à l’impôt, elle devait demander l’autorisation de la Cour.

[168]   Dans la décision Zeifmans, la Cour a adopté (aux paragraphes 42, 44) les principes établis dans les arrêts Artistic Ideas et Redeemer que j’ai examinés ci-dessus. La juge Walker a conclu que la demanderesse n’avait pas établi que l’ARC enquêtait sur la conformité des agissements de personnes non désignées nommément et, après avoir appliqué les principes énoncés dans les arrêts Artistic Ideas et Redeemer, elle a conclu que la possibilité qu’une ou plusieurs des personnes non désignées nommément puissent un jour faire l’objet d’une vérification n’était pas suffisante pour exiger que la demande péremptoire soit autorisée par la Cour (au paragraphe 59).

[169]   J’appliquerai ces principes lorsque j’examinerai les arguments avancés par les défendeurs au sujet des personnes non désignées nommément dans certaines demandes péremptoires, plus loin dans les présents motifs.

H.   Les demandes formelles soulèvent-elles une ambiguïté quant à savoir si leur destinataire est bien le défendeur?

[170]   Les défendeurs invoquent un principe qu’ils appellent le [traduction] « principe de la même personne », tiré de la jurisprudence applicable, qui permettrait au ministre d’obtenir en vertu de l’article 231.7 une ordonnance enjoignant à une personne d’obtempérer à une demande formelle faite au titre de l’article 231.1 ou de l’article 231.2, mais seulement si cette personne est la même que celle qui était tenue de se conformer à cette demande. Le juge Boswell a expliqué et appliqué ce principe dans la décision Canada (Revenu national) c. Lin, 2019 CF 646 (Lin), au paragraphe 32, et a conclu qu’il ne pouvait accorder au ministre l’ordonnance sollicitée :

[32]           La Cour doit être convaincue que la personne contre qui l’ordonnance est demandée était tenue par les articles 231.1 ou 231.2 de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir. Comme il n’est pas évident de savoir si la lettre était adressée aux défendeurs individuellement ou aux entités qui leur sont liées, le ministre n’a pas satisfait à la première condition prévue à l’article 231.7 (précité) pour obtenir une ordonnance (Chamandy, au paragraphe 30, et Canada (Ministre du Revenu national) c SML Operations (Canada) Ltd, 2003 CF 868, au paragraphe 16).

[171]   Tel que mentionné dans cet extrait, ce principe a également été appliqué dans les décisions Chamandy et SML Operations, dans lesquelles la Cour a conclu qu’il était difficile de savoir si la demande formelle en cause était adressée à une société ou à son administrateur. Il ressort de l’analyse faite par la Cour dans la décision Chamandy, qui a appliqué la décision SML Operations, que dans les deux cas, l’incertitude tenait au fait qu’on ne savait pas si la demande formelle était adressée à la personne concernée en sa qualité personnelle ou en sa qualité de représentant de la société, c’est-à-dire si le véritable destinataire de la demande formelle était la personne ou la société.

[172]   Ce principe découle des conditions auxquelles le ministre doit satisfaire pour pouvoir obtenir l’ordonnance prévue à l’article 231.7. J’ai déjà expliqué dans les présents motifs que la Cour doit être convaincue que la personne contre qui l’ordonnance est demandée est tenue par les articles 231.1 ou 231.2 de la Loi de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir (voir Lee, au paragraphe 6). Il s’ensuit que le défendeur visé par la demande d’ordonnance du ministre doit être la même personne que celle à qui la demande formelle pertinente a été adressée.

[173]   Dans les demandes d’ordonnance dont la Cour est saisie, à l’exclusion de la demande T-258-19 (concernant la société défenderesse Gherfam), les défendeurs soutiennent que certaines des demandes formelles contreviennent à ce principe parce qu’elles sont adressées non pas aux défendeurs personnellement, mais plutôt à une fiducie ou à une société.

[174]   Il ressort de la récente décision Canada (Revenu national) c. Friedman, 2019 CF 1583 (confirmée par 2021 CAF 101), dans laquelle le juge Pamel a refusé de suivre la décision Lin malgré des faits très similaires, que l’analyse que requiert ce type d’argument dépend en grande partie des faits de l’affaire. Je procéderai donc à cette analyse plus loin dans les présents motifs lorsqu’il sera question des demandes formelles à l’égard desquelles il est soulevé.

I.     Les demandes formelles visent-elles à obtenir indûment la production de renseignements ou de documents étrangers au sens de l’article 231.6 de la Loi?

[175]   Dans le cas de plusieurs des demandes formelles, le défendeur concerné fait valoir que la demande visait à obtenir indûment la production de renseignements ou de documents étrangers au sens de l’article 231.6 de la Loi. Le texte intégral de l’article 231.6 est reproduit à l’annexe A. Dans la décision Ghermezian, la Cour a examiné les arguments fondés sur l’article 231.6 et a donné l’explication générale suivante quant à l’application des dispositions de cet article (aux paragraphes 84–85) :

[84]           Ces dispositions concernent les demandes visant l’obtention de « renseignements ou documents étrangers », qui s’entendent, selon le paragraphe 231.6(1), de renseignements accessibles, ou de documents situés, à l’étranger qui peuvent être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la LIR, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la LIR.

[85]           Lorsque la ministre signifie une mise en demeure en vertu de l’article 231.6, la personne à qui elle est signifiée bénéficie de certaines protections. Selon le paragraphe 231.6(3), la mise en demeure doit donner à la personne un délai d’au moins 90 jours pour fournir les renseignements ou documents en question, décrire les renseignements ou documents étrangers recherchés et préciser les conséquences du défaut de les fournir. Selon le paragraphe 231.6(4), la personne à qui la mise en demeure est signifiée a le droit, dans les 90 jours suivant la date de signification, de la contester par voie de requête. Le paragraphe 231.6(5) permet au juge saisi de la requête de confirmer la mise en demeure, de la modifier de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances ou de la déclarer sans effet s’il est convaincu qu’elle est déraisonnable.

[176]   Les défendeurs soutiennent que le ministre ne peut exiger la production de renseignements ou de documents étrangers, au sens de l’article 231.6, autrement que par le truchement de l’article 231.6. Ils font donc valoir que les demandes formelles visant à obtenir des documents étrangers ne sont pas valides ou qu’elles doivent être interprétées de manière à exclure ces documents. Les défendeurs exhortent la Cour, si elle accorde les ordonnances demandées, à exclure expressément les renseignements et documents étrangers de leur application.

[177]   Les défendeurs s’appuient grandement sur la décision Ghermezian, dans laquelle la Cour a dû examiner des arguments assez semblables alors qu’elle devait décider si les demandes péremptoires visées par les demandes de contrôle judiciaire dont elle était saisie étaient déraisonnables, parce qu’elles visaient à obtenir des renseignements ou des documents qui à première vue se trouvaient, ou auxquels il était possible d’avoir accès, à l’étranger, et qui étaient donc visés par l’article 231.6. En réponse à ces arguments, le ministre a fait valoir que les destinataires des demandes péremptoires étaient tenus de produire les renseignements ou documents demandés qui étaient en leur possession ou sous leur garde, même s’ils étaient situés à l’étranger. Autrement dit, indépendamment du régime relatif aux renseignements étrangers, si les renseignements ou documents demandés se trouvaient en la possession ou sous la garde des demandeurs, ceux-ci devaient les fournir, quel que soit l’endroit où ils se trouvaient (voir paragraphe 87). Les extraits suivants de la décision Ghermezian expliquent pourquoi la Cour a rejeté l’argument du ministre :

[95]           En ce qui a trait à la jurisprudence plus récente, le défendeur invoque aussi l’arrêt eBay de la Cour d’appel fédérale. La situation examinée dans cet arrêt s’apparente davantage à la question en litige en l’espèce, puisque l’appelante, eBay Canada Inc [eBay Canada], a fait valoir que le ministre ne pouvait pas exiger la communication de renseignements au titre de l’article 231.2, parce que les renseignements étaient situés à l’étranger et constituaient donc des renseignements étrangers au sens de l’article 231.6. La Cour fédérale a conclu que le ministre n’était pas tenu de recourir à l’article 231.6, même si les renseignements demandés étaient stockés sur des serveurs situés à l’étranger, et la Cour d’appel fédérale a confirmé cette conclusion. Le défendeur se reporte notamment aux paragraphes 50 à 53 de cette décision, qui démontrent à son avis que la Cour d’appel fédérale s’est fondée sur une conclusion selon laquelle les renseignements étaient en la possession, sous l’autorité ou sous la garde de eBay Canada.

[96]           Encore là, je ne crois pas que cette décision corrobore la thèse du défendeur. Le résultat dans l’affaire eBay repose sur la conclusion de la Cour fédérale, confirmée par la Cour d’appel fédérale, selon laquelle les renseignements pertinents se trouvaient au Canada, car eBay Canada pouvait y avoir accès à partir de ses ordinateurs situés au Canada. Effectivement, la Cour d’appel fédérale termine son analyse en soulignant que, étant donné que les faits de l’affaire ne déclenchaient pas l’application de l’article 231.6, il n’était pas nécessaire d’examiner la question de savoir si la présence de cet article dans le dispositif législatif réduisait les pouvoirs que l’article 231.2 confère au ministre lorsque la demande de production concerne des renseignements étrangers (au para 53). À mon avis, cette observation confirme expressément que la Cour d’appel fédérale n’examinait pas la prétention que le défendeur fait valoir en l’espèce.

[…]

[99]           À la lumière des observations respectives des parties sur l’arrêt Pierlot, je conclus que celui-ci n’est pas utile pour la thèse du défendeur. Il ne permet pas de dire, contrairement à ce que celui-ci affirme, que la ministre peut obtenir des renseignements étrangers au moyen d’une demande délivrée au titre de l’article 231.2, pourvu qu’ils soient en la possession, sous la garde ou sous l’autorité du destinataire de la demande. Le résultat découlait plutôt, un peu comme celui de l’affaire eBay, d’une conclusion factuelle selon laquelle le destinataire avait accès aux renseignements pertinents au Canada. En d’autres mots, ces décisions corroborent simplement la conclusion que, si les renseignements étrangers se trouvent également au Canada, ils peuvent être exigés au titre de l’article 231.2 en raison de leur emplacement au Canada. Elles ne permettent pas de conclure que les renseignements qui se trouvent uniquement à l’étranger peuvent être exigés au titre de l’article 231.2 parce qu’ils sont en la possession, sous l’autorité ou sous la garde du destinataire de la demande de renseignements.

[100]         Eu égard aux prétentions respectives des parties sur ce point, le défendeur ne m’a pas convaincu que le régime légal de la LIR permet à la ministre d’exiger la communication des renseignements étrangers au moyen du paragraphe 231.2(1). Cependant, mon rôle ne consiste pas à en arriver à une conclusion définitive sur ce point et il n’est pas nécessaire que je le fasse pour trancher les présentes demandes de contrôle judiciaire, étant donné qu’un autre argument du défendeur (que j’examine ci-dessous dans les présents motifs) me convainc du caractère raisonnable des décisions de délivrer les DPR sans recourir à l’article 231.6.

[178]   Comme il est expliqué à la fin de l’extrait qui précède, la Cour n’a tiré aucune conclusion définitive sur l’argument avancé par le ministre parce que, peu importe le résultat du débat qu’il a pu susciter, le caractère raisonnable des demandes péremptoires reposait sur un autre argument avancé par le ministre. Celui-ci faisait valoir que la possibilité que les renseignements et documents demandés se trouvent à l’étranger ne permettait pas de conclure que les demandes péremptoires faites au titre du paragraphe 231.2(1) étaient invalides (voir le paragraphe 101). La Cour a souscrit à l’observation du ministre qui affirmait qu’il ne faut pas s’attendre, lorsqu’il demande des renseignements et des documents en vertu des pouvoirs que lui confère la Loi, à ce qu’il sache où ces renseignements et documents se trouvent. Le ministre n’est pas nécessairement tenu non plus de croire l’information que lui donne le contribuable quant à cet emplacement (au paragraphe 104).

[179]   La Cour a expliqué que cela ne signifie pas qu’une demande péremptoire faite au titre de l’article 231.2 s’applique à l’étranger, mais simplement qu’il n’est pas nécessaire de savoir où se trouvent les documents et les renseignements avant de l’envoyer. Si le ministre conclut que le destinataire n’a pas obtempéré à la demande péremptoire, par exemple en ne communiquant pas les documents et renseignements dont le ministre croit qu’ils se trouvent au Canada, il peut présenter une demande d’ordonnance, de sorte que les parties pourraient présenter une preuve quant à l’endroit où ils se trouvent afin que la Cour puisse décider s’il y a lieu de rendre l’ordonnance sollicitée.

[180]   Ce qui nous amène aux présentes demandes d’ordonnance. Alors que, dans la décision Ghermezian, la Cour n’a pas tiré de conclusion définitive sur la thèse du ministre voulant que le destinataire d’une demande péremptoire soit tenu de produire les renseignements et documents qu’il a en sa possession ou sous sa garde, même s’ils se trouvent à l’étranger, le ministre n’a pas fait valoir cette thèse en l’espèce. En fait, le ministre s’appuie plutôt sur l’arrêt eBay (aux paragraphes 50 à 53) pour faire valoir que les demandes péremptoires obligent les défendeurs à produire les documents et les renseignements qui sont en leur possession ou sous leur garde, s’ils sont accessibles au Canada. Je suis d’avis que cette position s’accorde avec l’arrêt eBay et le raisonnement suivi dans la décision Ghermezian.

[181]   Cependant, tout comme dans la décision Ghermezian (voir paragraphe 104), la preuve ne permet pas à la Cour de tirer une conclusion sur l’endroit où se trouvent les renseignements et documents faisant l’objet des demandes péremptoires ou sur la question de savoir s’ils sont accessibles au Canada. Suivant cette décision, la demande d’ordonnance présentée au titre de l’article 231.7 donne aux parties la possibilité de présenter des éléments de preuve en ce sens, mais aucune des parties ne s’en est vraiment prévalue en l’espèce. Comme sur plusieurs autres points, elles ne s’entendent pas sur la question de savoir qui supporte le fardeau de la preuve à cet égard.

[182]   La preuve produite par le ministre à ce sujet est très limitée. Par exemple, dans le dossier T-254-19 (Marc Vaturi) et relativement à la demande péremptoire A-MV-0136 qui visait à obtenir les relevés bancaires de certaines sociétés enregistrées à Hong Kong, l’affidavit de M. Bowe révèle que les renseignements obtenus par l’ARC montrent que certains des relevés relatifs aux comptes de banque de ces sociétés ont été envoyés à l’adresse domiciliaire de M. Vaturi en Ontario, ou bien à l’attention de M. Vaturi à l’adresse que M. Bowe désigne comme étant celle du bureau du groupe Ghermezian au West Edmonton Mall. Quant à la demande péremptoire A-MV-0136 qui visait à obtenir des documents concernant certaines sociétés de Gibraltar et leurs filiales, M. Bowe a affirmé en contre-interrogatoire qu’il croyait que les documents se trouvaient au Canada, parce que l’une de ces sociétés avait donné une adresse à Edmonton à des fournisseurs de services établis à Hong Kong.

[183]   Dans le dossier T-261-19 (Raphael Ghermezian), relativement à la demande péremptoire A-RUST-0103 qui visait à obtenir les déclarations de revenus initiales produites par le contribuable aux États-Unis (É.-U.), M. Bowe a déclaré en contre-interrogatoire qu’il croyait que des documents relatifs à l’entreprise et à ses activités commerciales se trouvaient au « siège social de Triple Five » à Edmonton. Il a souligné que l’ARC avait obtenu de ce bureau des documents concernant des fiducies et d’autres activités commerciales. Toutefois, M. Bowe a confirmé par la suite qu’il ne savait pas vraiment si les déclarations de revenus produites aux É.-U. se trouvaient au Canada. (Je souligne également que le ministre ne cherche plus à obtenir les déclarations de revenus produites aux É.-U.)

[184]   Dans le dossier T-252-19 (Nader Ghermezian), relativement à la requête NUST-22 qui visait à obtenir des données comptables concernant des entreprises faisant partie du Mall of America Group et des entreprises apparentées qui faisaient affaire avec ce groupe, l’avocat des défendeurs a demandé à M. Bowe en contre-interrogatoire s’il se souvenait d’avoir été informé que les registres comptables du Mall of America Group se trouvaient aux É.-U. M. Bowe a répondu que, dans cette requête NUST-22 (qu’il avait faite personnellement), il était question d’une entrevue avec l’équipe de la TI [technologie de l’information], le 21 avril 2017, et il a expliqué qu’un employé de la TI du West Edmonton Mall lui avait dit que l’équipe avait accès aux données comptables du Mall of America à partir d’Edmonton et qu’elles étaient stockées sur son réseau de serveurs.

[185]   Les défendeurs soutiennent que cette déclaration constitue du ouï-dire et qu’elle ne saurait être admise comme preuve de l’endroit où se trouvent les documents pertinents. Le ministre répond qu’elle est admissible pour démontrer que la déclaration pertinente a été faite par un employé de la TI d’Edmonton et qu’on ne peut s’attendre à ce que le ministre fasse la preuve de l’endroit où se trouvent les documents des défendeurs au moyen d’un témoignage direct.

[186]   Comme je l’ai déjà dit, la preuve produite par le ministre au sujet de l’endroit où se trouvent les documents des défendeurs est limitée. Les exemples qui précèdent ne concernent que quelques-uns des nombreux documents en cause dans les présentes demandes d’ordonnance et ne servent certainement pas à démontrer que tous les documents et renseignements que le ministre cherche à obtenir en l’espèce se trouvent au Canada ou y sont accessibles. Toutefois, les arguments des parties sur le ouï-dire dont il est question ci-dessus montrent la solidité de la prétention du ministre selon laquelle le fardeau de la preuve incombe aux défendeurs sur ce point. Dans la décision Ghermezian, la Cour ne s’est pas prononcée sur cette question. Cependant, je dois inévitablement conclure que le fardeau incombe aux défendeurs. L’endroit où se trouvent les renseignements ou documents visés par les demandes formelles, ou d’où on peut y accéder, ne fait pas partie des conditions énoncées à l’article 231.7. Il s’agit plutôt d’un argument soulevé par les défendeurs et, plus important encore, ce sont eux qui ont accès à la preuve pertinente à cet égard.

[187]   Toutefois, comme je l’ai mentionné, les défendeurs n’ont pas déposé de preuve par affidavit en réponse aux demandes d’ordonnance. À l’appui de leur thèse selon laquelle le ministre veut les contraindre à produire des documents étrangers, les défendeurs se fondent principalement sur le fait que plusieurs demandes formelles concernent à première vue des sociétés, des fiducies, des déclarations et des activités commerciales étrangères. Comme dans la décision Ghermezian, cela ne suffit pas pour tirer une conclusion sur l’endroit où se trouvent les renseignements et les documents. Une chose est sûre, la Cour ne peut pas savoir s’ils sont accessibles au Canada.

[188]   Dans le dossier T-258-19 (Gherfam), les défendeurs s’appuient aussi sur une lettre rédigée le 17 août 2017 par M. Dan McKinley, du cabinet comptable Grant Thornton (le cabinet GT), à l’intention de l’ARC, laquelle est jointe à l’affidavit de M. Bowe et mentionnée dans cet affidavit. M. McKinley fait référence à la requête GEI-17, qui vise à obtenir des documents relatifs à un [traduction] « accord de partenariat conclu par Mall of America Associates », et souligne que cette société est établie aux É.-U. et que c’est là que sa comptabilité est effectuée. Il ajoute que les documents ne sont pas conservés au Canada. Toutefois, le dossier soumis à la Cour ne contient aucun affidavit de M. McKinley qui permettrait aux défendeurs d’utiliser cette lettre pour s’acquitter du fardeau qui leur incombe.

[189]   En guise de conclusion sur ce point, j’estime que, en l’absence d’une preuve qui leur permettrait de s’acquitter du fardeau qui leur incombe, les défendeurs n’ont avancé aucun argument au sujet des renseignements et documents se trouvant à l’étranger qui permettrait de rejeter l’une ou l’autre des demandes d’ordonnance. À titre subsidiaire, les défendeurs ont fait valoir que, si la Cour était disposée à rendre l’une ou l’autre des ordonnances sollicitées en l’espèce, celles-ci devraient être expressément limitées aux renseignements se trouvant au Canada et exclure ceux qui sont l’étranger comme le prévoit l’article 231.6. Je ne suis pas convaincu que les ordonnances rendues en l’espèce, s’il en est, devraient être formulées en fonction d’un argument de la défense dont le bien-fondé n’a pu être établi par la preuve présentée à la Cour.

J.    Si la Cour décide de rendre une ou plusieurs ordonnances, ces ordonnances devraient-elles exclure les documents et renseignements protégés par le secret professionnel de l’avocat?

[190]   La réponse à la question relative au secret professionnel de l’avocat repose sur une analyse semblable à celle que j’ai faite précédemment au sujet de la prétention des défendeurs que les ordonnances devraient exclure expressément les renseignements étrangers. Comme je l’ai déjà expliqué dans les présents motifs, c’est aux défendeurs qu’incombe le fardeau de la preuve lorsqu’ils invoquent un privilège. Comme pour bien d’autres questions qu’ils ont soulevées en l’espèce, ils n’ont présenté aucune preuve qui justifierait la Cour de conclure que les renseignements et documents, que le ministre cherche à obtenir au moyen des demandes formelles faisant l’objet des présentes demandes d’ordonnance, sont protégés par un privilège.

[191]   Les arguments soulevés par les défendeurs quant à l’existence d’un privilège se limitent à l’emploi de termes précis dans certaines demandes formelles. Par exemple, dans le dossier T-261-19 (Raphael Ghermezian), la requête BUST-20v2 vise à obtenir, entre autres documents, [traduction] « les confirmations de virements électroniques, la confirmation du dépôt fait au compte de M. Lamoreux et toute correspondance envoyée à M. Lamoreux au sujet des virements ». Le défendeur souligne que, ailleurs dans le dossier, le titre « ESQ » suit le nom de M. Lamoreux, ce qui signifie qu’il est avocat. Il soutient que, pour cette raison, la demande visant à obtenir la correspondance destinée à M. Lamoreux porte sur des documents privilégiés. Je suis d’accord avec le ministre pour dire que, même si la Cour devait déduire que M. Lamoreux est avocat, le défendeur n’a produit aucun élément de preuve concernant le rôle de M. Lamoreux, ou les communications décrites dans la requête BUST-20v2, qui permettrait à la Cour de conclure que ces communications sont privilégiées.

[192]   De même, dans les dossiers T-259-19 (Paul Ghermezian) et T-262-19 (Joshua Ghermezian), les demandes péremptoires A-GDT-0103 et A-GDT-0102, respectivement, exigeaient la production de diverses catégories de documents et renseignements concernant une liste de sociétés, y compris des [traduction] « procès-verbaux, résolutions, notes de service et conventions relatives à tout changement, direct ou indirect, dans la composition ou la propriété de l’entité ». Les défendeurs attirent l’attention de la Cour sur le terme [traduction] « notes de service » et soutiennent que les ordonnances rendues en l’espèce, s’il en est, devraient exclure expressément les notes de service qui auraient pu être préparées par des avocats. Encore une fois, aucun élément de preuve ne permet de conclure que ces demandes péremptoires visent à obtenir des documents privilégiés qui correspondraient à cet élément.

[193]   Je ne suis pas convaincu que les ordonnances rendues en l’espèce, s’il en est, devraient être formulées en fonction d’un argument de la défense dont le bien-fondé n’a pu être établi par la preuve présentée à la Cour.

K.    Si la Cour conclut qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la production d’une partie des documents ou renseignements visés par une demande formelle, a-t-elle le pouvoir de retrancher cette partie et de rendre une ordonnance sur le reste de la demande formelle?

[194]   Les défendeurs soutiennent que, si une demande formelle est partiellement non valide, en raison de l’un ou l’autre des arguments qu’ils ont soulevés en l’espèce, alors c’est l’ensemble de la demande formelle qui est invalide. Ils font valoir en outre que le ministre a tenté d’empêcher l’examen de ses demandes formelles en retranchant de façon sélective des éléments invalides de ses demandes d’ordonnance. Ils soutiennent que le ministre peut retrancher des éléments d’une demande formelle seulement après que chaque élément ait été jugé valide.

[195]        À cet égard, les défendeurs invoquent la décision Ghermezian, dans laquelle la Cour a dit ce qui suit au sujet de la possibilité de « retrancher » des éléments d’une demande péremptoire, dont l’un a été jugé déraisonnable à l’issue du contrôle judiciaire (aux paragraphes 164–165) :

Cependant, dans le cas du dossier T-1501-18, je conclus qu’un élément de la DPR visant Gherfam est déraisonnable, ce qui soulève la question de la réparation qui convient. Je ne vois aucune raison d’examiner l’une ou l’autre des réparations possibles, sauf l’annulation de la DPR. Subsidiairement, il y aurait peut-être lieu d’envisager une forme de dissociation, c’est-à-dire de retrancher le paragraphe 4, qui est problématique, et de conserver le reste du document. Je souligne que le juge Fothergill a opté pour cette solution dans la décision Bayer (aux para 49-52). Cependant, cette affaire concernait une mise en demeure fondée sur l’article 231.6 de la LIR. Le paragraphe 231.6(5) dispose expressément que, sur présentation d’une requête visant à contester la mise en demeure, la Cour peut prendre différentes mesures, notamment modifier la mise en demeure de la façon qu’elle estime indiquée dans les circonstances.

La Cour pourrait peut-être opter pour une solution semblable dans le cadre du contrôle judiciaire concernant, comme c’est le cas en l’espèce, une demande péremptoire fondée sur le paragraphe 231.2(1). Cependant, à l’audience, j’ai demandé à l’avocat du défendeur quelle était la réparation qui conviendrait selon lui si j’en arrivais à la conclusion qu’un élément d’une DPR n’est pas raisonnable. Le défendeur a répondu que la mesure qui conviendrait serait l’annulation de la DPR, avec motifs à l’appui. Je comprends que la ministre voudrait subséquemment délivrer à nouveau la DPR en omettant l’élément déraisonnable ou en apportant d’autres correctifs en fonction de la conclusion. Étant donné que le défendeur n’a pas demandé le retrait de l’élément déraisonnable et qu’aucune des parties n’a présenté d’observations étayant l’accessibilité ou l’utilité de cette solution, j’annulerai dans mon jugement la DPR visant Gherfam et je renverrai la décision de délivrer la DPR au décideur pour nouvelle décision conformément aux présents motifs.

[196]   Les défendeurs signalent que, dans la décision Ghermezian, la Cour a dit que, s’agissant d’une demande fondée sur l’article 231.6 visant à contester une mise en demeure de fournir des renseignements ou documents étrangers, le paragraphe 231.6(5) prévoit expressément que le juge a divers pouvoirs, y compris celui de modifier la mise en demeure de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances. Les défendeurs soutiennent que l’absence d’un libellé en ce sens à l’article 231.7 signifie que la Cour ne dispose d’aucun pouvoir comparable à l’égard d’une demande d’ordonnance. Ils ajoutent que des considérations de principe militent en faveur de leur prétention, car le destinataire d’une demande péremptoire doit avoir la certitude qu’il n’a aucune obligation si cette demande n’est pas valide.

[197]   En réponse aux défendeurs qui invoquent la décision Ghermezian, le ministre fait observer que dans cette affaire, qui portait sur une demande de contrôle judiciaire, il estimait que la Cour n’avait pas le pouvoir d’annuler seulement une partie de la demande péremptoire et qu’il ne lui avait donc pas demandé d’en retrancher des éléments. Il soutient que la Cour a un pouvoir de redressement plus large à l’égard des demandes d’ordonnance, car le paragraphe 231.7(3) prévoit expressément que le juge qui rend une ordonnance au titre du paragraphe 231.7(1) peut l’assortir des conditions qu’il estime indiquées. Le ministre est donc d’avis que la Cour peut exercer ce pouvoir discrétionnaire pour rendre une ordonnance à l’égard des éléments valides d’une demande formelle, même si elle conclut que d’autres éléments sont invalides. Il invoque aussi la décision Miller, dans laquelle la Cour a accueilli en partie sa demande d’ordonnance et a ordonné la production de certains des éléments demandés, même si d’autres éléments avaient été déclarés invalides.

[198]   Selon mon interprétation de la décision Miller, la question de savoir si la Cour a le pouvoir de « retrancher des éléments d’une demande formelle » n’a pas été soulevée et n’a pas été expressément examinée. J’hésite donc à me fonder sur cette décision à cet égard. Toutefois, j’estime que la position du ministre sur cette question est plus convaincante que celle des défendeurs. Pour les raisons avancées par le ministre, la décision Ghermezian n’est pas un précédent défavorable à sa position. Comme nous l’avons vu précédemment, la Cour a un pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne une demande présentée au titre de l’article 231.7, notamment au regard du paragraphe 231.7(3), et je ne vois pas pourquoi ce pouvoir ne lui permettrait pas d’octroyer une ordonnance enjoignant au destinataire d’une demande formelle de s’y conformer en partie. Sur le plan des principes, le droit à la certitude mis de l’avant par les défendeurs est également pris en compte si le destinataire peut tenir pour acquis qu’il n’est tenu de produire que les éléments valides de la demande formelle, même si d’autres éléments sont contestables.

[199]   Par conséquent, après avoir examiné tous les arguments que les défendeurs ont fait valoir en l’espèce à l’encontre des diverses demandes formelles ou de parties de ces demandes, je conclus que, si certaines demandes formelles devaient comporter des éléments valides et des éléments non valides, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire d’ordonner que les parties valides soient respectées.

L.    Certaines demandes péremptoires sont-elles sans effet parce que les défendeurs ne sont pas des résidents du Canada?

[200]   Alors que les questions examinées précédemment dans les présents motifs concernent la plupart sinon la totalité des demandes d’ordonnance, les défendeurs ne soulèvent la question de la résidence qu’à l’égard des dossiers T-259-19 et T-262-19, car ils soutiennent que les défendeurs dans ces dossiers, Paul Ghermezian et Joshua Ghermezian, respectivement, ne sont pas des résidents du Canada et qu’ils ne sont donc pas assujettis aux demandes péremptoires qui font l’objet des présentes demandes d’ordonnance, non plus qu’aux ordonnances que le ministre cherche à obtenir.

[201]   Les demandes d’ordonnance déposées à l’encontre de Paul et de Joshua Ghermezian portent chacune sur une seule demande péremptoire (chacune formulée en des termes pratiquement identiques) et ne concernent aucune requête. Ces défendeurs soutiennent que l’article 231.2 n’autorise pas le ministre à exiger la production de documents et de renseignements de non-résidents et que l’article 231.7 ne permet pas à la Cour de rendre une ordonnance contre un non-résident. Les défendeurs affirment qu’ils sont résidents des É.-U. et soutiennent que, si le ministre souhaite obtenir d’eux des renseignements aux fins de l’application et de l’exécution de la Loi, il doit alors suivre la procédure prévue à l’article XXVII de la Convention entre le Canada et les États-Unis d’Amérique en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, 26 septembre 1980 (entrée en vigueur le 16 août 1984) et ses modifications (la Convention avec les É.-U.). Ils font valoir que les présentes demandes sommaires par lesquelles le ministre cherche à obtenir des ordonnances contre eux contreviennent aux obligations internationales du Canada.

[202]   Dans leurs observations écrites à l’appui de ces arguments, les défendeurs invoquent principalement l’arrêt R. c. Hape, 2007 CSC 26, [2007] 2 R.C.S. 292 (Hape), dans lequel la Cour suprême du Canada a examiné si l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés s’appliquait aux perquisitions menées par la GRC aux îles Turks et Caicos en collaboration avec la police locale. Ils renvoient entre autres à l’énoncé de principe de la Cour suprême, selon lequel un État peut faire appliquer ses lois à l’étranger seulement s’il obtient le consentement de l’État en cause ou, à titre exceptionnel, si le droit international l’y autorise par ailleurs (au paragraphe 65).

[203]   Les défendeurs renvoient également la Cour à un extrait des directives administratives de l’ARC, Directives de l’ARC, AD-19-02R, qui précise que le ministre ne peut recourir à l’ordonnance prévue l’article 231.7 pour forcer l’exécution d’une demande péremptoire faite en vertu de l’article 231.2 « […] à une personne à l’extérieur du Canada, sauf si la personne est au Canada ».

[204]   Les défendeurs expliquent que l’article XXVII de la Convention avec les É.-U. crée un cadre qui permet au ministre d’obtenir des renseignements auprès des fonctionnaires du revenu des États-Unis, notamment en leur demandant d’obtenir des dépositions de témoins aux États-Unis ou des documents originaux se trouvant aux États-Unis. L’article XXVII énonce les conditions d’obtention d’une telle aide, ainsi que les restrictions assortissant l’utilisation par le ministre des renseignements ou documents ainsi obtenus. Les défendeurs soutiennent que, dans le contexte d’une convention de cette nature qui contient des dispositions sur l’échange de renseignements, le fait que le ministre ait déposé les présentes demandes d’ordonnance constitue une tentative d’échapper à l’application de la convention et de contourner les protections procédurales dont disposent les résidents étrangers.

[205]   Forts de ces arguments, les défendeurs soutiennent que le législateur ne peut avoir voulu que les articles 231.2 et 231.7 s’appliquent de manière extraterritoriale et que si telle avait été son intention, il l’aurait dit expressément dans ces dispositions. Ils ont étoffé ces arguments en plaidoirie, alors qu’ils ont fait valoir que le mot « personne », employé aux articles 231.2 et 231.7, visait implicitement les personnes se trouvant au Canada. Ils ont porté à l’attention de la Cour des décisions traitant des limites implicites imposées en matière de compétence par les lois fiscales canadiennes (voir, par exemple, Oroville Reman & Reload Inc. c. Canada, 2016 CCI 75; Oceanspan Carriers Ltd. c. Canada, [1987] 2 C.F. 171 (C.A.), [1987] A.C.F. no 126; Holiday Luggage Mfg. Co. c. Canada, [1987] 2 C.F. 249 (1ère inst.); Canada (Revenu national) c. Stanchfield, 2009 CF 99; Marino c. La Reine, 2020 CCI 50).

[206]   Le ministre soutient que, selon une interprétation textuelle des dispositions relatives à l’observation de la Loi, la question de savoir si les défendeurs sont résidents ou non-résidents aux fins de l’impôt sur le revenu n’est pas pertinente pour l’application des articles 231.2 et 231.7, puisque ces deux articles s’appliquent à une « personne » et que ni l’un ni l’autre ne comporte de restriction fondée sur la résidence. Le ministre fait valoir que, si le législateur avait voulu en restreindre la portée, il l’aurait fait de façon explicite comme il l’a fait dans de nombreuses autres dispositions de la Loi. Par exemple, les dispositions de l’article 231.6 qui portent sur le pouvoir de recueillir des renseignements et des documents étrangers tiennent expressément compte de la résidence pour établir la portée de ce pouvoir.

[207]   Le ministre s’appuie sur l’objet des dispositions relatives à l’observation de la Loi, qui lui confèrent de vastes pouvoirs d’enquêter sur les contribuables et de les vérifier (voir l’arrêt McKinlay, aux paragraphes 35–36), et souligne que les non-résidents du Canada peuvent être assujettis à l’impôt canadien. Il soutient que le législateur ne peut avoir voulu qu’une personne qui se trouve au Canada puisse simplement déclarer être non-résidente aux fins de l’impôt canadien et le priver ainsi de toute possibilité de vérifier cette déclaration en exerçant ses pouvoirs en matière de conformité. Il soutient également qu’il n’est pas lié par la déclaration des défendeurs quant à leur lieu de résidence (voir Ludmer c. Canada, [1995] 2 C.F. 3 (CAF), aux paragraphes 12–14).

[208]   Ces principes généraux étant posés, le ministre souligne en outre que les demandes péremptoires ont été signifiées à Paul et à Joshua Ghermezian au Canada par un moyen autorisé par l’article 231.2 de la Loi, et que ces derniers n’ont présenté aucune preuve établissant qu’ils ne sont plus des résidents du Canada ou qu’ils sont des résidents des États-Unis. Il soutient que la thèse des défendeurs doit être rejetée simplement pour manque de preuve, car, bien qu’ils soient les mieux placés pour prouver leur résidence, ni l’un ni l’autre des défendeurs n’a déposé d’affidavit en l’espèce. Les défendeurs tentent plutôt de s’appuyer sur la preuve obtenue lors du contre-interrogatoire de M. Bowe.

[209]   En ce qui concerne la preuve, les défendeurs se fondent sur le contre-interrogatoire de M. Bowe, lors duquel ce dernier a confirmé qu’à ce moment, selon les dossiers de l’ARC, ni Paul ni Joshua Ghermezian ne résidaient au Canada. Ils soulignent également que M. Bowe a confirmé que l’adresse d’Edmonton où les demandes péremptoires avaient été envoyées était une adresse commerciale et non l’adresse domiciliaire de l’un ou l’autre des défendeurs. L’avocat des défendeurs a porté à l’attention de M. Bowe une lettre adressée le 11 décembre 2015 par le cabinet GT à l’ARC, dans laquelle son auteur donne les adresses résidentielles de Paul et de Joshua Ghermezian à New York.

[210]   Les défendeurs font aussi mention d’une différence, relativement à leur résidence aux fins de l’impôt canadien, entre la demande péremptoire qui a été signifiée à Paul Ghermezian et celle qui a été signifiée à Joshua Ghermezian. La première, la demande péremptoire A-GDT-0103 du 30 octobre 2018, indique que, selon les registres obtenus par l’ARC, Paul Ghermezian a produit des déclarations de revenus et de prestations T1 aux fins de l’impôt canadien pour les 10 dernières années (la dernière étant pour l’année d’imposition 2017) et qu’il a indiqué qu’il était résident canadien. On peut aussi lire dans la demande péremptoire que Paul Ghermezian n’a jamais déclaré à l’ARC qu’il avait émigré du Canada et qu’il n’a pas produit le formulaire NR73, Détermination du statut de résidence (Départ du Canada). Ces éléments sont décrits comme des facteurs importants qui portent l’ARC à considérer Paul Ghermezian comme un résident canadien aux fins de l’impôt canadien.

[211]   Par contre, la demande péremptoire A-GDT-0102, également datée du 30 octobre 2018 et signifiée à Joshua Ghermezian, ne mentionne pas que celui-ci a déjà produit des déclarations de revenus T1 dans lesquelles il déclare être résident canadien. On y dit plutôt que, selon les dossiers obtenus par l’ARC, il est né à Edmonton et est actuellement titulaire d’un passeport canadien et d’un permis de conduire de l’Alberta. De plus, Joshua Ghermezian n’a jamais déclaré à l’ARC qu’il avait émigré du Canada et il n’a jamais produit le formulaire NR73, Détermination du statut de résidence (Départ du Canada), après que l’ARC lui eut demandé de le remplir, en mai 2017, dans l’éventualité où il aurait quitté le Canada. On peut en outre lire dans la demande péremptoire que l’ARC a de ce fait conclu que Joshua Ghermezian avait maintenu des liens de résidence avec le Canada et qu’il était considéré comme un résident canadien aux fins de l’impôt canadien. Je remarque également que l’affidavit de M. Bowe qui a été versé au dossier de la demande d’ordonnance visant Joshua Ghermezian indique que, le 14 mai 2019, ce dernier a produit sa déclaration de revenus personnelle T1 pour 2018, qui indiquait qu’il avait émigré du Canada le 21 décembre 2018. M. Bowe affirme que c’est seulement le 14 mai 2019 que M. Ghermezian a informé l’ARC qu’il ne résidait pas au Canada.

[212]   S’appuyant sur ces différences, les défendeurs insistent sur le fait que Joshua Ghermezian n’a jamais déclaré qu’il avait déjà produit des déclarations d’impôt à titre de résident canadien, et ils soutiennent que maintenir des liens de résidence et être résident canadien aux fins de l’impôt canadien, ce n’est pas être résident canadien de fait. S’agissant de Paul Ghermezian, les défendeurs soulignent que, bien que la demande péremptoire pertinente jointe à l’affidavit de M. Bowe renvoie à des déclarations de revenus antérieures que Paul Ghermezian aurait produites en tant que résident canadien, M. Bowe n’apporte aucune preuve directe de ce fait dans son affidavit. Ils soutiennent également que, même si Paul Ghermezian, ou Joshua Ghermezian, résidait au Canada au moment où la demande péremptoire pertinente lui a été signifiée, cela ne prouve pas nécessairement qu’il y résidait lorsque le ministre a introduit ses demandes sommaires ou que celles-ci ont été entendues ou tranchées.

[213]   Je tiens à souligner que j’ai des réserves sur la compétence de la Cour pour tirer une conclusion au sujet du lieu de résidence des défendeurs. Comme la Cour l’a mentionné dans la décision Lin, en vertu de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, il relève de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt de déterminer le lieu de résidence pour les besoins de la Loi (au paragraphe 29). Faisant abstraction de ce point, j’accepte la thèse des défendeurs selon laquelle la preuve ne permet guère de conclure que Paul et/ou Joshua Ghermezian sont ou étaient résidents du Canada aux périodes potentiellement pertinentes. Toutefois, la preuve ne permet guère plus de conclure que Paul et/ou Joshua Ghermezian ne sont pas ou n’étaient pas des résidents du Canada. La réponse à cette question (si la Cour avait la compétence nécessaire) dépendrait du fardeau de la preuve qui, à mon avis, devrait incomber aux défendeurs. Le lieu de résidence des défendeurs n’est pas l’une des conditions énoncées à l’article 231.7. C’est plutôt un argument que les défendeurs ont soulevé et, surtout, ce sont eux qui ont accès à la preuve pertinente à cet égard.

[214]   En l’absence d’une conclusion que les défendeurs ne sont pas des résidents canadiens, leurs arguments sur l’interprétation des articles 231.2 et 231.7, y compris la pertinence éventuelle de la Convention avec les É.-U. et des principes du droit international, ne sauraient influer sur l’issue des présentes demandes d’ordonnance. Par conséquent, par souci de retenue judiciaire, je refuse de tirer des conclusions sur ces arguments.

V.    Demandes d’ordonnance

[215]   J’examinerai maintenant chacune des demandes d’ordonnance. La section suivante des présents motifs présente un bref résumé de la nature des documents et/ou des renseignements visés par chaque demande. Ensemble, les demandes d’ordonnance découlent d’un grand nombre de demandes formelles. Je les résumerai en utilisant les mêmes rubriques que les parties. Dans la mesure où mes conclusions générales sur les questions examinées précédemment ne règlent pas déjà ces questions pour les besoins des demandes d’ordonnance, j’appliquerai ces conclusions générales dans mon analyse ci-après des demandes formelles. Je traiterai également d’autres arguments que les défendeurs ont soulevés relativement à certaines demandes formelles.

A.    T-252-19 – MRN c. Nader Ghermezian

(1)  Requête A-NG-0105

[216]   Cette requête du 14 août 2015 est adressée à Nader Ghermezian et se rapporte à une vérification de ses déclarations de revenus personnelles pour les années 2011 à 2014. On demande à M. Ghermezian de fournir diverses catégories de documents ou de renseignements concernant principalement des sociétés étrangères.

[217]   L’affidavit de M. Bowe qui a été versé au dossier de la présente demande d’ordonnance relate l’historique de la vérification par l’ARC de la situation fiscale de M. Nader Ghermezian et de ses frères que M. Bowe désigne, conjointement avec d’autres personnes et entités ayant avec eux des liens économiques ou autres, comme étant le « groupe Ghermezian ». M. Bowe explique que, au cours de cette vérification, l’ARC a fait des requêtes à M. Ghermezian sous forme de lettres, ainsi que des demandes de renseignements et de documents concernant diverses entités ayant avec lui des liens économiques ou autres. La première lettre dont il parle est la requête A-NG-0105, dont une copie est jointe à son affidavit.

[218]   La lettre aurait été envoyée à M. Ghermezian par courrier recommandé à l’adresse d’Edmonton, le 14 août 2015. M. Bowe déclare qu’en retour l’avocat de M. Ghermezian lui a fait parvenir des documents et des renseignements le 21 décembre 2015 et le 5 mai 2017. Bien que ce ne soit pas là une preuve solide que l’adresse d’Edmonton était un moyen efficace pour l’ARC de communiquer avec M. Ghermezian et que ce dernier a été dûment avisé de la requête, rien ne permet de conclure le contraire. J’estime donc qu’il a été dûment avisé.

[219]   Outre les questions générales examinées précédemment dans les présents motifs, le défendeur n’a soulevé aucun argument particulier à l’égard de cette requête.

[220]   Le ministre affirme que M. Ghermezian a fourni certains des documents et renseignements demandés, mais pas tous, et il demande donc une ordonnance enjoignant à celui-ci de produire un sous-groupe des éléments initialement énumérés dans la requête. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de produire les éléments de la requête que le ministre cherche toujours à obtenir.

(2)  Requête NG-06

[221]   Cette requête du 5 août 2016 est adressée à Nader Ghermezian, à l’attention de Dan McKinley du cabinet GT. Elle vise à obtenir des documents et des renseignements concernant des sociétés et d’autres entités établies à l’étranger dont M. Ghermezian ou l’un des membres de sa famille était actionnaire, dirigeant, administrateur, fiduciaire ou bénéficiaire d’une fiducie.

[222]   Le défendeur s’élève contre le fait que cette requête a été envoyée au cabinet GT et soutient que le ministre ne saurait demander une ordonnance lui enjoignant de se conformer à une demande formelle qui ne lui a même pas été envoyée. Toutefois, l’affidavit de M. Bowe versé au dossier de la présente demande d’ordonnance désigne le cabinet GT comme étant le représentant autorisé du défendeur et fait état des renseignements fournis par l’ARC au cabinet GT, et vice-versa, au cours de sa vérification. Étant donné que M. Ghermezian n’a présenté aucun élément de preuve établissant que GT n’était pas son représentant autorisé et qu’il n’a pas non plus prouvé ou plaidé qu’il ignorait que la requête avait été envoyée à son représentant du cabinet GT, je conclus qu’il a été dûment avisé de la requête.

[223]   Le défendeur soutient également que le ministre n’a pas prouvé que cette requête avait été faite aux fins de l’application et de l’exécution de la Loi comme le prévoit le paragraphe 231.1(1).

[224]   Dans la décision Ghermezian (aux paragraphes 112–115), la Cour, saisie d’un argument semblable, mais dans le contexte du paragraphe 231.2(1), a examiné la jurisprudence établissant les principes généraux pertinents. Elle a commencé par l’explication donnée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canadian Bank of Commerce v. Attorney General of Canada, [1962] R.C.S. 729, à la page 739, selon laquelle l’obtention de renseignements portant sur l’assujettissement à l’impôt d’une ou de plusieurs personnes déterminées faisant l’objet d’une enquête de l’ARC est une fin relative à l’application ou à l’exécution de la Loi.

[225]   Dans l’arrêt Saipem Luxembourg S.V. c. Canada (Douanes et Revenu), 2005 CAF 218, [2006] 3 R.C.F. F-57, au paragraphe 25, la Cour d’appel fédérale a fait observer qu’il est satisfait à la condition relative à l’objet même si la plupart des renseignements demandés se révèlent non pertinents. Au paragraphe 29 de l’arrêt Canada (Revenu national) c. Kitsch, 2003 CAF 307, sub nom. Tower c. M.R.N., [2004] 1 R.C.F. 183, la Cour d’appel fédérale a aussi expliqué qu’une demande péremptoire est valide si les renseignements demandés peuvent se rapporter à l’évaluation de la dette fiscale du contribuable visé, ce qui, a-t-elle ajouté, est un seuil peu élevé. Comme il est mentionné au paragraphe 9 de la décision Succession Nadler c. Canada (Procureur Général), 2005 CF 935 (Succession Nadler), la Loi n’exige pas que la personne visée par une demande péremptoire de renseignements soit informée de l’objet de cette demande.

[226]   Comme je l’ai mentionné, cette requête vise à obtenir des documents et des renseignements concernant des sociétés et d’autres entités établies à l’étranger dont M. Ghermezian ou l’un des membres de sa famille était actionnaire, dirigeant, administrateur, fiduciaire ou bénéficiaire d’une fiducie. Dans son affidavit, M. Bowe explique que la vérification de l’ARC portait entre autres sur des sociétés étrangères et nationales contrôlées par M. Ghermezian ou d’autres personnes avec lesquelles il avait un lien de dépendance. Après avoir appliqué les principes jurisprudentiels examinés ci-dessus, et comme le défendeur n’a pas présenté d’observations plus détaillées à l’appui de cet argument, j’estime que celui-ci n’est pas fondé.

[227]   Enfin, le défendeur a fait valoir que cette requête ne mentionne pas expressément la disposition de la Loi en vertu de laquelle elle a été faite. Cela étant, je me suis penché sur l’explication offerte par la décision Succession Nadler (au paragraphe 9), à savoir que la demande péremptoire visée par la requête en sursis d’exécution, qui a été rejetée dans cette affaire, mentionnait le nom du contribuable concerné, précisait les dispositions législatives applicables et décrivait suffisamment les renseignements requis pour que le destinataire soit en mesure de préparer sa réponse [non souligné dans l’original].

[228]   Je crois comprendre qu’en ce qui concerne cette requête et un nombre limité d’autres requêtes, les défendeurs soutiennent que le fait que la disposition législative pertinente ne soit pas mentionnée dans la requête commande une analyse visant à déterminer si celle-ci est, de par son caractère véritable, une demande péremptoire. Comme je l’ai déjà expliqué, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de procéder à une telle analyse en l’espèce. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas que la décision Succession Nadler appuie la proposition générale voulant que, si elle ne renvoie pas expressément à la disposition législative en vertu de laquelle elle est faite, la demande formelle est forcément invalide.

[229]   Le ministre affirme que M. Ghermezian n’a pas répondu à cette requête. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(3)  Requête A-NG-0125

[230]   Cette requête du 30 mai 2018 est adressée à Nader Ghermezian. Elle fait référence à une fiducie désignée comme étant la fiducie familiale des Ghermezian (FFG97) dans un acte de fiducie du 15 février 1997 et à une décision de l’ARC selon laquelle la FFG97 réside de fait au Canada depuis son établissement en 1997. La requête vise à obtenir, pour la période allant de 1997 à 2016, la production de diverses catégories de documents ou de renseignements concernant la FFG97.

[231]   La requête A-NG-0125, qui est jointe à titre de pièce à l’affidavit de M. Bowe, aurait été envoyée à M. Ghermezian sous forme de lettre par courrier recommandé à l’adresse d’Edmonton, le 30 mai 2018. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un élément de preuve solide établissant que M. Ghermezian a reçu avis de la requête, aucune preuve contraire n’a été produite. Je conclus donc qu’il a été dûment avisé.

[232]   Outre les questions générales examinées précédemment dans les présents motifs, le seul autre argument soulevé par le défendeur quant à cette requête est qu’elle exige la production de déclarations de revenus et d’autres formulaires. Je crois comprendre que le défendeur fait valoir que l’article 231.1 ne permet pas d’exiger la production de ces documents. Or, le ministre sollicite une ordonnance visant seulement un sous-ensemble des éléments précisés dans la requête, lequel sous-ensemble, selon ce que je comprends, ne comprend pas ces déclarations.

[233]   Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de produire les éléments de la requête que le ministre cherche toujours à obtenir devrait être rendue.

(4)  Requête 97GFT-02

[234]   Cette requête du 31 mai 2018 est adressée à Nader Ghermezian. On lui demande de fournir, pour la période allant de 1997 à 2016, diverses catégories de documents ou de renseignements sur la FFG97 et une société appelée Triple Five Worldwide Limited (T5WW).

[235]   La requête 97GFT-02, qui est jointe à titre de pièce à l’affidavit de M. Bowe, a été envoyée à M. Ghermezian sous forme de lettre à l’adresse d’Edmonton. M. Bowe affirme que cette lettre a été envoyée à M. Ghermezian. Encore une fois, en l’absence de preuve contraire, je conclus que ce dernier a été dûment avisé.

[236]   Outre les questions générales examinées précédemment dans les présents motifs, le défendeur n’a soulevé aucun argument particulier à l’égard de cette requête.

[237]   Le ministre affirme que M. Ghermezian n’a fourni aucun des documents et renseignements demandés. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(5)  Requête BUST-20v2

[238]   Cette requête du 8 septembre 2017 est adressée à M. Nader Ghermezian, ainsi qu’à ses frères, Raphael, Bahman et Eskander Ghermezian (appelés collectivement, les frères), [traduction] « À titre de fiduciaires, de protecteurs, de bénéficiaires et/ou de contribuants ». On leur demande de produire, en leur qualité de fiduciaires, diverses catégories de renseignements et de documents concernant quatre fiducies établies le 14 février 2000 (désignées par le ministre dans les présentes demandes d’ordonnance comme étant les fiducies V-Day) et une filiale appelée Royce Holdings LLC (Royce Holdings).

[239]   Dans son affidavit, M. Bowe explique que, bien qu’elle soit datée du 8 septembre 2017, la requête BUST-20v2 a été transmise par télécopieur au cabinet GT le 24 mai 2018. Le défendeur soutient que cet envoi à GT ne signifie pas qu’il a été dûment avisé. Or, comme le dit M. Bowe dans son affidavit, l’historique de cette requête montre qu’elle fait partie d’une série de demandes officielles liées aux fiducies V-Day et à Royce Holdings auxquelles le cabinet GT a répondu, et qu’elle a été faite en raison des renseignements obtenus lors d’une rencontre avec le cabinet GT. Comme M. Ghermezian n’a présenté aucun élément de preuve ou argument visant à démontrer qu’il ne savait que la requête avait été envoyée à ses représentants du cabinet GT, je conclus qu’il a été dûment avisé de la requête.

[240]   Je crois comprendre que le défendeur invoque également le [traduction] « principe de la même personne » relativement à cette requête. Il soutient que la requête lui enjoignait de produire des renseignements et des documents en sa qualité de fiduciaire, de protecteur, de bénéficiaire et/ou de contribuant (vraisemblablement des fiducies pertinentes), et non en sa qualité personnelle. Cet argument me semble peu fondé. Le fait que la requête soit adressée à M. Ghermezian (et aux autres frères) en tant que fiduciaire et autres explique pourquoi l’ARC considérait qu’il était en mesure de répondre à la requête. Toutefois, la requête lui était clairement adressée et il est le défendeur dans la demande d’ordonnance dont la Cour est saisie. Par ailleurs, s’il est vrai que cette requête vise à obtenir de M. Ghermezian qu’il fournisse des renseignements ou des documents concernant les fiducies V-Day et Royce Holdings, plutôt que lui personnellement, il reste qu’il n’y a rien d’irrégulier à exiger des renseignements au sujet de tiers (voir Lee, au paragraphe 8).

[241]   Le ministre affirme que M. Ghermezian n’a pas fourni la plupart des éléments de cette requête et cherche donc à obtenir une ordonnance à l’égard de ces éléments. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de produire les éléments de la requête que le ministre cherche toujours à obtenir devrait être rendue.

(6)  Requête BUST-21

[242]   Cette requête du 4 janvier 2018 est adressée aux frères, en leur qualité de fiduciaires, et à Gherfam, à l’attention des fiduciaires et de Michael Oseen du cabinet GT. On leur demande de produire, en qualité de fiduciaires des fiducies V-Day et de quatre autres fiducies établies le 15 août 2002 (appelées « fiducies Royce » ailleurs dans le dossier de la Cour) et en qualité d’administrateurs de Gherfam, certains documents ou renseignements concernant la provenance des fonds versés aux fiducies.

[243]   Le défendeur s’élève contre le fait que cette requête a été envoyée au cabinet GT et soutient que le ministre ne saurait demander une ordonnance lui enjoignant de se conformer à une demande formelle qui ne lui a même pas été envoyée. Encore une fois, l’affidavit de M. Bowe révèle que la requête BUST-21 fait partie d’une série de demandes adressées, entre autres, au cabinet GT. Comme M. Ghermezian n’a présenté aucun élément de preuve ou argument visant à démontrer qu’il ne savait pas que la requête avait été envoyée à ses représentants du cabinet GT, je conclus qu’il a été dûment avisé de la requête.

[244]   Le défendeur soutient également que cette requête lui enjoignait de produire des renseignements et documents en sa prétendue qualité de fiduciaire et d’administrateur de Gherfam et non en sa qualité personnelle. La requête est adressée à cinq destinataires, les quatre frères et Gherfam. Le fait qu’elle soit adressée à M. Ghermezian (et aux autres frères) en tant que fiduciaire explique pourquoi l’ARC considérait qu’il était en mesure d’y répondre. À cet égard, la requête lui était clairement adressée et il est le défendeur dans la demande d’ordonnance soumise à la Cour. Par conséquent, elle ne contrevient pas au [traduction] « principe de la même personne ».

[245]   Quant au fait que la requête soit adressée à Gherfam, je souligne que Gherfam est la défenderesse au dossier T-258-19 dans lequel le ministre sollicite aussi une ordonnance relativement à la requête BUST-21, et que j’examinerai plus loin dans les présents motifs s’il convient de rendre une ordonnance lui enjoignant de se conformer à cette requête. Toutefois, les renseignements que la requête vise à obtenir des frères et de Gherfam sont les mêmes. Par conséquent, le fait que la requête soit aussi adressée à Gherfam n’est pas un motif que M. Ghermezian peut opposer à la demande d’ordonnance présentée contre lui.

[246]   Le ministre affirme que M. Ghermezian n’a fourni aucun des documents et des renseignements demandés. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(7)  Requête GG-24

[247]   Cette requête du 26 juin 2018 a été adressée à Nader Ghermezian, ainsi qu’aux autres frères. Elle fait référence aux fiducies Royce et à quatre fiducies établies le 1er septembre 2002 (appelées les fiducies Regent). On demande à leurs destinataires de fournir, en leur qualité de [traduction] « fiduciaires, protecteurs ou bénéficiaires par défaut » des fiducies Royce et des fiducies Regent, certains renseignements ou documents. Le ministre demande maintenant qu’ils répondent seulement au point 7 de cette requête.

[248]   Une fois de plus, le défendeur s’élève contre le fait que cette requête a été envoyée au cabinet GT et soutient que le ministre ne saurait solliciter une ordonnance lui enjoignant de se conformer à une demande formelle qui ne lui a même pas été envoyée. Or, et là encore, l’affidavit de M. Bowe révèle que le cabinet GT est visé par les demandes de renseignements de l’ARC en tant que représentant des défendeurs. Comme M. Ghermezian n’a présenté aucun élément de preuve ou argument visant à démontrer qu’il ne savait que la requête avait été envoyée à ses représentants du cabinet GT, je conclus qu’il a été dûment avisé de la requête.

[249]   Le défendeur soutient que, puisque cette requête lui enjoignait de produire des renseignements et des documents en sa prétendue qualité de fiduciaire, de protecteur ou de bénéficiaire, alors la demande d’ordonnance du ministre contrevient au [traduction] « principe de la même personne ». Pour les motifs exposés ci-dessus relativement aux autres requêtes visées par la présente demande d’ordonnance, j’estime que ce point de vue n’est pas fondé.

[250]   En ce qui concerne cette requête en particulier, le défendeur M. Ghermezian avance qu’elle n’est pas assez précise pour qu’il sache quels renseignements ou documents il devait fournir. Il renvoie au point 7a), où on lui enjoint de fournir certains renseignements ou documents relatifs à des fiducies ou accords semblables, auxquels lui, un membre de sa famille ou une personne morale contrôlée par eux sont partie prenante à l’un des nombreux titres y mentionnés. L’un d’eux est celui de « contribuant », un terme également employé dans une note de bas de page de la requête, que voici :

[traduction]

Dans le cas des fiducies étrangères ou accords semblables, le terme « contribuant » est défini à l’article 94 de la Loi de l’impôt sur le revenu. Aux fins du présent questionnaire, la question de savoir si un apport a été fait ou non à une fiducie ou au titre d’un accord semblable doit être tranchée en fonction de cette définition, mais sans égard aux « transferts sans lien de dépendance ». Il faut également tenir compte des dispositions déterminatives de l’article 94. Elles portent sur les transferts indirects et les autres moyens de transférer une valeur du Canada à la fiducie ou au titre d’un accord semblable.

[251]   Cet argument ressemble à celui que la Cour a examiné dans la décision Ghermezian avant de conclure que l’un des paragraphes de l’une des demandes péremptoires en cause dans cette affaire était déraisonnable. La Cour a expliqué (aux paragraphes 160 à 162) :

[160]         Toutefois, la demanderesse a formulé une autre prétention qui, même si elle ne fait pas partie de ses principaux arguments, mine à mon avis le caractère raisonnable d’un élément de la DPR visant Gherfam. Voici le texte de la demande formulée dans le dernier paragraphe clé du document GEI-29 :

     [traduction]

4.       Fournir tous les renseignements ou explications supplémentaires qui sont pertinents quant à la question de savoir si les règles de l’ancien article 94 de la Loi (dans le cas des années d’imposition précédant 2007) s’appliquent aux fiducies Royce et Regent en ce qui a trait à l’opération décrite dans la section du contexte de la présente demande.

[161]         La demanderesse soutient que ce paragraphe n’est pas suffisamment précis pour lui permettre de comprendre ce qu’elle doit fournir en réponse. Le texte du paragraphe oblige la demanderesse à mener une analyse juridique concernant l’application de l’ancien article 94, notamment en formulant des hypothèses sur la façon dont la ministre invoquerait cette disposition, puis à déterminer les renseignements qui pourraient être pertinents quant aux besoins de cette analyse.

[162]         Je conviens que ce paragraphe est problématique. Comme je l’ai déjà expliqué, le défendeur invoque l’analyse menée dans la décision Nadler (au para 9), dans laquelle la juge Gauthier n’a relevé aucun problème grave lié à la demande péremptoire dans cette affaire-là, parce que celle-ci indiquait comme il se devait le nom du contribuable concerné, précisait la disposition législative applicable et donnait une description des renseignements requis, ce qui suffisait à Canada-Israel Securities Ltd. pour être en mesure de préparer sa réponse. À mon avis, le paragraphe 4 du document GEI-29 ne donne pas une description suffisamment précise des renseignements demandés pour permettre à la demanderesse de préparer sa réponse à ce paragraphe. J’en arrive donc à la conclusion que la DPR visant Gherfam n’est pas raisonnable à cet égard.

[252]   À première vue, il y a des ressemblances entre le paragraphe contesté dans l’affaire Ghermezian et la note de bas de page à laquelle le défendeur renvoie dans l’affaire qui nous occupe, car les deux soulèvent la question du sens de l’article 94 de la Loi. Toutefois, je ne suis pas convaincu que la préoccupation décrite dans la décision Ghermezian s’applique en l’espèce. Dans cette décision, le manque de précision concernait le paragraphe dans lequel le ministre enjoignait au destinataire de la demande péremptoire de fournir des renseignements non précisés, dont la pertinence pour les besoins de l’article 94 devait être déterminée par le bénéficiaire, sans que le ministre explique les raisons justifiant qu’il invoque cette disposition. En revanche, dans l’affaire qui nous occupe, le ministre attire simplement l’attention du défendeur sur certaines définitions et dispositions déterminatives de l’article 94, afin qu’il puisse comprendre le sens du terme « contribuant » utilisé dans la requête. Je ne crois pas que cet élément de la requête GG-24 manque de précision au point de compromettre sa validité.

[253]   Enfin, le défendeur avance un argument sur les personnes non désignées nommément. Je commencerai mon examen en disant que la demande formelle à l’égard de laquelle le défendeur soulève cet argument est une requête et non une demande péremptoire. D’aucuns ont évoqué à l’audience la possibilité que les restrictions applicables aux demandes de renseignements concernant des personnes non désignées nommément, qui découlent du paragraphe 231.2(2), ne s’appliquent pas dans le contexte d’une requête. En revanche, le ministre n’a présenté aucune observation de fond à l’appui de sa prétention qu’il peut échapper à l’obligation d’obtenir l’autorisation judiciaire prévue au paragraphe 231.2(3), qui s’applique aux demandes péremptoires faites au titre de l’article 231.2, en faisant plutôt une requête fondée sur l’article 231.1. J’analyserai donc cette question en partant du principe que la requête pose problème si elle entre en conflit avec les restrictions applicables aux demandes de renseignements visant des personnes non désignées nommément, tel qu’il ressort de la jurisprudence pertinente. Je souligne que, dans l’arrêt Redeemer, la Cour suprême a analysé ce principe même si, dans cette affaire, la demande relevait de l’article 231.1.

[254]   Le défendeur soutient que M. Bowe a admis en contre-interrogatoire que cette requête visait à obtenir des renseignements sur des personnes non désignées nommément afin que le ministre puisse enquêter sur leur assujettissement à l’impôt. Cette prétention découle des questions que l’avocat a posées à M. Bowe au sujet du point 7 de la requête. L’avocat a demandé à M. Bowe, à propos de ce point, de dire quels accords pourraient être considérés comme des fiducies en droit canadien, puis il lui a demandé si l’ARC cherchait à ce qu’on lui communique ces renseignements afin qu’elle puisse enquêter sur le lieu de résidence de ces entités et sur leur assujettissement à l’impôt. L’extrait suivant est tiré de la transcription de ce témoignage :

[traduction]

Q. Vous avez demandé qu’on vous communique ces renseignements afin que vous puissiez enquêter sur le lieu de résidence de cette entité et sur son potentiel assujettissement à l’impôt, n’est-ce pas?

R. Ainsi que sur l’assujettissement à l’impôt de M. Ghermezian, de son épouse et de son enfant mineur.

Q. Donc, sur toutes ces personnes, n’est-ce pas?

R. Eh bien, le but premier – oui, sur toutes ces personnes, M. Sood.

[255]   L’avocat a ensuite demandé à M. Bowe si ces autres accords étaient connus du ministre au moment où la requête a été faite. M. Bowe a répondu en expliquant qu’on pouvait trouver au paragraphe 105 de son affidavit la liste des fiducies connues du ministre, dont plusieurs à l’égard desquelles le ministre n’avait pas obtenu de renseignements de la famille Ghermezian.

[256]   Cela étant, le défendeur soutient que cette requête vise à obtenir des renseignements et des documents concernant des personnes non désignées nommément afin de déterminer l’assujettissement à l’impôt de ces personnes et qu’elle est donc invalide parce qu’elle n’a pas été préalablement autorisée par un juge.

[257]   En réponse à cet argument, le ministre souligne que l’analyse visant à déterminer s’il est nécessaire d’obtenir l’autorisation d’un juge, lorsque la demande de renseignements ou de documents vise des personnes non désignées nommément, dépend des faits. Se fondant principalement sur les arrêts Redeemer et Artistic Ideas, il soutient que l’autorisation d’un juge est requise seulement si le dossier révèle que les renseignements ainsi demandés serviront essentiellement à vérifier si ces personnes sont tenues par la Loi à des obligations. Le ministre soutient que l’argument avancé par le défendeur, à partir du témoignage de M. Bowe, mène à un résultat absurde, c’est-à-dire que le ministre ne pourrait, sans autorisation judiciaire, obtenir des renseignements sur une personne non désignée nommément, même si ces renseignements sont pertinents pour la vérification d’une personne désignée.

[258]   Il ressort clairement de la jurisprudence examinée précédemment que le fait que des documents et des renseignements, une fois obtenus, puissent mener à des enquêtes sur d’autres contribuables ne signifie pas qu’il faut obtenir l’autorisation d’un juge. Toutefois, l’analyse n’est pas aussi simple lorsque le dossier révèle, tout comme le révèle le témoignage obtenu de M. Bowe en contre-interrogatoire, qu’en faisant signifier une demande formelle, l’ARC a l’intention d’examiner la situation fiscale à la fois d’entités qui sont connues du ministre et éventuellement d’entités inconnues. La situation est encore plus compliquée en l’espèce à cause des explications données par M. Bowe au sujet de la liste des entités connues du ministre qui, semble-t-il, pourraient être visées par au moins certains aspects des questions posées au point 7. Ce point ne pose manifestement pas problème dans la mesure où il se rapporte à des entités connues.

[259]   À mon avis, la jurisprudence et des considérations de principe militent en faveur de la position du ministre sur cette question. Compte tenu du témoignage donné par M. Bowe en contre-interrogatoire et de l’explication contenue dans son affidavit quant au contexte global des initiatives de l’ARC en matière de vérification dont fait partie la requête GG-24, l’ARC avait l’intention d’enquêter sur la situation fiscale de M. Nader Ghermezian et de sa famille, et elle a jugé qu’il serait pertinent d’obtenir des renseignements et des documents concernant de possibles fiducies inconnues ou des accords semblables. Comme le soutient le ministre, l’arrêt Redeemer nous enseigne que le paragraphe 231.2(2) ne s’applique pas aux cas où les renseignements demandés sont nécessaires pour s’assurer que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi (au paragraphe 22). Je suis d’accord avec le ministre pour dire que le fait que les renseignements puissent aussi être utiles à l’enquête sur une personne non désignée nommément ne justifie pas de s’écarter de ce raisonnement.

[260]   Comme je l’ai mentionné, le point 7 de cette requête est le seul pour lequel le ministre sollicite une ordonnance. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer au point 7 de la requête devrait être rendue.

(8)  Requêtes NUST-22 et NUST-23

[261]   Ces requêtes, toutes deux datées du 5 avril 2018, sont adressées à Nader Ghermezian à l’adresse d’Edmonton. Elles sont jointes à titre de pièces à l’affidavit de M. Bowe qui affirme qu’elles ont été envoyées sous forme de lettres à M. Ghermezian. Comme M. Ghermezian n’a présenté aucun élément de preuve ou argument visant à démontrer qu’il n’avait pas reçu l’avis de requête, je conclus qu’il a été dûment avisé.

[262]   Il est mentionné dans la requête NUST-22 que M. Ghermezian est fiduciaire de l’une des fiducies Regent et que l’ARC a conclu que la fiducie résidait de fait au Canada depuis sa constitution. Les requêtes exigent de M. Ghermezian qu’il produise certains formulaires d’impôt ainsi que des documents ou renseignements y afférents. La requête NUST-23 est pour l’essentiel identique à la requête NUST-22, sauf qu’elle se rapporte à l’une des fiducies Royce.

[263]   Le défendeur s’oppose au fait que, dans les requêtes, on lui demande de produire des formulaires d’impôt. Toutefois, le ministre ne cherche à obtenir que certains éléments (points 8 à 23) des requêtes, qui ne comprennent pas ces formulaires.

[264]   Le défendeur fait aussi valoir que le point 23 de ces requêtes, qui porte sur la production de bases de données comptables, manque de précision. Il affirme qu’il y est fait mention du [traduction] « groupe Ghermezian » et du « Mall of America Group », ce qui n’est pas assez précis pour qu’il sache quels renseignements et documents il doit fournir en réponse. Le point 23 est ainsi rédigé :

[traduction]

En plus des documents et renseignements susmentionnés, nous demandons une copie de chaque base de données comptables électronique, complète et non modifiée, qui est tenue pour le groupe Ghermezian et qui contient des données comptables concernant les entités suivantes :

a.  chacune des fiducies, sociétés de personnes et sociétés détenues directement ou indirectement par chacune des fiducies;

b.  Triple Five MOA Holdings, LLC;

c.  Triple Five MOA Investments, LLC;

d.  MOA Management, LLC;

e.  MOA Investments, LLC;

f.   Triple Five Minnesota, Inc;

g.  Manchester Leasing Inc;

h.  Gherfam Equities Inc;

i.   les données du grand livre de toute entité ayant un lien de dépendance et détenant un compte intersociétés avec l’une des entités susmentionnées;

Pour plus de précision, nous demandons les données du grand livre de toutes les entités du groupe Mall of America et de toute entité affiliée qui fait affaire avec le Mall of America Group.

[265]   Ni le « groupe Ghermezian » ni le « Mall of America Group » n’est défini dans l’une ou l’autre de ces requêtes. Il est vrai que dans son affidavit, M. Bowe définit le terme « groupe Ghermezian » comme étant les frères et les autres personnes et entités ayant avec eux des liens économiques ou autres, mais le défendeur n’avait pas cet affidavit, et par conséquent cette définition, en mains lorsqu’il a reçu les requêtes. Toutefois, je suis d’accord avec le ministre pour dire que, même si le terme non défini « groupe Ghermezian » figure au point 23, les paragraphes subséquents a) à i), qui désignent les entités visées par la demande de données comptables, apportent les précisions nécessaires. Je ne crois pas que l’utilisation du terme « groupe Ghermezian » empêche le défendeur de savoir quels renseignements ou documents sont exigés.

[266]   L’emploi du terme « Mall of America Group », dans la dernière phrase du point 23, me préoccupe davantage. M. Bowe explique dans son affidavit ce que je crois être l’interprétation de l’ARC, à savoir que le Mall of America appartient à 100 p. 100 au groupe Ghermezian (défini dans son affidavit) par l’entremise des fiducies Royce, des fiducies Regent et de Gherfam. Dans ce contexte, le ministre s’appuie sur la décision Zeifmans, dans laquelle la juge Walker a expliqué qu’on ne pouvait s’attendre à ce que l’ARC connaisse la composition des avoirs d’un contribuable (au paragraphe 78). Bien que j’en convienne, je remarque que, dans l’affaire Zeifmans, les termes de la demande officielle qui étaient contestés à cause de leur imprécision étaient : [traduction] « entités détenues, exploitées, contrôlées ou autrement apparentées » [soulignement omis] aux personnes désignées nommément (voir paragraphe 77). La juge Walker a conclu que des termes tels que « autrement apparentées » ou « exploitées par » n’étaient pas faciles à définir, et que, puisque le contribuable demandeur connaissait la structure d’entreprise du groupe, la demande était intelligible (aux paragraphes 81–82).

[267]   Selon moi, le terme « Mall of America Group » ne bénéficie pas du même niveau d’intelligibilité que les termes examinés dans la décision Zeifmans. Bien que l’on puisse conjecturer sur son sens, qui englobe de façon générale toutes les entités liées d’une manière ou d’une autre au Mall of America, j’estime que s’il est nécessaire de conjecturer ainsi, c’est parce cette partie de la requête n’est pas suffisamment précise pour que le défendeur puisse y répondre. Par conséquent, je conclus que la dernière phrase du point 23 de la requête, reproduite ci-dessus, est invalide. Par souci de clarté, je conclus que le reste du point 23 est valide.

[268]   Sous réserve de ces conclusions et sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de produire les éléments de ces requêtes que le ministre tente encore d’obtenir devrait être rendue.

(9)  Requête NUST2-01

[269]   Cette requête du 11 octobre 2018 est adressée à Nader Ghermezian et aux autres frères. Elle a été envoyée sous la forme d’une lettre recommandée à Nader Ghermezian à l’adresse d’Edmonton. Dans son affidavit, M. Bowe dit que l’ARC a fait cette requête, qui est jointe en annexe à son affidavit. Comme M. Ghermezian n’a produit aucun élément de preuve ou argument visant à démontrer qu’il n’avait pas reçu l’avis de requête, je conclus qu’il a été dûment avisé de la requête.

[270]   Cette requête enjoint aux frères, en leur qualité de fiduciaires, de protecteurs ou de bénéficiaires par défaut d’une ou de plusieurs des fiducies V-Day, de produire diverses catégories de renseignements ou documents concernant ces fiducies, lesquels serviront à déterminer si les fiducies résident au Canada aux fins de l’impôt sur le revenu.

[271]   Comme la requête vise à obtenir de lui qu’il fournisse des renseignements en sa qualité de fiduciaire ou autre, le défendeur invoque le [traduction] « principe de la même personne ». J’estime que cet argument n’est pas fondé, étant donné que la requête a clairement été adressée à M. Ghermezian (et aux autres frères) et qu’il est le défendeur dans la présente demande d’ordonnance. La mention de sa qualité de fiduciaire ou autre explique simplement pourquoi l’ARC s’attend à ce qu’il ait accès aux renseignements ou aux documents demandés.

[272]   Le ministre affirme que M. Ghermezian n’a fourni aucun des documents et renseignements demandés. Sous réserve de toute partie de la présente requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations des parties sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(10) Demande péremptoire A-NG-0126

[273]   Cette demande péremptoire du 27 juin 2018 est adressée à Nader Ghermezian à l’adresse d’Edmonton et lui enjoint de fournir, au sujet des sociétés mentionnées dans l’objet, diverses catégories de renseignements et documents pour la période du 1er janvier 1997 au 30 avril 2018. Il doit notamment produire une liste de tous les comptes connus, des copies de tous les relevés bancaires de certains comptes et des comptes détenus dans toute autre banque, et la source de tous les dépôts aux comptes et la destination de tous les virements bancaires.

[274]   Outre les arguments examinés précédemment dans les présents motifs, le seul autre argument que le défendeur fait valoir quant à cette demande péremptoire, c’est que le ministre n’a pas prouvé qu’elle a été faite pour l’application et l’exécution de la Loi, comme le prévoit le paragraphe 231.2(1).

[275]   Dans son affidavit, M. Bowe explique que la plupart des renseignements que l’ARC cherche à obtenir par cette demande péremptoire se rapportent aux relevés bancaires des sociétés qui, selon elle, sont contrôlées par le défendeur. Il affirme que la demande péremptoire a été préparée à des fins liées à l’application et à l’exécution de la Loi, soit afin de vérifier le lieu de résidence et les actifs et revenus déclarés de la FFG97 et de la T5WW (entités ci-dessus mentionnées dans les présents motifs). Après avoir appliqué les principes jurisprudentiels examinés ci-dessus, et comme le défendeur n’a pas présenté d’observations plus détaillées à l’appui de cet argument, j’estime que celui-ci n’est pas fondé.

[276]   Le ministre cherche à obtenir tous les renseignements et documents demandés dans cette demande péremptoire. Je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer à cette demande péremptoire devrait être rendue.

(11) Demande péremptoire A-NG-0127

[277]   Cette demande péremptoire du 28 juin 2018 est adressée à Nader Ghermezian à l’adresse d’Edmonton et lui enjoint de fournir, au sujet des sociétés et autres entités mentionnées, diverses catégories de renseignements et de documents pour la période du 1er janvier 1997 au 30 avril 2018. Il doit notamment produire les registres des procès-verbaux, y compris les résolutions des administrateurs, le registre des actionnaires, les rapports financiers, les ententes, ainsi que les coordonnées des personnes-ressources et tous les relevés bancaires des entités mentionnées.

[278]   Outre les arguments examinés précédemment dans les présents motifs, le défendeur soutient que le ministre n’a pas prouvé que cette demande péremptoire a été faite pour l’application et l’exécution de la Loi, comme le prévoit le paragraphe 231.2(1). M. Bowe explique dans son affidavit, au sujet de cette demande péremptoire, que l’ARC croit que la FFG97 détient ou pourrait avoir détenu des actions de sociétés autres que T5WW et que la demande péremptoire a été préparée à des fins liées à l’application et à l’exécution de la Loi, soit afin de vérifier le lieu de résidence et les actifs et revenus non déclarés de la FFG97 et de la T5WW. Après avoir appliqué les principes jurisprudentiels examinés ci-dessus, et comme le défendeur n’a pas présenté d’observations plus détaillées à l’appui de cet argument, j’estime que celui-ci n’est pas fondé.

[279]   Le défendeur fait aussi valoir que la ligne Objet de cette demande péremptoire contient le terme [traduction] « entités Gibraltar », et que, comme ce terme n’est pas défini, il n’est pas assez précis pour que la demande péremptoire lui soit opposable. J’estime que cet argument n’est pas fondé. Comme le soutient le ministre, les entités à l’égard desquelles il demande des renseignements et documents pertinents sont décrites dans le corps de la demande.

[280]   Le ministre cherche à obtenir tous les renseignements et documents demandés dans cette demande péremptoire. Je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer à celle-ci doit être rendue.

(12) Demande péremptoire A-NUST-0103

[281]   Cette demande péremptoire du 23 janvier 2019 est adressée à Nader Ghermezian à l’adresse d’Edmonton. Il y est indiqué qu’il est fiduciaire, protecteur et/ou bénéficiaire de l’une des fiducies V-Day, de l’une des fiducies Royce et de l’une des fiducies Regent, et on lui enjoint de fournir divers documents et renseignements concernant ces fiducies, dont : les déclarations de revenus des trois fiducies, et les annexes y afférentes, produites aux É.-U. tant au niveau fédéral et qu’au niveau des États; les livres et registres utilisés pour préparer ces déclarations de revenus; et tous les formulaires Annexe K-1 reçus par les fiducies.

[282]   Comme il est fait mention de sa qualité de fiduciaire, de protecteur et/ou de bénéficiaire des fiducies, le défendeur invoque le [traduction] « principe de la même personne ». Toutefois, j’estime que cette mention vient expliquer pourquoi l’ARC croit que M. Ghermezian a accès aux renseignements et documents pertinents. La demande péremptoire est adressée à M. Ghermezian, qui est le défendeur dans la présente demande d’ordonnance. Par conséquent, le [traduction] « principe de la même personne » ne fait aucunement obstacle à la validité de la demande péremptoire.

[283]   Le défendeur soulève aussi un autre argument concernant cette demande péremptoire. Il fait remarquer qu’elle a été faite le 23 janvier 2019 et que, comme on lui accordait un délai de 30 jours pour y répondre, il devait fournir cette réponse le 22 février 2019, soit le lendemain du dépôt de la présente demande sommaire par le ministre. Il soutient qu’il a de ce fait subi un préjudice et que cette demande sommaire constitue un abus de procédure du fait que le ministre tente de faire en sorte qu’elle s’applique à la demande péremptoire en cause, alors qu’il (le défendeur) n’avait pas manqué à son obligation de conformité lorsque la demande sommaire a été introduite.

[284]   Je conviens que cette situation est irrégulière. Toutefois, le défendeur n’a pas expliqué en quoi il était lésé, d’autant plus que la Cour examine ses manquements à la Loi des années après que la demande péremptoire ait été faite. Je conclus que cette irrégularité ne justifie pas de rejeter la demande d’ordonnance quant à cette demande péremptoire.

[285]   Le ministre cherche à obtenir tous les renseignements et documents visés par cette demande péremptoire, à l’exception des déclarations de revenus de la fiducie V-Day produites aux É.-U. Je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de produire les autres éléments demandés par le ministre dans cette demande péremptoire devrait être rendue.

(13) Demande péremptoire A-GRDT-0100

[286]   Cette demande péremptoire du 21 janvier 2019 est adressée à Nader Ghermezian à l’adresse d’Edmonton. M. Ghermezian y est désigné comme étant le gestionnaire (administrateur) de sociétés ultimement détenues par le Ghermezian Royal Discretionary Trust (GRDT) et doit produire diverses catégories de renseignements et de documents concernant ces sociétés, leurs sociétés apparentées et leurs actionnaires, y compris certaines catégories d’opérations.

[287]   Comme il est fait mention de sa qualité de gestionnaire ou d’administrateur des sociétés concernées, le défendeur invoque le [traduction] « principe de la même personne ». Toutefois, j’estime que cette mention vient expliquer pourquoi l’ARC croit que M. Ghermezian a accès aux renseignements et documents pertinents. La demande péremptoire est adressée à M. Ghermezian, qui est le défendeur dans la présente demande. Par conséquent, le [traduction] « principe de la même personne » ne fait aucunement obstacle à la validité de la demande péremptoire.

[288]   Le défendeur avance aussi l’argument que la Cour a examiné relativement à la demande péremptoire A-NUST-0103. La demande péremptoire A-GRDT-0100 a été faite le 21 janvier 2019 et, comme le défendeur avait 30 jours pour y répondre, il devait fournir cette réponse le 20 février 2019, soit après le dépôt de la présente demande sommaire par le ministre. Il soutient qu’il a de ce fait subi un préjudice et que cette demande sommaire constitue un abus de procédure du fait que le ministre tente de faire en sorte qu’elle s’applique à la demande péremptoire en cause, alors qu’il (le défendeur) n’avait pas manqué à son obligation de conformité lorsque la demande sommaire a été introduite. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus au sujet de la demande péremptoire A-NUST-0103, je conclus que cette irrégularité ne justifie pas de rejeter la demande d’ordonnance quant à cette demande péremptoire.

[289]   Le ministre cherche à obtenir tous les renseignements et documents demandés dans cette demande péremptoire. Je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de se conformer à celle-ci devrait être rendue.

B.    T-254-19 – MRN c. Marc Vaturi

(1)  Requête A-MV-0144

[290]   Cette requête datée du 3 octobre 2018 et adressée à Marc Vaturi au 357, boulevard Cortleigh, Toronto (Ontario) M5N 1R4 (l’adresse de Toronto), indique que M. Vaturi a été choisi pour faire l’objet d’une vérification concernant les périodes d’imposition 2016 et 2017 et qu’il doit fournir diverses catégories de renseignements et de documents. Les seuls aspects de cette requête auxquels M. Vaturi n’a pas répondu concernent le point 1 (sources de ses revenus de toute provenance) et le point 8 (liste de tous les comptes bancaires personnels détenus à l’étranger et au pays, et certains renseignements ou documents se rapportant à ces comptes).

[291]   En ce qui concerne l’avis, M. Bowe a joint une copie de cette requête à son affidavit, y compris un reçu de livraison de Postes Canada. M. Bowe a expliqué en contre-interrogatoire que l’adresse de Toronto où la requête a été envoyée était l’adresse domiciliaire de M. Vaturi au moment où il était chargé de la vérification. Comme M. Vaturi n’a présenté aucun élément de preuve ou argument visant à démontrer qu’il n’avait pas reçu l’avis de la requête, je conclus qu’il a été dûment avisé.

[292]   Outre les arguments généraux examinés précédemment dans les présents motifs, le défendeur a fait valoir, au sujet de cette requête, que les réponses qu’il avait données étaient suffisantes. Il semble que le désaccord qui oppose les parties à ce sujet porte sur les renseignements ou documents suivants qui, selon le ministre, n’ont pas été fournis et représentent une infime partie des documents demandés dans une lettre du 10 mars 2020 envoyée par M. Bowe à M. Vaturi par suite de la requête A-MV-0144 :

[traduction]

Question 1 – Renseignements sur les sources de revenus de toute provenance (notamment le type de revenu (investissement, emploi, entreprise, etc.), les dates auxquelles le revenu a été gagné et toute pièce justificative (talons de paie, état des salaires, etc.))

Nous vous demandons de bien vouloir nous fournir des pièces justificatives pour chacune des sources de revenus mentionnées ci-après. Voici quelques exemples de documents acceptables : contrats, ententes, talons de paie, états des salaires, factures, etc. Sources de revenus :

-        les honoraires de consultation que [vous] avez reçus de [Triple Five World Properties Limited] en 2016 et 2017;

-        les intérêts perçus de la Banque Royale du Canada en 2016 et 2017.

[…]

Question 8 – Une liste de tous les comptes de banque et d’investissement personnels étrangers et canadiens, détenus exclusivement, conjointement ou autrement par vous, qui ont été administrés par vous ou en votre nom. Veuillez également inclure les documents suivants :

a)      comptes détenus en fiducie pour des mineurs;

b)      comptes de prêt et marges de crédit;

c)      relevés de carte de crédit;

d)      relevés mensuels indiquant toutes les entrées relatives à la période mentionnée précédemment pour tous les comptes;

e)      autorisations et procurations relatives aux comptes;

g)      déclaration donnant des précisions sur la location de tout coffret de sûreté.

-Relevés mensuels du compte de la RBC [renseignements personnels caviardés] pour la période du 24 mai au 23 juin 2017 sont manquants.

-Relevés mensuels de World Alliance Consulting Limited, une entreprise de Hong Kong contrôlée par vous.

-Relevés mensuels de tout autre compte détenu ou contrôlé par vous ou en votre nom.

[293]   S’agissant de la question 1, le défendeur conteste la demande de documents « acceptables » et souligne que M. Bowe a reconnu en contre-interrogatoire qu’il voulait dire « acceptables pour lui ». Il soutient que ce terme ne donne pas des renseignements requis une description suffisante pour qu’il puisse préparer sa réponse. Je ne partage pas ce point de vue. La requête vise à obtenir des pièces justificatives pour les deux sources de revenus précisées. La lettre du 10 mars 2020 donne des exemples du genre de documents qui pourraient servir à cette fin. M. Vaturi est le mieux placé pour savoir quel genre de documents lui permettraient de répondre à la requête. Les termes de cette lettre de suivi ne justifient pas qu’il s’oppose à cette partie de la requête.

[294]   Toujours au sujet de la question 1, le défendeur renvoie à la réponse que son avocat a envoyée le 19 août 2019 à l’une des autres requêtes du ministre (la requête MV-08 à laquelle le ministre a renoncé). Dans cette réponse, l’avocat expliquait que les ententes de consultation conclues entre M. Vaturi et Triple Five World Properties Limited étaient verbales et non écrites. M. Vaturi soutient qu’il s’ensuit qu’il n’a aucun document justificatif à fournir. Cet argument me semble peu fondé, car ce n’est pas parce que l’entente de consultation n’a pas été consignée par écrit qu’il n’existe aucun document justificatif relatif aux paiements qui en découlent.

[295]   Quant à la mention, à la question 1, des intérêts provenant de la Banque Royale du Canada (RBC), le défendeur fait valoir que les pièces justificatives se trouvent probablement dans les relevés bancaires mensuels de la RBC dont il est question à la question 8. C’est peut-être le cas, mais le défendeur n’a présenté aucun élément de preuve qui permettrait à la Cour de tirer cette conclusion.

[296]   En ce qui concerne la question 8, je fais remarquer que les avocats des deux parties ont confirmé à l’audience que le relevé mensuel manquant de la RBC avait été produit. Il semble donc que le seul aspect non résolu de cette question concerne les relevés mensuels de la World Alliance Consulting Limited (WACL). Pour contester cette requête, le défendeur s’appuie sur le fait que M. Bowe a reconnu en contre-interrogatoire qu’il ne savait pas vraiment si M. Vaturi contrôlait la WACL. Le défendeur attire aussi l’attention de la Cour sur la déclaration faite par M. Bowe dans son affidavit selon laquelle le défendeur avait fait parvenir à l’ARC des documents confirmant qu’il ne détenait aucune participation dans la WACL.

[297]   En réponse, le ministre s’appuie sur les renseignements contenus dans l’affidavit de M. Bowe, qui, soutient-il, sont des renseignements obtenus par l’ARC qui montrent que M. Vaturi contrôle bel et bien la WACL. M. Vaturi n’a présenté aucune preuve contraire et je ne vois rien qui lui permettrait de refuser de répondre à cet élément de la requête.

[298]   Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Vaturi de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(2)  Demande péremptoire A-MV-0136

[299]   Cette demande péremptoire du 27 juin 2018 est adressée à M. Vaturi à l’adresse de Toronto et lui enjoint de fournir, au sujet des sociétés nommées dans l’objet, diverses catégories de renseignements et de documents se rapportant à la période du 1er janvier 1997 au 30 avril 2018.

[300]   Le défendeur invoque le [traduction] « principe de la même personne ». Il soutient que, contrairement à la requête A-MV-0144 qui, selon sa ligne Objet, porte sur ses déclarations de revenus personnelles, la demande péremptoire A-MV-0136 porte sur diverses sociétés étrangères et vise à obtenir des renseignements sur leur situation fiscale. Le défendeur fait valoir que, s’il avait accès aux renseignements et documents demandés, ce serait à cause du rôle qu’il joue, le cas échéant, dans le processus décisionnel lié à ces sociétés. Cela étant, il soutient que la demande péremptoire vise en fait les sociétés et non lui personnellement.

[301]   J’estime que cet argument n’est pas fondé. La demande péremptoire était adressée à M. Vaturi et visait clairement ce dernier, tout comme la présente demande. Le fait qu’elle vise à obtenir des renseignements et des documents se rapportant à la situation fiscale des sociétés en question ne veut pas dire qu’elle vise ces sociétés.

[302]   Le ministre cherche à obtenir tous les renseignements et documents demandés dans cette demande péremptoire. Je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Vaturi de se conformer à cette demande péremptoire devrait être rendue.

(3)  Demande péremptoire A-MV-0137

[303]   Cette demande péremptoire du 28 juin 2018 est adressée à M. Vaturi à l’adresse de Toronto et lui enjoint de fournir, au sujet des sociétés et autres entités mentionnées dans l’objet, diverses catégories de renseignements et de documents se rapportant à la période du 1er janvier 1997 au 30 avril 2018.

[304]   En réponse, M. Vaturi invoque le [traduction] « principe de la même personne » pour la même raison que celle invoquée à l’égard de la demande péremptoire A-MV-0136. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, je rejette cet argument.

[305]   Le ministre cherche à obtenir tous les renseignements et documents demandés dans cette demande péremptoire. Je conclus qu’une ordonnance enjoignant à M. Vaturi de se conformer à cette demande péremptoire devrait être rendue.

C.   T-258-19 – MRN c. Gherfam Equities Inc.

[306]   Cette demande visait initialement à obtenir une ordonnance concernant un plus grand nombre de requêtes, ainsi qu’une demande péremptoire, mais le ministre a fait savoir qu’il renonçait à cette demande péremptoire (qui a été annulée dans la décision Ghermezian) et que la demande ne portait maintenant que sur quatre requêtes.

(1)  Requête GEI-20

[307]   Cette requête du 7 décembre 2017 est adressée à Gherfam, à l’attention de Michael Oseen du cabinet GT. Elle vise à obtenir des renseignements et documents relatifs à une liste d’entités dans lesquelles Gherfam détiendrait un droit de propriété indirect ou un intérêt en tant que membre.

[308]   Je remarque que l’ARC a envoyé cette requête à Gherfam par l’entremise de son représentant, le cabinet GT. Dans la mesure où la défenderesse exprime des réserves au sujet de l’avis, je souligne que, dans l’affidavit qui a été produit en l’espèce, M. Bowe désigne le cabinet GT comme étant le représentant autorisé de la défenderesse, et fait état des renseignements qui ont été fournis par l’ARC au cabinet GT, et vice-versa, au cours de la vérification faite par l’ARC. Comme Gherfam n’a présenté aucun élément de preuve ou argument visant à démontrer qu’elle n’avait pas reçu cette requête, je conclus qu’elle a été dûment avisée.

[309]   Le ministre demande tous les documents et renseignements qui font l’objet de cette requête. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à Gherfam de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(2)  Requête GEI-21

[310]   Cette requête du 7 décembre 2017 est adressée à Gherfam, elle aussi à l’attention de Michael Oseen du cabinet GT. Elle vise à obtenir certains renseignements et documents (dont des registres de procès-verbaux) concernant Royce Holdings et d’autres entités.

[311]   Encore une fois, je ne vois aucun problème en ce qui a trait à la communication par l’ARC de l’avis de la requête faite à Gherfam par l’entremise de son représentant, le cabinet GT.

[312]   La défenderesse remet aussi en question la précision d’un élément de la requête, qui est ainsi rédigé :

[traduction]

4)  Pour les entités qui exploitent également une « succursale » ou qui sont inscrites comme « personne étrangère » dans d’autres ressorts (c.-à-d. que la SRL est toujours inscrite dans les États du DE, de NY, de la FA, du NJ…), veuillez également fournir les registres des procès-verbaux de cette entité pour chacun de ces ressorts.

[313]   La défenderesse soutient que cet élément n’est pas assez précis pour qu’elle puisse y répondre, car ni le terme « succursale » ni le terme « personne étrangère » ne sont définis. Bien que les termes employés dans la requête pourraient sans doute être plus précis, le terme « succursale » est compréhensible suivant son sens ordinaire, et la requête donne des exemples d’inscription à titre de personne étrangère dans un autre ressort afin de faciliter la compréhension de ce terme. J’estime que cet élément de la requête n’est pas invalide pour cause d’imprécision.

[314]   La défenderesse soutient également que le ministre n’a pas prouvé que cette requête avait été faite en vue de l’application ou de l’exécution de la Loi. Dans son affidavit, M. Bowe explique que la requête a été envoyée à Gherfam, à titre de membre déjà identifié de Royce Holdings, afin d’obtenir des renseignements et des documents concernant Royce Holdings et ses filiales. Après avoir appliqué les principes jurisprudentiels examinés ci-dessus, et comme la défenderesse n’a pas présenté d’observations plus détaillées à l’appui de cet argument, j’estime que celui-ci n’est pas fondé.

[315]   Le ministre cherche à obtenir tous les documents et renseignements qui font l’objet de cette requête. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à Gherfam de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(3)  Requête GEI-28

[316]   Cette requête du 28 juin 2018 est adressée à Gherfam, à l’attention de ses administrateurs. Elle vise à obtenir certains renseignements et documents relatifs aux placements ou aux comptes d’une société appelée Regent New York Fund Corporation (RNY), décrite comme étant une société étrangère affiliée contrôlée par Gherfam.

[317]   La défenderesse souligne que cette requête a été adressée à l’attention des administrateurs de Gherfam, non désignés nommément, et soutient que le ministre n’a pas prouvé qu’elle avait bel et bien été signifiée à Gherfam. En réponse, le ministre s’appuie sur l’affidavit de M. Bowe auquel est jointe comme pièce une copie de la requête et dans lequel il est mentionné que celle-ci a été envoyée par télécopieur au cabinet GT. Y est aussi jointe comme pièce une copie de la page de transmission par télécopieur. Compte tenu de mes conclusions quant au rôle joué par le cabinet GT en tant que représentant de Gherfam, je conclus que Gherfam a été dûment avisée de cette requête.

[318]   La défenderesse soutient par ailleurs que le ministre n’a pas prouvé que cette requête avait été présentée en vue de l’application ou de l’exécution de la Loi. Dans son affidavit, M. Bowe explique que la requête a été envoyée à Gherfam afin d’obtenir des renseignements sur les placements de RNY (décrite comme une société étrangère affiliée contrôlée par Gherfam) et de ses filiales, dans le cadre de l’examen par l’ARC des déclarations de revenus de Gherfam. Après avoir appliqué les principes jurisprudentiels examinés ci-dessus, et comme la défenderesse n’a pas présenté d’observations plus détaillées à l’appui de cet argument, j’estime que celui-ci n’est pas fondé.

[319]   La défenderesse fait aussi valoir que la requête manque de précision. Elle souligne qu’on y emploie le terme non défini « groupe Ghermezian ». À mon avis, ce terme ne pose pas problème, car il apparaît dans une description des activités de l’ARC et non dans la description des renseignements ou des documents demandés.

[320]   La défenderesse estime également que le passage commençant par [traduction] « […] et tout autre document pertinent […] », au point 1b) de la requête, est imprécis :

[traduction]

1.  Pour chacun des comptes du grand livre énumérés à l’annexe A :

[…]

b.  Si l’un de ces placements a été transféré ou cédé, veuillez expliquer pourquoi le transfert ou la cession n’a pas été consigné dans le grand livre. De plus, veuillez fournir les documents à l’appui de ce transfert ou de cette cession. Vous devez entre autres fournir les bordereaux d’opération, les conventions d’achat-vente, la correspondance, les relevés bancaires, les chèques annulés, les virements télégraphiques et tout autre document pertinent offrant une piste de vérification claire qui permettrait de contrôler le transfert ou la cession de même que les conséquences fiscales de l’opération. [Non souligné dans l’original.]

[321]   La défenderesse soutient qu’on ne peut s’attendre à ce qu’elle sache quoi produire en réponse au passage souligné ci-dessus. Je partage cet avis, car une telle formulation obligerait la défenderesse à se livrer à une analyse de conséquences fiscales non précisées. L’ordonnance qui sera rendue relativement à cette requête, s’il en est, doit exclure ce passage.

[322]   Sous réserve de ce qui précède et de toute autre partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à Gherfam de se conformer à cette requête devrait être rendue.

(4)  Requête BUST-21

[323]   Comme je l’ai mentionné ci-dessus au sujet de la demande d’ordonnance concernant Nader Ghermezian, cette requête du 4 janvier 2018 est adressée aux frères en leur qualité de fiduciaires et à Gherfam. Elle vise à obtenir certains documents et/ou renseignements sur la provenance des fonds versés aux fiducies V-Day et aux fiducies Royce.

[324]   Il n’est pas nécessaire de revenir sur les arguments que j’ai examinés ci-dessus relativement à la demande d’ordonnance visant Nader Ghermezian. Toutefois, dans la mesure où Gherfam soulève le [traduction] « principe de la même personne », eu égard à sa qualité de défenderesse, je ferai remarquer que, bien que la requête soit adressée aux frères, elle est aussi adressée à Gherfam. Comme Gherfam a reçu la requête et qu’elle est maintenant défenderesse dans la présente demande, le [traduction] « principe de la même personne » ne fait aucunement obstacle à la validité de la requête.

[325]   La défenderesse estime que la requête manque de précision, en ce qu’elle vise à obtenir des renseignements non seulement sur les fiducies désignées nommément, mais aussi sur [traduction] « leurs filiales », un terme qui n’est pas défini dans la requête. Je ne crois pas que ce terme soit incompréhensible.

[326]   La défenderesse fait aussi valoir que la requête concerne des personnes non désignées nommément en ce qu’elle vise à obtenir des renseignements au sujet des filiales des fiducies, et qu’il y est question du fait que l’ARC s’intéresse aux contributions versées aux fiducies américaines [traduction] « et procède au contrôle des filiales de la fiducie ». Selon moi, ce passage ne signifie pas que l’ARC a l’intention d’utiliser les renseignements ainsi obtenus essentiellement pour vérifier la situation fiscale des filiales non désignées nommément des fiducies mentionnées dans la requête. Après avoir appliqué les principes régissant les dispositions relatives aux personnes non désignées nommément examinées dans les présents motifs, je ne suis pas d’avis que cet aspect de la requête BUST-21 pose problème.

[327]   Le ministre affirme que Gherfam n’a produit aucun des documents et renseignements demandés. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’une ordonnance enjoignant à Gherfam de se conformer à cette requête devrait être rendue.

D.   T-259-19 – MRN c. Paul Ghermezian

[328]   Cette demande d’ordonnance porte sur une seule demande péremptoire.

(1)  Demande péremptoire A-GDT-0103

[329]   Cette demande péremptoire du 30 octobre 2018 désigne Paul Ghermezian comme étant l’un des fiduciaires de la Ghermezian Dynasty Trust (GDT) et vise à obtenir des renseignements et des documents concernant la GDT. Elle vise également à obtenir le nom de toute autre fiducie distincte créée en vertu de la convention relative à la fiducie GDT, ainsi qu’à obtenir diverses catégories de renseignements et de documents concernant une liste de sociétés à responsabilité limitée appelées les [traduction] « sociétés émettrices ».

[330]   J’ai traité plus tôt dans les présents motifs des arguments du défendeur concernant le lieu de résidence de Paul Ghermezian. J’ai également examiné les arguments qu’il a avancés au sujet de la validité de la signification faite au titre du paragraphe 231.2(1) de la Loi. Par souci de précision, je souligne que M. Bowe a dit en contre-interrogatoire que l’adresse d’Edmonton, où la demande péremptoire a été envoyée, était celle qui figurait dans les déclarations de revenus antérieures que Paul Ghermezian a transmises à l’ARC.

[331]   Le défendeur invoque le [traduction] « principe de la même personne » et fait valoir que la demande péremptoire fait référence à son rôle de fiduciaire de la GDT. J’estime que cet argument n’est pas fondé. Bien que la demande péremptoire vise à obtenir des renseignements sur la GDT et montre que, selon l’ARC, M. Ghermezian, en sa qualité de fiduciaire de la GDT, est censé avoir accès à ces renseignements, elle est adressée à M. Ghermezian, tout comme la demande d’ordonnance du ministre.

[332]   Le défendeur fait aussi valoir que la demande péremptoire concerne des personnes non désignées nommément. En contre-interrogatoire, l’avocat du défendeur a posé des questions au sujet des renseignements que la demande péremptoire vise à obtenir concernant les [traduction] « autres fiducies distinctes » créées en vertu de la convention relative à la fiducie GDT. M. Bowe a confirmé que l’ARC ne connaissait pas les noms de ces fiducies. Il a ajouté que, même si la demande péremptoire visait avant tout à déterminer si la GDT résidait au Canada et si elle y était assujettie à l’impôt, ces renseignements pourraient être utilisés à d’autres fins, par exemple à déterminer le lieu de résidence et l’assujettissement à l’impôt des autres fiducies distinctes. M’appuyant sur les analyses que j’ai faites ci-dessus des principes régissant les demandes formelles se rapportant à des personnes non désignées nommément, j’estime que rien ne permet de conclure à l’invalidité de la demande péremptoire A-GDT-0103, car M. Bowe a clairement dit lors de son témoignage que l’objet principal de cette demande était la situation fiscale de l’entité désignée nommément, soit la GDT.

[333]   Le ministre cherche seulement à obtenir certains des documents et renseignements que cette demande péremptoire visait à obtenir au départ. Je conclus que le ministre a droit à une ordonnance en conséquence.

E.    T-262-19 – MRN c. Joshua Ghermezian

[334]   Cette demande d’ordonnance porte sur une seule demande péremptoire.

(1)  Demande péremptoire A-GDT-0102

[335]   Cette demande péremptoire du 30 octobre 2018 est adressée à Joshua Ghermezian à l’adresse d’Edmonton. M. Bowe a confirmé en contre-interrogatoire que c’était l’adresse que M. Ghermezian avait fournie à l’ARC dans ses déclarations de revenus les plus récentes. Il semble que les renseignements et documents demandés dans cette demande péremptoire soient pratiquement les mêmes que ceux demandés dans la demande péremptoire A-GDT-0103 envoyée à Paul Ghermezian. Je crois aussi comprendre que le défendeur invoque les mêmes arguments que ceux invoqués dans la demande T-259-19 introduite à l’encontre de Paul Ghermezian. Le raisonnement qui m’a amené à rejeter ces arguments dans la demande T-259-19 s’applique donc aussi à la présente demande d’ordonnance.

[336]   Le ministre cherche seulement à obtenir certains des documents et des renseignements que cette demande péremptoire visait à obtenir au départ. Je conclus que le ministre a droit à une ordonnance en conséquence.

F.    T-261-19 – MRN c. Raphael Ghermezian

(1)  Requête GG-24

[337]   Comme je l’ai mentionné au sujet de la demande d’ordonnance introduite à l’encontre de Nader Ghermezian dans le dossier T-252-19, cette requête du 26 juin 2018 a été adressée à Nader et à Raphael Ghermezian, ainsi qu’aux autres frères. Raphael Ghermezian soulève les mêmes arguments à l’égard de cette requête que ceux invoqués par Nader Ghermezian dans le dossier T-252-19. À une exception près, je n’ai pas à répéter l’analyse que j’ai faite ci-dessus de ces arguments.

[338]   La seule exception est que, dans la présente affaire, le défendeur renvoie la Cour au contre-interrogatoire différent de M. Bowe. Lorsqu’on lui a demandé de nommer l’entité ou les entités sur laquelle ou lesquelles l’ARC enquêtait au moyen de cette requête, M. Bowe a répondu que les quatre frères et d’autres membres de la famille Ghermezian faisaient l’objet d’un contrôle visant à confirmer l’exactitude de leurs obligations fiscales et à identifier les fiducies non divulguées, comme l’explique le point 7. Il a également affirmé que le point 7 de la requête visait à déterminer s’il y avait alors des fiducies qui étaient inconnues du ministre.

[339]   Ce témoignage ne diffère pas, d’une manière qui aurait une incidence importante pour l’issue de cet argument, de celui dont j’ai tenu compte dans mon analyse de l’argument relatif aux personnes non désignées nommément dans le dossier T-252-19. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus, j’arrive à la même conclusion.

[340]   Comme je l’ai mentionné, le point 7 est le seul élément de cette requête pour lequel le ministre sollicite une ordonnance. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant à Raphael Ghermezian de se conformer au point 7 de la requête.

(2)  Requête BUST-20v2

[341]   Là encore, cette requête du 8 septembre 2017 est adressée à Nader et à Raphael Ghermezian, ainsi qu’aux autres frères. Raphael Ghermezian soulève les mêmes arguments à l’égard de cette requête que ceux soulevés par Nader Ghermezian dans le dossier T-252-19. Je n’ai pas à répéter l’analyse que j’ai faite ci-dessus de ces arguments.

[342]   Le ministre affirme que M. Ghermezian n’a pas fourni la plupart des éléments de cette requête et sollicite donc une ordonnance enjoignant à celui-ci de les produire. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant à Raphael Ghermezian de produire les éléments de la requête que le ministre cherche toujours à obtenir.

(3)  Requête BUST-21

[343]   Cette requête du 4 janvier 2018 est aussi adressée à tous les frères. Raphael Ghermezian invoque les mêmes arguments que ceux invoqués par Nader Ghermezian dans le dossier T-252-19, et mon analyse est la même.

[344]   Le ministre affirme que M. Ghermezian n’a fourni aucun des documents et renseignements demandés. Sous réserve de toute partie de la requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant à Raphael Ghermezian de se conformer à cette requête.

(4)  Requêtes RUST-22 et RUST-23

[345]   Ces requêtes du 5 avril 2018 adressées à Raphael Ghermezian à l’adresse d’Edmonton sont sensiblement les mêmes que les requêtes NUST-22 et NUST-23, adressées à Nader Ghermezian et analysées ci-dessus relativement au dossier T-252-19. La présente demande d’ordonnance soulève les mêmes arguments et mon analyse est la même. Par souci de précision, je souligne que M. Bowe a dit en contre-interrogatoire que l’adresse d’Edmonton est celle que M. Ghermezian a fournie dans sa déclaration de revenus T1.

[346]   Je conclus que la dernière phrase du point 23 des requêtes RUST-22 et RUST-23 est invalide parce que le terme imprécis « Mall of America Group » y est employé. Je conclus que le reste du point 23 est valide.

[347]   Sous réserve de ces conclusions et de toute autre partie de ces requêtes que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant à Raphael Ghermezian de produire les éléments de ces requêtes que le ministre cherche toujours à obtenir.

(5)  Requête RUST2-01

[348]   Cette requête du 11 octobre 2018, adressée à Raphael Ghermezian et aux autres frères, a été envoyée sous forme de lettre recommandée à Raphael Ghermezian à l’adresse d’Edmonton. Elle est pour ainsi dire identique à la requête NUST2-01 qui a été envoyée à Nader Ghermezian et que j’ai analysée ci-dessus dans le dossier T-252-19. Les arguments sont les mêmes, tout comme mon analyse.

[349]   Sous réserve de toute partie de la présente requête que je pourrais juger invalide, après avoir reçu des parties d’autres observations sur l’application de mes conclusions concernant l’interprétation de l’article 231.1, je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant à Raphael Ghermezian de se conformer à cette requête.

(6)  Demande péremptoire A-RUST-0103

[350]   Cette demande péremptoire du 23 janvier 2019 est adressée à Raphael Ghermezian à l’adresse d’Edmonton. Elle est pour ainsi dire identique à la requête A-NUST-0103 qui a été envoyée à Nader Ghermezian et que j’ai analysée ci-dessus dans le dossier T-252-19. Raphael Ghermezian soulève les mêmes arguments et mon analyse est la même.

[351]   Le ministre cherche à obtenir tous les renseignements et documents demandés dans cette demande péremptoire, à l’exception des déclarations de revenus des É.-U. de la fiducie V-Day qui concerne Raphael Ghermezian. Je conclus qu’il convient de rendre une ordonnance enjoignant à M. Ghermezian de produire les autres éléments que le ministre cherche à obtenir au moyen de cette demande péremptoire.

(7)  Demande péremptoire A-GDT-0101

[352]   Cette demande péremptoire du 30 octobre 2018 est adressée à Raphael Ghermezian à l’adresse d’Edmonton, et il semble que son contenu soit pour l’essentiel identique à ceux de la demande péremptoire A-GDT-0103 envoyée à Paul Ghermezian et de la demande péremptoire A-GDT-0102 envoyée à Joshua Ghermezian (décrites précédemment dans les présents motifs).

[353]   À une exception près, les observations présentées par le défendeur au sujet de cette demande péremptoire contiennent des arguments que j’ai déjà examinés dans les présents motifs, et mon analyse demeure la même.

[354]   L’autre argument soulevé par Raphael Ghermezian porte sur le fait que la demande péremptoire lui enjoignait de fournir des renseignements et des documents en sa qualité de père de Joshua Ghermezian. Il renvoie à l’explication suivante de la demande péremptoire dans laquelle il est question de la convention relative à la fiducie GDT :

[traduction]

[…] la convention de fiducie prévoit à l’article 4.2 que « tout membre du Comité de placements âgé de moins de trente (30) ans doit consulter son père au sujet de toute décision qui doit être prise à ce titre ». Selon les dossiers obtenus par l’ARC, M. Joshua Ghermezian est actuellement âgé de moins de 30 ans et il est fiduciaire et membre du Comité de placements et du Comité d’approbation de la GDT. Il appert des modalités de la convention de fiducie que vous êtes au fait des décisions de placements prises par la GDT en tant que consultant et père de M. Joshua Ghermezian.

[355]   Par ce point, le défendeur Raphael Ghermezian se trouve à invoquer le [traduction] « principe de la même personne » et à appuyer l’argument voulant que le ministre n’ait pas prouvé qu’il, Raphael Ghermezian, avait effectivement accès aux documents et renseignements visés par cette demande péremptoire. Quant à ce dernier point, le défendeur n’a cité aucun précédent à l’appui de la conclusion que le ministre devait prouver qu’il, M. Ghermezian, avait accès aux documents et renseignements. Les raisons pour lesquelles l’ARC croit qu’il a accès à ces documents sont précisées dans la demande péremptoire, et je n’y vois rien qui permettrait à la Cour de conclure que cette demande n’est pas valide.

[356]   Quant au principe de la même personne, la demande péremptoire est adressée à Raphael Ghermezian, qui est le défendeur dans la présente demande d’ordonnance. Le fait que la demande péremptoire explique pourquoi l’ARC croit qu’il a accès aux documents et renseignement demandés au sujet de la GDT ne contrevient pas à ce principe.

[357]   Le ministre cherche seulement à obtenir certains des documents et renseignements qu’il demandait au départ dans cette demande péremptoire. Je conclus qu’il a droit à une ordonnance enjoignant à Raphael Ghermezian de répondre en conséquence.

VI.   Conclusion

[358]   Comme il ressort des analyses et des conclusions qui précèdent, le ministre a en grande partie réfuté les arguments soulevés par les défendeurs dans les présentes demandes d’ordonnance. Toutefois, j’ai reconnu que certaines parties des requêtes, très peu, manquaient de précision. Plus important encore, les parties ont obtenu partiellement gain de cause sur la question de l’interprétation de la portée du paragraphe 231.1(1). Je rappelle que la Cour devra se prononcer sur la façon d’appliquer mes conclusions en matière d’interprétation législative aux différents éléments des requêtes ou à quelques-uns d’entre eux et qu’elle devra ainsi décider lesquels de ces éléments sont valides parce qu’ils visent à obtenir des documents et lesquels ne le sont pas parce qu’ils visent à obtenir des renseignements non écrits.

[359]   Comme je l’ai déjà mentionné, je suis d’avis que, maintenant que la réponse à la question d’interprétation législative est connue, il serait indiqué et utile pour les parties de présenter d’autres observations sur l’application de ce résultat. Mon jugement leur donnera l’occasion de tenter de parvenir à une entente sur un projet d’ordonnance pour chacune des six demandes, lequel précisera les éléments que le défendeur concerné devra fournir selon l’issue de la demande. Ces projets d’ordonnance devront tenir compte de la réponse à la question générale d’interprétation législative, des points moins importants sur lesquels les défendeurs ont eu gain de cause grâce à leurs arguments sur le manque de précision et du nombre réduit d’éléments que le ministre cherche à obtenir dans plusieurs des demandes formelles.

[360]   J’accorderai aux parties un délai de 60 jours pour terminer ce processus et présenter à la Cour les projets d’ordonnance dont elles ont convenu, ou encore pour informer la Cour qu’elles ne sont pas arrivées à s’entendre de façon générale, ou qu’elles ne sont pas arrivées à s’entendre au sujet de certaines demandes d’ordonnance ou de certaines demandes formelles ou parties de celles-ci. La Cour s’attend à tout le moins à ce que les parties arrivent à cerner, et à réduire sensiblement, les points sur lesquels elles sont en désaccord. S’il reste encore des points de désaccord à la fin du délai de 60 jours, le ministre disposera d’un délai supplémentaire de 14 jours pour signifier et déposer ses projets d’ordonnance, accompagnés d’observations écrites faisant état des derniers points de désaccord et de son point de vue à cet égard. Les défendeurs disposeront ensuite d’un délai de 14 jours pour répondre et produire leurs projets d’ordonnance accompagnés d’observations écrites faisant état de leurs points de vue sur ces derniers points de désaccord.

[361]   Au terme de ce processus, la Cour rendra les ordonnances dans la forme qu’elle jugera indiquée. Entre-temps, les présentes demandes continueront de faire l’objet d’une gestion d’instance et, si les parties ont besoin d’autres directives concernant le déroulement du processus, elles peuvent communiquer avec le greffe pour demander la tenue d’une conférence de gestion de l’instance.

[362]   Enfin, la Cour souligne que les défendeurs ont fait valoir en l’espèce que, si elle devait décider qu’il convient de rendre l’une ou l’autre des ordonnances sollicitées, le délai de 10 jours proposé par le ministre dans les projets d’ordonnance accompagnant les dossiers de demande n’est pas un délai raisonnable dans lequel les défendeurs peuvent se conformer aux ordonnances. La Cour réservera sa décision jusqu’à ce qu’elle rende les ordonnances, soit après que le processus décrit ci-dessus soit terminé.

VII.  Dépens

[363]   À l’audience, les parties ont demandé si elles pouvaient présenter d’autres observations sur les dépens, après qu’elles auraient reçu les décisions de la Cour sur les questions de fond soulevées en l’espèce. Je réserverai donc mon jugement sur les dépens jusqu’à ce que les parties aient eu cette possibilité. Dans un premier temps, et fortes des conclusions de la Cour sur les questions de fond expliquées dans les présents motifs, les parties tenteront de parvenir à un accord sur les dépens dans le délai de 60 jours susmentionné, et elles informeront la Cour du résultat de ces efforts en même temps qu’elles lui diront si elles sont parvenues à s’entendre sur les projets d’ordonnance.

[364]   La Cour reconnaît que, si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles pourront présenter des observations à ce sujet après avoir pris connaissance de la décision quant à tout désaccord sur la forme des ordonnances. Par conséquent, mon jugement prévoira que, si aucun accord sur les dépens n’est conclu, les parties se verront offrir cette possibilité.

 

JUGEMENT DANS LES DOSSIERS T-252-19, T-254-19, T-258-19,

T-259-19, T-261-19 et T-262-19

LA COUR ORDONNE :

1.    Sous réserve des dernières étapes décrites dans le présent jugement, les présentes demandes d’ordonnance sont accueillies.

2.    Les parties à chaque demande doivent parvenir à un accord, compte tenu des motifs de la Cour, sur ce qui suit :

a.      un projet d’ordonnance;

b.      l’adjudication des dépens afférents à la demande.

3.    Dans les 60 jours suivant la date du présent jugement, les parties à chaque demande doivent conjointement :

a.      soit présenter à la Cour le projet d’ordonnance dont elles ont convenu, soit informer la Cour qu’elles ne sont pas arrivées à s’entendre de façon générale ou qu’elles n’y sont pas complètement arrivées;

b.      soit aviser la Cour qu’elles sont parvenues à un accord sur l’adjudication des dépens ou l’informer qu’elles ne sont parvenues à aucun accord à cet égard.

4.    Si les parties à une demande avisent la Cour, conformément au paragraphe 3a) ci-dessus, qu’elles ne sont parvenues à aucun accord sur la forme de l’ordonnance proposée ou qu’elles ne sont pas parvenues à s’entendre de façon générale, le ministre doit, dans les 14 jours suivant cet avis, signifier et déposer son projet d’ordonnance, accompagné d’observations écrites faisant état des derniers points de désaccord et de son point de vue à cet égard. Le défendeur doit alors, dans les 14 jours suivant cette signification, signifier et déposer son projet d’ordonnance accompagné d’observations écrites faisant état de son point de vue sur les derniers points de désaccord.

5.    Si les parties à une demande avisent la Cour, conformément au paragraphe 3b), qu’elles ne sont parvenues à aucun accord sur l’adjudication des dépens, l’ordonnance afférente à cette demande indiquera que la Cour réservera sa décision sur cette adjudication jusqu’à ce que les parties aient présenté d’autres observations selon le processus qui y sera exposé.

ANNEXE « A »

Définitions

231 Les définitions qui suivent s’appliquent aux articles 231.1 à 231.8.

document Sont compris parmi les documents les registres. Y sont assimilés les titres et les espèces. (document)

juge Juge d’une cour supérieure compétente de la province où l’affaire prend naissance ou juge de la Cour fédérale. (judge)

maison d’habitation Tout ou partie de quelque bâtiment ou construction tenu ou occupé comme résidence permanente ou temporaire, y compris :

a) un bâtiment qui se trouve dans la même enceinte qu’une maison d’habitation et qui y est relié par une baie de porte ou par un passage couvert et clos;

b) une unité conçue pour être mobile et pour être utilisée comme résidence permanente ou temporaire et qui est ainsi utilisée. (dwelling-house)

personne autorisée Personne autorisée par le ministre pour l’application des articles 231.1 à 231.5 (authorized person)

 

Enquêtes

231.1 (1) Une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, à la fois :

a)      inspecter, vérifier ou examiner les livres et registres d’un contribuable ainsi que tous documents du contribuable ou d’une autre personne qui se rapportent ou peuvent se rapporter soit aux renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit à tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

b)      examiner les biens à porter à l’inventaire d’un contribuable, ainsi que tout bien ou tout procédé du contribuable ou d’une autre personne ou toute matière concernant l’un ou l’autre dont l’examen peut aider la personne autorisée à établir l’exactitude de l’inventaire du contribuable ou à contrôler soit les renseignements qui figurent dans les livres ou registres du contribuable ou qui devraient y figurer, soit tout montant payable par le contribuable en vertu de la présente loi;

à ces fins, la personne autorisée peut :

c) sous réserve du paragraphe (2), pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres;

d) requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, du bien ou de l’entreprise ainsi que toute autre personne présente sur les lieux de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application et l’exécution de la présente loi et, à cette fin, requérir le propriétaire, ou la personne ayant la gestion, de l’accompagner sur les lieux.

Autorisation préalable

(2) Lorsque le lieu mentionné à l’alinéa (1)c) est une maison d’habitation une personne autorisée ne peut y pénétrer sans la permission de l’occupant, à moins d’y être autorisée par un mandat décerné en vertu du paragraphe (3).

Mandat d’entrée

(3) Sur requête ex parte du ministre, le juge saisi peut décerner un mandat qui autorise une personne autorisée à pénétrer dans une maison d’habitation aux conditions précisées dans le mandat, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) il existe des motifs raisonnables de croire que la maison d’habitation est un lieu mentionné à l’alinéa (1)c);

b) il est nécessaire d’y pénétrer pour l’application ou l’exécution de la présente loi;

c) un refus d’y pénétrer a été opposé, ou il existe des motifs raisonnables de croire qu’un tel refus sera opposé.

Dans la mesure où un refus de pénétrer dans la maison d’habitation a été opposé ou pourrait l’être et où des documents ou biens sont gardés dans la maison d’habitation ou pourraient l’être, le juge qui n’est pas convaincu qu’il est nécessaire de pénétrer dans la maison d’habitation pour l’application ou l’exécution de la présente loi peut ordonner à l’occupant de la maison d’habitation de permettre à une personne autorisée d’avoir raisonnablement accès à tous documents ou biens qui sont gardés dans la maison d’habitation ou devraient y être gardés et rendre tout autre ordonnance indiquée en l’espèce pour l’application de la présente loi.

Production de documents ou fourniture de renseignements

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

Personnes non désignées nommément

(2) Le ministre ne peut exiger de quiconque — appelé « tiers » au présent article — la fourniture de renseignements ou production de documents prévue au paragraphe (1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans y être au préalable autorisé par un juge en vertu du paragraphe (3).

Autorisation judiciaire

(3) Sur requête du ministre, un juge de la Cour fédérale peut, aux conditions qu’il estime indiquées, autoriser le ministre à exiger d’un tiers la fourniture de renseignements ou la production de documents prévues au paragraphe (1) concernant une personne non désignée nommément ou plus d’une personne non désignée nommément — appelée « groupe » au présent article —, s’il est convaincu, sur dénonciation sous serment, de ce qui suit :

a) cette personne ou ce groupe est identifiable;

b) la fourniture ou la production est exigée pour vérifier si cette personne ou les personnes de ce groupe ont respecté quelque devoir ou obligation prévu par la présente loi;

c) et d) [Abrogés, 1996, ch. 21, art. 58(1)]

[…]

Sens de renseignement ou document étranger

231.6 (1) Pour l’application du présent article, un renseignement ou document étranger s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger, qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi.

Obligation de fournir des renseignements ou documents étrangers

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne résidant au Canada ou d’une personne n’y résidant pas mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements ou documents étrangers.

Contenu de l’avis

(3) L’avis doit :

a) indiquer le délai raisonnable, d’au moins 90 jours, dans lequel les renseignements ou documents étrangers doivent être fournis;

b) décrire les renseignements ou documents étrangers recherchés;

c) préciser les conséquences prévues au paragraphe (8) du défaut de fournir les renseignements ou documents étrangers recherchés dans le délai-ci dessus.

Révision par un juge

(4) La personne à qui l’avis est signifié ou envoyé peut, dans les 90 jours suivant la date de signification ou d’envoi, contester, par requête à un juge, la mise en demeure du ministre.

Pouvoirs de révision

(5) À l’audition de la requête, le juge peut :

a) confirmer la mise en demeure;

b) modifier la mise en demeure de la façon qu’il estime indiquée dans les circonstances;

c) déclarer sans effet la mise en demeure s’il est convaincu que celle-ci est déraisonnable.

Précision

(6) Pour l’application de l’alinéa (5)c), le fait que des renseignements ou documents étrangers soient accessibles ou situés chez une personne non-résidente qui n’est pas contrôlée par la personne à qui l’avis est signifié ou envoyé, ou soient sous la garde de cette personne non-résidente, ne rend pas déraisonnable la mise en demeure de fournir ces renseignements ou documents, si ces deux personnes sont liées.

Suspension du délai

(7) Le délai qui court entre le jour où une requête est présentée conformément au paragraphe (4) et le jour où la requête est définitivement réglée ne compte pas dans le calcul :

a) du délai indiqué dans l’avis correspondant à la mise en demeure qui a donné lieu à la requête;

b) du délai dans lequel une cotisation peut être établie conformément au paragraphe 152(4).

Conséquences du défaut

(8) Si une personne ne fournit pas la totalité, ou presque, des renseignements ou documents étrangers visés par la mise en demeure signifiée conformément au paragraphe (2) et si la mise en demeure n’est pas déclarée sans effet par un juge en application du paragraphe (5), tout tribunal saisi d’une affaire civile portant sur l’application ou l’exécution de la présente loi doit, sur requête du ministre, refuser le dépôt en preuve par cette personne de tout renseignement ou document étranger visé par la mise en demeure

Ordonnance

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

Avis

(2) La demande n’est entendue qu’une fois écoulés cinq jours francs après signification d’un avis de la demande à la personne à l’égard de laquelle l’ordonnance est demandée.

Conditions

(3) Le juge peut imposer, à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées.

Outrage

(4) Quiconque refuse ou fait défaut de se conformer à une ordonnance peut être reconnu coupable d’outrage au tribunal; il est alors sujet aux procédures et sanctions du tribunal l’ayant ainsi reconnu coupable.

Appel

(5) L’ordonnance visée au paragraphe (1) est susceptible d’appel devant le tribunal ayant compétence pour entendre les appels des décisions du tribunal ayant rendu l’ordonnance. Toutefois, l’appel n’a pas pour effet de suspendre l’exécution de l’ordonnance, sauf ordonnance contraire d’un juge du tribunal saisi de l’appel.

[…]

244 (1) […]

Preuve de signification par poste

(5) Lorsque la présente loi ou son règlement prévoit l’envoi par la poste d’une demande de renseignements, d’un avis ou d’une demande formelle, un affidavit d’un fonctionnaire de l’Agence du revenu du Canada, souscrit en présence d’un commissaire ou d’une autre personne autorisée à recevoir les affidavits, indiquant qu’il est au courant des faits de l’espèce, que la demande, l’avis ou la demande formelle en question a été adressée, par lettre recommandée, à une date indiquée, à la personne à qui elle a été adressée (fournissant cette adresse) et qu’il identifie comme pièces attachées à l’affidavit, le certificat de recommandation de la lettre fourni par le bureau de poste ou une copie conforme de la partie pertinente du certificat et une copie conforme de la demande, de l’avis ou de la demande formelle, doit être reçu comme preuve, sauf preuve contraire, de l’envoi ainsi que de la demande, de l’avis ou de la demande formelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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