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NOTE DE L’ARRÊTISTE : Ce document fera l’objet de retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des décisions des Cours fédérales.

A-46-21

2022 CAF 44

Le procureur général du Canada (demandeur)

c.

Marina Burke (défenderesse)

Répertorié : Canada Pprocureur général) c. Burke

Cour d’appel fédérale, Gleason, Mactavish et Monaghan, J.C.A.—Par vidéoconférence, 1er février; Ottawa, 15 mars 2022.

Pensions — Contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) rejetant l’appel du ministre de l’Emploi et du Développement social de la décision de la division générale du TSS qui a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui avaient été versées à la défenderesse entre 1997 et 2001 — La défenderesse est née à Trinidad, a vécu aux États-Unis avant de s’installer au Canada en 1986, et a obtenu la citoyenneté canadienne en 1989 — La demande de la défenderesse pour une allocation de conjoint de la Sécurité de la vieillesse a été approuvée en 1997 — La défenderesse avait déclaré dans sa demande qu’elle résidait au Canada depuis janvier 1986 — En 2013, une enquête sur la résidence de la défenderesse et son droit aux prestations aux termes de l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement) a permis de découvrir de nouveaux renseignements concernant sa résidence, notamment ses absences non déclarées du Canada et sa demande de nationalité américaine — Le ministre a déterminé qu’elle avait cessé de résider au Canada en janvier 1992 et qu’elle devait rembourser les prestations qu’elle avait indûment perçues — La division d’appel a conclu que, si le ministre a le pouvoir de réévaluer l’admissibilité aux prestations « en tout temps », y compris avant ou après l’approbation d’une demande, ce pouvoir ne s’étend pas à la réévaluation des décisions « initiales sur l’admissibilité » — Elle a conclu que le ministre avait le droit de recouvrer les prestations versées à la défenderesse d’août 2001 à septembre 2013, mais que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui lui avaient été versées entre 1997 et juillet 2001 — Était-il raisonnable pour la division d’appel de conclure que l’article 23 du Règlement et l’article 37 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi) empêchent le ministre de réévaluer les décisions initiales d’admissibilité à l’approbation des prestations de la Sécurité de la vieillesse afin de recouvrer le trop-perçu? — L’interprétation de l’article 23 du Règlement par la division d’appel était déraisonnable — La division d’appel dans B. R. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2018 TSS 844 a décidé qu’une fois qu’une pension avait été approuvée, les dispositions relatives à l’enquête du Règlement permettaient seulement au ministre d’enquêter sur le droit futur du demandeur à des prestations — Une série de décisions du TSS ont suivi, certaines adoptant cette vision plus restrictive des pouvoirs du ministre, d’autres suivant l’interprétation traditionnelle, plus large, de la Loi et du Règlement — La question était donc de savoir si la vision restrictive des pouvoirs du ministre adoptée par la division d’appel en l’espèce était raisonnable — Il était nécessaire de déterminer l’étendue des pouvoirs d’enquête et de vérification du ministre conférés par les articles 37 de la Loi et 23 du Règlement — Il est clair que l’article 23 du Règlement n’est pas limité de la manière proposée par la division d’appel — En concluant que le pouvoir de réévaluer l’admissibilité « en tout temps » n’inclut pas la réévaluation de « l’admissibilité initiale », la division d’appel a interprété le pouvoir d’enquête du ministre comme comportant une limite temporelle qui ne figure pas dans le texte de l’article 23 — Le fait que la division d’appel soit à l’aise ou non avec une interprétation particulière d’une disposition législative n’est pas une raison pour voir dans le libellé de la disposition en question des mots qui n’y figurent pas — C’est au législateur, et non à la division d’appel, qu’il incombe de mettre en balance des considérations de principe concurrentes — Les mots de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement sont « précis et non équivoques », dans la mesure où ils autorisent le ministre à réexaminer l’admissibilité d’une personne aux prestations de sécurité de la vieillesse « en tout temps », et à recouvrer les paiements qui n’auraient pas dû être versés — Une interprétation des dispositions législatives qui conduit à une conclusion différente est donc déraisonnable — La Loi subordonne l’approbation du ministre à la condition que le demandeur réponde aux critères de résidence prévus par la loi — L’interprétation de la division d’appel selon laquelle c’est l’approbation du ministre qui rend une personne admissible ou qui lui donne droit à des prestations, et non les circonstances factuelles du demandeur, était déraisonnable — Le ministre peut réévaluer les décisions initiales d’admissibilité et exiger le remboursement des prestations que le demandeur a déjà reçues — La résidence au Canada est un élément clé du régime de la Loi et du Règlement — Une interprétation de la loi qui permettrait à la défenderesse de conserver les prestations qu’elle a reçues produirait « une issue absurde » qui va à l’encontre de l’objectif de faire fonctionner le régime de sécurité de la vieillesse selon une saine gestion financière — La défenderesse a été déclarée inadmissible à recevoir des prestations aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse — Demande accueillie.

Interprétation des lois — La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) a rejeté l’appel du ministre de l’Emploi et du Développement social de la décision de la division générale du TSS qui a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui avaient été versées à la défenderesse entre 1997 et 2001 — La demande de la défenderesse pour une allocation de conjoint de la Sécurité de la vieillesse a été approuvée en 1997 — En 2013, une enquête sur la résidence de la défenderesse et son droit aux prestations aux termes de l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement) a permis de découvrir de nouveaux renseignements concernant sa résidence, notamment ses absences non déclarées du Canada et sa demande de nationalité américaine — Le ministre a déterminé qu’elle avait cessé de résider au Canada en janvier 1992 et qu’elle devait rembourser les prestations qu’elle avait indûment perçues — La division d’appel a conclu que, si le ministre a le pouvoir de réévaluer l’admissibilité aux prestations « en tout temps », y compris avant ou après l’approbation d’une demande, ce pouvoir ne s’étend pas à la réévaluation des décisions « initiales sur l’admissibilité » — Elle a conclu que le ministre avait le droit de recouvrer les prestations versées à la défenderesse d’août 2001 à septembre 2013, mais que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui lui avaient été versées entre 1997 et juillet 2001 — L’interprétation de l’article 23 du Règlement par la division d’appel était déraisonnable — En concluant que le pouvoir de réévaluer l’admissibilité « en tout temps » n’inclut pas la réévaluation de « l’admissibilité initiale », la division d’appel a interprété le pouvoir d’enquête du ministre comme comportant une limite temporelle qui ne figure pas dans le texte de l’article 23 — Le fait que la division d’appel soit à l’aise ou non avec une interprétation particulière d’une disposition législative n’est pas une raison pour voir dans le libellé de la disposition en question des mots qui n’y figurent pas — L’objectif de l’interprétation des lois n’est pas d’arriver à une conclusion sur le sens de la Loi qui « n’est pas tout à fait incompatible » avec le but de la loi en question — Il s’agit plutôt de vérifier le sens authentique de cette loi; celui qui représente le mieux le texte, le contexte et l’objet de la Loi, et qui est en harmonie avec l’économie générale de la Loi.

Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) rejetant l’appel du ministre de l’Emploi et du Développement social de la décision de la division générale du TSS qui a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui avaient été versées à la défenderesse entre 1997 et 2001.

La défenderesse est née à Trinidad, et en 1982, elle et son mari ont déménagé en Floride. En 1986, le couple s’est installé au Canada et Mme Burke a obtenu la citoyenneté canadienne trois ans plus tard. Bien que la défenderesse ait soutenu qu’elle a continué à résider au Canada jusqu’en 2014, la division générale a conclu, et la division d’appel a accepté, que la défenderesse a cessé de résider au Canada en 1992, devenant résidente permanente des États-Unis la même année.

En juin 1997, la demande de la défenderesse pour une allocation de conjoint de la Sécurité de la vieillesse a été approuvée, rétroactivement à juillet 1996. La défenderesse avait déclaré dans sa demande qu’elle résidait au Canada depuis janvier 1986, sans mentionner les années qu’elle avait passées aux États-Unis ni le fait qu’elle était une résidente permanente de ce pays. Le ministre a approuvé une allocation partielle. La demande de la défenderesse pour une pension de la Sécurité de la vieillesse a éventuellement été approuvée en 2000, et elle a aussi commencé à recevoir un supplément de revenu garanti.

En 2013, une enquête sur la résidence de la défenderesse et son droit aux prestations aux termes de l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse (Règlement) a permis de découvrir de nouveaux renseignements concernant sa résidence, notamment des adresses incohérentes au Canada, des renseignements concernant ses longues absences non déclarées du Canada et sa demande de nationalité américaine. Le versement des prestations de la défenderesse a été suspendu et le ministre a déterminé qu’elle avait cessé de résider au Canada en janvier 1992. Conformément à l’article 37 de la Loi sur la sécurité de la vieillesse (Loi), on a demandé à la défenderesse de rembourser les prestations qu’elle avait indûment perçues entre juillet 1996 et septembre 2013. La division générale a conclu que la défenderesse avait cessé de résider au Canada en janvier 1992 et qu’elle n’avait jamais rétabli sa résidence au Canada par la suite. La division générale a néanmoins estimé que la défenderesse avait eu droit à des allocations de conjoint de juillet 1996 à juillet 2001 parce qu’aucune disposition expresse de la Loi ou du Règlement ne confère au ministre le pouvoir de réévaluer une décision initiale d’admissibilité. La division générale a conclu que le ministre avait le droit de recouvrer les prestations versées à la défenderesse d’août 2001 à septembre 2013, mais que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui lui avaient été versées entre 1997 et juillet 2001. La division d’appel a conclu que la division générale avait commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 23 du Règlement en omettant de procéder à une analyse complète de l’interprétation de la loi, dans sa conclusion selon laquelle le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer les décisions initiales d’admissibilité. Toutefois, la division d’appel est arrivée à la même conclusion que la division générale en ce qui concerne les limites à la capacité du ministre de réévaluer l’admissibilité aux prestations, quoique pour des raisons différentes. La division d’appel a également conclu, entre autres choses, que, si le ministre a le pouvoir de réévaluer l’admissibilité aux prestations « en tout temps », y compris avant ou après l’approbation d’une demande, ce pouvoir ne s’étend pas à la réévaluation des décisions « initiales sur l’admissibilité ». La division d’appel a conclu aussi qu’il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une personne dont le dossier est évalué à nouveau et qui est jugée inadmissible n’a jamais « eu droit » à la prestation d’entrée de jeu et, par conséquent, qu’elle doit en rembourser la totalité.

Il s’agissait de déterminer principalement s’il était raisonnable pour la division d’appel de conclure que l’article 23 du Règlement et l’article 37 de la Loi empêchent le ministre de réévaluer les décisions initiales d’admissibilité à l’approbation des prestations de la Sécurité de la vieillesse afin de recouvrer le trop-perçu.

Jugement : la demande doit être accueillie.

L’interprétation de l’article 23 du Règlement par la division d’appel était déraisonnable. Pendant de nombreuses années, le TSS s’appuyait sur l’hypothèse voulant que le ministre avait le pouvoir de revoir les décisions initiales d’admissibilité afin de s’assurer que les demandeurs étaient effectivement admissibles aux prestations. Cette hypothèse a toutefois changé avec la décision B. R. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2018 TSS 844, dans laquelle un membre de la division d’appel a décidé qu’une fois qu’une pension avait été approuvée, les dispositions relatives à l’enquête du Règlement permettaient seulement au ministre d’enquêter sur le droit futur du demandeur à des prestations. Une série de décisions de la division générale et de la division d’appel ont suivi, dont certaines ont adopté la vision plus restrictive des pouvoirs du ministre adoptée par le TSS dans B. R., et d’autres qui ont suivi l’interprétation traditionnelle, plus large, de la Loi et du Règlement. La question était donc de savoir si la vision restrictive des pouvoirs du ministre adoptée par la division d’appel en l’espèce était raisonnable, en reconnaissant qu’il peut y avoir plus d’une interprétation raisonnable de la loi. Aucune disposition de la Loi ou du Règlement ne confère au ministre le pouvoir exprès de revenir en arrière et de modifier les décisions initiales d’admissibilité. Il fallait donc se concentrer sur les dispositions connexes, comme l’article 37 de la Loi et l’article 23 du Règlement. La question à trancher était celle de déterminer l’étendue des pouvoirs d’enquête et de vérification du ministre conférés par l’article 23 du Règlement et les pouvoirs de recouvrement conférés par l’article 37 de la Loi.

Il est vrai que l’article 23 du Règlement porte sur l’admissibilité des demandeurs aux prestations, alors que l’article 37 de la Loi porte sur leur droit aux prestations. Toutefois, si l’on tient compte du texte, du contexte et de l’objet de la Loi et du Règlement, il est clair que l’article 23 du Règlement n’est pas limité de la manière proposée par la division d’appel. En concluant que le pouvoir de réévaluer l’admissibilité « en tout temps » n’inclut pas la réévaluation de « l’admissibilité initiale », la division d’appel a interprété le pouvoir d’enquête du ministre comme comportant une limite temporelle qui ne figure pas dans le texte de l’article 23. La conclusion de la division d’appel sur ce point était incompatible avec le libellé de l’article 23 lui-même. Le fait que la division d’appel soit à l’aise ou non avec une interprétation particulière d’une disposition législative n’est pas une raison pour voir dans le libellé de la disposition en question des mots qui n’y figurent pas. C’est au législateur, et non à la division d’appel, qu’il incombe de mettre en balance des considérations de principe concurrentes, comme la question de savoir qui doit s’acquitter du fardeau du paiement indu de prestations accordées sous le régime de la loi. Les mots de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement sont « précis et non équivoques », dans la mesure où ils autorisent le ministre à réexaminer l’admissibilité d’une personne aux prestations de sécurité de la vieillesse « en tout temps », et à recouvrer les paiements qui n’auraient pas dû être versés. Une interprétation des dispositions législatives qui conduit à une conclusion différente est donc déraisonnable. La conclusion selon laquelle la division d’appel a commis une erreur dans son interprétation de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement est confirmée lorsqu’on examine le rôle de ces dispositions dans le contexte du régime de sécurité de la vieillesse dans son ensemble. Le paragraphe 5(1) de la Loi contient une liste conjonctive de trois exigences qui doivent être satisfaites pour qu’une personne soit admissible à une pension. La Loi subordonne donc l’approbation du ministre à la condition que le demandeur réponde aux critères de résidence prévus par la loi. L’interprétation de la division d’appel selon laquelle c’est l’approbation du ministre qui rend une personne admissible ou qui lui donne droit à des prestations, et non les circonstances factuelles du demandeur, était donc déraisonnable à la lumière du texte législatif. Le fait que le ministre ait approuvé une demande ne rend pas la personne admissible à des prestations pour toute la période visée. Il s’ensuit que le pouvoir d’enquête décrit à l’article 23 du Règlement signifie que le ministre peut réévaluer les décisions initiales d’admissibilité et exiger le remboursement des prestations que le demandeur a déjà reçues. Si l’on détermine aujourd’hui qu’une personne n’y a pas droit, elle doit restituer les prestations qu’elle a reçues dans le passé. Le ministre a le pouvoir de réévaluer sa décision de verser les prestations si la situation de l’intéressé a changé, et d’examiner s’il avait en fait le droit de recevoir des prestations en premier lieu. La résidence au Canada est un élément clé du régime de la Loi et du Règlement. Une interprétation du pouvoir d’enquête de l’article 23 qui permet à une personne de conserver une prestation, même si elle ne remplit pas la condition de résidence pertinente, est un résultat qui n’est pas compatible avec un régime qui ne fournit des prestations qu’aux personnes qui remplissent la condition d’admissibilité de résidence.

Tout programme d’aide à la vieillesse qui est financé par les recettes fiscales générales du gouvernement du Canada doit trouver un équilibre entre la nécessité de traiter rapidement les demandes de prestations et la gestion financière du programme. Une interprétation de la loi qui permettrait à la défenderesse de conserver les prestations qu’elle a reçues alors qu’elle n’y était pas admissible produirait « une issue absurde » qui va à l’encontre de l’objectif de faire fonctionner le régime de sécurité de la vieillesse selon une saine gestion financière. L’objectif de l’interprétation des lois n’est pas d’arriver à une conclusion sur le sens de la Loi qui « n’est pas tout à fait incompatible » avec le but de la loi en question. Il s’agit plutôt de vérifier le sens authentique de cette loi; celui qui représente le mieux le texte, le contexte et l’objet de la Loi, et qui est en harmonie avec l’économie générale de la Loi. En l’espèce, une interprétation de la loi qui empêcherait le ministre de réévaluer l’admissibilité initiale aux prestations et de recouvrer les prestations versées à tort n’est pas conforme à l’un des objectifs de la Loi, qui est de verser des prestations uniquement aux personnes qui répondent aux critères d’admissibilité énoncés dans la Loi. La division d’appel a néanmoins adopté une interprétation de la loi qui permettait précisément ce résultat. Une telle interprétation était déraisonnable.

La décision de la division d’appel a été annulée, et l’appel de la décision de la division générale a été accueilli. L’affaire n’a pas été renvoyée à la division d’appel pour un nouvel examen. Au lieu, la défenderesse a été déclarée inadmissible à recevoir des prestations aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, du 2 juin 1997, date à laquelle les premières prestations lui ont été accordées, jusqu’en septembre 2013, lorsque le versement de prestations à la défenderesse a été suspendu.

LOIS ET RÈGLEMENTS CITÉS

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9, art. 3, 5, 9, 11(7), 34, 37.

Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, art. 111.

Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, art. 81(3).

Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246, art. 21(1), 23, 26.

JURISPRUDENCE CITÉE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653; Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

B. R. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2018 TSS 844; Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c. Stiel, 2006 CF 466, [2006] 4 R.C.F. 489.

DÉCISIONS MENTIONNÉES :

Canada (Procureur général) c. Redman, 2020 CAF 209; Cameron c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 100; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3; 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804 ; M. A. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 269; H. Z. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 550; C. T. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et C. A., 2021 TSS 204; L. L. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 314; M. H. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1128; C. H. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 368; C. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 57; S. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 822; L. L. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 288; K. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 268; C. T. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et C. A., 2020 TSS 1227; S. A. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 509; Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770; Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, [2019] 2 R.C.F. F-3; Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174; Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533; Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada─TerreNeuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202.

DOCTRINE CITÉE

Débats de la Chambre des communes, 21e lég., 5e sess., vol. 1 (1 novembre 1951).

DEMANDE de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (TSS) (Ministre de l’Emploi et du Développement social c. M. B., 2021 TSS 8) rejetant l’appel du ministre de l’Emploi et du Développement social de la décision de la division générale du TSS (M. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 22) qui a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui avaient été versées à la défenderesse entre 1997 et 2001. Demande accueillie.

ONT COMPARU :

Tiffany Glover pour le demandeur.

Richard Bohrer et David Mellor pour la défenderesse.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Le sous-procureur général du Canada pour le demandeur.

            Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendu par

[1]        La juge Mactavish, J.C.A. : Pendant de nombreuses années, Marina Burke a perçu des prestations de la Sécurité de la vieillesse sans divulguer le fait qu’elle résidait aux États-Unis et qu’elle ne satisfaisait donc pas aux exigences en matière de résidence de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9 (la Loi).

[2]        La division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada (TSS) a conclu que le ministre de l’Emploi et du Développement social ne pouvait pas revenir sur les décisions initiales accordant des prestations à Mme Burke, et qu’il pouvait seulement réévaluer son droit aux prestations de façon prospective. Cela signifiait que Mme Burke pouvait conserver les dizaines de milliers de dollars de prestations qu’elle a perçues lorsqu’elle résidait aux États-Unis.

[3]        Le ministre demande le contrôle judiciaire de la décision de la division d’appel, affirmant qu’elle a commis une erreur dans son interprétation des dispositions législatives applicables. Pour les motifs qui suivent, je conviens que la division d’appel a commis une erreur dans son analyse de l’interprétation de la loi et que sa décision n’était pas raisonnable. Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire du ministre.

I.     Exposé des faits

[4]        Mme Burke est née à Trinidad, et en 1982, elle et son mari ont déménagé en Floride. En 1986, le couple s’est installé au Canada et Mme Burke a obtenu la citoyenneté canadienne trois ans plus tard. Le ministre ne conteste pas que Mme Burke a résidé au Canada de janvier 1986 à 1992.

[5]        Bien que Mme Burke ait soutenu qu’elle a continué à résider au Canada jusqu’en 2014, la division générale du TSS a conclu, et la division d’appel a accepté, que Mme Burke a cessé de résider au Canada en 1992, devenant résidente permanente des États-Unis la même année. En 1996, Mme Burke a fait une demande de nationalité américaine, déclarant dans celle-ci qu’elle était résidente permanente des États-Unis depuis janvier 1992, et qu’elle n’avait quitté le pays que pour quelques brèves visites à Trinidad et au Canada entre 1992 et 1996. Mme Burke a obtenu la nationalité américaine par naturalisation en 1999.

[6]        Le 2 juin 1997, la demande de Mme Burke pour une allocation de conjoint de la Sécurité de la vieillesse a été approuvée, rétroactivement à juillet 1996, le mois suivant son 60e anniversaire. Mme Burke avait déclaré dans sa demande qu’elle résidait au Canada depuis janvier 1986, sans mentionner les années qu’elle avait passées aux États-Unis ni le fait qu’elle était une résidente permanente de ce pays. Le ministre a approuvé une allocation partielle pour Mme Burke, en se fondant sur le fait qu’elle aurait résidé au Canada pendant 10 ans entre 1986 et 1996.

[7]        En juin 2000, Mme Burke a demandé une pension de la Sécurité de la vieillesse, déclarant dans sa demande qu’elle n’avait pas quitté le Canada pendant plus de six mois au cours des cinq années précédentes. Le ministre a approuvé la demande, accordant à Mme Burke une pension partielle fondée sur le fait qu’elle avait résidé au Canada pendant 15 ans entre 1986 et 2001. Lorsque Mme Burke a eu 65 ans, le ministre a jugé qu’elle était réputée avoir demandé un supplément de revenu garanti (SRG) et elle a commencé à recevoir les deux prestations à partir de juillet 2001.

[8]        En 2013, deux formulaires de la Sécurité de la vieillesse adressés à Mme Burke ont été retournés au ministre comme étant [traduction] « non distribuables ». Cela a amené le ministre à ouvrir une enquête sur la résidence de Mme Burke et son droit aux prestations aux termes de l’article 23 du Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246 (le Règlement). Le paragraphe 23(2) du Règlement dispose que « [l]e ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation ». Le texte complet de ce Règlement et d’autres dispositions législatives pertinentes est joint en annexe aux présents motifs.

[9]        L’enquête du ministre a permis de découvrir de nouveaux renseignements concernant la résidence de Mme Burke, notamment des adresses incohérentes au Canada, des renseignements concernant ses longues absences non déclarées du Canada et sa demande de nationalité américaine de 1996.

[10]      Conformément à l’article 26 du Règlement, le versement des prestations de Mme Burke a été suspendu et, en octobre 2015, le ministre a déterminé que Mme Burke avait cessé de résider au Canada en janvier 1992. Par conséquent, elle n’avait droit à aucune des prestations qu’elle avait perçues, car elle ne remplissait pas la condition de résidence minimale de 10 ans prévue par la loi.

[11]      Conformément à l’article 37 de la Loi, on a demandé à Mme Burke de rembourser les 115 522,49 $ de prestations qu’elle avait indûment perçues entre juillet 1996 et septembre 2013. Le paragraphe 37(1) de la Loi dispose qu’une personne qui a perçu un paiement de prestations auquel elle n’a pas droit doit immédiatement restituer le montant de ce paiement. Le paragraphe 37(2) de la Loi prévoit que le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté et peut être recouvré en tout temps.

[12]      La demande de réexamen de la décision du ministre présentée par Mme Burke a été rejetée, et elle a ensuite interjeté appel de la décision du ministre auprès de la division générale du T.S.S. L’appel de Mme Burke a été accueilli en partie, mais cette décision a par la suite été annulée par la division d’appel du T.S.S. pour des raisons d’équité procédurale, et l’affaire a été renvoyée à la division générale pour un nouvel examen.

II.    La décision de la division générale

[13]      Lors du nouvel examen, la division générale [M. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 22] a conclu que Mme Burke avait cessé de résider au Canada en janvier 1992 et qu’elle n’avait jamais rétabli sa résidence au Canada par la suite. Par conséquent, elle ne remplissait pas les conditions de résidence prévues par la loi en vue d’obtenir l’allocation de conjoint qu’elle percevait depuis juillet 1996.

[14]      La division générale a néanmoins estimé que Mme Burke avait eu droit à des allocations de conjoint de juillet 1996 à juillet 2001, date à laquelle sa demande de pension de vieillesse a été approuvée. Il en était ainsi parce qu’aucune disposition expresse de la Loi ou du Règlement ne confère au ministre le pouvoir de réévaluer une décision initiale d’admissibilité.

[15]      La division générale a conclu que, bien que le ministre n’avait pas le pouvoir de revenir en arrière et de revoir la décision initiale sur l’admissibilité, il pouvait réévaluer l’admissibilité de Mme Burke aux prestations de façon prospective à tout moment après juillet 2001, lorsque sa demande de pension de vieillesse a été approuvée. Aucune exception n’a été faite pour les cas où il y avait eu fraude, ou lorsque des faits nouveaux sont apparus.

[16]      Comme Mme Burke n’était pas admissible à des prestations de retraite depuis août 2001, la division générale a conclu que le ministre avait le droit de recouvrer les prestations qui lui avaient été versées d’août 2001 à septembre 2013, date à laquelle le ministre avait suspendu le versement des prestations à Mme Burke. Toutefois, la division générale a conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de recouvrer les allocations de conjoint qui avaient été versées à Mme Burke entre 1997 et juillet 2001.

III.   La décision de la division d’appel

[17]      Le ministre a obtenu l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale, et c’est la décision de la division d’appel du 15 janvier 2021 [Ministre de l’Emploi et du Développement social c. M. B., 2021 TSS 8] rejetant l’appel du ministre qui sous-tend la présente demande de contrôle judiciaire.

[18]      La division d’appel a accepté la conclusion de la division générale selon laquelle Mme Burke avait cessé de résider au Canada en janvier 1992. Toutefois, elle a conclu que la division générale avait commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 23 du Règlement en omettant de procéder à une analyse complète de l’interprétation de la loi, dans sa conclusion selon laquelle le ministre n’avait pas le pouvoir de réévaluer les décisions initiales d’admissibilité.

[19]      Plus précisément, la division générale a commis une erreur parce qu’elle a omis de déterminer et d’explorer l’objet de la Loi, d’expliquer ou de mettre en contexte les mots « droit » à l’article 37 de la Loi et « admissibilité » à l’article 23 du Règlement, ou d’examiner si son interprétation était conforme à l’intention du législateur lorsqu’il a créé le régime de sécurité de la vieillesse.

[20]      Toutefois, après avoir examiné le texte, le contexte et l’objet des dispositions législatives en litige en l’espèce, la division d’appel est arrivée à la même conclusion que la division générale en ce qui concerne les limites à la capacité du ministre de réévaluer l’admissibilité aux prestations, quoique pour des raisons différentes.

IV.   Les questions en litige

[21]      Mme Burke n’a pas déposé de mémoire des faits et du droit en réponse à la demande du ministre, et elle n’a donc pas eu le droit de présenter des observations lors de l’audience de la demande du ministre. Toutefois, le comité a autorisé le neveu de Mme Burke, David Mellor, à présenter des observations à l’audience au nom de Mme Burke.

[22]      M. Mellor a soulevé plusieurs questions dans ses observations orales, outre la question de l’interprétation de la loi au cœur de la présente demande. Plus précisément, il a fait valoir qu’il était injuste d’obliger Mme Burke à revenir en arrière pour essayer de reconstituer ses allées et venues des années auparavant, alors qu’elle ne disposait plus de documents et de dossiers.

[23]      Je suis d’accord avec l’avocat du procureur général que la seule question dont la Cour est saisie est celle de l’interprétation de la loi indiquée dans l’avis de demande du procureur général. Mme Burke n’a pas contesté, avant l’audience, la conclusion de la division générale, adoptée par la division d’appel du T.S.S., selon laquelle elle n’a pas résidé au Canada après janvier 1992.

[24]      Par conséquent, j’estime que les deux questions suivantes doivent être tranchées :

1)    Quelle est la norme de contrôle applicable?

2)    Était-il raisonnable pour la division d’appel de conclure que l’article 23 du Règlement et l’article 37 de la Loi empêchent le ministre de réévaluer les décisions initiales d’admissibilité à l’approbation des prestations de la Sécurité de la vieillesse afin de recouvrer le trop-perçu?

V.    La norme de contrôle

[25]      La norme de contrôle applicable aux décisions de la division d’appel est celle de la décision raisonnable : Canada (Procureur général) c. Redman, 2020 CAF 209, paragraphe 12; Cameron c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 100, paragraphe 3. Cela comprend les décisions portant sur des questions d’interprétation des lois : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 R.C.S. 653, paragraphe 115.

[26]      C’est le cas même lorsqu’il y a eu une discorde persistante sur des questions de droit dans les décisions d’un organisme administratif : Vavilov, précité, paragraphes 72 et 129. Cependant, lorsqu’un décideur s’écarte d’une pratique de longue date ou d’une jurisprudence interne constante, c’est sur ses épaules que repose le fardeau d’expliquer cet écart dans ses motifs. S’il ne s’acquitte pas de ce fardeau, la décision est jugée déraisonnable : Vavilov, précité, paragraphe 131.

[27]      Cela dit, si le sens d’une loi devait dépendre de l’identité du décideur en particulier, cela serait contraire à la primauté du droit et cela conduirait à une incohérence juridique. Cependant, plutôt que de considérer qu’il s’agit d’une situation où la norme de contrôle de la décision correcte devrait être appliquée, la Cour suprême a déclaré que la forme plus robuste de la norme de contrôle de la décision raisonnable décrite dans Vavilov est capable d’offrir une protection contre les menaces à la primauté du droit : Vavilov, précité, paragraphe 72.

[28]      En contrôlant l’interprétation des dispositions législatives par les tribunaux administratifs, la cour de révision n’entreprend pas sa propre analyse de novo de la question. Elle ne se demande pas non plus quelle devrait être l’interprétation correcte de la loi. Au contraire, comme c’est le cas lorsqu’une cour de révision applique la norme de la décision raisonnable à des questions touchant aux faits ou au pouvoir discrétionnaire ou à des questions de principe, la Cour doit examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le décideur et le résultat obtenu, afin de déterminer si la décision était raisonnable : Vavilov, précité, paragraphes 75, 83 et 116.

[29]      Ce faisant, la cour de révision doit se concentrer sur l’interprétation du décideur, en gardant à l’esprit qu’il peut y avoir plus d’une interprétation raisonnable d’une loi à la disposition d’un décideur administratif, en fonction du texte, du contexte et de l’objet de la loi : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Mason, 2021 CAF 156, [2022] 1 R.C.F. 3, paragraphes 16 et 18.

[30]      Cela dit, l’interprétation d’une disposition législative par le décideur administratif doit être conforme au texte, au contexte et à l’objet de la disposition en question. Un décideur administratif ne peut adopter une interprétation qu’il sait de moindre qualité, même si elle est plausible, simplement parce que cette interprétation paraît possible et opportune. La responsabilité du décideur est de discerner le sens et l’intention du législateur, et non de faire de la rétro-ingénierie de son analyse afin d’obtenir le résultat souhaité : Vavilov, précité, paragraphes 120 et 121.

VI.   Les principes de l’interprétation des lois

[31]      Avant d’examiner si l’interprétation de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement par la division d’appel était raisonnable, il est utile de résumer les principes d’interprétation législative que la division d’appel était tenue d’appliquer.

[32]      Dans Hypothèques Trustco Canada c. Canada, 2005 CSC 54, [2005] 2 R.C.S. 601, la Cour a affirmé qu’« “il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur” » : au paragraphe 10, renvoyant à l’arrêt 65302 British Columbia Ltd. c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 804, paragraphe 50.

[33]      Bien que le libellé d’une disposition législative ne doive pas être interprété indépendamment de son contexte et de son objet législatif, la Cour a néanmoins ajouté dans Hypothèques Trustco que, lorsque le libellé d’une disposition législative est précis et non équivoque, le sens ordinaire des mots joue un rôle primordial dans le processus d’interprétation : précité, au paragraphe 10. En revanche, lorsque les mots utilisés peuvent avoir plus d’un sens raisonnable, leur sens ordinaire joue un rôle moins important. L’incidence relative du sens ordinaire, du contexte et de l’objet sur le processus d’interprétation peut varier d’une cause à l’autre, mais les tribunaux doivent, dans tous les cas, chercher à interpréter les dispositions d’une loi comme formant un tout harmonieux : Hypothèques Trustco, précité, au paragraphe 10.

[34]      En gardant ces principes à l’esprit, je me penche maintenant sur l’interprétation que la division d’appel a faite du régime de sécurité de la vieillesse en général et, plus précisément, sur son interprétation de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement, et sur la question de savoir si cette interprétation était raisonnable.

VII.  L’analyse de l’interprétation de la loi par la division d’appel

[35]      La division d’appel a conclu que l’objectif du régime de sécurité de la vieillesse établi par la Loi et le Règlement est de fournir un soutien de revenu modeste aux résidents âgés du Canada en reconnaissance de leur apport au Canada. La « norme de comparaison » que le ministre emploie pour évaluer ces contributions est la résidence au Canada [décision de la division d’appel, au paragraphe 71].

[36]      La division d’appel a également conclu que, si le ministre a le pouvoir de réévaluer l’admissibilité aux prestations « en tout temps », y compris avant ou après l’approbation d’une demande, ce pouvoir ne s’étend pas à la réévaluation des décisions « initiales sur l’admissibilité ». Pour parvenir à cette conclusion, la division d’appel a tenu compte de plusieurs articles de la Loi et du Règlement. Elle a noté que, lorsqu’une personne demande des prestations, le ministre doit décider si elle répond aux critères d’admissibilité à ces prestations. Si le ministre décide que la personne satisfait aux critères d’admissibilité, cette personne « remplit les conditions requises » et a ensuite « droit » au versement de cette prestation.

[37]      La division d’appel a noté que le ministre a le pouvoir, en vertu du Règlement, d’enquêter sur l’« admissibilité » d’une personne après l’approbation d’une demande de prestations. Toutefois, le Règlement ne fait pas de distinction entre l’admissibilité « initiale » et « continue ». Si l’enquête conclut que la personne n’était pas « admissible » à une prestation, le versement de celle-ci doit prendre fin.

[38]      Cela dit, la division d’appel a conclu qu’il ne s’ensuit pas nécessairement qu’une personne dont le dossier est évalué à nouveau et qui est jugée inadmissible n’a jamais « eu droit » à la prestation d’entrée de jeu et, par conséquent, qu’elle doit en rembourser la totalité. Selon la division d’appel [au paragraphe 82], « [l]e terme “admissible” porte sur la décision du ministre, en fonction des renseignements dont il dispose à un moment précis, selon laquelle la personne remplit les conditions. L’expression “avoir droit” porte sur l’approbation et le versement d’une prestation par le ministre ».

[39]      La division d’appel a également tenu compte de l’article 5 de la Loi. Entre autres choses, cet article prévoit que le ministre ne doit verser une prestation qu’à la personne qui « y a droit » selon l’exigence relative à la résidence, et que le ministre a agréé la demande. La division d’appel a noté [au paragraphe 94] que la définition de l’expression « avoir droit » traite du « [traduction] droit légal d’avoir ou de faire quelque chose à cause de la situation dans laquelle l’on se trouve ».

[40]      La division d’appel en a compris qu’une personne remplit les conditions requises lorsque le ministre approuve sa demande. Une fois la demande approuvée, la personne a le droit de percevoir des prestations, et ce droit ne peut être réévalué que par la suite, de façon prospective.

[41]      C’est-à-dire qu’après avoir examiné le sens ordinaire des termes « admissible » et « avoir droit » tel qu’ils figurent à l’article 23 du Règlement et à l’article 37 ainsi que dans d’autres parties de la Loi, la division d’appel a conclu [au paragraphe 97] que le ministre a le pouvoir d’évaluer l’admissibilité à tout moment, mais que « admissibilité » ne signifie pas « admissibilité initiale ».

[42]      Pour en arriver à cette conclusion, la division d’appel a noté que l’article 37 de la Loi prévoit la restitution des prestations lorsque les personnes « n’y ont pas droit ». En vertu de l’article 23 du Règlement, le ministre a le pouvoir de vérifier si une personne est « admissible » à la prestation en question. Le terme « admissible » et l’expression « avoir droit » ne sont pas exactement équivalents et ni l’un ni l’autre n’est explicitement défini dans les dispositions législatives.

[43]      Le fait que des termes différents soient utilisés dans les deux dispositions a donné à penser à la division d’appel qu’il y a une différence entre une enquête sur la question de savoir si une personne est admissible à une prestation et le fait d’enquêter sur la question de savoir si une personne doit rembourser une prestation déjà versée parce qu’elle n’y a jamais eu droit.

[44]      La division d’appel a conclu que le concept d’« admissibilité » est lié au processus permettant de décider si une personne répond aux exigences minimales relatives à des prestations, et que le ministre évalue l’admissibilité en vertu de la Loi à un moment précis. En comparaison, l’expression « avoir droit » semble découler presque exclusivement du versement de prestations, et non de l’évaluation du seuil d’admissibilité à ces prestations.

[45]      La division d’appel a mentionné que la Loi établit des critères d’admissibilité pour chaque type de prestation. Les personnes requérantes font une demande de prestation. Si le ministre applique les critères d’admissibilité et approuve la demande, son approbation donne droit au versement de la prestation à la personne requérante.

[46]      Selon la division d’appel, décider qu’une personne est « admissible » à une prestation n’est pas une déclaration sur la question de savoir si la décision du ministre est une évaluation sans erreur des critères d’admissibilité. Lorsque des faits nouveaux ressortent ultérieurement, cela pourrait avoir une incidence sur toute nouvelle évaluation de la question de savoir si la personne requérante satisfait aux critères. La division d’appel a conclu, toutefois, que cela touchait l’admissibilité d’une personne, et non son droit aux prestations.

[47]      La division d’appel a conclu [au paragraphe 113] que comprendre que la section sur les enquêtes donne au ministre le pouvoir de réévaluer l’admissibilité initiale revient à faire fi de la différence dans l’utilisation des termes « admissibilité » et « avoir droit », et à mal interpréter ce qui rend les personnes admissibles à une prestation dans le cadre d’un régime qui confère des prestations. Selon la division d’appel, ce qui rend les personnes « admissibles » est le fait que le ministre approuve la demande et décide qu’elles sont admissibles. Leur « droit » (l’état d’avoir satisfait à un ensemble de conditions au terme d’une évaluation) peut changer à l’avenir si le ministre réévalue leur admissibilité en vertu du pouvoir d’enquête.

[48]      La division d’appel a estimé que, selon cette interprétation, il est plus logique que le pouvoir d’enquête énoncé à l’article 23 fasse référence au moment où l’enquête elle-même peut avoir lieu, mais pas nécessairement à l’incidence que pourrait avoir cette enquête en ce qui concerne le remboursement. L’emploi du terme « admissible » marque un moment précis et porte à croire qu’il s’agit d’un exercice actuel et applicable à l’avenir. Si la section sur les enquêtes et l’article 37 de la Loi permettaient au ministre de réévaluer l’admissibilité initiale et de recouvrer des tropperçus à partir de l’admissibilité initiale jusqu’à la réévaluation, il serait nécessaire d’employer le terme « admissibilité » ou « admissibilité initiale », et non le terme « droit ».

[49]      La division d’appel a souligné que ce qui rend une personne admissible porte sur son âge et sur sa résidence au Canada. Ce qui lui donne le droit est que le ministre approuve la demande et le versement. Les demandes frauduleuses annulent le droit. Des faits nouveaux influent sur de nouvelles décisions concernant l’admissibilité.

[50]      En somme, une enquête peut modifier l’admissibilité, qui est prospective, mais pas le droit, qui a déjà été décidé (peut-être erronément). Selon le paragraphe 5(1) de la Loi, l’admissibilité est ce qui sous-tend le « droit » à une prestation, et le ministre peut enquêter, mais ne peut pas réévaluer et percevoir des prestations antérieures en vertu du pouvoir de faire « enquête ».

[51]      La division d’appel a reconnu que son interprétation de la Loi et du Règlement signifiait que Mme Burke pourrait conserver les prestations qu’elle avait reçues et pour lesquelles nous savons maintenant qu’elle n’était pas admissible. Elle a également reconnu que ce serait une issue absurde — et incompatible avec l’objet de la Loi — si l’intention du législateur était de n’accorder des prestations qu’aux personnes qui répondent aux critères d’admissibilité. La division d’appel a observé que la possibilité pour le ministre de renoncer au remboursement en cas de difficultés financières serait également incompatible avec l’objet de la loi si l’intention du législateur était ainsi limitée.

[52]      Toutefois, la division d’appel a estimé que l’objet de la loi est plus large que le simple fait de fournir des prestations aux personnes qui répondent aux critères d’admissibilité. La Loi fait partie du filet de sécurité sociale pour les personnes aînées, et fournit un soutien du revenu modeste pour atténuer la pauvreté. Elle est altruiste, universelle, non contributive et cruciale pour les personnes aînées. Cet objet est important et, selon la division d’appel, « contribue grandement à amortir le choc causé par des situations dans lesquelles la réévaluation se solde par une nouvelle décision concernant le droit à la prestation, mais pas une réévaluation de l’admissibilité initiale » [au paragraphe 123]. De plus, comme les prestations de la Sécurité de la vieillesse font partie d’un filet de sécurité sociale pour les personnes aînées, la division d’appel [au paragraphe 132] n’était pas prête à déduire qu’il existe un pouvoir de « réévaluation de l’admissibilité initiale et de recouvrement d’énormes trop-[perçus] » lorsque la loi ne l’indique pas clairement.

[53]      La division d’appel a reconnu que son approche revenait à déduire autre chose : que le pouvoir d’enquête se limite à l’admissibilité « continue » alors que ce terme ne figure pas expressément dans le libellé de la Loi. Cependant, la division d’appel [au paragraphe 135] a déclaré qu’elle avait une « réticence » à déduire le sens d’une disposition législative où ce sens est ambigu, et à déduire un sens qui entraîne le recouvrement de sommes perçues en trop par des personnes âgées vulnérables de nombreuses années après les faits. La division d’appel a ajouté que c’est le ministre qui avait approuvé la demande de prestations de Mme Burke par erreur. Étant donné que la question de savoir qui devrait assumer la responsabilité de l’évaluation de l’admissibilité initiale n’est pas énoncée clairement dans la loi, présumer que le ministre possède ce pouvoir serait « extraordinaire ».

[54]      La division d’appel a donc conclu que le ministre n’avait pas le pouvoir de réviser sa décision de juin 1997 dans laquelle il approuvait l’allocation de conjoint de Mme Burke ou son agrément de juillet 2001 de pension partielle et de prestations de SRG. Mme Burke pouvait donc conserver toutes les prestations qu’elle avait perçues jusqu’en septembre 2013, date à laquelle le versement des prestations à son profit a été suspendu.

VIII. L’analyse de l’interprétation de la loi par la division d’appel était-elle raisonnable?

[55]      Il semble que, pendant de nombreuses années, le TSS s’appuyait sur l’hypothèse voulant que le ministre avait le pouvoir de revoir les décisions initiales d’admissibilité afin de s’assurer que les demandeurs étaient effectivement admissibles aux prestations. Cette hypothèse a toutefois changé en 2018, lorsqu’un membre de la division d’appel en a décidé autrement.

[56]      Dans la décision B. R. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2018 TSS 844, un membre de la division d’appel a décidé qu’une fois qu’une pension avait été approuvée, les dispositions relatives à l’enquête du Règlement permettaient seulement au ministre d’enquêter sur le droit futur du demandeur à des prestations. La division d’appel a décidé dans l’affaire B. R. que l’article 23 du Règlement ne permettait pas au ministre de revenir en arrière et de revoir la décision d’approbation initiale.

[57]      La publication de B. R. a été suivie d’une série de décisions de la division générale et de la division d’appel du TSS, dont certaines, comme la décision de la division d’appel en l’espèce, ont adopté la vision plus restrictive des pouvoirs du ministre adoptée par le TSS dans B. R. : M. A. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 269; H. Z. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 550; C. T. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et C. A., 2021 TSS 204; L. L. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 314; M. H. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 1128; C. H. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 368; C. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 57; et S. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2020 TSS 822.

[58]      D’autres décisions ont suivi l’interprétation traditionnelle, plus large, de la Loi et du Règlement : L. L. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 288; K. B. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 268; C. T. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social et C. A., 2020 TSS 1227; et S. A. c. Ministre de l’Emploi et du Développement social, 2021 TSS 509.

[59]      La question est donc de savoir si la vision restrictive des pouvoirs du ministre adoptée par la division d’appel en l’espèce est raisonnable, en reconnaissant qu’il peut y avoir plus d’une interprétation raisonnable de la loi : Vavilov, précité, au paragraphe 110; voir aussi Wilson c. Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, [2016] 1 R.C.S. 770, au paragraphe 34.

[60]      Contrairement à d’autres lois conférant des prestations (comme le Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, paragraphe 81(3) et la Loi sur l’assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, article 111), aucune disposition de la Loi ou du Règlement ne confère au ministre le pouvoir exprès de revenir en arrière et de modifier les décisions initiales d’admissibilité. Il faut donc se concentrer sur les dispositions connexes, comme l’article 37 de la Loi et l’article 23 du Règlement, interprétées à la lumière de leur texte, du contexte dans lequel elles figurent dans la Loi et le Règlement et de l’objet du régime de sécurité de la vieillesse dans son ensemble.

[61]      J’examinerai plus en détail, plus loin dans les présents motifs, le contexte dans lequel les dispositions législatives figurent et l’objet du régime de sécurité de la vieillesse dans son ensemble. Toutefois, en guise d’introduction à mon analyse, je renverrai brièvement à ce stade à l’objet des dispositions législatives et au contexte dans lequel elles se situent.

[62]      Comme l’a fait remarquer la Division d’appel dans le cas de Mme Burke, l’objectif du régime de sécurité de la vieillesse établi par la Loi et le Règlement est de fournir un soutien de revenu modeste aux résidents âgés du Canada en reconnaissance de leur apport au Canada, et le « barème » que le ministre emploie pour évaluer ces contributions au Canada est la résidence au Canada.

[63]      L’article 3 de la Loi détermine quand une pension sera payable, en totalité ou en partie. Une pension complète est payable aux personnes qui ont résidé au Canada pendant au moins quarante ans après l’âge de dix-huit ans : sous-alinéa 3(1)c)(iii) de la Loi. Si la période de résidence est inférieure à quarante ans de résidence, la loi prévoit la possibilité de verser une pension partielle. L’alinéa 3(2)b) de la Loi établit une liste cumulative de critères qui doivent être satisfaits avant qu’un demandeur puisse percevoir une pension partielle.

[64]      Pour avoir droit à une pension partielle, le demandeur :

1)    doit avoir au moins soixante-cinq ans;

2)    doit avoir, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de sa demande;

3)    si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, devait résider au Canada le jour précédant la date d’agrément de sa demande.

[65]      Le montant réel de la pension est calculé selon le nombre d’années de résidence au Canada.

[66]      L’admissibilité à l’allocation de conjoint dépend également du fait que les demandeurs avaient résidé au Canada pendant dix ans au moment de la demande de prestations. Le SRG est une prestation offerte aux pensionnés à faible revenu. L’admissibilité à la prestation du SRG repose sur l’admissibilité du demandeur à une pension, qui, comme il est indiqué au paragraphe précédent, exige la résidence au Canada : paragraphe 3(2), alinéa 11(7)c) et alinéa 1(7)d) de la Loi, et paragraphe 21(1) du Règlement.

[67]      Selon le paragraphe 21(1) du Règlement, une personne réside au Canada si elle établit sa demeure et vit ordinairement dans une région du Canada.

[68]      La division d’appel a reconnu que la résidence au Canada est fondamentale pour le régime de sécurité de la vieillesse. Il n’est pas non plus contesté que la pension, l’allocation de conjoint et les prestations du SRG en litige dans la présente cause ne sont pas payables à un demandeur qui cesse de résider au Canada ou qui est absent du Canada pendant plus de six mois : article 9 et paragraphe 11(7) de la Loi. En effet, le paragraphe 5(1) de la Loi prévoit que, sous réserve de certaines exceptions (dont aucune ne s’applique en l’espèce), « [p]our toucher la pension, la personne qui y a droit aux termes du paragraphe 3(1) ou (2) doit faire agréer la demande qu’elle présente ou qui est présentée en son nom ». Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, le paragraphe 3(2) est la disposition de la Loi qui établit l’exigence de résidence qui doit être satisfaite pour qu’une personne soit admissible à une pension partielle telle que celle accordée à Mme Burke.

[69]      Comment le ministre vérifie-t-il qu’une personne satisfait effectivement aux exigences de résidence de la Loi une fois qu’une prestation a été approuvée? En utilisant les pouvoirs d’enquête et de vérification conférés par l’article 23 du Règlement et les pouvoirs de recouvrement conférés par l’article 37 de la Loi. La question à trancher est celle de savoir quelle est l’étendue de ces pouvoirs.

IX.   Le texte

[70]      Le texte de l’article 23 du Règlement dispose que le ministre peut vérifier qu’une personne qui a demandé des prestations de sécurité de la vieillesse est effectivement admissible à ces prestations. Le paragraphe 23(1) prévoit que « [l]e ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande [...], exiger que le demandeur [...] permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur [...] à une prestation ». Comme nous l’avons indiqué ci-dessus, le paragraphe 23(2) du Règlement dispose que « [l]e ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation ».

[71]      Le paragraphe 37(1) de la Loi dispose que le trop-perçu d’une prestation à laquelle on n’a pas droit doit être immédiatement restitué. Le paragraphe 37(2) de la Loi prévoit que le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps.

[72]      Il est vrai que l’article 23 du Règlement porte sur l’admissibilité des demandeurs aux prestations, alors que l’article 37 de la Loi porte sur leur droit aux prestations. Toutefois, si l’on tient compte du texte, du contexte et de l’objet de la Loi et du Règlement, il est clair que l’article 23 du Règlement n’est pas limité de la manière proposée par la division d’appel.

[73]      Si nous revenons au texte de l’article 23 en soi comme nous l’avons indiqué ci-dessus, le paragraphe 23(2) du Règlement dispose que « [l]e ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation » [non souligné dans l’original]. En concluant que le pouvoir de réévaluer l’admissibilité « en tout temps » n’inclut pas la réévaluation de « l’admissibilité initiale », la division d’appel interprète le pouvoir d’enquête du ministre comme comportant une limite temporelle qui ne figure pas dans le texte de l’article 23. La conclusion de la division d’appel sur ce point est, par conséquent, incompatible avec le libellé de l’article 23 lui-même.

[74]      En effet, le paragraphe 23(1) prévoit expressément que « [l]e ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande », exiger que le demandeur permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur à une prestation [non souligné dans l’original]. Si, un jour après l’approbation d’une demande, le ministre devait réexaminer le droit du demandeur aux prestations, cela impliquerait nécessairement le réexamen de l’« admissibilité initiale » du demandeur aux prestations.

[75]      La division d’appel a reconnu que son interprétation de l’article 23 du Règlement l’obligeait à déduire que le pouvoir d’enquêter est limité à l’admissibilité « continue » alors que le mot « continue » ni aucun autre mot ayant un sens similaire ne figure dans le texte de la disposition. Une fois de plus, l’interprétation de l’article 23 par la division d’appel commande une lecture de mots qui ne figurent pas dans le texte de la disposition.

[76]      La division d’appel a justifié sa conclusion selon laquelle le pouvoir d’enquête conféré au ministre par l’article 23 est limité à l’admissibilité « continue » ou « permanente » par sa « réticence » à interpréter ce qu’elle a jugé être une disposition ambiguë d’une manière qui permettrait au ministre de recouvrer d’« énormes trop-[perçus] » versés à des personnes âgées vulnérables, des années après les faits. En toute déférence, le fait que la division d’appel soit à l’aise ou non avec une interprétation particulière d’une disposition législative n’est pas une raison pour voir dans le libellé de la disposition en question des mots qui n’y figurent pas. Le montant potentiel d’un trop-perçu n’est pas non plus pertinent pour l’interprétation correcte de l’article 23.

[77]      La division d’appel a également intégré dans son analyse la question de principe qui consiste à savoir qui doit s’acquitter du fardeau d’un trop-perçu causé par l’approbation d’une demande de prestations malgré l’absence de droit du demandeur à ces prestations. Toutefois, c’est au législateur, et non à la division d’appel, qu’il incombe de mettre en balance des considérations de principe concurrentes, comme la question de savoir qui doit s’acquitter du fardeau du paiement indu de prestations accordées sous le régime de la loi : Hillier c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 44, [2019] 2 R.C.F. F-3, au paragraphe 26; Williams c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 252, [2018] 4 R.C.F. 174, paragraphes 46 à 52.

[78]      Il convient également de noter que la division d’appel a conclu que le ministre avait commis une erreur en approuvant à tort la demande de prestations de Mme Burke. Ce faisant, elle a apparemment négligé le fait que c’est Mme Burke qui avait fourni des renseignements inexacts et trompeurs au ministre concernant son lieu de résidence, provoquant ainsi l’erreur.

[79]      De plus, le souci de la division d’appel concernant le remboursement des prestations est traité, du moins en partie, par le paragraphe 37(4) de la Loi. Entre autres choses, cette disposition donne au ministre le pouvoir discrétionnaire de faire remise d’une partie ou de la totalité du paiement excédentaire lorsqu’il est convaincu que le remboursement causerait un préjudice injustifié au débiteur.

[80]      Enfin, bien que la division d’appel ait reconnu que le ministre peut suspendre le versement des prestations pendant qu’il réévalue l’admissibilité d’une personne, elle a conclu [au paragraphe 92] que cela « ne nous dit rien sur l’incidence de la réévaluation de manière rétroactive » et que « [c]ela n’est pas nécessairement incompatible avec l’idée selon laquelle la réévaluation est un exercice axé sur l’avenir ». Le problème que suscite cette déclaration est qu’elle ne tient pas compte du libellé exprès du paragraphe 23(2) qui dispose que « [l]e ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation » [non souligné dans l’original].

[81]      Comme nous l’avons déjà mentionné, bien qu’il faille également tenir compte du contexte et de l’objet d’une disposition législative pour en déterminer le sens, lorsque les mots utilisés sont « précis et non équivoque[s] », leur sens ordinaire joue habituellement un rôle plus important dans l’exercice d’interprétation : Hypothèques Trustco, précité, paragraphe 10.

[82]      Les mots de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement sont « précis et non équivoques », dans la mesure où ils autorisent le ministre à réexaminer l’admissibilité d’une personne aux prestations de sécurité de la vieillesse « en tout temps », et à recouvrer les paiements qui n’auraient pas dû être versés. Une interprétation des dispositions législatives qui conduit à une conclusion différente est donc déraisonnable.

X.    Le contexte

[83]      La conclusion selon laquelle la division d’appel a commis une erreur dans son interprétation de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement est confirmée lorsqu’on examine le rôle de ces dispositions dans le contexte du régime de sécurité de la vieillesse dans son ensemble.

[84]      L’article 34 de la Loi donne au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des règlements d’application de la loi. L’alinéa 34j) autorise l’adoption de règlements prévoyant la suspension du service d’une prestation pendant toute enquête sur l’admissibilité du prestataire. La division d’appel a conclu que le terme « admissibilité » faisait référence à la décision initiale approuvant une demande de prestations. Selon la propre interprétation du mot « admissible » par la division d’appel, l’alinéa 34j) de la Loi prévoit clairement la tenue d’enquêtes sur la détermination initiale qu’une personne satisfait aux exigences de résidence de la Loi.

[85]      Cette interprétation est confirmée par le paragraphe 26(1) du Règlement, qui prévoit que « [l]e ministre doit suspendre le versement d’une prestation à l’égard de tout prestataire lorsqu’il lui semble que le prestataire n’est pas admissible au versement de la prestation » [non souligné dans l’original]. Le paragraphe 26(1) dispose en outre que le ministre « peut [...] suspendre le versement lorsqu’une plus ample enquête sur l’admissibilité du prestataire lui paraît nécessaire » [non souligné dans l’original]. Cette suspension doit se poursuivre « jusqu’à ce que le ministre ait reçu des preuves satisfaisantes démontrant que le prestataire est admissible à la prestation » [non souligné dans l’original].

[86]      Cette disposition prévoit manifestement le réexamen de l’admissibilité d’une personne aux prestations, car une personne n’est pas admissible à une pension si la loi dispose qu’elle ne peut pas en recevoir une. C’est ce que le paragraphe 5(1) de la Loi indique précisément : les pensions ne peuvent être versées qu’aux personnes qui remplissent les conditions requises pour bénéficier des prestations.

[87]      En effet, le paragraphe 5(1) de la Loi contient une liste conjonctive de trois exigences qui doivent être satisfaites pour qu’une personne soit admissible à une pension. Ces exigences sont les suivantes :

1)    Cette personne remplit les conditions requises énumérées au paragraphe 3(1) ou (2) de la Loi;

2)    Une demande de pension a été faite par cette personne ou en son nom;

3)    La demande a été approuvée.

[88]      Il s’agit de trois exigences distinctes, et aucune pension ne peut être versée à une personne si elle ne satisfait pas à celles-ci. Ainsi, le fait qu’une demande de pension ait été déposée ne signifie pas que la personne a droit à une pension. De même, et plus important encore pour notre objet, le fait qu’une demande de prestations ait été approuvée ne signifie pas qu’une pension peut être versée à la personne si elle ne remplit pas les conditions requises en vertu du paragraphe 3(1) ou (2) de la Loi.

[89]      La Loi subordonne donc l’approbation du ministre à la condition que le demandeur réponde aux critères de résidence prévus par la loi. L’interprétation de la division d’appel selon laquelle c’est l’approbation du ministre qui rend une personne admissible ou qui lui donne droit à des prestations, et non les circonstances factuelles du demandeur, est donc déraisonnable à la lumière du texte législatif.

[90]      Il existe une interdiction permanente de verser des pensions aux personnes qui ne remplissent pas ces trois conditions, même si elles ont demandé une pension et que le ministre a approuvé leur demande. Le fait que le ministre ait approuvé une demande ne rend pas la personne admissible à des prestations pour toute la période visée par le paragraphe 3(1) ou (2) de la Loi. Tout ce que cela signifie, c’est que le ministre était convaincu, au moment où la demande a été approuvée, que la personne était admissible aux prestations, compte tenu des renseignements dont il disposait.

[91]      Il s’ensuit que, lorsqu’il est lu conjointement avec l’exigence de l’article 37 de la Loi voulant que les prestations auxquelles les gens n’ont pas droit soient remboursées, le pouvoir d’enquête décrit à l’article 23 du Règlement signifie que le ministre peut réévaluer les décisions initiales d’admissibilité et exiger le remboursement des prestations que le demandeur a déjà reçues.

[92]      Le texte de l’article 37 contredit également la conclusion de la division d’appel selon laquelle le « droit » aux prestations ne peut être réévalué rétroactivement, ou que ce « droit » signifie avoir un droit aux prestations découlant de la loi qui commence avec l’approbation d’une demande par le ministre.

[93]      La version anglaise du paragraphe 37(1) de la Loi dispose que « [a] person who has received or obtained [...] a benefit payment to which the person is not entitled [...] shall forthwith return [...] the amount of the benefit payment ». Le passé des verbes « has received or obtained » (a reçu ou obtenu) décrit des prestations antérieures, tandis que « entitled » (a droit) est décrit au présent par les mots « is not (n’a pas) » [non souligné dans l’original]. Dans l’ensemble, cela signifie que, si l’on détermine aujourd’hui qu’une personne n’y a pas droit, elle doit restituer les prestations qu’elle a reçues dans le passé.

[94]      De plus, le paragraphe 37(4) de la Loi permet à un prestataire de demander au ministre de renoncer à une partie d’un paiement versé en excédent si, entre autres, la créance résulte d’une erreur administrative ou si le remboursement risque de causer un préjudice injustifié au prestataire. Si le ministre n’avait pas le droit de revenir en arrière et de réévaluer le droit d’un prestataire à des prestations qui ont été versées avant la réévaluation, il ne pourrait alors pas percevoir les montants des prestations antérieures dues, ce qui rendrait le paragraphe 37(4) de la Loi sans objet. Le législateur est présumé ne pas inclure d’articles superflus dans une loi : Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, [2005] 1 R.C.S. 533, au paragraphe 178.

[95]      L’article 37 reconnaît donc qu’il y aura des cas où des personnes auront reçu des prestations auxquelles elles n’ont pas droit. Il ne limite en aucune façon l’obligation de rembourser ces prestations. Plus précisément, il n’exempte pas les paiements effectués après la première approbation d’une demande. Il s’ensuit que le ministre a le pouvoir de réévaluer sa décision de verser les prestations si la situation de l’intéressé a changé, et d’examiner s’il avait en fait le droit de recevoir des prestations en premier lieu.

[96]      Comme la division d’appel l’a elle-même reconnu, la résidence au Canada est un élément clé du régime de la Loi et du Règlement. En effet, comme nous l’avons indiqué ci-dessus, l’article 5 de la Loi indique clairement qu’aucune pension ne peut être versée à une personne à moins qu’elle ne remplisse les conditions de résidence énoncées à l’article 3 de la Loi. Cette disposition interdit de verser une pension à une personne qui n’est pas admissible aux prestations, même si le ministre a approuvé sa demande.

[97]      La division d’appel a également reconnu qu’une interprétation du pouvoir d’enquête de l’article 23 qui permet à une personne de conserver une prestation, même si elle ne remplit pas la condition de résidence pertinente, est un résultat qui n’est pas compatible avec un régime qui ne fournit des prestations qu’aux personnes qui remplissent la condition d’admissibilité de résidence. Je suis du même avis.

[98]      Toutefois, la division d’appel a justifié son interprétation apparemment incohérente du pouvoir d’enquête prévu à l’article 23 par le fait que l’objet du régime de sécurité de la vieillesse est plus large que le simple fait de fournir des prestations aux personnes qui satisfont au critère d’admissibilité de résidence au Canada. Cela nous amène à examiner l’objet du régime législatif en général, et plus précisément, de l’article 23 du Règlement.

XI.   L’objet

[99]      Comme nous l’avons mentionné précédemment, la division d’appel a conclu que le programme de sécurité de la vieillesse est un régime qui confère des prestations et que l’objet et le but de la Loi et du Règlement sont de fournir un soutien du revenu modeste aux personnes âgées en reconnaissance de leur apport au Canada. La division d’appel a également conclu que la résidence au Canada est le « barème » utilisé par le ministre pour mesurer ces contributions.

[100]   La division d’appel a également fait remarquer que, dans la décision Canada (Ministre du Développement des Ressources Humaines) c. Stiel, 2006 CF 466, [2006] 4 R.C.F. 489, la Cour fédérale a conclu que le régime de sécurité de la vieillesse a un « objectif altruiste ». Contrairement aux prestations conférées par le Régime de pensions du Canada, les prestations de sécurité de la vieillesse sont « universelles et non contributives, et fondées exclusivement sur la résidence au Canada » : Stiel, précitée, aux paragraphes 28 et 29.

[101]   La division d’appel [au paragraphe 128] a estimé que « l’argument le plus convaincant » du ministre était qu’une interprétation restrictive de la Loi et du Règlement signifierait que Mme Burke pourrait conserver les prestations qu’elle a reçues pour une période pendant laquelle, comme nous le savons maintenant, elle n’était pas admissible à des prestations. La division d’appel a également reconnu que ce serait une « issue absurde », incompatible avec l’objet de la Loi, si l’intention du législateur était de n’accorder des prestations qu’aux personnes qui répondent aux critères d’admissibilité.

[102]   Toutefois, comme nous l’avons déjà mentionné, la division d’appel a conclu que l’objet de la Loi est plus large que cela, en ce sens qu’elle fait partie du filet de sécurité sociale pour les personnes âgées, en leur fournissant un soutien du revenu modeste. Selon la division d’appel [au paragraphe 123], cet objet est important et contribue grandement « à amortir le choc » causé par des situations dans lesquelles la réévaluation se solde par une nouvelle décision concernant le droit à la prestation, mais pas une réévaluation de l’admissibilité initiale.

[103]   La description que fait la division d’appel de l’objet du régime de sécurité de la vieillesse est exacte, en soi. Il existe toutefois un autre aspect de l’objet du régime qui n’a pas été pris en compte par la division d’appel, mais dont on ne peut faire abstraction.

[104]   Le ministre a déposé auprès du TSS un affidavit d’Elizabeth Charron, agente des mesures législatives pour Politique sur la sécurité de la vieillesse, Législation et Statistiques à Emploi et Développement social Canada. Mme Charron fait remarquer que tout programme d’aide à la vieillesse qui est financé par les recettes fiscales générales du gouvernement du Canada doit trouver un équilibre entre la nécessité de traiter rapidement les demandes de prestations et la gestion financière du programme.

[105]   La nécessité d’une saine gestion financière du programme est illustrée par une déclaration de l’honorable Paul Martin père, alors ministre de la Santé et du Bien-être social, lors de la deuxième lecture du projet de loi [no 13] qui a introduit la Loi sur la sécurité de la vieillesse en 1951. Le ministre Martin a déclaré [à la page 645 des Débats de la Chambre des communes, 21e lég., 5e sess., vol. 1 (1 novembre 1951)] qu’ [traduction] « il est nettement de mon devoir de m’assurer que les personnes admissibles reçoivent la pension. Il découle de là, fort justement d’ailleurs, que l’homme ou la femme qui ne sont pas admissibles ne peuvent légitimement, au nom de la saine administration des affaires du pays, toucher une pension que la loi ne prévoit pas » [non souligné dans l’original]. En effet, c’est ce que le paragraphe 5(1) de la Loi prévoit précisément.

[106]   En termes simples, le pouvoir d’enquête prévu à l’article 23 du Règlement permet au ministre de réévaluer l’admissibilité d’une personne aux prestations lorsque, par exemple, de nouveaux renseignements font surface, ou lorsque des erreurs, de fausses déclarations ou même une fraude ont été commises, ce qui permet de s’assurer que seules les personnes ayant droit aux prestations les reçoivent effectivement. L’article 37 de la Loi permet au ministre de recouvrer les prestations qui ont été indûment versées à un prestataire.

[107]   Une interprétation de la loi qui permettrait à Mme Burke de conserver les prestations qu’elle a reçues alors qu’elle n’y était pas admissible produirait effectivement, pour reprendre les termes de la division d’appel, « une issue absurde » qui va à l’encontre de l’objectif de faire fonctionner le régime de sécurité de la vieillesse selon une saine gestion financière et de ne verser des prestations qu’aux personnes qui répondent aux exigences claires de la Loi en matière de résidence.

[108]   Enfin, la division d’appel a déclaré [au paragraphe 78] qu’une interprétation étroite du pouvoir d’enquête du ministre visant à empêcher la réévaluation des décisions initiales en matière d’admissibilité, permettant ainsi aux personnes qui ne satisfont pas à l’exigence minimale de résidence de toucher des prestations pendant une certaine période, « n’est pas tout à fait incompatible avec le but de la Loi » [non souligné dans l’original]. Il en serait ainsi parce que cette interprétation a amené le ministre à fournir un modeste soutien du revenu à une personne aînée ayant apporté sa contribution au Canada.

[109]   En toute déférence, l’objectif de l’interprétation des lois n’est pas d’arriver à une conclusion sur le sens de la Loi qui « n’est pas tout à fait incompatible » avec le but de la loi en question. Il s’agit plutôt de vérifier le sens authentique de cette loi; celui qui représente le mieux le texte, le contexte et l’objet de la Loi, et qui est en harmonie avec l’économie générale de la Loi.

[110]   En l’espèce, une interprétation de la loi qui empêcherait le ministre de réévaluer l’admissibilité initiale aux prestations et de recouvrer les prestations versées à tort n’est pas conforme à l’un des objectifs de la Loi, qui est de verser des prestations uniquement aux personnes qui répondent aux critères d’admissibilité énoncés dans la Loi. La division d’appel a néanmoins adopté une interprétation de la loi qui permettait précisément ce résultat.

XII.  Conclusion

[111]   Malgré le fait que Mme Burke n’ait pas satisfait aux exigences claires de la Loi en matière de résidence, la division d’appel a conclu que le ministre ne pouvait pas recouvrer le trop-perçu qui lui avait été versé. Cette conclusion était fondée sur la conclusion déraisonnable de la division d’appel selon laquelle le fondement juridique du droit aux prestations reposait sur l’approbation du ministre, et non sur la question de savoir si Mme Burke répondait aux exigences de résidence de la Loi.

[112]   L’interprétation de l’article 23 du Règlement par la division d’appel permettrait à des personnes comme Mme Burke de fournir des renseignements trompeurs ou incomplets à l’appui d’une demande de prestations de sécurité de la vieillesse, puis de conserver les prestations qui leur sont versées jusqu’au moment où la tromperie est découverte par le ministre.

[113]   Je suis d’accord avec le ministre sur le fait qu’une interprétation des pouvoirs que confèrent l’article 37 de la Loi et l’article 23 du Règlement, qui permet à une personne de conserver une prestation, même si elle ne remplit pas la condition de résidence pertinente, est un résultat qui n’est pas compatible avec un régime qui ne fournit des prestations qu’aux personnes qui remplissent la condition d’admissibilité de résidence. Elle est donc déraisonnable.

[114]   L’appel interjeté par Mme Burke est maintenant passé par les processus de la division générale et de la division d’appel à deux occasions distinctes. Renvoyer l’affaire à la division d’appel pour un troisième réexamen donnerait ouverture à ce que la Cour suprême a décrit comme un « va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens » : Vavilov, précité, au paragraphe 142.

[115]   Il est vrai que les cours de justice devraient généralement respecter l’intention du législateur de confier des questions à des décideurs administratifs : Vavilov, précité, au paragraphe 142. Cela dit, les faits sous-jacents de l’affaire ne sont plus contestés, la division générale et la division d’appel ayant toutes deux conclu que Mme Burke avait cessé de résider au Canada en janvier 1992.

[116]   Ce facteur, ainsi que d’autres facteurs énoncés par la Cour suprême au paragraphe 142 de Vavilov, tels que les préoccupations relatives aux retards, à l’équité envers les parties, aux coûts pour les parties et à l’utilisation efficace des ressources publiques, permettent de conclure que l’affaire ne devrait pas être renvoyée à la division d’appel pour un nouvel examen. Il en va de même pour les préoccupations relatives à l’âge avancé de Mme Burke et à son état de santé.

[117]   La décision de ne pas renvoyer une affaire au décideur administratif peut également être appropriée lorsqu’il devient évident pour la Cour qu’une issue particulière est inévitable : Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada─TerreNeuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, aux paragraphes 228 à 230. Étant donné la conclusion selon laquelle Mme Burke a cessé de résider au Canada en janvier 1992, une seule issue est possible en l’espèce, selon une interprétation raisonnable de l’article 37 de la Loi et de l’article 23 du Règlement. Le représentant de Mme Burke a également indiqué qu’elle attend une décision sur la question de l’interprétation de la Loi avant de présenter une demande de remise en vertu du paragraphe 37(4) de la Loi. Les intérêts de la justice sont donc mieux servis si notre Cour rend la décision que la division d’appel aurait dû rendre, laissant Mme Burke libre de demander une remise de l’ensemble ou d’une partie de la somme due conformément au paragraphe 37(4) de la Loi.

[118]   Par conséquent, j’accueillerais la demande de contrôle judiciaire, j’annulerais la décision de la division d’appel datée du 15 janvier 2021, et j’accueillerais l’appel de la décision de la division générale datée du 17 octobre 2019. Je déclarerais également que Mme Burke n’était pas admissible à recevoir des prestations aux termes de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, du 2 juin 1997, date à laquelle les premières prestations lui ont été accordées, jusqu’en septembre 2013, lorsque le versement de prestations à Mme Burke a été suspendu.

La juge Gleason, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

La juge Monaghan, J.C.A. : Je souscris à ces motifs.

ANNEXE

Loi sur la sécurité de la vieillesse, L.R.C. (1985), ch. O-9

Pleine pension

3(1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, la pleine pension est payable aux personnes suivantes :

a) celles qui avaient la qualité de pensionné au 1er juillet 1977;

b) celles qui, à la fois :

(i) sans être pensionnées au 1er juillet 1977, avaient alors au moins vingt-cinq ans et résidaient au Canada ou y avaient déjà résidé après l’âge de dix-huit ans, ou encore étaient titulaires d’un visa d’immigrant valide,

(ii) ont au moins soixante-cinq ans,

(iii) ont résidé au Canada pendant les dix ans précédant la date d’agrément de leur demande, ou ont, après l’âge de dix-huit ans, été présentes au Canada, avant ces dix ans, pendant au moins le triple des périodes d’absence du Canada au cours de ces dix ans tout en résidant au Canada pendant au moins l’année qui précède la date d’agrément de leur demande;

c) celles qui, à la fois :

(i) n’avaient pas la qualité de pensionné au 1er juillet 1977,

(ii) ont au moins soixante-cinq ans,

(iii) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins quarante ans avant la date d’agrément de leur demande.

Pension partielle

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi et de ses règlements, une pension partielle est payable aux personnes qui ne peuvent bénéficier de la pleine pension et qui, à la fois :

a) ont au moins soixante-cinq ans;

b) ont, après l’âge de dix-huit ans, résidé en tout au Canada pendant au moins dix ans mais moins de quarante ans avant la date d’agrément de leur demande et, si la période totale de résidence est inférieure à vingt ans, résidaient au Canada le jour précédant la date d’agrément de leur demande.

Montant

(3) Sous réserve du paragraphe 7.1(3), pour un mois donné, le montant de la pension partielle correspond aux n/40 du montant de la pleine pension, n’étant le nombre total — arrondi conformément au paragraphe (4) — d’années de résidence au Canada depuis le dix-huitième anniversaire de naissance jusqu’à la date d’agrément de la demande.

Arrondissement

(4) Le nombre total d’années de résidence au Canada est arrondi au chiffre inférieur.

Résidence ultérieure

(5) Les années de résidence postérieures à l’agrément d’une demande de pension partielle ne peuvent influer sur le montant de celle-ci.

[…]

Restrictions

5(1) Pour toucher la pension, la personne qui y a droit aux termes du paragraphe 3(1) ou (2) doit faire agréer la demande qu’elle présente ou qui est présentée en son nom. Le paiement de la pension n’est rétroactif que dans la mesure prévue par la présente loi.

Demande réputée présentée et agréée

(2) Dans le cas où le droit d’une personne à l’allocation expire parce qu’elle a atteint l’âge de soixante-cinq ans, le ministre peut réputer la demande prévue au paragraphe (1) présentée et agréée à la date où cette personne a atteint cet âge.

Personnes incarcérées

(3) Il ne peut être versé de pension à une personne assujettie à l’une des peines ci-après à l’égard de toute période pendant laquelle elle est incarcérée, exclusion faite du premier mois :

a) une peine d’emprisonnement à purger dans un pénitencier en vertu d’une loi fédérale;

b) si un accord a été conclu avec le gouvernement d’une province en vertu de l’article 41 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, une peine d’emprisonnement de plus de quatre-vingt-dix jours à purger dans une prison, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les prisons et les maisons de correction, située dans cette province.

Dispense

(4) Le ministre peut dispenser une personne de l’obligation de présenter la demande visée au paragraphe (1) si, le jour où la personne atteint l’âge de soixante-cinq ans, il est convaincu, d’après les renseignements dont il dispose en vertu de la présente loi, qu’elle a droit au paiement de la pension aux termes des paragraphes 3(1) ou (2).

Notification

(5) S’il entend dispenser la personne de l’obligation de présenter une demande, il l’en avise par écrit et lui fournit les renseignements sur lesquels il entend se fonder pour agréer le versement de la pension.

Inexactitudes

(6) La personne doit, avant le jour où elle atteint l’âge de soixante-cinq ans, produire auprès du ministre une déclaration pour corriger toute inexactitude contenue dans les renseignements visés au paragraphe (5).

Refus

(7) Elle peut, avant le jour où elle atteint l’âge de soixante-cinq ans, refuser d’être dispensée de l’obligation de présenter une demande, auquel cas elle en avise le ministre par écrit.

Levée de la dispense

(8) Le fait que le ministre entend accorder la dispense prévue au paragraphe (4) ne l’empêche pas d’exiger de la personne visée, avant le jour où elle atteint l’âge de soixante-cinq ans, qu’elle présente une demande de pension; le cas échéant, le ministre l’en avise par écrit.

[…]

Règlements

34 Le gouverneur en conseil peut prendre des règlements d’application de la présente loi et, notamment :

a) fixer les modalités de présentation des demandes, déclarations ou notifications prévues à la présente loi, préciser les renseignements et les éléments de preuve à l’appui de celles-ci auxquels l’accès peut être permis, ainsi que la procédure d’agrément des demandes;

b) établir le mode de détermination de la moyenne des indices des prix à la consommation pour toute période de plusieurs mois et la façon d’arrondir les résultats obtenus;

c) préciser, pour l’application de l’article 14, en quoi consiste le revenu provenant d’un régime de pension;

d) établir le mode de détermination, pour l’application de l’article 14, du mois au cours duquel ou du mois précédant le mois au cours duquel un demandeur ou son époux ou conjoint de fait a cessé d’exercer une activité ou a subi une perte de revenu par suite de la suppression ou de la réduction du revenu perçu au titre d’un régime de pension;

e) prévoir les circonstances dans lesquelles ou conditions auxquelles une personne ayant, le 31 décembre 1951 ou antérieurement, demandé ou obtenu une pension au sens de la Loi des pensions de vieillesse, chapitre 156 des Statuts revisés du Canada de 1927, et admissible à la pension prévue par la présente loi est réputée avoir présenté ou fait présenter une demande et fixer la date où ces demandes sont réputées avoir été présentées ou agréées;

f) préciser les renseignements et éléments de preuve auxquels les prestataires peuvent permettre l’accès, les cas où ils doivent être produits et la forme sous laquelle ils doivent l’être;

g) prévoir l’attribution par le ministre de numéros d’assurance sociale aux demandeurs, aux prestataires et à leurs époux ou conjoints de fait qui n’en auraient pas;

h) préciser les notions de résidence et de présence au Canada et les périodes d’absence qui sont réputées n’avoir pas interrompu l’une ou l’autre;

i) prévoir, pour les allocations inférieures au montant réglementaire — qui ne peut dépasser deux dollars — soit le versement au prestataire à des intervalles espacés de plus d’un mois, soit le paiement d’un montant mensuel déterminé;

j) prévoir la suspension du service d’une prestation pendant toute enquête sur l’admissibilité du prestataire, ainsi que la réintégration ou la reprise du versement;

k) prévoir, pour l’application de l’alinéa 19(1)a) et du paragraphe 19(5), les circonstances dans lesquelles l’époux ou conjoint de fait est réputé être séparé du pensionné;

l) prévoir, pour l’application des paragraphes 15(4.1) et (6.1), les circonstances dans lesquelles le pensionné est réputé être séparé de son époux;

m) établir les modalités des retenues à opérer sur les paiements de prestation en application de la présente loi;

m.1) préciser les cas où le ministre peut accorder un délai plus long pour présenter la demande visée aux paragraphes 27.1(1) ou (1.1);

n) prévoir la procédure à suivre en matière de renvoi prévu au paragraphe 28(2);

o) prévoir la façon d’établir l’incapacité d’une personne, par suite d’infirmité, de maladie, d’aliénation mentale ou d’autre cause, de gérer ses propres affaires et les éléments de preuve correspondants, préciser la personne ou l’organisme autorisés à représenter l’incapable dans le cadre des demandes, déclarations ou autres actes prévus par la présente loi et à qui les prestations doivent être versées pour le compte de cet incapable, et fixer les modalités de gestion et de dépense des prestations ainsi que la façon d’en rendre compte;

p) prévoir des événements pour l’application des paragraphes 11(8), 19(6.2) et 21(9.1);

q) prendre les mesures qui doivent ou peuvent être prises par règlement sous le régime de la présente loi.

[…]

Obligation de restitution

37(1) Le trop-perçu — qu’il s’agisse d’un excédent ou d’une prestation à laquelle on n’a pas droit — doit être immédiatement restitué, soit par remboursement, soit par retour du chèque.

Recouvrement du trop-perçu

(2) Le trop-perçu constitue une créance de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi en tout temps à ce titre devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, ou de toute autre façon prévue par la présente loi.

[…]

Remise

(4) Malgré les paragraphes (1), (2) et (3), le ministre peut, sauf dans les cas où le débiteur a été condamné, aux termes d’une disposition de la présente loi ou du Code criminel, pour avoir obtenu la prestation illégalement, faire remise de tout ou partie des montants versés indûment ou en excédent, s’il est convaincu :

a) soit que la créance ne pourra être recouvrée dans un avenir suffisamment rapproché;

b) soit que les frais de recouvrement risquent d’être au moins aussi élevés que le montant de la créance;

c) soit que le remboursement causera un préjudice injustifié au débiteur;

d) soit que la créance résulte d’un avis erroné ou d’une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi.

Règlement sur la sécurité de la vieillesse, C.R.C., ch. 1246

23(1) Le ministre peut, avant ou après l’agrément d’une demande ou après l’octroi d’une dispense, exiger que le demandeur, la personne qui a fait la demande en son nom, le prestataire ou la personne qui touche la pension pour le compte de ce dernier, selon le cas, permette l’accès à des renseignements ou des éléments de preuve additionnels concernant l’admissibilité du demandeur ou du prestataire à une prestation.

(2) Le ministre peut, en tout temps, faire enquête sur l’admissibilité d’une personne à une prestation, y compris sur la capacité du prestataire pour ce qui est de l’administration de ses propres affaires.

[…]

26(1) Le ministre doit suspendre le versement d’une prestation à l’égard de tout prestataire lorsqu’il lui semble que le prestataire n’est pas admissible au versement de la prestation et il peut en suspendre le versement lorsqu’une plus ample enquête sur l’admissibilité du prestataire lui paraît nécessaire. Une telle suspension courra jusqu’à ce que le ministre ait reçu des preuves satisfaisantes démontrant que le prestataire est admissible à la prestation.

[…]

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