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[1995] 1 C.F. 158

T-499-91

John R. Grant, Kenneth E. Riley, Howard S. Davis, qui ensemble forment une association non constituée en personne morale connue sous le nom de « Lethbridge R.C.M.P. Veterans’ Court Challenge Committee », chacun en son propre nom et au nom de l’association, et Kirsten M. Mansbridge (demandeurs)

c.

Le procureur général du Canada, le solliciteur général du Canada, Normand D. Inkster, commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (défendeurs)

et

Alberta Civil Liberties Assoc., Sikh Society of Calgary, Alberta Inter-religious Coalition, World Sikh Organization, Commission canadienne des droits de la personne (intervenantes)

Répertorié : Grant c. Canada (Procureur général) (1re inst.)

Section de premier instance, juge Reed—Calgary, 25 janvier; Ottawa, 8 juillet 1994.

GRC — Action visant à interdire au commissaire de la GRC d’autoriser le port de symboles religieux comme éléments de l’uniforme — Le Règlement de la GRC a été modifié en 1990 de façon à permettre la mise en œuvre de mesures visant à encourager le recrutement de minorités visibles — Aucun obstacle constitutionnel n’empêchait le commissaire d’autoriser les Sikhs du Khalsa à porter le turban au lieu du feutre.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Libertés fondamentales — Liberté de religion — Il s’agit de savoir si la modification du Règlement de la GRC et des ordres permanents du commissaire était inconstitutionnelle parce qu’elle était contraire à l’art. 2a) de la Charte — Une loi ayant un but religieux ne contrevient pas nécessairement à l’art. 2a) — Les rapports entre un policier dont l’uniforme comporte un symbole de sa religion et un membre de la population ne sont pas nécessairement de nature religieuse — Il n’existe aucune contrainte forçant ce dernier à partager les croyances religieuses du policier.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Vie, liberté et sécurité — La convention de neutralité s’applique aux forces policières en vertu de l’art. 7 de la Charte — Les policiers sont censés agir de façon neutre, sans allégeance politique ou religieuse — Les conventions ne sont pas des garanties constitutionnelles, et elles ne sont pas légalement exécutoires — Absence de preuve d’atteinte à la « liberté ou sécurité » du fait que des agents de la GRC portent le turban — La manifestation visible de la conviction religieuse de l’agent sikh comme élément de son uniforme ne crée pas une crainte raisonnable de partialité — Absence de preuve d’ingérence de l’État dans la vie, la liberté et la sécurité des demandeurs.

Droit constitutionnel — Charte des droits — Droits à l’égalité — Les demandeurs soutiennent que la reconnaissance par l’État d’un groupe religieux par opposition à d’autres groupes est discriminatoire en vertu de l’art. 15 de la Charte — Le privilège spécial accordé aux agents qui portent le turban sikh n’est pas discriminatoire — Les employeurs sont tenus d’accommoder les employés de façon à atténuer la discrimination par suite d’un effet préjudiciable — Le commissaire cherchait à encourager le recrutement de minorités visibles au sein de la GRC — Absence d’empêchement constitutionnel.

Pratique — Parties — Qualité pour agir — Les conditions relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public ont été remplies — Le litige soulevait une question sérieuse — Les demandeurs avaient établi l’existence d’un intérêt réel et continu dans le maintien de la neutralité religieuse de l’uniforme de la GRC — L’intérêt personnel résultait des liens passés et existants avec la GRC — Absence de solution de rechange raisonnable et efficace permettant de soumettre le litige aux tribunaux.

Les demandeurs ont sollicité une ordonnance interdisant au commissaire de la GRC d’autoriser le port de symboles religieux, tels un turban, comme éléments de l’uniforme de la GRC, ainsi qu’un jugement déclaratoire portant que les mesures prises par le commissaire à cet égard étaient inconstitutionnelles. C’est en 1980, à la suite de l’adoption de la Loi canadienne sur les droits de la personne, que la GRC a commencé à s’interroger sur la possibilité de modifier le code vestimentaire de la GRC de façon à permettre le port du turban des Sikhs du Khalsa et d’autres symboles liés à cette religion. Dans un rapport préparé en 1982 par le Groupe des droits de la personne de la GRC, on décrivait les doctrines de sikhisme et certains éléments historiques et l’on donnait des précisions sur la signification du port de divers symboles religieux. On y indiquait les modifications qui devaient être apportées au Règlement de la GRC et aux ordres permanents du commissaire, afin de permettre le port du turban et d’autres articles ayant une signification religieuse pour les Sikhs du Khalsa. Aucune mesure n’a été prise en vue de mettre en œuvre les recommandations contenues dans le rapport. Au milieu de l’année 1987, la GRC a commencé à approuver et à mettre en œuvre des mesures de promotion sociale visant le recrutement de personnes appartenant à des minorités visibles; la question du port du turban par les membres sikhs s’est posée de nouveau plus tard, cette année-là, après quoi le commissaire a fait savoir aux équipes de recrutement qu’elles pouvaient informer les candidats sikhs qu’ils seraient autorisés à porter la barbe et le turban. Finalement, en avril 1989, le commissaire a publié un bulletin afin de modifier le Manuel d’administration par des changements apportés aux ordres permanents pertinents. La modification proposée a donné lieu à une forte opposition et à de graves préoccupations, particulièrement dans l’Ouest canadien, où les policiers avec qui la population entretient des rapports quotidiens sont des membres de la GRC. En outre, les Canadiens de l’Ouest ont toujours tiré une grande fierté des traditions de la GRC et y ont toujours été très attachés. Malgré cette opposition, le Règlement de la GRC a été modifié en mars 1990, et un formulaire de demande a été rédigé à l’intention des Sikhs qui désiraient porter le turban et d’autres symboles religieux. Deux personnes ont été exemptées du port du feutre mentionné au paragraphe 64(1) du nouveau Règlement. Les questions examinées se rapportaient : 1) à la question de savoir si les demandeurs avaient qualité pour agir; 2) à la liberté de religion et à l’alinéa 2a) de la Charte; 3) à la justice fondamentale et à l’article 7 de la Charte; 4) à la discrimination et à l’article 15 de la Charte; 5) au multiculturalisme et à l’article 27 de la Charte; et 6) à la question de savoir si les mesures prises par le commissaire, si elles étaient inconstitutionnelles, étaient justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

Jugement : l’action doit être rejetée.

1) Les demandeurs satisfaisaient aux trois conditions nécessaires pour avoir la qualité pour agir dans l’intérêt public. Premièrement, le litige soulevait une question sérieuse : il s’agissait de savoir s’il existe un droit garanti par la Constitution qui oblige les membres de la GRC à ne pas afficher leur appartenance à un groupe religieux particulier lorsqu’ils agissent au nom de l’État. Deuxièmement, les demandeurs remplissaient la condition selon laquelle ils devaient avoir un intérêt suffisant, à titre de citoyens, dans l’objet du litige. Les demandeurs ont établi qu’ils avaient un intérêt véritable et continu dans le maintien de la neutralité religieuse de l’uniforme de la GRC. Ils avaient un intérêt personnel du fait de leurs liens passés et existants avec la GRC. Ils avaient consacré du temps, de l’argent et des efforts, d’abord pour sensibiliser les députés fédéraux et, ensuite, pour porter leur cause devant les tribunaux. L’argument voulant que la reconnaissance de la qualité pour agir en l’espèce puisse entraîner un flot de poursuites qui submergeraient les tribunaux et utiliseraient de façon inadéquate les rares ressources judiciaires n’était pas fondé. Le troisième argument était qu’il n’existait aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux. Il était fort peu probable qu’un membre existant de la GRC porte la cause devant les tribunaux, ou qu’un membre du public qui se sentait lésé porte plainte auprès de la Commission des plaintes du public de la GRC. Les demandeurs n’ont pas allégué l’existence d’une partialité réelle ou une conduite incorrecte de la part d’un agent; ils ont plutôt allégué qu’il existait une crainte raisonnable de partialité. Selon les demandeurs, lorsqu’on permet qu’un symbole religieux fasse partie de l’uniforme, on mine l’apparence d’impartialité. Pour satisfaire au critère d’une mesure de rechange « raisonnable et efficace », il est nécessaire de démontrer plus que la possibilité qu’un litige se produise. Il n’existait aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux.

2) Les dispositions législatives qui ont un objet religieux ne vont pas toutes à l’encontre de l’alinéa 2a) de la Charte. On doit prouver que l’objet religieux est de nature à restreindre le choix d’une personne de mettre en pratique ou d’exprimer ses croyances religieuses ou à obliger une personne à pratiquer ou à observer une religion qu’elle n’aurait pas choisie de son propre gré. Les rapports entre un policier dont l’uniforme comporte un symbole de sa religion et un membre de la population ne portent pas atteinte à la liberté de religion de ce dernier. Ces rapports ne sont pas nécessairement de nature religieuse. Dans le cas des rapports entre un policier qui porte un turban et un membre de la population, il n’existe aucune contrainte ni coercition qui forcerait ce dernier à adopter ou à partager les croyances ou les pratiques religieuses du policier, ou à y participer. La seule activité imposée à la personne qui traite avec un tel policier est de constater l’appartenance religieuse du policier. Le préambule de la Charte ne devrait pas être utilisé pour interpréter la garantie relative à la liberté de religion établie à l’alinéa 2a) parce qu’il n’existe dans cet alinéa, eu égard à la présente affaire, aucune ambiguïté qui devrait être interprétée à la lumière du préambule. Les déclarations énoncées dans un préambule constituent des règles d’interprétation et non des dispositions de fond.

3) Bon nombre des activités exercées par les policiers sont visées par l’article 7 de la Charte. Le concept de justice fondamentale suppose que les décisions doivent être prises par une instance libre de tout indice qui peut susciter une crainte raisonnable de partialité. Il existe une convention de neutralité à l’égard des forces policières du Canada, et cette convention sous-entend que leur tenue vestimentaire ne manifestera aucune allégeance politique ou religieuse. Toutefois, les conventions ne peuvent être appliquées légalement; elles sont souples et évoluent au fil des années. Une convention n’est pas une garantie constitutionnelle. Rien ne prouve que quiconque ait subi une « atteinte » à sa « liberté ou sécurité » en raison du port du turban par les deux agents de la GRC, ou ait ressenti une crainte raisonnable de partialité à cause de cette atteinte. Les preuves soumises par les demandeurs étaient entièrement théoriques et conjecturales. La déclaration voulant que la manifestation visible de la foi religieuse d’un agent sikh, à cause d’une partie de son uniforme, suscite une crainte raisonnable de partialité ne se fondait sur aucun élément de preuve concret. Aucun élément de preuve ne montrait qu’il y avait eu ingérence de l’État dans la vie, la liberté ou la sécurité des demandeurs ou d’un tiers qu’ils représentaient.

4) Non seulement n’y avait-il aucune preuve concrète de discrimination devant la Cour, mais l’exposé conjoint des faits précisait que la GRC envisagerait toute demande d’exemption pour des motifs religieux d’une façon semblable à celle qui a permis aux Sikhs du Khalsa de porter le turban. Afin de prouver la discrimination, il fallait soumettre des éléments de preuve indiquant que des concessions égales avaient été demandées et refusées et que la personne ayant bénéficié de l’exemption et celle qui se l’était vu refuser se trouvaient dans une situation équivalente. Selon la preuve, les ordres permanents du commissaire ne contrevenaient pas à l’article 15 de la Charte. Selon la Loi canadienne sur les droits de la personne et l’article 15 de la Charte, les règles d’application générale qui ont un effet préjudiciable sur une personne en raison de caractéristiques qui relèvent des motifs de distinction illicite seront considérées comme de la « discrimination par suite d’un effet préjudiciable ». Lorsqu’il existe une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, les employeurs sont tenus d’accommoder leurs employés pour en atténuer l’effet. La considération cruciale, lorsque la décision de permettre le port du turban a été prise, était d’encourager le recrutement de minorités visibles dans la GRC. Le litige ne portait pas essentiellement sur l’obligation, pour le commissaire, d’apporter les changements qu’il avait effectués, mais il s’agissait plutôt de déterminer si une disposition constitutionnelle l’empêchait de le faire. Il n’existait aucun empêchement constitutionnel de ce genre. D’autre part, le commissaire n’aurait pas violé la Charte s’il n’avait pas agi comme il l’avait fait.

5) L’article 27 de la Charte (qui porte sur le maintien du patrimoine culturel des Canadiens) est une disposition d’interprétation à laquelle il n’était pas nécessaire de recourir puisqu’il n’y avait aucune ambiguïté dans les dispositions pertinentes de la Charte.

6) Il n’était pas non plus nécessaire de recourir à l’article premier de la Charte puisque les mesures prises par le commissaire n’étaient pas contraires à une disposition constitutionnelle.

LOIS ET RÈGLEMENTS

Acte concernant les Terres Publiques de la Puissance, S.C. 1872, ch. 23.

Acte de Québec de 1774, L.R.C. (1985), appendice II, no 2.

Charte canadienne des droits et libertés, qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44], art. 1, 2a), 7, 15, 27.

Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33.

Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6.

Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5], art. 93.

Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 21 (mod. par L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 12), 25 (mod. idem, art. 16), partie VI (mod. idem).

Loi sur l’éducation, L.R.O. 1980, ch. 129.

Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33, art. 33.

Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, C.R.C., ch. 1391, art. 85.

Règlement de la Gendarmerie royale du Canada, (1988), DORS/88-361, art. 55, 56, 64 (mod. par DORS/90-182, art. 1).

JURISPRUDENCE

DÉCISIONS APPLIQUÉES :

R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295; (1985), 60 A.R. 161; 18 D.L.R. (4th) 321; [1985] 3 W.W.R. 481; 37 Alta. L.R. (2d) 97; 18 C.C.C. (3d) 385; 85 CLLC 14,023; 13 C.R.R. 64; 58 N.R. 81; Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486; (1985), 24 D.L.R. (4th) 536; [1986] 1 W.W.R. 481; 69 B.C.L.R. 145; 23 C.C.C. (3d) 289; 48 C.R. (3d) 289; 18 C.R.R. 30; 36 M.V.R. 240; 63 N.R. 266; R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387; (1988), 55 D.L.R. (4th) 481; [1989] 1 W.W.R. 97; 71 Sask. R. 1; 45 C.C.C. (3d) 57; 66 C.R. (3d) 97; 36 C.R.R. 90; 88 N.R. 205; Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143; (1989), 56 D.L.R. (4th) 1; [1989] 2 W.W.R. 289; 34 B.C.L.R. (2d) 273; 25 C.C.E.L. 255; 10 C.H.R.R. D/5719; 36 C.R.R. 193; 91 N.R. 255.

DÉCISIONS EXAMINÉES :

Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561; (1985), 23 D.L.R. (4th) 481; 17 Admin. L.R. 111; 9 C.C.E.L. 135; 86 CLLC 17,003; 63 N.R. 185; Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236; (1992), 88 D.L.R. (4th) 193; 2 Admin. L.R. (2d) 229; 5 C.P.C. (3d) 20; 8 C.R.R. (2d) 145; 16 Imm. L.R. (2d) 161; 132 N.R. 241; Zylberberg v. Sudbury Board of Education (Director) (1988), 65 O.R. (2d) 641; 52 D.L.R. (4th) 577; 34 C.R.R. 1; 29 O.A.C. 23 (C.A.); O’Sullivan c. M.R.N., [1992] 1 C.F. 522; (1991), 84 D.L.R. (4th) 124; [1991] 2 C.T.C. 117; (1991), 91 DTC 5491 (1re inst.); Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425; (1990), 65 D.L.R. (4th) 161; 54 C.C.C. 93d) 417; 29 C.P.R. (3d) 97; 76 C.R. (3d) 129; 47 C.R.R. 1; 106 N.R. 161; 39 O.A.C. 161; R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713; (1986), 35 D.L.R. (4th) 1; 30 C.C.C. (3d) 385; 87 CLLC 14,001; 55 C.R. (3d) 193; 28 C.R.R. 1; 71 N.R. 161; 19 O.A.C. 239; Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148; (1987), 40 D.L.R. (4th) 18; 77 N.R. 241; 22 O.A.C. 321; Canada (Attorney-General) v. Sander (1992), 96 D.L.R. (4th) 85; [1992] 2 C.T.C. 289 (C.S.C.-B.); Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69; (1991), 82 D.L.R. (4th) 321; 37 C.C.E.L. 135; 91 CLLC 14,026; 4 C.R.R. (2d) 30; 125 N.R. 241; Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455; (1985), 23 D.L.R. (4th) 122; 18 Admin. L.R. 72; 9 C.C.E.L. 233; 86 CLLC 14,003; 19 C.R.R. 152.

DÉCISIONS CITÉES :

Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; (1974), 43 D.L.R. (3d) 1; 1 N.R. 225; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; (1975), 12 N.S.R. (2d) 85; 55 D.L.R. (3d) 632; 32 C.R.N.S. 376; 5 N.R. 43; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; (1981), 130 D.L.R. (3d) 588; [1982] 1 W.W.R. 97; 12 Sask. R. 420; 64 C.C.C. (2d) 97; 24 C.P.C. 62; 24 C.R. (3d) 352; 39 N.R. 331; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607; (1986), 33 D.L.R. (4th) 321; [1987] 1 W.W.R. 603; 23 Admin. L.R. 197; 17 C.P.C. (2d) 289; 71 N.R. 338; Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441; (1985), 18 D.L.R. (4th) 481; 12 Admin. L.R. 16; 13 C.R.R. 287; 59 N.R. 1; Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; (1981), 34 Nfld. & P.E.I.R. 1; 125 D.L.R. (3d) 1; [1981] 6 W.W.R. 1; 95 A.P.R. 1; 11 Man.R. (2d) 1; 39 N.R. 1; Re Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 3 C.F. 562 (C.A.); Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] A.C.S. no 57 (QL).

DOCTRINE

Hogg, Peter. Constitutional Law of Canada, 3rd ed., Scarborough : Carswell, 1992.

Kaufmann, Walter. Religions in Four Dimensions : Existential and Aesthetic, Historical and Comparative. New York : Readers’ Digest Press, 1976.

ACTION en vue de l’obtention d’une ordonnance interdisant au Commissaire de la GRC d’autoriser le port de symboles religieux comme éléments de l’uniforme de la GRC, ainsi qu’en vue de l’obtention d’un jugement déclaratoire portant que les mesures prises par ce dernier à cet égard étaient inconstitutionnelles. Action rejetée.

AVOCATS :

J. J. Mark Edwards pour les demandeurs.

T.C.R. Joyce, c.r., et Linda J. Wall pour le procureur général du Canada et le solliciteur général du Canada, défendeurs.

S.N. Frost pour la Gendarmerie royale du Canada.

F. Andrew Schroeder et Palbinder K. Shergill pour World Sikh Organization, intervenante.

Brian A.F. Edy et Shirish P. Chotalia pour Alberta Civil Liberties Assoc., Sikh Society of Calgary et Alberta Inter-religious Coalition, intervenantes.

David Corry pour la Commission canadienne des droits de la personne, intervenante.

PROCUREURS :

Nelligan/Power, Ottawa, pour les demandeurs.

Le sous-procureur général du Canada pour les défendeurs.

Schroeder, Pidgeon & Company, Vancouver, pour World Sikh Organization, intervenante.

Edy, Dalton, Calgary, pour Alberta Civil Liberties Assoc., Sikh Society of Calgary et Alberta Inter-religious Coalition, intervenantes.

Commission canadienne des droits de la personne, Ottawa, pour la Commission canadienne des droits de la personne, intervenante.

Ce qui suit est la version française des motifs du jugement rendus par

le juge reed : Les demandeurs voudraient que la Cour interdise au commissaire de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) d’autoriser le port de symboles religieux comme éléments de l’uniforme de la GRC. Ils demandent aussi que les mesures prises par le commissaire à cet égard soient déclarées inconstitutionnelles. La décision d’autoriser le port du turban aux Sikhs du Khalsa au lieu du chapeau traditionnel à larges bords (le stetson), comme élément de l’uniforme de la GRC, est l’objet du litige.

Selon les demandeurs, il est inopportun—et en fait illégal et inconstitutionnel—qu’un symbole religieux soit incorporé à l’uniforme du corps policier national du Canada. Les demandeurs fondent leur action sur l’alinéa 2a) ainsi que sur les articles 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés [qui constitue la Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B, Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.) [L.R.C. (1985), appendice II, no 44]] (la Charte). Ces dispositions garantissent : (1) la liberté de religion; (2) la subordination aux principes de justice fondamentale de toute atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne; (3) l’égalité de chacun devant la loi. Dans leur déclaration, les demandeurs prétendaient que le commissaire avait outrepassé les pouvoirs que lui confèrent les règlements pertinents en autorisant le port d’un turban distribué par la GRC comme élément de l’uniforme distinctif[1]. Ils n’ont toutefois pas insisté sur cet argument, non plus que sur celui voulant que le commissaire ait procédé à une délégation de pouvoir irrégulière.

Les défendeurs soutiennent pour leur part que la modification apportée à l’uniforme visait à éliminer un obstacle au recrutement des Sikhs du Khalsa dans la GRC. Ils font valoir que cet obstacle tenait au fait que les croyances du Khalsa exigent le port d’un turban et d’autres symboles religieux. Les défendeurs soutiennent que la modification répondait aux objectifs suivants : (1) faciliter l’exercice de la liberté de religion aux personnes concernées; (2) refléter le caractère multiculturel du Canada d’aujourd’hui; (3) accroître l’efficacité de la Gendarmerie en permettant le recrutement de personnes qui appartiennent à une minorité visible. Les défendeurs prétendent aussi que, de toute façon, les demandeurs n’ont pas la qualité pour agir en l’espèce. Les intervenants appuient d’une façon générale les arguments invoqués par les défendeurs.

Je vais examiner la preuve sous les aspects successifs suivants : le témoignage des experts relatif aux symboles, à la religion et à la laïcité; le sikhisme et quelques volets de son histoire; l’élaboration de la politique de la GRC en cause; l’opposition et les préoccupations découlant de la modification proposée; l’application de la politique; le maintien de l’ordre et les uniformes des corps policiers. Les arguments juridiques invoqués seront ensuite traités dans l’ordre suivant : qualité pour agir des demandeurs; liberté de religion et alinéa 2a) de la Charte; justice fondamentale et article 7 de la Charte; discrimination et article 15 de la Charte; multiculturalisme et article 27 de la Charte; justification au regard de l’article premier de la Charte.

Symboles, religion et laïcisme

Le professeur Gualtieri, qui enseigne la philosophie et la religion à l’université Carleton, a témoigné sur la nature et la fonction des symboles, la nature de la religion et le type de conditions qui favorisent la tolérance religieuse. Les symboles sont des codes qui permettent la transmission de messages. La chose est aisée à comprendre si l’on pense au feu rouge ou au panneau routier pictographique, qui ne comportent aucun texte mais transmettent un message seulement par leur forme ou leur couleur. Les symboles religieux sont aussi des codes qui permettent la transmission de messages. Ils sont porteurs de messages liés aux systèmes de valeurs et à la conception du monde (Weltanschauung) des adeptes d’une religion donnée. Un symbole religieux peut être « décodé » d’une manière différente par une personne qui adhère à la religion en question et par une personne qui n’y adhère pas. Par exemple, le sous-commissaire Moffat, responsable de l’élaboration de la politique relative au turban, a déclaré lors de sa déposition que le turban n’est pas, à son avis, un symbole religieux. Pour lui, il s’agit d’une manifestation culturelle indiquant simplement qu’une personne est originaire de l’Inde. Pour le Sikh du Khalsa, le port du turban témoigne publiquement de son adhésion au sikhisme ainsi qu’aux valeurs et aux objectifs de cette religion. C’est un signe de dévotion et de ferveur.

L’étude des religions a permis au professeur Gualtieri de constater que toutes, même celles qui ne sont pas expressément militantes, tendent implicitement à la domination des autres, parce que chacune prétend à la connaissance exclusive de la vérité en ce qui a trait aux valeurs et aux préceptes fondamentaux. S’il est attristé par le développement de ce qu’il appelle la modernité laïque d’aujourd’hui, qu’il qualifie de religion moderne laïque, il fait observer que son instauration conduit à une structure sociale où des traditions religieuses divergentes trouvent plus facilement une liberté d’expression que dans une société moins laïque. Le professeur Gualtieri pense que la modernité laïque s’exprime elle aussi par des symbols—notamment l’uniforme que portent les représentants de la police.

Selon le professeur Gualtieri, c’est quand l’État conserve la plus grande neutralité possible à l’égard des religions traditionnelles que sont le mieux garantis le pluralisme religieux, la tolérance et le respect mutuel. Cette neutralité est favorisée si les symboles de l’État ne se confondent avec ceux d’aucune religion et, à son avis, cela revêt une importance particulière quand on a affaire à des institutions publiques qui exercent les pouvoirs coercitifs inhérents à la police.

Le professeur Beyer, du département des études religieuses de l’Université de Toronto, a témoigné au sujet des divers types de rapports qui ont existé et qui existent entre les autorités religieuses et les autorités politiques. Il a évoqué des contextes où les deux se sont alliées—par exemple l’Europe chrétienne médiévale et l’État théocratique instauré dans l’Iran moderne. Il a évoqué la théorie de la séparation de l’Église et de l’État qui a vu le jour dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, avant les révolutions française et américaine. À son avis, il n’est jamais facile pour un État de n’avoir aucun lien avec la religion. Cela tient au fait que les États modernes légifèrent dans des domaines dans lesquels les religions se prétendent elles aussi compétentes. Pour illustrer cette difficulté, le professeur Beyer a cité plusieurs cas relevés dans l’histoire contemporaine, notamment celui de l’Inde. Selon sa description, la constitution de l’Inde, pour tenter de réaliser la neutralité religieuse, confère des privilèges égaux à toutes les religions plutôt que de n’en privilégier aucune. Il pense que cette solution a contribué en partie à la forte politisation de la religion sur le sous-continent indien depuis l’indépendance acquise en 1947 : le nationalisme explicitement religieux et séparatiste des Sikhs du Pendjab et des musulmans du Cachemire, qui s’est lui-même heurté à un nationalisme hindou grandissant exprimé notamment par le parti Bharatiya Janata.

À mon sens, les experts cités par les défendeurs pour réfuter le témoignage des professeurs Gualtieri et Beyer ne sont pas fondamentalement en désaccord avec la plus grande partie de ces propos. À certaines occasions, ils l’ont mal compris ou en ont mal apprécié la portée, mais d’une manière générale, j’ai vu dans leur témoignage, plutôt qu’un total désaccord, l’expression de différences touchant la perspective ou l’importance accordée à certains points.

D’après le témoignage des experts des défendeurs, il n’y a rien d’intrinsèquement contradictoire, dans une démocratie libérale, à donner un certain appui à une ou à plusieurs traditions religieuses. C’est vrai, de toute évidence. Nul ne contesterait que l’Angleterre est une démocratie libérale; or le chef de l’État, la Reine, est aussi à la tête de l’Église anglicane. On fait valoir que, sur le plan pratique, au Canada, il n’y a tout simplement aucune chance que le fait de permettre à certains policiers le port du turban des Sikhs du Khalsa suscite des dissensions au sein de la société. Le Canada forme une société extrêmement tolérante et—ce qui est sans doute encore plus important—une société hautement laïque, du moins aujourd’hui. Peu de Canadiens, je pense, contesteraient ces affirmations. Les experts cités par les défendeurs ont également affirmé que l’existence d’un principe constitutionnel clairement exprimé exigeant l’établissement d’une distinction entre les autorités religieuses et les pouvoirs publics est relativement récente au Canada, par rapport aux États-Unis, par exemple. Et, de toute évidence, la Constitution canadienne n’exige pas d’une manière explicite la séparation de l’Église et de l’État, contrairement à la Constitution américaine[2].

Au sujet de l’absence historique de séparation de l’Église et de l’État au Canada, le professeur Bercusson a mentionné les dispositions de l’Acte de Québec de 1774 [L.R.C. (1985), appendice II, no 2] qui soustrayaient les catholiques aux lois anglaises répressives qui leur auraient normalement été applicables. Il a mentionné l’alliance entre l’Église et l’État qui s’est ainsi nouée et qui allait se maintenir au Québec jusqu’à la Révolution tranquille des années 1960. Il a évoqué les « réserves du clergé », l’une des causes de la rébellion de 1837 dans le Haut-Canada, dont les produits de la vente publique ont été utilisés à des fins municipales. Il a parlé des écoles confessionnelles qui jouissent d’une protection constitutionnelle dans certaines provinces, ainsi que de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 [30 & 31 Vict., ch. 3 (R.-U.) (mod. par la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.), annexe de la Loi constitutionnelle de 1982, no 1) [L.R.C. (1985), appendice II, no 5]]. Il a évoqué les exemptions relatives au service militaire obligatoire dont ont pu profiter les objecteurs de conscience ainsi que certaines modifications apportées à l’Acte concernant les Terres Publiques de la Puissance [S.C. 1872, ch. 23] de 1872, qui visaient à permettre l’acquisition de terres agricoles à des groupes qui étaient susceptibles de s’installer ensemble dans des villages ou des hameaux plutôt que de vivre dans des maisons individuelles. Selon lui, cette dernière exemption avait un caractère religieux puisque les groupes visés, comme les Mennonites, vivaient en commune.

Pour le professeur Bercusson, ces faits historiques montrent que le Canada n’a pas adopté une idéologie politique qui insisterait sur une véritable séparation de la religion et de l’État, et qu’il n’y souscrit pas. Le professeur affirme qu’en matière religieuse, au Canada, la question des rapports entre l’État et les citoyens a toujours été résolue d’une manière pragmatique, au cas par cas, et jamais dans l’abstrait ou en fonction de principes. Il a du même coup reconnu, cependant, que les Canadiens seraient étonnés par sa thèse suivant laquelle, sur le plan des principes, rien n’empêche le gouvernement de favoriser une ou plusieurs religions, la neutralité de l’État en matière religieuse n’étant pas érigée au rang de principe.

Le professeur Cooper a exprimé l’idée, si je l’ai bien compris, que l’octroi ou le retrait de privilèges religieux par l’État devrait s’effectuer, non pas en fonction de la vérité attribuée à une religion ou en vertu d’un droit général, mais selon qu’il peut vraisemblablement contribuer à la paix sociale ou y porter atteinte. Dans le même ordre d’idées, le professeur Morton estimait quant à lui que l’État peut très bien, exerçant son pouvoir discrétionnaire, octroyer des exemptions ou des privilèges religieux en fonction des caractéristiques de chaque cas. Il a écrit que l’exercice adéquat de ce pouvoir [traduction] « dépend tout autant des circonstances contingentes que des principes et qu’il convient de confier au législateur et aux autres autorités concernées » les décisions de cette nature.

La plupart des témoins, sinon la totalité, ont convenu qu’on exige de plus en plus la neutralité de l’État dans le domaine religieux au Canada. D’aucuns affirmeront que ce phénomène s’est intensifié depuis l’adoption en 1982 de la Charte, qui comporte des garanties touchant la liberté de religion, l’égalité et l’absence de discrimination. À titre de manifestation récente, on peut citer la modification des prières d’ouverture à la Chambre des communes. On a pu aussi relier cette insistance accrue aux changements démographiques qui ont fait du Canada le nouveau foyer de nombreux groupes appartenant à des cultures différentes.

Le sikhisme et quelques volets de son histoire

On trouve dans un rapport préparé en 1982[3] par un membre du Groupe des droits de la personne de la sous-direction du personnel et des affectations de la GRC une description des doctrines du sikhisme, certains éléments historiques ainsi que des précisions sur la signification du port de divers symboles religieux. La Gendarmerie s’est servie de ce rapport lors de l’élaboration de ce qui allait être appelé « la politique du turban ». En outre, le professeur William McLeod et M. Gian Singh Sandhu sont venus témoigner au sujet de la religion sikhe.

Le rapport de la GRC souligne la nature monothéiste—voire moniste—du sikhisme. Il décrit la croyance des Sikhs dans les vertus sociales de la compassion et de l’égalité, ainsi que l’importance accordée au devoir d’être au service de la communauté[4]. La fraternité entre tous les individus tient une place primordiale[5]. M. Sandhu a précisé que l’égalité de tous est un principe fondamental de la foi sikhe, que le turban sert à rappeler. Le port des autres symboles religieux rappelle également en tout temps à la personne qui les porte que la foi sikhe l’oblige à faire preuve d’honnêteté, d’intégrité et de justice envers chacun et chacune. Voici un passage du rapport :

[traduction] … la fonction du turban est totalement reliée à l’identité et à la cohésion religieuses et sociales. Son objet est symbolique : il permet de distinguer les Sikhs et les non-Sikhs.

L’importance du turban remonte à la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècles (1675-1708). À l’époque, la survie du sikhisme, apparu au XVIe siècle, était menacée par les peuples voisins. Le guru d’alors[6], Gobind Singh, dont le père avait été martyrisé par un empereur moghol pour avoir refusé de se convertir à l’islam, décida de transformer les Sikhs en une force de combat. Il créa la communauté sacrée des saints-soldats appelés le Khalsa (les Purs). Un code vestimentaire fut élaboré, qui consistait dans le port des cinq K : le kesh (cheveux non coupés); le kara (bracelet d’acier porté au poignet droit; il symbolise le courage et rappelle qu’il ne faut jamais commettre une faute morale en frappant autrui de façon inconsidérée); le kirpan (épée munie d’une lame à deux tranchants, qui à l’origine symbolisait la bravoure et était une arme défensive); le kachh (caleçon qui ne doit pas descendre plus bas que les genoux, autrefois porté durant le combat pour garder les vêtements près du corps) et le kangha (peigne en bois, porté dans le kesh et dont on se sert pour le nettoyage quotidien des cheveux). La nécessité de tenir les cheveux propres a amené les Sikhs à adopter le turban. Le professeur William McLeod, un spécialiste du sikhisme qui enseigne l’histoire à l’université d’Otago, en Nouvelle-Zélande, a déclaré lors de son témoignage que le port du turban a fini par devenir obligatoire pour les membres masculins du Khalsa[7]. Mais sur le point de savoir si le port du turban est bel et bien obligatoire, il ne semble pas y avoir unanimité[8].

Le rapport de la GRC décrit les événements qui ont entraîné la formation du Khalsa :

[traduction] Le guru Gobind a constitué un groupe dont les membres avaient le sentiment d’appartenir à la même famille et a uni certains traits de l’ascétisme traditionnel (dont la pratique de ne se couper ni les cheveux ni la barbe) à une insistance particulière sur l’appartenance à une armée et sur le courage. « Il est également probable que le guru, en faisant en sorte que ses fidèles soient faciles à reconnaître à cause du turban et de la barbe, voulait former un groupe d’hommes qui ne pourraient renier leur foi en cas de danger, mais dont l’apparence extérieure inviterait la persécution et favoriserait le courage nécessaire pour y résister[9] ».

Ce renoncement au pacifisme strict des cinq premiers gurus, dont les écrits constituent l’essentiel du Granth, s’est produit après l’exécution du cinquième et du neuvième gurus, lorsque le dernier guru a transformé ses disciples en guerriers, en déclarant : « Lorsque tous les autres moyens ont échoué, il est légitime de sortir l’épée de son fourreau ». Graduellement, les Sikhs ont acquis la réputation d’être les meilleurs soldats de l’Inde.

Les Sikhs se gagnèrent le respect des Britanniques en raison de leurs qualités de combattants. Les Britanniques exigeaient que chaque soldat admis dans l’armée indienne (c’est-à-dire l’armée britannique en Inde) subisse l’initiation dans le Khalsa et soit ainsi obligé de porter les cinq K et le turban. L’importance accordée au port du turban a fait des membres de l’armée des combattants redoutables, à cause du lien visible ainsi établi entre leur conduite, d’une part, et leur identité ethnique et religieuse, d’autre part. L’armée indienne, après 1857, combattit pour les Britanniques dans des lieux comme Hong Kong et Singapour. Les Sikhs ont aussi combattu pour les Britanniques au cours de la Première Guerre mondiale dans les tranchées en France, et durant la Deuxième Guerre mondiale au Moyen-Orient, en Afrique du Nord et en Italie.

Les Sikhs comprennent cinq groupes. Le premier est celui des Amrit-dharis—ceux qui ont été initiés dans le Khalsa et qui sont tenus au port des cinq K. Ils forment une proportion relativement restreinte des Sikhs, soit environ 15 %. La personne qui, admise au sein des Amrit-dharis, commet un péché grave (se coupe les cheveux, par exemple), ayant manqué à l’un des vœux, devient un apostat et est désignée par le terme de Patit-dharis.

De nombreux Sikhs, toutefois, n’ont pas subi l’initiation mais observent tout de même les cinq K. On les appelle les Kes-dharis. Ils forment un groupe très nombreux, en particulier à l’extérieur de l’Inde. Les Sahaj-dharis constituent un quatrième groupe : ils ne reconnaissent pas le code de conduite qui exige le port des cinq K et ne sont pas nombreux. Un cinquième groupe comprend ceux qui proviennent du Khalsa mais qui se sont coupé les cheveux. Ils ne sont désignés par aucun nom spécifique. Ils sont très nombreux au Canada et ailleurs à l’extérieur de l’Inde.

M. Sandhu a décrit les expériences qu’il a vécues en tant que Sikh ayant immigré au Canada et ses liens avec la World Sikh Organization. Né au Pendjab en 1942, il est arrivé au Canada avec sa famille en 1970. Il s’est installé à Williams Lake (Colombie-Britannique), où se trouvait sa belle-famille. Il se sentait gêné lorsqu’il portait son turban. Il avait le sentiment de ne pas être accepté. Il a enlevé son turban et s’est fait couper les cheveux. Il a maintenant sa propre entreprise, qui donne du travail à 72 personnes. Sa famille s’est agrandie et a prospéré. Ses quatre enfants ont tous reçu leur formation au Canada. Ils exercent diverses professions : conseiller pédagogique dans une école élémentaire, avocat, étudiant au doctorat; le dernier travaille dans l’entreprise de son père. M. Sandhu a subi une nouvelle initiation au sein des Amrit-dharis. Ses enfants l’y avaient encouragé parce qu’il leur avait enseigné la religion sikhe sans la pratiquer intégralement lui-même. Il a expliqué la tristesse et la gêne qu’il a ressenties lorsqu’il a enlevé son turban et s’est fait couper les cheveux, et a précisé combien il lui est agréable maintenant de pouvoir porter le turban sans se sentir ostracisé. Ce changement est en partie attribuable au fait qu’on voit de plus en plus de Sikhs coiffés du turban dans sa communauté, et que cela est de ce fait mieux accepté. Il a expliqué qu’à son avis, la réaction de nombreux Canadiens face au turban tient au fait qu’ils n’y sont pas habitués et qu’ils se sentent mal à l’aise devant une chose qui leur paraît étrange et différente.

La World Sikh Organization, que M. Sandhu représente, a été fondée après le saccage du Temple d’Or d’Amritsar par l’armée indienne en 1984. Les objectifs de l’association sont les suivants : promouvoir la préservation de la religion sikhe; travailler, par des moyens pacifiques, à la création d’un État sikh (le Khalistan, au Pendjab); favoriser la communication entre les Sikhs du monde entier; œuvrer en faveur de la fraternité universelle, de la paix, de la justice, de la liberté de religion et de parole et promouvoir les intérêts des Sikhs à l’échelle mondiale. L’un des buts poursuivis par la World Sikh Organization consiste à faire connaître le sikhisme aux autres. Elle s’efforce de faire contrepoids à l’opinion publique internationale qui caractérise parfois les Sikhs comme des militants et des violents. Cette caractérisation est le résultat des actions commises par un petit nombre de membres parmi les plus radicaux, comme les auteurs de l’attentat contre un avion d’Air India. En ce qui a trait à l’établissement d’un État sikh indépendant au Khalistan, les Sikhs qui appuient cette idée envisagent pour la plupart un État où la politique et la religion seraient confondues. Les Sikhs vivant en Inde n’appartiennent pas à la World Sikh Organization. Tout le monde est au courant du conflit qui oppose les Sikhs et les Hindous, à la suite de l’assassinat de Mme Ghandi et du massacre d’un grand nombre de Sikhs[10].

La World Sikh Organization fait partie des nombreuses associations sikhes qui ont exercé des pressions pour que des modifications soient apportées à l’uniforme de la GRC. M. Sandhu a expliqué comment les changements ont contribué à ce que les Sikhs du Canada se sentent plus à l’aise au pays, et comment ils ont encouragé les jeunes membres de la communauté à tenter de trouver un emploi au sein des corps policiers.

Élaboration de la politique du turban

C’est en 1980 que la GRC a commencé à s’interroger sur la possibilité de modifier le code vestimentaire de la GRC pour permettre le port du turban des Sikhs du Khalsa et d’autres symboles liés à cette religion. On présumait qu’il deviendrait indispensable de modifier l’uniforme de la GRC en raison des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne, S.C. 1976-77, ch. 33. Le Tribunal canadien des droits de la personne était peu de temps auparavant arrivé à la conclusion que la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada n’était pas en droit de congédier un Sikh qui refusait de porter le casque de sécurité au travail (affaire Bhinder). C’est dans ce contexte que le rapport sur le sikhisme a été préparé à la GRC en 1982. On y indiquait les modifications qui, pensait-on, allaient devoir être apportées tant au Règlement de la Gendarmerie royale du Canada [C.R.C., ch. 1391] (le Règlement de la GRC) qu’aux ordres permanents du commissaire, afin de permettre le turban et d’autres articles ayant une signification religieuse pour les Sikhs du Khalsa.

Le Règlement de la GRC précisait que l’uniforme « distinctif » (la tenue ou l’uniforme de cérémonie) de la GRC était constitué du feutre, de la tunique rouge, de la culotte d’équitation bleue avec une bande jaune sur le côté, des bottes strathcona brunes, des éperons droits et de tous autres éléments approuvés par le ministre[11]. D’autres dispositions s’appliquaient aux membres du sexe féminin, dont il sera question plus loin. La « tenue de travail » (tenue non disctinctive) de la GRC est prescrite par les ordres permanents du commissaire (maintenant appelés « consignes »), comme les consignes relatives à l’apparence personnelle (par exemple, on ne peut porter sur l’uniforme aucun ornement non autorisé; le visage doit être rasé de près; les cheveux doivent être courts).

Les consignes du commissaire figurent dans un Manuel d’administration (le Manuel) et le commissaire peut y apporter seul des modifications, dans la mesure où il s’agit de normes vestimentaires non régies par le Règlement de la GRC. Aucune approbation par décret n’est nécessaire. La GRC est constituée sous le régime de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada[12], en vertu de laquelle le commissaire, désigné par le gouverneur en conseil, dirige la GRC sous l’autorité du solliciteur général du Canada.

Le rapport de la GRC faisait état des aspects du fonctionnement de la GRC qui seraient touchés par les modifications proposées au sujet de l’uniforme : la tradition; l’uniformité de la tenue vestimentaire; la facilité d’identification par le public des agents en uniforme; la sécurité. Les trois premiers n’étaient pas jugés suffisamment importants pour justifier qu’on refuse les changements en question. Au sujet du quatrième, le rapport comporte les observations suivantes :

[traduction] Les Forces canadiennes, les Chemins de fer nationaux du Canada et le ministre des Services correctionnels ont été l’objet de plaintes fondées sur la Loi canadienne sur les droits de la personne et formulées par des Sikhs selon qui ces organisations ont, dans le domaine vestimentaire, une réglementation qui les empêche d’obtenir des emplois et, partant, se traduit par une discrimination fondée sur la religion. Des jugements ont été rendus en faveur des Sikhs dans tous les cas, qui ont été confirmés en appel. Ces exemples amènent à conclure qu’il serait vain pour la GRC de s’opposer à une contestation similaire qui serait engagée par un Sikh.

L’armée britannique permet depuis des années aux Sikhs de porter le turban et la barbe. Récemment, les Forces canadiennes ont fait l’objet d’une action intentée par un Sikh, et quand la Commission a conclu à l’atteinte discriminatoire, elles ont accepté de se conformer aux exigences religieuses; toutefois, le Sikh en question n’a pas donné suite à sa demande.

Le rapport de 1982 recommandait, dans sa conclusion, que des changements soient effectués afin de permettre aux Sikhs de garder leurs cheveux longs et leur barbe, et de porter le turban ainsi que les autres symboles de leur religion. Il recommandait qu’on effectue les modifications nécessaires au Règlement de la GRC et au Manuel. Aucune mesure n’a été prise en vue de mettre en œuvre ces recommandations. Il semble que les premiers dirigeants de la GRC aient décidé de ne procéder à aucun changement tant que les consignes relatives à l’uniforme n’auraient pas été invalidées par les tribunaux.

En octobre 1984, le sous-commissaire adjoint d’alors, N. D. Inkster, qui était le directeur des missions de protection et du personnel, a assisté à un symposium à Vancouver. Cette rencontre avait pour thème le maintien de l’ordre dans les communautés multiculturelles et multiraciales. À son retour à Ottawa, il a rédigé une note de service, dans laquelle il disait avoir été informé que les normes de recrutement de la GRC étaient discriminatoires envers les Sikhs parce qu’on exigeait que les agents soient rasés de près et portent des coiffures particulières, et concluait ainsi : [traduction] « Les choses vont devoir changer ». Il a demandé qu’on lui fasse des recommandations sur la manière dont ces changements devraient se faire. On lui a alors présenté le rapport préparé en 1982. Des notes de service remontant à cette époque indiquent qu’on s’est alors intéressé une nouvelle fois aux consignes obligeant les agents, lorsqu’ils exécutent certaines tâches, à porter certains types de coiffures (par exemple, un casque lorsqu’ils se déplacent à motocyclette ou sont appelés à maîtriser une émeute; des chapeaux de fourrure par temps froid). Apparemment, le sous-commissaire adjoint Inkster a recommandé l’établissement d’une exemption[13] permettant aux Sikhs de porter les divers symboles de leur religion, mais cette recommandation n’a pas reçu l’appui de ses supérieurs et on n’a pris aucune mesure pour changer les choses.

La question a refait surface durant l’été et l’automne 1985. On lit dans une note de service datée de décembre 1985 que la Cour suprême a infirmé la décision rendue par le Tribunal des droits de la personne dans l’affaire Bhinder[14]. Selon la Cour suprême, le fait d’obliger M. Bhinder à porter un casque de sécurité était une exigence professionnelle normale permise par la Loi canadienne sur les droits de la personne, malgré son possible caractère discriminatoire. La Cour a conclu que la Loi n’obligeait pas l’employeur de M. Bindher à s’adapter à sa situation particulière.

Dans une note de service datée de mars 1986 et rédigée en réponse aux questions de N. D. Inkster, entre-temps devenu sous-commissaire à l’administration, on souligne que les Forces canadiennes avaient précisé que la décision de permettre le port du turban résultait d’une plainte déposée en 1979 sous le régime de la Loi canadienne sur les droits de la personne. La « permission » donnée dans la foulée de cette plainte était la suivante : les officiers pourraient porter le turban et la barbe (pour des motifs religieux) à la condition que cela ne nuise pas à l’exercice de leurs fonctions. On précisait en outre, cependant, que si une personne de religion sikhe était recrutée dans les Forces armées et se trouvait dans une situation exigeant le port d’un équipement spécial, elle devrait se conformer à cette exigence. Les Forces armées n’ont pas pour politique de muter une personne de religion sikhe à un poste où elle n’aura pas à porter un équipement spécial afin de s’adapter à sa situation particulière. La preuve n’indique pas la présence dans les Forces armées de Sikhs portant le turban.

D’après les informations obtenues par la GRC auprès de la police métropolitaine de Toronto en avril 1986, ce corps policier permettait aux Sikhs le port du turban, mais il y avait certaines fonctions que ces agents ne pouvaient alors accomplir. Il leur était ainsi interdit de se rendre sur des sites industriels où le port du casque de sécurité est obligatoire; d’exécuter des fonctions liées à la circulation et exigeant le port du casque de sécurité; d’accomplir des tâches qui exigent le port d’un masque à gaz.

En juin 1986, le solliciteur général de l’époque, Perrin Beatty, répondant à une lettre que lui avait adressée la Fédération des sociétés sikhes du Canada, remerciait celle-ci de lui avoir suggéré d’autoriser les Sikhs pratiquants à conserver leurs emblèmes religieux lorsqu’ils entrent dans la GRC, mais disait que cela ne lui semblait pas nécessaire. Il signalait que l’impossibilité de porter des symboles religieux ne paraissait pas constituer un obstacle, puisque les Sikhs qui faisaient déjà partie de la GRC étaient disposés à porter le même uniforme que les autres. Il se disait conscient du fait que les différentes religions ont des coutumes qui leur sont propres et exprimait l’avis que, dans la mesure où celles-ci ne sont pas incompatibles avec les exigences de la GRC, elles ne constituent pas un empêchement au service.

En août 1986, le solliciteur général d’alors, James Kelleher, répondant à une autre lettre de la Fédération des sociétés sikhes du Canada, réitérait la position exprimée antérieurement par M. Beatty. En décembre 1986, le commandant divisionnaire de la division « E », située à Vancouver, a reçu les précisions suivantes de la part d’un subalterne du sous-commissaire Inkster :

[traduction] … aucune politique ferme n’a été élaborée quant à la possibilité de permettre aux Sikhs de porter un turban ou d’autres emblèmes religieux avec notre uniforme. La GRC continuera d’accueillir des personnes appartenant à des minorités visibles dans ses rangs, mais à l’heure actuelle il ne semble pas indiqué de modifier notre code vestimentaire afin de tenir compte des particularités de telle ou telle religion. Les coutumes religieuses qui ne sont pas incompatibles avec les exigences de la GRC ne constitueront pas un obstacle au recrutement.

Au milieu de l’année 1987, la GRC a commencé à approuver et à mettre en œuvre des mesures de promotion sociale visant le recrutement de personnes appartenant à des minorités visibles[15]. L’un de ces groupes cibles était désigné comme les « Sud-Asiatiques (Indo-Pakistanais) ». Il n’est pas nécessaire de décrire en détail le programme de promotion sociale, sauf pour préciser qu’il a entraîné la mise sur pied d’un comité consultatif constitué notamment de personnes appartenant aux diverses minorités visibles et ayant pour mission de conseiller le commissaire. Il a aussi donné lieu à l’établissement de diverses équipes de recrutement qui devaient procéder à un recrutement actif auprès des groupes cibles.

La question du port du turban par les membres qui pratiquent la religion sikhe s’est posée de nouveau en septembre 1987. Elle n’a pas été soulevée par le comité consultatif ni par les équipes de recrutement, mais plutôt, semble-t-il, par le Groupe des droits de la personne de la GRC[16], conscient du fait que l’organisme tentait d’encourager le recrutement de personnes appartenant à des minorités visibles. Le commissaire avait demandé qu’on lui soumette des propositions originales susceptibles de favoriser ce recrutement.

En octobre 1987, on a préparé une note pour le sous-directeur principal chargé du personnel (Planification), relative à des questions d’ordre religieux et aux critères de recrutement. On y isolait quatre types de pratiques religieuses dont la GRC pourrait avoir à se préoccuper lors du recrutement de personnes faisant partie de minorités visibles : interdiction de certaines actions (par exemple, porter ou utiliser une arme à feu); interdiction de travailler lors de certaines fêtes religieuses (par exemple, le jour du sabbat); exigences ayant trait au port de vêtements ou d’emblèmes revêtus d’une signification religieuse; interdiction de se couper les cheveux ou les poils. Le commissaire adjoint Allen soulignait que la politique de la GRC consistait à exclure toute adaptation aux pratiques des deux premiers types, tout en ne refusant un emploi à aucun candidat en raison de pratiques relevant des deux derniers types.

En décembre 1987, le commissaire Inkster a fait savoir aux équipes de recrutement qu’elles pouvaient informer les candidats sikhs qu’ils seraient autorisés à porter la barbe et le turban. La note en question précisait ce qu’il fallait leur dire : une vieille tradition, dont la GRC est fière, veut que les membres soient rasés de près et soient tous vêtus de la même façon, et l’on espère que les candidats se conformeront à cette tradition. Mais il fallait aussi informer les candidats que s’ils décidaient d’agir autrement, ils ne seraient pas pénalisés. Voici le texte de la directive interne du commissaire datée du 6 janvier 1988 :

[traduction] Donc, je pense qu’il est temps de régler une fois pour toutes la question du port du turban et de la barbe qui constituerait une obligation pour les membres qui sont des Sikhs orthodoxes. J’aimerais que la politique soit formulée comme une exception établie à des fins religieuses et applicable aux seuls Sikhs.

Il a ensuite fallu quelque temps pour mettre au point les détails de la politique. Cela a nécessité des consultations auprès de plusieurs membres de la communauté sikhe, des négociations à l’interne ainsi que des discussions avec la police municipale d’Edmonton et la police métropolitaine de Toronto. La police d’Edmonton avait établi une politique inspirée de celle en vigueur au sein des Forces canadiennes. Il n’a pas été établi que cette force policière comptait dans ses rangs, à l’époque, des Sikhs portant le turban. L’une des questions les plus épineuses consistait à déterminer si l’on permettrait aux Sikhs de porter le turban tout en limitant les fonctions susceptibles de leur être attribuées (c’est-à-dire en ne leur confiant aucune tâche qui suppose le port d’un casque spécial), ou bien si on les autoriserait à porter le turban sauf lorsque leurs fonctions commandent le port d’une coiffure particulière. La police métropolitaine de Toronto semblait avoir retenu la première solution, tandis que les Forces canadiennes et la police d’Edmonton paraissaient avoir opté pour la seconde.

À ce sujet, Manjit Singh, qui faisait partie du comité consultatif du commissaire, a expliqué aux responsables de l’élaboration de la politique que le port du turban répondait principalement au souci de garder les cheveux propres. Il aurait déclaré qu’on ne porte pas le turban à la maison et que, s’agissant de la formation policière, durant les sports ou les activités physiques :

[traduction] … un membre sikh pouvait se couvrir les cheveux avec un « mouchoir » [patka]. Pour la natation, on peut porter un casque de bain ordinaire. Durant les périodes entre les cours donnés à l’académie (15 minutes), on pouvait permettre à un Sikh de porter un patka, qui semble être un grand « mouchoir » et qui serait noué autour des cheveux.

On a discuté des diverses fonctions exercées dans la Gendarmerie qui nécessitent le port d’un casque. M. Singh estimait que, d’une manière générale, le port du casque dans l’exécution de diverses tâches était dans une large mesure une question relevant de l’appréciation personnelle et qu’un bon nombre sont sans doute disposés à le porter au besoin. La véritable restriction concerne le fait de se montrer « nu-tête » en public, et selon lui rien ne s’opposerait à ce qu’un membre faisant partie des troupes tactiques enlève son turban en privé pour revêtir le casque.

Finalement, en avril 1989, le commissaire Inkster a publié un bulletin afin de modifier le Manuel par des changements apportés aux ordres permanents pertinents. En voici le texte :

1.   Généralités

a.   Les membres qui pratiquent la religion sikh peuvent porter :

1.   un turban distribué par la G.R.C. au lieu de la coiffure réglementaire, pourvu qu’il cache les cheveux et qu’il soit propre;

2.   en dessous de l’uniforme, un petit Kirpan, l’épée sikh symbolique, ou une réplique de celle-ci, qui mesure au plus 3½ po;

3.   un Kara, c.-à-d. un peigne sikh porté dans les cheveux, en dessous du turban, et

4.   de la barbe et d’autres poils non coupés, pourvu que les critères suivants soient respectés :

1.   les poils non coupés doivent être cachés sous le turban réglementaire;

2.   la barbe doit être soigneusement attachée et doit, au besoin, être recouverte d’un filet de même couleur que les poils, aux fins de propreté.

b.   À part les exceptions mentionnées à l’al. 1.a., toutes les autres règles concernant la tenue et l’apparence s’appliquent.

c.   Le membre qui pratique la religion sikh peut obtenir le turban et l’insigne en transmettant la formule 1216 à la Direction générale, à l’att. de la Sous-direction de la gestion et du matériel.

Les personnes qui ont pris cette décision à l’époque ne se sont pas rendu compte qu’une modification de l’uniforme distinctif de la Gendarmerie ne pouvait être effectuée au moyen d’une simple directive administrative. Lorsque cela fut devenu évident, le bulletin cité ci-dessus a été publié une nouvelle fois, en août 1989, avec la précision suivante :

La présente directive n’entrera pas en vigueur avant la mise en application du règlement pertinent.

L’opposition et les préoccupations découlant de la modification proposée

La modification proposée a suscité diverses réactions, dont l’une des plus intéressantes date du mois d’août 1989 et provient d’un Sikh qui était déjà membre de la GRC :

[traduction] 1.  D’après sa réponse à la question de M. HUGHES, il est manifeste que le commissaire croit sincèrement à la croissance multiculturelle du Canada; toutefois, je soutiens respectueusement qu’il est également évident que la question du turban, comme élément de l’uniforme de la Gendarmerie, n’a pas été soumise au commissaire de façon à ce qu’il puisse en peser le pour et le contre. En Inde, où j’ai grandi, je portais le turban et je porte l’uniforme de la Gendarmerie depuis 1973; je crois que de tels antécédents m’autorisent à présenter mon point de vue sur la question.

2.   Pour la Gendarmerie, le plus grand problème réside dans la définition du « Sikh ». Les Sikhs ne s’entendent pas eux-mêmes sur une telle définition et il en découle que nous nous inscrivons dans un continuum où se situent, à une extrémité, les Sikhs arborant la barbe et le turban et, à l’autre, les Sikhs qui se rasent de près. Les tenants de ces groupes extrêmes, tout comme les Sikhs qui se situent entre les deux, estiment qu’ils sont des adeptes de la religion pourvu qu’ils en appliquent la philosophie. Cependant, le groupe qui porte le turban et les symboles requis par le sikhisme se prétend d’une plus grande pureté que les autres. Entre les deux extrêmes, se trouvent les Sikhs qui se coiffent d’un turban, mais taillent leur barbe pour l’entretenir et ne portent pas les symboles religieux. Selon les Sikhs qui se rasent de près, ces symboles importent peu dans la philosophie de la vie telle que l’enseigne la religion sikhe. De qui provient la définition du Sikh acceptée par la Gendarmerie et pourquoi cette dernière accepte-t-elle cette définition? …

3.   Rien dans la religion sikhe ne rend obligatoire le port du turban. La religion requiert du Sikh qu’il porte cinq symboles et je suis convaincu que le commissaire les connaît. Le port du turban relève seulement de la coutume…

5.   Si la Gendarmerie permet le port du turban avec l’uniforme, appuiera-t-elle les actes d’un membre qui se vengerait parce qu’on a déshonoré son turban? Avec le temps, la coutume a fait en sorte que le turban sikh devienne, pour celui qui le porte, l’expression de sa dignité personnelle, de ses croyances religieuses et de sa fierté culturelle. En Inde, il serait acceptable qu’un Sikh, dont on aurait fait tomber le turban par malveillance, riposte en infligeant des blessures (ou même la mort) à son assaillant. La Gendarmerie fermera-t-elle les yeux sur de tels actes de vengeance fondés sur les croyances religieuses de certains de ses membres?

La demanderesse, Kirsten Mansbridge, a réagi à l’annonce de la modification apportée à la politique de la GRC. Son époux avait été membre de la GRC. Son fils et son gendre en font maintenant partie. Depuis 1986, elle aide les anciens de la GRC de Calgary à titre de dame auxiliaire et, auparavant, elle avait été membre des dames auxiliaires de Winnipeg. Au milieu de 1989, lorsqu’on a rendu publique la nouvelle de la modification proposée, elle et ses deux sœurs ont décidé d’organiser une pétition adressée aux députés. Tel qu’il a déjà été souligné, le commissaire avait à cette époque annoncé que la modification entrerait en vigueur, mais les changements qui devaient être apportés au Règlement de la GRC n’avaient pas encore été effectués et le solliciteur général du moment, Pierre Blais, avait déclaré qu’il n’avait encore pris aucune décision à ce sujet. Il semble évident que l’initiative de Mme Mansbridge et de ses sœurs était fondée sur la fierté qu’elles tiraient des traditions de la GRC et sur leur répugnance à accepter qu’on apporte des changements à l’uniforme des membres. Mme Mansbridge a déclaré ce qui suit quant au moment où elle et ses sœurs ont entrepris la pétition :

[traduction] … nous voulions montrer, je suppose, notre déception à l’égard de ce que faisait le gouvernement en raison des traditions de la GRC. Nous avions l’impression qu’on enlevait quelque chose aux traditions de la GRC et à son image sur la scène mondiale, non que nous ayons déjà désapprouvé le port du turban[17].

La pétition qu’elles ont rédigée est en partie reproduite ci-dessous :

[traduction] NOUS SOUMETTONS HUMBLEMENT CE QUI SUIT :

ATTENDU   que la GRC possède de longues traditions honorables que le monde entier connaît et admire;

ATTENDU   que la population ainsi que les différentes forces policières du Canada et des autres pays reconnaissent et respectent l’uniforme distinctif de la GRC, nous ne voyons pas le mérite, l’utilité ou la raison de permettre des modifications à l’uniforme ou au code vestimentaire de la GRC. Nous entrevoyons clairement le risque de futurs changements en série dans la tenue vestimentaire et les traditions de la GRC si on permet que les turbans et les dagues de cérémonie fassent partie de son uniforme. D’autres minorités religieuses ou ethniques réclameront le même droit d’intégrer des objets plus ou moins aberrants à l’uniforme, d’où la perte à la longue d’une tradition distincte, reconnaissable et fière.

PAR CONSÉQUENT,   les soussignés, vos pétitionnaires, prient humblement le Parlement de préserver l’héritage et les traditions caractéristiques de la GRC en faisant en sorte qu’on maintienne l’uniformité du code vestimentaire, y compris des couleurs et des parures reconnaissables qui ont une si grande valeur historique pour notre pays. La fierté et l’esprit de corps des membres de la GRC ne devraient pas être compromis par des concessions, accordées aux minorités religieuses ou ethniques, qui entraîneraient des modifications à cet éminent corps de police, ou encore à ses traditions et à son uniforme qui inspirent la fierté.

AINSI qu’il est de leur devoir, vos pétitionnaires ne cesseront de prier.

Il n’est pas étonnant que les résidants de l’Ouest canadien, et plus particulièrement ceux de l’Alberta, aient réagi si fortement contre la modification annoncée. La GRC a en effet joué un rôle dans l’histoire de l’Ouest comme nulle part ailleurs dans le pays. Elle a initialement été constituée sous le nom de la Police à cheval du Nord-Ouest. On l’a envoyée dans l’Ouest afin qu’elle contribue à empêcher les conflits sanglants, que les États-Unis avaient connus, entre les Indiens et les colonisateurs qui gagnaient du terrain. La Police à cheval du Nord-Ouest a accompli cette mission avec succès. Comme le fait remarquer Mme Mansbridge, la GRC a acquis avec le temps une réputation internationale et l’image du membre de la « police montée », vêtu de l’« uniforme distinctif » qu’on connaît, est devenue un symbole évocateur du Canada. Mme Mansbridge note que ce symbole apparaît dans une grande partie de la publicité touristique du gouvernement. Le plus important collège de formation de la GRC, jusqu’à ce jour, est situé à Régina. Dans les provinces de l’Ouest, bien sûr, et dans toutes les autres provinces, à l’exception de l’Ontario et du Québec, les policiers avec qui la population entretient des rapports quotidiens sont des membres de la GRC[18]. On peut donc facilement comprendre pourquoi les Canadiens de l’Ouest tirent une grande fierté des traditions de la GRC et pourquoi ils y sont très attachés.

De toute façon, la réponse aux efforts de Mme Mansbridge et de ses sœurs s’est révélée, pour employer les mots de Mme Mansbridge, stupéfiante. Elles avaient prévu organiser une pétition de nature très locale et d’une envergure restreinte. L’appui extrêmement chaleureux qu’elles ont reçu les a encouragées à multiplier leurs efforts et à transformer l’œuvre modeste qu’elles avaient initialement envisagée en une campagne beaucoup plus considérable. En fin de compte, elles ont recueilli plus de 210 000 signatures. En outre, certains organismes ont exprimé leur appui : cercles d’auxiliaires, associations du troisième âge et organismes municipaux tels que l’association des municipalités rurales de la Saskatchewan. Des résolutions ont été adoptées par dix-neuf conseils de bandes indiennes. Mme Mansbridge et ses sœurs ont reçu entre 5 000 et 8 000 lettres de soutien. Au début, elles jetaient les lettres parce qu’elles n’étaient pas suffisamment organisées pour les conserver ou y répondre. Certaines de ces lettres provenaient de membres actifs de la GRC qui ne voulaient pas que leur identité soit rendue publique. Quelques-uns des messages envoyés à Mme Mansbridge et à ses sœurs comprenaient des fonds destinés au soutien de leur campagne. Les trois sœurs ont déboursé approximativement 4 000 $ chacune de leur propre argent.

On avait avisé Mme Mansbridge et ses sœurs de faire parvenir leur pétition aux parlementaires concernés. Toutefois, puisque la modification proposée touchait la réglementation, et non pas une loi, l’approbation du Parlement n’était évidemment pas requise, car un comité du conseil des ministres prendrait la décision. Les pétitions adressées aux députés se sont révélées infructueuses et le règlement autorisant le commissaire à mettre en œuvre la modification a été pris par le cabinet[19]; c’est alors que Mme Mansbridge et ses sœurs ont été inondées d’appels téléphoniques. Elles se sont alors efforcées de rassembler des fonds en vue de contester, devant les tribunaux, les mesures prises par le commissaire.

Les demandeurs, MM. Grant, Riley et Davis, sont tous des anciens agents de la GRC. Ils sont tous membres de l’Association des anciens de la GRC de Lethbridge, en Alberta. Lorsque la nouvelle de la modification proposée a été rendue publique, M. Davis a pris l’initiative d’une pétition pour laquelle il a obtenu entre 500 et 700 signatures. Il a fait parvenir cette pétition au député fédéral qui représentait sa région. M. Davis a été informé de la pétition que faisaient circuler Mme Mansbridge et ses sœurs, ainsi que de leurs activités. Lorsqu’il est devenu évident que les pétitions n’atteignaient pas leur objectif, les demandeurs, MM. Grant, Riley et Davis, ont également porté leur attention sur la possibilité d’une contestation devant les tribunaux. Le 30 avril 1990, la division de Lethbridge de l’Association des anciens de la GRC a autorisé la formation d’un comité des litiges afin de contester la constitutionnalité du paragraphe 64(2) du Règlement de la GRC (1988). Ce comité était formé des demandeurs, MM. Grant, Riley et Davis. Le Comité exécutif national de l’Association (situé à Ottawa) a par la suite avisé la division de Lethbridge qu’une telle contestation contreviendrait aux règlements de l’Association. MM. Riley, Grant et Davis ont alors formé le comité des litiges de l’Association des anciens de la GRC de Lethbridge; ce comité est une association non constituée en personne morale, au nom de laquelle les demandeurs ont sollicité de l’appui et des fonds en vue du présent litige.

Les demandeurs ont uni leurs efforts pour rassembler des fonds. Ils ont reçu de 8 000 à 9 000 lettres appuyant leur cause et 75 pour cent d’entre elles comportaient une aide financière. Encore une fois, certaines de ces lettres provenaient de membres actifs de la GRC qui ne voulaient pas que leur identité soit rendue publique. L’appui est venu en grande partie du sud de l’Alberta, les demandeurs ayant surtout mené leur appel de fonds dans cette région. Toutefois, des résidants de toutes les provinces du Canada, aussi bien que des Territoires du Nord-Ouest, et des Canadiens vivant à l’étranger ont répondu à l’appel des demandeurs. Dans son témoignage, M. Davis a déclaré que les dépenses qu’il a lui même engagées, afin d’effectuer divers achats (par exemple, des timbres-poste) dont il a conservé les reçus, étaient de 1 800 $ à 2 000 $. Ces dépenses ne comprennent pas les coûts qu’il a supportés sans garder de reçus, notamment le coût de l’essence et de l’utilisation de sa voiture, ainsi que ses autres frais de déplacement.

L’application de la politique

Tel qu’il a déjà été souligné ci-dessus, le Règlement de la GRC décrivait dans le passé et décrit toujours l’uniforme distinctif de la GRC. Le règlement en question a été modifié en mars 1990 (DORS/90-182)[20] et est actuellement rédigé comme suit :

64. (1) Sous réserve du paragraphe (2), l’uniforme distinctif de la Gendarmerie, dont le modèle est soumis à l’approbation du ministre, est composé, en plus de tout autre article approuvé par celui-ci, du feutre, de la tunique rouge, de la culotte d’équitation bleue garnie d’une bande jaune sur chaque côté, des bottes brunes Strathcona et des éperons droits.

(2) Le commissaire détermine les occasions pour lesquelles les membres doivent porter l’uniforme distinctif visé au paragraphe (1) et peut exempter tout membre du port de tout article de l’uniforme distinctif pour des motifs ayant trait aux croyances religieuses de ce membre. [Non souligné dans l’original.]

Un formulaire de demande a été rédigé à l’intention des Sikhs qui désiraient porter le turban et d’autres symboles religieux :

[traduction] DÉCLARATION DE CROYANCES RELIGIEUSES

DEMANDE D’EXEMPTION ET ENGAGEMENT[QC]

Nom : … … … … … … … … .

Numéro de régiment : … … … … … … . .

1. Je, … … … … … , déclare que je suis membre de la religion sikhe et que j’ai l’obligation, conformément à mes croyances religieuses, de ne pas couper ma barbe et mes cheveux (KESH), et de porter un KARA, un KIRPAN, un KHANGA, un KACHH et un TURBAN.

2. Sous réserve du paragraphe 3, je requiers que le commissaire m’accorde, en raison de mes croyances religieuses, une exemption de porter le chapeau obligatoire de l’uniforme de la GRC, y compris l’uniforme distinctif de la GRC.

3. Nonobstant l’exemption qui peut m’être accordée en réponse à ma demande formulée au paragraphe 2, je m’engage à exécuter toutes les fonctions que la GRC m’assignera et à porter tout chapeau ou équipement de sécurité particulier nécessaire pour des raisons opérationnelles de bonne foi ou requis par une disposition législative.

… … … … … … .                                                              … … … … … 

Signature                                                                                Date

                                                                                         [Non souligné dans l’original.]

En réponse à une demande, le commissaire a exempté une personne du port du feutre mentionné au paragraphe 64(1) du Règlement de la GRC. Le commissaire a par la suite délégué le pouvoir que lui confère le paragraphe 64(2) du Règlement au sous-commissaire (Administration), aux termes d’un document signé le 23 mars 1992. Le sous-commissaire (Administration) a dispensé un autre membre de porter le feutre en question sur la foi d’une demande de ce membre. La GRC se fie à la déclaration de la personne membre qui, dans sa demande, affirme qu’elle est de religion sikhe et que ses croyances religieuses l’obligent à porter le turban.

En plus d’exempter les deux membres du port du chapeau obligatoire, le commissaire a prescrit les turbans, fournis par la GRC, que les membres devront porter à la place du chapeau à larges bords, le stetson, et du chapeau de travail habituel de la GRC. La couleur du tissu du turban qui doit être porté avec l’uniforme distinctif correspond à celle du stetson. La couleur du tissu du turban porté avec les uniformes de travail ou de cérémonie (bleu) est assortie à ces uniformes. En outre, la GRC fournit trois pièces d’étoffe patka. Le Manuel requiert également qu’on fixe la plaque de la GRC sur le devant du turban bleu[21]. Les deux membres qu’on a exemptés du chapeau ordinaire ont également la permission de porter le kanga, le kara, un kachh et un kirpan. On leur permet également le kesh (cheveux non coupés court et barbe ni rasée, ni taillée).

L’exposé conjoint des faits stipule que la demande d’exemption du port réglementaire de l’uniforme distinctif ou de la tenue de service de la GRC, faite par un membre de tout autre groupe religieux, serait étudiée en fonction de l’appartenance religieuse de ce membre, des principes de la religion en question et des exigences opérationnelles de la GRC. Ces dernières nécessiteraient qu’on se demande si l’exemption, une fois accordée, empêche l’agent d’assumer de quelque façon que ce soit ses responsabilités relatives à l’application de la loi, et si les exigences de la GRC, pour lesquelles l’exemption a été sollicitée, constituent des exigences opérationnelles réelles en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés et de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est également entendu que l’impartialité, les préjugés, l’apparence d’impartialité, l’apparence de préjugés et la séparation de l’Église et de l’État sont tous des éléments que le commissaire et la GRC n’ont pas pris en considération au moment où la modification de la politique a été proposée.

Le maintien de l’ordre et les uniformes des corps policiers

Au cours des ans, de nombreux changements ont été apportés à l’uniforme distinctif de la GRC. En 1873, le premier uniforme de la GRC comprenait une toque du type calot, une veste Norfolk écarlate, des culottes d’équitation ocre, des gants blancs et des bottes noires avec éperons droits. On avait adopté la couleur rouge pour la veste parce que les milices britanniques, que les autochtones du Canada respectaient, avaient porté des vestes rouges. On avait également emprunté le chapeau en forme de toque aux milices britanniques. Ce chapeau s’est révélé totalement inadéquat pour la vie dans les prairies et les membres des forces de l’ordre ont commencé, officieusement, à porter le stetson. Celui-ci offrait une plus grande protection contre le vent, le soleil et la pluie. En 1876, on a modifié l’uniforme de cérémonie pour y intégrer, à titre d’éléments principaux, un casque colonial garni d’une pointe, de même qu’une veste écarlate et des culottes d’équitation bleues ornées d’une rayure jaune. Les bottes Strathcona ont été adoptées après qu’un contingent de la GRC, qui avait participé à la guerre des Boers, est revenu au Canada et a encouragé leur utilisation. La GRC a officiellement adopté le stetson au début du siècle et l’a intégré au code vestimentaire de 1904.

Tout comme on a apporté de nombreuses modifications à l’uniforme au cours des ans, différentes tenues ont été conçues pour diverses fonctions (par exemple, le service en temps de guerre, les tâches nordiques, la maîtrise des émeutes). En outre, en 1975, lorsqu’on a permis pour la première fois aux femmes de joindre la GRC, on a pris un décret prescrivant un uniforme distinctif qui comportait une jupe bleue (à la place des culottes d’équitation) et un calot en tissu (plutôt qu’un stetson). Les femmes portaient des souliers au lieu des bottes Strathcona et des éperons. Les tuniques écarlates ressemblaient plus à des blazers que les vestes des hommes. Plus récemment, à la demande des femmes membres de la GRC, on a modifié cet uniforme de sorte que les femmes et les hommes portent maintenant le même uniforme distinctif.

M. Roderick MacLeod a témoigné relativement aux forces de l’ordre actuelles et au rôle de l’uniforme. Il a déclaré qu’il est nécessaire que les membres d’un corps de police présentent une image impartiale. Il a relaté des faits historiques et a renvoyé à des circonstances dénuées d’impartialité :

[traduction] Les uniformes constituent une des caractéristiques déterminantes des forces de l’ordre modernes qui ont vu le jour il y a un siècle et demi. Avec les changements structurels, tels que le versement de salaires plutôt que le paiement d’honoraires, et l’augmentation des effectifs, les uniformes sont ce qui distingue la nouvelle police, créée par la Peel’s Metropolitan Police Act de 1829, de l’ancienne fonction de constable. Tous les historiens qui se sont penchés sur la question s’entendent pour dire que les uniformes ont été adaptés à la police à partir des uniformes militaires. Ils représentaient, en quelque sorte, la militarisation d’une charge qui avait toujours été une fonction civile. Les premiers commissaires de la police métropolitaine de Londres ont prudemment décidé d’adopter un uniforme qui ressemblerait le moins possible à celui des militaires, et ils ont opté pour des hauts-de-forme et des redingotes de couleur bleue…

La deuxième condition connexe, nécessaire au bon fonctionnement de la nouvelle police, était que celle-ci devait être et paraître impartiale tant du point de vue politique que religieux, dans la mesure où la religion allait au-delà des questions confessionnelles de caractère privé. La démocratie pouvait fonctionner dans un cadre où les forces de l’ordre se montraient ouvertement partisanes; cependant, dans de telles circonstances, le processus politique se révélait immanquablement violent, brutal et corrompu. La longue lutte, qui a duré de 1834 à 1860 et qui visait à exclure les orangistes de la police de Toronto, illustre parfaitement ce genre de situation. Au cours de cette période, l’ordre des orangistes du Haut-Canada soutenait la politique tory et la religion protestante, et il était tout à fait prêt à se battre pour préserver son influence. Greg Kealey a compté 28 émeutes à Toronto au cours des 27 années qui se sont écoulées entre 1839 et 1866; la plupart de ces émeutes ont donné lieu à de la violence sectaire entre les orangistes et la minorité grandissante des catholiques romains torontois.

L’appartenance à l’ordre des orangistes était devenue la clé de l’embauche dans la police de Toronto. Au cours des fréquentes émeutes sectaires, la police se rangeait ouvertement du côté des orangistes présents. Vers les années 1850, la situation avait atteint de telles proportions à Toronto que même les tories modérés, comme le jeune procureur général John A. Macdonald, en avaient conclu que des mesures devaient être prises. Après des années de pressions continues de la part du gouvernement provincial et des menaces d’intégrer la police municipale aux forces provinciales, Toronto a remis à contrecœur la supervision de ses forces à une commission de police indépendante. En 1859, cette commission a adopté un règlement interdisant aux policiers de faire partie de sociétés secrètes. Cette interdiction est demeurée en vigueur jusqu’à la fin du siècle mais était interprétée de manière à tolérer l’appartenance à l’ordre des orangistes, bien que la participation active aux entreprises de cette société ait été interdite. [Les notes en bas de pages sont omises.]

M. MacLeod a souligné que des exigences strictes de neutralité étaient imposées à la Police à cheval du Nord-Ouest. En 1903, un inspecteur de ce corps de police avait demandé la permission de participer à un défilé organisé par les orangistes de Régina. On lui a refusé cette permission parce que la participation active à ce genre d’événements était interdite. M. MacLeod, dans son témoignage d’opinion, a soutenu que les personnes qui sont assujetties à l’autorité des forces de police s’inquiètent lorsqu’elles peuvent associer les membres de ces forces à un groupe politique ou religieux particulier. Elles se demandent si, dans l’exercice de ses fonctions, le policier qui appartient à un tel groupe sera plus sévère vis-à-vis ceux qui ne sont pas membres du groupe en question et, pire encore, elles se demandent si ce policier ne sera pas plus conciliant avec ceux qui font partie de ce groupe.

La GRC exige, entre autres, de ses membres qu’ils appliquent la loi avec impartialité. Le serment que prêtent les membres requiert expressément que ceux-ci accomplissent leurs fonctions [traduction] « sans crainte de personne et sans faveur ni partialité envers qui que ce soit ».

Jusqu’en 1985, la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, article 25, disposait ce qui suit :

25. Commet un manquement grave … le membre qui

e) arbore l’emblème, la marque ou l’insigne d’un parti politique, ou fait preuve de partialité politique.

En 1985, l’article 25 a été abrogé [mod., idem, art. 16] et remplacé par un « Code de déontologie » qui prévoit notamment ce qui suit [DORS/88-361] :

55. Sauf dans l’exécution d’une fonction particulière, le membre ne peut, lorsqu’il porte l’uniforme, assister à une assemblée politique ou prendre part à une activité sociale ou autre qui pourrait donner l’impression qu’il favorise un parti politique.

56. Sous réserve de l’article 57, le membre ne peut porter ni arborer aucun emblème, symbole ou insigne d’un parti politique, ni manifester publiquement de quelque autre façon son adhésion à un parti politique.

Le Règlement de la GRC[22] énonçait et énonce toujours expressément des directives détaillées relativement au port de certaines médailles et de certains insignes, de même qu’il autorise le commissaire à prescrire des règles concernant cette question en général. Le Manuel rédigé conformément aux directives du commissaire comprend les dispositions suivantes :

1.K.1.e Lorsque vous êtes en uniforme :

3. vous ne pouvez porter que les bijoux suivants :

1. une montre-bracelet, un bracelet Medic Alert, une bague ordinaire, une bague de fiançailles ou une alliance ou une parure, p. ex. un collier et une chaîne de montre, un kara et un kirpan d’au plus 8,75 cm de long.

NOTA : Le kirpan et les autres parures ne doivent pas être visibles.

Les termes soulignés ont été ajoutés lorsqu’on a modifié le Manuel afin d’y prévoir le port du turban.

M. Manning, professeur et sociologue, qui a écrit abondamment sur divers aspects des forces de l’ordre et sur le rôle qu’elles jouent dans la société, a déclaré dans son témoignage que l’uniforme, aux yeux de la population, symbolise l’État et son autorité, dont le rôle est de maintenir l’ordre dans la société au moyen de l’application des lois. M. Manning affirme que la police constitue également un symbole de moralité. La tenue vestimentaire des forces de police, par son uniformité, permet de faire oublier les caractéristiques personnelles des policiers. L’uniforme symbolise l’égalité et l’égalité de traitement qui constituent des valeurs essentielles dans l’exercice de l’autorité légitime. Dans son témoignage, M. Manning soutenait que l’impression d’une inégalité de traitement peut miner la confiance des citoyens et la légitimité des forces de l’ordre.

La qualité pour agir

Les défendeurs et les intervenants soutiennent que les demandeurs n’ont pas la qualité pour agir dans le présent litige. Aucun des demandeurs n’a rencontré l’un ou l’autre des deux officiers qui portent le turban. Bien que certains d’entre eux soient des membres de la GRC à la retraite, aucun des demandeurs n’est actuellement membre de la Gendarmerie.

Les exigences relatives à la qualité pour agir dans l’intérêt public ont été élaborées dans de nombreuses décisions : Thorson c. Procureur général du Canada et autres, [1975] 1 R.C.S. 138; Nova Scotia Board of Censors c. McNeil, [1976] 2 R.C.S. 265; Ministre de la Justice du Canada et autre c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575; Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607. L’arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236 constitue l’affaire la plus récente en cette matière. Les trois conditions auxquelles un demandeur doit satisfaire afin d’avoir la qualité pour agir dans l’intérêt public sont les suivantes : a) le litige doit soulever une question sérieuse; b) le demandeur doit être directement touché par la question ou il doit avoir un intérêt véritable, à titre de citoyen, quant à celle-ci; c) il ne doit y avoir aucune autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux.

L’analyse qui suit montre, de façon évidente, que le présent litige soulève une question sérieuse. Il serait redondant de résumer ici les points qui seront abordés. En termes généraux, il s’agit de se demander s’il existe un droit garanti par la Constitution, un droit d’intérêt public, qui oblige les membres de notre force de police nationale à ne pas afficher leur appartenance à un groupe religieux particulier lorsqu’ils agissent au nom de l’État.

En ce qui concerne l’intérêt des demandeurs dans la question soulevée, leur avocat a raison quand il soutient que le présent litige est inhabituel, puisque ce sont les demandeurs qui cherchent à faire valoir un droit d’intérêt public (la valeur du caractère non confessionnel des institutions qui agissent au nom de l’État) tandis que le gouvernement veut préserver un droit de nature privée (le droit de la personne à la liberté d’expression). De façon plus courante, le gouvernement fait valoir, au nom de l’intérêt public, des droits que les particuliers contestent parce qu’ils y voient une violation de leurs droits individuels. La tradition veut qu’on perçoive le gouvernement comme gardien de l’intérêt public. Bien que les demandeurs soutiennent que le gouvernement n’agit pas en l’espèce selon la tradition, on doit reconnaître qu’il est très difficile de séparer les droits qui relèvent de l’intérêt public de ceux qui constituent des libertés individuelles. Il n’est pas rare que des plaintes touchent ces deux types de droit. En l’espèce, les défendeurs font valoir le droit des personnes à la liberté d’expression tout en affirmant que la modification apportée à la politique correspond à un droit d’intérêt public, c’est-à-dire au droit d’avoir une police efficace et compétente.

À mon avis, les demandeurs ont fait la preuve, à titre de citoyens, d’un intérêt au moins égal à celui démontré par MM. Thorson, Borowski et McNeil dans leur poursuite respective. L’intérêt des demandeurs est, en outre, au moins aussi grand que celui des demandeurs dans l’arrêt Operation Dismantle Inc. et autres c. La Reine et autres, [1985] 1 R.C.S. 441, bien que la qualité pour agir n’ait pas été étudiée dans cette affaire. Je crois que cette seule comparaison suffit à justifier la conclusion selon laquelle les demandeurs ont prouvé qu’ils possèdent, à titre de citoyens, un intérêt suffisant dans la question en litige.

Dans la mesure où il s’agit d’une considération pertinente, il convient de noter que les demandeurs se sont également engagés dans la question en litige. Dans l’affaire du Conseil canadien des Églises[23], on a jugé que cet organisme avait démontré un intérêt véritable et continu dans les problèmes des réfugiés et des immigrants. Les demandeurs de la présente instance ont établi de façon similaire qu’ils avaient un intérêt véritable et continu dans le maintien de la neutralité religieuse de l’uniforme de la GRC. Ils ont un intérêt personnel du fait de leurs liens passés et actuels avec la Gendarmerie. Ils ont consacré du temps, de l’argent et des efforts, d’abord pour sensibiliser les députés à la modification et, ensuite, pour porter leur cause devant les tribunaux. Ce faisant, ils ont reçu des messages et des fonds d’un échantillon représentatif de la population, y compris de membres actuels de la GRC. Je crois qu’il est juste de prétendre qu’en étant partie à la présente poursuite, les demandeurs représentent, d’une certaine façon, cet échantillon de citoyens.

Je comprends les inquiétudes exprimées dans la décision du Conseil canadien des Églises selon lesquelles le fait d’accorder la qualité pour agir aux groupes qui se préoccupent de l’intérêt public pourrait entraîner une prolifération des poursuites, dont beaucoup se révéleraient peut-être insignifiantes, et même surcharger les ressources judiciaires disponibles. Je constate toutefois que rien ne laisse croire à une telle surcharge depuis que l’arrêt Thorson et les décisions subséquentes ont élargi la notion de la qualité pour agir. J’ai de la difficulté à accepter l’argument voulant que la reconnaissance de la qualité pour agir dans une affaire comme la présente instance puisse entraîner un flot de poursuites qui submergeraient les tribunaux et utiliseraient de façon inadéquate les rares ressources judiciaires. Je serais plutôt portée à croire que les coûts du procès pourraient, à eux seuls, empêcher un tel encombrement des tribunaux, sans parler du stress psychologique et émotionnel et de la frustration que provoque la participation à un litige. Pour des raisons analogues, il m’est difficile d’admettre que des groupes d’intérêt public puissent porter des questions dérisoires devant les tribunaux. Je souligne en outre que les litiges portant sur les droits individuels ne sont pas toujours exempts de questions insignifiantes. En l’absence de preuves montrant que l’élargissement, par la Cour suprême, de la notion de qualité pour agir a entraîné ou entraîne actuellement les inconvénients décrits ci-dessus, j’hésite à insister davantage sur ces points.

Je passe donc aux arguments qui permettront de déterminer s’il existe une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux. L’avocat des défendeurs soutient qu’un membre actuel de la GRC pourrait porter la cause devant les tribunaux, ou qu’un membre du public qui se sent lésé pourrait porter plainte auprès de la Commission des plaintes du public[24]. Je ne suis pas convaincue que l’une ou l’autre de ces possibilités entre dans la catégorie des moyens « raisonnables et efficaces ». Il est plutôt improbable qu’une personne qui sert actuellement dans la GRC intente une action, car elle craindrait que la contestation d’une décision du commissaire ait des répercussions sur sa carrière, tout comme le craignaient les membres actifs qui ont aidé financièrement les demandeurs à la condition de ne pas être identifiés publiquement. Quant aux membres de la population, ils peuvent porter plainte auprès de la Commission des plaintes du public si un agent se comporte envers eux de façon partiale ou incorrecte, mais la question soulevée par les demandeurs n’est pas de cette nature. Ceux-ci ne se plaignent pas d’une conduite partiale ou incorrecte : ils prétendent qu’il existe une crainte raisonnable de partialité. Mme Mansbridge a déclaré qu’elle savait qu’aux termes du serment qu’ils doivent prêter, les policiers de la GRC jurent qu’ils rempliront leurs fonctions sans crainte, faveur ou partialité. L’action des demandeurs ne vise pas l’intégrité personnelle ou le professionnalisme des officiers; elle est d’une nature plus abstraite et générale. Selon les demandeurs, lorsqu’on permet qu’un symbole religieux fasse partie de l’uniforme, on mine l’apparence d’impartialité. Même dans l’éventualité où ce genre de plaintes relèverait de la compétence de la Commission des plaintes du public, je ne suis pas convaincue que cette voie pourrait mener à une décision des tribunaux. De la façon dont je comprends la loi en question, le commissaire, avec le ministre, est l’arbitre suprême de ces plaintes[25].

On suggère également que la contestation parvienne aux tribunaux par une autre avenue, c’est-à-dire par l’entremise d’un membre potentiel ou actuel de la GRC qui demanderait et se verrait refuser une exemption relative à ses croyances religieuses. Il apparaît clairement, toutefois, qu’une telle action ne soulèverait pas la question pour laquelle les demandeurs recherchent une décision. La personne qui voudrait être demanderesse dans une telle cause ne chercherait pas nécessairement à contester la décision du commissaire mais tenterait, plus vraisemblablement, d’en faire étendre la portée.

La voie la plus plausible pour une poursuite éventuelle me semble reliée aux arguments des demandeurs concernant l’article 7 de la Charte. On peut concevoir, par exemple, qu’un Hindou ou un Musulman puisse s’opposer par voie d’action déclaratoire, dans une instance à peu près semblable au litige actuel, à ce que des agents portent le turban, particulièrement si cet opposant se sent surveillé par les agents en question à cause d’un conflit avec les membres de la communauté sikhe. Après réflexion, j’ai conclu qu’une telle possibilité ne limitait pas le droit des demandeurs d’intenter la présente action.

Les arguments des défendeurs consistent tout au plus en une possibilité qu’une autre sorte de poursuite soit engagée. Dans l’affaire Conseil canadien des Églises, l’action de rechange n’était pas qu’une pure possibilité ou de simples conjonctures sur les poursuites qui pourraient être engagées. Il existait un litige véritable (des milliers de cas) devant les tribunaux inférieurs. Je crois que pour satisfaire au critère d’une mesure de rechange « raisonnable et efficace », il est nécessaire de démontrer plus que la possibilité d’une telle action. Je considère, en l’espèce, que la demande ne constitue pas une affaire pour laquelle il existe une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question aux tribunaux.

La liberté de religion

Les demandeurs soutiennent qu’il y a violation du droit à la liberté de religion garantie par la Constitution lorsque les membres de la population se trouvent obligés de s’adresser ou de faire face à des policiers qui portent, intégré à l’uniforme national, un symbole laissant voir leur appartenance à un groupe religieux différent de celui auquel ces personnes appartiennent. L’alinéa 2a) de la Charte canadienne des droits et libertés se lit comme suit :

2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

a) liberté de conscience et de religion.

Dans l’arrêt R. c. Big M Drug Mart Ltd. et autres, [1985] 1 R.C.S. 295, la Cour suprême a jugé que l’objet de la disposition législative contestée se révèle crucial lorsqu’il s’agit de décider si cette disposition enfreint la liberté de religion :

Si elle [la loi] ne satisfait au critère de l’objet, il n’est pas nécessaire d’étudier davantage ses effets parce que son invalidité est dès lors prouvée. Donc, si, de par ses répercussions, une loi qui a un objet valable porte atteinte à des droits et libertés, il serait encore possible à un plaideur de tirer argument de ses effets pour la faire déclarer inapplicable, voire même invalide. Bref, le critère des effets n’est nécessaire que pour invalider une loi qui a un objet valable; les effets ne peuvent jamais être invoqués pour sauver une loi dont l’objet n’est pas valable[26].

L’avocat des demandeurs soutient que, dans la présente instance, l’objet religieux de la modification, apportée au Règlement de la GRC[27] et des directives du commissaire apparaît de prime abord : exempter certains membres de la GRC, en raison de leurs croyances religieuses, de l’obligation de porter l’uniforme imposé à tous les autres membres. De plus, l’avocat allègue que cette exemption n’est à l’avantage que d’un seul groupe religieux, les Sikhs du Khalsa. Il soutient que la neutralité apparente du Règlement modifié est contredite par l’histoire de l’élaboration de la politique qui a précédé la modification : le rapport de la GRC de 1982; la directive du commissaire qui spécifie que l’exemption ne concerne que les Sikhs; le processus et le formulaire de demande d’exemption établis par la GRC; les modifications qui ont été apportées à l’uniforme de la GRC de façon à y intégrer le turban sikh du Khalsa (en en précisant le tissu, la couleur, le bandeau et la plaque). On allègue que le but de la modification est nettement religieux, qu’il vise précisément un groupe religieux particulier et que, par conséquent, il se révèle inconstitutionnel puisqu’il contrevient à l’alinéa 2a) de la Charte.

Je n’interprète pas les différents arrêts cités comme s’ils signifiaient que toutes les dispositions législatives qui ont un objet religieux vont à l’encontre de l’alinéa 2a) de la Charte. Pour qu’il en soit ainsi, on doit, à mon avis, prouver que l’objet religieux est d’une nature telle qu’il restreint le choix d’une personne de mettre en pratique ou d’exprimer ses croyances religieuses, ou qu’il oblige ou force une personne à pratiquer ou à observer une religion qu’elle n’aurait pas choisie de son propre gré.

D’après l’arrêt Big M Drug Mart :

La liberté peut se caractériser essentiellement par l’absence de coercition ou de contrainte. Si une personne est astreinte par l’État ou par la volonté d’autrui à une conduite que, sans cela, elle n’aurait pas choisi d’adopter, cette personne n’agit pas de son propre gré et on ne peut pas dire qu’elle est vraiment libre. L’un des objectifs importants de la Charte est de protéger, dans des limites raisonnables, contre la coercition et la contrainte. La coercition comprend non seulement la contrainte flagrante exercée, par exemple, sous forme d’ordres directs d’agir ou de s’abstenir d’agir sous peine de sanction, mais également les formes indirectes de contrôle qui permettent de déterminer ou de restreindre les possibilités d’action d’autrui. La liberté au sens large comporte l’absence de coercition et de contrainte et le droit de manifester ses croyances et pratiques. La liberté signifie que, sous réserve des restrictions qui sont nécessaires pour préserver la sécurité, l’ordre, la santé ou les mœurs publics ou les libertés et droits fondamentaux d’autrui, nul ne peut être forcé d’agir contrairement à ses croyances ou à sa conscience[28]. [Non souligné dans l’original.]

Dans l’arrêt Zylberberg v. Sudbury Board of Education (Director) (1988), 65 O.R. (2d) 641 (C.A.), on a jugé que les dispositions réglementaires qui obligeaient les écoles publiques à commencer et à terminer chaque journée par des exercices religieux, qui consistaient à lire des textes sacrés ou d’autres écrits religieux et à réciter des prières à Dieu ou d’autres prières appropriées, contrevenaient à l’alinéa 2a) de la Charte. On en a décidé ainsi, bien que les élèves aient pu être exemptés de ces exercices si eux-mêmes ou leurs parents en avaient fait la demande. La Cour d’appel de l’Ontario a maintenu ce qui suit malgré la possibilité d’exemption :

[traduction] … dans les faits, l’exigence de la lecture des textes sacrés et de la prière impose aux minorités confessionnelles l’obligation de se conformer aux pratiques religieuses de la majorité. La pression exercée par les pairs et les normes de la classe, auxquelles les enfants sont profondément sensibles, ont à notre avis un effet réel et envahissant qui astreint les membres des minorités religieuses à adopter les pratiques religieuses de la majorité.

Le règlement porte également atteinte à la liberté de conscience et de religion d’une manière plus large. L’obligation pour les élèves d’assister aux exercices religieux, s’ils n’en sont pas exemptés, force les étudiants et les parents à déclarer leur appartenance religieuse[29].

L’avocat des demandeurs allègue que l’intégration de symboles religieux à l’uniforme d’un policier de la GRC exerce une pression ou une contrainte similaire sur les membres de la population, puisque ceux-ci n’ont d’autre choix que de reconnaître la tradition religieuse du policier en question lorsqu’ils doivent traiter avec lui.

On ne m’a pas convaincue que les rapports entre un policier dont l’uniforme comporte un symbole de sa religion et un membre de la population portent atteinte à la liberté de religion de ce dernier. Ces rapports ne sont pas nécessairement de nature religieuse. Dans l’arrêt Big M Drug Mart, la disposition législative avait pour effet d’astreindre les gens à l’observance religieuse du dimanche, soit à considérer ce jour comme un jour de repos. Dans l’affaire Zylberberg, les tribunaux ont encore une fois conclu que la disposition législative, malgré une possibilité d’exemption, imposait une obligation de participer aux exercices religieux. La disposition se révélait d’autant plus coercitive qu’elle touchait de jeunes enfants, sensibles à la pression exercée par leur groupe. Dans le cas des rapports entre un policier portant un turban et un membre de la population, je ne vois aucune contrainte ni coercition exercée sur ce dernier qui le forcerait à adopter ou à partager les croyances ou les pratiques religieuses du policier. La seule activité imposée à la personne qui traite avec un tel policier est de constater l’appartenance religieuse du policier. Je ne peux conclure qu’une telle constatation, même dans le contexte où le policier exerce ses pouvoirs relatifs à l’application de la loi, représente en soi une atteinte à la liberté de religion de la personne qui constate.

On m’a renvoyée à une décision récente du juge Muldoon dans l’affaire O’Sullivan c. M.R.N., [1992] 1 C.F. 522 (1re inst.). Dans cet arrêt, le juge Muldoon étudie l’importance du préambule de la Charte qui stipule que « le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit ». Le demandeur, dans l’affaire O’Sullivan, revendiquait le droit de déduire une certaine somme de son impôt sur le revenu parce qu’il ne voulait pas que l’argent de cet impôt serve aux avortements. Le juge Muldoon a écrit ce qui suit à propos du préambule de la Charte :

Quel est alors le sens de ce préambule? À l’évidence, il vise à protéger tous ceux qui croient en Dieu, peu importe leur religion et la manière brutale dont ils agissent envers les autres. En garantissant cette protection aux croyants, la reconnaissance de la suprématie de Dieu signifie qu’à moins que la Constitution ne soit modifiée ou tant qu’elle ne l’aura pas été--la meilleure solution qu’on puisse imaginer—, le Canada ne peut devenir un État officiellement athée …[30]

Par conséquent, bien que l’État laïque soit tenu de défendre, c’est-à-dire de garantir, la liberté de conscience et de religion de chacun, il n’est pas tenu de favoriser toutes les expressions ou toutes les manifestations de la liberté de conscience et de religion, ni même autorisé à le faire, pas plus qu’il n’est tenu de favoriser toutes les manifestations de la liberté d’opinion et d’expression, dont certaines sont diffamatoires. De fait, c’est l’inscription dans la Constitution de ces libertés très disparates qui établit le caractère intrinsèquement laïque de l’État canadien. La triste histoire des combats livrés et des brutalités commises par l’homme au nom de Dieu montre amplement que le caractère résolument laïque de l’État est l’assise solide de la sécurité de chacun, même si de sincères croyants trouvent que cela laisse un peu, ou beaucoup, à désirer[31]. [Non souligné dans l’original.]

Je ne suis pas en désaccord avec les commentaires du juge Muldoon, mais les déclarations énoncées dans le préambule de la Charte sont des règles d’interprétation; elles ne constituent pas des dispositions de fond. Je n’ai pas l’intention d’utiliser le préambule, de la façon suggérée par l’avocat, pour interpréter la garantie relative à la liberté de religion établie par l’alinéa 2a) de la Charte, car on ne m’a pas convaincue qu’il existe dans ce paragraphe, eu égard à la présente affaire, une ambiguïté qui devrait être interprétée à la lumière du préambule.

Justice fondamentale

L’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés dispose ce qui suit :

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Il ne fait aucun doute que bon nombre des activités exercées par les policiers sont visées par l’article 7. Par exemple, dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd. c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, le fait de contraindre une personne à témoigner sous serment ainsi que la saisie de registres aux fins d’une enquête ont été examinés à la lumière de cette disposition. Dans l’affaire Canada (Attorney-General) v. Sander (1992), 96 D.L.R. (4th) 85 (C.S.C.-B.), la saisie de registres commerciaux en vertu de mandats décernés à des fins d’enquête a fait l’objet d’un contrôle judiciaire. En outre, le concept de justice fondamentale suppose que les décisions doivent être prises par une instance libre de tout indice qui peut susciter une crainte raisonnable de partialité (sauf, bien évidemment, dans le cas où s’applique la doctrine de la nécessité). Cette exigence constitue un des principes fondamentaux de la justice naturelle, et les décisions en ce sens sont légion. Il est également manifeste selon la décision rendue dans Renvoi : Motor Vehicle Act de la C.-B., [1985] 2 R.C.S. 486, que la « justice fondamentale » comprend des éléments de fond et ne s’attache pas simplement à l’équité procédurale. Ce concept vise plus que la « justice naturelle ».

L’avocat des demandeurs fait valoir que la police, en qualité d’organe de l’État principalement responsable de l’application de la loi agissant de manière discrétionnaire et quasi judiciaire, s’occupe toujours de questions relatives à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. En outre, on soutient que les policiers, particulièrement en matière d’enquête, d’arrestation et de poursuite, doivent exercer leurs pouvoirs conformément aux principes de justice fondamentale, dans un cadre libre de toute crainte raisonnable de partialité.

L’avocat établit un lien entre cette analyse de l’article 7 et ce qu’il appelle la convention constitutionnelle selon laquelle nos services de police travaillent de façon neutre, à l’abri de toute indication d’allégeance politique ou religieuse. Il prétend qu’une convention constitutionnelle essentielle dans notre régime gouvernemental exige que les agents de police de l’État agissent non seulement de manière impartiale, mais qu’ils donnent une apparence d’impartialité lorsqu’ils appliquent la loi. Il cite les décisions rendues dans Osborne c. Canada (Conseil du Trésor), [1991] 2 R.C.S. 69 et Fraser c. Commission des relations de travail dans la Fonction publique, [1985] 2 R.C.S. 455. Ces deux affaires portent sur la convention selon laquelle les employés de la fonction publique sont censés agir avec toute la neutralité possible et respecter des apparences de neutralité. Certaines limites sont imposées à leur liberté d’expression et à leur droit de participer à des activités politiques. Dans Fraser, le juge en chef Dickson cite « l’intérêt du public vis-à-vis de l’impartialité réelle et apparente de la fonction publique[32] » et dans Osborne, le juge Sopinka mentionne la « convention de neutralité politique, essentielle au principe de gouvernement responsable »[33].

Selon moi, les éléments de preuve en l’espèce établissent l’existence d’une convention de neutralité de la part des forces policières au Canada, et cette convention sous-entend que leur tenue vestimentaire ne manifestera aucune allégeance politique ou religieuse. Comme l’a dit M. McLeod, ce principe a été respecté en pratique, même s’il n’a pas fait l’objet de longs débats ni de nombreux commentaires écrits. Cependant, je ne crois pas que cet état de fait appuie la cause des demandeurs, car les conventions ne peuvent être appliquées légalement[34]. En effet, par définition, les conventions sont souples et évoluent au fil des années. La convention dont il est question dans les arrêts Osborne et Fraser a obtenu force de loi parce qu’elle faisait partie d’un texte législatif[35], et non pas du fait qu’il s’agissait d’une convention, car une convention n’est pas une garantie constitutionnelle.

L’argument des demandeurs fondé sur l’article 7 présente une lacune plus grave : les éléments de preuve soumis à l’appui de cet argument sont très vagues et de nature hautement spéculative. Rien ne prouve que quiconque a subi une « atteinte » à sa « liberté ou à sa sécurité » en raison du port du turban par les deux agents de la GRC. Rien ne prouve que quiconque a ressenti une crainte raisonnable de partialité à cause de cette atteinte. Rien ne prouve, par exemple, qu’un Hindou ou un Musulman éprouverait une crainte raisonnable de partialité si une telle atteinte survenait. Dans son témoignage, Mme Mansbridge se borne à déclarer que les officiers portant le turban « pourraient sembler » ne pas être neutres à ses yeux et à ceux d’autres Canadiens qui ne sont pas habitués à voir des policiers porter des symboles religieux. Par ailleurs, ses propos laissent croire qu’elle ne craignait pas réellement que ces agents fassent preuve d’un parti pris.

Aucun élément de preuve n’a été présenté quant aux fonctions qui sont dévolues aux agents porteurs d’un turban. Il est possible, de par la nature de ces fonctions, que ces agents ne soient pas mis dans des situations où les préoccupations mentionnées par les demandeurs pourraient être justifiées (peut-être que les agents accomplissent uniquement des tâches où ils sont habillés en civil ou encore exercent des fonctions qui ne les mettent pas en contact direct avec des membres de la population). Les preuves soumises par les demandeurs sont toutes de nature théorique et spéculative. La déclaration voulant que la manifestation de la foi religieuse d’un agent sikh, à cause d’une partie de son uniforme, suscitera une crainte raisonnable de partialité ne se fonde sur aucun élément de preuve concret et réel : les demandeurs supposent que ce serait le cas. On pourrait également supposer le contraire. Or, on peut poser l’hypothèse que les tensions entre les Sikhs et des tiers, dans d’autres continents et à d’autres époques, n’ont simplement rien à voir avec le Canada. Il se peut fort bien que la plupart des Canadiens, à l’instar du sous-commissaire Moffat, ne considèrent pas le turban comme un symbole religieux ou qu’ils l’assimilent à un symbole inoffensif ou l’interprètent comme un signe d’intégrité et de force. Sur la foi des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je ne suis pas prête à conclure que l’article 7 a été ou sera enfreint.

Les modalités d’analyse qu’il faut respecter dans l’application de l’article 7 sont énoncées par le juge La Forest dans l’affaire R. c. Beare; R. c. Higgins, [1988] 2 R.C.S. 387, à la page 401 :

Pour que l’article puisse entrer en jeu, il faut constater d’abord qu’il a été porté atteinte au droit « à la vie, à la liberté et à la sécurité [d’une] personne » et, en second lieu, que cette atteinte est contraire aux principes de justice fondamentale. Comme d’autres dispositions de la Charte, l’art. 7 doit être interprété en fonction des intérêts qu’il est censé protéger. Il doit recevoir une interprétation généreuse, mais il est important de ne pas outrepasser le but réel du droit en question … [Non souligné dans l’original.]

La première condition n’a pas été satisfaite, car aucun élément de preuve ne montre qu’il y a eu ingérence de l’État dans la vie, la liberté ou la sécurité des demandeurs, ou d’un tiers qu’ils représentent.

Discrimination

J’aborderai maintenant l’argument relatif au caractère discriminatoire du règlement modifié et des consignes du commissaire. Selon l’article 15 de la Charte :

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

Les mêmes difficultés surgissent à l’égard des arguments des demandeurs concernant l’article 15 qu’à l’égard de l’article 7. De fait, l’avocat des parties demanderesses n’a pas fait valoir ses arguments avec vigueur sous cette rubrique.

D’après les demandeurs, le règlement et les consignes du commissaire sont discriminatoires parce qu’ils permettent aux Sikhs du Khalsa de montrer leurs symboles religieux mais nient cette possibilité à tous les autres groupes. Dans son témoignage, Mme Mansbridge affirmait que le règlement et les consignes sont discriminatoires parce que les membres de sa famille n’ont pas eu la possibilité de porter leurs symboles religieux. En revanche, il n’y a eu aucun témoin affirmant qu’il avait revendiqué et s’était vu refuser une exemption pour des motifs religieux ou semblables. Non seulement ne m’a-t-on présenté aucune preuve concrète de discrimination, mais l’exposé conjoint des faits précise que la GRC envisagerait toute demande d’exemption pour des motifs religieux d’une façon semblable à celle qui a permis aux Sikhs du Khalsa de porter le turban.

L’avocat cherche à appuyer son argument concernant l’article 15 en citant les arrêts Renvoi relatif au projet de loi 30, An Act to amend the Education Act (Ont.), [1987] 1 R.C.S. 1148 et R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713. Dans l’arrêt Education Act (Ont.), la Cour suprême a statué que le texte législatif permettant aux écoles catholiques de recevoir des fonds de l’État à partir de la dixième jusqu’à la douzième année était constitutionnellement valide, parce qu’une disposition expresse de la Constitution (l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867) prescrit un traitement spécial pour les écoles séparées ou dissidentes. La décision majoritaire semblait aussi affirmer que l’article 29 de la Charte[36], qui garantit expressément le droit à des écoles confessionnelles, n’était pas nécessaire pour préserver la validité de la modification apportée à la Loi sur l’éducation [L.R.O. 1980, ch. 129] de l’Ontario en raison de la disposition expresse de l’article 93. Par ailleurs, la Cour suprême a décidé que, en l’absence d’une telle disposition expresse, le financement des écoles confessionnelles ne serait pas tout à fait compatible avec l’article 15 de la Charte. Voici un extrait du jugement majoritaire, qu’on retrouve aux pages 1197 et 1198 :

Toutefois, cela ne signifie pas que ces droits ou privilèges [conférés par la législation postérieure à la confédération en vertu du paragraphe 93(3) de la Loi constitutionnelle de 1867] peuvent être contestés en vertu de l’al. 2a) et de l’art. 15 de la Charte. J’ai indiqué que les droits ou privilèges garantis par le par. 93(1) ne peuvent faire l’objet d’un examen en vertu de l’art. 29 de la Charte. J’estime que cela est clair. Ce qui est moins clair, c’est la question de savoir si l’art. 29 de la Charte était nécessaire pour atteindre ce résultat. J’estime que la réponse est non. Je crois qu’on l’a placé là simplement pour souligner que la Charte ne porte pas atteinte au traitement spécial que la Constitution garantit aux écoles confessionnelles, séparées ou dissidentes, même s’il s’accorde mal avec le concept de l’égalité enchâssé dans la Charte du fait que les autres écoles ne peuvent en bénéficier. À mon avis, on n’a jamais voulu que la Charte puisse servir à annuler d’autres dispositions de la Constitution et, en particulier, une disposition comme l’art. 93 qui représente une partie fondamentale du compromis confédéral. L’article 29 n’est, à mon sens, présent dans la Charte que pour assurer une plus grande certitude, en ce qui concerne tout au moins la province de l’Ontario. [Non souligné dans l’original.]

Le juge Estey (avec l’appui du juge Beetz) souscrivait à la décision majoritaire quant au résultat, à la page 1206 :

Il va de soi (et plusieurs des avocats qui ont comparu devant nous l’ont reconnu) que si la Charte s’applique d’une manière ou d’une autre au projet de loi 30, celui-ci est discriminatoire et viole les [sic] al. 2a) et l’art. 15 de la Charte des droits.

Dans l’affaire R. c. Edwards Books, le tribunal devait déterminer si l’exemption du samedi à l’égard d’une obligation générale de fermeture le dimanche contrevenait à l’article 15 de la Charte en ce qui concerne les Musulmans, parce que leur journée d’observance religieuse hebdomadaire tombe le vendredi. Le juge La Forest, aux pages 804 et 805, notait ce qui suit :

En fait, la question la plus grave à long terme est peut-être celle de savoir si une exemption qui se limite au samedi peut satisfaire aux exigences de l’art. 15 en matière d’égalité et non pas si la loi serait valide sans cette exemption … L’article 15 n’était cependant pas en vigueur au moment où les infractions reprochées auraient été commises, aussi n’ai-je pas à m’étendre davantage sur cette question.

Les demandeurs s’appuient sur les déclarations de ces arrêts qui indiquent qu’en l’absence d’une disposition constitutionnelle expresse dans le sens contraire, le financement accordé par l’État aux écoles d’un groupe religieux serait contraire à l’article 15 de la Charte et, que si l’article 15 avait été en vigueur au moment où l’affaire Edwards avait été engagée, il est possible que le texte législatif qui prévoyait la fermeture des établissements le samedi et le dimanche, en raison des pratiques religieuses judéo-chrétiennes, aurait été jugé en contravention avec l’article 15 de la Charte parce qu’il ne tenait pas compte des pratiques religieuses d’autres groupes. L’argument est le suivant : il est discriminatoire pour l’État de reconnaître un groupe religieux par rapport aux autres.

J’accepte, bien entendu, les commentaires des deux décisions citées. Toutefois, je suis quand même d’avis qu’ils s’appuyaient sur l’hypothèse selon laquelle des éléments de preuve concrets seraient présentés pour prouver la discrimination reprochée. C’est seulement dans ces circonstances que le texte de loi contesté sera invalidé parce qu’il est incompatible avec les droits garantis par l’article 15. À mon avis, afin de prouver la discrimination, il faut soumettre des éléments de preuve indiquant que des concessions égales avaient été demandées et refusées, puis que la personne ayant bénéficié de l’exemption et celle qui se l’est vu refuser se trouvaient dans une situation équivalente. Dans le cas des dispositions législatives qui prescrivent une journée de fermeture par semaine, le membre d’un groupe religieux qui n’exige pas qu’une journée particulière de la semaine soit réservée à l’observance religieuse pourrait difficilement être considéré victime de discrimination du fait que le texte législatif ne tient pas compte de sa préférence. De même, il est possible qu’aucun autre groupe religieux hormis les Sikhs n’accorde d’importance religieuse au port d’un vêtement particulier. Le cas échéant, il serait difficile de conclure que le privilège spécial accordé à ceux qui portent le turban sikh est discriminatoire. En conclusion, sur la foi des éléments de preuve qui m’ont été présentés, je ne peux conclure que les consignes du commissaire contreviennent à l’article 15 de la Charte.

Les défendeurs et les intervenants, en particulier les excellents arguments de Mme Chotalia de l’Alberta Civil Liberties Association, renversent complètement les arguments des demandeurs en ce qui concerne la discrimination. Selon eux, la décision du commissaire était conçue pour empêcher les Sikhs du Khalsa d’être victimes de discrimination. À ce titre, ils estiment que la décision n’enfreint aucune disposition de la Charte mais qu’elle est rendue nécessaire par l’article 15.

Le droit relatif aux exigences de l’article 15 est bien connu et, comme les avocats l’ont mentionné, la Cour suprême s’est encore une fois penchée sur ce domaine du droit dans Commission scolaire régionale de Chambly c. Bergevin, [1994] A.C.S. no 57 (QL)[37]. En bref, selon la Loi canadienne sur les droits de la personne[38] et l’article 15 de la Charte, les règles d’application générale qui ont un effet préjudiciable sur une personne en raison de caractéristiques qui relèvent des motifs de distinction illicite seront considérées comme de la « discrimination par suite d’un effet préjudiciable ». Dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 164, la Cour suprême a statué comme suit :

Le concept d’égalité fait partie de la pensée occidentale depuis longtemps. Enchâssé au par. 15(1) de la Charte, c’est un concept difficile à saisir qui, plus que tous les autres droits et libertés garantis par la Charte, ne comporte pas de définition précise.

C’est un concept comparatif … Il faut cependant reconnaître dès le départ que toute différence de traitement entre des individus dans la loi ne produira pas forcément une inégalité et, aussi, qu’un traitement identique peut fréquemment engendrer de graves inégalités. Cette proposition a souvent été exprimée dans la documentation sur le sujet mais, … nulle part n’a-t-elle été formulée plus justement que dans la fameuse phrase du juge Frankfurter dans l’arrêt Dennis v. United States, 339 U.S. 162 (1950), à la p. 184 :

[traduction] C’était un homme sage celui qui a dit qu’il n’y avait pas de plus grandes inégalités que l’égalité de traitement entre individus inégaux.

Lorsqu’il existe une discrimination par suite d’un effet préjudiciable, les employeurs sont tenus d’accommoder leurs employés pour en atténuer les effets. Le cas en l’espèce est un exemple parfait de ce qui constitue maintenant un cliché : l’accommodement afin d’assurer le traitement égal de personnes inégales, par sa nature même, suppose en retour le traitement inégal des individus.

Ce qui est vu comme une adaptation raisonnable requise d’un employeur dépend d’un certain nombre de facteurs. La jurisprudence en a relevé quelques exemples : les conséquences financières pour l’employeur; la taille de l’entreprise, l’ampleur du risque et la question de savoir qui supportera les coûts en cas de blessures; le degré d’ingérence dans les activités de l’entreprise, y compris les problèmes de moral au travail qui pourraient résulter de l’adaptation ainsi que l’interchangeabilité des effectifs et des installations dont peut disposer un employeur. On soutient que le commissaire a reconnu en l’occurrence qu’il serait tenu d’accepter le port du turban sikh et c’est ce qu’il a fait.

Je ne suis pas tout à fait convaincue que le commissaire a pris cette décision parce qu’il croyait être tenu de s’adapter en raison de la Loi canadienne sur les droits de la personne ou de la Charte. Bien que l’obligation d’adaptation ait pu motiver ces décisions à un certain moment donné (par exemple, entre 1984 et 1986), le but fondamental en 1987 et en 1988, lorsque la décision a réellement été prise, semble avoir été d’encourager le recrutement de minorités visibles dans la GRC. Néanmoins, je suis prête à accepter que le désir de respecter les normes énoncées dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et la Charte a pu représenter un des objectifs du commissaire et qu’il s’agissait là d’un effort louable.

Vu les circonstances de l’affaire, toutefois, je ne suis pas prête à conclure que, si le commissaire n’avait pas agi de la sorte, il aurait enfreint la Charte. Il ne s’agit pas là du sujet principal du présent litige et je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve qui m’ont été présentés me permettent de parvenir à cette conclusion. Cette question n’a pas fait l’objet d’une procédure contradictoire. En outre, il serait nécessaire de décider quelle adaptation serait appropriée et, le cas échéant, s’il y avait lieu d’apporter à l’uniforme les modifications qui ont été effectuées. Le présent litige ne portait pas essentiellement sur l’obligation pour le commissaire d’apporter les changements qu’il a effectués; il s’agit plutôt de déterminer si une disposition constitutionnelle l’empêchait de le faire. Par conséquent, comme je l’ai déjà indiqué, je ne suis pas prête à conclure que, si le commissaire n’avait pas agi comme il l’a fait, il aurait enfreint la Charte.

Multiculturalisme

Plusieurs arguments ont été soumis concernant l’article 27 de la Charte.

27. Toute interprétation de la présente charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens.

Il s’agit d’une disposition d’interprétation et, puisque je n’ai relevé aucune ambiguïté dans les dispositions pertinentes de la Charte, je n’ai pas besoin de m’en servir. En outre, je n’estime pas qu’elle soit particulièrement utile en l’espèce. À mon avis, il existe des arguments tout aussi sensés des deux côtés. L’avocat des défendeurs fait valoir que les préoccupations multiculturelles sous-tendent la décision du commissaire du fait que les Sikhs du Khalsa sont adaptés à la GRC sans qu’ils aient à abandonner des éléments de leur foi qui sont importants à leurs yeux. L’image multiculturelle du corps policier en est rehaussée, et la GRC est davantage en mesure de répondre aux problèmes qui pourraient surgir au sein de la communauté sikhe. L’avocat des demandeurs prétend que, dans la mesure où la police est concernée, les valeurs religieuses et culturelles de tous et chacun dans une société multiculturelle sont mieux préservées lorsque les institutions fondamentales de l’État demeurent neutres sur le plan religieux. La police fait partie des institutions fondamentales qui devraient être régies par ce précepte. Je trouve ces deux arguments convaincants. Je n’estimerais pas que l’article 27 soit particulièrement utile en l’espèce si j’avais éprouvé le besoin d’y recourir.

Limites dont la justification peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique

Comme j’ai conclu qu’aucune disposition constitutionnelle n’a empêché le commissaire d’agir comme il l’a fait, il ne m’est pas nécessaire de décider si les actes du commissaire étaient justifiés par l’article premier de la Charte dans l’éventualité où les mesures qu’il a prises auraient été contraires à la Constitution.

Dépens

L’avocat des demandeurs, à la fin des procédures, a demandé que ses clients ne soient pas tenus de payer les dépens. Le litige dont ils ont saisi la Cour est d’intérêt public et ils disposent de ressources très limitées. Les fonds ont été bien entendu sollicités et obtenus auprès d’un grand nombre de personnes au sein de la population. L’avocat des demandeurs affirme que ces sommes ont toutefois déjà été dépensées.

On ne m’a bien entendu présenté aucun élément de preuve concernant les sommes qui ont été engagées ou les possibilités de financement auprès de la population. Après réflexion, j’ai décidé de ne rendre aucune ordonnance relative aux dépens jusqu’à ce que les parties aient soumis toutes les preuves qu’elles souhaitent en ce sens et qu’elles aient pu faire valoir tous les arguments nécessaires (par écrit si elles le désirent) à l’égard des règles de droit applicables, y compris la jurisprudence pertinente. Seules les parties sont visées par cette demande. Aucuns dépens ne seraient accordés aux intervenants de toute façon puisqu’ils se sont joints au litige volontairement.

Il est possible que les parties soient en mesure de régler la question des dépens entre elles. Le cas échéant, elles devraient obtenir un jugement convenu à cette fin. Si aucun règlement n’est possible, les avocats devraient aviser le greffier quant à la date et à la façon dont ils désirent soumettre leurs observations.

Conclusion

De nombreux éléments de preuve montrent qu’il est fortement dans l’intérêt de la population que l’uniforme de la police soit libre de tout symbole qui dénote l’allégeance de l’agent à un groupe religieux particulier. Certaines preuves laissent croire que la condition religieuse selon laquelle les Sikhs doivent porter un turban n’est pas aussi impérieuse qu’on le prétend. De fait, la formule de demande qu’un membre sikh doit signer lorsqu’il se joint à la GRC exige que l’agent porte une autre coiffure. Le commissaire a décidé de permettre le port du turban par des agents de la GRC parce qu’il estimait que l’interdiction de porter le turban constituerait de la discrimination contre les Sikhs et, de toute façon, que le port du turban traduirait l’acceptation de la nature multiculturelle du Canada. Il s’agit là d’objectifs louables. Toutefois, on a seulement demandé à la Cour de déterminer s’il existait une disposition constitutionnelle empêchant le commissaire d’agir comme il l’a fait. Sur la foi de la jurisprudence et des éléments de preuve qui m’ont été soumis, je ne peux conclure à l’existence d’un tel empêchement. L’action des demandeurs est par conséquent rejetée.



[1] Le règlement autorise l’établissement d’exemptions en ce qui a trait au port de certains éléments de l’uniforme distinctif; voir ci-après, p. 189.

[2] [traduction] Premier amendement (1791)

Le Congrès ne peut adopter aucune loi relative à l’établissement d’une religion, ou en interdisant le libre exercice, ou restreignant la liberté de la parole ou de la presse, ou portant atteinte au droit qu’a le peuple de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour obtenir le redressement de griefs.

[3] Pièce 2—Onglet 2.

[4] L’auteur du rapport de la GRC écrit :

[traduction] Les Sikhs sont monothéistes, ils croient en un Dieu personnel. Le dépositaire exclusif de l’autorité spirituelle est le Adi Granth. En cas de différends, spirituels ou temporels, un conclave doit se réunir au Akal Takht, le « Trône de l’Éternité », un édifice construit par le sixième guru, Harogobind, à Amritsar. Les résolutions adoptées sont revêtues de la sanction spirituelle. Le sikhisme interdit la représentation de Dieu dans des images ainsi que l’idôlatrie. Essentiellement, le disciple doit suivre la voie du salut spirituel (Moksa) décrite dans la révélation divine révélée pour la première fois au guru Nanak, puis aux neuf gurus suivants. Le mode de vie qu’appelle le sikhisme est fondé sur l’intégration de la méditation et des tâches quotidiennes et sur l’équilibre entre les deux. Cette vie consiste dans le travail dur et honnête, les services désintéressés rendus à la communauté, le partage des biens et une profonde conscience de soi.

[5] Cependant, le mariage avec une personne d’une autre caste n’est pas bien reçu.

[6] D’après ma compréhension de la preuve, il y a un seul guru divin, mais il a été incarné successivement par dix personnes.

[7] Transcription, à la p. 475 :

[traduction] … le kesh doit être couvert; il est interdit d’avoir les cheveux découverts, et c’est la raison pour laquelle les Sikhs ont adopté le turban. Ils l’avaient adopté depuis toujours, mais il est devenu absolument obligatoire pour tous les membres du Khalsa.

[8] Voir ci-après, aux p. 182 et 183.

[9] Walter Kaufmann, Religions in Four Dimensions : Existential and Aesthetic, Historical and Comparative. New York, 1976, à la p. 301.

[10] Voici un extrait du rapport de la GRC de 1982 :

[traduction] Le destin de la communauté sikhe est une question très délicate pour tous les Sikhs. La plupart d’entre eux vivaient depuis longtemps au Pendjab, mais lors de la grande partition de 1947, le Pendjab a été divisé. Environ 2 500 000 Sikhs vivaient dans la partie cédée au Pakistan, et environ le même nombre en Inde. Une fois terminés les combats et les migrations, les Sikhs survivants se trouvaient tous en Inde; il n’en restait aucun au Pakistan. Ceux qui avaient fui le nouvel État musulman avaient dû abandonner leur maison, leurs terres agricoles fertiles, leurs temples et pratiquement tous leurs biens. Les Musulmans qui ont fait le parcours inverse étaient pour la plupart des métayers. Cela était dû en partie au fait que la création du Pakistan répondait à la seule volonté de créer un État musulman. Ce fait est également à l’origine de la haine qui allait opposer durablement les Sikhs et les Musulmans et qui allait se traduire par de sanglants affrontements. Les Musulmans avaient exécuté plusieurs des premiers dirigeants des Sikhs ainsi que leurs enfants; les Sikhs, cherchant à se venger, ont passé par l’épée un grand nombre de Musulmans; ces derniers ont usé de représailles. Tout ce sang versé demeure gravé dans les mémoires. [La note en bas de page est omise].

[11] C.R.C., 1978, ch. 1391, art. 85, devenu par la suite le Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361, art. 64.

[12] L.R.C. (1985), ch. R-10, et modifications.

[13] L’exemption envisagée était ainsi conçue :

[traduction] Si vous êtes incapable de vous conformer aux dispositions réglementaires relatives à la tenue en raison d’un motif de distinction énuméré à l’art. 3(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, présentez une note de service par les voies normales et votre cas fera l’objet d’une décision particulière.

[14] Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561.

[15] Les femmes et les personnes qui ne sont pas de race blanche.

[16] [traduction] Il y a quelques années, nous avons étudié le concept d’un modèle de coiffure pour un Sikh baptisé. Le projet a été abandonné, et devait être « réexaminé dans le cas où il arriverait qu’un Sikh baptisé pose sa candidature ». Cela n’est bien entendu pas suffisant et ne témoigne pas de grands efforts quand on pense qu’il y a bien des années, la Metropolitan Police Commission (de Toronto) a modifié son règlement relatif à la tenue vestimentaire afin de permettre le port du turban.

[17] Transcription, à la p. 62.

[18] Bien qu’elle soit une police nationale, la GRC agit dans toutes les provinces, à l’exception de l’Ontario et du Québec, à titre de police provinciale.

[19] En principe, un tel règlement est édicté par décret mais, dans les faits, ce sont les membres du cabinet qui font partie du comité concerné qui prennent la décision.

[20] Conformément au pouvoir conféré à la GRC par l’art. 21(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, après modifications [L.R.C. (1985) (2e suppl.), ch. 8, art. 12].

[21] Bulletin UDM-49, publié le 9 novembre 1990, maintenant intégré dans le Manuel des uniformes et tenues, chapitre 1.

[22] DORS/88-361.

[23] À la p. 254.

[24] Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, partie VI, et modifications [mod., idem].

[25] Voir, Re Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada), [1994] 3 C.F. 562 (C.A.).

[26] À la p. 334.

[27] DORS/90-182.

[28] Aux p. 336 et 337.

[29] À la p. 655.

[30] À la p. 536.

[31] Aux p. 542 et 543.

[32] À la p. 470.

[33] À la p. 86.

[34] Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981] 1 R.C.S. 753; Hogg, Constitutional Law of Canada (1992), aux p. 17 et 18.

[35] Art. 33 [Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33].

[36] Rien dans la Charte ne constitue une abrogation ou une dérogation concernant les droits et privilèges garantis par la Constitution du Canada à l’égard des écoles confessionnelles, séparées ou dissidentes.

[37] Le critère de minimus a été écarté.

[38] L.R.C. (1985), ch. H-6.

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